Interview de John Connolly
Transcription
Interview de John Connolly
Numéro 8 - Janvier - Février 2010 Sommaire L’édito Interview de John Connolly Interview de Janus SC Interview de Carole Bonnet et ses trois héros Dossier Atlantide Nouvelle du mois Vagrant Story Les Conseils de lecture du Mage blanc Des nouvelles de « De cape et de crocs » Publier son livre Page de l’association 3 4 6 7 8 14 23 25 28 32 34 L’édito L’édito La rédaction se joint à notre chef vénéré, tout juste revenu d’une nouvelle expédition contre les gobelins rebelles, pour vous souhaiter tous nos vœux pour la nouvelle année. Pour se faire pardonner le retard engendré par la rébellion des gobelins (qui seront tous punis sévèrement par notre chef), ce n’est pas une nouvelle, mais deux que nous vous présentons ce mois-ci. En mars, le Salon du livre de Paris sera l’occasion d’un concours permettant de gagner un an de lecture, et en mai, nous prévoyons une enquête auprès des lecteurs et des membres de l’association pour améliorer le journal. Bonne lecture ! Rédaction (ISSN : 2102-5932) Rédacteur en chef : Mestr Tom (proposition d’articles ou de couvertures : [email protected]) Correctrice : Isabelle Marin (Les Netscripteurs) Publicité : Catherine [email protected] Journalistes : Mestr Tom Michel Stotzenbach Christophe Dehay Le Nain boiteux Le Mage blanc AquiLeo Couverture : Ga-L Mise en page & conception graphique : Maël Duplissy Nous contacter : [email protected] Note sur le copyright : Les illustrations des articles appartiennent aux éditeurs, illustrateurs respectifs. Merci de respecter les droits d’auteurs. 3 Interview de John Connolly Qui est John Connolly ? développement de notre monde, ou même devenir une sorte de prisme à travers lequel nous pouvons Mince alors, vous commencez par une question plutôt voir le monde. Les livres changent les gens, et il n’y facile ! Disons qu’il est âgé de 41 ans et qu’il réside à aura pas deux personnes pour interpréter et parler Dublin, et également parfois dans le Maine, qu’il ne d’un même livre d’une façon identique. sent pas son âge, s’imagine plus jeune. Cependant, c’est une personne qui se fait généralement beaucoup Quels conseils donneriez-vous à un jeune auteur ? de mauvais sang pour tout un tas de choses. Quel est votre livre préféré? Tout d’abord de persévérer, et d’écrire. Salman Rushdie pense que les vrais auteurs sont ceux qui En fait, il en existe beaucoup. Cela dépend du jour finissent d’écrire leurs œuvres. Je pense que la et de mon humeur. Je suis capable de vous citer plupart des gens s’imaginent que c’est relativement une bonne poignée d’œuvres qui figurent parmi facile pour un auteur d’écrire un livre, mais c’est une mes favorites : par exemple Bleak House (Charles idée complètement fausse. En ce moment, j’essaie de Dickens), Le Bon Soldat (Ford Madox Ford), Les terminer mon prochain livre et je dois avouer que cela Trois Mousquetaires (Alexandre Dumas), Jeeves m’épuise complètement. Malgré cela, je dois toujours & Wooster stories (P.G. Wodehouse), Un week-end m’asseoir à mon bureau et travailler, même si je n’en dans le Michigan (Richard Ford), The Years with ai pas forcément envie. Les jeunes auteurs devraient donc résister à l’idée d’abandonner une œuvre ou une Ross (James Thurber). Je m’arrête là ? nouvelle avant de l’avoir terminée, juste parce qu’ils Est-ce que le côté obscur de David, pensent avoir une autre idée encre plus intéressante. personnage de conte de fées, peut être vu J’ai toujours voulu m’arrêter à un moment, et ce, pour comme une découverte par un adolescent chaque livre que j’ai écrit. Mais je ne l’ai pas fait, et cela a donné de très bons résultats. Écrire, c’est de la réalité de la vie ? comme courir un marathon, et quand le coureur se Ce processus de découverte est bien sûr un élément prend un mur, cela fait partie de la course, il faut faire présent, mais cela parle aussi du pouvoir de avec et avancer. l’imagination, et en particulier, du fait que ceux qui lisent et aiment les livres peuvent contribuer au Interview 4 Voir notre critique en page 35 Si vous deviez être un personnage de la par exemple. La belle-mère de Blanche-Neige m’a également marqué, et j’ai toujours été fasciné par la littérature fantastique, qui seriez-vous? barrière de ronces entourant le château de la Belle au J’aimerais avant tout faire de la télékinésie, alors bois dormant. Vous pouvez retrouver nombre de ces peut être Carrie, mais sans tous les soucis qu’elle images dans The Book of Lost Things. rencontre et le seau rempli de sang de cochon. Sinon j’aimerais être Bertie Wooster car j’ai toujours aimé Connaissez-vous un auteur français appelé Pierre Dubois et ses Contes de crimes ? l’idée d’avoir Jeeves pour veiller sur moi. Quel sera votre prochain livre et de quoi Non, je connais Perrault, mais pas Dubois. Je vais devoir me renseigner. Une fois que vous commencez à parlera-t-il ? vous plonger dans les contes de fées et leurs histoires, Pour le Royaume-Uni et les États-Unis, ce livre il devient vite évident que vous pourriez passer votre s’intitulera The Whisperers. Ce roman fera partie vie entière à lire différentes versions des contes du cycle de Charlie Parker. C’est un roman étrange, parus à travers le monde et comparer les différentes qui abordera le sujet de l’impact psychologique de la interprétations. Cela est vraiment passionnant. guerre sur les anciens combattants. Pensez-vous qu’une adaptation d’un livre Pourquoi avoir choisi la Seconde Guerre comme David, Jonathan and the Evil Man mondiale comme époque pour votre récit ? serait envisageable ? J’ai un avis très mitigé quant à l’adaptation de mon travail en films. J’adore le cinéma, et quelqu’un est très intéressé pour adapter The book of Lost Things. Mais pour revenir à ce que je disais au début, je pense que chaque lecteur a sa propre vision, ses propres impressions concernant l’œuvre et ses personnages. Je ne pense pas qu’un seul acteur soit capable de réunir tous ces points de vue. De temps en temps, une partie du casting va correspondre, mais cela reste rare. Alors, je ne prends pas position sur le choix des acteurs pour les adaptations de mes œuvres, et ce, afin de ne pas ennuyer le lecteur avec mes choix. En fait, Lorsque vous étiez enfant, quel était le je ne décris que rarement les personnages principaux avec de nombreux détails, en particulier dans mes conte de fées qui vous effrayait le plus ? œuvres mystérieuses, exception faite des méchants Je ne sais pas si j’ai vraiment été terrifié par un conte où je choisis un ou deux détails spécifiques à leur de fées, mais le personnage de Rumpelstilskin reste attribuer, ensuite je laisse le reste au lecteur. ancré dans ma mémoire, et on retrouve beaucoup de ce personnage dans The Book of Lost Things (Le Livre des choses perdues) à travers le personnage du Crooked Man. Les histoires de cannibalisme m’ont également beaucoup affecté, comme Hansel et Gretel Interview 5 En fait, je ne suis pas vraiment sûr. Je ne voulais pas examiner de près la source de mes idées. La période s’est imposée d’elle-même lorsque j’ai commencé à écrire le premier chapitre. Je suppose que j’ai eu l’impression que ce monde chaotique issu de la Seconde Guerre mondiale reflétait bien les sentiments de David. Mais lorsque j’ai écrit quelque chose sur l’Angleterre dans le recueil de nouvelles Nocturnes, j’utilisais aussi bien le temps passé. Je pense que cela contribue à donner un sentiment mystique à ce genre de petites histoires. Interview de Janus SC Qui est Janus SC (SC ?) Je suppose que vous ne parlez pas de ceux qui sont les vrais vampires ? Parce que ceux-là, vous ne saurez pas les reconnaître parmi les gens normaux. Et ils vivent normalement, ou presque. En rigolant à s’exploser le ventre devant les légendes qui les entourent… Mais ça, c’est une autre histoire… Moi… Un « jeune » écrivain, encore que… Jeune, dans le sens où j’ai décidé réellement d’écrire pour publier il y a seulement deux ans et demi : un premier recueil de poésies, La Rose noire d’Astarate, en 2007-2008, le second, Élévation, qui est sorti en mai 2009, et, enfin le tome I de la saga Les Dragons de l’apocalypse : La Rébellion. Quant à ma biographie… Je suis né en Roumanie, à Bucarest. Mon enfance, je l’ai passée jusqu’à l’âge de 7 ans en Transylvanie, à Tîrgul Mures, près de Sighisoara, la ville natale de Vlad Dracul, plus connu sous le nom de Vlad l’Empaleur. Cursus normal de scolarisation élémentaire, puis un lycée scientifique, etc. C’est au lycée que j’ai commencé à écrire mes premiers poèmes, et certains furent publiés dans la revue de l’école. La vie, les compétitions d’échecs et autres occupations m’ont éloigné de l’écriture, pendant de longues années. Il y a bientôt 30 ans je suis arrivé en France. Je suis un fervent lecteur de poésies, fictions, romans historiques. Et je dois l’avouer, quitte à déplaire, je suis depuis longtemps un adepte de ce que les gens appellent communément « le diable ». Je dirais que ma vision n’est pas la même que celle des autres. SC ? Ce sont mes initiales, tout simplement. Votre conseil à un jeune auteur ? Qui suis-je pour conseiller ? Et de quel droit ? Je ne pense pas être le mieux placé pour le faire. Toutefois, il faut croire en ce qu’on fait, le faire pour faire plaisir aux autres, pas seulement à soi. Et foncer, en se moquant de l’avis de l’entourage. Rêvez et partagez vos rêves ! Si vous pouviez être un personnage de Fantasy, qui seriez-vous ? Moi ! N’est-ce pas évident ? Je plaisante. En fait, ce serait Scytale, personnage de Dune. Mais peut-être le suis-je déjà… Qui sait… Quels auteurs vous ont donné envie d’écrire ? Aucun et tous en même temps. La liste est longue. Je n’en citerai que très peu. Pour la poésie : Eminescu, Cosbuc, Baudelaire, Verlaine. Pour la SF : Franck Herbert, que je considère comme le maître absolu, Assimov avec le cycle Fondation, Tolkien… Parlez-nous de votre ouvrage La rébellion ? Cette question n’est pas facile pour moi. Il s’agit du premier tome de la saga Les Dragons de l’apocalypse. Les volets suivants, dans l’ordre, seront : Le Guerrier de l’Enfer, La Reine des vampires, La Grande Prêtresse, et enfin, L’Homme dragon. Le fil rouge de cette saga est le suivant : la transformation d’un humain, tout le long de sa vie, par divers concours de circonstances, en l’incarnation du mal. L’histoire commence dans une vie après la vie. Le personnage principal, qui raconte son parcours, sa vie, est mort, tout comme celle qui l’écoute. La fin du second tome est plus que surprenante. Le premier aussi mêle psychologie avec des moments de rire et une formidable communion entre un dragon et un humain. Ils partagent, dans l’histoire, une seule âme. Parlez-nous de l’association « Accord des cœurs » et de votre action pour cette dernière ? C’est une petite association qui aide des enfants malades, qui correspond à mes critères d’aide, pas forcément politiquement corrects. Je ne l’ai jamais été de ma vie, et je ne vais pas commencer à l’être… Une amie me l’a fait connaître et j’ai décidé qu’une partie de mes droits d’auteur des recueils ira pour eux. Cela me paraît normal. Le monde de l’édition n’est pas toujours facile. Comment avez-vous trouvé l’illustratrice de votre couverture ? Vous venez de Roumanie. Que pensez-vous du mythe de Dracula et des vampires actuels (pas forcément méchants) ? Le monde de l’édition n’est pas facile, effectivement. Ce sont des hommes et femmes d’affaires et le business doit fonctionner pour pouvoir nourrir les salariés et leurs familles. Cela me paraît normal et sain. Aux écrivains de faire en sorte, par la qualité de leurs écrits, que ces gens-là soient persuadés qu’ils valent le coup d’être édités. Je répète, il faut écrire pour faire plaisir aux autres et non à soi. Nous sommes dans une société où l’art ne vaut que par l’argent qu’il rapporte. Malheureusement, si le monde de l’édition est dur, celui des libraires est pire ! Quant à celle qui a illustré la couverture du tome I, je l’ai rencontrée sur Facebook. Et j’en suis heureux. Elle est bourrée de talent, jeune, et si je peux l’aider à démarrer, tant mieux. Elle s’appelle Cécile Guillot. Je lui souhaite le plus grand succès possible, elle le mérite. Là, j’ai deux questions en une ! Le mythe de Dracula… Un mythe, qui a donné naissance à des histoires, parfois très bien, parfois ridicules. De la lecture pour ceux qui comprennent et pour des quasianalphabètes. Mais, au moins, les vampires les ont emmenés vers la lecture. C’est déjà ça ! Quant aux vampires actuels, vous parlez de qui ? De ceux qui sont tout en haut de l’échelle socialo-politique, qui se remplissent les poches sur le dos du peuple qui souffre, ou bien des clowns tristes et sans cervelle, qui s’habillent en noir, en se prétendant vampires ? Ils ont trop regardé la télé ! Interview 6 Interview de Carole Bonnet et ses trois héros Présentez-vous ? Je suis mère au foyer en Belgique. J’ai quitté mon emploi d’assistante maternelle après une remise en question. Passionnée d’écriture, j’essaye maintenant de vivre de cette passion. du livre vont donc grandir avec eux. Je ne veux pas que, quand ils seront adolescents, leur alter ego corresponde encore à celui de jeunes enfants. Un petit roman familial ? Si vous pouviez être un personnage de fantasy qui seriez-vous ? Oui, mes trois garçons sont les héros du livre. Mon mari s’occupe de la diffusion. Même le chat que nous avons recueilli peu avant a été intégré dans le roman. J’ai toujours bien aimé les méchants et je trouve les gentils ennuyeux, trop parfaits. Je dirais Ursula dans La Petite Sirène. Un gros succès ? Votre auteur préféré ? Oui. Je vais dans les écoles faire des conférences. En Belgique, le mardi soir, la première séance est réservée aux dames. Dans la salle d’attente, J’ai pu dédicacer Les Aventurêves, c’était très sympathique. (reportage sur la sortie du livre : http://www.notele. be/index.php?option=com_content&task=view&id= 7807&Itemid=31) Il y a un projet de film à l’étude et de nombreux dérivés, mais je fais attention à ce que cela ne perturbe pas mes enfants et leur image. Je dirais Marc Levy, son côté détaché de tout me plaît beaucoup. Vos livres sont vendus dans les boulangeries ? Comment trouvez-vous le fait d’être un héros de roman ? Petit interview des trois héros Quel personnage du monde imaginaire voudriezvous être ? Léo (9 ans) : un chevalier. Elliot (7 ans) : un sorcier. Charly (6 ans) : un super héros. Les libraires et les réseaux d’acheminement sont très gourmands : ils prennent plus de la moitié du prix de l’ouvrage, et les conditions de retour sont souvent désavantageuses. Nous avons eu l’idée d’un petit présentoir d’une dizaine de livres à placer près de la caisse ; ainsi, on peut acheter un peu de lecture en allant chercher les croissants le dimanche matin. Léo (9 ans) : C’est bien ! Elliot (7 ans) : C’est bien ! Charly (6 ans) : C’est bien ! (NDLR : pas vraiment bavards nos trois héros !) Quel est le prochain livre que tu voudrais lire ? Combien de tomes y aura-t-il ? Léo (9 ans) : La suite des Aventureves. Je ne me suis pas encore arrêtée sur un nombre de tomes. Je pense de nombreux… Ce qui est sûr, c’est que mes enfants vont grandir, et que les héros 7 Interview Dossier Atlantide L’homme s’est toujours posé de nombreuses questions quant à ses origines, et ce, depuis la nuit des temps. S’il y a bien un mythe qui est associé à cette question, c’est certainement celui de l’Atlantide, île mythique qui posséda un jour un savoir sans précédent et qui se voulait être le berceau de l’humanité avant de sombrer mystérieusement dans l’océan. Ce mythe, oublié pendant de nombreux siècles ressurgit de nouveau à la face d’un monde désireux de connaître ses origines et résoudre tous les mystères que renferme notre chère planète bleue. Mais que savons-nous vraiment de cette île devenue mythique ? Je vous propose donc de plonger au cœur de ce mystère où légendes et réalités historiques se mélangent, et de partir en voyage au cœur de la mythique Atlantide. L’homme s’est toujours posé de nombreuses questions quant à ses origines, et ce, depuis la nuit des temps. S’il y a bien un mythe qui est associé à cette question, c’est certainement celui de l’Atlantide, île mythique qui posséda un jour un savoir sans précédent et qui se voulait être le berceau de l’humanité avant de sombrer mystérieusement dans l’océan. Ce mythe, oublié pendant de nombreux siècles ressurgit de nouveau à la face d’un monde désireux de connaître ses origines et résoudre tous les mystères que renferme notre chère planète bleue. Mais que savons-nous vraiment de cette île devenue mythique ? Je vous propose donc de plonger au cœur de ce mystère où légendes et réalités historiques se mélangent, et de partir en voyage au cœur de la mythique Atlantide. Représentation de l’Atlantide selon la description de Platon Voici un extrait du Critias donnant une description de l’île : « Ils avaient à leur disposition toutes les choses nécessaires, qu’on a coutume de fabriquer dans les villes, ou que l’on fait venir des autres pays. Bien que leur empire leur apportât beaucoup de revenus extérieurs, c’était l’île elle-même qui pourvoyait surtout à tous les besoins de l’existence. D’abord, elle leur donnait en plusieurs endroits tous les produits de l’industrie du mineur, tant solide que fusible, y compris quelque chose dont on ne connaît plus aujourd’hui que le nom, l’orichalque, qui était extrait dans différentes parties de l’île, et avait alors davantage de valeur que tout autre métal, après l’or. Ses forêts fournissaient généreusement tous les bois utiles aux charpentiers et aux maçons et faisaient vivre en abondance des animaux sauvages et domestiques ; même les éléphants y étaient nombreux. Il y avait de vastes pâturages pour cette bête, la plus grande et la plus vorace, tout autant qu’une abondante nourriture pour les autres créatures qui vivent dans les marais, les lacs et les rivières, et habitent les montagnes et les plaines. Outre cela, la terre portait toutes les substances aromatiques du monde : racines, tiges, cannes, résines sécrétées par les fleurs et les fruits, véritable terre florissante, remplie de mille richesses. Quant aux fruits cultivés, les secs qui nous servent de provision… aussi bien que ceux qui nous fournissent à la fois chair, boisson et huile, le fruit des arbres qui fait notre plaisir et notre gaieté, si difficile à conserver, et que nous servons en desserts délicieux qui réveillent l’appétit du plus repu, tout cela était produit par cette île sacrée, baignée par le soleil, merveilleuse de beauté et de richesses inépuisables. Aussi les rois L’Atlantide et ses éventuelles colonisations, employaient-ils tous ces dons du sol pour construire et embellir leurs temples, ici indiquées en blanc sur la carte. Dossier 8 résidences royales, ports, quais et domaines. » Ce texte riche en renseignements traversera l’histoire et sera réutilisé maintes fois aussi bien durant l’Antiquité que par la suite pour appuyer la thèse de l’existence de l’Atlantide. D’autres éléments filtreront à travers les textes du philosophe grec. Nous retrouvons notamment un chapitre lié à la religion présente sur l’île. Nous apprenons que les Atlantes disposaient de plusieurs dieux qu’ils vénéraient à travers divers rituels et sacrifices. Les Grecs pensaient que les Atlantes vénéraient le dieu Poséidon, seigneur des mers, mais vénéraient également le dieu Atlas, créateur des montagnes et de toutes terres existantes. Un culte lié au Soleil aurait également été présent. L’astre brillant aurait été considéré comme sacré, car il apportait chaleur, Gilgamesh combattant lumière et vie. L’animal considéré comme sacré sur l’île aurait été le taureau, créature divine objet de différents cultes et rituels, souvent sacralisée puis sacrifiée au dieu Soleil. le taureau céleste On retrouvera d’ailleurs cette mythologie liée aux différents dieux dans de nombreux écrits ainsi que dans diverses civilisations. En effet, le taureau, animal sacré très prisé dans les mythes atlantes se retrouve dans de nombreuses cultures. L’une des premières cultures à évoquer et sacraliser le taureau est très certainement la civilisation sumérienne. Ici, l’animal est considéré comme un véritable dieu et possède une force prodigieuse. L’un des exemples les plus connus est certainement celui cité dans l’épopée de Gilgamesh où ce personnage, deux tiers dieu, un tiers homme, combat le Taureau céleste envoyé par la déesse Ishtar désireuse de se venger de celui qui lui avait refusé son amour. Le taureau tient donc une place importante chez les Sumériens, mais également chez les Grecs où le sacrifice de taureaux est monnaie courante afin d’apaiser la colère des dieux ou de les remercier pour leur bonté et les actes miraculeux accomplis. Enfin, ce mythe du taureau est également présent dans de nombreuses autres cultures, par exemple en Espagne : lors des corridas, le taureau est sacrifié au travers d’un rituel où l’homme se mesure à l’animal. de nombreux hommes de lettres qui s’empressèrent de se pencher de nouveau sur le mythe atlante. L’intérêt pour l’Atlantide devint dans le cœur de certains Occidentaux une véritable passion et certains n’hésitèrent pas à baser leur vie et leurs espoirs sur la découverte de ce territoire inconnu doté de mille richesses. On retrouve également ce sacre lié au taureau dans la mythologie égyptienne avec Représentation d’Apis, le taureau sacré Apis, dieu à la symbole de force et de fécondité. tête de taureau, personnage sacré en Égypte. Symbole de force et porteur de la fécondité, il est considéré comme un véritable être suprême et est traité avec le plus grand respect. Les divers textes de l’Antiquité liés à l’Atlantide auraient été gardés dans la célèbre bibliothèque d’Alexandrie. Malheureusement, ces traces de la légende de l’Atlantide vont se retrouver perdues, en partie à cause de l’incendie de la grande bibliothèque perpétué par Amrou, grand conquérant musulman qui fit détruire plus d’un million d’ouvrages allant à l’encontre de la parole du Coran et qu’il jugeait donc inutile de conserver. Le pape Grégoire (540-604) ordonna également la destruction de nombreuses œuvres et recueils classiques afin qu’ils ne distraient pas les fidèles de la contemplation des cieux et supprima de ce fait de nombreux recueils de légendes et histoires qui furent perdus à jamais. Après cette époque, le mythe de l’Atlantide tomba doucement dans l’oubli et ses secrets restèrent à ce moment enfouis aussi bien au fond de l’océan que des mémoires. Ainsi, au cours du XIVe siècle, nombreux sont ceux qui restent persuadés que ce La carte de Toscanelli avec l’Atlantide continent perdu au milieu de l’océan. en plein milieu de l’Atlantique existe toujours. Il apparaît même sur de nombreuses cartes maritimes. C’est le cas par exemple de la carte établie par l’Italien Paolo Toscanelli au XIVe siècle, carte rendue célèbre, notamment grâce à Christophe Colomb qui choisit de s’en doter pour son périple vers les Indes à travers l’océan Atlantique. Cette dernière était en effet supposée montrer le chemin à prendre pour se rendre vers le continent indien en passant par l’Atlantique. Il est effectivement important de constater que cette carte répertoriait de nombreuses îles situées au centre de l’océan et qu’elle indiquait notamment C’est en Europe que le mythe finira par refaire surface grâce à la chute de Constantinople en 1453. En effet, de nombreux textes liés entre autres à la mythique île engloutie furent récupérés de diverses bibliothèques par les templiers, afin de les ramener comme butin vers les terres occidentales. Les textes vinrent vite à être connus 9 Dossier l’île d’Atlantis. Selon son fils, le très célèbre navigateur avait même prévu de faire escale sur cette île mythique, afin de se ravitailler et donner le repos à ces hommes. Ainsi, lorsque Colomb atteignit les rivages de l’Amérique, il pensa être arrivé chez les Atlantes, tant la végétation lui paraissait exotique et le climat si doux. Il est vrai que la végétation et le climat correspondaient dans une certaine mesure à la description offerte par Platon et les autres auteurs de l’Antiquité. Sa première opinion fut rapidement renforcée par la présence d’hommes lui paraissant si différents de tout ce qu’il avait pu connaître auparavant. En effet, les peuples sud-américains, de par leur peau mate et leur carrure différente, offraient un spectacle unique pour les Européens de l’époque et les renforçaient ainsi dans leurs idées d’être en terre atlante, voire même en terre divine. L’Espagne fut la première à revendiquer les territoires situés à l’ouest de la Grande Mer, territoire qu’elle considérait comme étant l’Atlantide perdue. Elle prétexta un lien de parenté entre Hespérus, roi d’Espagne préhistorique, et le dieu Atlas, roi du Pays d’en face. Elle se servit donc de cet argument pour légitimer son droit sur toutes les nouvelles terres découvertes à l’ouest du continent européen. débarquer, ils les prirent pour leurs dieux depuis longtemps disparus et n’offrirent ainsi que peu de résistance aux conquistadors. Par la suite, les envahisseurs espagnols comprirent bien évidemment que ces terres étaient un nouveau continent bien différent de l’Atlantide, ou même des Indes, but premier des expéditions de Christophe Tablette sumérienne racontant la légende du déluge. Colomb. Un autre phénomène viendra surprendre au plus haut point les Espagnols. Après avoir longuement discuté avec les indigènes, ils furent surpris de constater que les peuples sud-américains possédaient des légendes similaires à celles que l’on trouve en Europe, et cela sans lien apparent entre les deux cultures. Il est également important de noter que les légendes sudaméricaines vinrent conforter les Espagnols dans leur idée. En effet, les légendes de ce continent évoquent la présence de dieux blancs venus de l’est il y a fort longtemps grâce à de gigantesques bateaux pour leur apporter savoir et richesses. Ces derniers seraient ensuite retournés chez eux, promettant de revenir un jour chercher leurs enfants. Ainsi, lorsque les peuples indigènes virent les Espagnols L’un des mythes majeurs que l’on retrouve le plus souvent à travers les différentes civilisations est celui du Déluge. En effet, cette légende bien connue existait aussi bien sur le vieux continent que sur le nouveau, et ceci, à des époques où la communication entre leurs peuples respectifs était impossible. On pourrait donc considérer que l’histoire du Déluge se rapporte ici à l’Atlantide engloutie, et que les rescapés emportèrent la légende de leur terre désormais engloutie à travers leurs explorations et colonisations. Ainsi, si l’Atlantide se situait bien où Platon la localisait, elle pouvait sans mal être la souche de nombreuses légendes. Ce qui expliquerait que des légendes analogues puissent se trouver au même moment dans des lieux totalement opposés et inaccessibles l’un à l’autre. Cette thèse reste évidemment très controversée parmi les scientifiques spécialistes du mythe de l’Atlantide, et ne prouve pas en soi qu’un continent porteur de cette légende ait existé un jour. dans l’oubli. Ceci se vérifie également dans d’autres civilisations telles que celles d’Égypte. Ce n’est que de nombreux siècles plus tard que certaines technologies et certains savoirs referont surface. Les Espagnols furent également très surpris par la réaction des Sud-Américains. Ils remarquèrent rapidement que ce n’était pas la première fois que ces derniers rencontraient des hommes blancs de peau. Tablettes et temples semblent indiquer d’autres passages d’hommes blancs, venus il y a fort longtemps apporter aux Incas de nombreuses connaissances à l’origine de leur architecture ainsi que de leur civilisation. D’ailleurs, les scientifiques d’aujourd’hui ne comprennent toujours pas comment les Sud-Américains ont construit des pyramides si impressionnantes sur de telles hauteurs, ni même comment ils ont pu tailler si précisément la pierre ou même établir des calculs astrologiques et architecturaux rivalisant toujours avec les méthodes de calcul actuelles. L’une des légendes relatant le mieux cet apport de savoir est certainement celle du dieu Quetzalcóatl. Ce personnage était considéré comme un dieu apparu autrefois aux hommes, apportant avec lui diverses connaissances telles que le calendrier, la fabrication des livres ; il aurait même apporté la découverte Illustration représentant le dieu Quetzalcóatl L’astronomie également reste un mystère. Cette science si évoluée pour l’époque montre qu’un savoir a été apporté à de nombreuses civilisations et qu’il a ensuite sombré Dossier 10 du maïs à l’humanité. Selon la légende, il serait venu depuis la Grande Mer de l’Est grâce à son bateau. Il est ainsi considéré comme étant l’initiateur des légendes et du savoir que l’on attribue aux peuples sud-américains. La légende raconte que par la suite il s’exila volontairement, repartant sur un radeau de serpents et promettant de revenir un jour sauver ses enfants d’un cataclysme. impossible que les deux cultures aient pu se développer de façon si semblable sans une connexion entre les deux peuples. L’Atlantide apporterait donc ici une réponse simple et logique à ce genre de problème, même si, bien sûr, ces hypothèses n’ont jamais été réellement vérifiées. Les Égyptiens nous dévoilent de nombreuses pistes menant à l’Atlantide. Toujours selon Platon, les Égyptiens auraient été en rapport Les légendes du continent perdu – notamment direct avec le peuple des Atlantes, Platon prétendant même que leur civilisation serait celles témoignant de leur talent de navigateurs – se retrouvent partout en Amérique, aussi directement issue de ces derniers. Selon les bien sur la partie nord que la partie sud du légendes, les Atlantes auraient été les La pyramide de Gizeh, l’un des grands continent, mais aussi en de nombreuses constructeurs de la grande pyramide de mystères de la civilisation égyptienne. autres terres. Nous pouvons ainsi retrouver Gizeh, pyramide qui reste toujours un des légendes analogues dans de nombreuses cultures, que mystère pour les archéologues et les scientifiques. ce soit en Irlande, chez les Celtes, ou en Afrique du Nord, De plus, nous savons aujourd’hui de source sûre que la en Égypte, ainsi qu’en Espagne, ou encore chez les Grecs civilisation égyptienne a connu un véritable bond dans ou les Mésopotamiens. le domaine culturel à l’époque de la construction de la La similitude la plus flagrante est très probablement grande pyramide. Les scientifiques et archéologues ont en celle qui réside entre les civilisations égyptiennes et sud- effet découvert que cette civilisation est alors passée du américaines. Leurs architectures offrent en effet des traits stade du néolithique à celui des civilisations organisées, communs. Les scientifiques ont d’ailleurs facilement avec l’arrivée des castes de pharaons et de la religion qui constaté que ces deux civilisations géographiquement y est associée, et ceci, en très peu de temps sur l’échelle opposées ont évolué de la même façon et disposent de de l’humanité. Nous pouvons donc supposer ici que les légendes réellement très proches. Il en est ainsi des rituels constructeurs de Gizeh qui ont apporté avec eux leur liés à la momification et du culte du dieu Soleil. D’autres savoir, comme cela a été le cas en Amérique du Sud avec similitudes viennent étayer cette thèse, au niveau de les dieux blancs venus de l’est. l’écriture par exemple. Pour les scientifiques, il paraît quasi 1. Il existait jadis, dans l’océan Atlantique, en Fort de ces légendes, le mythe de l’Atlantide face de la Méditerranée, une grande île, connue continuera à faire énormément parler de lui dans l’Antiquité sous le nom d’Atlantide. et connaîtra même un certain regain d’intérêt 2. La description que fait Platon de cette aux yeux du public et des scientifiques. De île n’est pas une légende, mais un événement nombreux ouvrages lui seront dédiés. De authentiquement historique. multiples hypothèses, plus ou moins plausibles, 3. L’Atlantide est la région où l’homme viendront attiser la curiosité de nombreuses passa pour la première fois de la barbarie à la personnes, à l’exemple du sénateur anglais qui civilisation. avait proposé à la reine Victoria de débloquer 4. Elle est devenue, au fil des siècles, une un budget destiné à la recherche de l’Atlantide. Demande qui n’aboutira jamais. Le mythe Couverture originale du livre écrit par nation puissante, dont les habitants Ignatius Donnelly. ont peuplé et civilisé les côtes ouest de l’Atlantide a donc su traverser les de l’Amérique du Sud, le golfe du âges et fasciner les hommes. Certaines personnes ont passé leur vie à traiter du sujet. L’un des Mexique, du Mississippi, de l’Amazone, mais aussi de la auteurs les plus influents et certainement le plus remarqué Méditerranée, la côte ouest de l’Europe et de l’Afrique. 5. C’était un véritable monde d’avant le déluge, est très certainement Ignatius Donnelly. le souvenir universel d’une grande terre où l’humanité antique avait connu, pendant des siècles la paix et le Cet homme, politicien américain à l’origine, avait décidé bonheur. Les dieux et les déesses grecs antiques, des de vouer la dernière partie de sa vie à prouver l’existence 6. de l’Atlantide. Il est très certainement l’auteur qui a le Phéniciens, des hindous et des Scandinaves étaient plus relancé l’intérêt pour le mythe de l’Atlantide. Après simplement les rois, les reines et les héros de l’Atlantide. une longue étude du mythe, Ignatius a établi une liste Les exploits que leur attribuait la mythologie sont le de certitudes concernant la mythique île d’Atlas. Ces souvenir confus d’évènements historiques réels. 7. La mythologie de l’Égypte et du Pérou représente dernières sont au nombre de treize : la religion originelle de l’Atlantide, fondée sur le culte du soleil et de certains animaux sacrés comme le taureau. 11 Dossier 8. La plus ancienne colonie atlante se situe probablement en Égypte, dont la civilisation est une représentation de celle de l’île atlante. 9. Les vestiges de l’âge de bronze découverts en Europe proviennent de l’Atlantide, dont les habitants furent été les premiers à travailler le fer. 10. L’alphabet phénicien, parent de tous les alphabets, a pour origine l’alphabet atlante. 11. L’Atlantide est le berceau de nombreuses civilisations. 12. L’Atlantide a péri dans un cataclysme naturel formidable, l’île tout entière ayant été engloutie par l’océan avec la quasi-totalité de ses habitants. 13. Les survivants se sont enfuis sur des navires vers l’est et l’ouest, apportant avec eux l’histoire de leur cataclysme. Cette légende s’est transmise à travers les siècles sous la forme de l’histoire du Déluge. Ignatius Donnelly se permet donc ici de nombreuses affirmations, certaines plus fantasques que d’autres, reposant souvent sur très peu de certitudes. Il est cependant important de constater que certaines de ces affirmations sont pour le moins troublantes et soulèvent certaines questions. C’est le cas par exemple du mythe de l’île engloutie et du déluge que l’on retrouve dans de nombreuses cultures. Il est maintes fois évoqué et apparaît comme une légende souche. Ainsi, il n’est pas surprenant de voir que toutes les cultures proches de l’océan Atlantique et de la Méditerranée possèdent une légende parlant d’une île autrefois habitée par des dieux ou des êtres d’exception et désormais engloutie, reposant au fond de l’océan. Reste à savoir si notamment au niveau de l’architecture et des arts, aurait surgi par l’ouest, semblant venir de nulle part pour envahir les côtes de l’Europe. La dernière vague, la plus importante selon les scientifiques, correspondrait avec les périodes annoncées par Platon, soit environ 9 000 ans avant notre ère, coïncidant aussi avec la disparition du continent oublié. cela est dû à la propagation de l’histoire racontée par Platon ou si cette légende nous provient de plus loin encore. Il est important de constater que le mythe du déluge, de l’engloutissement des cités et des hommes se retrouve dans des cultures totalement différentes, et qui plus est, ne possédant pas du tout de contacts entre elles. Telle fut la découverte des conquistadors qui s’aperçurent que les Mayas possédaient des croyances et légendes similaires aux leurs, alors que les peuples n’avaient jamais été en relation auparavant. Mais qu’en est-il vraiment ? De nombreux auteurs ont apporté des indices concernant l’île d’Atlas, mais peu se sont vraiment vérifiés. Je vous propose donc de partir maintenant à la chasse aux indices trouvés par les scientifiques et archéologues. L’une des choses les plus importantes concernant le mythe Atlante est de savoir s’il y a bel et bien eu une île au milieu de l’Atlantique. De nombreux scientifiques se sont penchés sur la question, et il est en effet attesté aujourd’hui qu’une île existait réellement et qu’elle était située à la sortie du détroit de Gibraltar. Son emplacement ainsi que la date de sa disparition semblent correspondre avec les récits de Platon. Reste à savoir si le peuple disparu possédait vraiment les trésors qu’on lui attribuait ou si la catastrophe a seulement servi à Platon comme inspiration pour ses textes. Le second événement troublant est celui des courants culturels qui ont envahi l’Europe de l’Ouest et la Méditerranée à certaines époques. En effet, un apport culturel déterminant, en termes de savoir et de technologie, complexes, et aucune étude archéologique sérieuse n’est encore venue confirmer l’existence d’une telle île ou d’une civilisation disparue au cœur de l’océan. Il est cependant important de noter que les peuples des Açores et des Baléares se prétendent descendants d’un peuple aujourd’hui disparu, mais qui était porteur de nombreuses connaissances. Certains archéologues ont donc cherché à creuser la question et ont découvert plusieurs sites archéologiques renfermant d’anciennes structures inconnues des peuples locaux. Reste à savoir si elles correspondent bien au mythe atlante. Selon Ignatius Donnelly, les Açores et les Baléares seraient les hautes cimes de l’ancien continent englouti. De plus, nous savons que l’océan Atlantique est le témoin de nombreux mouvements de terrain. Au fil des siècles, de véritables îles ont émergé, puis ont disparu, à la suite d’énormes tremblements de terre. C’est le cas par exemple de deux îles apparues en 1931 au large de l’archipel Fernando Noronha en raison d’une La communauté scientifique intense activité volcanique reste donc très partagée quant dans l’océan Atlantique. Elles à l’existence ou non de cette furent vite revendiquées par la île mythique. Cela a même Grande-Bretagne, pressée de été l’objet d’une réunion légitimer ces terres. D’autres organisée à Milos en 2005. pays voulurent s’approprier ces Ce rassemblement avait terres nouvelles, déclenchant ainsi quelques disputes pour ambition proclamée de Vue d’artiste de l’île engloutie diplomatiques qui s’estompèrent bien trancher sur la question et de faire le vite lorsque les deux îles fraîchement point sur les connaissances récentes apparues disparurent de nouveau au fond de l’océan. concernant l’Atlantide. Le professeur Christos Doumas y Malheureusement, les fouilles sous-marines sont toujours a soutenu l’idée de la non-existence de l’Atlantide, divers Dossier 12 chercheurs y ont présenté des communications sur des thèmes liés, comme Dora Katsonopoulou qui a présenté le cataclysme de la cité d’Eliki. Puis de nombreux écrivains indépendants et des chercheurs de diverses disciplines ont présenté différentes hypothèses de localisation sans malheureusement parvenir à un accord. L’assemblée a cependant établi 24 critères qui permettaient d’identifier l’Atlantide. La mythique île atlante reste donc un véritable mystère. Cependant, certains auteurs ont su adapter le mythe et leurs idées dans de nombreux ouvrages. Je vous propose maintenant un petit tour d’horizon littéraire consacré au mythe. En 1627, Francis Bacon va ressusciter le mythe de l’Atlantide grâce à The New Atlantis (La Nouvelle Atlantide, 1627), une vision utopique de la société à travers le mythe atlante. Jules Verne pour sa part fera apparaître l’Atlantide lors d’une promenade au fond de l’océan organisée par le célèbre capitaine Nemo dans Vingt Mille Lieues sous les mers (1869). Il y découvre les vestiges de cette île désormais enfouie. Dans la nouvelle L’Éternel Adam, également écrite par Jules Verne, les derniers survivants de l’humanité découvrent les ruines de l’Atlantide et bâtissent une nouvelle civilisation. L’Atlantide de Pierre Benoit (1919) prend quelques libertés avec le mythe d’origine en plaçant l’Atlantide en plein cœur du Sahara et en considérant que la catastrophe qui l’a ruinée est le retrait brusque de la mer et non son arrivée subite. Dans Le Monde perdu sous la mer d’Arthur Conan Doyle (1926), le professeur Maracot, Cyrus Headley et Bill Scanlan s’embarquent pour explorer les fonds de l’océan dans un caisson d’acier, lorsqu’ils sont attaqués par un monstre. Le peuple des Atlantes les sauve alors et les emmène dans sa cité engloutie. L’ A t l a n t i d e apparaît dans de nombreuses séries de littérature de genre, par exemple dans Harry Dickson (1929-1938). Conan le Taliesin de Stephen Lawhead, premier livre du cycle de Pendragon Cimmérien, écrit par Robert E. Howard en 1932, narre les aventures d’un barbare qui devient roi de ses propres mains ; l’histoire se déroule à l’Âge hyborien, situé entre la chute de l’Atlantide et l’avènement des cités antiques. Le héros aurait même du sang atlante coulant dans ses veines. Ce qui le rendrait si particulier et si puissant. Opération Atlantide est le titre d’une des aventures de Bob Morane, dues à Henri Vernes (1956). À la fin des années 1960, Atlantis est le nom d’une revue et d’un groupe de chercheurs en ésotérisme créé par Paul Le Cour. J.R.R. Tolkien s’est appuyé sur le mythe de l’Atlantide pour créer l’île fictive de Númenor, ou Atalantë en quenya. Cette dernière est engloutie en raison de la décadence des Númenóréens. Selon le récit du Silmarillion (1977), Atalantë aurait été détruite après que ses habitants, encouragés par Sauron le maléfique, se sont ligués contre les Valar, enfants du dieu unique Eru, et ont formé une grande armée qui devait assiéger le royaume des dieux. Les Valar en appellent alors à Eru Ilúvatar, qui engloutit Númenor. Stephen Lawhead a réinterprété différemment l’histoire de l’Atlantide dans son Cycle de Pendragon (1987-1999) et l’expose ainsi : L’Atlantide aurait été un groupement d’îles, à l’Est, surnommé Les Îles des Immortels ou Avalon, formé de neuf grands royaumes, dont le neuvième, régi par le Grand Roi, devait régner sur tous les autres. Ainsi commence l’histoire de Charis, princesse d’Atlantide, fille du roi Avallach, qui, grâce à Throm, un prophète, prévoira la catastrophe. Elle parviendra à sauver quelques-uns des siens et à les emmener sur l’île de Bretagne, et fondera un nouveau royaume sur cette terre hostile qui malgré tout deviendra la leur. Charis rencontrera un jeune prince de Bretagne, Taliesin ap Elphin, avec qui elle mettra au monde l’Enchanteur que nous connaissons tous, Merlin, celui-là même qui rentrera dans la légende arthurienne. Taliesin mourra d’une flèche barbare, et Charis, quant à elle, deviendra celle que nous connaissons sous le nom de la fée Viviane ou la Dame du Lac. En 1995 paraît Atlantides, les Îles Englouties, un recueil « omnibus » de nouvelles et romans ayant trait à l’Atlantide plus ou moins directement. On y trouve les productions de Cutliffe Hyne, Jules Verne, Henry Rider Haggard, Clark Ashton Smith, Abraham Merritt, José Moselli, Jean Carrère et bien d’autres. Dans les années 1990 et 2000, de nombreux romans reprennent le mythe de l’Atlantide, parmi lesquels L’Empreinte des Dieux de Graham Hancock (1996). 13 Atlantis, Les fils du rayon d’or (1998), roman de science-fiction de Pierre Bordage, présente les Atlantes comme une civilisation très évoluée, mais qui stagne. Atlantide de Clive Cussler est un roman dans lequel l’écrivain fait vivre à son célèbre personnage (Dirk Pitt) la découverte du continent perdu (1999). Parmi les œuvres consacrées au mythe, on peut également citer L’Énigme de l’Atlantide d’Édouard Brasey (2001), Civilisations englouties, livre « visiohistorique » de Graham Hancock (2002). Le Cercle des immortels (2002-2009), série de livres de Sherrilyn Kenyon qui retrace la vie d’hommes ayant vendu leurs âmes à la déesse Artémis et dont le chef Acheron était un prince atlante. Atlantide, La solution oubliée de Jacques Hébert (2003) est un livre sous forme d’enquête menée à l’aide d’indices ; c’est une redécouverte des écrits de Platon, sous l’aspect d’une enquête policière. Enfin, David Gibbins publie en 2005 Atlantis. Howard Phillip Lovecraft, dans des nouvelles comme L’Appel de Cthulhu s’est probablement inspiré de l’Atlantide pour R’lyeh, cité engloutie depuis des temps immémoriaux (comme l’Atlantide) où sommeille pour l’éternité Cthulhu (qui peut être ainsi vu comme Poséïdon), créature extra-terrestre démentielle. Dans la nouvelle L’Appel de Cthulhu, en 1926, les sommets d’une immense cité aux pierres cyclopéennes couvertes d’algues émergent des flots après des millénaires passés dans les profondeurs abyssales. Malgré les siècles qui passent, l’Atlantide ne cesse de s’accrocher à la réalité à travers les mythes et légendes ainsi qu’à travers l’imagination des auteurs et la passion de certains scientifiques. Bien que cette île n’ait jamais été retrouvée, elle reste très présente dans le cœur et l’esprit des hommes qui, à travers les âges, lui ont consacré une partie de leur vie. Il est certain que le mythe reste bel et bien vivant et la question de l’existence de l’Atlantide reste en suspens. Reste à savoir si l’avenir donnera raison à ces personnes si dévouées au mythe. En tout cas, l’Atlantide vivra à jamais à travers l’esprit des hommes, et au final, n’est-ce pas ça le plus important ? Dossier Nouvelle du mois La Duchesse bleue Aquilegia Nox, [email protected] licence Creative Commons by-nc-nd 2.0 « Ce n’était pas moi ! » Ma sœur me regarde. Dans l’éclat bleu de son regard noir, je vois ma condamnation. Son sourire s’étire en faux, asymétrique et cruel, et ses yeux rient à l’instant où la pointe crue de sa lance de verre tranche la fine étoffe de ma robe multicolore. Mon sang ruisselle à ses pieds. Je ne savais pas si elle pouvait m’atteindre de si loin, alors je m’étais penchée vers elle, les bras tendus dans un élan d’espoir vain, à travers les barreaux de ma cage, pour atteindre un peu d’humanité. Mais ma sœur n’est plus ma sœur, et l’humanité ici n’a jamais existé. Elle me lance un dernier ricanement et se baisse pour essuyer de sa robe aux couleurs chaudes le rouge de mon sang. Ma cage se balance, et ma main blanche endigue le flot continu qui s’échappe de mon bras ballant. La lance de verre est à mes pieds, était-ce un cadeau ? L’opportunité de mettre fin à mes jours ? Non, pas encore, pas avant que j’aie pu crier mon innocence. Je n’assassine pas mes sœurs. Alors, je le crie. « Tu as déjà dit tout cela. Dois-je faire couper tes cordes vocales pour avoir la paix ? » La voix de la Duchesse résonne dans le hall. Je ne l’avais pas vue arriver, absorbée à hurler ma douleur comme une litanie… Si cette litanie avait pu me protéger de l’étroitesse de cette cage, à dix mètres du sol, qui oscille comme un pendule fou et vivant, faire rempart contre ma prison pour ma liberté… Je dois me taire, car la maîtresse des lieux, ma maîtresse, jusqu’à il y a peu, ne marquerait aucune hésitation à faire exécuter la moindre de ses menaces. Que la pensée ait seulement traversé son esprit est déjà presque la réalité de l’acte. Alors, je dois attendre, les articulations endolories par la pose figée, le cœur au bord des lèvres, l’estomac noué par l’angoisse, que le vrai meurtrier soit retrouvé. La Duchesse bleue est montée sur son trône, presque en dessous de moi. Je me trouve en réalité à la verticale du socle d’ivoire qui mène à ses pieds, invisibles sous sa lourde robe chamarrée. Un camaïeu invraisemblable de tous les bleus possibles et imaginables. Son visage d’albâtre, presque de cire translucide, encadré de la haute coiffe encerclant son interminable chevelure bouclée d’outremer passé, lourde des perles et dentelles les plus riches, n’est qu’un masque inexpressif, comme toujours. Ses cils recourbés touchent le haut de ses pommettes pâles, comme des cils d’enfant en sommeil, alors qu’elle ferme les yeux, les rouages de son esprit formulant son prochain caprice. Je vois plus clair, maintenant. D’en bas, l’aura puissante de Celle-qui-Dirige ne permet pas de percevoir autre chose que son désir immédiat. D’en haut, la distance et la peur dessillent le regard des soldats trop serviles. Même si je devais être relâchée, maintenant, je ne suis plus sûre de pouvoir retourner à l’adoration de ma maîtresse. Je ne suis plus sûre de pouvoir me battre de nouveau pour elle. Je ne suis plus sûre de l’aimer. Et comme cet amour a jusque-là empli ma vie, cette constatation m’amène d’une traite à la conclusion évidente Nouvelle 14 qui me troue le cœur : je suis déjà morte, puisque ma vie a disparu. Il n’y a plus de « possibles » pour moi, juste un dernier devoir : rester consciente jusqu’à la preuve de mon innocence. Le premier crime avait eu lieu dans le port. Le corps exsangue d’une sœur avait été retrouvé flottant entre deux eaux, tache de soie orange et mauve, dans l’eau turquoise du petit matin. Son visage n’était plus identifiable, on aurait dit qu’elle s’était battue contre le fauve le plus redoutable que l’humanité ait connu. Ses yeux gris aux paupières boursouflées, encore intacts, s’ouvraient comme ceux des poissons morts sur son néant. Nous avions cherché le criminel. Nous nous étions embusquées. Nous avions joué les appâts. Nous avions tué quelques passants. La Duchesse bleue ne se soucie pas assez de son peuple, dont plusieurs membres peuvent disparaître dans l’indifférence la plus totale, pour porter attention à ce genre de petite bavure. Pourtant, il m’est arrivé de voir sur ses joues couler le cristal d’un chagrin furtif, au souvenir de la perte de ses âmes. Et sa colère fut sans borne lorsque le deuxième corps fut retrouvé, dans une plantation. Tailladé des multiples feuilles oblongues et tranchantes arrachées des pieds de Zéa, il semblait avoir été pris dans une tornade de violence. Circonspection, peur ? Je crois qu’à cet instant la Duchesse n’avait pas encore ouvert son cœur à un autre sentiment que la rage dévastatrice. Dans le palais, tout trembla, et nous sortîmes en hordes fauves hors de nos murs, rangs serrés de guerrières implacables, flammes rouges, jaunes, violettes et pourpres, virevoltant dans le contraste de la froide immobilité de Celle-qui-Ordonne. Nous avons tout écumé. Nous avons égorgé les passants qui ne s’étaient pas calfeutrés à temps, et osaient lever le regard vers nous au lieu de contempler leurs pieds poussiéreux. Le royaume sombra dans un flot de violence dont il ne ressortit qu’une chose : d’autres cadavres de nos sœurs, lacérés, sans que quiconque ait pu voir ce qui s’était passé. Pas de témoin, pas de preuve, pas de signe. Juste un manque de chance. Le mien. J’avais entendu un cri étouffé dans une ruelle, alors que la nuit venait de tomber et mâtinait d’un gris sombre et bleuté, presque noir, toutes les couleurs du monde. Le feu de quelques torches, vestiges de la vie nocturne des habitants, donnait la seule lumière. À pas comptés, dans le silence ouaté de cette nuit sanglante désertée de tout chant, de tout jeu, de toute voix, la nuit couvre-feu, la nuit qui cache, je me suis déplacée, invisible chasseur, jusqu’à la voix de ma sœur. Je n’ai trouvé, dans l’humidité de la ruelle, que son cadavre. Son sang avait ruisselé jusqu’à la rue, envahi la pierre mouillée, glissé jusqu’à moi, et imprégné tout l’air ambiant de son odeur métallique. Lorsque mes sœurs sont arrivées, leurs lances de verre pointées vers un danger imaginaire qui avait quitté les lieux depuis longtemps, elles ne trouvèrent que moi, tenant dans mes bras rougis et poisseux les lambeaux de ce qui avait été l’une des nôtres. Elles n’ont pas cherché à comprendre. Elles ont hurlé. Elles ont pleuré et chanté. Elles ne réfléchissaient plus depuis des jours déjà. Et je suis là. J’assiste, impuissante, à la destruction de mon monde. Le véritable coupable court toujours, je le sais, et ne laissera que désolation sur son passage. Il nous a narguées, a éclairci nos rangs à nous en rendre folles, viendra-t-il jusqu’ici, jusqu’à la salle du trône ? Je le pense. Il va faire disparaître tour à tour tous les obstacles qui se dressent devant lui, un par un. Insaisissable, invisible, venu de la mer, ou né en ces terres, sur notre île verdoyante et mystique, il va continuer sa danse échevelée et sanglante, porter coup sur coup, et nous atteindre au cœur. Je n’attends plus qu’une chose, alors que mon corps est déjà desséché, et que mon esprit ne réclame plus rien que l’assouvissement de sa frustration, fille de l’incompréhension, ce mur de brique qui me sépare de tous les autres. Je n’attends plus que le prochain coup, preuve de mon innocence. 15 Nouvelle Je veux le voir avant de mourir. Je veux qu’il se dévoile tant que mes yeux sont encore assez humides pour saisir un peu de lumière. La connaissance du visage du monstre apaisera mes dernières souffrances. La nuit est là. Je ne l’ai pas vue venir. Comme j’aimerais que ce soit le jour qui me prenne en traître ! Si je meurs pendant la nuit, je ne saurai pas, je ne verrai rien… Ces longues heures noires, dans la soif intense qui me réveille malgré moi, fantôme oublié dans la salle vide, éclairée uniquement des torchères oubliées dans leurs portoirs… Les touches dorées dont elles éclaboussent les murs, les barreaux de ma cage, le trône en dessous de moi, comme les coups de pinceaux d’un peintre fou, ne réchauffent personne. Ces flammes ne font même pas reculer l’obscurité physique, ni celle de mon ignorance ou de celle des autres. Elles n’ont pas de vie, pas d’attente, pas de rôle… Je préférerais que seule la lune froide éclaire la mort de ma dignité, que seules les étoiles me voient mourir… Si je dois mourir avant l’aube. La volonté seule peut-elle me faire tenir ? Si tout se désagrège, aurais-je la chance de voir la fin de cette énigme avant la mienne ? Le jour n’est pas levé. Le jour n’est pas levé et pourtant quelque chose a changé. La lumière ? Non, les torchères illuminent toujours la salle du trône, vide et silencieuse, de leur clarté sans ambition. Vide ? Non, il y a une forme noire sur le trône. Grande. C’est la lumière orange des flammes qui m’a empêchée de la reconnaître. Ma maîtresse est là. Immobile. Elle attend. Est-ce que son visage est lisse, ou crispé par la peur ? Peut-être un sourire masochiste attend-il sa propre fin ? Je ne peux pas la voir, mais je sais qu’elle restera sans bouger jusqu’à ce que le soleil glisse un rayon pardessus l’horizon. Où sont mes sœurs, ses guerrières ? Sont-elles reparties écumer l’île, chercher la proie qui les chasse ? Le temps s’écoule avec viscosité. Même si j’en avais la force, je n’oserais pas bouger. Le temps se fige. Il fait clair. Un peu d’humidité est parvenu jusqu’à moi par la fenêtre ouverte et m’a réveillée. Le temps est gris, et il pleut. Le jour s’est levé il y a peu, et la lumière, maintenant que les torchères sont éteintes, n’est plus que grise et terne. Ma maîtresse n’a pas bougé. Elle est toujours là, et attend. Mes sœurs sont hors de vue. Reviendront-elles ? Il n’y a pas un bruit, à part le martèlement de l’eau sur les vitres, le toit, les murs. Et le grincement de la grande porte. Il est là. Je sais que c’est le tueur. Il porte un long manteau rouge sombre, et son chapeau à bord large dissimule les traits de son visage. Quelques mèches cendrées s’échappent d’un catogan mal fichu. Il me semble qu’il porte des lunettes. Je ne l’ai jamais vu, et je n’ai jamais vu non plus quoi que ce soit qui lui ressemble. Il n’est pas d’ici. Ma maîtresse s’est levée. Elle sait maintenant que j’étais innocente, mais ne s’en soucie guère. Un appel, bref, me fait redresser. Je sais qu’il ne s’adresse pas à moi, mais j’ai tellement l’habitude d’y répondre… Mes sœurs guerrières sont là. Qu’elles sont peu nombreuses ! D’un geste, Celle-qui-Commande les envoie sur l’intrus. Comme des feux follets elles se jettent en avant, flammèches folles et hurlantes. L’intrus lève le bras gauche. Mes sœurs ne bougent plus. Elles ont perdu leur feu, leurs couleurs et leurs vies. Nouvelle 16 Ce ne sont plus que des statues, figées dans l’animalité de leur mouvement. L’une d’elles, en déséquilibre, trop penchée en avant dans sa course, tombe et se brise. Les larmes, que je croyais taries, me montent aux yeux. Ma maîtresse pousse un cri. La tempête s’engouffre dans le palais. De la bouche aux lèvres de nacre bleutée de Celle-qui-Dit, le vent le plus violent d’une tempête tropicale, mêlé à un hurlement strident de bête féroce, s’abat sur l’intrus. J’ai du mal à voir, à travers la poussière, la tornade qui a envahi la pièce. Fait-il face ? Survit-il ? Je ne vois qu’une silhouette, les deux bras levés pour protéger sa tête. Il me semble qu’il ne bouge pas. Oui, il reste immobile dans la tourmente. Mes oreilles saignent. Tout disparaît dans un blizzard qui fait balancer ma cage contre le mur sans parvenir à la détacher. Puis tout s’apaise, petit à petit. Sur les marches du trône se tient une fillette. Ses cheveux noirs et fins tombent mollement sur ses épaules et grâce au balancement de la cage je peux apercevoir son visage aux lèvres bleues empli de colère. L’homme en face lui tend la main. « Ton calvaire est fini, la solitude n’est bonne pour personne. Je suis envoyé par le continent. Nous ne pensions pas que quelqu’un avait survécu au naufrage… Tu n’auras plus besoin de peupler ton monde de chimères pour rester en vie. Tu vas rentrer avec moi, nous allons quitter cette île maudite. Cet endroit va retourner à sa nature sauvage, personne ne doit rester trop longtemps ici. L’île aux Crabes détruit ceux qui ne peuvent lui faire face. » Je suis toujours là, ils sont partis. Je me balance, sans fin depuis des heures. Je ne suis même pas sûre d’avoir compris. Ils m’ont abandonnée au milieu des statues de mes sœurs. Ai-je tout inventé ? Qu’est devenu le monde dans lequel j’ai vécu ? Ai-je jamais existé ailleurs que dans l’imagination d’une naufragée ? 17 Nouvelle Fantasmes Aquilegia Nox, [email protected] licence Creative Commons by-nc-nd 2.0 Je marchais sur la grève par un bel après-midi ensoleillé. Le ressac lent et calme rythmait mes pas, qui suivaient en ligne droite la limite des vagues, alors que mon esprit vagabondait de gauche et de droite, de haut et de bas. Le soleil assez bas donnait une lumière claire et chaude, et l’absence de vent créait une atmosphère curieusement presque intime, dans ce lieu pourtant si ouvert, symbole éternel de liberté et de départ. Je longeais l’écume sans me soucier de souiller mes souliers, déjà usés par maintes promenades hors des sentiers battus. Je retournais parfois du pied quelque coquillage, quelque débris d’algue laissé là par les eaux négligentes, dégageant des galets aux couleurs pastels, des plumes défraîchies, des morceaux de verre polis, pour le plaisir de l’œil et de la découverte. L’air a, près de l’eau, cette senteur particulière et inimitable des boues organiques en décomposition, parfois forte, parfois légère, mais toujours présente, que l’on associe sans faille aux journées ensoleillées et à la baignade. Cela faisait bien longtemps que je ne m’étais pas baigné… Mais cela ne me manquait guère. J’étais davantage fait pour les études au coin du feu que pour le grand air, à moins qu’il ne s’agisse d’une promenade secrète en solitaire, face aux éléments dans toute leur simplicité. Mes pas m’avaient guidé loin des chemins habituels. Seuls les cris des oiseaux de mer me tenaient compagnie depuis plus d’une heure. Je commençais à chercher du regard un endroit commode où m’asseoir, pour m’imprégner du seul bruit de l’eau, et de la lumière, quand une curieuse forme retint mon attention. Un homme assis, face à l’horizon. Une femme, peut-être ? Non, un homme, c’était sûr. Assis en tailleur, le dos voûté, comme arc-bouté face à un vent violent, le visage face à la mer, et un bras tendu comme pour indiquer l’horizon à un compagnon invisible. Il ressemblait à un arc bandé, et n’aurait pas dégagé davantage d’intensité s’il avait vu et désigné un dragon sortant de l’eau à un pas de lui. Mon premier geste fut de regarder dans la direction qu’il indiquait ; l’horizon s’étalait à perte de vue, l’absence de vent ne troublant pas d’un iota la surface calme de la mer d’huile. Une brume pâle et légère estompait le lien entre la terre et le ciel, et une mouette cria. Je haussai les épaules et m’approchai, mû par la curiosité autant que par la circonspection. Il s’agissait indubitablement d’un homme. En avançant, je distinguai de mieux en mieux les détails de sa stature, de sa vêture, et de son expression. Il était habillé de sombre, et la crispation de sa pose n’indiquait que la plus grande stupéfaction. Quand je fus à quelques pas, la vérité m’apparut. Il s’agissait d’une statue, posée là. Une simple statue d’un homme montrant avec une intense nervosité un objet absent du paysage. Son visage était crispé en une grimace de désespoir, dents découvertes par un rictus effrayé, yeux plissés de concentration et écarquillés d’effroi, tout à la fois. Le tissu des vêtements était détaillé avec une finesse délicate, et l’on devinait sans mal la force du vent. Je touchai la pierre de la main, admirant le travail de l’artiste. Je laissai mes doigts courir dans les plis du Nouvelle 18 vêtement, sur les traits du visage, l’ondulation des cheveux. Où donc était le sculpteur, et pourquoi avait-il laissé son œuvre à un endroit où personne ne pouvait la voir ? Je regardai de nouveau l’horizon. C’était vide, désespérément vide, sans rien que le soleil, dont l’éclat commençait à être terni par la brume, et la mer, languide et puissante à la fois, comme une chatte au repos, qui vous regarde sans vous voir, au travers de ses paupières closes. Je m’assis à gauche de la statue et m’enveloppai dans mon manteau pour faire barrage à l’humidité. Je n’avais pas eu, de toute manière, l’intention d’aller plus loin. Je posai mes bras sur mes genoux relevés et mon menton dans mes mains jointes. Il risquait de faire rapidement frais, mais je n’en avais cure, mon habit étant assez épais. En outre, la marche m’avait donné chaud. Je contemplai l’horizon, fixement, reflet vivant de mon homologue statufié, calme contraste de sa stupeur. La danse des mouettes me captiva un moment. Quelques sternes et goélands se mêlaient parfois à elles. Les gracieuses hirondelles de mer aux ailes en faux serpentaient dans le ciel de plus en plus terne, plongeant par moment dans les eaux plates, et ressortant de temps en temps avec un poisson vite avalé. Un labbe fit son apparition. Il commença à pourchasser les sternes, sans que je puisse déterminer les motifs du choix d’une proie particulière. Il était bien plus grand que ses cibles, et sa longue queue en pointe me rappelait les cerfsvolants de mon enfance. Avec une virtuosité inégalable, il harcelait un oiseau blanc à bec rouge, et finit par obtenir ce qu’il désirait : le fruit d’une pêche déjà à moitié digérée, régurgitée de mauvaise grâce pour échapper à un passage à tabac en bonne et due forme. À peine son butin avalé, le labbe choisit une nouvelle proie. Certains de mes collègues pratiquaient volontiers cette technique eux aussi. Gracieux ou violents, les parasites choisissaient une jeune recrue, et la décidaient, à force de flatteries ou de menaces à peine voilées, à travailler pour eux. Ce qui était excusable pour un oiseau de mer sélectionné par la nature pour cette tactique l’était moins d’étudiants et professeurs agissant par choix personnel. Tant qu’ils laissaient mes étudiants tranquilles… Je poussai un soupir et tendit une jambe qui s’ankylosait doucement. Si la brume avait été moins épaisse, j’aurais pu, avec un peu de chance, distinguer les contours de l’île aux Crabes, probablement située en face. Un jour, il faudrait que je loue un bateau pour m’y rendre. La faune et la flore de cette île valaient paraît-il d’être vues au moins une fois dans sa vie. Je n’avais pas du tout la mentalité d’un explorateur, mais l’île aux Crabes avait été présente dans mon environnement depuis tellement d’années qu’elle avait fini par devenir familière sans que je n’y sois jamais allé. Un jour, je me déciderais. Ce n’était pas pressé. Je tournai les yeux vers la statue. Le soleil avait disparu, avalé par la terre, et quelques étoiles commençaient à briller derrière moi. Le gris neutre du crépuscule avait remplacé la clarté nacrée de l’après-midi. Les mouettes, les sternes, les labbes, tout ce petit monde avait disparu. Un caillou roula et termina sa course désordonnée en heurtant mon pied droit. Je tournai la tête, doucement, pour voir ce qui avait causé sa chute, regard en coin. Deux grandes silhouettes se découpaient contre le gris crayeux de la falaise à quelques dizaines de mètres derrière moi. Je me tournai un peu plus pour mieux les voir. C’étaient deux personnages longilignes et un peu voûtés, portant de longs manteaux. L’un d’entre eux, le plus grand, était coiffé d’un chapeau cylindrique haut d’une cinquantaine de centimètres. L’autre avait un couvrechef plat et plus large. Je ne voyais pas leurs yeux. Ils devaient mesurer entre deux mètres cinquante et trois mètres. Comme ils ne bougeaient pas, je me demandai tout d’abord s’il ne s’agissait pas de statues, que je n’aurais pas vues à mon arrivée, obnubilé que j’étais par mon ami assis. Je ne voulais pas me lever, pour ne pas attirer l’attention. Bien m’en prit, car après quelques instants, le plus grand des deux avança à grandes enjambées dans ma direction, suivi de près par son compagnon. Ils s’arrêtèrent juste derrière moi. Une brise légère s’était levée et faisait jouer leurs longs manteaux. Je m’étais tourné de façon à avoir une vue à la fois sur la mer, sur la statue de l’homme assis et sur les deux escogriffes. De ma main droite, je me préparai à me protéger, au cas où. Pourtant, j’étais bien décidé, autant que faire se peut, à ne pas troubler cette scène étrange. La brume s’était levée, et le ciel nocturne virait du bleu au noir piqueté de blanc avec célérité. L’homme au chapeau plat se baissa et posa la main sur l’épaule de statue. 19 Nouvelle Alors, d’abord presque inaudible, puis de plus en plus fort, un cri rauque, d’angoisse et de douleur, emplit l’espace, s’infiltrant jusqu’à la moindre anfractuosité, vrillant mes nerfs et perçant mes tympans. Quand plusieurs dizaines de secondes furent passées, alors le cri s’acheva sur un râle sanglotant, et la poitrine de la statue s’abaissa. Je l’aurais parié. Dommage qu’il n’y ait eu personne avec qui concrétiser ce pari. Le bras tendu retomba mollement sur un genou et la tête s’abaissa. Les deux géants avaient chacun une main posée sur l’épaule de leur ami. Aucun ne semblait n’avoir remarqué ma présence. Alors, l’homme assis releva son visage vers la mer, et je me rendis compte que les trois étranges personnages la fixaient. Je tournai aussi les yeux vers l’horizon. Ce que je vis me surprit, car je n’en avais jamais entendu parler. Je parvenais à distinguer la masse sombre de l’île aux Crabes, loin devant. Une fine ligne claire semblait en partir. Une ligne un peu lumineuse, un peu brillante. Si la Lune avait été levée, on aurait pu prendre cette trace pour son reflet, mais la nuit était d’un noir absolu, si l’on exceptait une certaine lueur venant des étoiles. La trace lumineuse semblait avancer vers nous, et je sentais les trois hommes à côté de moi retenir leur souffle. Je fis de même. Plusieurs minutes s’écoulèrent sans qu’il se passe rien d’autre que cette lente progression, impalpable, impossible à mesurer. Y avait-il réellement progression, d’ailleurs ? Parfois j’en doutais, me demandant si cette idée d’avancée n’était pas une simple illusion. Mais non. Bientôt, je distinguai un objet noir, que j’identifiai comme une barque. Des sons, aussi, me parvinrent malgré le bruit des vagues, que la brise agitait peu à peu. Des sanglots, des sanglots de femme. Les trois personnages à côté de moi commencèrent à marmonner, à chuchoter, à voix basse et rapide, un incompréhensible charabia. La barque n’avançait plus, alors que le halo lumineux qui entourait l’eau autour d’elle gagnait en force et en brillance. Je n’y comprenais rien, et bientôt je n’y tins plus. Je repliai mon index gauche contre mon pouce pour former un anneau, et soufflai un charme dans le cercle ainsi créé. En prenant garde à bouger le plus doucement possible, je montai la main à hauteur de mon visage et regardait par la lentille d’agrandissement. Je ne vis tout d’abord pas la barque, et dus osciller de droite et de gauche en maudissant le manque de visibilité. Quand je la trouvai, enfin je compris mieux. Ce que j’avais pris pour une traînée lumineuse n’était que la lueur des créatures marines enchantées qui infestaient le coin. Les sirènes de contes sont de bien gentilles petites filles comparées à ces sanguinaires monstres d’avidité formés des craintes des pêcheurs des environs. C’est peut-être pour cela que l’île aux Crabes est si fascinante : les eaux qui l’entourent, polluées par les effluves enchantés qui proviennent du courant du fleuve longeant l’École, ont une tendance un peu trop marquée à matérialiser les fruits de l’imagination de ceux qui s’y promènent. D’ailleurs, il me paraissait fort probable que l’ensemble de la scène n’ait été que le produit de l’imagination ou le souvenir de quelqu’un. La statue peut-être ? La femme dans la barque avait toutes les peines du monde à empêcher les mains griffues des créatures abyssales de s’accrocher aux bords de sa frêle embarcation pour s’y hisser et en même temps à continuer à ramer. D’ailleurs, une de ses rames ne tarda pas à glisser dans l’eau et une des fantasmagoriques figures de cauchemar attrapa le poignet de la pauvre fille et le mordit. Le sang gicla, et la pauvresse réussit à se dégager in extremis. Je résistai à l’envie de me lever pour mieux voir et observai les réactions des autres. Leurs chuchotements s’étaient intensifiés, et l’on distinguait maintenant nettement leurs trois voix, mais je n’entendais toujours pas ce qu’ils disaient. Ou plutôt, je l’entendais, mais je ne le comprenais pas. Néanmoins, j’avais bien une petite idée de ce qu’ils étaient en train de faire. Le plus grand parlait avec une voix de basse, fort belle d’ailleurs, tandis que celui au chapeau plat émettait un son beaucoup plus aigu et que l’homme assis avait un timbre plus moyen. Le chœur de leurs trois voix provoquait un magnifique effet de résonance, enflant au rythme des vagues. Je soufflai un nouveau charme sur la lunette de vision formée par ma main gauche, et regardai de nouveau au Nouvelle 20 travers. Le vent m’apparaissait de façon pratiquement visible, volutes d’argent sur le fond noir. Je trouvai la barque. Les filaments de brise étaient trop opaques, je ne voyais même plus l’occupante. Je tournai la main de quelques degrés vers la droite. Le vent reprit sa transparence, mais les fantômes marins devinrent plus brillants encore et prirent une teinte rougeâtre. C’était un peu mieux. J’inclinai encore la main d’un mouvement infime, et je vis ce que je voulais. Les formes crochues qui arrachaient à belles dents la chair de la jeune femme dans la barque disparurent presque de ma vision, mais un fin filament violacé avait fait son apparition. Il tressaillait en accord avec les murmures de plus en plus forts des trois hommes à mon côté. Il était attaché à l’avant de la barque et leur permettait de la tirer progressivement vers la plage. Je repris le mode me permettant de voir les monstres fantasmés, et constatai que leur surnombre allait sans aucun doute leur donner la victoire. Mes trois compères ânonnaient maintenant leur sortilège à voix haute, comme pour lui donner plus de force. Le rythme ahanant de leur mélopée scandait la traction du filin invisible que leur magie seule avait matérialisée, comme une mélodie de marins au cabestan. Une force énorme s’en dégageait, une force dont la chaleur commençait à irradier jusqu’à moi, contrebalançant la froide humidité marine de la nuit. Hélas pour eux, la force adverse était plus nombreuse, plus enragée, et plus affamée. La femme s’était recroquevillée au fond de la barque, au corps à corps avec les créatures de cauchemar qui avaient fini par envahir son esquif. La bataille touchait à sa fin, et bientôt il ne resterait, sur le chemin de lumière qui menait ce soir à l’île aux Crabes, qu’une barque vide comme une coquille de noix. Je poussai un soupir. Devais-je intervenir, ou pas ? Depuis combien de temps ce rituel fantomatique se jouait-il chaque nuit, alimentant les frayeurs des pêcheurs locaux et attisant du même coup leurs craintes des choses de la nuit et de la mer ? Et surtout, combien de temps se rejouerait-il encore ? Tout cela n’était que fantasme, fantômes nés de désirs et de peurs, d’histoires personnelles gravées dans le temps par une magie trop dense et trop sauvage. La tragédie qui se déroulait sous mes yeux nourrissait elle-même les autres fantasmagories, les créatures oniriques et effrayantes s’engraissaient des rêveries des autres comme de leurs pires cauchemars, créant leurs propres simulacres de vie, et en conséquence un écosystème magique auto–alimenté. Avais-je le droit d’interférer dans leurs histoires ? De les priver de leur pitance, de les affamer davantage qu’elles ne l’étaient déjà ? Et pour faire quoi ? Satisfaire d’autres créatures, guère plus présentes que des ombres ou des statues ? C’était un dilemme difficile à résoudre, mais ma curiosité fut finalement la plus forte. Je retroussai mes manches, brisant du même coup le charme de vision qui imprégnait ma main gauche. Je n’en avais plus besoin. J’avais pris ma décision. Je levai les bras et laissai les effluves de magie locale les imprégner. Puis je plaçai ma main gauche paume ouverte vers l’extérieur contre mon flanc droit afin de déployer un bouclier qui empêcherait toute attaque magique ou physique des trois curieux personnages à ma droite, au cas où ils prendraient enfin acte de ma présence. De ma main libre, j’aspirai les forces brutes qui, en passant par mes charmes et incantations, se matérialiseraient en filaments de magie dirigée en un dessein précis. Les premiers sortirent comme des mots de ma bouche, et se faufilèrent jusqu’aux fantasmes fantomatiques qui avaient pratiquement fini de se repaître de la jeune fille. Le premier à être touché fut pris de spasmes, et manqua de se liquéfier en rejetant sous forme d’énergie pure le morceau sanglant qu’il avait avalé. Je les harcelai tous de la sorte, les forçant à recracher, rejeter, chaque parcelle avalée, de façon à reformer le corps épars dans la barque. Il n’y avait pas de problème à le recomposer ainsi, car de toute façon, la véritable jeune fille, en admettant qu’il y en ait eu une, était morte depuis belle lurette. Ne restait qu’une idée, une ombre, une relique, que je reconstituai petit à petit. Effarouchés, les prédateurs prirent leurs distances. De leurs yeux mauvais, les visages me fixaient, cherchant un moyen de m’atteindre. Las, j’étais où j’étais, et leur élément n’était pas le mien. Quand la femme fut de nouveau entière dans sa barque, assise à la poupe, je me contentai de maintenir ces némésis à distance pendant que le trio la halait, leurs murmures maintenant aussi doux que le clapotis des vagues contre les galets. Le fond de la barque racla le sable et les galets de la plage. Le calme était revenu, bien que la brise soufflât 21 Nouvelle toujours. Un long instant passa avant que l’occupante de la barque ne bouge. Je me réjouissais intérieurement des retrouvailles de deux amoureux, heureux d’avoir participé à clore un cercle fantomatique laissé par le regret de deux cœurs transis et séparés par le malheur. La femme se leva lentement, et enjamba, malgré sa longue robe blanche et diaphane, le bord de la barque. L’eau rendait lourd son vêtement, qui soulignait les contours de son corps. Elle avança peu à peu, vers l’homme qui avait été assis, et qui s’était levé. Les deux autres, Chapeau-haut et Chapeau-plat, se tenaient à quelques pas en retrait, ombres parmi les ombres. Quand elle fut à deux pas de lui, elle s’arrêta, il avança vers elle et l’étreignit avec force. Je souris, mais mon sourire se mua en rictus d’effroi quand je vis le couple se séparer, et la femme s’écrouler au sol, les mains crispées sur un ventre ouvert du bas vers le haut. Son amant tenait une lame qui avait jusque-là échappé à ma vue, et venait d’éventrer sa compagne avec violence. Il lâcha son arme, et, rejetant la tête en arrière, hurla vers le ciel. Ses deux compagnons reculèrent, comme s’ils flottaient dans l’air, et avant que j’aie réalisé ce qui se passait, il ne restait que deux chapeaux, un haut et un plat, qui roulèrent sur le sable. L’homme qui avait été une statue, ses poumons vides de tout air, cessa de crier. Il se baissa pour prendre les chapeaux qui avaient achevé leur course à ses pieds, posa le haut sur le plat et s’en coiffa. Il avança vers la mer, comme un automate, en regardant droit devant lui. Il marcha sur le corps étendu de la femme, dont la chevelure se mêlait d’algues et de sable sous les caresses de la mer. Il s’enfonça dans l’eau, pas à pas, et s’y dissout. Quand j’avais trouvé la statue d’homme, je m’étais demandé où était le sculpteur. La réponse était simple : il était à ce moment sous mes yeux. Cet homme s’était sculpté lui-même, artisan, artiste de son propre malheur. Il avait taillé son histoire avec tant d’acharnement, de volonté, de hargne, que même après sa mort, elle avait continué d’exister. En deux minutes, il avait disparu dans les entrailles de la mer, son sombre dessein enfin accompli. La femme gisait toujours. Je m’approchai doucement de son corps. Il avait la douce matérialité des fantômes de la nuit. Son visage, pâle et fin, presque bleuté, reflétait la lumière des étoiles. Le sel d’une de mes larmes se mêla au sel de la mer sur cet œil sombre, que la mort n’avait pas encore voilé. N’aurais-je pas dû la récupérer du fond des mers ? Aurais-je dû la laisser être démembrée, chaque nuit un peu plus ? J’ignorais si les souvenirs, les idées ou les fantasmes éprouvaient de la souffrance. Comment en douter en ayant sous les yeux ce visage exprimant toute la détresse du monde ? Je poussai un soupir, et prononçai, d’une voix claire, un dernier charme pour cette nuit. Désormais, si vous vous promenez sur la plage en face de l’île aux Crabes, vous y verrez une statue, celle d’une femme qui avait trompé son amant, le fils enchanteur d’un chapelier, avec un fantasme qu’elle s’était créé sur l’île aux Crabes. En revenant de son escapade, deux morts l’attendaient : la lame de son amant sur la plage, ou les crocs des créatures marines imaginaires. Elle subit les deux, par ma faute. Alors, à la fois pour qu’il reste un souvenir de cette tragédie – mais un souvenir sans vie – et qu’elle ne se reproduise pas chaque nuit, je drainai et absorbai toute la magie de ce bout de plage et m’en nourris, récupérant finalement pour moi l’énergie volée aux fantasmagories marines. J’inspirai son essence, qui grandit ma magie, m’imbibant de sa puissance brute et élémentaire. Son parfum de vague à l’âme teinta mon esprit, mais je ne cessai pas avant que tout soit fini, qu’il ne reste de la beauté éventrée qu’une enveloppe vide. Je la changeai en pierre, en m’assurant qu’elle ne s’anime plus jamais, jusqu’à ce que la mer l’ait dissoute, réunissant dans ses vagues les deux amants maudits. Nouvelle 22 Vagrant Story Bonne année tout le monde ! de jeux de Sony. À l’origine, je voulais tester tout autre chose (Dragons Age en l’occurrence), mais déçu par un jeu lourdingue et mal fichu (oui, oui, Dragon Age), je me suis tourné vers Vagrant Story, jeu que je n’avais jamais pu finir à l’époque (plus de Playstation). Donc oui, c’est de la conversion de Vagrant Story, superbe jeu datant de l’âge d’or de la PS1, dont je vais vous parler. Déjà, je vois que vous vous posez la question : « Attendez, il nous fait quoi là, il va nous parler d’un vieux jeu que tout le monde a oublié et qui nous obligerait à sortir nos émulateurs pour essayer ? » Nan, relisez au-dessus : il est disponible sur le PSN. Et comme tout jeu du PSN, il est jouable sur la PS3 et la PSP, et ce, pour 5 € 99. Ça change des jeux à 75 € (sic) que l’on a actuellement (Bayonetta me fait encore pleurer). Cette année, comme à chaque fois, j’ai eu de beaux cadeaux, je ne les ai pas revendus sur eBay, et je vous conseille de faire de même, même si, oui, je sais, le pull de Tante Ursule est immonde. Non, je n’ai pas l’intention de vous raconter mon Noël, je vais en venir au vif du sujet : Vagrant Story, sorti sur le PSN, la plate-forme de téléchargement Bon, lançons ce jeu. Première chose qui choque si on joue sur PS3, c’est le sympathique mode « plein écran », qui colle le jeu dans une sorte de 16/9 pas beau, mais qui heureusement se désactive facilement. Sur PSP, même problème selon la config de la PSP. Un jeu PS1, ça se joue en 4/3 ! Une fois l’écueil passé, on peut regarder sans problème la belle vidéo, plutôt sympathique pour l’époque (contrairement à plein d’horreurs que j’ai pu voir dans le même temps), puis, après un menu minimaliste, le jeu se lance. faciales détaillées, chose rare sur la Playstation 1, et l’on s’attend presque à entendre leur voix tellement le jeu est immersif. Les décors entièrement en 3D vous laissent tout loisir de les admirer, la caméra pivotant à 360 degrés, et l’on a même la possibilité de les observer plus en Les dialogues jouent avec la caméra et les personnages parlent dans des bulles façons BD. Êtes-vous sûrs de vouloir avancer ? Première chose : baffe visuelle. On a de superbes graphismes, qui n’ont rien à envier aux autres jeux de Square sortis plus tard comme Final Fantasy 9, fins et travaillés, et même si ça pixellise, c’est extrêmement impressionnant. Les personnages ont des expressions 23 détail en se mettant en vue « première personne ». Et quand la vue est fixe, l’angle est toujours parfaitement choisi pour ne pas ressembler à un autre et mettre parfaitement en scène ce qui risque de se dérouler (parce qu’il ne faut pas rêver, un angle fixe = scène de blabla ou Boss Fight). Sombre et violent, il a par contre un scénario retors, mettant en scène le personnage d’Ashley, une semaine avant qu’il soit accusé de l’assassinat du Vagrant story duc Bardora, alors que vous recherchiez son fils disparu, enlevé par une étrange secte, dans la citadelle de LéaMundis. Vous allez donc jouer durant cette fameuse nuit où, vous infiltrant Et celui là est petit. dans le château du duc, vous allez chercher à découvrir tout ce qui se passe dans cet endroit et à retrouver le jeune garçon. Au programme donc, une nuit en enfer, du bon « dungeon crawler », en plus passionnant. Oui, un RPG sur une seule nuit, en un seul lieu, c’est curieux, c’est comme ça, et c’est bon. Niveau gameplay, on a une action RPG, mêlant équipement customisable et craftable à souhait, magie avec barre de Mana à gérer, phases de plateforme à base de caisses à soulever, de plateformes volantes, de leviers cachés, et ainsi de suite, et bien entendu, de combats ! Venons-en aux combats. Sans temps de chargement (le jeu utilisait le préchargement, belle technologie de l’époque qui faisait que, quand vous étiez dans une salle, il chargeait celles qui se trouvaient à côté), sans transition, les combats se font directement sur la carte (oui comme dans Final Fantasy XII, c’est normal, c’est les mêmes créateurs). Vous appuyez sur votre jolie touche d’attaque, un cercle apparaît, le jeu se colle en pause, et toutes les parties visibles du monstre à occire vous apparaissent, prêtes à viser. Vagrant story Selon la taille, la position et tout un tas de petits paramètres, vous aurez différentes chances de toucher votre adversaire, et les dégâts seront variables. Par la suite, vous pourrez même faire de jolis combos attaque/défense, et utiliser votre magie. Ajoutez à ça la barre de Risk, une sorte de barre d’adrénaline, qui monte pendant les combats, en tapant et se faisant taper, et descend hors combat (qui a dit « barre de rage » ?), et vous permettra de faire des supers kikoo combos de la mort (c’est de moi), qui en plus d’être superbes seront dévastateurs. Voilà, qu’ajouter à ça ? Pas grand-chose. Si vous étiez en train d’écumer les soldes Steam (je me suis fait plaisir, l’intégrale de Dawn of War et World of Goo en promo, c’est cool), jetez-vous aussi sur celles du PSN, et n’oubliez jamais cette règle, de moi une fois encore : les jeux en téléchargement payant, que ce soit sur le Xbox live, Steam ou le PSN, valent le coup (enfin souvent). Sur ce, je vous souhaite un bon début d’année, faites gaffe aux dragons si vous n’êtes pas bien équipés, ne vous laissez pas manger par WoW, Aion ou WAR, et pensez à vous nourrir ! 24 Les Conseils de lecture du mage blanc Les dieux ne sont pas immortels Patrick Guerbette Les éditions Manannan Notre avis : Quatre ans de recherche et d’écriture nous donnent un livre particulièrement bien écrit. Eamus Cork vit en Irlande en 1845. Cogan va nous conter sa quête qui le mènera en Australie après un voyage mouvementé sur la Rose des vents. Il vivra avec ses compagnons de fortune en Tasmanie. On le retrouvera sur un baleinier à la recherche de son destin. 654 pages pleines d’images, de personnages et de détails qui embellissent notre lecture. À lire absolument pour connaître l’Irlande et ses légendes. Les Dragons de l’apocalypse Janus SC Edilivre Lorac, ancien guerrier de l’Enfer, a vendu depuis longtemps son âme au diable. Son désespoir est grand, jusqu’au jour où il se lie d’amitié avec un dragon. Son chemin le mènera aussi à rencontrer l’amour et à vivre une bataille grandiose entre les humains aidés par les dragons et les vampires, une bataille dont la victoire sera la clé de la liberté des humains. Notre avis : Lorae et sa dragonne Nitaa nous amènent en Mouranie pour combattre les vampires et redonner la liberté aux habitants de ces belles contrées. L’amour est là. Lorae succombera à Lia, chef des rebelles, mais cette union impossible ne sera révélée que dans le prochain tome. Alors, à quand la suite des aventures de Lorae, personnage énigmatique qui sait nous faire partager ses aventures ? 25 Conseils de lecture Rottenweiss David Rolandi Edilivre Une Terre ravagée par des hommes en lutte, mus par la haine perpétuelle, des populations décimées par la cruauté, une toute nouvelle et malfaisante mythologie : c’est le tableau de la société dans laquelle doit vivre Marie-Hélène Rottenweiss. Lorsqu’un être céleste lui donne un fils, elle comprend rapidement que seule la violence lui permettra de s’en sortir, et de faire de son fils un maître absolu. Jusqu’à ce qu’elle croise Cham, un homme en quête de liberté. Notre avis : Depuis un moment, nous déplorons au cinéma la grève des scénaristes. De nombreux films, Harry Potter 6 en tête, ont vu de très bonnes réalisations, mais des scénarios pauvres en rebondissements et truffés d’incohérences. Ce livre, lui, ne manque pas de scénariste : l’histoire est très prenante et l’on suit cette femme en proie au mal-être dans une terre dévastée, enceinte de la pire des façons qui soit, et sa reconquête de son identité. Mais alors, côté réalisation : au secours ! les flash-backs continuels nuisent à la lecture et à la compréhension de l’histoire, les écarts de langage ne servent pas l’histoire. En résumé : un livre à lire si l’on est en manque de lecture L’Elfe au dragon T. 3 Arthur Ténor Seuil Jeunesse Sur le dos de Karlo, Kendhil et Errindha volent vers Oriadith, de retour de leur précédente aventure. L’elfon parvient à convaincre ses amis de « faire un crochet » par la capitale impériale, Éa-Kyrion, afin d’y trouver un Magicien susceptible de le renseigner sur Mézandion. Mais le seul fait de prononcer le nom de Mézandion créé une grande agitation chez les Magiciens. Kendhil est arrêté et comparaît aussitôt devant un conseil réuni dans l’urgence, qui décide de prononcer contre le jeune Sentinelle le « sort des Maudits ». C’est une décision gravissime, sans précédent, qui voue Kendhil à une malédiction terrible, un exil dans un gouffre de l’Occulte. L’aide de son alter ego suffira-t-elle cette fois encore à le tirer de ce mauvais pas ? Le troisième tome des aventures de L’Elfe au dragon, toujours aussi passionnant, conduit Kendhil et Karlo dans un nouveau territoire de l’Empire d’Isuldain. Notre avis : Un savant mélange entre Eragon (pour le dragon) et Terry Pratchet (pour les mages aussi séparés du monde que possible). Une histoire simple, mais prenante dont on veut à tout pris connaître la suite et la fin du mystère qui entoure la naissance de cet Elfe peu commun qui perdra beaucoup dans cette quête. Je trouve dommage que la quatrième de couverture soit un résumé de ce que nous nous apprêtons à lire. Conseils de lecture 26 Le Sacrifice de l’épouvanteur Joseph Delaney Bayard Jeunesse Notre avis : Une couverture sobre, aucun texte de quatrième de couverture si ce n’est ce double avertissement : « À ne pas lire la nuit » ; « Cet ouvrage comporte des scènes susceptibles de heurter la sensibilité de trop jeunes lecteurs. » Vous voilà prévenu ! Une série sympathique qui a l’avantage de pouvoir être prise en cours de route. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu l’expression « le septième fils du septième fils », la dernière fois c’était dans Maudit Graal d’Anthony Horowitz. Tous les ingrédients d’une histoire réussie sont là : un vieux maître à l’allure britannique, un ennemi redoutable (deux en fait) , une fin du monde annoncée, deux-trois prophéties de mort, et en plus, l’obligation pour le héros de s’allier avec ceux qui ont voulu le tuer dans les tomes précédents. En résumé : une fantastique histoire remplie de créatures fabuleuses qui devrait ravir nos lecteurs les plus téméraires. L’Homme goudron Linda Buckley-Archer traduit par Danièle Laruelle Bayard Jeunesse Kate cherche à retrouver son ami Peter, resté au XVIIIe siècle. Elle et M. Schock, le père de Peter, repartent dans le temps, mais ils arrivent en 1792. Ils finissent par découvrir Peter, qui porte le nom de Joshua Seymour et qui a l’âge de son père. Ce dernier ne le reconnaît pas et Kate préfère lui cacher la vérité, espérant repartir dans le temps grâce au marquis de Montfaron. Notre avis : Le livre qu’auraient écrit Évelyne Brisou-Pellen et H G Wells s’ils avaient écrit un livre ensemble. Les Enfants de la lampe magique Vol. 4 Philip Kerr traduit par Pascale Jusforgues Bayard Jeunesse John et Philippa Gaunt portent secours à leur mère qui doit échapper à son destin de djinn bleu de Babylone. Leur père, victime de la malédiction de Mathusalem, vieillit prématurément en quelques semaines. Si les jumeaux ne font rien, il risque de mourir de vieillesse. Parallèlement, les enfants de la lampe magique doivent faire face à une armée de soldats en terre cuite qui menace l’humanité. 27 Conseils de lecture Des nouvelles de De cape et de crocs à un mauvais pulp, la série retrouve son souffle avec la conclusion dramatique du huitième tome. Le scénariste se trouve alors confronté à un choix : transformer sa commedia dell’arte en une pièce de tragédie grecque ou tenter le retournement de situation. Ayroles ayant plus d’un tour dans sa manche, il va, tel un Scapin préparant sa fourberie, nous mener par le bout du nez afin de nous rappeler que De capes et de crocs est avant tout une farce. C’est là que les avis généraux vont diverger. Applaudissements ou regrets, ce demi-tour scénaristique ne laissera personne indifférent. La conclusion de ce deuxième cycle laisse malgré tout un léger sentiment de frustration. Les dessins sont toujours au top, les références foisonnantes et les escarmouches verbales bien affûtées, mais le scénario reste trop léger par rapport à ce qu’il aurait pu être avec une trame plus dramatique. Bien sûr, ce nouvel opus reste plaisant à découvrir, mais une histoire un peu moins allongée et un peu plus sombre aurait peut-être encore gagné en saveur. De cape et de crocs T. 9 « Revers de fortune » Jean-Luc Masbou (dessin) et Alain Ayroles (scénario) Nous retrouvons nos héros en plein désespoir. La mort de Don Lope, les avancées de l’armée de Mendoza, le triomphe du prince Jean et bien d’autres malheurs s’abattent sur nos complices à la fin du tome 8. Coup final de cette saga théâtrale ? Mais l’arrivée d’alliés inattendus et la force d’un lapin vont transformer ce coup en premier des trois d’un nouvel acte portant le doux nom d’espoir, avec le tout nouveau tome 9. De cape et de crocs est ce genre de saga qui d’une trilogie se transforme en pentalogie, puis continue en s’allongeant. Chemin faisant et succès retentissant, l’histoire s’allonge avec un deuxième cycle pour le meilleur et pour le pire, du point de vue du lecteur (et de sa bourse de pièces d’or). Enlisée durant les premiers tomes de ce deuxième cycle dans un synopsis ressemblant de trop près Interview de Jean-Luc Masbou, propos recueillis en 2007 lapin existait aussi, mais il était joué par Alain, car c’était un « personnage non joueur » (NDLR : un personnage joué par le maître du jeu). Par la suite, Alain est devenu le scénariste de Garulfo, dessiné par Bruno Maïorana. De mon côté, je proposais des projets, mais ils n’aboutissaient pas. Alain ayant déjà un pied dans les éditions Delcourt en tant que scénariste, je lui ai alors proposé d’écrire un scénario en partant de l’univers de Contes et Racontars, en prenant le loup, le renard et le lapin comme personnages principaux. La première mouture n’a pas donné grand-chose, et puis Alain a ajouté le théâtre comme point de départ, avec Les Fourberies de Scapin. J’ai dessiné trois pages, et puis nous sommes montés voir Guy, que nous embêtions régulièrement avec nos scénarios (sourire). On nous a présenté le contrat un quart d’heure après. J’étais enfin devenu un professionnel de la bande dessinée, j’en rêvais depuis que j’avais 9 ans. Comment est née l’idée de De cape et de crocs ? Tout est parti d’un scénario de jeu de rôles. Comme Alain Ayroles et moi y jouions beaucoup, nous avons créé un univers, l’univers de De cape et de crocs, qui s’appelait à l’époque Contes et Racontars. Alain était le maître du jeu. Quand nous avions déterminé nos personnages, j’avais décidé de prendre un loup espagnol, redresseur de torts, inspiré de Hidalgo Montoya, le bretteur du film The Princess Bride. Sans savoir que j’allais jouer un loup, mon ami JeanYves Gobert avait décidé de jouer un renard irlandais, également redresseur de torts. Dans cet univers de fées et de pirates au XVIIe siècle, nous pouvions jouer tout ce que nous voulions, un humain ou un animal qui parle. Les caractères de nos deux personnages étaient très complémentaires, et nous les avons gardés dans la bande dessinée. Le De cape et de crocs 28 devait faire que 3 tomes (rires). En effet, au départ, il était prévu que les personnages aillent sur la lune et puis en repartent, en 3 tomes. C’était sans compter les pirates, le prince Jean, des tas de personnages qui ont enrichi l’histoire. Quel personnage du jeu de rôles n’a pas été adapté en bandes dessinées ? Aucun, car l’univers de Garulfo est aussi inspiré de Contes et Racontars. Dans les deux premiers tomes de Garulfo, qui faisaient une histoire complète, le méchant nommé de Geulard de Guesberg était le traître qui, dans le jeu de rôles, avait tué le père de Don Lope (rires). Dans une partie de jeu de rôles, il a eu un destin tragique de méchant de cape et d’épée : il est mort d’un coup d’estoc et est tombé de la plus haute tour de son fief. Sinon tous les personnages récurrents ont été créés pour la BD. Les pirates, par exemple, devaient uniquement apparaître sur quelques pages, puis nous les avons trouvés rigolos et ils sont devenus des compagnons inséparables (rire), une source inépuisable de gags plus stupides les uns que les autres, et une rallonge au scénario, qui à la base ne Quel est ton film de cape et d’épée préféré ? J’en ai beaucoup… J’aime The Princess Bride. Il a été une source d’inspiration très précise au niveau professionnel. J’ai aussi été forcement inspiré par tous les films de cape et d’épée que j’ai vus quand j’étais gamin. Il y a une anecdote assez amusante à ce sujet. Laquelle ? Les films qui m’ont le plus inspiré étaient ceux avec Jean Marais : Le Bossu, Le Miracle des loups et Les Trois Mousquetaires (qui n’est pas avec Jean Marais, mais avec Gérard Barray). Ces trois films ont un point commun : le méchant est joué par Guy Delorme. Au début de De cape et de crocs, un journaliste m’avait interviewé, et je lui avais dit qu’avec Alain nous allions utiliser le stéréotype du méchant pour le capitaine Mendoza et prendre Guy Delorme comme source d’inspiration, LE méchant des films de cape et d’épée. Le nom de Guy Delorme avait été publié et, il y a deux ans, j’ai reçu une lettre cachetée d’une demoiselle. Elle me disait qu’elle avait lu l’interview, que Guy Delorme était son père et qu’elle lui en avait parlé. Il avait lu la BD, l’avait trouvé très chouette et il était impressionné d’être de nouveau un méchant d’une histoire de cape et d’épée, mais dans une BD cette fois. J’aurais aimé le joindre, mais je n’avais pas les coordonnées téléphoniques de Guy Delorme, donc je ne savais pas comment faire. Quelque temps plus tard, le téléphone sonne et une dame me dit : « Je vous passe le capitaine Mendoza. » Cela m’a fait une drôle d’impression de discuter avec un personnage que j’avais vu en noir et blanc et en couleurs quand j’étais gamin. Il a insisté pour que je le tutoie. C’était une personne adorable. Je l’ai rencontré au festival de Bercy, il y a un an et demi, au mois de septembre. Il avait certes un peu vieilli, mais il avait toujours ce sourcil en accent circonflexe, ces yeux bleus perçants d’aigle et cette barbichette de traître. Puis, nous nous sommes revus à chaque fois que je montais sur Paris. Nous mangions, nous allions au théâtre ensemble. Il était vraiment flatté qu’Alain et moi nous soyons inspirés de lui pour le personnage de Mendoza. Nous lui avions demandé de faire la préface du tome 7 et il a malheureusement disparu juste avant que le tome 7 ne sorte. On y voyait sa photo et un petit speech. Le tome 7 est sorti le 13 janvier et il était décédé d’un cancer le lendemain de Noël. Cela nous a donné un sacré coup, car c’était vraiment quelqu’un qui était très agréable et qui nous racontait des anecdotes hallucinantes sur les tournages des films auxquels il avait participé. C’était amusant d’avoir rencontré un vrai traître de cape et d’épée, aussi sympathique dans la vie qu’il était méchant et teigneux au cinéma. Y a-t-il d’autres films, hors ceux de cape et d’épée, qui t’aient inspiré visuellement ? Oh oui ! Le Conan de John Milius m’a énormément inspiré, aussi bien au niveau de la narration que du visuel. Le premier Highlander aussi (les autres, on n’en parle pas) (rires). J’avoue qu’avant de travailler sur De cape et de crocs, j’étais plus influencé par les films d’héroïc fantasy, et aussi par des illustrateurs anglais comme Brian Froud. Maintenant j’adore aussi les films de pirates (rires). Serais-tu tenté par l’adaptation de De cape et de crocs en film d’animation ou en série animée ? Pour une telle adaptation, il faudrait mettre beaucoup d’argent. Mais je crois qu’Alain et moi aurions trop peur d’être trahis. Le cinéma a rarement les 29 De cape et de crocs mêmes aspirations que les auteurs originaux. Si nous donnions notre accord pour une adaptation, nous devrions être les chefs artistiques. Ne parlons même pas d’une adaptation télévisuelle en dessin animé, ce serait une horreur, car cela demanderait encore plus d’argent. Pour moi, le film n’est pas l’aboutissement de la bande dessinée. Les films d’Astérix ne sont pas mieux que les bandes dessinées par exemple. Ce qui était le plus amusant, c’était d’entendre réagir les spectateurs. Comme Astérix, notre BD a deux niveaux de lecture. Pour les gags plus visuels, nous entendions des rires d’enfants, et quand les gags étaient plus référentiels, c’étaient des rires d’adultes. Je rêve de voir quelqu’un ouvrir De cape et de crocs à côté de moi, sans savoir que je suis un des auteurs, et rigoler. Quel fond sonore conseillerais-tu à tes lecteurs pour accompagner leur lecture de De cape et de crocs ? Et en pièce de théâtre ? Là, c’est autre chose… Une compagnie bretonne, la « Compagnie des Masques », a réussi à retranscrire les deux premiers tomes sur scène. Ils se sont superbement débrouillés. Ils ont recréé un bateau en coupe, qu’ils plaçaient de face ou de profil selon les scènes. Il y avait une quinzaine d’acteurs, qui se déguisaient en différents personnages. Ils ont joué trois heures et ce fut du pur bonheur. De la musique de film, forcément. L’Île aux pirates (Cutthroat Island), certains passages de Highlander et de Pirates des caraïbes… Je connais quelqu’un qui a fait un mémoire sur De cape et de crocs. Il s’était fait une cassette à appliquer sur certaines scènes. Mais on n’est pas forcé d’avoir un fond sonore… De cape et de crocs avait-il une structure prédéfinie ? faut les développer visuellement, ce qui parfois amène à rallonger des scènes. Les albums ne se finissent jamais comme on le prévoit. C’est comme cela que de trois albums, nous sommes passés à sept, huit, puis neuf albums. Alain est un perfectionniste et il me montre toujours son découpage technique, représenté sur une page très détaillée. Il dessine vite et bien, et parfois je suis obligé de le freiner. Pour le début du tome 7, le cabinet de curiosités de Battologio, il avait tout dessiné, des papillons punaisés dans les vitrines aux squelettes accrochés au plafond, en passant par les reflets sur le parquet. C’était hallucinant ! (rires) Une fois que j’ai reçu ses pages, je les critique. Je lui ai fait refaire un nombre incalculable de pages. Alain et moi avons eu le même cursus, aucun de nous deux n’était plus scénariste ou dessinateur que l’autre. S’il s’est mis à davantage scénariser et moi à dessiner, c’est plus par la force des choses. D’ailleurs, le travail du scénario m’a manqué et je m’y suis un peu remis sur deux autres séries. Mais je détaille moins mes découpages que lui… Oui, mais ouverte. Contrairement à Garulfo, qui avait besoin d’une structure de contes de fées, d’un développement précis pour arriver à une morale, De cape et de crocs, c’était l’Aventure. Bien sûr, nous avons une trame, dans laquelle les méchants doivent payer à la fin… Mais quand on envoie des personnages voyager sur la lune, on se dit que ce serait dommage de leur faire faire juste quelques kilomètres et puis revenir (rires). Alain a toujours des idées plus hallucinantes les unes que les autres. Par exemple, quand les héros vont de la face visible à la face cachée de la lune, ils découvrent un monde extraordinaire avec des tempêtes magnétiques. Cette fois-là, il m’avait appelé, pour me dire : « des tempêtes magnétiques, tu crois que tu es capable de les mettre en couleurs ? » J’avais accepté avec enthousiasme, bien sûr (rires). Par contre, quand il me donne des descriptions de villes ou de citadelles incroyables, je le maudis (rires). Tout ceci, ce sont des défis, et je pense que si Alain n’était pas là pour faire des découpages tarabiscotés, je me laisserais aller à la facilité. Une fois que le découpage est accepté, comment travailles-tu ? Te donne-t-il l’intégralité du scénario d’un album d’un seul coup ou au fur et à mesure ? De la page (format A4), je passe aux crayonnés légers. Je place le texte, et ensuite, je repasse aux crayons gras pour que le dessin soit beaucoup plus précis. (Il montre la planche sur laquelle il travaille.) Sur cette page, cela se passe de nuit avec un éclairage magique provenant de cristaux. Je vais devoir travailler la couleur en épaisseur, donc travailler le trait de façon assez poussée. Après cela, j’encre. Travaillant à l’acrylique, celle-ci recouvre tout, donc si j’encrais avant la couleur, mon noir serait marron ou bleu, mais pas noir. Dans une collaboration à deux, c’est nécessaire que chacun partage la vision de l’autre. Quand j’ai fait une page, je la soumets à Alain. Il la critique, et m’indique tout ce qui ne Il fait les deux. Il me téléphone une première fois pour me lire l’intégralité du scénario du tome en cours. Ça prend deux heures, il vaut mieux avoir une oreille souple (rires). Je lui dis ce qui ne va pas, il recommence et me le relit après l’avoir retravaillé. Il peut recommencer comme ça trois ou quatre fois de suite. Quand il est à peu près sûr, il débute le découpage technique. Travailler pendant un ou deux mois sur un scénario, cela donne le déroulement de l’album avec le début, les évènements et la fin. Mais quand on commence le découpage technique, des idées de gags arrivent, et il De cape et de crocs 30 Que penses-tu de la colorisation par ordinateur ? va pas, par exemple pour le regard des personnages ou leurs expressions. Par contre, s’il y a une chose sur laquelle je ne lui fais aucune critique, ce sont les dialogues, qui sont toujours géniaux. De la même manière, il me laisse toujours tranquille pour les couleurs, même s’il est souvent surpris (rires). Surtout quand j’utilise des verts assez forts, qu’il qualifie de « radioactifs » (rires). Je n’ai rien contre la mise en couleur par ordinateur, parce que pour être un bon coloriste sur ordinateur, il faut l’être dans sa tête. Donc, quel que soit l’outil, il faut être un bon ouvrier. Le seul problème pour moi, c’est pour le rendu de certaines couleurs. En ce moment, je suis en train de travailler avec un dessinateur sur une BD qui s’appelle Empire céleste. C’est une bande dessinée de kung-fu qui se passe en Chine au moyen-âge – j’étais un grand fan des films de kung-fu quand j’étais enfant. Il me fallait un dessinateur qui colle au propos et un coloriste qui trouve une gamme colorée spéciale pour certaines cases où je qualifierais l’ambiance de « zen ». Pour les scènes de combat, je veux des couleurs normales, mais pour les scènes qui se passent dans le temple shaolin, je désire des couleurs plus aquarellées. Et c’est là le problème : le coloriste doit être bigrement talentueux pour réussir à reproduire informatiquement ce que fait l’aquarelle. Je sais que dans les prochains mois, je vais embêter le coloriste pour atteindre les couleurs que je désire (rires). Y a-t-il des personnages que tu préfères dessiner en général ? Eusèbe, le lapin. Il est super rigolo à dessiner. En fait, ça dépend surtout de l’attitude, plus que du personnage lui-même. Mais de façon générale, c’est lors de la mise en couleur que je prends le plus de plaisir. La phase ennuyeuse est l’encrage (rires). Dans De cape et de crocs, j’aime que certaines scènes soient plongées dans une ambiance colorée particulière. Je travaille beaucoup les couleurs pour cela. Dans une scène du tome 7, quand les héros arrivent au « terminateur », j’ai fait une mer verte et un ciel jaune. Quand il a vu la planche, Alain a pensé à Dunkerque. Moi, je pense à la Manche. C’est agréable d’arriver à passer des sensations comme le chaud ou le froid dans une case. La colorisation par ordinateur coûte moins cher que la colorisation traditionnelle, car il n’y a pas de bleu à produire. Pour Empire céleste, mon éditeur a rechigné à faire de la mise en couleur conventionnelle, parce que ça coûte plus cher et que c’est moins pratique. Avec des planches Combien de temps passes-tu sur une planche ? Pour le crayonné, je passe entre deux et trois jours, suivant la complexité du dessin. Ensuite, une journée pour l’encrage et entre trois et six jours pour la couleur. colorisées à l’ordinateur, il suffit de se passer les planches par mail ou par cd, alors que sinon, le dessinateur envoie les pages en noir et blanc, pour qu’elles soient imprimées sur bleu, et il faut les lui renvoyer pour qu’il les mette en couleurs. Enfin, il faut refaire des tirages d’imprimerie… L’ordinateur permet de coloriser dans des délais corrects. Je travaille également en tant que scénariste sur L’Ombre de l’échafaud, et je n’ai rien à redire à sa mise en couleur par ordinateur. L’histoire se passe en 1907, c’est un policier. Dès que l’on a trouvé la bonne gamme de couleurs et les bonnes lumières, c’est bon. Par contre, je ne pourrais pas faire les couleurs de De cape et de crocs sur ordinateur. Elles ont besoin d’être réalisées manuellement… La plupart des lecteurs reconnaissent la différence. Les gens aiment mes couleurs, car il y a une sorte d’équation entre le contexte de l’histoire et la façon dont elle est mise en couleur. Il y a un côté artisanal. Moi, j’éprouve beaucoup de plaisir de pouvoir créer des ambiances à l’aide de mes mains et des pinceaux sur du papier. Quel a été le plus grand défi de ta carrière ? Par défi, on pense toujours à une performance à court terme. Mais la BD, c’est du travail d’endurance. Le plus gros défi, c’est de ne jamais se décourager et de se dire « ça fait dix ans que je travaille sur cette série et il ne faut surtout pas que je relâche l’attention, car il y a des gens qui attendent la suite ». Quand je regarde les livres de certains illustrateurs, qui étaient talentueux mais qui n’ont finalement pas fait beaucoup de dessins dans leur vie, je me dis que je ne veux pas que moi, quand je serai mort, les gens regardent mon travail en disant : « Il n’a fait que ça ? » Si tu étais un personnage de BD, lequel serait-ce ? Je pense que je serais Gaston Lagaffe. C’est un personnage que j’ai découvert tôt et je me suis mis à collectionner les cactus à cause de lui. Quand je travaillais dans le dessin animé, nous étions tous des Gaston Lagaffe en puissance. Il y avait dix Gaston Lagaffe et un Prunelle pour sauver tout ça ! (rires) Quand je bossais chez I.D.D.H., nous avons fait des trucs incroyables : des batailles de boulettes de papier, des poursuites de voitures télécommandées, on se faisait des armures de chevalier… (rires). Quoique… Gaston Lagaffe n’est pas très productif, ou alors il ne fait que des trucs totalement farfelus. Enfin… Tiburce me dit parfois que je suis le roi de l’inutile et que j’excelle dans ce domaine (rires). Est-ce que tu prêtes beaucoup d’attention aux critiques de tes lecteurs, en festival ou sur internet ? Il y a critiques et critiques. Certains émettent des suppositions sur des personnages, qu’il serait tentant de reprendre (rires), mais non. Alain est très sensible à cela et regarde tout le temps ce qui est dit de ses scénarios. Évidemment, il ne retient que les mauvaises critiques, en pensant qu’elles représentent les pensées de la majorité du lectorat. Personnellement, je ne tiens pas trop compte des critiques. Merci et à bientôt ! 31 De cape et de crocs Publier son livre S’il n’est pas facile d’écrire un livre, il est encore plus difficile de le faire publier, sans parler de vivre de sa plume. Au commencement, il y a l’auteur, le créateur de l’œuvre. Il peut faire enregistrer son œuvre auprès d’une société d’auteurs pour la protéger du plagiat, mais cette protection est automatique à partir du moment où l’œuvre est publiée. C’est l’exploitation de l’œuvre par un éditeur qui permet à l’auteur de toucher ce que l’on appelle communément « les droits d’auteur ». L’éditeur est celui qui, après l’avoir sélectionné, va rendre le livre accessible au public en assurant différentes fonctions (réalisées à l’interne ou par d’autres professionnels) : - la correction du texte, voire son remaniement en concertation avec l’auteur, - la mise en pages du texte et la réalisation de la maquette, - la réalisation de la couverture (maquettiste, illustrateur, photographe, graphiste…), - le suivi de la fabrication du livre auprès de l’imprimeur, - l’accomplissement des formalités de publication : attribution d’un numéro d’ISBN, dépôt légal auprès de la Bibliothèque nationale, - la commercialisation du livre auprès des différents points de vente, - la communication, notamment à la presse (publicité et envoi d’exemplaires pour obtenir des critiques). L’éditeur accomplit en outre des formalités auprès de l’Agessa pour les auteurs, et de la Maison des Artistes pour les illustrateurs. Nous parlons ici de l’éditeur « classique », c’est-à-dire de celui qui pratique l’édition à compte d’éditeur en proposant à ses auteurs de vrais contrats d’édition. Car nous allons le voir, on rencontre également d’autres « services d’édition » qui peuvent prêter à confusion. Il y a trois façons d’éditer un livre (deux en fait) : - L’édition à compte d’éditeur : C’est celle dont nous venons de détailler les fonctions. C’est la plus classique mais aussi la plus difficile à obtenir, car le texte fait l’objet d’une vraie sélection et d’un vrai travail éditorial. C’est l’éditeur qui investit dans la mise au point, la fabrication et la commercialisation de l’ouvrage en prenant un risque financier ; non seulement l’auteur ne paye rien, mais il touche un pourcentage des ventes de l’ouvrage – droits d’auteur – dont il peut éventuellement percevoir une avance (à-valoir). Il reçoit en outre quelques exemplaires pour lui-même et ses proches. Bien entendu, l’éditeur bénéficie en contrepartie de prérogatives quant à certains choix (titre, couverture, présentation, format, tirage, prix…) car il est directement intéressé à la réussite (ou à l’échec) commerciale du livre. - L’autoédition : Là, c’est l’auteur qui devient éditeur, prend le risque financier et doit s’occuper de toutes les taches qui incombent à l’éditeur. C’est un travail de longue haleine qui ne rapporte pas toujours ses fruits. Le public et les vendeurs n’ont pas une grande confiance dans ses livres car tout le monde peut publier n’importe quoi sans réel garde fou ni vrai travail de relecture. Nous avons néanmoins découvert de véritables chefsd’œuvre ainsi publiés, que nous avons chroniqués dans le journal. - L’édition à compte d’auteur : Alors là, il faut faire très attention. Appelées à tort « maisons d’édition », ce sont des entreprises « d’aide à la publication ». Elles s’occupent de tout ou d’une partie des tâches dévolues à l’éditeur en échange d’une rémunération (parfois excessive) et le service proposé n’est pas forcément à la hauteur. Certaines permettent de donner au livre une certaine visibilité grâce à leur grand catalogue, mais elles sont peu diffusées auprès des libraires. Bref, il s’agit d’un achat de prestations de service sans réel service d’édition. Nous reviendrons plus en détail sur les dérives du compte d’auteur et les arnaques à éviter dans un prochain article. Publier son livre 32 Dans la pratique, autoédition et compte d’auteur reviennent souvent au même car dans les deux cas, c’est bien l’auteur qui investit pour éditer son livre, sans autre regard critique que le sien. Les entreprises d’aide à la publication permettent juste de décharger l’auteur « auto-édité » d’un certain nombre de taches qu’il ne maîtrise pas forcément (correction, maquette, relations avec l’imprimeur, référencement…). Citons également d’autres intervenants de « la chaîne du livre » : - L’imprimeur qui fabrique matériellement le livre. - Le diffuseur qui assure la commercialisation du livre auprès du détaillant. - Le distributeur qui assure la logistique et l’acheminement aux différents points de vente. Ces trois entités travaillent pour plusieurs éditeurs afin d’être rentables. - Le détaillant qui vend le produit au client (libraire ou site de vente par Internet). - Et l’État qui prélève la TVA (5,5 %). Voici un schéma qui indique la part de chacun dans le prix d’un livre. La loi Lang impose le prix unique du livre : que vous achetiez votre livre chez votre libraire de quartier ou à la FNAC, la différence de prix ne pourra pas dépasser 5 %. Je terminerais par une remarque : le livre est un objet de culture et de plaisir qui nous fait rêver et ne doit pas être vendu comme des carottes par des auteurs qui ne voient que leur chiffre de vente et n’hésitent pas à mentir à leur lectorat potentiel ou à dénigrer les autres auteurs. 33 Publier son livre Page de l’association Programme des dédicaces 23 et 24 janvier 2010 Festival Zonta ‘Book à Fleury les Aubrais près d’Orléans En dédicace : Mestr Tom et Olivier Bidchiren 6 Février 2010 2010 Nogent-sur-Oise En dédicace : SoFee L. Grey, Lil Esuria, Mestr Tom et Mael Duplissy Jan 13 et 14 février 2010 Fév Mars Avr Zone Franche à Bagneux avec un invité-surprise En dédicace : Mestr Tom David Gibert, Mael Duplissy et hoshikaze 2250 20 et 21 février 2010 Sci fi convention à Montreuil En dédicace : Mestr Tom et hoshikaze 2250 27 février 2010 Ribérac En dédicace : Mestr Tom (en pré festival Mestr Tom sera interviewé le 25 février à midi) Page de l’asso 34