La robotique médicale - Hôpital Saint Joseph

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La robotique médicale - Hôpital Saint Joseph
Publié le 14 mars 2013
Santé
La robotique médicale
Aujourd’hui utile, demain indispensable
Depuis quelques années, les robots médicaux commencent à
équiper certains hôpitaux et cliniques français. Confort peropératoire accru, meilleure vue du champ opératoire, plus grande
précision… Ces machines sont aujourd’hui capables de rendre
d’importants services au corps médical, mais aussi d’assurer une
meilleure prise en charge des patients. Sans oublier qu’elles
présentent un enjeu stratégique de taille pour les établissements,
en particulier en termes d’image. Reste un obstacle majeur : leur
coût, extrêmement élevé, et qui prive bon nombre de petits
établissements de cette technologie nouvelle, tout en suscitant des
débats au sein même du corps médical. Et ce d’autant plus que
s’ils s’avèrent un complément utile au travail des chirurgiens, ces robots ne sont pas encore un outil indispensable.
Où sommes-nous ? Dans un film de science-fiction particulièrement inventif ? Dans une salle d’arcade et de jeux vidéo
telles qu’elles fleurissaient dans les villes il y a une encore une vingtaine d’années ? Allongé sur une table d’opération,
le patient, endormi et le ventre gonflé, est immobile. Au-dessus de lui, ce n’est pas un chirurgien équipé d’un bistouri qui
s’active, mais un robot doté de plusieurs bras et instruments. Assis derrière une console, le chirurgien, lui, dirige la
manœuvre, suivant sur son écran les images que lui renvoie le robot, opérant à quelques mètres du malade. Cette
scène n’a, aujourd’hui, plus rien de surréaliste. Elle devient même de plus en plus commune : en un peu plus de vingt
ans, la robotique médicale a effectué un véritable bond en avant technologique. Elle commence peu à peu à s’imposer
dans les esprits des cliniciens et à faire sa place dans les établissements hospitaliers français.
Flash-back : c’est vers la fin des années 1980 que les choses sérieuses ont véritablement débuté. À cette époque, les
premiers robots médicaux sont testés sur des patients aux États-Unis, en neurochirurgie. Dès lors, modèles et usages
se diversifient. Médias et grand public commencent à s’intéresser à ces avancées technologiques. Les premières firmes
apparaissent, donnant par exemple naissance au Robodoc, développé par l’un des centres de recherche d’IBM, et
utilisé pour des opérations de la hanche, avant de rencontrer certaines difficultés freinant son développement.
Au milieu des années 90, la société Computer Motion connaît un succès commercial et clinique. D’abord avec le modèle
Aesop, permettant dans le cadre de la chirurgie mini-invasive de déplacer l’endoscope à la demande de l’opérateur
humain, sur commande vocale. Plusieurs centaines d’exemplaires sont installées dans le monde. Puis avec le Zeus qui
permet, en plus de déplacer l’endoscope, de manipuler des instruments chirurgicaux. Un règne de courte durée : le Da
Vinci, conçu par la société Intuitive, comble une partie des lacunes du Zeus. En 2003, après un conflit de propriété
intellectuelle, Computer Motion et Intuitive fusionnent, sous le nom d’Intuitive Surgical. Le Zeus est abandonné, ouvrant
un boulevard à la domination du Da Vinci.
Robotisation, acte I
Selon Bertin Nahum, président et fondateur de la société MedTech, il existe aujourd’hui deux grandes catégories de
robots médicaux. Ceux fonctionnant dans une logique de chirurgie guidée par l’image, aidant le praticien à réaliser une
opération planifiée, à travers un positionnement précis et calculé des instruments (par exemple, le dispositif Rosa créé
par MedTech). Et, de l’autre côté, des appareils apportant au chirurgien un regain de dextérité dans un environnement
encombré. C’est le cas du Da Vinci, dont le nom revient systématiquement lorsque la question de la robotique médicale
est abordée, et qui s’avère aujourd’hui le plus répandu.
Depuis quelques années, les établissements hospitaliers français commencent à s’en équiper, et dynamisent peu à peu
un marché qui n’en est qu’à ses débuts. Actuellement, 66 robots Da Vinci sont installés dans les hôpitaux et cliniques
hexagonaux, dont 15 en région parisienne. Ce chiffre peut à première vue sembler faible. Mais la situation dans les
autres pays européens apparaît relativement similaire. “Nous avons rattrapé notre retard par rapport à nos voisins,
analyse Jocelyne Troccaz, directrice de recherche au CNRS et responsable de l’équipe GMCAO (Gestes médicochirurgicaux assistés par ordinateur). En 2006, nous ne disposions que d’une dizaine de ces robots alors que l’Italie en
possédait une trentaine.” Aujourd’hui, les deux pays sont quasiment à égalité. En taux d’équipement en robots Da Vinci,
la France se situe aujourd’hui, avec l’Italie et l’Allemagne, parmi les pays leaders en Europe, assez loin devant le
Royaume-Uni, la Belgique et l’Espagne.
La robotique s’ancre peu à peu dans les pratiques de soin. L’hôpital Saint-Joseph de Marseille a ainsi fait le pari de la
robotique médicale et dispose désormais de deux appareils : un robot de la marque St. Jude utilisé depuis quatre ans
en rythmologie, et un Da Vinci de dernière génération, acquis l’an passé et utilisé en chirurgie urologique, gynécologique
et, depuis peu, digestive. Mais le robot de la firme Intuitive Surgical n’est pas le seul à commencer à recueillir les faveurs
des établissements.
D’autres, dans des spécialités différentes, sont également utilisés depuis quelques années. C’est le cas, par exemple du
Cyberknife, utilisé en radiothérapie pour détruire des tumeurs de manière non-invasive. Accuray, la société qui en
assure la distribution, dénombre sur son site Internet environ 250 systèmes installés dans le monde. Enfin, dernier
exemple, le dispositif Rosa, conçu par la société montpelliéraine MedTech, et proposant, en chirurgie crânienne, un
système de guidage par l’image pour une plus grande précision lors d’une opération planifiée. En trois ans de
commercialisation, MedTech a vendu 14 machines, dont la moitié en France, le reste se répartissant entre l’Amérique
du Nord, la Chine et l’Europe.
Patients et praticiens, tous gagnants
Mais quels avantages ces nouvelles technologies présentent-elles pour les chirurgiens ? Quels services permettentelles de rendre au corps médical ? Et au patient ? Les réponses, bien entendu, varient selon les spécialités et les
modèles. Dans le cas du Da Vinci et pour, par exemple, une opération de prostatectomie, le robot offrira une meilleure
qualité de dissection et d’intervention. “Il faut avant tout bien spécifier que c’est le chirurgien qui opère, et pas le robot,
précise le docteur Olivier Dumonceau, chirurgien à la clinique Turin et à l’hôpital Saint-Joseph. Il s’agit de télé-chirurgie :
le praticien va, à distance et à partir d’une console, manipuler les instruments qui sont tenus par le robot, disposé sur le
patient.”
Le matériel permet en outre une vision en 3D de “l’intérieur” du patient, donc une plus grande finesse et précision lors de
l’opération. Dès lors, selon les partisans de ces nouvelles technologies, les bénéfices sont multiples : plus grand confort
de travail (les chirurgiens ne sont plus debout dans des positions inconfortables mais assis derrière une console) donc
moins de fatigue, meilleure vue du champ opératoire (multipliée par 40 et en 3D), meilleure dextérité et souplesse
(l’évolution des techniques chirurgicales avait rendu difficile le travail manuel avec certains instruments flexibles),
possibilité de filtrer les tremblements, meilleure précision… “Niveau ergonomie, c’est le jour et la nuit !” résume Florent
Rovello, directeur général adjoint de l’hôpital Saint-Joseph de Marseille et chef de projet “robotique” à la direction
générale.
Mais selon les praticiens, c’est surtout le patient qui est le principal bénéficiaire de l’utilisation du robot, d’autant plus
dans le cas d’une intervention fine et délicate comme la prostatectomie, dont les enjeux sont nombreux : guérir le
malade du cancer, qu’il ne devienne pas incontinent, qu’il ait encore des érections, et donc que les nerfs collés à la
prostate n’aient pas été endommagés… Florent Rovello estime ainsi que l’usage du Da Vinci et la chirurgie miniinvasive qu’il permet entraînent cinq avantages médicaux majeurs pour le patient : diminution des douleurs postopératoires, diminution des risques infectieux, diminution des risques de saignement, une convalescence plus rapide et
un net avantage dans la préservation des pouvoirs érectiles, le robot permettant des interventions plus fines et précises.
Concernant un autre robot comme le dispositif Rosa, utilisé pour de la chirurgie crânienne, le fonctionnement entraînera
pour le corps médical et donc le patient, et en fonction du type d’opération, “un gain de précision, de temps ou un regain
de sécurisation du geste opératoire”, selon Bertin Nahum. Rosa va en effet calculer l’axe d’intervention et positionner
l’aiguille, à partir d’une image pré-opératoire comme un scanner ou une IRM transmise au robot, et à une stratégie
établie pas l’équipe soignante.
Vers l’hôpital du XXIe siècle
Reste que patients et chirurgiens ne sont pas les seuls pour qui la robotique représente une avancée majeure. Pour les
hôpitaux, l’enjeu n’est pas simplement médical. “Pour l’hôpital Saint-Joseph, le projet robotique est avant tout un projet
stratégique, explique Florent Rovello. Il est même plus stratégique que médical.” Quels sont, pour l’établissement
marseillais, et donc pour les autres hôpitaux et cliniques ayant fait le choix de la robotique médicale, les enjeux ? D’une
part, franchir un cap technologique et prendre de l’avance sur la concurrence. Presque un pari sur l’avenir. “Nous
voyons l’évolution, aux États-Unis ou à Paris, où de plus en plus d’interventions en prostatectomie sont accomplies avec
un robot Da Vinci, poursuit le directeur général adjoint de l’hôpital Saint-Joseph. Cette acquisition nous permettait donc
de franchir un virage technologique, de passer du XXe au XXIe siècle, d’essayer d’aller à la conquête de nouvelles parts
de marché sur le secteur de la chirurgie viscérale, dans un contexte marseillais très concurrentiel, où les autres
établissements ne sont pas encore équipés.”
Un moyen aussi de fidéliser les chirurgiens spécialisés en urologie ou en gynécologie en faisant évoluer positivement
leurs conditions de travail, et d’attirer de jeunes chirurgiens souvent friands de nouvelles technologies et à l’aise avec
celles-ci. Enfin, toujours sur un plan stratégique, il s’agit également de conforter l’image de marque d’un hôpital. Acquérir
un robot Da Vinci et communiquer autour de cette acquisition donne une image moderne, celle d’un hôpital porté sur
l’innovation. Des considérations loin de tout cynisme, et reconnues par l’ensemble des spécialistes du secteur qui ont
bien conscience que le robot porte une dimension marketing non négligeable, voire extrêmement importante pour une
clinique ou un hôpital. “C’est important en terme d’image car cela donne confiance aux patients, précise Jocelyne
Troccaz. Cela a permis à certains hôpitaux de voir le nombre de leurs patients augmenter. Sans oublier que c’est
important pour la formation des jeunes chirurgiens, qui peuvent se familiariser avec ces nouvelles techniques miniinvasives et pratiquer davantage d’opérations.”
Les patients sont d’ailleurs souvent demandeurs de ce type de nouvelles pratiques chirurgicales, dont ils ont souvent
entendu parler sur Internet ou par bouche-à-oreille. Compte tenu du coût aujourd’hui encore extrêmement important de
ces machines pour un établissement, ces retombées directes ou indirectes en terme d’image et d’augmentation du
nombre de patients constituent autant de points importants.
Le coût de l’excellence
Plus qu’un éventuel problème de maturité de ces nouvelles technologies, c’est leur coût qui constitue le frein majeur à
l’expansion et à la démocratisation de la robotique médicale. Une machine comme le Da Vinci est aujourd’hui
absolument mature techniquement. Son fonctionnement est au point, la maintenance permet le bon déroulement des
opérations, la formation suivie des chirurgiens permet d’éviter les risques particuliers et la société Intuitive Surgical
dégage d’importants bénéfices. Son parcours est une réussite. Même chose avec le Rosa ou le Cyberknife, dont les
technologies sont au point et permettent de rendre des services importants au corps médical comme aux patients. Les
prix, en revanche, peuvent faire reculer même les plus volontaristes et ouverts à l’innovation.
Un Da Vinci, à l’achat, coûte environ 2 millions d’euros. Et ce n’est pas tout. “À cette somme, il faut ajouter 10 % de
maintenance par an, soit 200 000 euros supplémentaires, détaille le professeur Philippe Poignet, responsable du
département robotique du LIRMM, le Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier.
Sans oublier que chaque opération entraîne un coût, en consommables, de plusieurs milliers d’euros.” Un
investissement conséquent pour les hôpitaux, qui exclut automatiquement les plus petites structures, et ce d’autant plus
que l’assurance-maladie ne prend pas en compte le surcoût qu’il représente. “Aujourd’hui le seul problème, c’est
l’aspect financier, résume Olivier Dumonceau. Qu’il s’agisse d’un hôpital ou d’une clinique, à chaque fois on perd de
l’argent, ce n’est pas rentable. Le robot ne pourra donc être acheté que pour des équipes qui l’utiliseront beaucoup et
régulièrement.” L’hôpital Saint-Joseph de Marseille a ainsi dû trouver des mécènes, et demander à ses chirurgiens
libéraux de contribuer en reversant une partie de leurs honoraires et dépassements d’honoraires.
Ce qui permet d’atténuer le surcoût, mais n’empêche pas un déficit financier. Les hôpitaux et cliniques intéressés
doivent rester conscients qu’il n’y aura pas de retour sur investissement rapide, comme le précise Florent Rovello : “Tout
établissement qui achète un robot le sait : ça ne sera pas rentable. Le surcoût sera indéniable, mais il faut le comparer à
l’intérêt stratégique et médical.” Le prix important de ces appareils s’explique par deux facteurs principaux : d’une part, le
coût important des technologies et des composants utilisés pour les fabriquer, les frais de recherche à amortir, le
contexte médical et ses contraintes réglementaires de taille… Dès lors, une réduction des coûts, comme le reconnaît
Bertin Nahum – dont le dispositif Rosa se vend, selon les options, entre 400 000 et 500 000 euros – est donc
difficilement envisageable. Et, d’autre part, le faible nombre d’acteurs sur le marché, et donc l’absence de concurrence
en termes de prix. Le Da Vinci et Intuitive Surgical n’ont, ainsi, pas d’adversaire direct. Mais d’autres freins ralentissent
aujourd’hui l’expansion de la robotique dans les établissements.
Notamment au niveau du corps médical – un point d’importance, car pour qu’un projet robotique soit un succès, il est
nécessaire qu’un consensus se fasse au sein des équipes d’un hôpital. Si les chirurgiens d’une quarantaine d’années
sont dans l’ensemble extrêmement intéressés par ces nouvelles technologies et ont conscience qu’il s’agit d’une
évolution majeure de leur métier, d’autres, plus âgés, peuvent faire preuve de plus de conservatisme. “Un chirurgien
habitué depuis trente ans à travailler efficacement d’une certaine manière, et qui se trouve à un ou deux ans de la
retraite, ne verra pas l’intérêt de se lancer dans la robotique”, note Olivier Dumonceau. Une attitude compréhensible,
d’autant plus que compte tenu du prix des robots, beaucoup de praticiens n’ont tout simplement pas eu l’occasion de les
voir fonctionner. Aujourd’hui la majorité des équipes urologiques ne sont par exemple pas équipées. Par
méconnaissance du fonctionnement, certains avancent également l’argument de l’utilité, ou plutôt de l’inutilité, d’un tel
dispositif. Peu d’études internationales en effet ont réellement démontré les effets fastes du robot, et les avantages
notés émanent surtout des praticiens habitués à s’en servir.
À cela s’ajoutent d’autres débats, au sein même du corps médical, quant aux risques liés à la robotique. Le principal ?
La crainte, compte tenu du surcoût qu’entraîne l’utilisation de la robotique, de voir se mettre en place une médecine à
deux vitesses, dans laquelle seuls les patients les plus riches pourraient en bénéficier. “Il ne faudrait pas avoir un mode
de fonctionnement qui reviendrait à demander au patient un ‘forfait technique’ pour amortir le surcoût, précise Olivier
Dumonceau. C’est à proscrire, et ce n’est d’ailleurs pas notre fonctionnement actuel.”
Mais au final ces nouveaux équipements sont-ils indispensables ? Ou restent-ils encore de simples compléments dont
les collectivités peuvent se passer ? La notion même d’“indispensable” reste sujette à questionnements. “Il n’y a rien
d’indispensable, explique Bertin Nahum. Un scanner ne l’est pas, une IRM non plus ; on arrivait à opérer, avant, sans
ça. Mais ces technologies apportent une valeur ajoutée à la chirurgie, et personne ne remet en cause leur utilité et leur
apport. La robotique médicale et, plus généralement, les systèmes d’assistance, sont aujourd’hui une tendance forte et
inéluctable.” L’avis est partagé par Florent Rovello et les autres professionnels du secteur.
“Indispensable ? Si c’est la raison qui parle, je dis non, répond le directeur général adjoint de l’hôpital marseillais. On est
plutôt sur une technique supplémentaire, qui apporte un plus au patient et à l’établissement, et un pari sur l’avenir.” Car
le prix du robot reste extrêmement élevé, et le taux d’équipement des hôpitaux faible : “Pour installer un Da Vinci, il faut
de la chirurgie de haut vol, ou être très spécialisé. C’est aujourd’hui plus réservé aux gros CHU ou aux cliniques privées,
mais pas nécessairement indispensable pour les petits établissements.” D’autant plus que les bons chirurgiens
parviennent à opérer de manière tout à fait satisfaisante sans. Mais les caractéristiques de ces robots s’inscrivent
pleinement dans les tendances actuelles (patients de plus en plus nombreux et exigeants, besoin d’une sécurisation
supplémentaire du geste…), auxquelles ils permettent d’apporter une part de réponse. Pour les chirurgiens en tout cas,
la robotique ne représente pas seulement l’avenir, mais bien le présent, notamment pour les plus jeunes. Olivier
Dumonceau : “Un praticien de 60 ans peut s’en passer. Mais les plus jeunes ne peuvent pas s’abstenir. J’ai vite compris
que si je ne me mettais pas à la robotique médicale, je ne pourrais plus, à terme, opérer, en tout cas en prostatectomie.”
Par Julien Fournier

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