Meccano… - Travail et sécurité

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Meccano… - Travail et sécurité
actu e n images
Industrie du jouet
La sécurité n’est
pas un jeu d’enfant
Meccano… Qui ne connaît pas ce jeu de construction qui a su séduire
petits et grands ? Ce que l’on sait peut-être moins, c’est que l’usine
de production se trouve à Calais, dans le Nord, et qu’après près
de cinquante ans sans évolution, elle a radicalement changé son outil
de production. Pour se moderniser et pour prévenir les risques professionnels.
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Travail & Sécurité –
­­ Décembre 2008 © Gaël Kerbaol pour l’INRS
Travail
Travail&&Sécurité
Sécurité­­–­­–Décembre
Novembre2008
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La sécurité n’est
pas un jeu d’enfant
A
ujourd’hui, tout le monde
connaît Meccano. La
preuve, le nom est passé
dans le langage courant. » On
sent, dans les propos de Bruno
Tiebot, responsable des services
techniques de l’usine Meccano
de Calais, une certaine fierté de
travailler pour Meccano, la marque de jouets de construction.
Fierté de travailler pour une
marque reconnue, mais fierté
également du travail accompli dans l’usine, depuis quelques années… Lorsque l’on
arrive sur le site de Meccano,
à Calais, aucun doute : l’usine
a bien été construite dans les
Meccano
en chiffres
années 1950, avec ses briques
rouges et ses toits inclinés
alignés. Une impression que
confirme le médecin du travail, Claude Bailly : « Jusqu’à
très récemment, rien n’avait
changé depuis la construction
de l’usine, en 1959 : l’extérieur
de l’usine, mais également
l’intérieur, avec des lignes de
production immenses, sur
lesquelles travaillaient à la
chaîne des dizaines d’opératrices. » Le travail consistait alors
à remplir manuellement des
boîtes. Il s’agissait de choisir,
dans des bacs inclinés, boulons, vis et autres plaques et
• 4,5 millions d’euros ont
été investis en 2005 pour
la modernisation de l’outil
industriel, qui occupe
4 800 m2.
• Meccano a cédé en 2005
11 200 m2 à Geodis dans
le cadre d’un accord de
partenariat.
• Meccano emploie
70 personnes sur le site
de Calais, pour un chiffre
d’affaires de 50 millions
d’euros.
• 900 000 boîtes de
Meccano sortent chaque
année de l’usine.
• Meccano se diversifie dans
le high tech, en lançant,
pour Noël, Spykee, un petit
robot bourré de gadgets.
À l’entrée et à la sortie du four
utilisé pour fixer la peinture
sur les pièces en métal,
des opératrices faisant partie d’un
ESAT sont chargées de l’accrochage
et du décrochage des pièces.
de les placer, un à un, dans les
alvéoles des boîtes de jeu de
construction, en fonction des
modèles.
Une approche
collective
« En 2004, explique le docteur
Claude Bailly, on comptait
une cinquantaine de femmes,
ayant une moyenne d’âge de
47 ans, sur cette ligne. Cette
année-là, nombre d’entre
elles se sont plaintes de douleurs, lors des consultations
de médecine du travail. »
Au final, on dénombrera
17 plaintes relatives aux troubles musculosquelettiques
des membres supérieurs, avec
6 déclarations de maladies
professionnelles inscrites au
tableau 57 des MP du régime
général. « Essentiellement
des tendinites scapulaires
ou des syndromes du canal
© Gaël Kerbaol pour l’INRS
Pour les pièces en métal,
tout commence par des feuillards
d’acier qui arrivent dans un atelier
où ils sont découpés, perforés
et parfois pliés.
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sont réglés au cas par cas,
mais cela s’avère insuffisant.
Une action de plus grande
ampleur voit alors le jour.
La direction réunit le CHSCT
et le médecin du travail. Une
ergonome est associée à la
réflexion et crée un premier
groupe de travail, auquel
participe la plupart des opératrices de fabrication. « C’est
très important d’associer le
plus grand nombre, explique Jean-François Duhr, le
contrôleur de sécurité de la
CRAM Nord-Picardie, qui a en
charge le suivi de cette entreprise depuis près de deux
ans. Et surtout d’associer les
personnes qui sont concernées au premier chef. » Lors
de la première réunion, le
médecin du travail présente
ce que sont les TMS. Sylviane
© Gaël Kerbaol pour l’INRS
© Gaël Kerbaol pour l’INRS
carpien », précise le médecin
du travail. Un chiffre particulièrement élevé, qui incite le
praticien à alerter la direction.
« L’ampleur du problème nous
a surpris, reconnaît Mattei
Constantin Théodore, directeur du site. Mais il est vrai
qu’il y avait alors également
de gros problèmes de communication au sein de l’usine.
Cela a dû jouer… » Dans un
premier temps, les problèmes
Deux types de Meccano sont
fabriqués à Calais, avec deux lignes
de production distinctes : les jeux
traditionnels, en métal (à droite)
et ceux pour les plus jeunes, à base
de matière plastique (à gauche).
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Ci-contre. Le remplissage des
boîtes reste manuel, mais il a été
grandement facilité par l’ensachage.
Ci-dessous. Pour les pièces les plus
importantes et de taille variée, un
robot muni de deux caméras choisit
les pièces en vue de l’ensachage.
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Potier, l’ergonome, réalise des
observations sur site afin d’en
trouver les causes. Elle fait
ensuite un retour devant l’ensemble du groupe. « Les opératrices ont particulièrement
bien réagi lors de la restitution. Elles se sont reconnues »,
déclare l’ergonome. Des solutions sont avancées, portant
à la fois sur les aspects tech-
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niques, organisationnels et
humains.
Mais le cours des choses a
été pour le moins modifié. En
effet, dans le même temps,
en 2005, la direction doit
faire face à de graves difficultés financières. Elle décide de
mettre à plat l’outil de production et de faire table rase de
l’existant. Objectif : moderniser la production de Meccano
et, en quelque sorte, sauver
l’entreprise. « Nous avons
entièrement vidé les locaux,
rasé une partie de l’usine et
cessé la production pendant
quatre mois, de septembre à
décembre 2005, le temps de
refaire les sols, d’enlever les
machines qui devaient être
détruites, d’en remplacer une
Afin de contrôler le bon
fonctionnement de l’ensachage,
des sachets sont prélevés
régulièrement et pesés.
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nouveautés bourrées d’électronique, est maintenue sur
le site de Calais.
Des pièces en métal
et en plastique
Deux grands types de
Meccano sont fabriqués à
Calais : les jeux traditionnels,
en métal et ceux destinés aux
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grande partie et de réaménager l’ensemble », se souvient
Bruno Tiebot. Une réorganisation totale donc, « mais qui
a tenu compte des remarques
du groupe de travail », souligne Sylviane Potier. Toute
la production de Meccano,
à l’exception de certaines
pièces très spécifiques, des
moteurs et des dernières
plus jeunes, à base de matière
plastique. Deux lignes de production distinctes coexistent
au départ, qui se rejoignent
ensuite lors de la mise en
boîte.
• Pour ce qui est du métal,
tout commence par des
feuillards d’acier qui arrivent
dans l’atelier de découpagepliage métallique, où ils sont
découpés, perforés – et parfois pliés. Les petites pièces
obtenues sont alors identifiées à l’aide de codes-barres.
Tout commence à Liverpool
L
’histoire de Meccano commence en… 1898 à Liverpool. Dans un petit magasin, Franck Hornby (1)
s’amuse à inventer un petit jeu de construction pour ses enfants, à base de vis et d’écrous.
Le système Meccano est né ! Franck Hornby met au point le procédé et le commercialise sous
la marque « Mechanics Made Easy ». Le mot Meccano apparaît en 1907, l’année où s’ouvre la
première usine Meccano à Liverpool. Très vite, le succès arrive et la marque se lance sur le marché
européen, en créant une usine à Berlin et une autre à Belleville, à Paris, en 1920.
Dans les années 1930, la demande augmentant, une nouvelle usine voit le jour à Bobigny, en
région parisienne, où tout, depuis la petite visserie jusqu’à la boîte finie, est produit sur place. La
période 1950-1960 est assez mouvementée pour Meccano, qui change d’actionnariat plusieurs fois
et même de nom. En 1959, une deuxième usine est construite en France, à Calais. Dans les années
1970, le groupe agroalimentaire américain General Mills met la main sur Meccano, qu’il revend
en 1985, sans avoir fait de développements majeurs. En 1999, après des années agitées, Meccano
est racheté par un fonds d’investissement qui réinjecte 60 millions de francs (près de 10 millions
d’euros). En pure perte puisque,en mai 2000, la société est mise en redressement judiciaire. Elle
est vendux à un groupe japonais en 2000, qui se désengage en mai 2007. Actuellement,
Meccano est détenu à 51 % par des privés et à 49 % par un fonds d’investissement.
1. Un créateur de jouets de génie, car il est également à l’origine des trains Hornby et des jouets Dinky Toys.
Tout est mécanisé : une seule
personne gère l’ensemble
de l’atelier, du montage et
réglage des outils/machines
au contrôle qualité des pièces – il en existe 10 000 différentes, mais seules 2 000
sont couramment utilisées.
Les pièces peuvent ensuite
partir à l’extérieur pour subir
le zingage qui leur donne leur
aspect luisant. « C’est un procédé très technique, remarque
le contrôleur de sécurité. Très
peu d’entreprises le font en
France. » Ou bien être peintes
dans l’usine : d’abord dégraissées à l’aide d’un produit lessiviel qui remplace le solvant
utilisé précédemment, elles
passent ensuite à l’atelier de
peinture. Les pièces sont alors
accrochées sur un convoyeur
qui les achemine dans une
cabine de peinture. De la poudre de peinture est projetée
et fixée grâce à un procédé
électrostatique, puis les pièces sont « cuites » dans un
four pour fixer la peinture. 4
ou 5 personnes d’un ESAT (1)
implanté dans l’usine sont
chargées de l’accrochage des
pièces, 3 ou 4 du décrochage
à la sortie du four.
• Côté plastique, la matière
première arrive sous forme
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Les nouveaux modèles
de Meccano sont créés
manuellement dans un atelier
où les ordinateurs sont à peine
tolérés.
de granulés plastiques. Ils
sont aspirés pour être mélangés à des colorants, avant
d’être chauffés et amenés
jusqu’à un moule dans lequel
la matière plastique prend
la forme finale des pièces.
Là encore, l’accent a été mis
sur l’automatisation : seules
deux personnes travaillent
sur cette ligne, en charge surtout du montage-réglage des
outils (moules) et des machines, ainsi que du contrôle de
la production.
L’essentiel des pièces métalliques et plastiques, qui,
jusqu’en 2005, étaient déposées dans les boîtes manuellement et à l’unité dans des
alvéoles prévues à cet effet,
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­­ Décembre 2008 sont désormais ensachées :
les cartons de pièces sont
vidés dans des bols, et des
tapis vibrants les font passer
devant des cellules infrarouges
qui les comptent avant de les
mettre dans des sachets. Une
personne contrôle le bon fonctionnement de l’ensemble et
vérifie, en pesant des sachets
pris au hasard, la quantité de
pièces par sachet. Pour les
pièces plus importantes, ou
de taille variée, Meccano a
fait l’acquisition d’un robot
muni de deux caméras pouvant reconnaître les pièces :
il les prélève pour les déposer
dans les compartiments d’un
convoyeur qui les emmène
vers l’ensacheuse en bout de
chaîne. Grâce à cette étape
d’ensachage, une grande partie du travail à la chaîne a été
supprimée. « C’était un travail
assez dur, se rappelle le médecin du travail. Vingt opératrices
étaient alignées et la bonne
cadence n’était pas évidente à
trouver, car il fallait essayer de
tenir compte du rythme de chacune. De plus, le haut du corps
était particulièrement sollicité.
C’est sur cette ligne que la plupart des maladies professionnelles sont apparues. »
Depuis l’ensachage, les salariés ont moins de pièces à
manipuler. « Donc moins de
contraintes physiques », souligne l’ergonome. Les sachets
sont mis dans des caisses en
plastique, nettement moins
lourdes que les caisses en bois
– qui pouvaient peser jusqu’à
45 kg – utilisées auparavant.
« Les choses ont bien évolué,
remarque le contrôleur de
Les grands enfants de Meccano
A
u bout d’un couloir, derrière une porte orange, on
découvre l’atelier des prototypes de Meccano. Pour
parvenir à l’atelier proprement dit, il faut passer entre deux
murs contenant des milliers de références de Meccano. Dans
le bureau, on a l’impression d’arriver dans un autre monde,
peuplé d’étranges objets, tous plus réalistes les uns que
les autres : criquets, dinosaures, bateaux, Concorde après
l’accident (!), hélicoptère, Capitole, motos. La liste est longue.
C’est là que sont inventés les futurs modèles. « Nous sommes
quatre, explique Bernard Fleuet, responsable de l’atelier des
prototypes. Et nous proposons 200 modèles par an. » Ici, c’est
à peine si l’on tolère des ordinateurs… Les modèles ne sont
pas réalisés en 3D. « Ce serait trop long à faire, s’exclame
Bernard Fleuet, qui s’étonne presque de notre question. On
préfère monter directement les objets, en tenant compte
de critères de prix donnés par le service marketing, à partir
de dessins, de photos ou de notre imagination. » Et celle-ci
semble sans limite.
opératrices étaient auparavant
debout. Nous avons mis à disposition des sièges assis-debout,
mais les opérateurs ne se les
sont pas vraiment appropriés. »
« Sous la ligne d’approvisionnement, il n’y a pas assez de place
pour qu’un opérateur puisse
passer les jambes en position
assise, poursuit Jean-François
Duhr. Nous sommes toujours
à la recherche d’une solution. »
Les boîtes de Meccano sont
ensuite mises dans des cartons, conditionnées en palettes qui sont mises sous film
grâce à une filmeuse, avant
d’être envoyées chez Geodis
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sécurité. Les pièces et la visserie
ainsi ensachées sont déversées
par des opérateurs dans des
convoyeurs. Ceux-ci alimentent les goulottes dans lesquelles d’autres opérateurs se
servent pour remplir les boîtes
préformées, là encore, non plus
manuellement mais mécaniquement. Afin de parfaire le
processus, il faudrait que l’on
mette des tables élévatrices
pour que les collaborateurs
qui interviennent à la suite
de l’ensa­chage n’aient plus
à se baisser pour prendre les
caisses. »
Sur la ligne de remplissage,
une partie des problèmes a été
résolue. Les contraintes physiques sont nettement moins
importantes : « Les personnes
ne saisissent que 3 ou 4 sachets
pour remplir une boîte au lieu
des 6 ou 7 pièces auparavant,
remarque Sylviane Potier.
Pour ce qui est de la station, les
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La première usine Meccano est née
en 1907 à Liverpool. En France,
une première ligne de production
est installée à Belleville en 1920,
suivie de celle de Calais en 1959.
qui a en charge la logistique
de Meccano.
Polyvalence
et formation
Avec la modernisation de l’appareil de production, en 2005,
c’est toute l’organisation de
Meccano qui a été revue. À
Calais, pour limiter les sollicitations, les opérateurs effectuent, depuis, des rotations
sur les postes, toutes les heures. « Nous avons dû mettre en
place un vaste plan de formation pour que les opérateurs
puissent s’approprier les nouveaux outils de fabrication, qui
sont beaucoup plus techniques
qu’avant. Mais également
pour les rendre plus polyvalents afin qu’ils puissent passer
d’un poste à l’autre, remarque
Mattei Constantin Théodore.
Je pense que cela a joué sur le
moral de tous en termes de
considération. Le dialogue a
été instauré ou réinstauré et
chacun trouve une motivation
supplémentaire dans la diversité de son métier. » Ce que
le Dr Bailly confirme : « Avant
2005, le travail était particulièrement monotone. Les
L’ensachage des pièces
a considérablement réduit
les contraintes physiques
en supprimant une grande
partie du travail à la chaîne.
salariés sont maintenant plus
satisfaits, plus autonomes, et
je peux même dire, plus passionnés par leur travail. »
Seule ombre au tableau, la
suppression de 50 postes sur
120. Le prix à payer pour une
réorganisation d’une telle
ampleur et pour sauver l’entreprise, d’après la direction.
« Au niveau prévention et
sécurité, les conditions de travail se sont considérablement
améliorées, remarque JeanFrançois Sandras, membre du
CHSCT et délégué du personnel. Le CHSCT a été écouté à
chaque réunion. Les salariés se
sentent mieux et l’ambiance
s’en trouve améliorée. Nous
avons à présent un outil de
travail moderne. Mais on ne
peut s’empêcher de penser
aux suppressions de postes… »
Le secteur des jouets est très
concurrentiel. Si pour Meccano
le marché français stagne,
l’avenir semble meilleur du
côté des exportations. Pour
rester dans la course, il faut
sans cesse innover. L’équipe
qui a en charge les prototypes
(cf. encadré) ne cesse d’inventer des nouveaux produits, et
Meccano cherche à se diversifier. L’équipe de direction est
confiante en l’avenir. « Même
si on n’est jamais à l’abri d’un
coup dur. »
1. L’établissement et service d’aide par
le travail (ESAT), anciennement centre
d’aide par le travail, est un organisme
médico-social chargé de la mise au
travail, accompagnée d’un soutien
médical et social, des personnes
handicapées dans l’impossibilité de
travailler dans un autre cadre.
Delphine Vaudoux
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