la comédie des ogres - E

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la comédie des ogres - E
La Comédie ²de$ ²ogre$ Texte : Fred Bernard -­ Illustrations : François Roca Acte ²premier i Scène ²première *R\DO·RJUH² &p]DQQHO·RJUHVVH « Et de un ! Et de deux ! Et de trois ! »
/D YRL[ pQRUPH GH *R\D UpVRQQH GDQV FHWWH IRUrW G·XQ DXWUH kJH 8QH FKRXHWWH
FXULHXVHYLHQWVHSRVHUVXUXQHEUDQFKHDILQG·REVHUYHUce qui se trame ici-­ bas.
« 4X·HVW-­ ce que tu fabriques encore au lieu de peindre ? demande Cézanne.
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Je dois agrandir la maison. Vermeer pousse jYXHG·±LO. Il a pris quarante centimètres ce
mois-­ ci.
Oui, et il vient de faire sa soixante-­ treizième dent. Et sais-­ tu ce que le loup mettra sous
O·RUHLOOHUGHQRWUHSHWLWFHWWHIRLV ? ajoute Cézanne.
Après la hache magique, le couteau en
corne de licorne, les bottes en peau de
EDOHLQH«QRQMHQHYRLVYUDLPHQWSDV
Vermeer souhaite que le loup lui offre un
SHWLW«
Cézanne hésite.
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Et bien, Cézanne ? fait le père en fronçant
les sourcils. Un petit quoi ?
Un enfant, lâche la mère. Un petit
G·KRPPH
QUOI ! KXUOH*R\DHQGpUDFLQDQWXQDUEUHG·XQFRXSGHSLHG . Il me rendra fou, ce gosse !
&·HVW WURS GDQJHUHX[ G·DOOHU KRUV GH OD IRUrW 2Q Q·HQ VRUW SOXV depuis belle lurette et les
KRPPHVQ·\HQWUHQWSOXV8QHQIDQWF·HVWLPSRVVLEOH !
Fais-­ le pour Vermeer : pour notre seul et unique ogrillon », supplie Cézanne en prenant la
main de son mari accablé.
Lexique Ce qui se trame : ce qui se prépare
Depuis belle lurette : depuis bien longtemps
$YXHG·±LO : très rapidement
Accablé : découragé
Acte ²premier i Scène 2 *R\DO·RJUH² &p]DQQHO·RJUHVVH² 9HUPHHUO·RJULOORQ
/DFKRXHWWHHVWSHUFKpHVXUOHUHERUGG·XQHIHQrWUHGHODPDLVRQGHVRJUHVHWMHWWH
XQ ±LO j O·LQWpULHXU 9HUPHHU GDQV VD FKDPEUH GHYHQXH WURS SHWLWH GpFRXYUH XQH
cage VRXV VRQ RUHLOOHU 8Q HQIDQW G·HQYLURQ KXLW DQV V·\ UHFURTXHYLOOH SOXV IXULHX[
TX·DSHXUp
« YAAAHOU ! »
Le cri de joie de Vermeer fait vibrer toute la maison. Cézanne arrive, suivie de Goya.
« Alors "4XHOFDGHDXW·DDSSRUWpOHORXSFHWWHIRLV ? GHPDQGHODPqUHO·DLUGHULHQ.
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Un enfant ! Exactement ce que je voulais 8QS·WLWJDPLQG·KXPDLQ !
2K TX·LO HVW PLJQRQ GLW &p]DQQH HQ V·DSSURFKDQW GH OD FDJH. Ca fait une éternité que je
Q·HQDYDLVSDVYX
Et moi, jamais ! crie Vermeer surexcité. Il est génial ! »
Goya chuchote à sa femme :
« 8QHFKDQFHTX·LOOXLSODLVH-HQ·DLSDVYUDLPHQWFKRLVL/HJDPLQSrFKDLWjODOLVLqUHGHODIRUrW
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Il faut lui trouver un nom, reprend la mère. Comment vas-­ WXO·DSSHOHU9HUPHHU ?
Je ne sais pas, moi.
-(0·$33(/LE PAUL ! »
Les ogres éberlués VHSHQFKHQWVXUO·HQIDQW vert de rage.
Lexique Vibrer : trembler
Ca fait une éternité : ça fait très longtemps
Eberlué : très étonné
Acte ²premier i Scène 3 9HUPHHUO·RJULOORQ² Paul, le garçon
La chouette suit Vermeer portant sa cage dans la forêt.
Paul hurle :
« Sors-­ moi de là !
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-HSHQVDLVTXHOHVSHWLWVG·KRPPHVQHSDUODLHQWSDVFRPPHOHVELFKHVRXOHVFKRXHWWHV
Bon, tu me dévores maintenant ou tu me laisses partir ?
Je ne peux pas, Paul. Tu es le cadeau du loup pour ma soixante-­ treizième dent. Et je ne te
PDQJHUDLSDV0DLVMHSRXUUDLV«5HJDUGH ! »
Vermeer ouvre une bouche énorme et déjà pleine de dents.
« -·DLHXXQFDGHDXGLIIpUHQWSRXUFKDTXHQRXYHOOHGHQW ! -­
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&·HVt pas banal, rétorque Paul en faisant la moue.
2K PDLV M·DL ELHQ FRPSULV ,O VXIILW TXH MH GLVH j PDPDQ FH TXH MH YHX[ HW OH ORXS PH
O·DSSRUWH5HJDUGHFHTXHM·DLHXSRXUPDVRL[DQWH-­ douzième dent : des bottes en peau de
baleine &·HVW WUqV UDUH GH QRV jours, précise-­ t-­ il $ FDXVH GHV KRPPHV RQ Q·RVH SOXV
sortir de la forêt, et la mer est loin du côté du soleil levant0RLMHQ·DLMDPDLVYXODPHU dit-­
il tristement.
7XYHX[O·HQWHQGUH ?
Qui ?
La mer.
7XWHILFKHVGHPRL3DXO&·HVWLPSRVVLEOH ! La mer est trop loin. On ne peut pas ! »
Lexique Faire la moue IDLUHXQHJULPDFHPRQWUHUTX·RQQ·HVWSDVFRQWHQW
Du côté du soleil levant : du côté où le soleil se lève
Acte ²premier i Scène 4 La chouette sent que Paul va défier 9HUPHHUHWYLVLEOHPHQWoDO·LQWpUHVVH
« Vermeer, le Chant de la MerMHO·DLGDQVPDSRFKH ! »
Vermeer boude, bras croisés, perplexe :
« &HQ·HVWSDVSRVVLEOH »
Paul sort un coquillage de sa poche, le porte à son oreille et dit doucement :
« Et il est doux le Chant de la Mer, plus beau encore que celui du vent dans les arbres. » Vermeer se dérideV·DSSURFKHHWV·H[FLWHVXELWHPHQW :
« Fais voir ! Donne, donne, donne-­ moi ça !
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Hé, hé, hé ! Pas question &·HVW 021 SRUWH-­ bonheur ! Ou alors, à une condition : tu me
laisses rentrer chez moi, Vermeer.
Tu plaisantes ! Vermeer éclate de rire : tu as vu la taille de mon pied ? Si je veux, je
W·pFUDERXLOOHHWMHO·DXUDLSRXUPRLWRXWVHXOOH&KDQWGHOD0HU
Tu as peut-­ être de gros pieds, dit Paul, mais iOVQHW·DLGHURQWMDPDLVjYRLUODPHUVDQVPRL
(FRXWHMHW·HPPqQHGLVFUqWHPHQWYRLUODPHU7XIDLVVHXOOHFKHPLQGXUHWRXUHWPRLMH
UHQWUHFKH]PHVSDUHQWVHWPDSHWLWHV±XU
-HQ·DLSDVOHGURLWF·HVWLQWHUGLWGHVRUWLUGHODIRUrW« Le jeune ogre se retient de crier et
regarde par-­ dessus son épaule.
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7LHQV9HUPHHUpFRXWHG·DERUG&·HVWXQFRTXLOODJHLOYLHQWGXIRQGGHODPHU »
Avec douceur et fébrilité, Vermeer porte le coquillage à son oreille. Il écoute, écoute encore, son
YLVDJHV·DSDLVH ; il sourit et verse une larme :
« JE VEUX Y ALLER !
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Quand tu veux, Vermeer ! »
Rideau
Lexique Défier ODQFHUXQGpILjTXHOTX·XQ
Perplexe : qui ne sait pas trop quoi penser
Se dérider : devenir plus gai, sourire
Avec fébrilité : avec excitation
La Comédie ²de$ ²ogre$ Texte : Fred Bernard -­ Illustrations : François Roca Acte 2 i Scène ²première 9HUPHHUO·RJULOORQ² Paul, le garçon ² Les soldats du seigneur ² Le lieutenant
Loin de la forêt, dans la prairie, la couette survole un chemin de terre. Il y a de la
SRXVVLqUHHWGHODSHXUGDQVO·DLU9HUPHHUHVWHQFKDvQpVXUXQFKDULRWWLUppar des
E±XIV3DXOFRXUWVHVF{WpV7RXWDXWRXUGHVVROGDWVHQDUPHVVRQWPHQpVSDUXQ
chef qui hurle ses ordres.
« -HWHMXUHTXHMHQ·\VXLVSRXUULHQ-DPDLVMHQHW·DXUDLVWHQGXXQSLqJH-HQ·DLTX·XQHSDUROH
Vermeer !
Paul crache dans la poussière et Vermeer grogne.
« Fais-­ moi confiance, insiste Paul déboussolé. Je voulais juste te montrer la mer et rentrer chez
moi.
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&·HVW oD ! siffle Vermeer (W TX·HVW-­ FH TX·LOV IDLVDLHQW WRXV FHV KRPPHV FDFKpV GDQV OHV
fourrés, ils cherchaient des champignons ?
,OVPHFKHUFKDLHQWPRL0HVSDUHQWVV·LQTXLpWDLHQWF·HVWQRUPDO-HVXLVGpVROp9HUPHHU
(WF·HVWQRUPDOTXHMHVRLVligoté comme ça ? Traité comme une bête sauvage ?
(WF·HVWQRUPDOTXHWRQSqUHP·DLWDWWUDSpHWPLVHQFDJHFRPPHXQYXOJDLre moineau ? »
/HOLHXWHQDQWV·DSSURFKHGH3DXO : « Alors ? On pactise avec son agresseur ? Avec ce monstre "7XDVHXGHODFKDQFHGHW·HQVRUWLU
vivant, fiston.
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4X·HVW-­ ce que vous allez faire de lui ?
/·RIIULUDXVHLJQHXUpardi ! Pour son musée des Curiosités. Il a financé tes recherches, le
monstre est à lui. Tu pourras le remercier, fiston. »
3DXODFHVVpGHFRXULUHWUHJDUGHV·pORLJQHUOHFRQYRL
Vermeer appelle de toutes ses forces : « PAUL ! PAUL !
PAUL ! ». Et Paul pleure.
Lexique Déboussolé : perdu
Ligoté : attaché
Pardi : bien sûr
Des fourrés : des buissons
Pactiser VHPHWWUHG·DFFRUG
Financer : payer
Acte 2 i Scène 2 9HUPHHUO·RJULOORQ² Paul, le garçon ² Lou, la petite fille
/DFKRXHWWHHVWSHUFKpHVXUXQHWRXUG·XQLPPHQVHchâteau fort où est emprisonné
9HUPHHU $ WUDYHUV OHV EDUUHDX[ LO UHJDUGH OD PHU HW OHV YDJXHV V·pFKRXHU VXU OD
plage. Soudain il entend, et la chouette aussi, la voix de Paul en bas du château.
« Vermeer ! Je suis là -·DL SDUOpDX VHLJQHXU LO QHYHXW ULHQVDYRLU ,O GLW TXH WX HV ODSOXVEHOOH
pièce de sa collection.
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&·HVWKRUULEOH3DXO ! Tout le monde vient me voir comme une bête curieuse ! Ils disent que
MH VXLV XQ PDQJHXU G·HQIDQWV -H Q·Di jamais voulu te manger, Paul 0RQ SqUH P·DYDLW
prévenu : tous les hommes pensent ça, alors que les ogres passent leur temps à peindre.
Moi aussi, je pensais que tu me mangerais, dit Paul&·HVWFHTXHOHVSDUHQWVGLVHQWjOHXUV
enfants. Ecoute-­ moi et calme-­ WRL9HUPHHUMHWHSUpVHQWHPDSHWLWHV±XU/RX
Enchanté. Mais Paul, dis-­ leur que seuls des ogres fous ou malades ont peut-­ être fait ça, il
y a longtemps. Dis-­ OHXU TXH F·HVW ILQL 'LV-­ leur que je veux rentrer peindre avec mes
parents.
Ce serait WURSORQJ-·DLXQHPHLOOHXUHLGpH2EVHUYHHWpFRXWHODPHU-HUHYLHQGUDLELHQW{W
QHW·LQTXLqWHSDV
Mais Paul -·DLGpMjXQHQRXYHOOHGHQWTXLSRXVVHHWOHORXSQHSRXUUDSDVYHQLUMXVTX·LFL !
Le loup, non ! Moi, si ! A bientôt, Vermeer, termine Paul.
A bientôt, bonne nuit Vermeer, gazouille ODSHWLWHV±XU,ODO·DLUJHQWLOPDLVLOHVWYUDLPHQW
pas joli, ton copain. »
Rideau
Lexique Une collection XQHQVHPEOHG·REMHWVTXHO·RQJDUGH
Gazouiller : parler comme un bébé
La Comédie ²de$ ²ogre$ Texte : Fred Bernard -­ Illustrations : François Roca Acte 3 i Scène ²première Lou, la petite fille ² Paul, le garçon ² Le gardien ² Les créatures ² 9HUPHHUO·RJULOORQ
/DFKRXHWWHDLPHFKDVVHUODQXLWPDLVHOOHV·LQWHUURPSWGqVTX·HOOHDSHUoRLW/RXHW
Paul se faufiler dans le château. Paul fait le guet. Hop ! Lou dérobe les clefs du
gardien assoupi. Ils découvrent toutes sortes de créatures prisonnières : une sirène
défraîchie, un loup-­ garou décrépit, une licorne désenchantée, un elfe dépressif, un
cyclope larmoyant, un cheval ailé déplumé, un Minotaure délabyrinthé et un dragon
pratiquement éteint. Enfin, ils trouvent Vermeer qui écoute et regarde la mer sous
les étoiles.
/RXIDLWVXUVDXWHUO·RJUH :
« Bien dormi, Vermeer ? Dis, tu peins quoi, exactement ?
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&KXW&·HVWSDVOHPRPHQW/RX
Tu avais raison, Paul. La mer, ça calme, F·HVW PHUYHLOOHX[ (W PD VRL[DQWH-­ quatorzième
dent est là ! Vermeer la montre aux enfants. Beurk ! GLW/RXHQUHFXODQWG·XQSDV
Ca tombe bien, reprend PaulM·DLXQFDGHDXSRXUWRL2XSOXW{WGHX[-HVXLVSOXVIRUWTXHOH
ORXSQ·HVW-­ ce pas ?
Paul brandit une clef.
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La clef des champs, Vermeer (WSXLVFHFL«
Paul présente un paquet-­ cadeau. Puis il ouvre la lourde porte.
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Va-­ W·HQ YLWH 9HUPHHU )DLV DWWHQWLRQ j WRL 7X RXYULUDV OH
SDTXHW TXDQG WX VHUDV j O·DEUL GDQV WD IRUrW SDV DYDQW 1H
perds pas de temps. Nous allons couvrir ta fuite.
Vermeer tient le paquet dans ses grosses mains :
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4X·HVW-­ FHTXHF·HVW ?
Pas maintenant, Vermeer -HWHSURPHWVTX·RQYLHQGUDWHYRLU/RXHWPRL%LHQW{W&RXUV
dos à la mer. Cours vite ! »
Lexique Dérober : voler
Faire le guet : surveiller La clef des champs : la liberté
Acte 3 i Scène 2 Lou, la petite fille ² Paul, le garçon ² 9HUPHHUO·RJULOORQ² Les créatures ² Les gardes
Lou, Paul et la chouette regardent, depuis le château, Vermeer se faufiler dans
O·RPEUHGHVUXHVatteindre la prairie et courir à travers champs.
« Maintenant ! ordonne Paul.
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Même lui ? interroge Lou en désignant le loup-­ garou.
Tout le monde, je veux la pagaille totale. Je veux voir toutes les cages ouvertes. Je veux la
liberté totale ! »
(WF·HVWUDSLGHPHQWODSDQLTXHHQHIIHW$OHUWpVpar le raffut, les gardes rappliquent sans savoir
RGRQQHUGHODWrWH,OVQHUHPDUTXHQWSDVOHVHQIDQWVTXLV·pFKappent eux aussi du château.
Lexique Atteindre : arriver à Le raffut : un bruit violent
Rappliquer : arriver rapidement
Acte 3 i Scène dernière 9HUPHHUO·RJULOORQ
La chouette est arrivée la première à la lisière de la forêt. Elle est postée sur un
vieux chêne quand Vermeer arrive à son tour, essoufflé, avec le jour qui se lève.
Vermeer soupire profondément.
6RXGDLQLOSHQVHDXSDTXHWGDQVVDSRFKH,OO·RXYUHGpOLFDWHPHQWHW\GpFRXYUHOHFRTXLOODJHGH
3DXODFFRPSDJQpG·XQSHWLWPRW :
« POUR QUE TU 1·28%/,(63$6/(&+$17'(/$0(53$8/ »
En souriant largement de ses 74 dents, Vermeer porte le coquillage à son oreille.
La chouette a tout vu et tout entendu. Mais elle ne racontera cette histoire à
personne. Même si elle se trouve être le cadeau de la toute première dent de
9HUPHHUFHGRQWLOVHILFKHFRPPHGHVDSUHPLqUHFKDXVVHWWH(OOHQ·HQGLUDULHQ
car, vous le savez, les chouettes ne parlent pas.
Rideau