Bernard Fibicher, musée des Beaux
Transcription
Bernard Fibicher, musée des Beaux
Bernard Fibicher, directeur du musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne. Merci de m’avoir invité à venir parler, non pas d’un projet d’extension, mais d’un projet de nouvelle construction d’un musée existant. Définir le musée est impossible : le musée archives, le musée conservatoire, le Schaulager – modèle bâlois, qui n’est qu’une réplique d’un modèle existant : le tresorum de la collection Menil à Houston, de Renzo Piano – le musée éclaté, le musée en migration, le musée d’artistes, le musée imaginaire, le musée virtuel, le musée déconstruit, l’anti-musée, le musée établi en centre ville, dans une friche industrielle, à la campagne ou sur une île, le musée architecture, le musée sculpture, le musée pittoresque, le musée spectacle, le musée instrument de dynamisation d’une région ou d’un quartier, le musée instrument politique, le musée globalisé, le musée à satellites, le musée au service du branding : Guggenheim par ci par là, Louvre par ci par là, le musée machine, le musée écrin de luxe ou le bon vieux musée, telles sont quelques unes des caractéristiques du musée d’aujourd’hui. Qu’en restera-t-il demain ? Quel musée reste-t-il à construire ? Quel est son site idéal ? Quelle sera son architecture ? Quels seront ses contenus et programmes ? Qui seront ses publics dans 5 ans ou dans 50 ans ? Toutes ces questions sont liées. Elles sont d’actualité quand il s’agit de concevoir et de construire un nouveau musée. Le musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne est appelé à se développer par nécessité endémique, mais aussi par volontés populaires et politiques. Pour savoir où l’on va, il faut connaître qui on est et d’où l’on vient. Si je veux parler d’un musée entre aujourd’hui et demain, quelques repères historiques s’imposent. Le musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne1, dans le chef lieu du canton de Vaud, est situé dans un beau palais de style néo-florentin construit à la fin du XIXe siècle et inauguré en 1906. A l’époque, c’était déjà une architecture anachronique. Aujourd’hui, c’est une aberration. C’était une idée pourtant magnifique de réunir tout le savoir local d’une époque dans un seul bâtiment. Ce palais a été construit pour abriter les sciences humaines de l’université de Lausanne, le musée des Beaux-Arts, le musée de l’industrie, le musée de l’archéologie, le musée d’histoire naturelle, le musée de géologie du canton de Vaud et une partie de la bibliothèque universitaire de la Ville de Lausanne. Toutes ces institutions, sauf l’université et le musée de l’industrie, se trouvent encore et toujours dans ce bâtiment gigantesque et impropre à recevoir toutes ces fonctionnalités. Bien évidemment, tous les musées se sont développés à l’intérieur de ces murs qui sont restés les mêmes, c’est-à-dire qu’il n’y a jamais eu d’adjonction ou d’extension. L’espace est aujourd’hui trop restreint pour toutes ces structures. En 1924 le bâtiment était déjà trop petit, et le directeur d’alors, Émile Bonjour, criait au scandale et implorait les politiciens d’agrandir les salles d’exposition et de lui donner plus d’espaces de stockage et de réserves. Aujourd’hui enfin, les choses bougent. Nous avons toujours de magnifiques salles d’exposition dont trois salles historiques datant de 1904, avec des dorures et des ornements. C’est très grand, très beau, très pompeux, et cela intéresse surtout les artistes contemporains qui y font des 1 www.beaux-arts.vd.ch installations in situ. Par exemple, l’accrochage actuel réunit les collections sous le thème de la lumière. Autour d’une cage dorée de l’artiste belge Michel François sont exposées des peintures de paysagistes vaudois ainsi que de l’art contemporain. Il s’agit d’une exposition emblématique pour notre projet de nouveau musée. Comme nous n’avons pas assez de place avec les 1200 m² de surface d’exposition dont nous disposons, à chaque fois, il faut choisir entre montrer une partie de la collection ou bien une exposition temporaire, thématique ou dédiée à un artiste classique de l’histoire de l’art. Dans la situation actuelle, les problèmes sont aussi liés à nos conditions de travail. Il y a un manque d’infrastructures : il faut porter les tableaux car il n’y a pas de monte-charge et les réserves débordent. Les politiciens, et même les plus fervents adversaires de la culture, ont compris les enjeux. La décision formelle d’un projet de nouveau musée a été prise : le musée cantonal sortira du bâtiment pour s’implanter ailleurs afin de donner une possibilité de redéploiement aux autres institutions qui sont toutes à l’étroit. L’ancien projet de nouveau musée a été un premier échec. La Suisse est une démocratie directe, donc les décrets présidentiels n’existent pas, les situations de hors budget n’existent pas non plus. Tout doit être soumis à notre Parlement cantonal ou, si tout va mal et s’il y a référendum, au verdict populaire. Le projet du musée au bord du lac Léman date de 2003 et son issue a été connue en 2004. Le lauréat était un jeune bureau bâlois, qui l’avait emporté devant une brochette de projets d’envergure internationale dont celui de Dominique Perrault. Il y a finalement eu référendum pour ce projet de Bellerive. Les amis de la nature ont remué ciel et terre et récolté le nombre de signatures qu’il fallait pour le faire capoter : on ne bétonne pas les rives du lac, c’est sacro-saint, même si aujourd’hui, il y a un grand parking à l’endroit projeté pour le musée… En 2008, il y a eu votation et le peuple a eu une petite majorité de 4000 voix qui a dit non à ce projet. Ce fut une gifle magistrale pour nos élus et notre parlement qui, vexés, se sont remis à travailler sur un nouveau projet. C’est là que nous en sommes aujourd’hui. Le nouvel emplacement est totalement différent. Ce n’est plus l’idylle au bord du lac avec un public de touristes et de promeneurs lausannois, mais une implantation urbaine, à côté de la gare. Ce nouveau contexte a été trouvé à l’issue d’une période d’un an où chaque commune du canton faisait des propositions d’implantation. La gare est appelée à se développer : on va passer de 20 millions d’utilisateurs par an à 40 millions dans 20 ans. Ce sont les chemins de fer fédéraux qui ont proposé ce site qui comprend deux bâtiments. D’abord une ancienne halle d’entretien de locomotives datant de 1911 et qui ne sera pas détruite car classée en note 2, c’est-à-dire digne de conservation mais pas encore Monument Historique. Ensuite son annexe des années 1960 qui pourra être complètement détruite. Ce sont des folies de grandeur, tout ce site offre 22 000 m² de surface et notre musée aura besoin de 11 000 m² en surface brute de plancher, soit 8 000 m² de surface utile. Il reste donc un peu de place, et au lieu d’y implanter des bureaux, des cabinets d’avocats ou des supermarchés, la Ville de Lausanne et le canton se sont mis d’accord pour affecter toute la parcelle uniquement à des fins culturelles. Plusieurs musées vont être regroupés, sur le modèle du MuseumsQuartier de Vienne ou de la Museuminsel de Berlin. Il y aura donc le Mudac (Musée des arts décoratifs), qui fait souvent des expositions avec des artistes contemporains, et le Musée de l’Élysée, musée pour la photographie mondialement connu. Tous les deux sont également à l’étroit dans leur bâtiments respectifs. C’est un projet fort non seulement pour le canton mais aussi pour la Suisse et pour la France voisine. On a de très grandes ambitions, il y aura même de la place pour mettre des ateliers d’artistes et de graphistes, des organisateurs de festivals, etc. Les architectes travaillent sur deux thèmes : un nouveau musée des Beaux-Arts et un concours d’idées pour l’implantation des deux autres musées et des autres fonctionnalités. Généralement on fait un concours d’idées puis un concours de projets. Là, on met tout ensemble pour gagner du temps, et utiliser cette dynamique. L’échéance 2012 peut être fatale avec le changement de gouvernement où tout peut basculer, on veut assurer la votation du crédit d’ouvrage dans l’actuelle législature. Pour assurer le succès d’un musée, il faut lier, selon moi, cinq paramètres essentiels. Premièrement, l’architecture qui possède un attrait considérable depuis les années 1980. Ensuite, des collections intéressantes enrichies avec des legs et donations à la hauteur de l’ambition architecturale. Il faut aussi une implication maximale du personnel : des conservateurs et conservatrices inventifs, compétents, intelligents et un personnel technique et d’accueil qui doit bénéficier de formations. L’environnement, qu’il soit urbain, paysager ou social, est également un élément essentiel. Enfin, les publics sont primordiaux : on peut avoir les plus belles collections, si on n’a pas le public qui vient les visiter, on sera fatalement déçu. L’architecture semble être la seule chose qu’il faille viser aujourd’hui en construisant un musée. Quand on a une architecture emblématique, c’est la clé du succès pendant quelques années. À son ouverture, la fréquentation du Guggenheim à Bilbao était incroyable, il y avait plus d’un million de visiteurs par an, cela ne descend que légèrement. De même, ce que fait le Centre Pompidou-Metz est enviable, mais tout dépend de ce que l’on fait dans 5 ou 10 ans. Les architectures emblématiques sont en train de se multiplier, bientôt on ne saura plus où donner de la tête de Denver (Colorado) au Musée MAXXI à Rome de Zaha Hadid. Je les ai vus, plus besoin d’y retourner, à moins qu’une exposition particulière m’intéresse vivement. Le nom de l’architecte est très important, l’originalité de l’architecture est un élément clé de succès, mais je crois que le côté fonctionnel est nettement plus important sur la durée. Je plaide pour un musée qui propose ce grand écart impossible entre des espaces où l’on se sente bien et des espaces qui permettent aux œuvres d’art de se déployer de la façon la plus magnifique possible. L’un des premiers musées anglais qui date du début du XVIIIe siècle, le Surgeon’s Hall Museum à Londres, résume cette situation particulière. Sa magnifique collection privée de sculptures antiques égyptiennes et de peintres du début du XIXe siècle tels que Turner y est déployée de façon intimiste et domestique. C’est un musée où l’on se sent bien. Il existe d’autres musées sur cette typologie, par exemple le Musée de la chasse et de la nature à Paris, qui essaie aussi d’intégrer l’art contemporain, et qui est pour moi une réussite totale. À l’opposé, il y a les superbes salles d’exposition de la DIA foundation de New York, où le visiteur se sent un peu perdu s’il est seul mais où les œuvres peuvent se déployer de façon majestueuse et juste. Pour notre projet de musée, il s’agit de créer des salles, c’est ce qui est le plus important. Peu importe que la coquille soit avec des courbes, des arêtes, bleue, rose, à petits pois ou avec des plumes. Ce qui compte, c’est l’intérieur et ce que l’on peut y faire. A savoir : des espaces de proportions et de lumières très diverses ; un maximum de lumières zénithales – c’est le b-a-ba pour la contemplation de la peinture ; des black boxes pour la présentation de vidéos, éléments importants et intéressants de notre collection ; un maximum de flexibilité quant à son aménagement avec la possibilité de cimaises mobiles, de lumières artificielles ou d’un obscurcissement total. La couleur des murs ne sera pas blanche. Ça aura l’air blanc, mais ce sera un léger gris chaud pour ne pas créer trop de contrastes entre les peintures et les murs, car il n’y a rien de pire qu’un musée sur les murs duquel les peintures n’ont pas l’air d’être ancrées mais de flotter dans une espèce de neutralité. Il faut essayer de trouver cet équilibre entre une ambiance, une approche individuelle et des salles fonctionnelles qui permettent l’accès à des groupes. Nous avons traduit nos besoins de fonctionnalité en m². Il y aura des espaces pour les collections permanentes sur 1700 m² et des espaces pour les expositions temporaires de 1200 m². Il y aura un espace Projets, de type « centre d'art » ou « kunsthalle » de 270 m², avec une programmation beaucoup plus courte qui tienne compte de l'actualité : par exemple si je vois à la biennale de Dakar une contribution importante, je l'amène deux mois plus tard dans cet espace ; ou bien on fait un petit accrochage pour célébrer la sortie d'une monographie dédiée à un artiste suisse, et on accueille l'artiste et la maison d'édition. Les services qui manquent actuellement complètement dans notre Palais de Rumine vont être développés avec une librairie, un café restaurant, un grand auditorium de 200 places assises, un petit auditorium de 80 places, des espaces externalisés pour le service de médiation, une bibliothèque qui deviendra publique. Les réserves et bureaux font partie de l'infrastructure classique. Toute la difficulté pour le bureau d'architecture sera de s'imaginer, sur la base de ce programme plus détaillé en réalité, les mutualisations possibles avec les deux autres musées, notamment au niveau des secteurs satellites comme la librairie. Cela va être un casse-tête chinois pour les dix-huit bureaux d'architecture qui ont été sélectionnés. Nos collections sont importantes en ce qui concerne l’art suisse mais elles n'ont pas vraiment de dimension internationale, Bâle et Zurich nous dépassant de loin dans ce domaine. Cependant, elles sont intéressantes et basées sur nos cinq piliers nationaux qui sont : Louis Ducros, l’un des aquarellistes européens les plus connus pour le XVIIIe siècle ; Charles Gleyre, peintre vaudois ayant suivi un enseignement académique auprès de tous les impressionnistes français ; Félix Vallotton, dont nous possédons la plus grande collection publique au monde avec plus de 250 pièces, dessins et estampes y comprises ; Théophile Alexandre Steinlen qui est également vaudois ; et Louis Soutter qui fut défendu par son cousin Le Corbusier et introduit dans les milieux de l'art par Dubuffet, par le biais de l'art brut. L'environnement urbain paysager et l'environnement social sont aussi très importants. En Suisse et en Allemagne, il y a actuellement une tendance fâcheuse qui consiste à réaliser des musées de plus en plus petits, de plus en plus enterrés, de moins en moins visibles, ou qui se fondent tellement dans le paysage qu'ils deviennent presque invisibles ce qui est alors jugé acceptable par les votants suisses. Le prototype du musée qui s'ouvre à la société se trouve à Stuttgart, dont le rez-de-chaussée ressemble à un magasin quelconque et qui attire le visiteur grâce à sa cafétéria qui s'ouvre sur la ville. La tendance n'est plus de construire des musées qui ont un aspect autoritaire et s'affirment par leur architecture mais de réaliser une symbiose avec les environnements. Ainsi, certaines parties du bâtiment de 1911 seront conservées. La plate-forme tournante est emblématique, elle permettait aux locomotives de tourner et de traverser le bâtiment. Ce sera le symbole du nouveau bâtiment qui essaiera de faire le brassage de l'art ancien et de l'art contemporain, il n'y aura plus de hiérarchie très claire. En raison du site de la gare, carrefour des grands circuits européens, il y aura une ouverture géographique étendue. Il y aura également brassage des publics. On ne mettra pas seulement l'accent sur la médiation pour attirer les écoles, car en Suisse un tiers de la population a au-dessus de 60 ans, elle est relativement aisée et se déplace volontiers. Le concours d'architecture a été lancé : 150 bureaux se sont annoncés, provenant de 16 pays. Récemment, 18 bureaux ont été sélectionnés. Parmi les personnalités les plus célèbres, il y a Harry Gugger, architecte de Herzog & De Meuron et responsable de toutes les constructions muséales de ce bureau bâlois, Gigon Guyer, l'architecte japonais Kengo Kuma, Bernard Tschumi, Eduardo Souto de Moura, etc. En mai 2011, nous aurons un projet lauréat. L'ouverture présumée du musée est en 2016. Affaire à suivre. Je vous recommande la passionnante lecture du livre de François Mairesse, Le musée hybride2, qui est ce qui a été écrit de mieux ces dernières années au sujet de l'évolution des musées. 2 François Mairesse, Le musée hybride, Paris, La Documentation française, 2010.