Réflexions sur l`expression « refonder l`enseignement professionnel »

Transcription

Réflexions sur l`expression « refonder l`enseignement professionnel »
Enseignement
professionnel
Le Parti de gauche
en réflexions
Mars 2010
1
Finalités ................................................................................. 3
Pourquoi placer l’enseignement professionnel au centre de
nos préoccupations .............................................................. 3
Les contre-réformes gouvernementales ................................. 6
Un projet de société en arrière-plan : la réforme de
l’enseignement professionnel ............................................. 6
A propos du baccalauréat professionnel en 3 ans ............. 10
Un Enseignement professionnel public dévoyé de sa
mission émancipatrice....................................................... 13
Bilan de la réforme de la voie professionnelle ................. 15
Nos propositions et nos débats ............................................ 16
Nos propositions : programme partagé du front de gauche
.......................................................................................... 16
28. Refonder l’enseignement professionnel...................... 16
Réflexions sur l’expression « refonder l’enseignement
professionnel » .................................................................. 17
Dossier réalisé avec les contributions de Francis Daspe, Jean-Pierre Vinel, Jean-Claude
Duchamp, Philippe Dauriac, Roland Daumas et Gérard Blancheteau
2
Finalités
Pourquoi placer l’enseignement professionnel au centre de nos préoccupations
?
Les objectifs : « enseignement professionnel comme voie d’excellence ou comme filière à
part entière » ne permettent pas de comprendre en quoi il s’agit d’une « « révolution
copernicienne dans notre projet éducatif… » tant ils ont été utilisés depuis des années pour
justifier des réformes qui n’étaient pas favorables à l’enseignement professionnel. Pourquoi
alors l’enseignement professionnel et plus généralement tout le système de formation
professionnelle initiale et continue ont-ils une telle importance ?
L’enjeu de la maîtrise de la formation professionnelle
Les politiques ultralibérales tendent à réduire la qualité et le périmètre du service public
d’éducation ; pour cela au fil des réformes il le rogne par tous les bouts : maternelle,
université, enseignement professionnel et technologique… Pour ces 2 derniers les libéraux
ont, en plus de leur conception générale de l’éducation, 3 bonnes raisons, à leur sens, de
vouloir détacher ces enseignements du service public d’éducation :
1) Raisons liées au rapport travail-capital : la quintessence de l’ultralibéralisme c’est de
vouloir individualiser ce rapport et donc de ne reconnaître que les compétences
individuelles du salarié et non des qualifications communes à des groupes de salariés.
Pour mettre en œuvre cette conception, il faut casser le processus formation-diplômes
nationaux-reconnaissance des qualification-rémunérations. Pour cela il faut revoir
profondément : contenu et organisation des formations, mode de délivrance,
reconnaissance (ou non !) et valeur (ou non !) des diplômes.
Il est évident que
pour les libéraux tout cela relève du système économique, en gros des entreprises et
non du système éducatif !
2) Raisons financières : le potentiel de profit pour l’entreprise privée que représente la
formation professionnelle est immense. Ces bénéfices sont déjà très importants et le
seront encore plus quand montera en puissance la formation tout au long de la vie.
D’autant plus que celle-ci est conçue par les libéraux comme étant à la charge du
salarié : l’individu autonome est le seul responsable de tout ce qui lui arrive, s’il est au
chômage c’est qu’il n’a pas su entretenir ses compétences, il doit le faire en prenant
sur son temps et ses deniers personnels.
3) Raisons idéologiques : pour formater les jeunes à l’esprit d’entreprise, rien de tel que
de les former le plus tôt possible …dans l’entreprise. Gilles Moreau, sociologue,
spécialiste de l’apprentissage montre bien que le rêve de tout apprenti c’est de devenir
patron… pas de se syndiquer ! L’enjeu idéologique n’est donc pas le moindre, c’est
d’ailleurs pour cela que les libéraux font de l’alternance le modèle de formation
professionnelle européenne à instaurer dans chaque pays. Dans notre pays, ils jouent
3
sur l’ambiguïté du terme alternance utilisé aussi
sous statut scolaire en Lycée
Professionnel, pour mieux les faire basculer, à une autre étape , dans un système
unique d’apprentissage.
Pour toutes ces raisons le même sociologue explique que depuis plus d’un siècle le curseur
enseignement/formation professionnelle oscille, en fonction des rapports de force, entre 2
pôles : l’école et l’entreprise. A la Libération le curseur a été au taquet de l’école ; il a
bénéficié alors d’un rapport de force très favorable puisque même le Medef de l’époque
soutenait le développement d’un service public d’enseignement professionnel, les grandes
entreprises abandonnant leurs propres écoles de formation. Dans cette dynamique le système
de l’apprentissage a failli disparaître dans les années 70. A partir de cette époque la plupart
des réformes tendront à éloigner le curseur du taquet-école, et notamment en multipliant,
jusqu’à nos jours, les plans de soutien à l’apprentissage. A noter que l’un des premiers a été
lancé par le gouvernement Cresson.
Aujourd’hui le curseur se rapproche dangereusement du taquet-entreprise, notre ambition
ne peut être que de le ramener vers le taquet-école. Notre programme doit indiquer le chemin
pour y parvenir.
Où se trouve aujourd’hui ce curseur?
Depuis quelques années des réformes convergent pour dissoudre la voie technologique dans la
voie générale par réduction des filières et accentuation de leurs caractères généralistes et par
transfert vers la voie professionnelle des filières les plus professionnalisantes. La dernière
réforme du lycée risque d’achever ce processus pour ne garder dans le secondaire que la voie
générale (avec options dont les technologiques) et la voie professionnelle.
Parallèlement, d’abord à l’initiative de quelques Régions puis de l’ARF (Associations des
Régions de France, de « gauche » comme chacun sait !) l’idée est lancée d’un « Service
Public Régional de la Formation Professionnelle ». Il s’agirait de rassembler dans ce SPRFP
tous les services de la FP et de l’apprentissage. Si les Régions ne réclament pas (pour le
moment) l’intégration de la voie professionnelle scolaire dans ce grand service public
régional, elles n’en disent pas moins qu’au nom de la cohésion et de la continuité de la
formation tout au long de la vie, ce service ne sera complet que lorsque toutes les
composantes de cette formation initiale et continue en feront partie. Si le gouvernement, dans
l’immédiat, fait mine de s’y opposer c’est surtout pour une affaire de gros sous. Mais c’est un
secret pour personne de dire que la régionalisation de la voie professionnelle scolaire (comme
celle de l’orientation) est dans les tuyaux de la droite depuis longtemps. Parions qu’elle saura
saisir la perche que lui tend la « gauche » pour la mettre en œuvre. On peut aisément
imaginer la suite : au nom de la rationalité d’un système (qui en a effectivement bien besoin)
et du rapprochement des 2 systèmes de formation, on fusionne enseignement professionnel et
apprentissage, sur le modèle de ce dernier et nous voilà exactement dans le modèle de
formation de l’Europe libérale type Allemand ou Anglais. Ce n’est pas un scénario
catastrophe mais la compréhension de la logique d’un système qui de réformettes en réformes
aboutirait à la réalisation idéale du projet éducatif libéral.
Rompre avec les évolutions libérales de la FP : Pourquoi, comment ?
On voit bien maintenant comment les pièces du puzzle de ce projet s’emboîtent, il nous
appartient de le secouer pour le déconstruire, en casser la logique et ramener progressivement
(ou rapidement ?), comme nous l’avons dit plus haut, le curseur vers le taquet-école. Les
libéraux sont presque arrivés à leur fin par une succession de réformes qui avaient en soi leurs
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justifications, souvent simplettes, (genre : pour réduire le chômage rapprochons l’école de
l’entreprise) mais qui ne donnaient jamais leur but inavouable parce qu’allant dans le sens
d’intérêts trop particuliers. Au contraire, parce que nous mettons au centre de notre projet
l’intérêt général, nous devons dire d’emblée notre objectif : la maitrise par l’Etat, dans un
service public national, de la formation professionnelle et continue, partie intégrante du
système éducatif. Service public unifié de l’enseignement, de la formation professionnelle et
de la formation tout au long de la vie pour faire évoluer sans cesse les qualifications,
améliorer la sécurité professionnelle des salariés, et répondre de la manière la plus efficace
possible aux besoins des entreprises.
Ce « grand service public » ne pourra pas se faire sur le modèle de ce que nous connaissons,
mais doit être inventé à partir des principes et des institutions qui fonderont la VI ème
République que nous voulons instaurer. Si la souveraineté populaire doit définir au niveau
national les orientations, elles devront s’appliquer au plus près du terrain au moyen d’une
véritable démocratie participative faisant travailler ensemble personnels (refonder le
paritarisme), collectivités territoriales (compétences à redéfinir), citoyens-usagers (et leurs
organisations) et acteurs économiques (les différentes formes d’entreprises).
Outre les considérations politiques, la complexité, l’opacité et la relative inefficacité du
système actuel, dont beaucoup de rapports mentionnent régulièrement les grandes
déperditions d’argent public, justifieraient largement une mise à plat et une reconstruction
cohérente. Il ne se perpétue que parce que beaucoup y trouvent leur compte, y compris les
organisations syndicales de salariés.
De quelques idées générales à quelques propositions concrètes pour notre
programme
Notre programme ne devra pas se contenter d’énoncer nos valeurs, il devra aussi et surtout
dire comment nous allons les appliquer, de sorte que cela soit compréhensible par tout citoyen
et convaincant pour les professionnels du sujet traité.
1) Elever le niveau de culture commune :
Les découvertes scientifiques et leurs applications technologiques à la production et
aux services sont en perpétuel changement. Comment s’adapter à ces évolutions ? Les
libéraux répondent formation tout au long de la vie, en sous-entendant qu’on peut réduire
la formation initiale, dans la mesure où il est inutile d’apprendre à des jeunes des
techniques qui seront obsolètes quand ils arriveront sur le marché du travail. Par contre le
système de formation professionnelle doit surtout former à une technique, voire à un
poste de travail. La technique étant dépassée on jette les machines… et les opérateurs
avec : c’est la conception du travailleur jetable qui ne doit pas être la nôtre. Les capacités
des individus à s’adapter aux évolutions dépendent étroitement de leur niveau de culture
générale et technique qui conditionne aussi largement leurs chances de profiter de la
formation tout au long de leur vie. Aujourd’hui tout le monde s’accorde pour dire que la
formation continue ne profite pas ou peu à ceux qui en auraient le plus besoin.
D’où l’idée de prolonger la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans (qui n’a pas bougé depuis
un demi siècle !) et par conséquent de mettre tous les jeunes sous statut scolaire en
supprimant l’apprentissage avant 18 ans, tout en conservant les périodes de stage en
entreprises dans la mesure où elles sont pédagogiquement utiles.
2) Réduire les inégalités scolaires :
Le sociologue Jean-Pierre Terrail, entre autres, a bien montré que les causes des
inégalités scolaires sont multiples et commencent dès la maternelle. Les leviers pour les
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combattre seront multiples : on ne peut ici tous les passer en revue. L’expérience
accumulée par les lycées professionnels peut être très utile dans ce domaine à condition
de ne pas considérer que « l’enseignement professionnel opère un tri social », ce qui est
faux et injuste .Faux parce que les inégalités scolaires se constituent bien avant l’entrée
au Lycée professionnel et injuste parce que l’enseignement professionnel remotive et sort
beaucoup de jeunes de l’échec scolaire. C’est précisément cette remotivation par des
enseignements autres que généraux qui pourraient être expérimentée notamment au
collège et étendue à d’autres domaines que les champs professionnels comme les
domaines artistiques, sportifs… Il m’a semblé qu’une partie de la contribution d’Alain
Dontaine allait aussi dans ce sens.
Comme nous l’avons vu plus haut, l’éventualité d’une réduction de l’enseignement
secondaire à la seule voie générale serait une formidable régression et source d’un
accroissement des inégalités. La démocratisation (bien qu’insuffisante) du système
éducatif, s’est faite, pour une bonne part par sa diversification. La dernière en date étant
la création du bac pro (qu’il faut maintenir en 4 ans) qui a permis à 20% d’élèves de plus
d’atteindre le niveau Bac. Il faut poursuivre dans ce sens et décloisonner l’enseignement
professionnel en multipliant les passerelles vers les autres voies, en lui ouvrant une
double issue par le haut vers l’enseignement supérieur, en créant des structures d’aides
aux élèves de l’enseignement professionnel qui veulent entrer dans les filières existantes
de l’université et créer une filière universitaire professionnelle qui pourrait également
accueillir des adultes dans le cadre de la formation continue.
3) Maintenir le caractère national des diplômes, supprimer le Contrôle continu ou
contrôle en cours de formation :
Nous avons vu précédemment l’importance des diplômes nationaux. La généralisation
du contrôle en cours de formation à tous les diplômes et sa pratique dans tous les
établissements y compris les Centres de Formation d’Apprentis et lycées privés met en
péril à brève échéance le caractère national et la qualité des diplômes. C’est de plus le
banc d’essai pour l’étendre progressivement à l’ensemble des Bacs ; le mouvement des
lycéens, à juste titre, s’y était opposé. Ce système de délivrance des diplômes, outre qu’il
ne présente aucune garantie d’impartialité et d’égalité menace de transformer les
diplômes en autant de diplômes-maison qui n’auraient plus aucune valeur. Ce système
doit être supprimé : il y a urgence à revenir aux examens terminaux anonymes pour les
niveaux V et IV.
Les contre-réformes gouvernementales
Un projet de société en arrière-plan : la réforme de l’enseignement professionnel
Par sa note aux recteurs en date du 29 octobre 2007, le ministre de l’Education nationale
Xavier Darcos a fait part de son intention de procéder à la réforme de l’enseignement
professionnel. La mesure phare consisterait à réduire la durée de préparation du baccalauréat
professionnel à trois ans après la classe de Troisième en commençant dès la rentrée 2008,
pour ensuite généraliser la mesure en 2009. Cette décision s’accompagnerait par voie de
conséquence de la suppression à court terme de nombreuses formations de brevet
6
professionnel (BEP), la note étant explicite à cet égard 1. Un quart des effectifs actuels entrant
en formation de BEP (soit 45 000) devrait être concerné à l’horizon de la rentrée 2008.
Rappelons qu’un élève préparant le bac professionnel à l’heure actuelle le fait en quatre ans :
il bénéficie d’abord de deux années pour obtenir un BEP à la suite duquel il peut envisager de
poursuivre deux années supplémentaires en vue de décrocher un bac pro.
Cette initiative, dont les syndicats enseignants ont dénoncé le caractère unilatéral, a
soulevé de nombreuses craintes. A telle enseigne que le ministre a partiellement fait marche
arrière. Un protocole de discussion signé le 18 décembre 2007 entre le ministère et certains
syndicats suspend la note incriminée qui avait mis le feu aux poudres. Si ce protocole dit de
« rénovation de l’enseignement professionnel » prévoit une pause dans la réforme afin de se
ménager un temps supplémentaire de débats, l’objectif reste cependant inchangé : la mise en
œuvre de la réforme des baccalauréats professionnels en trois ans à la rentrée 2009. L’année
2008 doit désormais servir à engager une vaste consultation sur les modalités d’application de
la réforme souhaitée dont les fondements ne sont nullement remis en cause. Il ne s’agit en fait
que d’en modérer le rythme : l’opération relève manifestement davantage de la manœuvre
dilatoire de la part du ministère.
Pour tenter d’y voir plus clair, il est nécessaire de chercher à appréhender les motivations et
les enjeux ayant présidé au projet. Commençons par les arguments avancés par le ministère
pour justifier la réforme. Il s’agirait de lutter contre les sorties sans qualification du système
scolaire (de l’ordre de 160 000 annuellement) ainsi que d’accroître le taux d’accès des élèves
au niveau IV de qualification, c’est-à-dire de parvenir au bac professionnel. Le tout dans une
perspective annoncée de valorisation et de rénovation de l’enseignement professionnel. Les
motivations semblent être par conséquent nobles et légitimes, mais pourrait-il en être
franchement autrement dans un tel contexte ?
Pour autant la généralisation à brève échéance des bacs pro en trois ans ne convainc pas
vraiment et génère au contraire de très fortes inquiétudes. La suppression des BEP risque de
laisser de côté de nombreux élèves pour qui l’orientation en seconde professionnelle
représentait à la fois un moyen de se remettre en confiance après une scolarité en collège
parfois chaotique et de décrocher un diplôme de qualification professionnelle, sans être
cependant nécessairement en capacité de poursuivre au-delà du BEP pour tenter d’obtenir un
bac pro. Une majorité de ces élèves ne peut en effet suivre un parcours vers un bac pro au
terme du collège. A plus forte raison s’il ne leur est accordé plus que trois ans de préparation.
Deux données chiffrées permettent de s’en rendre compte : aujourd’hui seulement 39% des
élèves de BEP arrivent en bac pro, tandis que 20% de ceux-ci éprouvent de surcroît le besoin
d’une année de plus pour parvenir à l’objectif visé.
Un des véritables arguments est en réalité d’ordre purement financier. Pour certains, les lycées
professionnels coûtent (trop) cher. Les réductions horaires à attendre de la réforme sont
prodigieuses, entre les suppressions de BEP et la réduction d’une année de la formation
débouchant sur un bac pro. Les prévisions font état de la disparition plausible d’un poste
d’enseignant sur quatre dans la voie professionnelle. Car la généralisation des bacs pro en
trois ans conduira automatiquement à la fermeture de nombreuses sections de BEP. Il faut en
effet savoir que depuis 2001 sont expérimentés, conformément aux souhaits alors exprimés
par l’Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie (la fameuse UIMM), des cursus de
bacs pro en trois ans dans quelques établissements pilotes : parallèlement il n’existe plus de
1
Extrait de la note du 29 octobre 2007 : « Les ouvertures de divisions de première année de baccalauréat
professionnel en trois ans se feront par remplacement de divisions de seconde professionnelles (première année
de BEP) dans les secteurs professionnels correspondants ».
7
préparation aux BEP et CAP (certificat d’aptitude professionnelle) dans ces cursus. La finalité
est claire et sans ambiguïté.
Le projet offre en outre une illustration accomplie de la confusion entre massification et
démocratisation dont avait été globalement épargnée pour l’instant l’enseignement
professionnel. L’objectif ministériel est de faire en sorte que 80% des élèves s’engageant dans
la voie professionnelle parviennent au stade du bac pro (contre la moitié actuellement). Nous
avons pourtant signalé que le BEP et le Bac pro ne s’adressaient pas forcément aux mêmes
profils d’élèves. La question est de savoir comment réduire ce décalage de nature
pédagogique pour réussir à atteindre l’objectif ainsi fixé. Arriver pour une majorité à faire en
trois ans ce qui était déjà difficile à réaliser en quatre ans pour une minorité s’avèrera en fin
de compte très vite une gageure. La mesure contient en filigrane un affaiblissement
programmé du contenu de l’examen. Car l’alternative est extrêmement simple et relève d’une
logique implacable : soit il y aura plus d’échecs, soit il faudra baisser le niveau d’exigences.
La massification se préoccupe essentiellement d’aspects quantitatifs, la démocratisation vise
des objectifs avant tout qualitatifs dans une perspective de justice sociale.
Il est par ailleurs totalement illusoire de penser que la suppression des classes de BEP puisse
contribuer à tarir la déperdition observée au cours de la scolarité en lycée professionnel. Ce
n’est certainement pas en supprimant la préparation en formation initiale au premier diplôme
reconnaissant une qualification que l’on va réduire le trop grand nombre d’élèves quittant le
système éducatif sans diplôme, ce que chacun s’accorde à déplorer avec des trémolos dans la
voix.
La revalorisation de la voie professionnelle constitue un serpent de mer au sujet duquel les
intentions ont rarement été suivies d’effet. L’enseignement professionnel scolarise 30% des
lycéens. Il permet aux élèves d’obtenir une qualification minimale de niveau V (BEP et CAP),
et à une partie d’entre eux de postuler à l’accession au niveau IV par le biais du bac
professionnel créé en 1985 par Jean-Pierre Chevènement, voire même à la perspective d’un
niveau III de qualification (BTS, licence professionnelle). Il est peu probable que le projet
ministériel concoure à cet objectif de revalorisation. La réduction du cursus à trois années
entraînant de fait la disparition de la majorité des BEP aura pour conséquence prévisible de
rendre encore plus problématique la viabilité des structures passerelles en direction de la voie
technologique, si ce n’est leur existence même. Il en résultera un cloisonnement encore plus
fort entre les voies professionnelle et technologique. Or la revalorisation de l’enseignement
professionnel passe en partie par son décloisonnement qui dépend instamment de l’existence
renforcée de ces passerelles.
On est alors en droit de se demander ce que deviendront ces élèves qui au moment du choix
d’orientation à faire en fin de classe de Troisième ne se sentiront pas animés de la solidité, de
la confiance et de la détermination suffisantes pour s’engager vers une formation, qui leur
paraîtra à tort ou à raison lointaine et aléatoire, débouchant sur un baccalauréat en trois ans. Il
s’agit de fait de favoriser le développement de l’apprentissage, dans le cadre d’un partage
spécieux et contestable entre l’éducation nationale et le monde de l’industrie : la première se
contentant de la transmission de connaissances générales 2 tandis que le second possédant le
privilège exclusif de certifier les compétences professionnelles. Le problème en amont de
l’orientation des collégiens à l’issue de la classe de Troisième est ainsi posé avec acuité. Pour
certains, il ne restera que la possibilité des CAP préparés en apprentissage. Avec tous les aléas
que cela comporte : recherche d’un maître de stage, risque de rupture unilatérale du contrat en
cours de formation, déconnexion plus grande des réalités scolaires préjudiciable à la
2
Le socle commun de l’indispensable offre une version minimaliste de ces connaissances générales.
8
préparation de la partie théorique indispensable pour décrocher le diplôme etc…). Si
l’apprentissage peut tenir lieu de voie de formation valable et suffisante à des métiers pour
lesquels le geste est essentiel et la transmission du savoir-faire se fait visuellement, il n’en est
pas de même pour une grande partie des métiers en raison de l’élévation considérable du
niveau technique et de la complexité croissante des machines. Jusqu’à preuve du contraire, la
préparation en lycée professionnel d’un CAP ou d’un BEP en formation initiale gratuite dans
un établissement public reste la voie la plus appropriée vers une qualification puis une
embauche.
Les incidences directes dans le domaine du droit du travail ne sont pas à négliger non plus.
Les arrière-pensées gouvernementales ne sont absolument pas neutres. Il s’agit de donner
satisfaction aux demandes réitérées du MEDEF en opérant une forme de déqualification de la
jeunesse. En effet, en guise de compensation, pour les élèves qui n’arriveraient pas à obtenir
le bac professionnel après s’être engagé dans cette voie, il est concédé la possibilité de
bénéficier d’une certification de niveau V à la fin de la deuxième année 3. En fin de compte
c’est substituer à un diplôme (le BEP) une simple certification en cours de scolarité au bout de
deux ans.
La délivrance de certification de compétences se trouve en opposition frontale à
l’acquisition de diplômes. Les diplômes de niveau V (CAP et BEP) servent de référence aux
grilles de qualification des conventions collectives et permettent lors de l’embauche de
prétendre à un coefficient d’ouvrier qualifié. Un diplôme, en tant que validation reconnue
d’une qualification, permet la garantie durable d’un salaire dans les conventions collectives.
Un certificat de compétences n’a de durée que celle du produit fabriqué : on discerne en fait la
tentation d’un retour du travail « à la tâche ou à la mission » générateur de formes renouvelées
de flexibilité et de précarisation des salariés.
On s’aperçoit donc nettement que le sort de l’enseignement professionnel et des diplômes
qu’il délivre est intimement lié à celui des conventions collectives et des statuts. Il ne fait pas
doute que cette réforme de l’enseignement professionnel participe modestement dans son
domaine à l’entreprise, patiemment engagée par les différents gouvernements depuis plusieurs
années, de détricotage ininterrompu du droit de travail.
L’enjeu est également d’intérêt hautement économique, ce qui n’autorise pas à placer
petitement le débat dans le seul champ des économies à réaliser. Notre pays se doit d’élever sa
base productive à un haut niveau de qualification dans un souci de compétitivité. Seule la
transmission de connaissances générales solides dans l’enseignement professionnel peut en
apporter la garantie. L’enjeu n’est ni plus ni moins que la sauvegarde s’un service public
d’enseignement professionnel préservé des appétits voraces et intéressés du monde de
l’entreprise.
La question scolaire est toujours une question sociale. L’adage se vérifie plus particulièrement
quand on aborde le grand oublié du système éducatif français, l’enseignement professionnel.
C’est en effet dans la question du devenir de la voie professionnelle que se joue en partie la
promotion des travailleurs issus des classes populaires. Elle représente par ailleurs un angle
d’attaque pour démanteler le droit du travail qui passe par les statuts des personnels et des
conventions collectives. Les questions mises sur le devant de la scène par les projets
gouvernementaux constituent donc un sujet fondamentalement politique auquel les réponses à
apporter sont de nature essentiellement politique dans le cadre de l’élaboration d’un projet de
société.
3
Extrait de la note du 29 octobre 2007 : « Parallèlement, sera définie une certification de niveau V accessible
aux élèves à la fin de la deuxième année du parcours en trois ans ».
9
A propos du baccalauréat professionnel en 3 ans
Comment expliquer que des élèves qui depuis 1987 avaient besoin de 4 années pour
acquérir un bac pro (2 années pour que 70% en moyenne acquièrent un BEP ou un CAP après la 3ème
et 2 années pour que 75% en moyenne acquièrent le bac pro) vont du jour au lendemain être capable
d'obtenir le même diplôme sur la base des mêmes programmes en 3 ans ? Cherchez l'erreur car il y
en a une !
Alors pour emballer le produit et le rendre vendable à l'opinion, aux parents d'élèves et si
possible aux élèves voire aux acteurs du système (un partie des profs ont vite compris qu'il s'agissait
avant tout de tenter de récupérer des postes conformément aux engagements inconsidérés du candidat
Sarkozy qui, lors de sa campagne a annoncé vouloir ne remplacer que la moitié des personnels partant à
la retraite), le gouvernement claironne et tente de vendre l'idée qu'il s'agit d'afficher une égale dignité
pour les voies générale, technologique et professionnelle comme si cette dernière avait été délibérément
maltraité depuis 20 ans et qu'il était possible de faire en 3 ans ce que jusqu'à présent on fait en 4 pour la
plupart des élèves ! Ceux qui ont contribué à la mise en place et au développement du bac pro (création
en 1985 et première promotion reçue à l'examen en 1987) savent que la plupart des élèves de bac pro ont
besoin de ces 4 ans, notamment grâce aux 2 années de BEP, pour reprendre confiance après des échecs
au collège notamment en enseignement général (peu de mesures vraiment crédibles y ont été prises pour
y remédier réellement, comme ce fut le cas avec les classes technologiques ou de découvertes
professionnelles implantées en LP), du fait d'une maîtrise insuffisante de pré requis de base (repérables
lors d'évaluations diagnostiques ou positionnements conduits lors de l'entrée dans la voie
professionnelle), de difficultés pour apprendre (une partie importante des jeunes ne savent plus ou pas
apprendre), d'horaires importants – tant sur le plan de la formation (de 30 à 35H) que, pour une partie de
la population, en déplacement (1 à 2H/j soit 5 à 10H/semaine), sans parler de la fraction non négligeable
de ceux qui, pour disposer d'un minimum de ressources pécuniaires, sont plus ou moins contraints de
travailler une partie du week-end – qui réduisent les possibilités de travail données à chaque élève en
dehors de la classe.
L'égale dignité, mots désormais galvaudés, c'est de prendre en compte les contraintes
particulières auxquelles doit faire face l'élève de LP pour réussir et ses professeurs pour le faire
réussir, même si sa formation doit durer un an de plus pour qu'il reprenne confiance et obtienne
un baccalauréat reconnu pour sa spécificité comme ceux des voies générale et technologique.
Aujourd'hui c'est la culture du « chiffre » qui domine indépendamment des réalités
pédagogiques et, la vente à l'opinion de mesures démagogiques et/ou inconsidérées basées quasi
exclusivement sur des considérations économiques que le gouvernement ou le ministre de l'E..N. tente
de camoufler derrière des slogans qui parlent tantôt d'équité tantôt d'égale dignité… Bien sûr, dans la
propagande des décideurs aujourd'hui au pouvoir, si des personnels osent s'y opposer c'est qu'ils
défendent des privilèges et qu'ils refusent d'évoluer mais on fera la réforme contre eux dans l'intérêt
public, alors que ces décideurs sont profondément réactionnaires (voir leur politique économique et
fiscale) et porteurs d'un modèle politico-économique « outre-atlantique » à bout de souffle et pour partie
déconsidéré par sa propre opinion publique. Pour savoir ce qu'est le service au public ou l'intérêt public,
il faut y travailler ou y avoir travaillé au contact du public et, ce n'est pas sur les bases d'une logique
financière et d'une gestion comptable d'entreprise privée que l'on peut en parler, ... encore moins
lorsqu'on est avocat d'affaires obnubilé par le souci de s'enrichir !
Jusqu'à présent les diplômes professionnels et leur durée de formation correspondaient pour
l'essentiel à des besoins exprimés par les acteurs économiques représentés par des salariés et des
employeurs à travers des commissions regroupant des secteurs professionnels, en particulier sous l'égide
de l'E.N. Qui a demandé la disparition des BEP, de la formation BEP-bac pro en 4ans et, leur
remplacement par des bacs 3 ans ? Depuis quand crée-t-on des CAP pour remédier aux difficultés des
élèves (bien sûr prévisibles pour une partie importante d'entre eux) indépendamment de besoins
10
économiques clairement identifiés dans une branche ? Alors on invente une pseudo demande sociale
destinée à répondre aux poursuites d'études d'élèves de bac pro bien au-delà de ce qui existe aujourd'hui,
le fait d'effectuer une année de plus (4 ans au lieu de 3) entravant l'objectif de 80% d'une classe d'âge au
bac (argument politique destiné là encore à brouiller les pistes et à créer le trouble dans l'esprit d'un
partie de l'électorat de gauche) voire les poursuites d'études au-delà. La réalité est beaucoup plus
prosaïque, ceux qui ont participé à des études sérieuses sur le sujet, le savent, à savoir qu'une partie des
élèves de LP ne poursuivent pas en bac pro ou abandonnent en cours de formation, préfèrent le bac pro
au bac technologique ou partent en cours de formation en apprentissage, pour des raisons économiques
(besoins de revenus) ou parce qu'ils n'ont pas envie d'effectuer, pour des raisons diverses, le minimum
de travail nécessaire à la réussite à l'examen ; c'est cela la cause principale du retard dans l'atteinte de
l'objectif des 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat.
La plupart des arguments destinés à justifier le passage des bacs pro de 4 à 3 ans peuvent être
démontés (voir notamment le point de vue d'une partie des syndicats d'enseignants) car ils servent à
camoufler la raison principale qui est de réduire à terme le nombre d'enseignants.
Le passage en force, à compter de la rentrée 2009, aux bacs 3 ans, accompagné d'une
suppression des BEP pour rendre difficile tout retour en arrière, avec la complicité d'un certain nombre
de syndicats (dont le syndicat majoritaire des PLP, le SNETAA qui a choisi de céder aux avances du
gouvernement contre quelques avantages financiers et, avec peut être l'espoir d'absorber les élèves de la
filière technologique) aura probablement des conséquences calamiteuses dans les années à venir :
. d'abord pour les élèves qui rencontreront des difficultés accrues en 1ère et T bac pro, la
première année, classe de seconde, ne permettant que d'entrevoir les difficultés à venir, le ministère
s'employant, là aussi, à minimiser, camoufler, tenter d'avancer des pistes, peu réalistes, pour que le tiers
des élèves entrés dans la filière bac 3 ans à la rentrée 2008 ne se mobilisent ;
. les tensions entre élèves et professeurs vont s'accroître, les 1ers reprochant, pour partie, aux
seconds d'être responsables de leur échec tandis que les professeurs se plaindront du niveau des acquis
des élèves et de leur manque de travail (c'est pourquoi ces derniers ont réagi très vivement par
l'intermédiaire d'une partie de leurs syndicats), les parents directement concernés ayant plutôt tendance à
se sentir bernés …
. des élèves relevant plutôt de la voie professionnelle vont se retrouver sur le carreau (ou être
amenés à s'inscrire en centre d'apprentis voire, pour une minorité, en section technologique par
défaut si cette filière perdure) car il n'est pas impossible sinon probable que des mouvements s'opèrent
de la voie technologique (marginalement générale) vers la voie professionnelle (les projets de réforme
du lycée sacrifient la filière technologique et certains acteurs de la voie professionnelle rêvent de
récupérer les élèves de la voie technologique sans mesurer les effets négatifs pour élèves et professeurs,
y compris PLP) et l'apprentissage, en raison d'une part des possibilités d'insertion professionnelle plus
adaptées du bac pro et de « moindre difficulté » de l'examen (accru par une volonté de généraliser le
contrôle en cours de formation CCF), de la rémunération en apprentissage et, d'autre part du fait que,
depuis 2005, les possibilités de poursuite en BTS après le bac pro se sont accrues.
. les sorties d'élèves en cours de formation ont toutes les chances de s'accroître fortement et il
n'est pas sûr du tout que les élèves aient envie de se voir réorientés vers un CAP en LP, … mais
préfèrent partir en apprentissage du fait du salaire offert par cette voie d'étude (on sait aussi, depuis des
années, que c'est l'objectif de la plupart des responsables politiques de la majorité actuelle d'essayer de
substituer aux formations professionnelles en LP des formations professionnelles en apprentissage,
principalement pour des raisons idéologiques et afin de mettre à mal le statut des professeurs du second
degré, celui des enseignants de CFA étant très en recul par rapport à celui des PLP) ;
. la réduction des moyens mis à disposition de l'ensemble filière professionnelle/filière
technologique en fonction des départs d'élèves alors que, la plupart du temps, les établissements et les
11
enseignants n'en sont pas responsables et le développement d'une concurrence accrue entre ces 2
filières conduisant à une opposition accrue entre PLP et certifiés ;
. la dévalorisation du bac professionnel (évidente du fait d'une formation professionnelle et
générale ramené de 4 à 3 ans) en terme d'image et ensuite sur le plan des rémunérations offertes
après l'obtention de ce bac car peu de professions et de secteurs d'activités ont soutenu le bac 3 ans
avec disparition du BEP et, aucune ne s'est engagée sur le plan des rémunérations voire, la plupart
pensent rémunérer les nouveaux formés au niveau BEP ! Cette dévalorisation sert aussi une partie des
employeurs qui veulent mettre à mal le diplôme, source à leurs yeux de contraintes et mettre en avant
des certificats de qualification professionnelle (CQP) moins contraignants notamment sur le plan des
salaires … ;
. les risques de remise en cause du statut des enseignants du public dont les salaires et les temps
de travail pourraient évoluer vers ceux moins favorables des enseignants de CFA, notamment du fait de
l'augmentation des jeunes formés en apprentissage par rapport à ceux formés en LP, LT et polyvalents.
L'expérimentation des bacs 3 ans a permis de repérer des conditions permettant une certaine
réussite pour une partie seulement du public (peut être de l'ordre de 25 % en moyenne) susceptible d'être
concerné (rapport IG en 2005) ; de plus, comme toujours, lorsqu'il y a réduction du temps de
formation ce qui peut être fait, avec un temps réduit et un public même choisi, est différent : on se
centre plus sur la préparation de l'examen au détriment de la formation proprement dite,
l'examen étant une sorte de SMIG appliqué aux programmes de formation. Un processus de
formation porte sur des individus, ça n'est pas comme un processus de fabrication d'un produit ou d'un
service dont le temps de réalisation peut être réduit par l'utilisation de nouvelles machines ou
technologies : d'une part, le produit « jeune préparé à un diplôme … » n'a rien avoir avec une production
matérielle et d'autre part, on ne connaît pas à l'heure actuelle, d'outils ou de méthode voire de façon
d'enseigner permettant, à programme de formation et examens identiques, de réduire le temps de
formation, les TICE, par exemple, loin d'être généralisées, permettant seulement de faciliter certains
apprentissages, de leur donner du sens.
Les données chiffrées visant à faire croire que les bacs pro 3 ans permettaient de
conduire un nombre plus grand d'élèves au niveau baccalauréat sont scientifiquement
contestables et empreintes de manipulations ; d'abord, parce que les statistiques portant sur les bac 4
ans (BEP/bac) et les bacs 3 ans ne concernent pas du tout les mêmes effectifs, les premiers concernent
80 à 90 % des effectifs élèves tandis que les autres représentent au maximum 10 à 20%. Ensuite la
plupart des élèves qui ont passé le bac en 3 ans ont été pré recrutés et jugés susceptibles de suivre un
cursus en 3 ans ; il est donc logique que la plupart d'entre eux y parviennent ! Enfin la majorité des
filières sur lesquelles porte la statistique relative aux bacs 3 ans est celle qui est susceptible de donner le
meilleur résultat ...
Là encore, sous couvert d’égale dignité des voies de formations, le ministre de l’éducation
vient d'instaurer une épreuve de rattrapage qui brade et dévalorise encore un peu plus le diplôme
national du bac pro. Cette épreuve orale de 20 minutes qui compte autant que la moyenne générale de
toutes les notes obtenues à l’examen est basée exclusivement sur les stages en entreprise déjà évalués
par de forts coefficients dans le cadre de l’examen et, ignore les enseignements généraux, ce qui aura de
graves répercussions sur la motivation des élèves par rapport à ces enseignements. Mais l'objectif caché
est clair : il s'agit de maintenir voire d'accroître le pourcentage de réussite à l'examen pour, si
possible, de camoufler les effets profondément négatifs du bac 3 ans que l'on essaie aussi de
camoufler en instaurant,en amont, une généralisation du contrôle en cours de formation (CCF)
dont on sait, par expérience, qu'il permet d'accroître d'au moins 2 à 3 points la moyenne des élèves aux
épreuves par rapport à l'examen traditionnel (qu'il convient certes de faire évoluer), sans qu'au delà du
discours, il y ait la moindre amélioration (il y a même de nombreux cas de régression) dans le processus
d'acquisition des connaissances et compétences par les élèves !
12
Aujourd'hui, si nous avions à faire à un gouvernement et un président soucieux
d'accroître la réussite des élèves, le temps de formation d'une partie des élèves des filières générale
et technologique (peut être de l'ordre de 25%) devrait être porté à 4 ans et, celui d'une partie des
élèves de la filière professionnelle (de l'ordre de 25%) ramené à 3 ans, l'alignement du temps de
formation du bac pro sur les 2 autres, pour tous les élèves, n'a qu'une fonction : récupérer des moyens et
supprimer un emploi de fonctionnaire sur 2 comme s'y est engagé le candidat Sarkozy !
Un Enseignement professionnel public dévoyé de sa mission émancipatrice
L’Education professionnelle publique subit, comme l’ensemble du secteur de l’Education,
depuis quelques années, une double rupture en contradiction avec ses missions républicaines
de service public. D’une part, elle est livrée de plus en plus aux logiques de libéralisation et de
marchandisation. D’autre part, elle devient un instrument au service du seul patronat et de ses
besoins spécifiques en termes de main-d’œuvre.
Actuellement, deux réformes impulsées par Darcos, la généralisation du bac
professionnel trois ans et le développement des lycées des Métiers, apparaissent comme des
accélérateurs de ces reculs, surtout dans un contexte de restrictions budgétaires. La formation
professionnelle publique est vidée de sa substance émancipatrice : l’éducation, la citoyenneté
sont reléguées au rang de discount culturel. Ce qui compte c’est de former une main d’œuvre
adaptable dans un marché de l’emploi complètement dérégulé, et surtout qui accepte l’ordre
entrepreneurial 4. Voilà le sort que l’on réserve aux enfants issues des milieux populaires.
Ce constat démontre, s’il était nécessaire, que le lycée professionnel est un espace
qu’il faut reconquérir en priorité pour mener le combat idéologique contre la droite. En ce
sens, il doit occuper une place centrale dans le projet éducatif du Parti de Gauche, en étroite
corrélation avec les questions sociales.
Comment construire une citoyenneté et plus encore une société émancipée avec un
salariat précarisé, sous diplômé, sous rémunéré, qui vit dans l’insécurité économique et
sanitaire ?
Une double rupture cohérente
La privatisation rampante s’inscrit dans la volonté de l’OMC à travers l’AGCS,
d’ouvrir un nouvel espace de gains au capital, l’Education doit devenir un marché mondialisé,
les enjeux financiers sont considérables. L’Europe s’est engouffrée dans cette voie en
s’engageant dans la Stratégie de Lisbonne. Celle-ci, et c’est maintenant bien connu, postule
que l’Europe « doit devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde ».
Pour arriver à cet objectif, seule la mise en concurrence des territoires et des hommes est
utilisée.
En France, la LOLF, la RGPP, sont les instruments de cette mise au pas à l’ordre
libéral. L’autonomie des établissements le vecteur de leur mise en concurrence. La logique
coût/rendement se substitue à celle des besoins sociaux. Les équipes de direction suivent des
stages de managements, les enseignants vont faire les VRP dans les collèges pour
concurrencer les MFR, et les élèves sont de plus en plus livrés au mode de l’entreprise.
Le renforcement du lien formation emploi apparaît bien comme le résultat d’un changement
de rapport de force entre le patronat et les forces sociales. Sans faire l’histoire exhaustive de la
formation professionnelle, elle a toujours était l’objet d’un enjeu entre d’une part les
« professionnalistes » et d’autre part les « scolaristes ». Le rapport de force étant favorable au
4
Le Monde diplomatique Avril 2004 G.Moreau
13
patronat depuis trois décennies, on assiste au retour en force de cette idée que « l’intelligence
de la main est indépendante » 5 de celle du cerveau ! Ce retour coïncidant avec la volonté de
réduire les dépenses publiques et de supprimer pour cela un grand nombre de postes de
fonctionnaires, il faut bien satisfaire, même en temps de crise, au Pacte de Stabilité.
Des réformes qui tombent à pic !
Deux accélérateurs récents : le développement du lycée des métiers comme cadre
adapté de cette rupture idéologique, et la généralisation du bac pro trois ans imposé par la
force aux élèves et aux personnels, tout ça sous fond de mise en concurrence généralisée entre
des établissements devenus autonomes. En quoi le lycée des métiers est-il un instrument
adapté dans un contexte de restrictions budgétaires et de libéralisation de la formation
professionnelle ?
D’abord il permet des économies d’échelle, et sa polarité le place en lien étroit avec
les besoins des entreprises locales. Dans cette logique l’offre de formation se spécialise
territorialement, en bassin d’emploi, et ne sera bientôt plus garante du principe d’égalité
républicaine. Elle est déjà inféodée aux besoins économiques locaux, comme en témoigne le
développement d’un apprentissage précoce et massif. L’entreprise comme solution à l’échec
scolaire. Il renforce par conséquent la logique « adéquationiste » qui lie formation et emploi 6.
Or, pourquoi la formation initiale, le DIF (droit individuel à la formation), la VAE (validation
des acquis de l’excpérience) devraient-ils être limités à l’adaptation au seul monde du travail ?
Ensuite, il autorise le mélange des publics annonçant ainsi la généralisation de
l’enseignement modulaire validé en contrôle continu saucissonnant en quatre ou en cinq des
diplômes qui ne seront plus nationaux. Ici, intervient l’outil bac pro trois ans. Les comptables
y on vu un effet d’aubaine, faire des économies en supprimant une année de formation. Cette
réforme à marche forcée présentée comme allant dans l’intérêt des élèves commencent à
révéler ses premières conséquentes négatives. Du point de vue des élèves les conditions
d’apprentissage se sont dégradées : appauvrissement de la formation, augmentation des
effectifs, augmentation des périodes « occupationnelles en entreprise ». Du point de vu des
enseignants c’est le retour de l’annualisation battue en brèche en 2000 et l’arrivée de la
flexibilité. Des classes à trente qui mixtent parfois des années de formation différentes, peu de
dédoublement, une hétérogénéité forte des élèves. Quant aux MEDEF, aidé par un
gouvernement soucieux de respecter ses engagements européens, il a saisi l’occasion d’y
introduire une nouvelle étape dans la remise en cause des diplômes comme en témoigne la
déprofessionnalisation du bac pro et la certification des BEP. Le diplôme, élément essentiel
des conventions collectives et garant du niveau de rémunération, constitue un obstacle dans la
déréglementation actuelle du droit du travail. La certification, reconnue en Europe, permet
d’arrimer la compétence aux postes de travail en gommant la qualification attachée à la
personne. C’est un moyen d’assurer la déflation salariale, surtout avec la mise en concurrence
de la main d’œuvre sur le territoire Européen.
Enfin, un des objectifs essentiels du Lycée des Métiers est de développer des
partenariats, notamment avec les milieux économiques. Un exemple parmi d’autres qui
démontre que le MEDEF veut aussi travailler les consciences, en créant l’association EPA
(Entreprendre Pour Apprendre) il a signé un partenariat avec le ministère de l’Education
Nationale dont la finalité est de développer la culture entrepreneuriale dans les lycées
professionnels. Il s’agit de faire créer aux élèves des mini-entreprises, accompagnées de
fiches pédagogiques dont sont gommées toutes références aux droits des salariés, ceux-ci
5
Le Monde diplomatique Avril 2004 G.Moreau
Yves Baunay et Francis Vergne, Formation professionnelle : regard sur les politiques régionales, Nouveaux
regards, juin 2006
6
14
peuvent licencier, recruter une secrétaire, se partager les bénéfices, pester contre les charges
sociales… On le voit, le combat idéologique est urgent.
A terme le lycée des Métiers répondra à des offres d’appel pour se positionner sur le
marché de la formation. Pour s’en convaincre il suffit de lire le rapport sénatorial sur la
formation professionnelle 7. Sa dépendance structurelle et financière vis-à-vis de l’institution
régionale condamne l’enseignement professionnel public initial à disparaître au profit d’un
outil régional au service des politiques d’insertion professionnelle. Outil qui par conséquent
sera un des éléments du marché de la formation concurrentiel et décentralisé.
Dans ces conditions, comment ne pas voir se profiler une réforme du statut des
enseignants, et donc des missions qui lui sont intrinsèques ?
Cette démission est inacceptable. La fonction sociale de l’enseignement professionnel public
est reléguée en marge et ceux qui la défendent taxés d’archaïques. Le retour en force de l’idée
« professionnaliste » au détriment de l’idée « scolariste » comme son démantèlement annoncé
accrédite l’idée que le lycée professionnel est un espace qu’il faut reconquérir prioritairement
car il est un maillon essentiel pour asseoir et contribuer au développement de l’Education
Populaire. Cette vision d’un salariat corvéable à merci, précaire, est en contradiction profonde
avec notre projet politique dont la pierre angulaire est l’émancipation. Ce n’est qu’en donnant
des droits sociaux attachés à la personne qu’on pourra construire une démocratie où les
classes populaires seront un acteur essentiel. Le droit à une formation professionnelle
émancipatrice apparaissant comme un préalable indispensable.
Bilan de la réforme de la voie professionnelle
La réforme de la voie professionnelle entre dans sa seconde année.
Des idées intéressantes (pas de M. Darcos) ont été mises en avant pour donner un habillage
sérieux à la réforme. Accompagnement personnalisé, parcours en trois ans (adapté à certains
élèves seulement), projet personnel de l'élève, plus de souplesse selon les contextes locaux
avec les heures complémentaires enseignants.
Qu'observe-t-on sur le terrain?
- un manque de volume horaire pour pouvoir dédoubler plus, pour organiser
hebdomadairement les concertations des équipes, inscrites dans les services des
enseignants
- un déficit de formation des personnels pour faire évoluer les pratiques pédagogues,
pour intervenir autrement auprès des élèves, en liaison avec les CPE, les COPSY, les
missions locales...
- une affectation déshumanisée avec l'application AFFELNET, qui commet des erreurs
parce que le profil des élèves ne peut se réduire à des barèmes. (Des erreurs
importantes d'orientation sont commises et on ne peut y remédier)
- un découragement des équipes et une lassitude des enseignants impliqués dans les
projets (notamment de lutte contre le décrochage), parce qu'il faut toujours en faire
plus, plus vite.
- le manque de reconnaissance matérielle et morale pour un métier de plus en plus
difficile et de moins en moins considéré.
- une impuissance à traiter la détresse ou grande détresse de certains élèves qui
deviennent décrocheurs (passifs, absentéistes, perturbateurs et parfois agressifs.
7
Rapport de sénateur Carle qui date de 2007.
15
Qu'attend-on pour trouver des solutions? Quelques propositions :
- arrêter les suppressions de postes d'enseignants et abonder les DHG pour donner des
moyens horaires pour se concerter et travailler en équipe.
- revoir la procédure affelnet qui doit devenir un outil d'aide à l'affectation mais pas plus.
- redonner un rôle aux commissions d'affectation
- donner aux enseignants une véritable formation professionnelle avec les ressources dont
nous disposons dans les IUFM, l'INRP.... (Abandon de la mastérisation)
- étoffer les équipes éducatives avec plus de CPE, Surveillants, COPSY, infirmières, AS
et médecins scolaires.
- valider et financer les projets de pôles relais dans les lycées pour traiter les cas des élèves
décrocheurs.(L'efficacité de ce dispositif est attestée par l'évaluation du devenir des élèves
qui y sont suivis)
- revaloriser les carrières des enseignants. (rattrapage du déficit du pouvoir de d'achat
depuis 2000, revalorisation indiciaire)
Aujourd’hui un de nos problèmes essentiels est le décrochage scolaire. Les régions
financent des plans de prévention et de lutte contre le décrochage. Cela demeure insuffisant.
L'Etat affiche des objectifs sans donner les moyens de pouvoir les atteindre.
Plus facile après de dire que le service public est inefficace afin de laisser la formation
professionnelle à d'autres acteurs.
Nos propositions et nos débats
Nos propositions : programme partagé du front de gauche
28. Refonder l’enseignement professionnel
Principes :
L’enseignement professionnel est un levier essentiel pour une transformation d’ensemble de
la société car c’est dès l’école que doit s’organiser la rupture avec le mépris envers les
productifs nourri par les élites. Il peut devenir un outil de défense des classes populaires et
non une voie de garage destinée à trier la force de travail et à l’offrir au plus bas coût.
Constat :
Depuis 2002, la droite a fermé 71 lycées professionnels, dont 31 depuis l’élection de Sarkozy
en 2007. Présenté comme la solution miracle pour la qualification des jeunes, l’apprentissage
ne peut fournir assez de places et expose les jeunes à une grande précarité de leur parcours de
formation (un quart des contrats d’apprentissage rompus avant terme). Cette politique perd
aussi de vue l’exigence d'élévation des qualifications dans une économie moderne. Avec la
privatisation progressive des voies d’accès à la qualification, la professionnalisation est
soumise aux intérêts à court terme du marché. La logique des "compétences" (étroites et
périssables) tend à s’imposer sur celle des "qualifications" (plus larges et durables, qui
permettent la reconversion), au détriment de la mobilité des travailleurs, de leurs salaires et de
la productivité du pays. De plus cette dégradation de l’enseignement professionnel aggrave les
difficultés du collège unique.
Propositions :
16
garantir le droit à la professionnalisation durable à travers la création d’un grand service
public national de la formation professionnelle tout au long de la vie
pilotage public unifié de l’ensemble des voix d’accès à la qualification (en fédérant au
sein d’un même service public formation initiale, formation continue, apprentissage et
validation des acquis, afin d’éclaircir les responsabilités de l’Etat et des autres acteurs et de
permettre la péréquation des financements publics)
établir un véritable statut social du jeune en formation, qu’il soit apprenti, lycéen ou
étudiant)
améliorer l’accès des lycéens professionnels au bac pro en rétablissant les cursus en 4 ou
5 ans alors que le bac pro en 3 ans a augmenté les risques de sortie sans diplôme. Ces cursus
renforcés et mieux adaptés aux profils des élèves permettront d'améliorer le taux de réussite
aux CAP, BEP et bac professionnel (pour passer de 50 à 80% des jeunes entrant dans le
cursus qui vont jusqu'au bac pro et l'obtiennent)
stopper le développement anarchique de l'apprentissage sous statut privé et réserver
l'ouverture de nouvelles structures d'apprentissage à des centres publics auprès des lycées
professionnels
développer les passerelles avec l’enseignement technologique et favoriser les poursuites
d’études vers l’enseignement supérieur (notamment BTS, IUT, licences professionnelles)
mettre fin à la généralisation des Certificats de compétence (non reconnus par l’Education
Nationale mais créés et délivrés par les branches ou les entreprises, qui ne renvoient qu’à la
réalisation d’une tâche sans autonomie) et renforcer la place des diplômes véritablement
qualifiants, reconnus nationalement, requis par l’intérêt général plutôt que par les besoins à
court terme de telle ou telle grande entreprise
Réflexions sur l’expression « refonder l’enseignement professionnel »
Le titre du texte et sa déclinaison « refonder l’enseignement professionnel » prennent appui
sur un postulat induit mais non explicité.
Cette accroche laisse supposer que l’enseignement professionnel serait à refonder sans qu’il
soit fait mention des raisons de la remise en cause souhaitée sauf en creux : sa spécificité.
L’originalité de la démarche surprend quand on sait sur quoi repose la singularité de cet
enseignement.
Il faut rappeler ici que l’enseignement professionnel est en effet indissociablement lié à la
construction de notre histoire sociale. Cette histoire a vu dès les années 1830, nombre de
réformateurs sociaux préconiser l’ancrage de cet enseignement dans les dispositifs
d’enseignement et d’instruction publique pour le soustraire aux puissantes corporations. Les
congrès ouvriers sous la 3è République qui ont inspiré de nombreuses lois résument bien cette
volonté de lier enseignement professionnel et enseignement général, condition première pour
permettre la formation des futurs hommes, travailleurs et citoyens, et au-delà contribuer à
l’avènement d’une société juste et solidaire.
Sortir l’enseignement professionnel du système éducatif serait l’abandon de ces
objectifs et le ralliement aux combats menés par les partisans de la fin de l’école gratuite et
laïque pour tous.
17
Sur ce point le texte se livre à une sorte de surenchère. En plus du retrait de l’enseignement
professionnel du système éducatif, il préconise son intégration dans un nouveau dispositif
« le service public de formation professionnelle » qui engloberait tous les dispositifs de
formation : initiale, continuée, apprentissage. Le glissement sémantique consistant à passer
de l’enseignement professionnel, titre du texte, à la formation professionnelle mériterait
quelques explications, ou discussion approfondie mettant en parallèle, voir en
complémentarité, enseignement et formation.
La vision du contributeur est redoutable car avec l’effacement de l’enseignement
professionnel, se dessine dans ce projet, l’idée que l’apprentissage et la formation sur le
terrain seraient la solution parfaite pour résoudre une situation problématique en partie
contraire à celle évoquée dans les constats de la contribution. Comment élever les
qualifications, comment réduire le nombre de jeunes sans qualification, comment assurer à
chacun les garanties de parcours professionnels sécurisés, sans le maintien et le
développement d’un enseignement professionnel couvrant tous les niveaux de qualifications
et assurant contrôle et délivrance des diplômes ?
C’est sur la base de cette exigence forte qu’il faut construire notre projet et redécouvrir
s’il le faut, toutes les vertus de l’école républicaine souhaitées par les camarades qui ont
œuvré par le passé pour qu’elle soit émancipatrice et formatrice des futurs citoyens. Si
l’entreprise peut être formatrice, elle n’est pas citoyenne : cette affirmation doit être la
boussole de nos débats. Avant le triomphe du néolibéralisme, cette conception de la formation
des futurs travailleurs étaient d’ailleurs partagée au-delà des clivages politiques .Tous les
gouvernements de la 4è et de la 5è République n’ont jamais été tentés par sa remise en cause,
et ce, en dépit de quelques relances, sans succès, de l’apprentissage. Ils l’ont même fait
évoluer en l’intégrant pleinement dans le système éducatif, en rapprochant de plus en plus ses
structures, personnels et niveaux de formation des autres dispositifs d’enseignement tout en
conservant ses spécificités et même en les faisant évoluer : création des séquences éducatives
en 1979, des commissions paritaires consultatives réunissant professionnels et enseignants
pour fixer les contenus de diplômes. Sur le plan de l’efficacité, toutes les analyses concordent
pour souligner que l’effort de démocratisation de l’école repose en grande partie sur
l’existence de l’enseignement professionnel, qui continue chaque année à tirer vers le haut les
pourcentages de réussite au bac.
Ne pas prendre appui sur cet existant pour l’améliorer, c’est aller dans le sens du discours
ambiant celui de former selon des modalités qui excluent la dimension humaniste de la
formation et l’exigence de conduire le plus grand nombre au plus haut niveau de qualification
avec le maximum de possibilités pour l’entrée d’emploi. Les faits donnent raison à ce constat
si l’on examine les évolutions de l’apprentissage qui en dépit de moyens considérables
stagnent et même régressent dans les niveaux 4 et 5. Chaque année, de nombreux jeunes qui
font le choix d’aller vers cette formation doivent se rabattre vers d’autres dispositifs en raison
d’impossibilité de trouver un contrat, pour certains : le faciès qui dérange... Il faut ajouter à ce
tableau, les interruptions de contrats en cours de formation de l’ordre de 22% (selon le
CEREQ) pour le niveau V.
Il n’y a donc pas lieu de chambouler la formation initiale dispensée dans les lycées
professionnels en intégrant dans ces établissements une formation qui n’a jamais fait ses
preuves, sauf dans certains cas pour les métiers à faible évolution technologique, ou à des
niveaux plus élevés ou dans l’enseignement agricole. L’exemple allemand est sur ce point
intéressant. Le système dual est depuis plusieurs années en baisse au profit d’un enseignement
fédéral proche du dispositif français. Cette remise en cause est la démonstration des limites de
l’apprentissage aujourd’hui considéré par nos voisins comme trop centré sur les besoins
immédiats de l’entreprise, peu capable de former à la prise en compte des évolutions de
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l’emploi et des techniques et ne permettant pas la mobilité interne et géographique des
salariés. Dans le même temps, aujourd’hui, Sarkozy, tente une énième relance de
l’apprentissage en injectant des millions d’euros dans les caisses patronales.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur le sujet. Pourquoi pas sous la forme d’une commission
qui pourrait se tenir sur ce thème ? L’intérêt de la contribution proposée a été de lancer le
débat et de faire réagir. Il reste à le mener, sereinement en se fixant l’objectif d’aller vers des
propositions consensuelles. A ce niveau pour rester dans la démarche du contributeur, il y a
lieu d’explorer de nouvelles problématiques comme la recherche de conditions permettant de
meilleures articulations et non mise en concurrence entre les différentes étapes de formation
(de la formation initiale à la formation continue), entre les dispositifs existants, d’aller aussi
vers de nouveaux diplômes comme le brevet professionnel supérieur, de mieux appréhender la
relation formation-emploi notamment par la création de parcours adaptés (mentions,
formations complémentaires) pour l’entrée dans l’emploi, de redonner à la formation continue
tout son sens, notamment en répondant à tous les besoins de formation qu’ils soient liés à
l’emploi ou personnels…
La démarche du PG repose sur une dynamique : celle de l’audace et du rejet de toutes les
formes de prêt à penser. Cette vision dérangeante de l’analyse et de l’engagement politique est
séduisante. Elle doit s’imposer dans tous les domaines où l’action politique prévaut. Sur la
question de l’enseignement professionnel et de la formation professionnelle, il est possible
d’adopter la même logique en s’appuyant en toute indépendance, sur les richesses de notre
système d’enseignement professionnel, dont les fondements s’inscrivent dans les combats qui
font et sont notre engagement.
Libérer les hommes et les femmes de toutes les servitudes, et leur donner la possibilité de
vivre ensemble dans un monde, y compris celui de l’emploi, où chacun existe et à sa place tel
doit être le cadre et la finalité de notre discussion.
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