Jean-Paul Belmondo, le Magnifique heureux

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Jean-Paul Belmondo, le Magnifique heureux
Jean-Paul Belmondo, le Magnifique heureux
Écrit par Bertrand de Saint Vincent
Mercredi, 15 Juin 2011 00:00
Palme d’or 2011 pour l’ensemble de sa carrière. Figure de la Nouvelle Vague au début des années 1960, le
futur « Bébel » s’est vite imposé comme l’un des acteurs et comédiens les plus doués de sa génération,
ayant donné dans tous les genres. L’un des plus emblématiques, aussi, d’un cinéma français de qualité.
Sur la musique mélancolique du professionnel, il a péniblement gravi les marches du Palais
des festivals. On aurait dit qu’il montait l’Himalaya. D’une main, il s’appuie sur sa béquille, de
l’autre, il tient le bras de sa compagne, la pulpeuse Barbara Gandolfi. Des deux soutiens, on
ne sait lequel est le plus fragile. « Le Magnifique » ne cesse de sourire. C’est sa politesse ;
celle de l’espoir et du respect du public. La foule l’acclame. Fait exceptionnel, la meute des
photographes a mis l’arme à terre pour l’applaudir.
Longtemps dédaigné à Cannes, où il fut six fois en compétition, Jean-Paul Belmondo,
soixante-dix-huit ans, reçoit une Palme d’or pour sa carrière. Ses amis du conservatoire –
Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort et Pierre Vernier – l’entourent ; d’autres sont également
de la partie : Claude Lelouch, Claudia Cardinale, Claude Gérard, Richard Anconina. Son fils
Paul et sa femme Luana sont également là. « C’est votre plus belle cascade », sourit le
président du Festival, Gilles Jacob, tandis qu’il parcourt, sous une standing ovation, le long
chemin qui mène à la scène.
Elevé dans « l’amour et la gaieté » par un père sculpteur et une mère affectueuse et tendre,
Jean- Paul Belmondo est resté fidèle à lui-même : un enfant, au regard joyeux, un comédien
chahuteur. Il a commencé par le théâtre, la boxe, et, dans les deux cas, il s’est cassé le nez.
Ses premiers maîtres l’abonnent aux rôles de valet. Ils se méfient de ce drôle de zèbre,
irrespectueux des usages. Au cinéma, il apparaît à la fin des années 1950 dans Sois belle et
tais-toi, de Marc Allégret, au côté d’Alain Delon. Pressenti pour les Tricheurs, il se fait doubler
par Laurent Terzieff, tandis qu’il se débat dans les cordes, traîne dans les bars, fréquente un
Paris canaille.
Attiré par ce fanfaron qui fait trembler les murs officiels, Godard le contacte. La première
rencontre se déroule mal : le réalisateur suisse ne quitte pas ses lunettes noires, promène un
bizarre accent traînant. Il propose au jeune homme un court métrage dans une chambre.
Bebel y va les poings serrés. Puis, c’est A bout de souffle. Entre les scènes, Jean Seberg dort
dans une Cadillac blanche. Le film sort en mars 1960. Une aube triomphante se lève : «
Décontraction teintée de laisser-aller, pointe de provocation baignant dans un humour
constant », résume son biographe, Philippe Durant, Jean-Paul Belmondo s’impose, du jour au
lendemain, comme une figure de la Nouvelle Vague. Grâce à lui, dira son ami Jean Rochefort,
« des physiques particuliers sont devenus plausibles ».
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Écrit par Bertrand de Saint Vincent
Mercredi, 15 Juin 2011 00:00
Courtisé en Italie, il serre dans ses bras les plus belles femmes du monde, Sophia Loren, Gina
Lollobrigida, Claudia Cardinale ; puis retrouve Godard dans Une femme est une femme
(1961), Melville, dans Léon Morin prêtre (1961) ou le Doulos (1962). Le réalisateur au chapeau
l’effraie. Il est aussi austère que lui est agité. Mascotte des intellectuels, Belmondo secoue son
carcan. Dans Un singe en hiver (1962), devant la caméra de Philippe de Broca, il se frotte au
«Dab », Jean Gabin. Jouer est un plaisir, une libération, un étourdissement physique. Il
effectue lui-même ses cascades, dont une corrida avec les voitures, parce qu’il le fait aussi
dans la vie. Devant, comme derrière la caméra, il est lui-même.
Fêté de toutes parts, il part au Brésil en 1964 et tourne l’Homme de Rio, puis rejoint Verneuil
pour 100000 dollars au soleil. Ses films sont des succès, il s’éprend pour de vrai d’une James
Bond girl, Ursula Andress, retrouve Godard dans Pierrot le fou (1965). Sur scène comme en
coulisses, il fait le grand écart. Incorrigible. Tour à tour « tendre voyou » en 1966 et « voleur »
en 1967, il cajole une panthère dans le Cerveau (1969), de Gérard Oury, joue à contre-emploi
avec Catherine Deneuve dans la Sirène du Mississippi (1969), de François Truffaut : sacrée
carte de visite qu’il n’exhibe jamais. En 1970, il donne la réplique à Delon dans Borsalino. Les
deux stars s’épient, se braquent comme des gangsters. Belmondo n’assiste pas à la première
du film qui fait un tabac. Il refuse un rôle scabreux dans le Dernier Tango à Paris, de
Bertolucci, préfère les Mariés de l’an II (1971), de Rappeneau. Sa vie est une suite de
rebondissements.
La comédie l’amuse, il la prend au sérieux : « Quand il sourit, on ne peut rien lui refuser », dit
Alain Resnais, qui l’engage pour Stavisky (1974). L’oeuvre est étrillée à Cannes. Les critiques
professionnels ne supportent pas de voir « le Magnifique » frayer avec les penseurs.
Belmondo s’en moque. Il court, se fêle un os sur le tournage de Peur sur la ville (1975), meurt
en 1981 dans le Professionnel, pulvérise le box-office en 1982 avec l’As des as.
AU MILIEU des années 1980, il retrouve un vieil ami : le théâtre. Mis en scène par Robert
Hossein, il incarne Kean dans l’adaptation qu’a faite Jean-Paul Sartre de la pièce d’Alexandre
Dumas, Kean ou Désordre et génie. Il jette de sa loge un journaliste qui lui demande avec
dédain comment « le Guignolo » peut endosser les habits de Dumas, revisité par Sartre :
pauvres guignols. La générale est un triomphe. Sur une plaque en or, sa mère lui fait graver
cette réplique : « Moi, monsieur, je ne descends de personne. Je monte ! » Elle le connaît
bien. Bebel s’adapte, pleure pour Lelouch dans Itinéraire d’un enfant gâté (1988), refuse un
césar trop tardif : « Le public, explique-t-il, est le seul jury qui puisse nous accorder des
distinctions ; nous n’existons que par lui et pour lui. » Bel uppercut au foie des participants au
bal des prétentieux. Interprète du rôle-titre de Cyrano sur les planches en 1990, il achète le
théâtre des Variétés. Au cinéma, de jeunes réalisateurs le sollicitent – Leconte, Klapisch, Blier
–, tandis qu’une génération d’acteurs, dont Jean Dujardin est le flambeau, lui voue un profond
respect.
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Écrit par Bertrand de Saint Vincent
Mercredi, 15 Juin 2011 00:00
Le 30 novembre 1999, il s’effondre pour la première fois sur scène ; deux ans plus tard, l’alerte
est plus sérieuse. Victime d’un accident vasculaire cérébral, il s’écroule dans sa salle de bains.
La suite est cruelle. Il vit au ralenti : « Comme tu es beau… assis », lui glisse Rochefort à
Cannes ; Marielle essuie une fausse larme. Belmondo sourit, avec panache. On dirait qu’il est
heureux, il est capable de l’être.
A lire Belmondo de Philippe Durant, Editions Robert Laffont, 526 pages, 22,80 €.
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