La tour du roi, prison de Jeanne d`Arc au Crotoy
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La tour du roi, prison de Jeanne d`Arc au Crotoy
ANNÉE 1934. 2 E TRIMESTRE. BULLETIN TRIMESTRIEL DE SOCIÉTÉ LA DES ANTIQUAIRES DE PICARDIE AMIENS IMPIUMEKIE YVEKT ET G Au SIÈGE DE LA SOCIÉTÉ Musée de Picardie 46, R u e 1934 I E des Trois-Cai!loux LA TOUR DU ROI Prison de Jeanne d'Arc au Château du Crotoy p a r M. Adrien HUGUET, Membre titulaire résidant. Le séjour de Jeanne d'Arc au Crotoy relève de l'une des phases les plus émouvantes mais aussi les plus obscures de la vie de la Libératrice. Les recherches de l'histoire n'ont pu projeter jusqu'ici que peu de lumière sur cette station de son calvaire. C'est ainsi que la date et les circonstances du départ d'Arras pour la forteresse anglaise de l'embouchure de la Somme, la durée de la détention, sont inconnues. Toutefois, ce séjour est établi par un témoignage irrécusable. C'est celui de Jeanne d'Arc elle-même. Interrogée au procès, le jeudi 1 Mars 1431, sur saint Michel, elle déclara que l'archange lui était apparu au Crotoy pour la dernière fois. (1). A son arrivée sur les bords de l'estuaire picard, la plus grave des préoccupations qui eussent affligé ses heures de solitude à Beaurevoir et à Arras, s'était évanouie. Elle était rassurée sur le sort de ses fidèles amis de Compiègne. Son propre er (1) Jeanne répondit : « Quod non vidit ipsum beatum Michaelem postquam recessit a Castro de Crotoy ». QUICHERAT, Procès ER de Jeanne d'Arc, t. 1 , p. 89 ; M. PIERRE CHAMPION, Procès..., t. 1 , p. 67 ; t. I I , p. 60. ER — 394 — destin était devenu le juste sujet de ses alarmes depuis qu'elle avait été livrée aux mains des officiers du roi d'Angleterre. Une figure consolatrice et bienfaisante, un auxiliaire providentiel qu'elle dut accueillir avec l'allégresse qui la transportait lors des apparitions de ses messagers célestes, vint éclairer et adoucir les rigueurs de sa captivité. Si l'on en croit un témoignage du procès de réhabilitation, un noble clerc, maître ès-arts et licencié en décret de l'Université de Paris, chanoine chancelier de la cathédrale d'Amiens, avait été enfermé avant elle en la citadelle pour avoir conspiré contre la domination anglaise en Picardie. Jeanne rencontra le vénérable prisonnier. Il célébrait la messe au château et la captive assistait souvent au sacrifice divin. Ce prêtre l'entendit en confession. Plus tard, il affirma qu'elle était bonne chrétienne, de très grande piété, et fit un solide éloge de sa pénitente. L'assistance spirituelle de ce héraut de paix et de charité releva le courage de la fille inspirée et soutint sa volonté héroïque. (1). (1) Cette étude est reproduite ici telle qu'elle a été lue au Congrès historique, littéraire et artistique du V Centenaire de Jeanne d'Arc, à Rouen, Hôtel des Sociétés Savantes, séance du 27 Mai 1931, tenue sous la présidence de M. Jean des Vignes Rouges. On trouve de plus amples renseignements sur les circonstances qui ont précédé la rencontre de Jeanne et du chancelier, dans Jeanne d'Arc au Crotoy, par A. Huguet, notice publiée par le Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie, année 1928, III et IV trimestres, et signalée à la séance de l'Académie e e e — 395 — Le capitaine du château était Raoul Bouteiller, bailli de Rouen, le chevalier anglais qui s'était emparé, après un long siège, de la petite ville picarde le 3 Mars 1424. Il avait pour lieutenant Gaultier Cressinier, écuyer. (1). Tels sont les faits acquis à l'histoire sur des témoignages écrits contemporains. Ceux qui nous ont été transmis par les généra- des Inscriptions et Belles-Lettres du 27 Décembre 1930 par M. Antoine Thomas, membre de l'Institut (Voir Comptesrendus des séances). Sur Nicole de Quiefdeville, cf. M. Antoine THOMAS, Jeanne d'Arc au Crotoy, dans le Journal des Savants, Décembre 1930, p. 447, sur les origines normandes de Nicole de Quiefdeville : Notes sur Nicole de Quiefdeville, confesseur de Jeanne d'Arc au Crotoy, Bulletin trimestriel de la Société des Antiquaires de Picardie, 4 trimestre 1930 ; Nicolas de Quiefdeville, chancelier de la cathédrale d'Amiens et Guillaume de Quiefdeville, ambassadeur de Charles VII, étude communiquée à l'Assemblée générale de la Société de l'Histoire de Normandie, le 12 Mai 1931, par M. P. Le Verdier, Président, Imp. A. Laine, Rouen, 1931 ; sur la déposition du chevalier picard Aymon de Macy : QUICIIERAT, Procès de réhabilitation de Jeanne d'Arc, t. III, pp. 120 à 123 ; sur ce personnage : Un seigneur du Ponthieu, témoin au procès de réhabilitation de Jeanne d'Arc, Aymon de Monchy, seigneur de Massy, par Adrien Huguet, Abbeville, 1930. Le témoignage d'Aymon de Monchy se trouve confirmé dans une certaine mesure par un document de l'époque, le mandement du roi du 24 Mai 1436, qui établit de façon indiscutable que Quiefdeville fut prisonnier « ès ville du Crotoy et de Calais » pendant deux ans, et cela cinq ans « ou environ » avant lesdites lettres. e (1) Raoul Bouteiller, capitaine du Crotoy pendant la captivité de Jeanne d'Arc, par Adrien Huguet, dans le Bulletin de la Société d'Emulation d'Abbeville, année 1930, pp. 235 à 287. — 396 — tions suivantes ou parla tradition ne sont qu'interprétations indécises et douteuses. (1). La bonne Lorraine dut être enfermée plusieurs semaines au Crotoy, peut-être près d'un mois Sa présence certaine à Rouen n'est constatée qu'à la date du jeudi 28 Décembre 1430 (2). L'incertitude des historiens s'étend jusqu'à la prison elle-même, car les données qu'on possède sur l'architecture, la structure et l'état de La forteresse au XV siècle sont incomplètes. Un château existait au Crotoy dès le XII siècle. (3). Ruiné vers 1346, il fut rebâti e e (1) Les visites des femmes d'Abbeville, l'itinéraire du Crotoy à Rouen rapportés par le P. Ignace ne sont pas historiquement prouvés. En 1907, j'ai utilisé, le premier, les heures des marées dans la, baie de Somme en Décembre 1430 pour déterminer approximativement la date du départ, en faisant intervenir certaines nécessités du voyage. Il est impossible, bien entendu, de fonder la moindre assurance sur cette base fragile. Mes hypothèses de 1907, pour le 18 ou le 2 0 , gardent toute leur vraisemblance, et concordent avec l'Arrivée de Jeanne d'Arc à Rouen, de M. le commandant Bailly-Maître, Longuyon, 1932, mais je tiens, une fois de plus, à renouveler les prudentes réserves que j'exprimais en 1907, en ramenant à sa juste valeur l'élément d'approximation « heures des marées ». Le Passage de Jeanne d'Arc dans le Vimeu, Décembre 1430, Saint-Valery-sur-Somme, 1907. e r (2) QUICHERAT, Procès..., t. I . (3) Dès 1184, affirme-t-on. PRAROND, Histoire de Cinq Villes et de Trois cents villages, Le Crotoy, Paris, 1 8 6 1 , p. 152 ; Recueil de documents inédits de l'Histoire du Tiers-Etat, par Aug. Thierry et Ch. Louandre, Paris, 1870, t. I V ; PORPHYRE LABITTE, Projets d'amélioration de la Somme et de ses ports, Amiens, 1874, p. 1. Le château existait sûrement au XIII siècle : M. CLOVIS BRUNEL, Recueil des actes des comtes de Ponthieu, Paris, 1930, e — 397 — de 1360 à 1366, par ordre du roi d'Angleterre. En cette dernière année, les travaux n'étaient pas terminés. (1). C'était un carré flanqué de quatre grosses tours en grès à créneaux et à plateformes, sans toit. Les murailles fort épaisses, étaient maçonnées, au moins à leur base, en galets de mer avec un mortier extrêmement dur. Des vestiges de cet appareil subsistaient encore au commencement du XIX siècle. On accédait à l'intérieur, du côté des champs, e p. 3 0 8 . Florentin Lefils en attribue la construction à Jean, comte de Ponthieu, qui l'aurait fait édifier vers 1150 ; Mélanges, Paris, 1859, p. 3 2 9 ; mais ce renseignement est basé sur une note erronée de Traullé, Abrégé du commerce d'Abbeville. (1) DE BELLEVAL, Chronologie d'Abbeville, pp. 1 1 3 et 196. Philippe d'Estraiecle et Anne Maline, sa femme, vendent une portion de terrain comprise dans l'enceinte du château que «l'on bâtit». Du 1 Juin 1366. Les comptes du Trésorier des domaines du Ponthieu et de Montreuil (que le traité de Brétigny avait rendus en fief à Edouard III et qu'il conserva de 1360 à 1369), ont été retrouvés par M. Eugène Desprez, archiviste. Parmi ces comptes figurent ceux de la construction du château du Crotoy. Le procès-verbal de la séance de la Société des Antiquaires de Picardie du 9 Février 1 9 1 0 (Bulletin de la Société.... de 1910, 1 trimestre, p. 2 4 1 ) , et l'exposé annuel des travaux de la même Société de l'année 1924 (Bulletin de la Société... pp. 2 1 0 et 3 6 8 ) , mentionnent la communication de ces comptes où l'on trouve le montant des salaires, le nombre des ouvriers employés, les prix et nature des transports par terre et par eau, les prix et nature des matériaux, etc. « C'est le seul exemplaire d'un compte complet de construction féodale, auquel il ne manque rien, pas même la dimension de la petite cloche pour appeler les ouvriers ». Il est regrettable que ces importants documents n'aient pas été publiés. er er 2 — 398 — c'est-à-dire au Sud-Est, par un pont-levis, entre deux ponts dormants, franchissant un fossé rempli d'eau par les marées. Sur la face opposée, l'ouvrage s'appuyait aux murs de la ville et n'en était séparé que par un double fossé sur lequel une passerelle était jetée. Le côté tourné vers le Nord-Est donnait suides marais qui longeaient les murs de la petite cité où s'ouvrait la Porte du Pré. Plus loin, se disséminaient quelques maisons basses formant un petit faubourg au-delà duquel s'étendaient les dunes incultes disposées en garenne. Les terrains sablonneux et spongieux du rivage avaient été jadis abandonnés par la mer. On les appelait « les Petites Communes », parce qu'ils appartenaient à la communauté d'habitants. Les Crotelois y menaient paître les bestiaux depuis le premier Avril jusqu'au dernier Octobre de chaque année, suivant l'usage des lieux, et ils jouissaient de ce droit en vertu d'une charte du comte de Ponthieu de l'an 1209, sur laquelle ils étayaient leurs revendications dans leurs démêlés au sujet du pâturage avec les communautés voisines ou avec le seigneur. (1 ). (1) Ils l'invoquèrent en dernier lieu en 1781, lors d'une contestation entre le comte d'Artois, prince apanagiste du comté de Ponthieu, d'une part, le comte d'Hodicq, l'un des seigneurs du canton, et vingt-deux communautés d'habitants, d'autre part. Collections de décisions nouvelles relatives à la jurisprudence, par Denissart, 1786, t. IV, p. 754. Mais, à cette époque, la charte de Guillaume, comte de Ponthieu, de 1209, était perdue depuis longtemps. Les bourgeois du Crotoy avaient été rétablis dans leurs privilèges par une autre charte de Philippe VI de Valois, du 6 Décembre 1346. CHÂTEAU DU CROTOY Entrevue de Jacques d'Harcourt et de Raoul Bouteiller (1423). Miniature extraite des Chroniques de Monstrelet. Bibliothèque Nationale, manuscrits français 2679, f° 20. — 399 — Le quatrième côté, vers le Sud-Ouest, faisait face à Saint-Valéry et à la baie de Somme, et il était baigné par la mer. A un léger coude du rivage, la lourde masse de grès dressait sa farouche architecture. Depuis des siècles, les rafales et les lames qui s'épuisaient à la flageller de leurs outrages n'étaient parvenues qu'à la revêtir de la patine impalpable que dépose à la longue la rude caresse des embruns. Elle avait grand air, sous le ciel gris et terne de l'estuaire, et c'est par une heureuse quoiqu'imparfaite association d'images que Lenglet-Dufresnoy l'a comparée à la Bastille de Paris ; car, si le faubourg Saint-Antoine a vu longtemps se profiler sur ses rues l'ombre des huit tours de la célèbre prison d'Etat, il n'a jamais connu les assauts vertigineux des vagues. Les renseignements topographiques qui précèdent sont tirés : 1° Des pièces d'archives du XV siècle publiées par de Beauvillé dans ses Documents inédits sur la Picardie (1), et par Charles Bréard dans Le Crotoy et les armements maritimes des XIV et XVe siècles. (2). 2° Des descriptions des ingénieurs du roi, dont la plus ancienne est celle du sieur Maupin, dressée à l'intention du cardinal de Richelieu, en l'année e e (1) Paris, 1860, t. Ier, p. 136. (2) Amiens, 1902, pp. 187 et suiv. — 400 — 1634, publiée pour la première fois par de Beauvillé dans l'ouvrage qui vient d'être cité. (1). 3° Des documents iconographiques et topographiques parvenus jusqu'à nous. Les derniers sont les plus précis. L'image rend les objets plus sensibles ; elle est expressive, plus frappante que la meilleure description. Or, les exposés des documents écrits contemporains sont succincts et confus. La plus ancienne vue de la citadelle est une jolie miniature des manuscrits des chroniques de Monstrelet, formant tête de chapitre, représentant l'entrevue de Jacques d'Harcourt et de Raoul Bouteiller, non vers la mi-Octobre 1423 comme l'indique le chroniqueur, mais le 5 du même mois où les jours précédents, sous les murs de la ville. Il n'est pas possible, hélas ! d'attribuer à l'enlu- ( 1 ) « Le Crotoy est un chasteau de quatre grosses tours, avec une fausse braye, qui n'est bon qu'à servir de sentinelle... ». MAUPIN. Il faut noter, parmi ces sources : Mémoire du seigneur a" Infreville, 1639, B. N. fonds français, 8 0 2 4 ; Rapport du Chevalier de Clerville, B. N. M Golbert, n° 122 ; Remarques de Gobert, 1665, Dépôt des Cartes et plans du Ministère de la Marine, Carton 2 0 - 2 , n° 1 ; Mémoire sur les côtes entre Honfleur et Dunkerque, par de Chazelles, Ibid. carton 2 0 - 2 , n° 18 ; Mémoire de G. Cocquart, ingénieur, 1738, B. N. M français 8 8 1 3 ; Autre Mémoire de Cocquart, Ibid. 12.037 ; Autre Mémoire de Cocquart, Arch. départementales de la Somme, C/1501. On trouve quelques extraits de certains de ces mémoires dans Projets d'amélioration, de la Somme, op. cit., pp. 7 à 15. ss s — 401 — e mineur du XV siècle un grand souci d'exactitude. (1). On peut étudier le château du Crotoy sur l'estampe de Claude Chastillon, topographe du roi, portant pour titre : Sainct-Valéry port de mer et pais adjacent, qui date des environs de 1610. Au dernier plan, au-delà de la baie de Somme, se remarque la ville du Crotoy avec la ligne de ses fortifications, son château à quatre tours, dont deux sont surmontées d'échauguettes. Elle a été cotée, par une erreur de gravure, « Le Tréport ».(2). Un croquis de Joachim Duwiert, au trait léger, daté de 1611, conservé au Cabinet des Estampes, porte l'indication Le Crotoy - Saint-Valery. Il offre le développement à peu près complet des remparts de la petite cité et montre la forteresse prise de biais, avec trois tours bien distinctes et une qua(1) B. N. Manuscrits français 2679, f° 20. M. Georges Durand, en publiant dans le Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie (année 1923, n° 3, p. 225), La plus ancienne vue de la Cathédrale d'Amiens, a fait remarquer avec raison « que la plupart du temps les anciens artistes meublaient leurs compositions d'édifices imaginaires. » Il semble que ce soit le cas pour le document qui vient d'être signalé, car rien n'y rappelle la forme du château du Crotoy. Mais l'auteur ajoute : « il n'est pas inouï de rencontrer dans les miniatures, à la fin du moyen âge, la représentation de monuments existants ». La vue de la cathédrale d'Amiens en est un exemple. La miniature des M de Monstrelet, avec ses nombreux personnages aux curieux costumes, ses murailles aux formes diverses, n'en est pas moins d'un véritable intérêt. (2) Reproduite en lithographie dans l'Histoire de Saint- Valéry, par M. l'abbé Caron, Abbeville, 1893, frontispice, et plus exactement par M. Pierre Dubois dans la revue Notre Picardie, année 1906, p. 42, puis dans Saint-Valery de la Ligue à la Révolution, par Adrien Huguet, frontispice. ss CROTOY Dessin de Joachim Duwiert (1611), Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes, V 23, f° 123. LE — 403 — trième dont on n'aperçoit que le sommet couronné d'une guérite. (1). En 1670, l'ingénieur P. F. Ferry, chargé de la démolition des fortifications de la ville de Rue, adressa un rapport à Colbert sur l'état de conservation du château du Crotoy et y joignit un plan et un devis des travaux de réparations jugés nécessaires. (2). Ferry fit à cette occasion un beau dessin dont le cartouche central porte pour légende : Veue du Chasteau du Crotoy et S Vallery-surSomme. C'est certainement la représentation la plus parfaite qu'on connaisse du vieil édifice féodal. Cette précieuse esquisse est entourée d'un ornement qui figure un cadre sculpté. Au milieu de la base se place un écusson ovale chargé d'une couleuvre posée en pal, ce qui ne laisse aucun doute sur l'intention de flatterie dissimulée sous cette discrète dédicace. Le château apparaît, vu du côté des champs, avec ses quatre tours crénelées, entouré d'une braie. A gauche, un cartouche indique la distance du Crotoy à SaintValery ; à droite, un autre cartouche contient le plan des fortifications. L'exactitude de ce document, dressé quatre ans exactement avant la démolition de la forteresse, est rigoureuse. (3). t (1) Reproduit ci-contre. (2) FLORENTIN LEFILS, op. cit., p. 178. (3) Collection de M. Ernest Schytte, ancien secrétaire perpétuel de la Société des Antiquaires de Picardie. Ce dessin a été reproduit pour la première fois dans Saint-Valery de la Ligue à la Révolution, hors texte, page 5 7 2 - 5 7 3 , et dans le Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie, 1928, 3 et 4 trim., pp. 714, 7 1 5 , hors texte. e e — 404 — Le rapport de Ferry au ministre n'eut pas l'heureux résultat que son auteur en attendait peut-être. En 1674, l'antique construction militaire fut condamnée. La poudre à canon fit sauter tours, courtines et braies. Tous les barils d'explosifs accumulés dans les sapes n'éclatèrent pas à la fois, car, près de deux siècles plus tard, en 1838, M. Desgardins, maire du Crotoy, ayant fait déblayer les ruines pour édifier sa maison sur leur emplacement, en découvrit plusieurs parfaitement conservés. (1). Aujourd'hui, le frêle feuillage des clématites et des glycines d'une propriété d'agrément recouvre de son ombre transparente les fondations ensevelies d'un édifice qui, s'il nous avait été conservé, serait comme l'une des reliques de la patrie. Un autre ingénieur, le sieur de la Vallée, est l'auteur d'un plan du Crotoy daté du 21 Mars 1710. Ce relevé présente un indiscutable intérêt par le tracé de l'enceinte de la ville, mais l'élévation du château, exécutée trente-six ans après le démantèlement, n'offre pas les garanties d'exactitude qu'on est en droit d'exiger. La forme générale de la construction, avec les quatre tours cornières, est toutefois respectée. (2). (1) LEFILS, op. cit., p. 180. (2) Florentin Lefils a reproduit l'élévation du château, négligeant le plan des fortifications de la ville, dans Le Crotoy, Paris, 1 8 6 1 , lithographie hors texte, p. 3 7 . C'est tout ce qu'on a trouvé sur le Crotoy pour orner l'édition illustrée de la Jeanne — 405 — Enfin, il faut mentionner, dans cette nomenclature, le Plan de la ville du Crotoy à l'époque de ses fortifications et de son château, œuvre de l'architecte Pinsard, membre de la Société des Antiquaires de Picardie, lithographie en 1891. Cette consciencieuse et patiente reconstitution fut menée à bien à l'aide du cadastre, du plan du sieur de la Vallée, de 1710, d'un autre plan du Ministère de la guerre, un peu postérieur en date et des restes des fortifications encore visibles sur place. L'auteur n'a pas eu connaissance du dessin de Ferry. La comparaison de son relevé du château avec celui figurant au coin droit de l'esquisse de l'ingénieur du xvu siècle, n'en offre qu'un plus grand intérêt. Leur concordance, à peu près complète, donne la mesure du crédit qui doit leur être accordé. Plusieurs auteurs, F.-C. Louandre (1), René de Belleval (2) et Charles Bréard (3), entre autres, mentionnent l'existence d'un donjon dans l'enceinte. Le donjon formant une petite forteresse enfermée dans la grande était un mode de défense usité dans le Nord de la France au XIII siècle, e e d'Arc de Wallon. Ce plan a été publié dans son ensemble, en hors texte, par Adrien Huguet, Jeanne d'Arc au Crotoy, op. cit., p. 30. Bulletin de la Société des Antiquaires, 1928, 3 et 4 trim., hors texte, pp. 734-735. (1) Histoire d'Abbeville et du comté de Ponthieu, Abbeville, 1845, t. II, p. 339 ; Ibid., 3 édition, Abbeville, 1883, t. II, p. 318. (2) Chronologie d'Abbeville, p. 113. De Belleval, seul, précise « au centre » de l'enceinte. (3) Op. cit., Avant-propos, p. III. e e e — 406 — mais aucun des auteurs cités n'appuie cette opinion d'une indication de date ou de référence. Les pièces d'archives du XV siècle ne laissent en rien soupçonner la présence d'un édifice de ce genre au temps de Jeanne d'Arc et les dimensions restreintes de la cour intérieure en font apparaître l'existence comme moins que problématique. La plupart des historiens se sont gardés de reproduire cette affirmation et, écartant unanimement l'avis isolé de l'ingénieur Cocquart, qui attribue au castel la forme d'un pentagone, ils se sont contentés, en général, de l'indiquer comme formé d'une enceinte carrée, flanquée de quatre tours d'angles. De Beauvillé, le premier, a donné les noms des tours en publiant un compte de serrurerie du 30 Juin 1463. On trouve, dans ce mémoire, une dépense de douze sols pour trois ploutres (c'est-àdire trois serrures), à boche et à verreil (à bosse et à verrous), « servant tant à la tour du Molin dudit chastel, comme à la tour de la Brasserie et à la tour Gobelin ». La quatrième tour n'est pas nommée ; mais immédiatement après, l'on rencontre cette autre mention d'un intérêt tout particulier : « Et pour ung autre gros ploutre à boche et à verreil, servant à l'une des prisons dudit chastel, x s. » (1). Il y avait donc au moins deux prisons. Et l'on ne e er (1) Documents inédits..., t. I , pp. 135-136. — 407 — dit pas dans quelle tour se trouvait cette prison où l'on met un « gros ploutre ». La distinction entre deux fournitures d'objets de même nature, bien que de prix différents, semble intentionnelle et est significative. Le rédacteur a voulu montrer que le deuxième débours concerne spécialement les prisons et s'applique à la fermeture d'un local non situé dans l'une des trois tours précédemment nommées. S'il s'était agi de l'une d'elles, la dépense aurait passé avec celles des autres ploutres. On a cru pouvoir, grâce à la distinction qui vient d'être indiquée, fixer la situation des prisons dans la quatrième tour, non dénommée. Pour la commodité des descriptions, elle a été appelée « tour des prisons », appellation d'espèce, qui ne se découvre dans aucun texte contemporain, mais qui semble correspondre exactement à la destination réelle de partie de l'ouvrage, comme on le verra tout à l'heure. L'auteur de l'Histoire de Cinq villes, Ernest Prarond, paraît avoir été le premier à adopter cette conclusion. (1). Depuis, il a été suivi par plusieurs auteurs locaux. (2). Il est hors de doute que la tour du Moulin était nommée ainsi, soit qu'elle abritât un moulin à bras, soit qu'elle fut voisine d'un moulin à cheval (1) Op. cit., Nouvel appendice, p. 424. (2) HUGUET, Jeanne d'Arc au Crotoy, p. 31 ; PIERRE DUBOIS, Le Crotoy-Plage, Guide illustré, Rue, 1929, p. 5. — 408 — pour les besoins de la garnison. Elle devait loger les réserves en grains et en farines. (1). La tour de la Brasserie contenait les cuves? futailles et provisions en malt, houblons et autres ingrédients permettant de confectionner, suivant l'usage local, bière blanche, petite ou double. Pour la commodité du brassage, elle se trouvait tout près de la citerne hexagonale mesurant quarantequatre pieds de circonférence et huit pieds de hauteur, environ (2), et on l'appelait aussi quelquefois pour cette raison « tour de la citerne ». Les documents publiés par Charles Bréard disent que l'une des tours servait à loger « la provision de bois » (3). Il s'agit, vraisemblable(1) Un moulin à eau fut construit, à un certain moment, sur un petit cours d'eau qui traversait la prairie, à quelque distance de la place. Voir le plan de La Vallée. Si petite qu'ait pu être cette distance, elle était encore trop grande pour que le moulin ait donné son nom à une tour plutôt qu'à une autre. Il y a plutôt lieu de supposer que la forteresse, avec four et brasserie, possédait aussi son moulin et était ainsi « parée » pour les sièges qui ne lui manquèrent pas. P. DUBOIS, Le Crotoy, dans la revue Notre Picardie, année 1906, p. 9. s (2) Sur sa forme hexagonale, B. N. M français 25.089-234. Certification de Pierre Hairon, maître des ouvrages du roi et du duc de Bourgogne, du 14 Novembre 1463, délivrée à Jean Martin, charpentier à Rue : «... C'est assavoir pour sa peyne et salaire d'avoir taillé, charpenté et assis à la cyterne du chastel du Crottoy, six solles, six puyes, cincq croisies, six coulombes, six pans et l'uisserie avec pour avoir fait fœuillier 1 X IIII aiz de quesnes comme es huis, fenestres, planchiers et autres ouvraiges fais aud. chastel... » etc. Sur les dimensions, cf. DE er BEAUVILLÉ, op. cit., t. I , pp. 135, 136. (3) BRÉARD, op. cit., p. 193. — 409 — ment, de la tour Gobelin (1), car la quatrième, dont il sera parlé dans un instant, portait un nom qui la désignait pour d'autres usages et qui la mettait à l'abri d'une destination semblable. Il existait donc au château, des prisons, situées suivant la coutume du temps dans une tour, et il est à croire qu'un ou deux étages de cette tour étaient réservés à cet emploi. La qualité de certains prisonniers exigeait que des « chambres » fussent aménagées de telle sorte qu'on pût dire que les détenus, comme la Pucelle à Beaurevoir et à Arras, étaient en « prison honorable ». ( 1 ) On ignore l'origine de ce nom. Battue par les flots, il est possible qu'elle ait été ainsi appelée à cause du lutin ou démon familier des légendes maritimes et des contes populaires picards. Il y avait aussi, à Abbeville, sur les remparts, un ouvrage — tour ou corps-de-garde — appelé « de Gobelin ». LE P. IGNACE, Histoire ecclésiastique d'Abbeville, p. 6 1 . Autre exemple assez voisin : après la ruine du château de Briost (aujourd'hui SaintChrist-Briost, canton de Nesle, arrondissement de Péronne) par le duc de Bourgogne en 1472, et sa démolition définitive en 1626, un gobelin s'était réfugié dans les dépendances. « Dans l'ancienne ferme du château de Briost, habitait jadis un gobelin. La tradition locale rapporte qu'il fouettait le domestique qui se couchait le dernier, et qu'il aidait de sa puissance merveilleuse celui qui se levait le plus matin ». ABBÉ CORBLET, Glossaire du patois picard, au mot gobelin. Le château de Fougères possédait aussi une tour « du Gobelin », qui flanquait, avec deux autres, l'enceinte triangulaire du donjon. Elle renfermait les cheminées et était plus haute que les autres. D'après une opinion accréditée, c'était la tour du Revenant. Le mot a encore actuellement cours, en ce sens, en patois normand. On se sert du verbe « gobeliner » pour dire « faire le revenant pour effrayer les gens ». C'est à tort, semble-t-il, que Fl. Lefîls a dit que la Bastille de Paris avait aussi sa tour Gobelin. Le Crotoy, p. 38. — 410 — Des prisonniers illustres avaient précédé Jeanne d'Arc au Crotoy. Pour s'en tenir au XV siècle, il suffira de rappeler que Pierre Fresnel, évêque de Noyon, s'étant déclaré du parti d'Orléans, y fut conduit en captivité en 1411. (1). Jean VII, comte d'Harcourt et d'Aumale, fut retenu en prison fermée — avec quelques égards apparemment — par son cousin Jacques d'Harcourt, comte de Tancarville, capitaine du château. (2). Un prince du sang, Jean de Valois, duc d'Alençon, parrain du dauphin Louis, tombé au pouvoir des Anglais à la bataille de Verneuil, en 1424, fut envoyé au e (1) Annales de l'église-cathédrale de Noyon, par Jacques Le Vasseur, 1633, t. II, p. 1013. Après avoir mentionné la participation des évêques de Noyon aux luttes des partis, l'auteur écrit : « Nostre Fresnel s'intéressa aussi en ce tumulte civil, et se déclara pour le parti d'Orléans, estimant demeurer dans le service du Roy. Mais, comme les deux armées vinrent fondre à nos portes en l'année 1411, celle du duc d'Orléans à Chauny, l'autre à Ham, qui fut par luy ravagée, comme le plat pays ruiné, ledit Fresnel comme estant du parti contraire, fut pris prisonnier, et mené au Crotoy, d'où il ne sortit qu'au moyen d'une excessive rançon ». Sur cette captivité, voir aussi DEVÉRITÉ, Histoire du comté de Ponthieu, t. I , p. 263. er (2) Ce dernier avait vu avec regret le comté d'Aumale passer au parti du roi Henri V d'Angleterre. Il conçut le projet audacieux de s'emparer par surprise du transfuge retiré dans son château des bords de la Bresle, « atout son état », dit Monstrelet. Il réussit à accomplir ce coup d'audace à la tête d'une soixantaine d'hommes déterminés. Après avoir laissé une garnison dauphinoise au château d'Aumale, il partit en toute hâte pour le Crotoy, monté sur un bon cheval fauvel à courte queue, qu'il avait eu dans sa part du butin. Chroniques de Monstrelet, chap. 187; Mémoires de Pierre de Fenin, éd. Dupont, p. 101 ; R. DE BELLEVAL, La Journée de Mons-en-Vimeu, Paris, 1861, p. 4 ; La Grande Guerre, Paris, 1862, p. 354. — 411 — Crotoy par Bedford. Il fut taxé à six livres par jour, ce qui indique un régime de faveur et ce qui laisse deviner des commodités de logement et de nourriture. (1). Le château se trouvait ainsi préparé pour recevoir de façon séante la jeune guerrière que les Anglais estimaient à un si haut prix. Lui assigna-t-on pour logement l'un des locaux qui avaient reçu quelques années auparavant l'évêque de Noyon, le comte d'Aumale et le compagnon d'armes qu'elle appelait son « gentil duc » ?.. Le vieil historien abbevillois Jacques Samson — autrement dit le Père Ignace de Jésus-Maria — connut cette prison debout. Après l'avoir visitée, il écrivait en 1657, dans son Histoire des Comtes de Ponthieu et des Maieurs d'Abbeville : « On void encore la Chambre où elle couchoit, qui retient depuis ce temps-là quelque respect lorsqu'on y entre »... (2). Le mot « chambre » dont se sert le Père Ignace, exclut le sombre cachot ou la casemate sordide qu'on se représente trop volontiers. Les broderies dont l'auteur a enjolivé la scène attendrissante des femmes d'Abbeville venant visiter l'illustre (1) Chroniques de Monstrelet, t. IV, p. 241. Un otage du Crotoy, livré aux Anglais en 1423, Jean Sarpe, écuyer, seigneur de Saint-Maulvis, et retenu à Saint-Valéry, n'était taxé qu'à vingt sols tournois par jour. Raoul Bouteiller, capitaine du Crotoy, op. cit., p. 252. (2) Histoire généalogique des comtes de Pontieu..., Paris, 1657, p. 491. — 412 — captive, peuvent à bon droit paraître hasardeuses ; on n'a aucune raison, par contre, de le suspecter d'imposture lorsqu'il ne parie que de ce qu'il a vu. Les souvenirs de ce religieux concourent à faire croire que Jeanne a bénéficie du sort commun aux prisonniers considérables. Rien ne permettait, jusqu'ici, d'attribuer à chacune des tours le nom lui revenant exactement. Il n'en est plus de même aujourd'hui. Des documents inédits du XV siècle, d'un grand intérêt, ont été découverts dans les Manuscrits français de la Bibliothèque Nationale. Ils sont de première importance pour l'histoire de la fortification en général, et du château du Crotoy en particulier, car il s'agit d'un projet très complet de reconstruction des braies ordonné en Avril 1469 par le duc de Bourgogne. Le traité de Péronne venait de procurer à Charles le Téméraire, au mois d'Octobre 1468, d'inappréciables avantages, mais il n'avait qu'une faible confiance dans les engagements solennels de son habile et rusé partenaire. Il avait décidé d'édifier une deuxième enceinte plus massive et plus forte, avec quatre tours de coin en fer à cheval, couvrant le pied de la place et la protégeant contre les batteries de l'ennemi. Cette braie devait avoir deux cents e — 413 — pieds de côté (1), le château en ayant quatrevingt-seize (2), le tout étant sensiblement au carré. L'auteur de la découverte, M. le commandant Bailly-Maître, dont les recherches sur Jeanne d'Arc et son époque, servies par une érudition et une persévérance inépuisables, ont été si fructueuses, a bien voulu me communiquer copie de ces pièces en me laissant le soin de les utiliser. Je suis heureux de lui exprimer tous mes remerciements pour cette marque de confiance et de confraternel désintéressement. (3). Je ne retiendrai ici que deux documents qui éclairent d'une clarté toute nouvelle la situation respective des quatre tours d'angles. Le premier est une quittance d'Amand Milon, maître des ouvrages de Charles le Téméraire, du 12 Septembre 1463. Sa date est donc postérieure de deux mois et demi seulement au compte de serrurerie publié par de Beauvillé. Comme ce dernier, il mentionne trois tours, mais il les nomme différemment. Le rapprochement des deux documents est particulièrement démonstratif. (1) Soixante-cinq mètres. (2) Trente-et-un mètres vingt centimètres. (3) On doit à M. le commandant Bailly-Maître une étude très remarquée, intitulée La Tour Saint-Gilles, prison de Jeanne d'Arc au château de Rouen (20 Février-30 Mai 1431). Paris 1929, Extrait du Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1928; d'autres encore, non moins intéressantes :l'Arrivée de Jeanne d'Arc à Rouen, le Château de Philippe-Auguste, et le Supplice du feu à l'époque de Jeanne d'Arc, Longuyon, 1932 ; l'Aide pour l'achat de Jeanne d'Arc, d'Août 1430, Documents inédits, Paris 1933, etc. 3 — 414 — Le second est un devis pour la reconstruction des braies, daté du 15 Mai 1469. Celui-ci relate la visite du duc de Bourgogne au mois d'Avril précédent. Philippe de Crèvecœur, seigneur d'Esquerdes et de Lannoy, le futur maréchal de France de Louis XI, est alors capitaine de la ville et du château (1). Le duc Charles ordonne « que les anchiennes brayes qui sont autour dud. chastel et les trois bolvers de boys qui nagaires y ont esté fais, seront abatus et démolys ». Des palissades avaient donc renforcé, déjà auparavant, le corps de place sur les trois faces autres que la face vers la ville, en avant des fossés, suivant un usage adopté assez fréquemment par les ingénieurs ou maîtres des ouvrages des XIV et XV siècles. Telles étaient, à n'en pas douter, les dispositions de la ceinture de la place, au temps de Jeanne d'Arc. Ce devis, accompagné d'un « patron », c'est-àdire d'un plan qui, malheureusement, ne nous est pas parvenu, spécifie formellement que le duc « a volu et ordonné iceulx ouvrages estre commencez incontinent aprez sadite ordonnance... au lez vers les champs, entre la tour de la cisterne et le tour Gobelin... » (2). e e (1) Comme capitaine des places du Crotoy et de Rue, il recevait chaque année sept cent vingt livres parisis sur les deniers de la recette du receveur général de Ponthieu ; quittance à Jean de Saint-Lot, dit Le Gaigneur, du 1 Août 1475. B. N. Cabinet des titres, P. 0. 932. (2) B. N. M français, 26.092-810. er ss — 415 — Ce dernier renseignement est de portée considérable, car il permet de saisir le fil imperceptible qui conduit d'une tour à l'autre. Le duc veut que les constructions commencent du côté où le vieil édifice féodal est le plus exposé aux attaques de l'ennemi. Ce point vulnérable est le « lez vers les champs ». Sous les deux faces du castel exposées au Nord-Est et au Sud-Est, s'étendent les prairies qui conduisent à la garenne du roi, aux dunes et aux champs. Edouard d'Angleterre avait jadis donné tous ces terrains au comte de Ponthieu moyennant une redevance annuelle de seize livres tournois, et ils étaient alors ainsi désignés : « toutes les dunes du Crotoy, si avant qu'elles s'étendoient, en long et en large, du castel du Crotoy jusques à la croix de Baharmer ». (1). Incontestablement, ce qu'on entend, en 1469, par le « lez vers les champs », ce sont les deux faces opposées au côté vers la ville et au côté vers la mer. Pour parvenir à assigner un nom à chacune des tours, il est nécessaire de s'aider du plan de Charles Pinsard, de numéroter chaque ouvrage de 1 à 4, en commençant par la tour au Sud, tournée vers (1) E. PRAROND, Op. cit., p. 155 ; F. LEFILS, Histoire du Crotoy, p. 6 7 . Le « Baharmer », connu plus tard sous le nom de « Barre-mer », est un banc de galets rattaché à celui dont le relief est encore sensible jusqu'à Rue, en passant par Mayoc et Saint-Firmin. Il en formait l'extrémité méridionale, recourbée en crochet vers le Sud-Est. Le Crotoy est assis sur ce banc. DEMANGEON, La Picardie, Paris, 1905, p. 172. LA TOUR DU ROI Prison de Jeanne d'Arc au Crotoy Légende. 1 TOUR GOBELIN, Tour du côté de Sainl-Valery (Documents Déprez, 1360-1369), TourGobelin (30 Juin 1463), Tour cornière vers Saint-Valery (12 Septembre 1463), Tour Gobelin (15 Mai 1469). 2 TOUR du MOULIN, Tour réunie à la précédente par un mur à hauteur du 2 étage (Déprez, 1360-1369), Tour du Moulin (30 Juin 1463). e 3 TOUR de la BRASSERIE (30 Juin 1463), Tour cornière vers la ville, qui reçoit par un noc de 90 pieds de long les eaux de la Tour du Roi (12 Septembre 1463), Tour de la Citerne (15 Mai 1469). 4 TOUR du ROI (12 Septembre 1463). — 417 — Saint-Valéry et la baie de Somme, et en suivant le sens du parcours des aiguilles d'une montre. Les deux tours marquant l'extrémité de la prairie portent les noms de tour de la Citerne et de tour Gobelin, d'après le document de 1469. La difficulté est de les distinguer l'une de l'autre. Les données du devis dont l'exécution fut confiée au sire d'Esquerdes ne permettent pas de les reconnaître, mais pour arriver à une parfaite concordance avec tous les renseignements contenus en la quittance de 1463, il faut, de toute nécessité, appeler le numéro 1 tour Gobelin, et le numéro 3 tour de la Citerne. Celle-ci s'enfonce profondément, sur le plan de Ferry comme sur celui de Pinsard, dans l'avant-fossé qui sépare la braie de la ville. En 1463, la tour dite « vers la ville », reçoit par un conduit spécialement aménagé à cette fin, les eaux de la terrasse de la tour anonyme. On ne s'expliquerait pas la raison pour laquelle on aurait alors détourné les eaux de pluie d'une tour sur une autre, si cette dernière n'avait pas été à même de les absorber à l'aide d'un réservoir souterrain. « Tour de la Citerne » et « tour vers la ville » ne font donc qu'une seule et même tour. La quittance d'Amand Milon porte trace de l'établissement d'une « buisine » — en langage picard un tuyau de descente — (1) servant à jeter (1) Buise (Ponthieu), busine (Amiénois), du roman buisine. ABBÉ GORBLET, op. cit. au mot buise. Voir aussi Patois boulonnais comparé avec le patois du Nord de la France, par le chanoine Haigneré, Boulogne-sur-mer, 1903, au mot « buise », p. 97. — 418 — les eaux de « la tour cornière vers Saint-Valéry » jusqu'en la cour du castel. La tour cornière vers Saint-Valéry, c'est la tour Gobelin. Si l'on n'a pu diriger ses eaux jusqu'en la citerne, c'est qu'elle lui est opposée et qu'elle en est séparée par la diagonale. Au contraire, on pose un noc de quatre-vingtdix pieds de long, entre la tour du Roi et la tour cornière vers la ville, pour déverser les eaux de la première jusqu'à la citerne. Quatre-vingt-dix pieds, c'est exactement la distance d'une tour à l'autre. La tour du Roi est donc voisine de la tour vers la ville, ou de la Citerne, ou pour mieux dire de la Brasserie (ainsi appelée par le document de Beauvillé). La même pièce contient acquit du salaire dû pour une échauguette nouvellement posée sur la terrasse de douze pieds de diamètre en œuvre de la tour du Roi. Les noms des tours se placent maintenant d'eux-mêmes sous les numéros qui ont été assignés à celles-ci. La tour cornière vers Saint-Valéry, différente de la tour du Roi et de la tour vers la ville (ou tour de la citerne) — puisque toutes trois sont nommées dans le même document — est celle qu'en 1469 l'on appelle tour Gobelin, à laquelle le numéro 1 a été donné. La tour appelée successivement vers la ville, de la Citerne et de la Brasserie, appartient obligatoirement au numéro 3, car le fer à cheval de la — 419 — braie est le seul qui soit enclavé, à droite et à gauche, entre les murs de la cité. On ne saurait admettre que la tour du Roi puisse revenir au numéro 2, jouxtant l'extrémité de la ville, vers la mer, puisqu'elle est opposée, dans la pensée d'Armand Milon à « la tour vers la ville ». Il convient donc de l'octroyer au numéro 4 ce qui concorde avec sa situation à quatre-vingtdix pieds de la précédente. Il ne reste plus de choix pour le numéro 2, qui doit s'appeler nécessairement tour du Moulin. La tour du Roi, dont le nom est resté jusqu'ici inconnu, et qu'on appelait dans les ouvrages d'histoire « tour des prisons » faute de désignation plus sûre, placée entre les tours Gobelin et de la Brasserie, se trouvait ainsi la plus avancée vers les champs. Ce nom était généralement donné à la principale tour, à la plus haute, là où la seigneurie était au roi. A Provins, par exemple, celle bâtie sur le point culminant de la ville, s'appelait tour de César, tour du Roi, ou de Notre sire le Roi. La plupart des fiefs du domaine de Provins en relevaient. Au Crotoy, la seigneurie — à part quelques droits revenant à l'abbaye de Saint-Riquier — appartenait aussi au roi, comme comte de Ponthieu. Le dauphin Charles avait été investi de ce comté par Charles VI, le 17 Mai 1419. Le chef- — 420 — lieu était le château où résidaient les capitaines. (1). C'était au château que venaient autrefois les vassaux des fiefs servants porter foi et hommage. La tour féodale, la maîtresse tour, représentait le chef-lieu, et, comme telle, n'avait jamais été démolie. C'est pourquoi elle était appelée aussi « Vièse tour ». (2). Ainsi, non seulement l'achat d'un gros ploutre en 1463 pour les prisons de la quatrième tour et la destination utilitaire donnée aux trois autres par les documents de Beauvillé et Charles Bréard s'accordent pour réserver la tour anonyme (tour du Roi) aux prisons, mais son nom significatif la désigne encore comme la tour principale, celle qui, partout en Picardie (à Péronne, à Ham, à Mailly, etc.) était le siège de la salle des plaids, avec, au-dessous dans la plupart des cas, au-dessus plus rarement, les chambres des prisonniers. (3). Ce faisceau de renseignements d'une authenticité non douteuse est convaincant. Le document disant expressément que la tour du Roi est la prison de Jeanne d'Arc fait défaut, mais toutes les apparences — fondées sur un ensemble de concordances impressionnantes — la désignent néanmoins comme telle. (1) G. DE WITASSE, Géographie historique du département de la Somme, Abbeville, t. I , p. 564. er (2) BRÉARD, op. cit., p. 192. (3) Les Prisons de Picardie, par Darsy, Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie, t. XXVI et 6 de la 3 série, 1880, p. 338. Tous les exemples cités par l'auteur sont des prisons sises au-dessous de la salle d'auditoire ou de justice. e e — 421 — La destinée de la noble fille des champs, que ses rêveries transportaient si souvent vers les régions agrestes du pays lorrain, vers les clairières du Bois Chesnu et les charmilles du verger paternel, témoins de ses premières extases, l'aurait donc désignée pour être enfermée, au Crotoy, comme à Rouen, in quadam turri versus campos, dans une tour vers les champs. La conception romantique de l'histoire que se faisaient les auteurs du commencement du XIX siècle, leur goût du pittoresque, leur lyrisme interprétatif, ne leur permettaient pas de supposer que Jeanne, amenée sur les bords de l'Océan, n'ait pas eu sa cellule orientée vers le large, dans une tour battue par les flots déchaînés. Ils voyaient la jeune captive, accoudée à une lucarne, interrogeant le ciel et la mer qui s'unissaient à l'horizon en une nappe fluide dans les moires du couchant. Michelet lui-même, chez qui les facultés intuitives de l'imagination ont trop souvent voilé le sens critique cependant si aigu, écrivait : « De là, elle voyait la mer, et parfois distinguait les dunes anglaises, la terre ennemie, où elle avait espéré porter la guerre et délivrer le duc d'Orléans. (1). Le grand historien, qui unissait « le mysticisme d'un voyant à l'enthousiasme d'un prophète », selon le mot d'un de ses biographes, est allé un peu loin. Il a voulu dire, sans doute, que Jeanne e (1) Histoire de France, Paris, 1879, p. 234. — 422 — aperçut les côtes d'Angleterre avec les yeux de l'esprit, car la distance qui les sépare du Crotoy, au point géographique le plus rapproché, ne permet pas de les distinguer avec la meilleure jumelle. Le génie conjectural d'Henri Martin s'est excité sur le même sujet: « Le séjour au Crotoy, dans ce donjon d'où elle pouvait promener au loin ses regards sur les grèves mélancoliques de la Somme et sur la mer brumeuse — s'écrie-t-il — avait été le dernier répit de Jeanne, sa dernière halte sur la route du Calvaire ». (1). Ces exemples, qui venaient des sommets de la littérature, ont entraîné des imitateurs. La poésie s'en est mêlée, et l'auteur de la Voie sacrée a cru pouvoir mettre l'héroïne et la mer face à face et les engager dans un vibrant dialogue, où tous les secrets d'harmonie, toutes les hardiesses verbales des Parnassiens prennent un libre essor. (2). Jeanne d'Arc en la tour du Roi, c'était, au contraire, le morne spectacle des pâturages salés et de la campagne de Rue s'offrant sans cesse à sa vue ; c'était, à sa droite, le fond de la baie où venaient s'engouffrer deux fois par jour les eaux tumultueuses des marées, mais que le jusant transformait en une vaste plaine désolée dont les (1) Histoire de France, Paris, 1861, t. VI, p. 247. (2) ERNEST PRAROND. La Voie Sacrée, Paris, 1887. L'auteur de Jeanne d'Arc au Crotoy, le Confesseur de la Pucelle, marchant dans la voie qui lui était tracée, a écrit : « L'orientation de la chambre où elle couchait lui permettait de promener ses regards vers la mer... », p. 40. — 423 — sables désertiques, sans verdure et sans joie, semblaient balayés par un désastre. C'était aussi, à l'horizon, le fleuve dévalant d'Abbeville, avec les flots de lumière du soleil levant, d'une marche tranquille et grave, entre les petits coteaux aux contours arrondis, entre les futaies bleues dont les harmonieuses ondulations festonnaient les deux rives. De la plus haute archère de la tour du Roi, la mer n'était pas visible. L'histoire perd un peu de son relief, mais elle garde encore une certaine puissance évocatrice. Le tableau qui nous montre Jeanne d'Arc les yeux fixés vers l'Orient, priant Dieu pour la France et son roi, quand les lueurs de l'aurore, dans un ciel d'espérance, éclairaient son réveil et lui apportaient une caresse de gloire, n'est pas dépourvu d'un certain symbolisme, puisque le martyre de la fille céleste devait bientôt faire lever, comme une aube, le sentiment de patrie. APPENDICE I. « Je Amand Milon, maistre des ouvraiges de monseigneur le duc de Bourg ou pais d'Artois, confesse avoir eu et reçeu de Jehan de Tenremonde, dit le besghe, conseiller de mondit sgr et son receveur général de Pontieu, par les mains de Ysidore le pesqueur, la somme de huit vingts dix-huit livres seize solz de xl gros monn. de flandres la livre, Que deubz m'estoient par mondit sgr le duc pour les parties d'ouvraiges par moi fais, parfais et acomplis ou chastel du Crotoy en le manière déclerée cy-après, C'est assavoir pour avoir mis et assiz dedens ledit chastel une maison de bois conten. vingt-quatre piez de long et seize piez de large à trois parois, chacune de treize piez de postel, portans trois piez d'incuvement, à ung faurain soustenu par devant sur bracons, de laquelle maison avoir faicte et parfaicte parmy le façon des planchiers, les huis, fenestres, latte, couverture de thieulle, planchier et solivement, Avec ung grant four et une cheminée oudit planchier à fonder ledit four sur la gueulle d'un chelier qui sont nécessaires oudit chastel pour faire la cuisine d'icelluy, m'estoit deu par mondit sgr qui me a tauxé et estimé monter par maistre Jehan de lauesne, maistre charpentier, à pierre Mondine — 425 — on dier, maçon cômis à la vizita des autres ouvraiges par moy fais oud. chastel et en la conté de Pontieu, à la somme de I I I I lt. Item, pour avoir fait et couvert de neuf plonc depuis le tour du Roy jusques à la tour cornière vers la ville pour éviter le pourreture des murs et alées dudit chastel, ung noc conten. quatre-vingtz dix piez de long par lequel les eaues qui deschendent de la nouvelle terraiche de ladicte tour du Roy chieent dedens la cisterne dudit chastel. Item pour avoir mis une buisine de neuf plonc conten. cinquante piez de long servant à gecter lesd. eaues qui deschendent de lad. tour cornière vers Saint-Walery en la court dudit chastel, Item sur le planchier de l'escharguette qui est sur icelle tour, avoir fait une ter_ raisse de plonc de dix piez de laize en croisine souldée ainsi qu'il appartient. Tous lesquels ouvraiges de plommerye dessus déclarez tant buises que terraisses avoient esté estimez par lesd. maistres Jehan de Lavesne et pierre Mondidier avec pierre Héron, maistre des ouvraiges en pontieu, à deux milliers de plonc, corne par la visita desd. ouvraiges par moy fais aud. pontieu, rend, par eulx en la chambre des comptes à lille appartient, Et pour ce que led. ouvraige requeroit estre plus grant et plus ample qu'il n'estoit devisé, iceulx deux milliers de plonc ne ont peu furnir ne acomplir lesd. ouvraiges, ains y ay mis et employé douze cens de plonc oultre et par dessus led. advis, valent au pris de quarante solz le cent X X X on — 426 — en bloc la sôme de l XIIII lt. Item pour chacun cent de fondaige parmi l'assiette huit solz valent la somme de XII lt. XVI s. Item pour un cent de souldure que j'ay mis et employé esd. ouvraiges de plommerye au pris de dis huit deniers pour livre mise en œuvre, valent VII 1. x s. Et pour ma peine et salaire d'avoir fait sur l'escharguette qui est sur lad. tour du Roy ung planchier de bois estoffé de sommiers et d'aisselles portans douze piez en croisie sur lequel l'en a fait la terrasse dessd. la sôme de IIII lt. x s. Lesquelles parties d'ouvraiges declerez cy-dessus par moy avoit fais et parfais bien et deuement, montent ensemble à lad. somme de huit vingtz dix-huit livres seize solz dite monnoie, dont je tiens content et bien payé, Et en quicte et prometz acquitter mondit sgr le duc, sondit R et tous autres qu'il appartiendra. Tesmoing mon seing manuel cy-mis le XII jour de septembre l'an mil CCCC soixante-trois. » « A. MILLON. » Bibliothèque Nationale. M français 26089-211. r s — 427 — II. « Il a esté ordonné par mon très redoubté seigneur, monsgr le duc de Bourgoingne, luy estant derrenièrement en son chastel du Crotoy, qui fut ou mois d'avril l'an mil IIII c I xix, faire à sond. chastel les ouvrages et fortiffications tant de machonnerie, charpenterie, comme autrement est cy-aprez déclériez : « Primes, « A esté ordonné que les anchiennes brayes qui sont au tour dud. chastel et les trois bolvers de boys qui nagaires y ont esté fais, seront abatus et démolys... » Le duc spécifie « que les nouvelles brayes, tours et bolvers de pierre qu'il a ordonné y estre faites se édiffieront et feront » de la façon suivante : « lesquelles brayes seront fondées à cincquante deux piez (1) de la muraille dud. chastel, suians la lingne et escarie d'icelles, contenant chacun quartier deux cents pieds de long ou environ ». Chaque mur des nouvelles braies, de la longueur susdite de deux cents pieds, aura quinze pieds d'épaisseur, douze pieds de fondation en terre et vingt-six pieds de hauteur hors du sol, « sans y comprendre les avantpilz ». Dans chacun des murs, « fondez et molonnés de blance pierre et de cailleux », on ménagera « une voye creuse de quatre piez ». Les voies creuses et le pavement des ouvertures appelées « canonnières » seront « par (1) Seize mètres quatre-vingt-dix centimètres. — 428 — devant œuvre » faits « de blanche bricque de hollande ». Le parement de la muraille se fera « par dehors l'œuvre à deux endroix de quareaulx de grès sertis bien et souffissement d'achelers (1) et de boutis (2), c'est assavoir lesd. boutis de cincq piez à autre, et par spécial au près des terres aussy hault que la mer peut avenir, de la meilleure matière et la plus jointisse que faire se pourra pour le batement de lad. mer, et lesd. quarreaulx, boutis et aisseliers fais de bonne taille et molonnez de bricques et cailleux à rencontre d'iceulx. » Des indications précises sont données pour la construction des tours d'angles de la braie, reliées aux tours cornières par des ouvrages de deux pieds d'épaisseur : « Item, à chacune quarre desd. murs sera faicte et aura une grosse tour massiche à fachon de fer à cheval de seize piez d'espoisse et dix piez de creulx, qui font quarantedeux piez en croizye, et dix piez plus haultes que les murailles dessusdictes. Lequel creulx ne se clora point du lez devers led. chastel, mais sera conduit de deux murailles de deux piez d'espoisse jusques à chacune tour cornière d'icelluy, montans aussy hault que les allées, fondées, mollonnées, et les parements fais comme dessus ». Les autres articles du devis prévoient la construction d'allées avec huisseries pour parvenir aux canonnières, en indiquant à quelle distance de (1) Acheter ou achelier, madrier, pièce de bois de charpente. (2) Boutis ou boutils, sorte de poutre. — 429 — terre celles-ci seront pratiquées ; celles du côté de la mer devront être placées « au-dessus de toutes eaux ». Les avantpilz auront trois pieds d'épaisseur ; « les fenestres d'iceulx de vingt piez à autre raprofondiz pour y advenir, et au millieu aura une archière ; et se couvreront iceulx avantpilz de huit piez de hault de tables de grez, ensamble les allées du mur et les degrez qui se feront à jour à l'environ dud. chastel ». «A trois piez, près desdites allées seront molonnez lesd. murs tout de cailleux pour mieulx résister contre les pleuves et gelées avec la couverture du pavement qui sera faict en la manière dessusdite ». « Et au regard de certaines ouvrages, tant de charpenterie, hucherie, comme autrement, nécessaires estre parfais ès tours, salles, chambres et autres pluiseurs édiffices de sond. chastel, Il a volu et ordonné, comme dessus, iceulx estre fais et acomplys et y emploier des deniers qu'il assignera pour convertir et emploier esd. nouveaulx ouvrages jusques à la somme de six cens livres de x l. gros. « Fait soubz le seel et saing manuel de nous, Phle de Crevecoeur, seigneur d'Esquerdes et de Lannoy, chlr, conseiller, chambellan de mon très redoubté sgr Monsgr le duc de Bourgoingne, et cappitaine de sond. chastel et ville du Crotoy, le XV jour de may l'an mil IIII c soixante neufz. (Signé ) « PHE DE CREVECUER ». Bibliothèque Nationale, M français 26092-810. me s 4