Interview de John Connolly

Transcription

Interview de John Connolly
Numéro 8 - Janvier - Février 2010
Sommaire
L’édito
Interview de John Connolly
Interview de Janus SC
Interview de Carole Bonnet et ses trois héros
Dossier Atlantide
Nouvelle du mois
Vagrant Story
Les Conseils de lecture du Mage blanc
Des nouvelles de « De cape et de crocs »
Publier son livre
Page de l’association
3
4
6
7
8
14
23
25
28
32
34
L’édito
L’édito
La rédaction se joint à notre chef vénéré, tout juste revenu d’une nouvelle
expédition contre les gobelins rebelles, pour vous souhaiter tous nos vœux
pour la nouvelle année.
Pour se faire pardonner le retard engendré par la rébellion des gobelins (qui
seront tous punis sévèrement par notre chef), ce n’est pas une nouvelle, mais
deux que nous vous présentons ce mois-ci.
En mars, le Salon du livre de Paris sera l’occasion d’un concours permettant
de gagner un an de lecture, et en mai, nous prévoyons une enquête auprès des
lecteurs et des membres de l’association pour améliorer le journal.
Bonne lecture !
Rédaction (ISSN : 2102-5932)
Rédacteur en chef : Mestr Tom
(proposition d’articles ou de couvertures :
[email protected])
Correctrice : Isabelle Marin (Les Netscripteurs)
Publicité : Catherine [email protected]
Journalistes :
Mestr Tom
Michel Stotzenbach
Christophe Dehay
Le Nain boiteux
Le Mage blanc
AquiLeo
Couverture : Ga-L
Mise en page & conception graphique : Maël Duplissy
Nous contacter : [email protected]
Note sur le copyright : Les illustrations des articles
appartiennent aux éditeurs, illustrateurs respectifs.
Merci de respecter les droits d’auteurs.
3
Interview de John Connolly
Qui est John Connolly ?
développement de notre monde, ou même devenir
une sorte de prisme à travers lequel nous pouvons
Mince alors, vous commencez par une question plutôt voir le monde. Les livres changent les gens, et il n’y
facile ! Disons qu’il est âgé de 41 ans et qu’il réside à aura pas deux personnes pour interpréter et parler
Dublin, et également parfois dans le Maine, qu’il ne d’un même livre d’une façon identique.
sent pas son âge, s’imagine plus jeune. Cependant,
c’est une personne qui se fait généralement beaucoup Quels conseils donneriez-vous à un jeune
auteur ?
de mauvais sang pour tout un tas de choses.
Quel est votre livre préféré?
Tout d’abord de persévérer, et d’écrire. Salman
Rushdie pense que les vrais auteurs sont ceux qui
En fait, il en existe beaucoup. Cela dépend du jour finissent d’écrire leurs œuvres. Je pense que la
et de mon humeur. Je suis capable de vous citer plupart des gens s’imaginent que c’est relativement
une bonne poignée d’œuvres qui figurent parmi facile pour un auteur d’écrire un livre, mais c’est une
mes favorites : par exemple Bleak House (Charles idée complètement fausse. En ce moment, j’essaie de
Dickens), Le Bon Soldat (Ford Madox Ford), Les terminer mon prochain livre et je dois avouer que cela
Trois Mousquetaires (Alexandre Dumas), Jeeves m’épuise complètement. Malgré cela, je dois toujours
& Wooster stories (P.G. Wodehouse), Un week-end m’asseoir à mon bureau et travailler, même si je n’en
dans le Michigan (Richard Ford), The Years with ai pas forcément envie. Les jeunes auteurs devraient
donc résister à l’idée d’abandonner une œuvre ou une
Ross (James Thurber). Je m’arrête là ?
nouvelle avant de l’avoir terminée, juste parce qu’ils
Est-ce que le côté obscur de David, pensent avoir une autre idée encre plus intéressante.
personnage de conte de fées, peut être vu J’ai toujours voulu m’arrêter à un moment, et ce, pour
comme une découverte par un adolescent chaque livre que j’ai écrit. Mais je ne l’ai pas fait,
et cela a donné de très bons résultats. Écrire, c’est
de la réalité de la vie ?
comme courir un marathon, et quand le coureur se
Ce processus de découverte est bien sûr un élément prend un mur, cela fait partie de la course, il faut faire
présent, mais cela parle aussi du pouvoir de avec et avancer.
l’imagination, et en particulier, du fait que ceux
qui lisent et aiment les livres peuvent contribuer au
Interview
4
Voir notre critique en page 35
Si vous deviez être un personnage de la par exemple. La belle-mère de Blanche-Neige m’a
également marqué, et j’ai toujours été fasciné par la
littérature fantastique, qui seriez-vous?
barrière de ronces entourant le château de la Belle au
J’aimerais avant tout faire de la télékinésie, alors bois dormant. Vous pouvez retrouver nombre de ces
peut être Carrie, mais sans tous les soucis qu’elle images dans The Book of Lost Things.
rencontre et le seau rempli de sang de cochon. Sinon
j’aimerais être Bertie Wooster car j’ai toujours aimé Connaissez-vous un auteur français appelé
Pierre Dubois et ses Contes de crimes ?
l’idée d’avoir Jeeves pour veiller sur moi.
Quel sera votre prochain livre et de quoi Non, je connais Perrault, mais pas Dubois. Je vais
devoir me renseigner. Une fois que vous commencez à
parlera-t-il ?
vous plonger dans les contes de fées et leurs histoires,
Pour le Royaume-Uni et les États-Unis, ce livre il devient vite évident que vous pourriez passer votre
s’intitulera The Whisperers. Ce roman fera partie vie entière à lire différentes versions des contes
du cycle de Charlie Parker. C’est un roman étrange, parus à travers le monde et comparer les différentes
qui abordera le sujet de l’impact psychologique de la interprétations. Cela est vraiment passionnant.
guerre sur les anciens combattants.
Pensez-vous qu’une adaptation d’un livre
Pourquoi avoir choisi la Seconde Guerre comme David, Jonathan and the Evil Man
mondiale comme époque pour votre récit ? serait envisageable ?
J’ai un avis très mitigé quant à l’adaptation de mon
travail en films. J’adore le cinéma, et quelqu’un est
très intéressé pour adapter The book of Lost Things.
Mais pour revenir à ce que je disais au début, je pense
que chaque lecteur a sa propre vision, ses propres
impressions concernant l’œuvre et ses personnages.
Je ne pense pas qu’un seul acteur soit capable de
réunir tous ces points de vue. De temps en temps,
une partie du casting va correspondre, mais cela reste
rare. Alors, je ne prends pas position sur le choix des
acteurs pour les adaptations de mes œuvres, et ce, afin
de ne pas ennuyer le lecteur avec mes choix. En fait,
Lorsque vous étiez enfant, quel était le je ne décris que rarement les personnages principaux
avec de nombreux détails, en particulier dans mes
conte de fées qui vous effrayait le plus ?
œuvres mystérieuses, exception faite des méchants
Je ne sais pas si j’ai vraiment été terrifié par un conte où je choisis un ou deux détails spécifiques à leur
de fées, mais le personnage de Rumpelstilskin reste attribuer, ensuite je laisse le reste au lecteur.
ancré dans ma mémoire, et on retrouve beaucoup de
ce personnage dans The Book of Lost Things (Le
Livre des choses perdues) à travers le personnage du
Crooked Man. Les histoires de cannibalisme m’ont
également beaucoup affecté, comme Hansel et Gretel
Interview
5
En fait, je ne suis pas vraiment sûr. Je ne voulais pas
examiner de près la source de mes idées. La période
s’est imposée d’elle-même lorsque j’ai commencé
à écrire le premier chapitre. Je suppose que j’ai eu
l’impression que ce monde chaotique issu de la
Seconde Guerre mondiale reflétait bien les sentiments
de David. Mais lorsque j’ai écrit quelque chose sur
l’Angleterre dans le recueil de nouvelles Nocturnes,
j’utilisais aussi bien le temps passé. Je pense que cela
contribue à donner un sentiment mystique à ce genre
de petites histoires.
Interview de Janus SC
Qui est Janus SC (SC ?)
Je suppose que vous ne parlez pas de ceux qui sont les
vrais vampires ? Parce que ceux-là, vous ne saurez pas
les reconnaître parmi les gens normaux. Et ils vivent
normalement, ou presque. En rigolant à s’exploser le
ventre devant les légendes qui les entourent… Mais ça,
c’est une autre histoire…
Moi… Un « jeune » écrivain, encore que… Jeune, dans
le sens où j’ai décidé réellement d’écrire pour publier
il y a seulement deux ans et demi : un premier recueil
de poésies, La Rose noire d’Astarate, en 2007-2008, le
second, Élévation, qui est sorti en mai 2009, et, enfin
le tome I de la saga Les Dragons de l’apocalypse : La
Rébellion.
Quant à ma biographie… Je suis né en Roumanie, à
Bucarest. Mon enfance, je l’ai passée jusqu’à l’âge de 7
ans en Transylvanie, à Tîrgul Mures, près de Sighisoara,
la ville natale de Vlad Dracul, plus connu sous le nom
de Vlad l’Empaleur. Cursus normal de scolarisation
élémentaire, puis un lycée scientifique, etc. C’est au lycée
que j’ai commencé à écrire mes premiers poèmes, et
certains furent publiés dans la revue de l’école. La vie,
les compétitions d’échecs et autres occupations m’ont
éloigné de l’écriture, pendant de longues années.
Il y a bientôt 30 ans je suis arrivé en France. Je suis un
fervent lecteur de poésies, fictions, romans historiques.
Et je dois l’avouer, quitte à déplaire, je suis depuis
longtemps un adepte de ce que les gens appellent
communément « le diable ». Je dirais que ma vision n’est
pas la même que celle des autres.
SC ? Ce sont mes initiales, tout simplement.
Votre conseil à un jeune auteur ?
Qui suis-je pour conseiller ? Et de quel droit ? Je ne
pense pas être le mieux placé pour le faire. Toutefois, il
faut croire en ce qu’on fait, le faire pour faire plaisir aux
autres, pas seulement à soi. Et foncer, en se moquant de
l’avis de l’entourage. Rêvez et partagez vos rêves !
Si vous pouviez être un personnage de Fantasy,
qui seriez-vous ?
Moi ! N’est-ce pas évident ? Je plaisante. En fait, ce serait
Scytale, personnage de Dune. Mais peut-être le suis-je
déjà… Qui sait…
Quels auteurs vous ont donné envie d’écrire ?
Aucun et tous en même temps. La liste est longue. Je n’en
citerai que très peu. Pour la poésie : Eminescu, Cosbuc,
Baudelaire, Verlaine. Pour la SF : Franck Herbert, que je
considère comme le maître absolu, Assimov avec le cycle
Fondation, Tolkien…
Parlez-nous de votre ouvrage La rébellion ?
Cette question n’est pas facile pour moi. Il s’agit du
premier tome de la saga Les Dragons de l’apocalypse.
Les volets suivants, dans l’ordre, seront : Le Guerrier de
l’Enfer, La Reine des vampires, La Grande Prêtresse, et
enfin, L’Homme dragon.
Le fil rouge de cette saga est le suivant : la transformation
d’un humain, tout le long de sa vie, par divers concours
de circonstances, en l’incarnation du mal. L’histoire
commence dans une vie après la vie. Le personnage
principal, qui raconte son parcours, sa vie, est mort, tout
comme celle qui l’écoute. La fin du second tome est plus
que surprenante. Le premier aussi mêle psychologie avec
des moments de rire et une formidable communion entre
un dragon et un humain. Ils partagent, dans l’histoire, une
seule âme.
Parlez-nous de l’association « Accord des cœurs »
et de votre action pour cette dernière ?
C’est une petite association qui aide des enfants malades,
qui correspond à mes critères d’aide, pas forcément
politiquement corrects. Je ne l’ai jamais été de ma vie,
et je ne vais pas commencer à l’être… Une amie me l’a
fait connaître et j’ai décidé qu’une partie de mes droits
d’auteur des recueils ira pour eux. Cela me paraît normal.
Le monde de l’édition n’est pas toujours facile.
Comment avez-vous trouvé l’illustratrice de votre
couverture ?
Vous venez de Roumanie. Que pensez-vous du
mythe de Dracula et des vampires actuels (pas
forcément méchants) ?
Le monde de l’édition n’est pas facile, effectivement.
Ce sont des hommes et femmes d’affaires et le business
doit fonctionner pour pouvoir nourrir les salariés et leurs
familles. Cela me paraît normal et sain. Aux écrivains de
faire en sorte, par la qualité de leurs écrits, que ces gens-là
soient persuadés qu’ils valent le coup d’être édités. Je
répète, il faut écrire pour faire plaisir aux autres et non à
soi.
Nous sommes dans une société où l’art ne vaut que par
l’argent qu’il rapporte. Malheureusement, si le monde de
l’édition est dur, celui des libraires est pire !
Quant à celle qui a illustré la couverture du tome I, je l’ai
rencontrée sur Facebook. Et j’en suis heureux. Elle est
bourrée de talent, jeune, et si je peux l’aider à démarrer,
tant mieux. Elle s’appelle Cécile Guillot. Je lui souhaite le
plus grand succès possible, elle le mérite.
Là, j’ai deux questions en une !
Le mythe de Dracula… Un mythe, qui a donné naissance
à des histoires, parfois très bien, parfois ridicules. De la
lecture pour ceux qui comprennent et pour des quasianalphabètes. Mais, au moins, les vampires les ont
emmenés vers la lecture. C’est déjà ça !
Quant aux vampires actuels, vous parlez de qui ? De ceux
qui sont tout en haut de l’échelle socialo-politique, qui se
remplissent les poches sur le dos du peuple qui souffre,
ou bien des clowns tristes et sans cervelle, qui s’habillent
en noir, en se prétendant vampires ? Ils ont trop regardé
la télé !
Interview
6
Interview de Carole Bonnet et ses trois héros
Présentez-vous ?
Je suis mère au foyer en Belgique. J’ai quitté mon
emploi d’assistante maternelle après une remise en
question. Passionnée d’écriture, j’essaye maintenant
de vivre de cette passion.
du livre vont donc grandir avec eux. Je ne veux pas
que, quand ils seront adolescents, leur alter ego
corresponde encore à celui de jeunes enfants.
Un petit roman familial ?
Si vous pouviez être un personnage de
fantasy qui seriez-vous ?
Oui, mes trois garçons sont les héros du livre. Mon
mari s’occupe de la diffusion. Même le chat que nous
avons recueilli peu avant a été intégré dans le roman.
J’ai toujours bien aimé les méchants et je trouve les
gentils ennuyeux, trop parfaits. Je dirais Ursula dans
La Petite Sirène.
Un gros succès ?
Votre auteur préféré ?
Oui. Je vais dans les écoles faire des conférences.
En Belgique, le mardi soir, la première séance est
réservée aux dames. Dans la salle d’attente, J’ai pu
dédicacer Les Aventurêves, c’était très sympathique.
(reportage sur la sortie du livre : http://www.notele.
be/index.php?option=com_content&task=view&id=
7807&Itemid=31)
Il y a un projet de film à l’étude et de nombreux
dérivés, mais je fais attention à ce que cela ne
perturbe pas mes enfants et leur image.
Je dirais Marc Levy, son côté détaché de tout me
plaît beaucoup.
Vos livres sont vendus dans les boulangeries ?
Comment trouvez-vous le fait d’être un
héros de roman ?
Petit interview des trois héros
Quel personnage du monde imaginaire voudriezvous être ?
Léo (9 ans) : un chevalier.
Elliot (7 ans) : un sorcier.
Charly (6 ans) : un super héros.
Les libraires et les réseaux d’acheminement sont très
gourmands : ils prennent plus de la moitié du prix
de l’ouvrage, et les conditions de retour sont souvent
désavantageuses. Nous avons eu l’idée d’un petit
présentoir d’une dizaine de livres à placer près de la
caisse ; ainsi, on peut acheter un peu de lecture en
allant chercher les croissants le dimanche matin.
Léo (9 ans) : C’est bien !
Elliot (7 ans) : C’est bien !
Charly (6 ans) : C’est bien ! (NDLR : pas vraiment
bavards nos trois héros !)
Quel est le prochain livre que tu voudrais
lire ?
Combien de tomes y aura-t-il ?
Léo (9 ans) : La suite des Aventureves.
Je ne me suis pas encore arrêtée sur un nombre
de tomes. Je pense de nombreux… Ce qui est sûr,
c’est que mes enfants vont grandir, et que les héros
7
Interview
Dossier Atlantide
L’homme s’est toujours posé de nombreuses questions quant à ses origines, et ce, depuis la
nuit des temps. S’il y a bien un mythe qui est associé à cette question, c’est certainement celui
de l’Atlantide, île mythique qui posséda un jour un savoir sans précédent et qui se voulait être
le berceau de l’humanité avant de sombrer mystérieusement dans l’océan. Ce mythe, oublié
pendant de nombreux siècles ressurgit de nouveau à la face d’un monde désireux de connaître
ses origines et résoudre tous les mystères que renferme notre chère planète bleue. Mais que
savons-nous vraiment de cette île devenue mythique ? Je vous propose donc de plonger au
cœur de ce mystère où légendes et réalités historiques se mélangent, et de partir en voyage au
cœur de la mythique Atlantide.
L’homme s’est toujours posé de
nombreuses questions quant à ses
origines, et ce, depuis la nuit des temps.
S’il y a bien un mythe qui est associé à
cette question, c’est certainement celui
de l’Atlantide, île mythique qui posséda
un jour un savoir sans précédent et qui
se voulait être le berceau de l’humanité
avant de sombrer mystérieusement dans
l’océan. Ce mythe, oublié pendant de
nombreux siècles ressurgit de nouveau à
la face d’un monde désireux de connaître
ses origines et résoudre tous les mystères
que renferme notre chère planète bleue.
Mais que savons-nous vraiment de cette
île devenue mythique ? Je vous propose
donc de plonger au cœur de ce mystère
où légendes et réalités historiques se
mélangent, et de partir en voyage au cœur
de la mythique Atlantide.
Représentation de l’Atlantide selon la description de Platon
Voici un extrait du Critias donnant une description de l’île :
« Ils avaient à leur disposition toutes les choses nécessaires, qu’on a coutume de fabriquer dans les villes, ou que l’on
fait venir des autres pays. Bien que leur empire leur apportât beaucoup de revenus extérieurs, c’était l’île elle-même qui
pourvoyait surtout à tous les besoins de l’existence. D’abord, elle leur donnait en plusieurs endroits tous les produits de
l’industrie du mineur, tant solide que fusible, y compris quelque chose dont on ne connaît plus aujourd’hui que le nom,
l’orichalque, qui était extrait dans différentes parties de l’île, et avait alors davantage de valeur que tout autre métal,
après l’or. Ses forêts fournissaient généreusement tous les bois utiles aux charpentiers et aux maçons et faisaient vivre en
abondance des animaux sauvages et domestiques ; même les éléphants y étaient nombreux. Il y avait de vastes pâturages
pour cette bête, la plus grande et la plus vorace, tout autant qu’une abondante nourriture pour les autres créatures qui
vivent dans les marais, les lacs et les rivières, et habitent les montagnes et les plaines. Outre cela, la terre portait toutes
les substances aromatiques du monde : racines, tiges, cannes, résines sécrétées par les
fleurs et les fruits, véritable terre florissante, remplie de mille richesses. Quant aux
fruits cultivés, les secs qui nous servent de provision… aussi bien que ceux qui nous
fournissent à la fois chair, boisson et huile, le fruit des arbres qui fait notre plaisir et
notre gaieté, si difficile à conserver, et que nous servons en desserts délicieux qui
réveillent l’appétit du plus repu, tout cela était produit par cette île sacrée, baignée
par le soleil, merveilleuse de beauté et de richesses inépuisables. Aussi les rois
L’Atlantide et ses éventuelles colonisations,
employaient-ils tous ces dons du sol pour construire et embellir leurs temples,
ici indiquées en blanc sur la carte.
Dossier
8
résidences royales, ports, quais et domaines. »
Ce texte riche en renseignements traversera l’histoire et sera réutilisé maintes fois aussi bien
durant l’Antiquité que par la suite pour appuyer la thèse de l’existence de l’Atlantide. D’autres
éléments filtreront à travers les textes du philosophe grec. Nous retrouvons notamment un
chapitre lié à la religion présente sur l’île. Nous apprenons que les Atlantes disposaient de
plusieurs dieux qu’ils vénéraient à travers divers rituels et sacrifices. Les Grecs pensaient que
les Atlantes vénéraient le dieu Poséidon, seigneur des mers, mais vénéraient également le
dieu Atlas, créateur des montagnes et de toutes terres existantes. Un culte lié au Soleil aurait
également été présent. L’astre brillant aurait été considéré comme sacré, car il apportait chaleur,
Gilgamesh combattant lumière et vie. L’animal considéré comme sacré sur l’île aurait été le taureau, créature divine
objet de différents cultes et rituels, souvent sacralisée puis sacrifiée au dieu Soleil.
le taureau céleste
On retrouvera d’ailleurs cette mythologie liée aux différents
dieux dans de nombreux écrits ainsi que dans diverses
civilisations. En effet, le taureau, animal sacré très prisé
dans les mythes atlantes se retrouve dans de nombreuses
cultures. L’une des premières cultures à évoquer et
sacraliser le taureau est très certainement la civilisation
sumérienne. Ici, l’animal est considéré comme un véritable
dieu et possède une force prodigieuse. L’un des exemples
les plus connus est certainement celui cité dans l’épopée
de Gilgamesh où ce personnage, deux tiers dieu, un tiers
homme, combat le Taureau céleste envoyé par la déesse
Ishtar désireuse de se venger de celui qui lui avait refusé son
amour. Le taureau tient donc une place importante chez les
Sumériens, mais également chez les Grecs où le sacrifice
de taureaux est monnaie courante afin d’apaiser la colère
des dieux ou de
les remercier pour
leur bonté et les
actes miraculeux
accomplis.
Enfin, ce mythe du taureau est également présent dans de
nombreuses autres cultures, par exemple en Espagne : lors
des corridas, le taureau est sacrifié au travers d’un rituel où
l’homme se mesure à l’animal.
de nombreux hommes de lettres qui s’empressèrent de se
pencher de nouveau sur le mythe atlante.
L’intérêt pour l’Atlantide devint dans le cœur de certains
Occidentaux une véritable passion et certains n’hésitèrent
pas à baser leur vie et leurs espoirs sur la découverte de ce
territoire inconnu doté de mille richesses.
On
retrouve
également ce sacre
lié au taureau dans
la
mythologie
égyptienne
avec Représentation d’Apis, le taureau sacré
Apis, dieu à la
symbole de force et de fécondité.
tête de taureau,
personnage sacré en Égypte. Symbole de force et porteur
de la fécondité, il est considéré comme un véritable être
suprême et est traité avec le plus grand respect.
Les divers textes de l’Antiquité liés à l’Atlantide auraient
été gardés dans la célèbre bibliothèque d’Alexandrie.
Malheureusement, ces traces de la légende de l’Atlantide
vont se retrouver perdues, en partie à cause de l’incendie
de la grande bibliothèque perpétué par Amrou, grand
conquérant musulman qui fit détruire plus d’un million
d’ouvrages allant à l’encontre de la parole du Coran et
qu’il jugeait donc inutile de conserver.
Le pape Grégoire (540-604) ordonna également la
destruction de nombreuses œuvres et recueils classiques
afin qu’ils ne distraient pas les fidèles de la contemplation
des cieux et supprima de ce fait de nombreux recueils de
légendes et histoires qui furent perdus à jamais.
Après cette époque, le mythe de l’Atlantide tomba
doucement dans l’oubli et ses secrets restèrent à ce moment
enfouis aussi bien au fond de l’océan que des mémoires.
Ainsi,
au
cours
du
XIVe siècle,
nombreux
sont ceux
qui restent
persuadés
que
ce
La carte de Toscanelli avec l’Atlantide
continent
perdu
au milieu de l’océan.
en plein milieu
de l’Atlantique existe toujours. Il apparaît même sur de
nombreuses cartes maritimes. C’est le cas par exemple
de la carte établie par l’Italien Paolo Toscanelli au XIVe
siècle, carte rendue célèbre, notamment grâce à Christophe
Colomb qui choisit de s’en doter pour son périple vers les
Indes à travers l’océan Atlantique.
Cette dernière était en effet supposée montrer le chemin
à prendre pour se rendre vers le continent indien en
passant par l’Atlantique. Il est effectivement important de
constater que cette carte répertoriait de nombreuses îles
situées au centre de l’océan et qu’elle indiquait notamment
C’est en Europe que le mythe finira par refaire surface
grâce à la chute de Constantinople en 1453. En effet,
de nombreux textes liés entre autres à la mythique île
engloutie furent récupérés de diverses bibliothèques par
les templiers, afin de les ramener comme butin vers les
terres occidentales. Les textes vinrent vite à être connus
9
Dossier
l’île d’Atlantis.
Selon son fils, le très célèbre navigateur avait même prévu
de faire escale sur cette île mythique, afin de se ravitailler
et donner le repos à ces hommes. Ainsi, lorsque Colomb
atteignit les rivages de l’Amérique, il pensa être arrivé
chez les Atlantes, tant la végétation lui paraissait exotique
et le climat si doux. Il est vrai que la végétation et le climat
correspondaient dans une certaine mesure à la description
offerte par Platon et les autres auteurs de l’Antiquité.
Sa première opinion fut rapidement renforcée par la
présence d’hommes lui paraissant si différents de tout
ce qu’il avait pu connaître auparavant. En effet, les
peuples sud-américains, de par leur peau mate et leur
carrure différente, offraient un spectacle unique pour les
Européens de l’époque et les renforçaient ainsi dans leurs
idées d’être en terre atlante, voire même en terre divine.
L’Espagne fut la première à revendiquer les territoires situés
à l’ouest de la Grande Mer, territoire qu’elle considérait
comme étant l’Atlantide perdue. Elle prétexta un lien de
parenté entre Hespérus, roi d’Espagne préhistorique, et le
dieu Atlas, roi du Pays d’en face. Elle se servit donc de cet
argument pour légitimer son droit sur toutes les nouvelles
terres découvertes à l’ouest du continent européen.
débarquer, ils les prirent pour leurs
dieux depuis longtemps disparus et
n’offrirent ainsi que peu de résistance
aux conquistadors.
Par la suite, les envahisseurs espagnols
comprirent bien évidemment que ces
terres étaient un nouveau continent
bien différent de l’Atlantide, ou même
des Indes, but premier des
expéditions de Christophe Tablette sumérienne racontant la
légende du déluge.
Colomb.
Un autre phénomène
viendra surprendre au plus haut point les Espagnols.
Après avoir longuement discuté avec les indigènes, ils
furent surpris de constater que les peuples sud-américains
possédaient des légendes similaires à celles que l’on
trouve en Europe, et cela sans lien apparent entre les deux
cultures.
Il est également important de noter que les légendes sudaméricaines vinrent conforter les Espagnols dans leur idée.
En effet, les légendes de ce continent évoquent la présence
de dieux blancs venus de l’est il y a fort longtemps grâce
à de gigantesques bateaux pour leur apporter savoir et
richesses. Ces derniers seraient ensuite retournés chez
eux, promettant de revenir un jour chercher leurs enfants.
Ainsi, lorsque les peuples indigènes virent les Espagnols
L’un des mythes majeurs que l’on retrouve le plus souvent
à travers les différentes civilisations est celui du Déluge.
En effet, cette légende bien connue existait aussi bien sur le
vieux continent que sur le nouveau, et ceci, à des époques
où la communication entre leurs peuples respectifs était
impossible. On pourrait donc considérer que l’histoire du
Déluge se rapporte ici à l’Atlantide engloutie, et que les
rescapés emportèrent la légende de leur terre désormais
engloutie à travers leurs explorations et colonisations.
Ainsi, si l’Atlantide se situait bien où Platon la localisait,
elle pouvait sans mal être la souche de nombreuses
légendes. Ce qui expliquerait que des légendes analogues
puissent se trouver au même moment dans des lieux
totalement opposés et inaccessibles l’un à l’autre.
Cette thèse reste évidemment très controversée parmi les
scientifiques spécialistes du mythe de l’Atlantide, et ne
prouve pas en soi qu’un continent porteur de cette légende
ait existé un jour.
dans l’oubli. Ceci se vérifie également dans d’autres
civilisations telles que celles d’Égypte. Ce n’est que de
nombreux siècles plus tard que certaines technologies et
certains savoirs referont surface.
Les Espagnols furent également très surpris par la réaction
des Sud-Américains. Ils remarquèrent rapidement que ce
n’était pas la première fois que ces derniers rencontraient
des hommes blancs de peau. Tablettes et temples semblent
indiquer d’autres passages d’hommes blancs, venus il
y a fort longtemps apporter aux Incas de nombreuses
connaissances à l’origine de leur architecture ainsi que de
leur civilisation. D’ailleurs, les scientifiques d’aujourd’hui
ne comprennent toujours pas comment les Sud-Américains
ont construit des pyramides si impressionnantes sur
de telles hauteurs, ni même comment ils ont pu tailler
si précisément la pierre ou même établir des calculs
astrologiques et architecturaux rivalisant toujours avec les
méthodes de calcul actuelles.
L’une des légendes relatant le mieux cet apport de savoir
est certainement
celle du dieu
Quetzalcóatl.
Ce personnage
était considéré
comme un dieu
apparu autrefois
aux
hommes,
apportant avec
lui
diverses
connaissances
telles que le
calendrier,
la
fabrication des
livres ; il aurait
même apporté
la
découverte Illustration représentant le dieu Quetzalcóatl
L’astronomie également reste un mystère. Cette science si
évoluée pour l’époque montre qu’un savoir a été apporté
à de nombreuses civilisations et qu’il a ensuite sombré
Dossier
10
du maïs à l’humanité. Selon la légende, il serait venu
depuis la Grande Mer de l’Est grâce à son bateau. Il est
ainsi considéré comme étant l’initiateur des
légendes et du savoir que l’on attribue aux
peuples sud-américains. La légende raconte
que par la suite il s’exila volontairement,
repartant sur un radeau de serpents et
promettant de revenir un jour sauver ses
enfants d’un cataclysme.
impossible que les deux cultures aient pu se développer
de façon si semblable sans une connexion entre les deux
peuples. L’Atlantide apporterait donc ici
une réponse simple et logique à ce genre de
problème, même si, bien sûr, ces hypothèses
n’ont jamais été réellement vérifiées.
Les Égyptiens nous dévoilent de nombreuses
pistes menant à l’Atlantide. Toujours selon
Platon, les Égyptiens auraient été en rapport
Les légendes du continent perdu – notamment
direct avec le peuple des Atlantes, Platon
prétendant même que leur civilisation serait
celles témoignant de leur talent de navigateurs
– se retrouvent partout en Amérique, aussi
directement issue de ces derniers. Selon les
bien sur la partie nord que la partie sud du
légendes, les Atlantes auraient été les
La pyramide de Gizeh, l’un des grands
continent, mais aussi en de nombreuses
constructeurs de la grande pyramide de
mystères de la civilisation égyptienne.
autres terres. Nous pouvons ainsi retrouver
Gizeh, pyramide qui reste toujours un
des légendes analogues dans de nombreuses cultures, que mystère pour les archéologues et les scientifiques.
ce soit en Irlande, chez les Celtes, ou en Afrique du Nord, De plus, nous savons aujourd’hui de source sûre que la
en Égypte, ainsi qu’en Espagne, ou encore chez les Grecs civilisation égyptienne a connu un véritable bond dans
ou les Mésopotamiens.
le domaine culturel à l’époque de la construction de la
La similitude la plus flagrante est très probablement grande pyramide. Les scientifiques et archéologues ont en
celle qui réside entre les civilisations égyptiennes et sud- effet découvert que cette civilisation est alors passée du
américaines. Leurs architectures offrent en effet des traits stade du néolithique à celui des civilisations organisées,
communs. Les scientifiques ont d’ailleurs facilement avec l’arrivée des castes de pharaons et de la religion qui
constaté que ces deux civilisations géographiquement y est associée, et ceci, en très peu de temps sur l’échelle
opposées ont évolué de la même façon et disposent de de l’humanité. Nous pouvons donc supposer ici que les
légendes réellement très proches. Il en est ainsi des rituels constructeurs de Gizeh qui ont apporté avec eux leur
liés à la momification et du culte du dieu Soleil. D’autres savoir, comme cela a été le cas en Amérique du Sud avec
similitudes viennent étayer cette thèse, au niveau de les dieux blancs venus de l’est.
l’écriture par exemple. Pour les scientifiques, il paraît quasi
1. Il existait jadis, dans l’océan Atlantique, en
Fort de ces légendes, le mythe de l’Atlantide
face de la Méditerranée, une grande île, connue
continuera à faire énormément parler de lui
dans l’Antiquité sous le nom d’Atlantide.
et connaîtra même un certain regain d’intérêt
2. La description que fait Platon de cette
aux yeux du public et des scientifiques. De
île n’est pas une légende, mais un événement
nombreux ouvrages lui seront dédiés. De
authentiquement historique.
multiples hypothèses, plus ou moins plausibles,
3. L’Atlantide est la région où l’homme
viendront attiser la curiosité de nombreuses
passa pour la première fois de la barbarie à la
personnes, à l’exemple du sénateur anglais qui
civilisation.
avait proposé à la reine Victoria de débloquer
4. Elle est devenue, au fil des siècles, une
un budget destiné à la recherche de l’Atlantide.
Demande qui n’aboutira jamais. Le mythe Couverture originale du livre écrit par nation puissante, dont les habitants
Ignatius Donnelly.
ont peuplé et civilisé les côtes ouest
de l’Atlantide a donc su traverser les
de l’Amérique du Sud, le golfe du
âges et fasciner les hommes. Certaines
personnes ont passé leur vie à traiter du sujet. L’un des Mexique, du Mississippi, de l’Amazone, mais aussi de la
auteurs les plus influents et certainement le plus remarqué Méditerranée, la côte ouest de l’Europe et de l’Afrique.
5.
C’était un véritable monde d’avant le déluge,
est très certainement Ignatius Donnelly.
le souvenir universel d’une grande terre où l’humanité
antique avait connu, pendant des siècles la paix et le
Cet homme, politicien américain à l’origine, avait décidé bonheur.
Les dieux et les déesses grecs antiques, des
de vouer la dernière partie de sa vie à prouver l’existence 6.
de l’Atlantide. Il est très certainement l’auteur qui a le Phéniciens, des hindous et des Scandinaves étaient
plus relancé l’intérêt pour le mythe de l’Atlantide. Après simplement les rois, les reines et les héros de l’Atlantide.
une longue étude du mythe, Ignatius a établi une liste Les exploits que leur attribuait la mythologie sont le
de certitudes concernant la mythique île d’Atlas. Ces souvenir confus d’évènements historiques réels.
7.
La mythologie de l’Égypte et du Pérou représente
dernières sont au nombre de treize :
la religion originelle de l’Atlantide, fondée sur le culte du
soleil et de certains animaux sacrés comme le taureau.
11
Dossier
8.
La plus ancienne colonie atlante se situe
probablement en Égypte, dont la civilisation est une
représentation de celle de l’île atlante.
9.
Les vestiges de l’âge de bronze découverts en
Europe proviennent de l’Atlantide, dont les habitants
furent été les premiers à travailler le fer.
10.
L’alphabet phénicien, parent de tous les alphabets,
a pour origine l’alphabet atlante.
11.
L’Atlantide est le berceau de nombreuses
civilisations.
12.
L’Atlantide a péri dans un cataclysme naturel
formidable, l’île tout entière ayant été engloutie par
l’océan avec la quasi-totalité de ses habitants.
13.
Les survivants se sont enfuis sur des navires
vers l’est et l’ouest, apportant avec eux l’histoire de leur
cataclysme. Cette légende s’est transmise à travers les
siècles sous la forme de l’histoire du Déluge.
Ignatius Donnelly se permet donc ici de nombreuses
affirmations, certaines plus fantasques que d’autres,
reposant souvent sur très peu de certitudes.
Il est cependant important de constater que certaines de ces
affirmations sont pour le moins troublantes et soulèvent
certaines questions. C’est le cas par exemple du mythe
de l’île engloutie et du déluge que l’on retrouve dans de
nombreuses cultures. Il est maintes fois évoqué et apparaît
comme une légende souche.
Ainsi, il n’est pas surprenant de voir que toutes les cultures
proches de l’océan Atlantique et de la Méditerranée
possèdent une légende parlant d’une île autrefois habitée
par des dieux ou des êtres d’exception et désormais
engloutie, reposant au fond de l’océan. Reste à savoir si
notamment au niveau de l’architecture et des arts, aurait
surgi par l’ouest, semblant venir de nulle part pour
envahir les côtes de l’Europe. La dernière vague, la plus
importante selon les scientifiques, correspondrait avec
les périodes annoncées par Platon, soit environ 9 000 ans
avant notre ère, coïncidant aussi avec la disparition du
continent oublié.
cela est dû à la propagation de l’histoire racontée par Platon
ou si cette légende nous provient de plus loin encore.
Il est important de constater que le mythe du déluge, de
l’engloutissement des cités et des hommes se retrouve
dans des cultures totalement différentes, et qui plus est,
ne possédant pas du tout de contacts entre elles. Telle fut
la découverte des conquistadors qui s’aperçurent que les
Mayas possédaient des croyances et légendes similaires
aux leurs, alors que les peuples n’avaient jamais été en
relation auparavant.
Mais qu’en est-il vraiment ? De nombreux auteurs
ont apporté des indices concernant l’île d’Atlas, mais
peu se sont vraiment vérifiés. Je vous propose donc de
partir maintenant à la chasse aux indices trouvés par les
scientifiques et archéologues.
L’une des choses les plus importantes concernant le
mythe Atlante est de savoir s’il y a bel et bien eu une
île au milieu de l’Atlantique. De nombreux scientifiques
se sont penchés sur la question, et il est en effet attesté
aujourd’hui qu’une île existait réellement et qu’elle était
située à la sortie du détroit de Gibraltar. Son emplacement
ainsi que la date de sa disparition semblent correspondre
avec les récits de Platon. Reste à savoir si le peuple disparu
possédait vraiment les trésors qu’on lui attribuait ou si la
catastrophe a seulement servi à Platon comme inspiration
pour ses textes.
Le second événement troublant est celui des courants
culturels qui ont envahi l’Europe de l’Ouest et la
Méditerranée à certaines époques. En effet, un apport
culturel déterminant, en termes de savoir et de technologie,
complexes, et aucune étude archéologique sérieuse n’est
encore venue confirmer l’existence d’une telle île ou d’une
civilisation disparue au cœur de l’océan.
Il est cependant important de noter que les peuples des
Açores et des Baléares se prétendent descendants d’un
peuple aujourd’hui disparu, mais qui était porteur de
nombreuses connaissances. Certains archéologues ont
donc cherché à creuser la question et ont découvert
plusieurs sites archéologiques renfermant d’anciennes
structures inconnues des peuples locaux. Reste à savoir si
elles correspondent bien au mythe atlante. Selon Ignatius
Donnelly, les Açores et les
Baléares seraient les hautes
cimes de l’ancien continent
englouti.
De plus, nous savons que l’océan Atlantique est le témoin
de nombreux mouvements de terrain. Au fil des siècles,
de véritables îles ont émergé, puis ont disparu, à la suite
d’énormes tremblements de
terre. C’est le cas par exemple
de deux îles apparues en 1931
au large de l’archipel Fernando
Noronha en raison d’une
La communauté scientifique
intense activité volcanique
reste donc très partagée quant
dans l’océan Atlantique. Elles
à l’existence ou non de cette
furent vite revendiquées par la
île mythique. Cela a même
Grande-Bretagne, pressée de
été l’objet d’une réunion
légitimer ces terres. D’autres
organisée à Milos en 2005.
pays voulurent s’approprier ces
Ce
rassemblement
avait
terres nouvelles, déclenchant
ainsi
quelques
disputes
pour ambition proclamée de
Vue d’artiste de l’île engloutie
diplomatiques qui s’estompèrent bien
trancher sur la question et de faire le
vite lorsque les deux îles fraîchement
point sur les connaissances récentes
apparues disparurent de nouveau au fond de l’océan.
concernant l’Atlantide. Le professeur Christos Doumas y
Malheureusement, les fouilles sous-marines sont toujours a soutenu l’idée de la non-existence de l’Atlantide, divers
Dossier
12
chercheurs y ont présenté des communications sur des thèmes liés, comme Dora Katsonopoulou qui a présenté le
cataclysme de la cité d’Eliki. Puis de nombreux écrivains indépendants et des chercheurs de diverses disciplines ont
présenté différentes hypothèses de localisation sans malheureusement parvenir à un accord. L’assemblée a cependant
établi 24 critères qui permettaient d’identifier l’Atlantide.
La mythique île atlante reste donc un véritable mystère. Cependant, certains auteurs ont su adapter le mythe et leurs
idées dans de nombreux ouvrages. Je vous propose maintenant un petit tour d’horizon littéraire consacré au mythe.
En 1627, Francis Bacon va ressusciter
le mythe de l’Atlantide grâce à The
New Atlantis (La Nouvelle Atlantide,
1627), une vision utopique de la
société à travers le mythe atlante.
Jules Verne pour sa part fera apparaître
l’Atlantide lors d’une promenade
au fond de l’océan organisée par le
célèbre capitaine Nemo dans Vingt
Mille Lieues sous les mers (1869).
Il y découvre les vestiges de cette île
désormais enfouie.
Dans la nouvelle L’Éternel Adam,
également écrite par Jules Verne, les
derniers survivants de l’humanité
découvrent les ruines de l’Atlantide et
bâtissent une nouvelle civilisation.
L’Atlantide de Pierre Benoit (1919)
prend quelques libertés avec le mythe
d’origine en plaçant l’Atlantide en
plein cœur du Sahara et en considérant
que la catastrophe qui l’a ruinée est le
retrait brusque de la mer et non son
arrivée subite.
Dans Le Monde perdu sous la mer
d’Arthur Conan Doyle (1926), le
professeur Maracot, Cyrus Headley
et Bill Scanlan s’embarquent pour
explorer les fonds de l’océan dans
un caisson d’acier, lorsqu’ils sont
attaqués par un monstre. Le peuple
des Atlantes
les sauve alors
et les emmène
dans sa cité
engloutie.
L’ A t l a n t i d e
apparaît dans
de nombreuses
séries
de
littérature de
genre,
par
exemple dans
Harry Dickson
(1929-1938).
Conan
le
Taliesin de Stephen Lawhead, premier
livre du cycle de Pendragon
Cimmérien, écrit par Robert E.
Howard en 1932, narre les aventures
d’un barbare qui devient roi de ses
propres mains ; l’histoire se déroule
à l’Âge hyborien, situé entre la chute
de l’Atlantide et l’avènement des cités
antiques. Le héros aurait même du
sang atlante coulant dans ses veines.
Ce qui le rendrait si particulier et si
puissant.
Opération Atlantide est le titre d’une
des aventures de Bob Morane, dues à
Henri Vernes (1956).
À la fin des années 1960, Atlantis est
le nom d’une revue et d’un groupe
de chercheurs en ésotérisme créé par
Paul Le Cour.
J.R.R. Tolkien s’est appuyé sur le
mythe de l’Atlantide pour créer l’île
fictive de Númenor, ou Atalantë en
quenya. Cette dernière est engloutie
en raison de la décadence des
Númenóréens. Selon le récit du
Silmarillion (1977), Atalantë aurait
été détruite après que ses habitants,
encouragés par Sauron le maléfique,
se sont ligués contre les Valar, enfants
du dieu unique Eru, et ont formé une
grande armée qui devait assiéger
le royaume des dieux. Les Valar en
appellent alors à Eru Ilúvatar, qui
engloutit Númenor. Stephen Lawhead
a réinterprété différemment l’histoire de
l’Atlantide dans son Cycle de Pendragon
(1987-1999) et l’expose ainsi : L’Atlantide
aurait été un groupement d’îles, à l’Est,
surnommé Les Îles des Immortels ou
Avalon, formé de neuf grands royaumes,
dont le neuvième, régi par le Grand Roi,
devait régner sur tous les autres. Ainsi
commence l’histoire de Charis, princesse
d’Atlantide, fille du roi Avallach, qui,
grâce à Throm, un prophète, prévoira
la catastrophe. Elle parviendra à sauver
quelques-uns des siens et à les emmener
sur l’île de Bretagne, et fondera un
nouveau royaume sur cette terre hostile
qui malgré tout deviendra la leur. Charis
rencontrera un jeune prince de Bretagne,
Taliesin ap Elphin, avec qui elle mettra
au monde l’Enchanteur que nous
connaissons tous, Merlin, celui-là même
qui rentrera dans la légende arthurienne.
Taliesin mourra d’une flèche barbare, et
Charis, quant à elle, deviendra celle que
nous connaissons sous le nom de la fée
Viviane ou la Dame du Lac.
En 1995 paraît Atlantides, les Îles
Englouties, un recueil « omnibus »
de nouvelles et romans ayant trait à
l’Atlantide plus ou moins directement. On
y trouve les productions de Cutliffe Hyne,
Jules Verne, Henry Rider Haggard, Clark
Ashton Smith, Abraham Merritt, José
Moselli, Jean Carrère et bien d’autres.
Dans les années 1990 et 2000, de
nombreux romans reprennent le mythe de
l’Atlantide, parmi lesquels L’Empreinte
des Dieux de Graham Hancock (1996).
13
Atlantis, Les fils du rayon d’or (1998),
roman de science-fiction de Pierre
Bordage, présente les Atlantes comme
une civilisation très évoluée, mais qui
stagne. Atlantide de Clive Cussler est un
roman dans lequel l’écrivain fait vivre
à son célèbre personnage (Dirk Pitt) la
découverte du continent perdu (1999).
Parmi les œuvres consacrées au mythe,
on peut également citer L’Énigme de
l’Atlantide d’Édouard Brasey (2001),
Civilisations englouties, livre « visiohistorique » de Graham Hancock (2002).
Le Cercle des immortels (2002-2009),
série de livres de Sherrilyn Kenyon qui
retrace la vie d’hommes ayant vendu leurs
âmes à la déesse Artémis et dont le chef
Acheron était un prince atlante. Atlantide,
La solution oubliée de Jacques Hébert
(2003) est un livre sous forme d’enquête
menée à l’aide d’indices ; c’est une
redécouverte des écrits de Platon, sous
l’aspect d’une enquête policière. Enfin,
David Gibbins publie en 2005 Atlantis.
Howard Phillip Lovecraft, dans des
nouvelles comme L’Appel de Cthulhu
s’est probablement inspiré de l’Atlantide
pour R’lyeh, cité engloutie depuis des
temps immémoriaux (comme l’Atlantide)
où sommeille pour l’éternité Cthulhu
(qui peut être ainsi vu comme Poséïdon),
créature extra-terrestre démentielle. Dans
la nouvelle L’Appel de Cthulhu, en 1926,
les sommets d’une immense cité aux
pierres cyclopéennes couvertes d’algues
émergent des flots après des millénaires
passés dans les profondeurs abyssales.
Malgré les siècles qui passent, l’Atlantide
ne cesse de s’accrocher à la réalité à
travers les mythes et légendes ainsi qu’à
travers l’imagination des auteurs et la
passion de certains scientifiques. Bien
que cette île n’ait jamais été retrouvée,
elle reste très présente dans le cœur et
l’esprit des hommes qui, à travers les
âges, lui ont consacré une partie de leur
vie. Il est certain que le mythe reste bel et
bien vivant et la question de l’existence
de l’Atlantide reste en suspens. Reste
à savoir si l’avenir donnera raison à ces
personnes si dévouées au mythe. En tout
cas, l’Atlantide vivra à jamais à travers
l’esprit des hommes, et au final, n’est-ce
pas ça le plus important ?
Dossier
Nouvelle du mois
La Duchesse bleue
Aquilegia Nox, [email protected]
licence Creative Commons by-nc-nd 2.0
« Ce n’était pas moi ! »
Ma sœur me regarde. Dans l’éclat bleu de son regard noir, je vois ma condamnation. Son sourire s’étire en
faux, asymétrique et cruel, et ses yeux rient à l’instant où la pointe crue de sa lance de verre tranche la fine
étoffe de ma robe multicolore. Mon sang ruisselle à ses pieds.
Je ne savais pas si elle pouvait m’atteindre de si loin, alors je m’étais penchée vers elle, les bras tendus dans
un élan d’espoir vain, à travers les barreaux de ma cage, pour atteindre un peu d’humanité.
Mais ma sœur n’est plus ma sœur, et l’humanité ici n’a jamais existé.
Elle me lance un dernier ricanement et se baisse pour essuyer de sa robe aux couleurs chaudes le rouge de
mon sang.
Ma cage se balance, et ma main blanche endigue le flot continu qui s’échappe de mon bras ballant. La lance
de verre est à mes pieds, était-ce un cadeau ? L’opportunité de mettre fin à mes jours ? Non, pas encore, pas
avant que j’aie pu crier mon innocence. Je n’assassine pas mes sœurs. Alors, je le crie.
« Tu as déjà dit tout cela. Dois-je faire couper tes cordes vocales pour avoir la paix ? »
La voix de la Duchesse résonne dans le hall. Je ne l’avais pas vue arriver, absorbée à hurler ma douleur
comme une litanie… Si cette litanie avait pu me protéger de l’étroitesse de cette cage, à dix mètres du sol, qui
oscille comme un pendule fou et vivant, faire rempart contre ma prison pour ma liberté…
Je dois me taire, car la maîtresse des lieux, ma maîtresse, jusqu’à il y a peu, ne marquerait aucune hésitation
à faire exécuter la moindre de ses menaces. Que la pensée ait seulement traversé son esprit est déjà presque la
réalité de l’acte.
Alors, je dois attendre, les articulations endolories par la pose figée, le cœur au bord des lèvres, l’estomac
noué par l’angoisse, que le vrai meurtrier soit retrouvé.
La Duchesse bleue est montée sur son trône, presque en dessous de moi. Je me trouve en réalité à la verticale
du socle d’ivoire qui mène à ses pieds, invisibles sous sa lourde robe chamarrée. Un camaïeu invraisemblable
de tous les bleus possibles et imaginables. Son visage d’albâtre, presque de cire translucide, encadré de la
haute coiffe encerclant son interminable chevelure bouclée d’outremer passé, lourde des perles et dentelles
les plus riches, n’est qu’un masque inexpressif, comme toujours. Ses cils recourbés touchent le haut de ses
pommettes pâles, comme des cils d’enfant en sommeil, alors qu’elle ferme les yeux, les rouages de son esprit
formulant son prochain caprice.
Je vois plus clair, maintenant. D’en bas, l’aura puissante de Celle-qui-Dirige ne permet pas de percevoir autre
chose que son désir immédiat. D’en haut, la distance et la peur dessillent le regard des soldats trop serviles.
Même si je devais être relâchée, maintenant, je ne suis plus sûre de pouvoir retourner à l’adoration de ma
maîtresse. Je ne suis plus sûre de pouvoir me battre de nouveau pour elle. Je ne suis plus sûre de l’aimer. Et
comme cet amour a jusque-là empli ma vie, cette constatation m’amène d’une traite à la conclusion évidente
Nouvelle
14
qui me troue le cœur : je suis déjà morte, puisque ma vie a disparu. Il n’y a plus de « possibles » pour moi,
juste un dernier devoir : rester consciente jusqu’à la preuve de mon innocence.
Le premier crime avait eu lieu dans le port. Le corps exsangue d’une sœur avait été retrouvé flottant entre deux
eaux, tache de soie orange et mauve, dans l’eau turquoise du petit matin. Son visage n’était plus identifiable,
on aurait dit qu’elle s’était battue contre le fauve le plus redoutable que l’humanité ait connu. Ses yeux gris
aux paupières boursouflées, encore intacts, s’ouvraient comme ceux des poissons morts sur son néant.
Nous avions cherché le criminel. Nous nous étions embusquées. Nous avions joué les appâts. Nous avions tué
quelques passants.
La Duchesse bleue ne se soucie pas assez de son peuple, dont plusieurs membres peuvent disparaître dans
l’indifférence la plus totale, pour porter attention à ce genre de petite bavure. Pourtant, il m’est arrivé de voir
sur ses joues couler le cristal d’un chagrin furtif, au souvenir de la perte de ses âmes. Et sa colère fut sans
borne lorsque le deuxième corps fut retrouvé, dans une plantation. Tailladé des multiples feuilles oblongues et
tranchantes arrachées des pieds de Zéa, il semblait avoir été pris dans une tornade de violence.
Circonspection, peur ? Je crois qu’à cet instant la Duchesse n’avait pas encore ouvert son cœur à un autre
sentiment que la rage dévastatrice.
Dans le palais, tout trembla, et nous sortîmes en hordes fauves hors de nos murs, rangs serrés de guerrières
implacables, flammes rouges, jaunes, violettes et pourpres, virevoltant dans le contraste de la froide immobilité
de Celle-qui-Ordonne.
Nous avons tout écumé. Nous avons égorgé les passants qui ne s’étaient pas calfeutrés à temps, et osaient
lever le regard vers nous au lieu de contempler leurs pieds poussiéreux.
Le royaume sombra dans un flot de violence dont il ne ressortit qu’une chose : d’autres cadavres de nos sœurs,
lacérés, sans que quiconque ait pu voir ce qui s’était passé. Pas de témoin, pas de preuve, pas de signe.
Juste un manque de chance. Le mien.
J’avais entendu un cri étouffé dans une ruelle, alors que la nuit venait de tomber et mâtinait d’un gris sombre
et bleuté, presque noir, toutes les couleurs du monde. Le feu de quelques torches, vestiges de la vie nocturne
des habitants, donnait la seule lumière. À pas comptés, dans le silence ouaté de cette nuit sanglante désertée
de tout chant, de tout jeu, de toute voix, la nuit couvre-feu, la nuit qui cache, je me suis déplacée, invisible
chasseur, jusqu’à la voix de ma sœur. Je n’ai trouvé, dans l’humidité de la ruelle, que son cadavre. Son sang
avait ruisselé jusqu’à la rue, envahi la pierre mouillée, glissé jusqu’à moi, et imprégné tout l’air ambiant de
son odeur métallique.
Lorsque mes sœurs sont arrivées, leurs lances de verre pointées vers un danger imaginaire qui avait quitté les
lieux depuis longtemps, elles ne trouvèrent que moi, tenant dans mes bras rougis et poisseux les lambeaux de
ce qui avait été l’une des nôtres.
Elles n’ont pas cherché à comprendre. Elles ont hurlé. Elles ont pleuré et chanté. Elles ne réfléchissaient plus
depuis des jours déjà.
Et je suis là.
J’assiste, impuissante, à la destruction de mon monde. Le véritable coupable court toujours, je le sais, et
ne laissera que désolation sur son passage. Il nous a narguées, a éclairci nos rangs à nous en rendre folles,
viendra-t-il jusqu’ici, jusqu’à la salle du trône ? Je le pense.
Il va faire disparaître tour à tour tous les obstacles qui se dressent devant lui, un par un. Insaisissable, invisible,
venu de la mer, ou né en ces terres, sur notre île verdoyante et mystique, il va continuer sa danse échevelée et
sanglante, porter coup sur coup, et nous atteindre au cœur.
Je n’attends plus qu’une chose, alors que mon corps est déjà desséché, et que mon esprit ne réclame plus rien
que l’assouvissement de sa frustration, fille de l’incompréhension, ce mur de brique qui me sépare de tous les
autres. Je n’attends plus que le prochain coup, preuve de mon innocence.
15
Nouvelle
Je veux le voir avant de mourir.
Je veux qu’il se dévoile tant que mes yeux sont encore assez humides pour saisir un peu de lumière. La
connaissance du visage du monstre apaisera mes dernières souffrances.
La nuit est là. Je ne l’ai pas vue venir. Comme j’aimerais que ce soit le jour qui me prenne en traître ! Si je
meurs pendant la nuit, je ne saurai pas, je ne verrai rien…
Ces longues heures noires, dans la soif intense qui me réveille malgré moi, fantôme oublié dans la salle vide,
éclairée uniquement des torchères oubliées dans leurs portoirs… Les touches dorées dont elles éclaboussent
les murs, les barreaux de ma cage, le trône en dessous de moi, comme les coups de pinceaux d’un peintre
fou, ne réchauffent personne. Ces flammes ne font même pas reculer l’obscurité physique, ni celle de mon
ignorance ou de celle des autres. Elles n’ont pas de vie, pas d’attente, pas de rôle… Je préférerais que seule
la lune froide éclaire la mort de ma dignité, que seules les étoiles me voient mourir… Si je dois mourir avant
l’aube. La volonté seule peut-elle me faire tenir ? Si tout se désagrège, aurais-je la chance de voir la fin de
cette énigme avant la mienne ?
Le jour n’est pas levé.
Le jour n’est pas levé et pourtant quelque chose a changé.
La lumière ? Non, les torchères illuminent toujours la salle du trône, vide et silencieuse, de leur clarté sans
ambition.
Vide ?
Non, il y a une forme noire sur le trône. Grande. C’est la lumière orange des flammes qui m’a empêchée de la
reconnaître. Ma maîtresse est là.
Immobile. Elle attend. Est-ce que son visage est lisse, ou crispé par la peur ? Peut-être un sourire masochiste
attend-il sa propre fin ?
Je ne peux pas la voir, mais je sais qu’elle restera sans bouger jusqu’à ce que le soleil glisse un rayon pardessus l’horizon.
Où sont mes sœurs, ses guerrières ? Sont-elles reparties écumer l’île, chercher la proie qui les chasse ?
Le temps s’écoule avec viscosité. Même si j’en avais la force, je n’oserais pas bouger.
Le temps se fige.
Il fait clair. Un peu d’humidité est parvenu jusqu’à moi par la fenêtre ouverte et m’a réveillée. Le temps est
gris, et il pleut.
Le jour s’est levé il y a peu, et la lumière, maintenant que les torchères sont éteintes, n’est plus que grise et
terne.
Ma maîtresse n’a pas bougé.
Elle est toujours là, et attend. Mes sœurs sont hors de vue.
Reviendront-elles ?
Il n’y a pas un bruit, à part le martèlement de l’eau sur les vitres, le toit, les murs. Et le grincement de la grande
porte.
Il est là.
Je sais que c’est le tueur. Il porte un long manteau rouge sombre, et son chapeau à bord large dissimule les
traits de son visage. Quelques mèches cendrées s’échappent d’un catogan mal fichu. Il me semble qu’il porte
des lunettes. Je ne l’ai jamais vu, et je n’ai jamais vu non plus quoi que ce soit qui lui ressemble. Il n’est pas
d’ici.
Ma maîtresse s’est levée. Elle sait maintenant que j’étais innocente, mais ne s’en soucie guère. Un appel, bref,
me fait redresser. Je sais qu’il ne s’adresse pas à moi, mais j’ai tellement l’habitude d’y répondre…
Mes sœurs guerrières sont là. Qu’elles sont peu nombreuses !
D’un geste, Celle-qui-Commande les envoie sur l’intrus. Comme des feux follets elles se jettent en avant,
flammèches folles et hurlantes.
L’intrus lève le bras gauche. Mes sœurs ne bougent plus. Elles ont perdu leur feu, leurs couleurs et leurs vies.
Nouvelle
16
Ce ne sont plus que des statues, figées dans l’animalité de leur mouvement. L’une d’elles, en déséquilibre, trop
penchée en avant dans sa course, tombe et se brise. Les larmes, que je croyais taries, me montent aux yeux.
Ma maîtresse pousse un cri. La tempête s’engouffre dans le palais. De la bouche aux lèvres de nacre bleutée
de Celle-qui-Dit, le vent le plus violent d’une tempête tropicale, mêlé à un hurlement strident de bête féroce,
s’abat sur l’intrus.
J’ai du mal à voir, à travers la poussière, la tornade qui a envahi la pièce. Fait-il face ? Survit-il ? Je ne vois
qu’une silhouette, les deux bras levés pour protéger sa tête. Il me semble qu’il ne bouge pas. Oui, il reste
immobile dans la tourmente. Mes oreilles saignent. Tout disparaît dans un blizzard qui fait balancer ma cage
contre le mur sans parvenir à la détacher.
Puis tout s’apaise, petit à petit.
Sur les marches du trône se tient une fillette. Ses cheveux noirs et fins tombent mollement sur ses épaules et
grâce au balancement de la cage je peux apercevoir son visage aux lèvres bleues empli de colère. L’homme
en face lui tend la main.
« Ton calvaire est fini, la solitude n’est bonne pour personne. Je suis envoyé par le continent. Nous ne pensions
pas que quelqu’un avait survécu au naufrage…
Tu n’auras plus besoin de peupler ton monde de chimères pour rester en vie. Tu vas rentrer avec moi, nous
allons quitter cette île maudite. Cet endroit va retourner à sa nature sauvage, personne ne doit rester trop
longtemps ici. L’île aux Crabes détruit ceux qui ne peuvent lui faire face. »
Je suis toujours là, ils sont partis. Je me balance, sans fin depuis des heures. Je ne suis même pas sûre d’avoir
compris. Ils m’ont abandonnée au milieu des statues de mes sœurs. Ai-je tout inventé ? Qu’est devenu le
monde dans lequel j’ai vécu ?
Ai-je jamais existé ailleurs que dans l’imagination d’une naufragée ?
17
Nouvelle
Fantasmes
Aquilegia Nox, [email protected]
licence Creative Commons by-nc-nd 2.0
Je marchais sur la grève par un bel après-midi ensoleillé. Le ressac lent et calme rythmait mes pas, qui
suivaient en ligne droite la limite des vagues, alors que mon esprit vagabondait de gauche et de droite, de haut
et de bas. Le soleil assez bas donnait une lumière claire et chaude, et l’absence de vent créait une atmosphère
curieusement presque intime, dans ce lieu pourtant si ouvert, symbole éternel de liberté et de départ.
Je longeais l’écume sans me soucier de souiller mes souliers, déjà usés par maintes promenades hors des
sentiers battus. Je retournais parfois du pied quelque coquillage, quelque débris d’algue laissé là par les eaux
négligentes, dégageant des galets aux couleurs pastels, des plumes défraîchies, des morceaux de verre polis,
pour le plaisir de l’œil et de la découverte.
L’air a, près de l’eau, cette senteur particulière et inimitable des boues organiques en décomposition, parfois
forte, parfois légère, mais toujours présente, que l’on associe sans faille aux journées ensoleillées et à la
baignade.
Cela faisait bien longtemps que je ne m’étais pas baigné… Mais cela ne me manquait guère. J’étais davantage
fait pour les études au coin du feu que pour le grand air, à moins qu’il ne s’agisse d’une promenade secrète en
solitaire, face aux éléments dans toute leur simplicité.
Mes pas m’avaient guidé loin des chemins habituels. Seuls les cris des oiseaux de mer me tenaient compagnie
depuis plus d’une heure. Je commençais à chercher du regard un endroit commode où m’asseoir, pour
m’imprégner du seul bruit de l’eau, et de la lumière, quand une curieuse forme retint mon attention.
Un homme assis, face à l’horizon. Une femme, peut-être ? Non, un homme, c’était sûr. Assis en tailleur, le
dos voûté, comme arc-bouté face à un vent violent, le visage face à la mer, et un bras tendu comme pour
indiquer l’horizon à un compagnon invisible. Il ressemblait à un arc bandé, et n’aurait pas dégagé davantage
d’intensité s’il avait vu et désigné un dragon sortant de l’eau à un pas de lui.
Mon premier geste fut de regarder dans la direction qu’il indiquait ; l’horizon s’étalait à perte de vue, l’absence
de vent ne troublant pas d’un iota la surface calme de la mer d’huile. Une brume pâle et légère estompait le
lien entre la terre et le ciel, et une mouette cria.
Je haussai les épaules et m’approchai, mû par la curiosité autant que par la circonspection. Il s’agissait
indubitablement d’un homme. En avançant, je distinguai de mieux en mieux les détails de sa stature, de
sa vêture, et de son expression. Il était habillé de sombre, et la crispation de sa pose n’indiquait que la plus
grande stupéfaction.
Quand je fus à quelques pas, la vérité m’apparut. Il s’agissait d’une statue, posée là. Une simple statue d’un
homme montrant avec une intense nervosité un objet absent du paysage. Son visage était crispé en une grimace
de désespoir, dents découvertes par un rictus effrayé, yeux plissés de concentration et écarquillés d’effroi, tout
à la fois.
Le tissu des vêtements était détaillé avec une finesse délicate, et l’on devinait sans mal la force du vent.
Je touchai la pierre de la main, admirant le travail de l’artiste. Je laissai mes doigts courir dans les plis du
Nouvelle
18
vêtement, sur les traits du visage, l’ondulation des cheveux. Où donc était le sculpteur, et pourquoi avait-il
laissé son œuvre à un endroit où personne ne pouvait la voir ?
Je regardai de nouveau l’horizon. C’était vide, désespérément vide, sans rien que le soleil, dont l’éclat
commençait à être terni par la brume, et la mer, languide et puissante à la fois, comme une chatte au repos, qui
vous regarde sans vous voir, au travers de ses paupières closes.
Je m’assis à gauche de la statue et m’enveloppai dans mon manteau pour faire barrage à l’humidité. Je n’avais
pas eu, de toute manière, l’intention d’aller plus loin. Je posai mes bras sur mes genoux relevés et mon menton
dans mes mains jointes. Il risquait de faire rapidement frais, mais je n’en avais cure, mon habit étant assez
épais. En outre, la marche m’avait donné chaud. Je contemplai l’horizon, fixement, reflet vivant de mon
homologue statufié, calme contraste de sa stupeur.
La danse des mouettes me captiva un moment. Quelques sternes et goélands se mêlaient parfois à elles. Les
gracieuses hirondelles de mer aux ailes en faux serpentaient dans le ciel de plus en plus terne, plongeant par
moment dans les eaux plates, et ressortant de temps en temps avec un poisson vite avalé. Un labbe fit son
apparition. Il commença à pourchasser les sternes, sans que je puisse déterminer les motifs du choix d’une
proie particulière. Il était bien plus grand que ses cibles, et sa longue queue en pointe me rappelait les cerfsvolants de mon enfance. Avec une virtuosité inégalable, il harcelait un oiseau blanc à bec rouge, et finit
par obtenir ce qu’il désirait : le fruit d’une pêche déjà à moitié digérée, régurgitée de mauvaise grâce pour
échapper à un passage à tabac en bonne et due forme. À peine son butin avalé, le labbe choisit une nouvelle
proie.
Certains de mes collègues pratiquaient volontiers cette technique eux aussi. Gracieux ou violents, les parasites
choisissaient une jeune recrue, et la décidaient, à force de flatteries ou de menaces à peine voilées, à travailler
pour eux. Ce qui était excusable pour un oiseau de mer sélectionné par la nature pour cette tactique l’était
moins d’étudiants et professeurs agissant par choix personnel. Tant qu’ils laissaient mes étudiants tranquilles…
Je poussai un soupir et tendit une jambe qui s’ankylosait doucement. Si la brume avait été moins épaisse,
j’aurais pu, avec un peu de chance, distinguer les contours de l’île aux Crabes, probablement située en face.
Un jour, il faudrait que je loue un bateau pour m’y rendre. La faune et la flore de cette île valaient paraît-il
d’être vues au moins une fois dans sa vie. Je n’avais pas du tout la mentalité d’un explorateur, mais l’île aux
Crabes avait été présente dans mon environnement depuis tellement d’années qu’elle avait fini par devenir
familière sans que je n’y sois jamais allé. Un jour, je me déciderais. Ce n’était pas pressé.
Je tournai les yeux vers la statue. Le soleil avait disparu, avalé par la terre, et quelques étoiles commençaient à
briller derrière moi. Le gris neutre du crépuscule avait remplacé la clarté nacrée de l’après-midi. Les mouettes,
les sternes, les labbes, tout ce petit monde avait disparu. Un caillou roula et termina sa course désordonnée en
heurtant mon pied droit.
Je tournai la tête, doucement, pour voir ce qui avait causé sa chute, regard en coin.
Deux grandes silhouettes se découpaient contre le gris crayeux de la falaise à quelques dizaines de mètres
derrière moi. Je me tournai un peu plus pour mieux les voir.
C’étaient deux personnages longilignes et un peu voûtés, portant de longs manteaux. L’un d’entre eux, le plus
grand, était coiffé d’un chapeau cylindrique haut d’une cinquantaine de centimètres. L’autre avait un couvrechef plat et plus large. Je ne voyais pas leurs yeux. Ils devaient mesurer entre deux mètres cinquante et trois
mètres.
Comme ils ne bougeaient pas, je me demandai tout d’abord s’il ne s’agissait pas de statues, que je n’aurais
pas vues à mon arrivée, obnubilé que j’étais par mon ami assis. Je ne voulais pas me lever, pour ne pas attirer
l’attention. Bien m’en prit, car après quelques instants, le plus grand des deux avança à grandes enjambées
dans ma direction, suivi de près par son compagnon. Ils s’arrêtèrent juste derrière moi.
Une brise légère s’était levée et faisait jouer leurs longs manteaux.
Je m’étais tourné de façon à avoir une vue à la fois sur la mer, sur la statue de l’homme assis et sur les deux
escogriffes. De ma main droite, je me préparai à me protéger, au cas où. Pourtant, j’étais bien décidé, autant
que faire se peut, à ne pas troubler cette scène étrange.
La brume s’était levée, et le ciel nocturne virait du bleu au noir piqueté de blanc avec célérité. L’homme au
chapeau plat se baissa et posa la main sur l’épaule de statue.
19
Nouvelle
Alors, d’abord presque inaudible, puis de plus en plus fort, un cri rauque, d’angoisse et de douleur, emplit
l’espace, s’infiltrant jusqu’à la moindre anfractuosité, vrillant mes nerfs et perçant mes tympans. Quand
plusieurs dizaines de secondes furent passées, alors le cri s’acheva sur un râle sanglotant, et la poitrine de la
statue s’abaissa.
Je l’aurais parié. Dommage qu’il n’y ait eu personne avec qui concrétiser ce pari.
Le bras tendu retomba mollement sur un genou et la tête s’abaissa. Les deux géants avaient chacun une main
posée sur l’épaule de leur ami. Aucun ne semblait n’avoir remarqué ma présence. Alors, l’homme assis releva
son visage vers la mer, et je me rendis compte que les trois étranges personnages la fixaient. Je tournai aussi
les yeux vers l’horizon.
Ce que je vis me surprit, car je n’en avais jamais entendu parler. Je parvenais à distinguer la masse sombre
de l’île aux Crabes, loin devant. Une fine ligne claire semblait en partir. Une ligne un peu lumineuse, un peu
brillante. Si la Lune avait été levée, on aurait pu prendre cette trace pour son reflet, mais la nuit était d’un noir
absolu, si l’on exceptait une certaine lueur venant des étoiles.
La trace lumineuse semblait avancer vers nous, et je sentais les trois hommes à côté de moi retenir leur
souffle. Je fis de même.
Plusieurs minutes s’écoulèrent sans qu’il se passe rien d’autre que cette lente progression, impalpable,
impossible à mesurer. Y avait-il réellement progression, d’ailleurs ? Parfois j’en doutais, me demandant si
cette idée d’avancée n’était pas une simple illusion.
Mais non. Bientôt, je distinguai un objet noir, que j’identifiai comme une barque. Des sons, aussi, me parvinrent
malgré le bruit des vagues, que la brise agitait peu à peu. Des sanglots, des sanglots de femme.
Les trois personnages à côté de moi commencèrent à marmonner, à chuchoter, à voix basse et rapide, un
incompréhensible charabia. La barque n’avançait plus, alors que le halo lumineux qui entourait l’eau autour
d’elle gagnait en force et en brillance.
Je n’y comprenais rien, et bientôt je n’y tins plus.
Je repliai mon index gauche contre mon pouce pour former un anneau, et soufflai un charme dans le cercle
ainsi créé. En prenant garde à bouger le plus doucement possible, je montai la main à hauteur de mon visage
et regardait par la lentille d’agrandissement. Je ne vis tout d’abord pas la barque, et dus osciller de droite et de
gauche en maudissant le manque de visibilité. Quand je la trouvai, enfin je compris mieux.
Ce que j’avais pris pour une traînée lumineuse n’était que la lueur des créatures marines enchantées qui
infestaient le coin. Les sirènes de contes sont de bien gentilles petites filles comparées à ces sanguinaires
monstres d’avidité formés des craintes des pêcheurs des environs. C’est peut-être pour cela que l’île aux Crabes
est si fascinante : les eaux qui l’entourent, polluées par les effluves enchantés qui proviennent du courant du
fleuve longeant l’École, ont une tendance un peu trop marquée à matérialiser les fruits de l’imagination de
ceux qui s’y promènent. D’ailleurs, il me paraissait fort probable que l’ensemble de la scène n’ait été que le
produit de l’imagination ou le souvenir de quelqu’un. La statue peut-être ?
La femme dans la barque avait toutes les peines du monde à empêcher les mains griffues des créatures
abyssales de s’accrocher aux bords de sa frêle embarcation pour s’y hisser et en même temps à continuer à
ramer. D’ailleurs, une de ses rames ne tarda pas à glisser dans l’eau et une des fantasmagoriques figures de
cauchemar attrapa le poignet de la pauvre fille et le mordit. Le sang gicla, et la pauvresse réussit à se dégager
in extremis.
Je résistai à l’envie de me lever pour mieux voir et observai les réactions des autres. Leurs chuchotements
s’étaient intensifiés, et l’on distinguait maintenant nettement leurs trois voix, mais je n’entendais toujours pas
ce qu’ils disaient. Ou plutôt, je l’entendais, mais je ne le comprenais pas. Néanmoins, j’avais bien une petite
idée de ce qu’ils étaient en train de faire. Le plus grand parlait avec une voix de basse, fort belle d’ailleurs,
tandis que celui au chapeau plat émettait un son beaucoup plus aigu et que l’homme assis avait un timbre
plus moyen. Le chœur de leurs trois voix provoquait un magnifique effet de résonance, enflant au rythme des
vagues.
Je soufflai un nouveau charme sur la lunette de vision formée par ma main gauche, et regardai de nouveau au
Nouvelle
20
travers. Le vent m’apparaissait de façon pratiquement visible, volutes d’argent sur le fond noir. Je trouvai la
barque. Les filaments de brise étaient trop opaques, je ne voyais même plus l’occupante. Je tournai la main
de quelques degrés vers la droite. Le vent reprit sa transparence, mais les fantômes marins devinrent plus
brillants encore et prirent une teinte rougeâtre.
C’était un peu mieux. J’inclinai encore la main d’un mouvement infime, et je vis ce que je voulais. Les formes
crochues qui arrachaient à belles dents la chair de la jeune femme dans la barque disparurent presque de ma
vision, mais un fin filament violacé avait fait son apparition. Il tressaillait en accord avec les murmures de plus
en plus forts des trois hommes à mon côté. Il était attaché à l’avant de la barque et leur permettait de la tirer
progressivement vers la plage.
Je repris le mode me permettant de voir les monstres fantasmés, et constatai que leur surnombre allait sans
aucun doute leur donner la victoire.
Mes trois compères ânonnaient maintenant leur sortilège à voix haute, comme pour lui donner plus de force. Le
rythme ahanant de leur mélopée scandait la traction du filin invisible que leur magie seule avait matérialisée,
comme une mélodie de marins au cabestan. Une force énorme s’en dégageait, une force dont la chaleur
commençait à irradier jusqu’à moi, contrebalançant la froide humidité marine de la nuit. Hélas pour eux, la
force adverse était plus nombreuse, plus enragée, et plus affamée.
La femme s’était recroquevillée au fond de la barque, au corps à corps avec les créatures de cauchemar qui
avaient fini par envahir son esquif. La bataille touchait à sa fin, et bientôt il ne resterait, sur le chemin de
lumière qui menait ce soir à l’île aux Crabes, qu’une barque vide comme une coquille de noix.
Je poussai un soupir. Devais-je intervenir, ou pas ? Depuis combien de temps ce rituel fantomatique se jouait-il
chaque nuit, alimentant les frayeurs des pêcheurs locaux et attisant du même coup leurs craintes des choses de
la nuit et de la mer ? Et surtout, combien de temps se rejouerait-il encore ?
Tout cela n’était que fantasme, fantômes nés de désirs et de peurs, d’histoires personnelles gravées dans le
temps par une magie trop dense et trop sauvage.
La tragédie qui se déroulait sous mes yeux nourrissait elle-même les autres fantasmagories, les créatures
oniriques et effrayantes s’engraissaient des rêveries des autres comme de leurs pires cauchemars, créant
leurs propres simulacres de vie, et en conséquence un écosystème magique auto–alimenté. Avais-je le droit
d’interférer dans leurs histoires ? De les priver de leur pitance, de les affamer davantage qu’elles ne l’étaient
déjà ? Et pour faire quoi ? Satisfaire d’autres créatures, guère plus présentes que des ombres ou des statues ?
C’était un dilemme difficile à résoudre, mais ma curiosité fut finalement la plus forte. Je retroussai mes
manches, brisant du même coup le charme de vision qui imprégnait ma main gauche. Je n’en avais plus
besoin.
J’avais pris ma décision. Je levai les bras et laissai les effluves de magie locale les imprégner. Puis je plaçai
ma main gauche paume ouverte vers l’extérieur contre mon flanc droit afin de déployer un bouclier qui
empêcherait toute attaque magique ou physique des trois curieux personnages à ma droite, au cas où ils
prendraient enfin acte de ma présence. De ma main libre, j’aspirai les forces brutes qui, en passant par mes
charmes et incantations, se matérialiseraient en filaments de magie dirigée en un dessein précis.
Les premiers sortirent comme des mots de ma bouche, et se faufilèrent jusqu’aux fantasmes fantomatiques
qui avaient pratiquement fini de se repaître de la jeune fille. Le premier à être touché fut pris de spasmes,
et manqua de se liquéfier en rejetant sous forme d’énergie pure le morceau sanglant qu’il avait avalé. Je les
harcelai tous de la sorte, les forçant à recracher, rejeter, chaque parcelle avalée, de façon à reformer le corps
épars dans la barque. Il n’y avait pas de problème à le recomposer ainsi, car de toute façon, la véritable jeune
fille, en admettant qu’il y en ait eu une, était morte depuis belle lurette. Ne restait qu’une idée, une ombre, une
relique, que je reconstituai petit à petit.
Effarouchés, les prédateurs prirent leurs distances. De leurs yeux mauvais, les visages me fixaient, cherchant
un moyen de m’atteindre. Las, j’étais où j’étais, et leur élément n’était pas le mien.
Quand la femme fut de nouveau entière dans sa barque, assise à la poupe, je me contentai de maintenir ces
némésis à distance pendant que le trio la halait, leurs murmures maintenant aussi doux que le clapotis des
vagues contre les galets.
Le fond de la barque racla le sable et les galets de la plage. Le calme était revenu, bien que la brise soufflât
21
Nouvelle
toujours. Un long instant passa avant que l’occupante de la barque ne bouge. Je me réjouissais intérieurement
des retrouvailles de deux amoureux, heureux d’avoir participé à clore un cercle fantomatique laissé par le
regret de deux cœurs transis et séparés par le malheur.
La femme se leva lentement, et enjamba, malgré sa longue robe blanche et diaphane, le bord de la barque.
L’eau rendait lourd son vêtement, qui soulignait les contours de son corps. Elle avança peu à peu, vers l’homme
qui avait été assis, et qui s’était levé. Les deux autres, Chapeau-haut et Chapeau-plat, se tenaient à quelques
pas en retrait, ombres parmi les ombres. Quand elle fut à deux pas de lui, elle s’arrêta, il avança vers elle et
l’étreignit avec force.
Je souris, mais mon sourire se mua en rictus d’effroi quand je vis le couple se séparer, et la femme s’écrouler
au sol, les mains crispées sur un ventre ouvert du bas vers le haut. Son amant tenait une lame qui avait
jusque-là échappé à ma vue, et venait d’éventrer sa compagne avec violence.
Il lâcha son arme, et, rejetant la tête en arrière, hurla vers le ciel. Ses deux compagnons reculèrent, comme
s’ils flottaient dans l’air, et avant que j’aie réalisé ce qui se passait, il ne restait que deux chapeaux, un haut et
un plat, qui roulèrent sur le sable.
L’homme qui avait été une statue, ses poumons vides de tout air, cessa de crier. Il se baissa pour prendre les
chapeaux qui avaient achevé leur course à ses pieds, posa le haut sur le plat et s’en coiffa. Il avança vers la
mer, comme un automate, en regardant droit devant lui. Il marcha sur le corps étendu de la femme, dont la
chevelure se mêlait d’algues et de sable sous les caresses de la mer. Il s’enfonça dans l’eau, pas à pas, et s’y
dissout.
Quand j’avais trouvé la statue d’homme, je m’étais demandé où était le sculpteur. La réponse était simple : il
était à ce moment sous mes yeux. Cet homme s’était sculpté lui-même, artisan, artiste de son propre malheur.
Il avait taillé son histoire avec tant d’acharnement, de volonté, de hargne, que même après sa mort, elle avait
continué d’exister.
En deux minutes, il avait disparu dans les entrailles de la mer, son sombre dessein enfin accompli.
La femme gisait toujours. Je m’approchai doucement de son corps. Il avait la douce matérialité des fantômes
de la nuit. Son visage, pâle et fin, presque bleuté, reflétait la lumière des étoiles. Le sel d’une de mes larmes
se mêla au sel de la mer sur cet œil sombre, que la mort n’avait pas encore voilé. N’aurais-je pas dû la
récupérer du fond des mers ? Aurais-je dû la laisser être démembrée, chaque nuit un peu plus ? J’ignorais si les
souvenirs, les idées ou les fantasmes éprouvaient de la souffrance. Comment en douter en ayant sous les yeux
ce visage exprimant toute la détresse du monde ?
Je poussai un soupir, et prononçai, d’une voix claire, un dernier charme pour cette nuit.
Désormais, si vous vous promenez sur la plage en face de l’île aux Crabes, vous y verrez une statue, celle
d’une femme qui avait trompé son amant, le fils enchanteur d’un chapelier, avec un fantasme qu’elle s’était
créé sur l’île aux Crabes. En revenant de son escapade, deux morts l’attendaient : la lame de son amant sur la
plage, ou les crocs des créatures marines imaginaires. Elle subit les deux, par ma faute.
Alors, à la fois pour qu’il reste un souvenir de cette tragédie – mais un souvenir sans vie – et qu’elle ne se
reproduise pas chaque nuit, je drainai et absorbai toute la magie de ce bout de plage et m’en nourris, récupérant
finalement pour moi l’énergie volée aux fantasmagories marines. J’inspirai son essence, qui grandit ma magie,
m’imbibant de sa puissance brute et élémentaire. Son parfum de vague à l’âme teinta mon esprit, mais je ne
cessai pas avant que tout soit fini, qu’il ne reste de la beauté éventrée qu’une enveloppe vide. Je la changeai en
pierre, en m’assurant qu’elle ne s’anime plus jamais, jusqu’à ce que la mer l’ait dissoute, réunissant dans ses
vagues les deux amants maudits.
Nouvelle
22
Vagrant Story
Bonne année tout le monde !
de jeux de Sony. À l’origine, je voulais tester tout
autre chose (Dragons Age en l’occurrence), mais
déçu par un jeu lourdingue et mal fichu (oui, oui,
Dragon Age), je me suis tourné vers Vagrant Story,
jeu que je n’avais jamais pu finir à l’époque (plus
de Playstation). Donc oui, c’est de la conversion de
Vagrant Story, superbe jeu datant de l’âge d’or de la
PS1, dont je vais vous parler.
Déjà, je vois que vous vous posez la question : «
Attendez, il nous fait quoi là, il va nous parler d’un
vieux jeu que tout le monde a oublié et qui nous
obligerait à sortir nos émulateurs pour essayer ? »
Nan, relisez au-dessus : il est disponible sur le PSN.
Et comme tout jeu du PSN, il est jouable sur la PS3
et la PSP, et ce, pour 5 € 99. Ça change des jeux à
75 € (sic) que l’on a actuellement (Bayonetta me fait
encore pleurer).
Cette année, comme à chaque fois, j’ai eu de beaux
cadeaux, je ne les ai pas revendus sur eBay, et je vous
conseille de faire de même, même si, oui, je sais, le
pull de Tante Ursule est immonde.
Non, je n’ai pas l’intention de vous raconter mon
Noël, je vais en venir au vif du sujet : Vagrant Story,
sorti sur le PSN, la plate-forme de téléchargement
Bon, lançons ce jeu. Première chose qui choque si
on joue sur PS3, c’est le sympathique mode « plein
écran », qui colle le jeu dans une sorte de 16/9 pas
beau, mais qui heureusement se désactive facilement.
Sur PSP, même problème selon la config de la PSP.
Un jeu PS1, ça se joue en 4/3 !
Une fois l’écueil passé, on peut regarder sans
problème la belle vidéo,
plutôt sympathique pour
l’époque (contrairement à
plein d’horreurs que j’ai pu
voir dans le même temps),
puis, après un menu
minimaliste, le jeu se lance.
faciales détaillées, chose
rare sur la Playstation 1,
et l’on s’attend presque
à entendre leur voix
tellement le jeu est
immersif.
Les décors entièrement
en 3D vous laissent tout
loisir de les admirer, la caméra pivotant à 360 degrés,
et l’on a même la possibilité de les observer plus en
Les dialogues jouent avec la caméra et les
personnages parlent dans des bulles façons BD.
Êtes-vous sûrs de vouloir avancer ?
Première chose : baffe visuelle. On a de superbes
graphismes, qui n’ont rien à envier aux autres jeux de
Square sortis plus tard comme Final Fantasy 9, fins et
travaillés, et même si ça pixellise, c’est extrêmement
impressionnant. Les personnages ont des expressions
23
détail en se mettant en vue « première personne ». Et
quand la vue est fixe, l’angle est toujours parfaitement
choisi pour ne pas ressembler à un autre et mettre
parfaitement en scène ce qui risque de se dérouler
(parce qu’il ne faut pas rêver, un angle fixe = scène
de blabla ou Boss Fight).
Sombre et violent, il a par contre un scénario retors,
mettant en scène le personnage d’Ashley, une
semaine avant qu’il soit accusé de l’assassinat du
Vagrant story
duc Bardora, alors que
vous recherchiez son fils
disparu, enlevé par une
étrange secte, dans la
citadelle de LéaMundis.
Vous allez donc jouer
durant cette fameuse nuit
où, vous infiltrant
Et celui là est petit.
dans le château du
duc, vous allez chercher à découvrir tout ce qui se
passe dans cet endroit et à retrouver le jeune garçon.
Au programme donc, une nuit en enfer, du bon «
dungeon crawler », en plus passionnant. Oui, un RPG
sur une seule nuit, en un seul lieu, c’est curieux, c’est
comme ça, et c’est bon.
Niveau gameplay, on a une action RPG, mêlant
équipement customisable et craftable à souhait, magie
avec barre de Mana à gérer, phases de plateforme à
base de caisses à soulever, de plateformes volantes,
de leviers cachés, et ainsi de suite, et bien entendu,
de combats !
Venons-en aux combats. Sans temps de chargement
(le jeu utilisait le préchargement, belle technologie
de l’époque qui faisait que, quand vous étiez dans
une salle, il chargeait celles qui se trouvaient à côté),
sans transition, les combats se font directement sur
la carte (oui comme dans Final Fantasy XII, c’est
normal, c’est les mêmes créateurs). Vous appuyez
sur votre jolie touche d’attaque, un cercle apparaît,
le jeu se colle en pause, et toutes les parties visibles
du monstre à occire vous apparaissent, prêtes à viser.
Vagrant story
Selon la taille, la position et tout un tas de petits
paramètres, vous aurez différentes chances de toucher
votre adversaire, et les dégâts seront variables. Par
la suite, vous pourrez même faire de jolis combos
attaque/défense, et utiliser votre magie.
Ajoutez à ça la barre de Risk, une sorte de barre
d’adrénaline, qui monte pendant les combats, en
tapant et se faisant taper, et descend hors combat (qui
a dit « barre de rage » ?), et vous permettra de faire
des supers kikoo combos de la mort (c’est de moi),
qui en plus d’être superbes seront dévastateurs.
Voilà, qu’ajouter à ça ? Pas grand-chose. Si vous
étiez en train d’écumer les soldes Steam (je me suis
fait plaisir, l’intégrale de Dawn of War et World of
Goo en promo, c’est cool), jetez-vous aussi sur celles
du PSN, et n’oubliez jamais cette règle, de moi une
fois encore : les jeux en téléchargement payant, que
ce soit sur le Xbox live, Steam ou le PSN, valent le
coup (enfin souvent).
Sur ce, je vous souhaite un bon début d’année, faites
gaffe aux dragons si vous n’êtes pas bien équipés, ne
vous laissez pas manger par WoW, Aion ou WAR, et
pensez à vous nourrir !
24
Les Conseils de lecture du mage blanc
Les dieux ne sont pas immortels
Patrick Guerbette
Les éditions Manannan
Notre avis : Quatre ans de recherche et d’écriture nous donnent un livre
particulièrement bien écrit. Eamus Cork vit en Irlande en 1845. Cogan va nous conter sa
quête qui le mènera en Australie après un voyage mouvementé sur la Rose des vents. Il
vivra avec ses compagnons de fortune en Tasmanie. On le retrouvera sur un baleinier à
la recherche de son destin. 654 pages pleines d’images, de personnages et de détails qui
embellissent notre lecture. À lire absolument pour connaître l’Irlande et ses légendes.
Les Dragons de l’apocalypse
Janus SC
Edilivre
Lorac, ancien guerrier de l’Enfer, a vendu depuis longtemps son âme au diable. Son désespoir
est grand, jusqu’au jour où il se lie d’amitié avec un dragon. Son chemin le mènera aussi à
rencontrer l’amour et à vivre une bataille grandiose entre les humains aidés par les dragons
et les vampires, une bataille dont la victoire sera la clé de la liberté des humains.
Notre avis : Lorae et sa dragonne Nitaa nous amènent en Mouranie pour combattre les vampires et
redonner la liberté aux habitants de ces belles contrées. L’amour est là. Lorae succombera à Lia, chef des
rebelles, mais cette union impossible ne sera révélée que dans le prochain tome. Alors, à quand la suite des
aventures de Lorae, personnage énigmatique qui sait nous faire partager ses aventures ?
25
Conseils de lecture
Rottenweiss
David Rolandi
Edilivre
Une Terre ravagée par des hommes en lutte, mus par la haine perpétuelle, des populations
décimées par la cruauté, une toute nouvelle et malfaisante mythologie : c’est le tableau de
la société dans laquelle doit vivre Marie-Hélène Rottenweiss. Lorsqu’un être céleste lui
donne un fils, elle comprend rapidement que seule la violence lui permettra de s’en sortir,
et de faire de son fils un maître absolu.
Jusqu’à ce qu’elle croise Cham, un homme en quête de liberté.
Notre avis : Depuis un moment, nous déplorons au cinéma la grève des scénaristes. De nombreux films,
Harry Potter 6 en tête, ont vu de très bonnes réalisations, mais des scénarios pauvres en rebondissements et
truffés d’incohérences. Ce livre, lui, ne manque pas de scénariste : l’histoire est très prenante et l’on suit cette
femme en proie au mal-être dans une terre dévastée, enceinte de la pire des façons qui soit, et sa reconquête
de son identité. Mais alors, côté réalisation : au secours ! les flash-backs continuels nuisent à la lecture et à la
compréhension de l’histoire, les écarts de langage ne servent pas l’histoire. En résumé : un livre à lire si l’on
est en manque de lecture
L’Elfe au dragon T. 3
Arthur Ténor
Seuil Jeunesse
Sur le dos de Karlo, Kendhil et Errindha volent vers Oriadith, de retour de leur
précédente aventure. L’elfon parvient à convaincre ses amis de « faire un crochet »
par la capitale impériale, Éa-Kyrion, afin d’y trouver un Magicien susceptible de le
renseigner sur Mézandion. Mais le seul fait de prononcer le nom de Mézandion créé
une grande agitation chez les Magiciens. Kendhil est arrêté et comparaît aussitôt devant
un conseil réuni dans l’urgence, qui décide de prononcer contre le jeune Sentinelle le «
sort des Maudits ». C’est une décision gravissime, sans précédent, qui voue Kendhil à
une malédiction terrible, un exil dans un gouffre de l’Occulte. L’aide de son alter ego suffira-t-elle cette fois
encore à le tirer de ce mauvais pas ? Le troisième tome des aventures de L’Elfe au dragon, toujours aussi
passionnant, conduit Kendhil et Karlo dans un nouveau territoire de l’Empire d’Isuldain.
Notre avis : Un savant mélange entre Eragon (pour le dragon) et Terry Pratchet (pour les mages aussi
séparés du monde que possible). Une histoire simple, mais prenante dont on veut à tout pris connaître la suite
et la fin du mystère qui entoure la naissance de cet Elfe peu commun qui perdra beaucoup dans cette quête. Je
trouve dommage que la quatrième de couverture soit un résumé de ce que nous nous apprêtons à lire.
Conseils de lecture
26
Le Sacrifice de l’épouvanteur
Joseph Delaney
Bayard Jeunesse
Notre avis : Une couverture sobre, aucun texte de quatrième de couverture si ce n’est ce double
avertissement : « À ne pas lire la nuit » ; « Cet ouvrage comporte des scènes susceptibles de heurter la
sensibilité de trop jeunes lecteurs. » Vous voilà prévenu !
Une série sympathique qui a l’avantage de pouvoir être prise en cours de route. Cela faisait longtemps que
je n’avais pas vu l’expression « le septième fils du septième fils », la dernière fois c’était dans Maudit Graal
d’Anthony Horowitz. Tous les ingrédients d’une histoire réussie sont là : un vieux maître à l’allure britannique,
un ennemi redoutable (deux en fait) , une fin du monde annoncée, deux-trois prophéties de mort, et en plus,
l’obligation pour le héros de s’allier avec ceux qui ont voulu le tuer dans les tomes précédents. En résumé :
une fantastique histoire remplie de créatures fabuleuses qui devrait ravir nos lecteurs les plus téméraires.
L’Homme goudron
Linda Buckley-Archer
traduit par Danièle Laruelle
Bayard Jeunesse
Kate cherche à retrouver son ami Peter, resté au XVIIIe siècle. Elle et M. Schock, le père
de Peter, repartent dans le temps, mais ils arrivent en 1792. Ils finissent par découvrir
Peter, qui porte le nom de Joshua Seymour et qui a l’âge de son père. Ce dernier ne le
reconnaît pas et Kate préfère lui cacher la vérité, espérant repartir dans le temps grâce au
marquis de Montfaron.
Notre avis : Le livre qu’auraient écrit Évelyne Brisou-Pellen et H G Wells s’ils avaient écrit un livre
ensemble.
Les Enfants de la lampe magique Vol. 4
Philip Kerr
traduit par Pascale Jusforgues
Bayard Jeunesse
John et Philippa Gaunt portent secours à leur mère qui doit échapper à son destin de
djinn bleu de Babylone. Leur père, victime de la malédiction de Mathusalem, vieillit
prématurément en quelques semaines. Si les jumeaux ne font rien, il risque de mourir de
vieillesse. Parallèlement, les enfants de la lampe magique doivent faire face à une armée
de soldats en terre cuite qui menace l’humanité.
27
Conseils de lecture
Des nouvelles de De cape et de crocs
à un mauvais pulp, la série retrouve son souffle
avec la conclusion dramatique du huitième tome.
Le scénariste se trouve alors confronté à un choix
: transformer sa commedia dell’arte en une pièce
de tragédie grecque ou tenter le retournement de
situation. Ayroles ayant plus d’un tour dans sa
manche, il va, tel un Scapin préparant sa fourberie,
nous mener par le bout du nez afin de nous rappeler
que De capes et de crocs est avant tout une farce.
C’est là que les avis généraux vont diverger.
Applaudissements ou regrets, ce demi-tour
scénaristique ne laissera personne indifférent. La
conclusion de ce deuxième cycle laisse malgré tout
un léger sentiment de frustration. Les dessins sont
toujours au top, les références foisonnantes et les
escarmouches verbales bien affûtées, mais le scénario
reste trop léger par rapport à ce qu’il aurait pu être
avec une trame plus dramatique. Bien sûr, ce nouvel
opus reste plaisant à découvrir, mais une histoire
un peu moins allongée et un peu plus sombre aurait
peut-être encore gagné en saveur.
De cape et de crocs T. 9 « Revers de fortune »
Jean-Luc Masbou (dessin) et Alain Ayroles (scénario)
Nous retrouvons nos héros en plein désespoir. La mort
de Don Lope, les avancées de l’armée de Mendoza,
le triomphe du prince Jean et bien d’autres malheurs
s’abattent sur nos complices à la fin du tome 8. Coup
final de cette saga théâtrale ?
Mais l’arrivée d’alliés inattendus et la force d’un
lapin vont transformer ce coup en premier des trois
d’un nouvel acte portant le doux nom d’espoir, avec
le tout nouveau tome 9.
De cape et de crocs est ce genre de saga qui d’une
trilogie se transforme en pentalogie, puis continue en
s’allongeant. Chemin faisant et succès retentissant,
l’histoire s’allonge avec un deuxième cycle pour le
meilleur et pour le pire, du point de vue du lecteur (et
de sa bourse de pièces d’or).
Enlisée durant les premiers tomes de ce deuxième
cycle dans un synopsis ressemblant de trop près
Interview de Jean-Luc Masbou, propos
recueillis en 2007
lapin existait aussi, mais il était joué par Alain, car
c’était un « personnage non joueur » (NDLR : un
personnage joué par le maître du jeu).
Par la suite, Alain est devenu le scénariste de
Garulfo, dessiné par Bruno Maïorana. De mon côté,
je proposais des projets, mais ils n’aboutissaient pas.
Alain ayant déjà un pied dans les éditions Delcourt
en tant que scénariste, je lui ai alors proposé d’écrire
un scénario en partant de l’univers de Contes et
Racontars, en prenant le loup, le renard et le lapin
comme personnages principaux. La première
mouture n’a pas donné grand-chose, et puis Alain a
ajouté le théâtre comme point de départ, avec Les
Fourberies de Scapin. J’ai dessiné trois pages, et puis
nous sommes montés voir Guy, que nous embêtions
régulièrement avec nos scénarios (sourire). On nous
a présenté le contrat un quart d’heure après.
J’étais enfin devenu un professionnel de la bande
dessinée, j’en rêvais depuis que j’avais 9 ans.
Comment est née l’idée de De cape et de crocs ?
Tout est parti d’un scénario de jeu de rôles. Comme
Alain Ayroles et moi y jouions beaucoup, nous avons
créé un univers, l’univers de De cape et de crocs,
qui s’appelait à l’époque Contes et Racontars. Alain
était le maître du jeu. Quand nous avions déterminé
nos personnages, j’avais décidé de prendre un loup
espagnol, redresseur de torts, inspiré de Hidalgo
Montoya, le bretteur du film The Princess Bride.
Sans savoir que j’allais jouer un loup, mon ami JeanYves Gobert avait décidé de jouer un renard irlandais,
également redresseur de torts.
Dans cet univers de fées et de pirates au XVIIe siècle,
nous pouvions jouer tout ce que nous voulions, un
humain ou un animal qui parle. Les caractères de
nos deux personnages étaient très complémentaires,
et nous les avons gardés dans la bande dessinée. Le
De cape et de crocs
28
devait faire que 3 tomes (rires).
En effet, au départ, il était prévu que les personnages
aillent sur la lune et puis en repartent, en 3 tomes.
C’était sans compter les pirates, le prince Jean, des
tas de personnages qui ont enrichi l’histoire.
Quel personnage du jeu de rôles n’a pas été adapté
en bandes dessinées ?
Aucun, car l’univers de Garulfo est aussi inspiré de
Contes et Racontars. Dans les deux premiers tomes
de Garulfo, qui faisaient une histoire complète, le
méchant nommé de Geulard de Guesberg était le
traître qui, dans le jeu de rôles, avait tué le père de
Don Lope (rires).
Dans une partie de jeu de rôles, il a eu un destin
tragique de méchant de cape et d’épée : il est mort
d’un coup d’estoc et est tombé de la plus haute tour
de son fief.
Sinon tous les personnages récurrents ont été créés
pour la BD. Les pirates, par exemple, devaient
uniquement apparaître sur quelques pages, puis
nous les avons trouvés rigolos et ils sont devenus
des compagnons inséparables (rire), une source
inépuisable de gags plus stupides les uns que les
autres, et une rallonge au scénario, qui à la base ne
Quel est ton film de cape et d’épée préféré ?
J’en ai beaucoup… J’aime The Princess Bride. Il a
été une source d’inspiration très précise au niveau
professionnel. J’ai aussi été forcement inspiré par
tous les films de cape et d’épée que j’ai vus quand
j’étais gamin. Il y a une anecdote assez amusante à
ce sujet.
Laquelle ?
Les films qui m’ont le plus inspiré étaient ceux avec
Jean Marais : Le Bossu, Le Miracle des loups et Les
Trois Mousquetaires (qui n’est pas avec Jean Marais,
mais avec Gérard Barray). Ces trois films ont un point
commun : le méchant est joué par Guy Delorme.
Au début de De cape et de crocs, un journaliste
m’avait interviewé, et je lui avais dit qu’avec Alain
nous allions utiliser le stéréotype du méchant pour le
capitaine Mendoza et prendre Guy Delorme comme
source d’inspiration, LE méchant des films de cape
et d’épée. Le nom de Guy Delorme avait été publié
et, il y a deux ans, j’ai reçu une lettre cachetée d’une
demoiselle. Elle me disait qu’elle avait lu l’interview,
que Guy Delorme était son père et qu’elle lui en avait
parlé. Il avait lu la BD, l’avait trouvé très chouette et
il était impressionné d’être de nouveau un méchant
d’une histoire de cape et d’épée, mais dans une BD
cette fois. J’aurais aimé le joindre, mais je n’avais
pas les coordonnées téléphoniques de Guy Delorme,
donc je ne savais pas comment faire. Quelque temps
plus tard, le téléphone sonne et une dame me dit : « Je
vous passe le capitaine Mendoza. » Cela m’a fait une
drôle d’impression de discuter avec un personnage
que j’avais vu en noir et blanc et en couleurs quand
j’étais gamin. Il a insisté pour que je le tutoie. C’était
une personne adorable. Je l’ai rencontré au festival
de Bercy, il y a un an et demi, au mois de septembre.
Il avait certes un peu vieilli, mais il avait toujours ce
sourcil en accent circonflexe, ces yeux bleus perçants
d’aigle et cette barbichette de traître. Puis, nous nous
sommes revus à chaque fois que je montais sur Paris.
Nous mangions, nous allions au théâtre ensemble.
Il était vraiment flatté qu’Alain et moi nous soyons
inspirés de lui pour le personnage de Mendoza.
Nous lui avions demandé de faire la préface du tome
7 et il a malheureusement disparu juste avant que
le tome 7 ne sorte. On y voyait sa photo et un petit
speech. Le tome 7 est sorti le 13 janvier et il était
décédé d’un cancer le lendemain de Noël. Cela nous
a donné un sacré coup, car c’était vraiment quelqu’un
qui était très agréable et qui nous racontait des
anecdotes hallucinantes sur les tournages des films
auxquels il avait participé.
C’était amusant d’avoir rencontré un vrai traître de
cape et d’épée, aussi sympathique dans la vie qu’il
était méchant et teigneux au cinéma.
Y a-t-il d’autres films, hors ceux de cape et d’épée,
qui t’aient inspiré visuellement ?
Oh oui ! Le Conan de John Milius m’a énormément
inspiré, aussi bien au niveau de la narration que du
visuel. Le premier Highlander aussi (les autres, on
n’en parle pas) (rires).
J’avoue qu’avant de travailler sur De cape et de crocs,
j’étais plus influencé par les films d’héroïc fantasy,
et aussi par des illustrateurs anglais comme Brian
Froud. Maintenant j’adore aussi les films de pirates
(rires).
Serais-tu tenté par l’adaptation de De cape et de
crocs en film d’animation ou en série animée ?
Pour une telle adaptation, il faudrait mettre beaucoup
d’argent. Mais je crois qu’Alain et moi aurions
trop peur d’être trahis. Le cinéma a rarement les
29
De cape et de crocs
mêmes aspirations que les auteurs originaux. Si nous
donnions notre accord pour une adaptation, nous
devrions être les chefs artistiques. Ne parlons même
pas d’une adaptation télévisuelle en dessin animé, ce
serait une horreur, car cela demanderait encore plus
d’argent.
Pour moi, le film n’est pas l’aboutissement de la
bande dessinée. Les films d’Astérix ne sont pas
mieux que les bandes dessinées par exemple.
Ce qui était le plus amusant, c’était d’entendre réagir
les spectateurs. Comme Astérix, notre BD a deux
niveaux de lecture. Pour les gags plus visuels, nous
entendions des rires d’enfants, et quand les gags
étaient plus référentiels, c’étaient des rires d’adultes.
Je rêve de voir quelqu’un ouvrir De cape et de crocs
à côté de moi, sans savoir que je suis un des auteurs,
et rigoler.
Quel fond sonore conseillerais-tu à tes lecteurs
pour accompagner leur lecture de De cape et de
crocs ?
Et en pièce de théâtre ?
Là, c’est autre chose… Une compagnie bretonne, la
« Compagnie des Masques », a réussi à retranscrire
les deux premiers tomes sur scène. Ils se sont
superbement débrouillés.
Ils ont recréé un bateau en coupe, qu’ils plaçaient
de face ou de profil selon les scènes. Il y avait une
quinzaine d’acteurs, qui se déguisaient en différents
personnages. Ils ont joué trois heures et ce fut du pur
bonheur.
De la musique de film, forcément. L’Île aux pirates
(Cutthroat Island), certains passages de Highlander et
de Pirates des caraïbes… Je connais quelqu’un qui a
fait un mémoire sur De cape et de crocs. Il s’était fait
une cassette à appliquer sur certaines scènes. Mais on
n’est pas forcé d’avoir un fond sonore…
De cape et de crocs avait-il une structure prédéfinie ?
faut les développer visuellement, ce qui parfois amène à
rallonger des scènes. Les albums ne se finissent jamais
comme on le prévoit. C’est comme cela que de trois
albums, nous sommes passés à sept, huit, puis neuf
albums.
Alain est un perfectionniste et il me montre toujours
son découpage technique, représenté sur une page très
détaillée. Il dessine vite et bien, et parfois je suis obligé de
le freiner. Pour le début du tome 7, le cabinet de curiosités
de Battologio, il avait tout dessiné, des papillons punaisés
dans les vitrines aux squelettes accrochés au plafond, en
passant par les reflets sur le parquet. C’était hallucinant !
(rires)
Une fois que j’ai reçu ses pages, je les critique. Je lui ai
fait refaire un nombre incalculable de pages. Alain et moi
avons eu le même cursus, aucun de nous deux n’était
plus scénariste ou dessinateur que l’autre. S’il s’est mis
à davantage scénariser et moi à dessiner, c’est plus par
la force des choses. D’ailleurs, le travail du scénario m’a
manqué et je m’y suis un peu remis sur deux autres séries.
Mais je détaille moins mes découpages que lui…
Oui, mais ouverte. Contrairement à Garulfo, qui
avait besoin d’une structure de contes de fées, d’un
développement précis pour arriver à une morale, De cape
et de crocs, c’était l’Aventure. Bien sûr, nous avons une
trame, dans laquelle les méchants doivent payer à la fin…
Mais quand on envoie des personnages voyager sur la
lune, on se dit que ce serait dommage de leur faire faire
juste quelques kilomètres et puis revenir (rires).
Alain a toujours des idées plus hallucinantes les unes
que les autres. Par exemple, quand les héros vont de la
face visible à la face cachée de la lune, ils découvrent un
monde extraordinaire avec des tempêtes magnétiques.
Cette fois-là, il m’avait appelé, pour me dire : « des
tempêtes magnétiques, tu crois que tu es capable de les
mettre en couleurs ? » J’avais accepté avec enthousiasme,
bien sûr (rires).
Par contre, quand il me donne des descriptions de villes
ou de citadelles incroyables, je le maudis (rires).
Tout ceci, ce sont des défis, et je pense que si Alain n’était
pas là pour faire des découpages tarabiscotés, je me
laisserais aller à la facilité.
Une fois que le découpage est accepté, comment
travailles-tu ?
Te donne-t-il l’intégralité du scénario d’un album d’un
seul coup ou au fur et à mesure ?
De la page (format A4), je passe aux crayonnés légers.
Je place le texte, et ensuite, je repasse aux crayons gras
pour que le dessin soit beaucoup plus précis. (Il montre
la planche sur laquelle il travaille.) Sur cette page, cela
se passe de nuit avec un éclairage magique provenant de
cristaux. Je vais devoir travailler la couleur en épaisseur,
donc travailler le trait de façon assez poussée. Après cela,
j’encre. Travaillant à l’acrylique, celle-ci recouvre tout,
donc si j’encrais avant la couleur, mon noir serait marron
ou bleu, mais pas noir.
Dans une collaboration à deux, c’est nécessaire que chacun
partage la vision de l’autre. Quand j’ai fait une page, je la
soumets à Alain. Il la critique, et m’indique tout ce qui ne
Il fait les deux. Il me téléphone une première fois pour me
lire l’intégralité du scénario du tome en cours. Ça prend
deux heures, il vaut mieux avoir une oreille souple (rires).
Je lui dis ce qui ne va pas, il recommence et me le relit
après l’avoir retravaillé. Il peut recommencer comme ça
trois ou quatre fois de suite.
Quand il est à peu près sûr, il débute le découpage
technique. Travailler pendant un ou deux mois sur un
scénario, cela donne le déroulement de l’album avec le
début, les évènements et la fin. Mais quand on commence
le découpage technique, des idées de gags arrivent, et il
De cape et de crocs
30
Que penses-tu de la colorisation par ordinateur ?
va pas, par exemple pour le regard des personnages ou
leurs expressions.
Par contre, s’il y a une chose sur laquelle je ne lui fais
aucune critique, ce sont les dialogues, qui sont toujours
géniaux. De la même manière, il me laisse toujours
tranquille pour les couleurs, même s’il est souvent surpris
(rires). Surtout quand j’utilise des verts assez forts, qu’il
qualifie de « radioactifs » (rires).
Je n’ai rien contre la mise en couleur par ordinateur, parce
que pour être un bon coloriste sur ordinateur, il faut l’être
dans sa tête. Donc, quel que soit l’outil, il faut être un bon
ouvrier.
Le seul problème pour moi, c’est pour le rendu de certaines
couleurs. En ce moment, je suis en train de travailler avec
un dessinateur sur une BD qui s’appelle Empire céleste.
C’est une bande dessinée de kung-fu qui se passe en Chine
au moyen-âge – j’étais un grand fan des films de kung-fu
quand j’étais enfant. Il me fallait un dessinateur qui colle
au propos et un coloriste qui trouve une gamme colorée
spéciale pour certaines cases où je qualifierais l’ambiance
de « zen ». Pour les scènes de combat, je veux des couleurs
normales, mais pour les scènes qui se passent dans le
temple shaolin, je désire des couleurs plus aquarellées.
Et c’est là le problème : le coloriste doit être bigrement
talentueux pour réussir à reproduire informatiquement ce
que fait l’aquarelle. Je sais que dans les prochains mois, je
vais embêter le coloriste pour atteindre les couleurs que je
désire (rires).
Y a-t-il des personnages que tu préfères dessiner en
général ?
Eusèbe, le lapin. Il est super rigolo à dessiner. En fait,
ça dépend surtout de l’attitude, plus que du personnage
lui-même. Mais de façon générale, c’est lors de la mise
en couleur que je prends le plus de plaisir. La phase
ennuyeuse est l’encrage (rires).
Dans De cape et de crocs, j’aime que certaines scènes
soient plongées dans une ambiance colorée particulière.
Je travaille beaucoup les couleurs pour cela. Dans une
scène du tome 7, quand les héros arrivent au « terminateur
», j’ai fait une mer verte et un ciel jaune. Quand il a vu la
planche, Alain a pensé à Dunkerque. Moi, je pense à la
Manche. C’est agréable d’arriver à passer des sensations
comme le chaud ou le froid dans une case.
La colorisation par ordinateur coûte moins cher que
la colorisation traditionnelle, car il n’y a pas de bleu à
produire.
Pour Empire céleste, mon éditeur a rechigné à faire de
la mise en couleur conventionnelle, parce que ça coûte
plus cher et que c’est moins pratique. Avec des planches
Combien de temps passes-tu sur une planche ?
Pour le crayonné, je passe entre deux et trois jours,
suivant la complexité du dessin. Ensuite, une journée pour
l’encrage et entre trois et six jours pour la couleur.
colorisées à l’ordinateur, il suffit de se passer les planches
par mail ou par cd, alors que sinon, le dessinateur envoie
les pages en noir et blanc, pour qu’elles soient imprimées
sur bleu, et il faut les lui renvoyer pour qu’il les mette en
couleurs. Enfin, il faut refaire des tirages d’imprimerie…
L’ordinateur permet de coloriser dans des délais corrects.
Je travaille également en tant que scénariste sur L’Ombre
de l’échafaud, et je n’ai rien à redire à sa mise en couleur par
ordinateur. L’histoire se passe en 1907, c’est un policier.
Dès que l’on a trouvé la bonne gamme de couleurs et les
bonnes lumières, c’est bon. Par contre, je ne pourrais pas
faire les couleurs de De cape et de crocs sur ordinateur.
Elles ont besoin d’être réalisées manuellement… La
plupart des lecteurs reconnaissent la différence. Les gens
aiment mes couleurs, car il y a une sorte d’équation entre
le contexte de l’histoire et la façon dont elle est mise en
couleur. Il y a un côté artisanal. Moi, j’éprouve beaucoup
de plaisir de pouvoir créer des ambiances à l’aide de mes
mains et des pinceaux sur du papier.
Quel a été le plus grand défi de ta carrière ?
Par défi, on pense toujours à une performance à court
terme. Mais la BD, c’est du travail d’endurance. Le plus
gros défi, c’est de ne jamais se décourager et de se dire «
ça fait dix ans que je travaille sur cette série et il ne faut
surtout pas que je relâche l’attention, car il y a des gens
qui attendent la suite ». Quand je regarde les livres de
certains illustrateurs, qui étaient talentueux mais qui n’ont
finalement pas fait beaucoup de dessins dans leur vie, je
me dis que je ne veux pas que moi, quand je serai mort,
les gens regardent mon travail en disant : « Il n’a fait que
ça ? »
Si tu étais un personnage de BD, lequel serait-ce ?
Je pense que je serais Gaston Lagaffe. C’est un personnage
que j’ai découvert tôt et je me suis mis à collectionner les
cactus à cause de lui. Quand je travaillais dans le dessin
animé, nous étions tous des Gaston Lagaffe en puissance.
Il y avait dix Gaston Lagaffe et un Prunelle pour sauver
tout ça ! (rires) Quand je bossais chez I.D.D.H., nous
avons fait des trucs incroyables : des batailles de boulettes
de papier, des poursuites de voitures télécommandées, on
se faisait des armures de chevalier… (rires).
Quoique… Gaston Lagaffe n’est pas très productif, ou
alors il ne fait que des trucs totalement farfelus. Enfin…
Tiburce me dit parfois que je suis le roi de l’inutile et que
j’excelle dans ce domaine (rires).
Est-ce que tu prêtes beaucoup d’attention aux critiques de
tes lecteurs, en festival ou sur internet ?
Il y a critiques et critiques. Certains émettent des
suppositions sur des personnages, qu’il serait tentant de
reprendre (rires), mais non.
Alain est très sensible à cela et regarde tout le temps ce
qui est dit de ses scénarios. Évidemment, il ne retient que
les mauvaises critiques, en pensant qu’elles représentent
les pensées de la majorité du lectorat.
Personnellement, je ne tiens pas trop compte des critiques.
Merci et à bientôt !
31
De cape et de crocs
Publier son livre
S’il n’est pas facile d’écrire un livre, il est encore plus difficile de le faire publier, sans parler de vivre de sa
plume.
Au commencement, il y a l’auteur, le créateur de l’œuvre.
Il peut faire enregistrer son œuvre auprès d’une société d’auteurs pour la protéger du plagiat, mais cette
protection est automatique à partir du moment où l’œuvre est publiée.
C’est l’exploitation de l’œuvre par un éditeur qui permet à l’auteur de toucher ce que l’on appelle communément
« les droits d’auteur ».
L’éditeur est celui qui, après l’avoir sélectionné, va rendre le livre accessible au public en assurant différentes
fonctions (réalisées à l’interne ou par d’autres professionnels) :
- la correction du texte, voire son remaniement en concertation avec l’auteur,
- la mise en pages du texte et la réalisation de la maquette,
- la réalisation de la couverture (maquettiste, illustrateur, photographe, graphiste…),
- le suivi de la fabrication du livre auprès de l’imprimeur,
- l’accomplissement des formalités de publication : attribution d’un numéro d’ISBN, dépôt légal auprès de la
Bibliothèque nationale,
- la commercialisation du livre auprès des différents points de vente,
- la communication, notamment à la presse (publicité et envoi d’exemplaires pour obtenir des critiques).
L’éditeur accomplit en outre des formalités auprès de l’Agessa pour les auteurs, et de la Maison des Artistes
pour les illustrateurs.
Nous parlons ici de l’éditeur « classique », c’est-à-dire de celui qui pratique l’édition à compte d’éditeur en
proposant à ses auteurs de vrais contrats d’édition. Car nous allons le voir, on rencontre également d’autres «
services d’édition » qui peuvent prêter à confusion.
Il y a trois façons d’éditer un livre (deux en fait) :
- L’édition à compte d’éditeur : C’est celle dont nous venons de détailler les fonctions. C’est la plus classique
mais aussi la plus difficile à obtenir, car le texte fait l’objet d’une vraie sélection et d’un vrai travail éditorial.
C’est l’éditeur qui investit dans la mise au point, la fabrication et la commercialisation de l’ouvrage en prenant
un risque financier ; non seulement l’auteur ne paye rien, mais il touche un pourcentage des ventes de l’ouvrage
– droits d’auteur – dont il peut éventuellement percevoir une avance (à-valoir). Il reçoit en outre quelques
exemplaires pour lui-même et ses proches. Bien entendu, l’éditeur bénéficie en contrepartie de prérogatives
quant à certains choix (titre, couverture, présentation, format, tirage, prix…) car il est directement intéressé à
la réussite (ou à l’échec) commerciale du livre.
- L’autoédition : Là, c’est l’auteur qui devient éditeur, prend le risque financier et doit s’occuper de toutes les
taches qui incombent à l’éditeur. C’est un travail de longue haleine qui ne rapporte pas toujours ses fruits. Le
public et les vendeurs n’ont pas une grande confiance dans ses livres car tout le monde peut publier n’importe
quoi sans réel garde fou ni vrai travail de relecture. Nous avons néanmoins découvert de véritables chefsd’œuvre ainsi publiés, que nous avons chroniqués dans le journal.
- L’édition à compte d’auteur : Alors là, il faut faire très attention. Appelées à tort « maisons d’édition », ce
sont des entreprises « d’aide à la publication ». Elles s’occupent de tout ou d’une partie des tâches dévolues
à l’éditeur en échange d’une rémunération (parfois excessive) et le service proposé n’est pas forcément à la
hauteur. Certaines permettent de donner au livre une certaine visibilité grâce à leur grand catalogue, mais elles
sont peu diffusées auprès des libraires. Bref, il s’agit d’un achat de prestations de service sans réel service
d’édition.
Nous reviendrons plus en détail sur les dérives du compte d’auteur et les arnaques à éviter dans un prochain
article.
Publier son livre
32
Dans la pratique, autoédition et compte d’auteur reviennent souvent au même car dans les deux cas, c’est
bien l’auteur qui investit pour éditer son livre, sans autre regard critique que le sien. Les entreprises d’aide
à la publication permettent juste de décharger l’auteur « auto-édité » d’un certain nombre de taches qu’il ne
maîtrise pas forcément (correction, maquette, relations avec l’imprimeur, référencement…).
Citons également d’autres intervenants de « la chaîne du livre » :
- L’imprimeur qui fabrique matériellement le livre.
- Le diffuseur qui assure la commercialisation du livre auprès du détaillant.
- Le distributeur qui assure la logistique et l’acheminement aux différents points de vente.
Ces trois entités travaillent pour plusieurs éditeurs afin d’être rentables.
- Le détaillant qui vend le produit au client (libraire ou site de vente par Internet).
- Et l’État qui prélève la TVA (5,5 %).
Voici un schéma qui indique la part de chacun dans le prix d’un livre.
La loi Lang impose le prix unique du livre : que vous achetiez votre livre chez votre libraire de quartier ou à
la FNAC, la différence de prix ne pourra pas dépasser 5 %.
Je terminerais par une remarque : le livre est un objet de culture et de plaisir qui nous fait rêver et ne doit pas
être vendu comme des carottes par des auteurs qui ne voient que leur chiffre de vente et n’hésitent pas à mentir
à leur lectorat potentiel ou à dénigrer les autres auteurs.
33
Publier son livre
Page de l’association
Programme des dédicaces
23 et 24 janvier 2010
Festival Zonta ‘Book à Fleury les Aubrais près d’Orléans
En dédicace : Mestr Tom et Olivier Bidchiren
6 Février 2010
2010
Nogent-sur-Oise
En dédicace : SoFee L. Grey, Lil Esuria, Mestr Tom et Mael Duplissy
Jan
13 et 14 février 2010
Fév Mars Avr
Zone Franche à Bagneux avec un invité-surprise
En dédicace : Mestr Tom David Gibert, Mael Duplissy
et hoshikaze 2250
20 et 21 février 2010
Sci fi convention à Montreuil
En dédicace : Mestr Tom et hoshikaze 2250
27 février 2010
Ribérac
En dédicace : Mestr Tom (en pré festival Mestr Tom sera interviewé le 25 février à midi)
Page de l’asso
34