La grossesse : un tsunami pour la sexualite du couple 2
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La grossesse : un tsunami pour la sexualite du couple 2
LA GROSSESSE : UN TSUNAMI POUR LA SEXUALITÉ DU COUPLE ASSISES FRANÇAISES DE SEXOLOGIE ET SANTE SEXUELLE : LILLE 2009 Dr Patrick LEUILLET Gynécologue, Sexologue, Sexothérapeute Consultant en Gynécologie Psychosomatique Directeur d’enseignement du DIU de Sexologie d’Amiens Université de Picardie, Jules verne LA MATERNITÉ Une « virtualité » faisant partie intégrante du destin, biologique et social de la femme. Une « disposition naturelle » de la femme à la maternité. Ne peut-on pas s’interroger sur le sens réel ou caché de la maternité? Evènement heureux narcissique ? Nécessité sociale ? Fatalité ? Le jargon populaire peut interpeller…! LA MATERNITÉ Pour beaucoup de femmes: « Féminité » et « Maternité » inséparables. Le prolongement indispensable de la féminité. Pour certaines femmes : sexualité et procréation intimement liées LA MATERNITÉ … ATTENTION ! L’expression de la nécessité de la reproduction. C’est une « nécessité sociale ». Tout est fait pour : Promouvoir la bonne santé de la mère et du futur enfant, Préparer la femme à accepter une grossesse socialement enviable. La preuve sociale de l’ existence du couple LA GROSSESSE LA SEXUALITÉ DE LA FEMME ENCEINTE Les travaux classiques de Masters et Johnson * « la parité et le trimestre influent sur les réactions sexuelles de la grossesse » L’Ecole de Willy Pasini de Genève **: « des réactions psychologiques vis-à-vis de la grossesse, classées comme positives ou négatives selon qu’il y ait ou non anxiété, refus ou acceptation de la grossesse, concentration sur le but de la reproduction et annulation de la sexualité » Marc Ganem *** : spécificité, fil conducteur / 4 phases De la conception à deux mois et ½ De 2 mois et ½ jusqu’au début du 8ème mois Le 8ème mois de grossesse Le 9ème mois de grossesse * MASTERS W.H. & JOHNSON V.E., Human Sexual Response, Little, Brown, 1966 ** PASINI W., Sexualité et gynécologie psychosomatique, Masson, Paris, 1974 ***GANEM M., La sexualité des couples pendant la grossesse, Manuel de Sexologie, Masson, 2007 LA SEXUALITÉ DE LA FEMME ENCEINTE M. Bonierbale et collaborateurs *: La personnalité de la femme pour une bonne appréciation de la signification psychodynamique de la sexualité de la grossesse Trois problématiques pouvant interférer sur la sexualité de la femme enceinte: La grossesse, phénomène visible, occulte tout autre type de communication La place accordée à l’enfant à venir dans le désir de la future mère et du couple parental La capacité de la femme à se situer : « semblable » par rapport à sa propre mère « mère » par rapport à son partenaire * BONIERBALE M., KIEFFER N., STENWAGA C., Conduites sexuelles et grossesse, Actualités sexologiques, 2ème série, Masson, Paris, 1981 LE DÉSIR D’ENFANT Notion d’ ambivalence affective, naturelle, évidente et obligée chez toutes les femmes : « Dans le désir d’enfant, il y a toujours une part de non désir. » Cette ambivalence ou « conflit ambivalentiel » se négociera différemment en fonction de chacune : de son histoire infantile et oedipienne, de sa généalogie (parents et grands-parents). Cette notion permet de disposer d’un outil conceptuel efficace pour : comprendre la psychologie des femmes décoder certaines situations cliniques (infertilité, grossesse) ….. La sexualité ! LA « MATERNALITÉ » +++ LE MOMENT DE PASSAGE VERS LA MATERNITÉ Une phase importante du développement psychoaffectif de la femme Les attitudes de la femme face à la grossesse : dépendantes de la structure de la personnalité de la femme variables selon le moment particulier de la grossesse. Tout ceci peut expliquer: Les résultats parfois discordants des ≠ travaux L’extrême variabilité des constatations cliniques LA « MATERNALITÉ » +++ LE MOMENT DE PASSAGE VERS LA MATERNITÉ Les attitudes de la femme, « peuvent aller de la mise entre parenthèses silencieuses au vécu triomphal exprimant la complétude, en passant par l’efflorescence symptomatologique, marque d’ambivalence ». Claude Revault d’Allonnes * « Crise », crise d’identité (adolescence) L’impact de la grossesse sur l’ image du corps L’impact de l’ histoire personnelle de chaque femme sur la trame commune * REVAULT D’ALLONNES Cl, Le Mal Joli, coll. 10/18, 1976 EN PRATIQUE …PENDANT LA GROSSESSE « Tout peut se voir » * / ** / *** : Désir et Pratiques sexuelles De l’apragmatisme sexuel complet à une franche exacerbation de l’activité sexuelle « On se découvre assoiffée de sexe, boulimique de galipettes, en manque de plaisir charnel. Tel un être polymorphe, nous sommes submergées d’un afflux d’excitations, transcendées par tant de stimuli. » H éléna Walther, créatrice du site www.magrossesse.com Habituellement : « Sacrifice contractuel ? » Fréquence et gratification Dans l’intérêt global de la gestation en cours *WAYNBERG J., Guide pratique de sexologie médicale, Simep, Paris, 1994 **R.N.PAULS J.A. OCCHINO V.L. DRYHOUT, Effects of Pregnancy on Female sexual Function and Body Image : A Prospective Study, JSM, Volume 5, Number 8, 2008 *** B. DUO, D-A SOME, S. OUATTARA, N. SIOHO, M. BAMBARA; Sexualité au ours de la grossesse: une enquête de femmes enceintes en milieu urbain africain, Sexologies, Volume 16, N°2, 2007 CONDUITE À TENIR … PENDANT LA GROSSESSE La femme enceinte consulte peu pour parler de sa sexualité … son esprit est ailleurs ! Pas de prise en charge spécifique sexologique : Abstention thérapeutique classique de rigueur Savoir différer après l’accouchement la mise en ordre des problèmes actuels, la grossesse faisant le plus souvent obstacle à la mobilisation de toutes les potentialités au niveau de la fonction érotique. Mais, pas absence de conseils +++ PREVENTION Laisser libre cours à la parole +++ Être à l’écoute de ce que vit réellement la femme dans sa tête et dans son corps notamment au niveau du désir afin de préserver la cohésion du couple. CONDUITE À TENIR … PENDANT LA GROSSESSE Laisser libre cours à la parole +++ Il faut savoir dédramatiser, rassurer, sécuriser. Il faut aider le couple à formuler ses préjugés, verbaliser son anxiété, ses peurs. C’est insister sur: L’apparition des premiers mouvements actifs fœtaux Moment charnière de la relation mère-enfant Permettant le clivage de l’ambivalence de la femme vers une orientation + ou – du processus de « maternalité » (activité sexuelle +) Les « peurs* imaginaires » de la femme et du partenaire : Centrées sur l’enfant (désiré, malformé …) Focalisées sur l’image du corps (grossesse, l’accouchement) La nécessité d’ être à l’écoute de la « solitude » de la femme enceinte qui doit seule, gérer son inquiétude Agitation extérieure …! *The 5th Agitation « intérieure » ? International Congress of Psychosomatic Obstetrics and Gynecology, Nov., 13th - 19th , 1977, Rome CONDUITE À TENIR … PENDANT LA GROSSESSE Ne pas prescrire d’abstinence sexuelle prolongée sans motif réel médical Initier et inviter la femme à une prise de conscience plus spécifique de son corps Fausses couches à répétitions en début de grossesse, Menaces sévères d’accouchement prématuré. Prévention des dyspareunies secondaires à une épisiotomie Ne pas se contenter d’une explication théorique, mais inciter la femme à une exploration personnelle visuelle ou tactile de ses organes génitaux. Surtout, aider le couple à respecter l’évolution du désir de chacun, afin de préserver la cohésion du couple. Ne pas oublier : l’abstinence renforcée voire déclenchée par une réactivation névrotique du futur père. L’ACCOUCHEMENT L’ACCOUCHEMENT Une expérience de séparation corporelle, de rupture : « deuil » « Il lui faut faire le deuil de l’enfant à l’intérieur d’elle-même, pour le retrouver en dehors d’elle-même » Claude Revault d’ Alonnes* La femme va donc devoir faire face à deux courants … « ambivalence » : un négatif de « perte », lié à l’identification à l’enfant, un positif « d’achèvement réussi », qui va mener à la relation directe avec l’enfant. La naissance est « double » … « ambivalence » : Régression et identification à sa propre mère (Celle qui lui a donné naissance) Naissance de la mère de son propre enfant * REVAULT D’ALLONNES Cl, Le Mal Joli, coll. 10/18, 1976 L’ACCOUCHEMENT C’est un traumatisme psychique: La femme subit une double contradiction : Passive: c’est le fait d’accoucher L’accouchement soumet la femme à la volonté de son corps. Active : c’est donner naissance, enfanter Dimension plus psychique Ce double mouvement, accoucher et donner naissance représente : Une rupture: séparation physique entre elle et le bébé Une continuité: l’enfant prends corps et vient s’inscrire dans une généalogie, et subit le poids de la répétition de l’histoire familiale. L’ACCOUCHEMENT L’enfant prend corps: Il n’a pas le corps du désir d’avant. L’enfant de la réalité n’est-il pas toujours décalé par rapport à l’enfant imaginaire. L’enfant imaginaire survit à l’enfant réel. L’expérimentation de la mort : Par la naissance, le bébé expérimente la mort comme la femme se remémore inconsciemment ce qu’elle a vécu elle-même en naissant de sa mère. La naissance est unique et prend sens dans une trajectoire de vie …qui se terminera, d’ailleurs un jour par la mort ! CONDUITE À TENIR … PENDANT L’ACCOUCHEMENT * La prise en charge médicalisée de l’accouchement : Doit avoir à l’esprit toutes ces notions symboliques et psychologiques Ne doit pas être purement technique, oubliant le caractère naturel de la naissance Ne pas « déposséder » +++ , le bébé, la mère, le père de leur aptitude « à naître » ou « à faire naître » Ne pas mettre en état d’incompétence +++ * LEUILLET P., Grossesse et fonction érotique, Entretiens de Bichat, Entretiens des sages-femmes, Expansion Formation et Editions, 2006 LE POST-PARTUM LE POST-PARTUM … PASSAGE À VIDE ! Le post-partum: Pour 30% des femmes, les 3 à 12 premières semaines suivant l’accouchement : Un cruel retour à la réalité quotidienne Une période particulièrement sensible et périlleuse sur le plan de la sexualité véritable « passage à vide », « no man’s land » incontournable du fait de la récupération physique et psychique Les racines sont doubles Le préjudice corporel de la maternité La déstabilisation psychologique spécifique LA NAISSANCE D’UN ENFANT Avoir un enfant place le parent dans un double mouvement identificatoire S’identifier au parent qu’il a eu et au parent qu’il devient S’identifier à l’enfant qu’il a été et à l’enfant qu’il devient maintenant Mettre au monde un enfant, c’est à la fois : Une perte : enfance, enfant imaginaire, propre mère (Acte agressif : la pousser d’une génération → mort) S’affronter à la reviviscence de ses propres conflits infantiles, traumatismes et deuils C’est une situation nécessairement conflictuelle CONDUITE À TENIR … EN POST-PARTUM Prise en charge des suites immédiates de l’accouchement: Soins périnéaux, surveillance bonne cicatrisation périnéale, traitement des hémorroïdes, prévention de la constipation, surveillance et accompagnement de l’allaitement, dépistage précoce et prise en charge des complications, etc… CONDUITE À TENIR … EN POST-PARTUM Prévention des difficultés sexuelles potentielles +++ Pas de reprise des rapports sexuels tant qu’il y a des saignements Prévention de la sécheresse vaginale (cicatrisation, carence hormonale, désir hypoactif par sécrétion de prolactine pendant la mise en place de l’allaitement…) Information et prescription d’une contraception en tenant compte des souhaits du couple Susciter une reprise prudente des rapports sexuels en cas de périnée cicatriciel (peur de la douleur) CONDUITE À TENIR … EN POST-PARTUM Respecter le « no man’s land », ce « temps mort » « Laisser le temps au temps… » … une femme se sente à nouveau pleinement femme dans sa globalité physique et psychique … Susciter la dialogue au sein du couple pour inciter à la patience ** Dans l’apprentissage de sa parentalité Dans la redécouverte de son propre corps et du corps de l’autre Dans la résurgence du désir de chacun Dans la réapparition du plaisir partagé **AUDINET C., Devenir mère, devenir femme, Entretiens de Bichat, Entretiens des sages-femmes, Expansion Formation et Editions, 2006 AVANT DE CONCLURE ! Les sociétés primitives La femme enceinte est « tabou, sacrée » … « pollution » La sexualité est hors-jeu, « ob / scène » → Isolement Les sociétés occidentales La perte du sens du tabou mais l’ inquiétude de la pollution dans l’ inconscient collectif → Idées reçues (résonnances) La perte du caractère initiatique de la maternité → La femme enceinte est « niée » : tout faire comme si la grossesse n’existait pas ! « La grossesse n’est pas une maladie ! » … Elle reste néanmoins une épreuve, à la fois physique et psychique. DEUX CONCLUSIONS CONCRÈTES : C’est la femme qui décide ou qui devrait décider C’est elle qu’il faut aider en priorité pour y voir clair dans ses besoins réels, dans le respect des aspirations de l’autre. Seuls les couples très solidaires vont pouvoir exploiter le caractère exceptionnel de cette période C’est-à-dire aller plus loin dans le bonheur POURQUOI ? « Seuls les couples très solidaires vont pouvoir exploiter le caractère exceptionnel de cette période » La grossesse révèle si la sexualité est un mode de communication habituel au sein du couple. La grossesse est un « dynamitage » du système couple, un « démultiplicateur ». La grossesse est un « test » de la fonction érotique. La grossesse est un tsunami dans la sexualité du couple ! QUE RETENIR Ne pas rentrer à pieds joints dans toutes ces questions qui abordent la sexualité pendant la grossesse comme si tout allait de soi Savoir aborder avec le couple : L’idéal que peut représenter pour eux, d’avoir une sexualité pendant cette période très particulière Action essentiellement préventive des difficultés sexuelles fréquemment rencontrées après une grossesse : dyspareunie, vaginisme, désir hypoactif, dysfonction érectile etc… QUE RETENIR Laisser libre cours à la parole au sein du couple Etre à l’écoute des vraies aspirations de chacun Permettre au couple de s’installer dans une réécriture de leur intimité QUE RETENIR C’est la femme qu’il faut accompagner en priorité : dans cette aventure singulière de la « maternalité », complément indispensable pour beaucoup de femmes de leur féminité. dans ce qu’ elle vit dans l’intimité de son jardin secret. « Les mystères qui entourent la sexualité de la femme enceinte restent impénétrables » Hélène Walther