Sur la route des porteurs d`alternatives
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Sur la route des porteurs d`alternatives
©Alter Echos dossier Sur la route des porteurs d'alternatives Du sommet de Rio qui s'est tenu en juin, les mouvements sociaux n'attendaient pas grand chose. Heureusement, à quelques kilomètres de là, le sommet alternatif, riche des luttes et des expérimentations citoyennes, contribuait à transformer le monde au quotidien. Puisons dans ces initiatives pour lever le regard. À 50 km du centre de conférences officiel, des dizaines de milliers de citoyens ont dessiné un autre monde Par Sophie Chapelle* C 'e s t d a n s un centre de confé rence sinistre comme une morgue, protégé par la police anti-émeute et les troupes armées, que les chefs d'Etat et de gouvernement ont longuement discouru sans aller au-delà des habituelles déclarations d'intentions. « La nature n’attend pas, elle ne négocie pas avec les humains » avait annoncé Ban Ki Moon, le secrétaire général des Nations Unies. Bien que tous les clignotants soient au rouge en matière de biodiversité ou de ressources naturelles, lesquelles sont allègrement ponctionnées par le système économique actuel, il n'est pas sorti grand chose du grand raout de la conférence de Rio. Au terme d'un texte énonçant une succession de principes sans engagement ni contraintes, les diplomates, délégués, pseudo experts, grandes entreprises et ONG réunis à Rio, ont montré que tout le système qui prétend vouloir sauver la planète est à bout de souffle. Symboles de la mainmise du monde industriel et commercial sur 26 z Au terme d'un texte énonçant une succession de principes sans engagement ni contrainte, les diplomates, délégués, pseudoexperts, grandes entreprises et ONG réunis à Rio, ont montré que tout le système qui prétend vouloir sauver la planète est à bout de souffle. NATURE&PROGRÈS | septembre-octobre 2012 | N°89 ©UN les travaux des délégués, les pavillons des entreprises avaient été érigés à une centaine de mètres du sommet officiel. Là comme dans les salles de conférence, "l'économie verte" était devenue une obsession. L'idée ? Quantifier financièrement les services rendus par la nature comme le filtrage de l’eau ou la capture du carbone. Au menu, la création d'un marché de crédits de biodiversité négociables afin de compenser les problèmes engendrés. Ou bien encore, des produits financiers dérivés vous assurant contre l’extinction d’une espèce. Dans les allées recouvertes de gazon synthétique, longeant des voitures électriques et les enseignes des multinationales, la planète devenait un nouvel objet à but lucratif. Alors, pourquoi s'être déplacés et avoir contribué à dépenser quelques tonnes de gaz carbonique supplémentaires, après les échecs successifs des conférences internationales sur les grands enjeux écologiques ? En réalité, c'est à 50 km du centre de conférences officiel que des dizaines de milliers de citoyens ont dessiné un autre monde. Réunis durant une semaine autour d’ateliers théma- tiques puis d’assemblées plénières, les représentants de mouvements paysans, indigènes, féministes, opposés aux politiques extractivistes, ont décliné des actions riches de "souveraineté alimentaire" et de "justice sociale et écologique". Ce Sommet des peuples s’est clôturé par une déclaration finale se prononçant clairement contre l’économie verte comprise comme une nouvelle phase du capitalisme étendu à la nature. Entre ces deux mondes que tout oppose, des initiatives citoyennes locales ou régionales donnent à voir une ligne d'horizon émancipatrice. C'est en elles que puisent les mouvements sociaux pour tenter d'inverser les rapports de force et substituer de la démocratie, de la sobriété et de la solidarité au modèle capitaliste dominant actuel. Ce sont également ces initiatives et alternatives concrètes qui aident à ne pas sombrer dans un pessimisme mortifère, à lever le regard et à s'engager pleinement pour reprendre son avenir en main. En ce sens, les expériences d'agriculture urbaine menées par les habitants de la ville de Détroit aux Etats-Unis sont particulièrement inspirantes. Pour le visiteur européen, Detroit est un désastre industriel, économique et social. La municipalité, handicapée par un déficit de plus de 300 millions de dollars, peine à assurer les services publics les plus élémentaires. Avec un logement sur cinq à l'abandon, les propriétaires, faute de locataires, brûlent leur bien pour faire jouer l'assurance. Mais celles et ceux restés sur place ont le projet fou de rebâtir une nouvelle cité sur les ruines de l'ancienne. Parmi cette bande d'audacieux, il y a Grace Lee Boggs, une figure militante des droits civiques aux Etats-Unis. Agée de 95 ans, Grace vit à Detroit depuis 1953 et ne se ©Alter Echos résigne pas. « Je refuse d'être gagnée par le désespoir d'une dévastation liée à la désindustrualisation, explique t-elle. Regardez ces terrains vacants, ils sont une opportunité unique de repenser et reconstruire Detroit de façon plus saine et plus z Detroit compterait aujourd'hui 1 200 jardins dans lesquels s'investiraient 16 000 habitants. En arpentant la ville, la réalité de l'agriculture urbaine apparaît à chaque coin de rue. z Le livre de Grace Lee Boggs. c ©Via Campesina Le Sommet des peuples s’est clôturé par une déclaration finale se prononçant clairement contre l’économie verte comprise comme une nouvelle phase du capitalisme étendu à la nature. autonome ». 150 km2 de friches sont recensés en plein centre-ville, soit près de 30 % de la surface totale de Detroit. « Ces terrains, c'est l'occasion via l'agriculture urbaine de changer une ceinture de rouille en ceinture verte », affirme-t-elle. Detroit compterait aujourd'hui 1 200 jardins dans lesquels s'investiraient 16 000 habitants. En arpentant la ville, la réalité de l'agriculture urbaine apparaît à chaque coin de rue. Ici et là, on ne cesse de faire connaissance avec des gens déterminés à reprendre le contrôle de leur autonomie alimentaire. Plus au Nord, Milwaukee, dans le Wisconsin, étale des hectares de friches industrielles. Cette ville accueille également une des fermes urbaines les plus connues des EtatsUnis, Growing Power. À sa tête, Will Allen, un ancien basketteur professionnel. « Lorsqu'il a pris sa retraite, il s'est souvenu que quand il était petit les gens avaient toujours suffisamment à manger, aime à raconter Grace. Il a donc acheté 1 hectare, s'est lancé dans l'aquaculture en milieu urbain et a commencé à vendre du poisson frais dans toute la ville ». Le modèle d'aquaculture de Will Allen suscite des vocations. Des centaines NATURE&PROGRÈS | septembre-octobre 2012 | N°89 27 Sur près de 11 000 m2, dans une ancienne usine, des milliers de perches jaunes et de tilapias se reproduisent. Au dessus des cuves de 40 000 litres, du cresson, des salades et des plants de tomates participent à filtrer et purifier l’eau. par une entreprise canadienne, les habitants imaginent un ensemble d'activités économiques, socialement utiles et respectueuses de l'environnement, pour leur canton. Ensemble, ils développent de l'écotourisme, de l'artisanat, commercialisent des produits biologiques, produisent de l'hydroélectricité avec des impacts environnementaux faibles, constituent des réserves forestières communautaires et expérimentent une monnaie alternative locale. Pour eux, garder la maîtrise de leur territoire et de leur avenir est beaucoup plus qu'un slogan. de jardiniers amateurs, d’universitaires, de coopératives de production, se pressent dans les allées de sa ferme pour tâcher de reproduire son système. Des passionnés finissent par se lancer dans la reconversion d'usines abandonnées. C'est le cas de James Godsil à l'initiative du projet Sweet Water Organics (eaux douces biologiques). Sur près de 11 000 m2, dans une ancienne usine rachetée à un fabricant d'équipementier minier, des milliers de perches jaunes et de tilapias se reproduisent. Au dessus des cuves de 40 000 litres, du cresson, des salades et des plants de tomates participent à filtrer et purifier l’eau, avant d'être vendus aux restaurants et grossistes de la ville. Si l'expérience se révèle viable, un nouvel avenir pourrait se dessiner pour les 10 000 sites inutilisés dans la région. Loin des grandes villes, les habitants d'Intag, en Equateur, s'opposent à un effroyable projet de mine de cuivre à ciel ouvert qui détruirait une bonne part de la forêt humide qui les abrite. Dans une lutte sans merci au cours de laquelle ils ont repoussé et désarmé des paramilitaires engagés Grâce aux friches, un nouvel avenir pourrait se dessiner pour les 10 000 sites inutilisés dans le Wisconsin 28 NATURE&PROGRÈS | septembre-octobre 2012 | N°89 z Cette maison en écoconstruction est implantée dans le village d'Ossau (village des compagnons de la Communauté Emmaüs Lescar-Pau) À Intag, en Équateur, les habitants s'opposent à un projet de mine de cuivre à ciel ouvert x Partout, des expérimentations citoyennes fleurissent qui portent en chacune d'elles une part d'universel. Un universel respectueux du local, des êtres humains, de l'environnement et des cultures, fait de solidarité, de partage, de sobriété et de démocratie. Il suffit parfois de tourner son regard juste à côté de chez soi pour voir ces utopies mises en œuvre. En France, l'expérience de la communauté Emmaüs à Lescar, près de Pau, concilie au quotidien décroissance et solidarité (1). Professionnels de la récupération, ces compagnons se sont lancés dans l’éco-construction, convaincus que l’intégration passe par le bien-être dans l’habitat. « Tout ce que tu peux faire ou rêver de faire, tu peux l'entreprendre », a écrit Goethe. Soyons audacieux ! *Sophie Chapelle, journaliste pour le site d'informations Basta! (www. bastamag.net), engagée dans le projet Echo des alternatives (www. alter-echos.org) ©Alter Echos ©Sweet water organics ©Alter Echos ©Alter Echos c Note 1 : www.emmaus-lescar-pau.com