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La chute d’Iga
Un affrontement asymétrique dans le Japon médiéval
Episode secondaire dans l’expansion du clan Oda à la fin du 16e siècle, la prise de la province d’Iga offre une
opportunité d’entrapercevoir, à son apogée, les spécificités de l’art de la guerre au Japon. Cet exemple
d’affrontement asymétrique met également en lumière les limites de l’opposition traditionnelle entre approches
directe et indirecte.
La province d’Iga ne fût jamais un objectif majeur lors du Sengoku Jidai. Montagneuse et isolée, elle ne recelait aucune
ressource particulière et ne présentait pas d’intérêt économique majeur. Elle était gouvernée depuis au moins la première
moitié du 16e siècle par une assemblée de notables indépendante des clans voisins. Durant le Sengoku Jidai, ses guerriers
avaient acquis une réputation certaine dans les actions d’espionnage et de sabotage et monnayaient leurs services auprès
des clans de l’archipel.
Iga resta dans l’œil du cyclone jusqu’au moment où elle fût sur la route du clan Oda et de son seigneur, Oda Nobunaga, le
premier grand unificateur du Japon. Les habitants d’Iga ne représentaient qu’une poignée de combattants de circonstance
encadrés par des hommes expérimentés. Par une supériorité dans le domaine du renseignement et l’emploi de techniques
de guérilla, ils mirent en échec l’un des clans les plus puissants du Japon avant d’être contraints à l’affrontement direct.
Samouraïs
Durant le Sengoku Jidai, les classes
sociales au Japon étaient établies mais restaient
perméables, un soldat du rang pouvait gagner le
statut de samouraï sur le champ de bataille sans
condition préalable de naissance.
Les différentes classes ne furent
vraiment figées que par Totoyomi Hideyoshi qui
par des édits en 1587 et 1591 réglementa les
classes et fît en sorte de ne plus laisser d’armes
dans les mains des roturiers. L’ironie étant
qu’avant de diriger le Japon, il ait lui-même débuté
sa carrière militaire comme « porteur de sandale »
un rang de serviteur parmi les plus bas dans la
suite d’un samouraï.
Samouraï couvrait une réalité similaire
à celle de chevalier, une caste de guerriers dont
l’un des enfants mâles héritait d’un fief et où
l’ensemble des enfants se voyaient instruits dans
les arts de la guerre et pouvaient grossir les
armées du clan ou celles d’un suzerain.
Leur action dans la bataille avait évolué
au cours du temps. A l’émergence de la classe vers
le 10 ou 11e siècle ils agissaient en archers montés
sur le modèle des cavaliers mongols des plaines
d’Asie centrale.
Mais les limites de l’archipel firent que
le modèle du guerrier nomade trouva rapidement
ses limites face à la levée en masse de compagnies
d’archers. Au 16e siècle, les samouraïs combattent
au cœur de grandes armées composées en
majorité de piquiers et d’archers. Ils constituèrent
une cavalerie lourde capable de créer un choc lors
de la bataille ou bien sont également capables de
combattre à pied à la lance ou au sabre.
Le clan Oda, une force surmontant toute opposition.
Instauré en 1338, le shogunat Ashikaga vit son pouvoir décliner à compter de la
deuxième moitié du 15e siècle. Au début du 16e siècle, son autorité ne s’exerçait plus que
sur le centre de l’archipel, il était contesté par des ligues paysannes, des sectes et des
seigneurs locaux. La faiblesse du pouvoir central laissa émerger les chefs de clans les plus
puissants, les daimyos (grands noms). A la tête
de leur fiefs et de leurs armées, ils
s’affrontèrent sans relâche afin d’assurer leur
expansion ou leur survie durant le Sengoku
Jidai1 et jusqu’au début de la période Edo
(1603-1868).
L’un d’entre eux se démarqua, le
daimyo Oda Nobunaga. En 1568, il s’empara de
Kyoto et des restes du pouvoir central. La prise
du pouvoir par son clan mit progressivement
fin à une période de bouleversements
sociopolitiques2. Puis en 1573, il chassa le
Shogun de Kyoto, marquant ainsi le début de
l’ère Azuchi-Momoyama3. La remise en
question de l’ordre établi ne prît totalement fin
qu’avec les successeurs de Nobunaga,
Hideyoshi Totoyomi4 et Tokugawa Ieyasu5 qui
permirent l’instauration en 1603 d’un
shogunat régnant sur la totalité de l’archipel.
Sur le plan militaire, la deuxième
moitié du 16e siècle était le prolongement de
temps déjà troublés. Le déclin du pouvoir Ashikaga avait permis aux seigneurs locaux de
ne lever l’impôt qu’à leur profit6. La taille, les niveaux d’équipement et d’entraînement des
armées augmentèrent en proportion. Les armées de plus de 100.000 hommes étaient
fréquentes lors des affrontements entre daimyos. L’ampleur et la violence des
affrontements avaient également rendu les chefs plus pragmatiques et la part ritualisée
des affrontements militaires avait quasiment disparu. Le nombre de piquiers ashigaru
Pour plus d’informations :
(pieds légers) et d’archers augmenta rapidement. L’infanterie roturière formait ainsi le
Stephen Turnbull « War in Japan 1467-1615 » et
gros des troupes en plus de la cavalerie samouraï et de samouraïs à pieds. A l’instar de
« Samurai Armies 1550-1615 »
l’évolution s’étant produite en Europe, on voit un emploi raisonné et une spécialisation
entre archers, piquiers, infanterie lourde et cavalerie lourde.7Les roturiers sur les rangs acquérant un statut quasi professionnel à
l’image des archers anglais.
L’âge des royaumes combattants, chaque clan étant organisé comme un petit état cette période fût ainsi nommée en référence à une période similaire de l’histoire
chinoise.
2
Cf Histoire du Japon médiéval, le monde à l’envers Pierre Souyri.
3
Du nom des villes où le pourvoir siégerait.
4
A la tête du clan de 1582 jusqu’à sa mort 1598.
5
Succéda à Hideyoshi en 1598.
6
cf Tsuguharu Naba Community vitality in medieval Japan publié dans War and state building in medieval Japan.
7
cf Samouraï Armies 1550-1615 S.Turnbull
1
L’accaparement de l’impôt par les daimyos finança également l’apparition des
forteresses japonaises caractéristiques. Hautes jusqu’à 7 étages, les structures en bois,
bâtiments et les murs d’enceinte, reposaient sur de larges fondations retenues par des
murailles en pierres sans mortier. Malgré les années et les tremblements de terre, ces
buttes artificielles, supportent toujours le poids des châteaux.
En 1543, la convergence des méthodes entre les armées européennes et
japonaises fût encore amplifiée. Des marchands portugais débarquèrent pour la première
fois au sud de l’archipel à Satsuma et introduisirent des arquebuses européennes. Les
armes à feu chinoises individuelles à canon de bronze avaient déjà été importées au Japon
dès le 15e siècle mais elles ne furent jamais assez fiables pour un emploi massif. Vingt ans
après leur introduction, la fabrication, aussi bien que l’emploi, des arquebuses et des
canons en acier s’était répandu dans tout l’archipel. Les armes sont même exportées vers le reste de l’Asie au même titre que les sabres.8
Sur le champ de bataille, de façon assez similaire aux tercios espagnols, les compagnies d’arquebusiers étaient associées à des
piquiers. Ils pouvaient également être concentrés derrière des fortifications de campagne. Oda Nobunaga put ponctuellement les
répartir en 2 à 3 lignes dans la profondeur afin d’obtenir un feu roulant et destructeur par la succession des volées. Il précéda ainsi les
tenants de l’ordre mince en Europe. On attribue souvent à son bon emploi de l’arquebuse, la victoire des Oda sur la cavalerie Takeda à
Nagashino en 15759. Toutefois, l’importance de l’introduction de ce nouvel armement reste à relativiser, certains groupes ayant fait le
choix d’y consacrer tous leurs moyens ont été écrasés par des armées traditionnelles.
Au centre de cette furie, la province d’Iga, restait peu touchée par les affrontements l’entourant.
Iga, une forteresse naturelle dans l’œil du cyclone
Iga est un bassin naturel rectangulaire de 20 par 50 km, il est entouré de
reliefs d’une altitude comprise entre 500 m et 1000m. Les principales routes
commerciales traversant le Japon contournaient la province. Les seigneurs de la
région se sont progressivement effacés permettant aux samouraïs locaux au
début du 16e siècle, leur propre administration. Dirigée par une assemblée, elle
prenait des décisions par le vote.
Ce type d’organisation appelé ikki était assez répandu à cette époque.
Plusieurs entités de la taille d’une commune étaient gouvernées partiellement ou
totalement par des assemblées. Mais Iga était un ikki s’étendant sur une surface
exceptionnelle. Un texte d’environ 1560 a été retrouvé correspondant aux règles
régissant l’ikki d’Iga. Signé par 66 jizamurai 10 représentant les clans régissant
Iga, il comporte entre autres : des règles de mobilisation face à une menace
extérieure, des interdictions de servir certains clans voisins ennemis et divers
accords de défense mutuelle avec l’ikki voisin de Koga. Cet accord montre que les
jizamurais d’Iga voyaient des alliés dans leurs voisins de Koga et que l’autonomie
récemment acquise valait la peine d’être défendue pour les deux ikkis.11 D’ailleurs
le texte en question a été retrouvé dans l’ancienne Koga, une bonne partie des
documents contemporains dans Iga ayant été détruits par l’avancée d’Oda
Nobunaga.
IKKIS et gouvernance
Les Ikkis sont issus d’une tradition monastique
bouddhiste. Les moines passaient des pactes avant de
protester ou de manifester de façon collective et les décisions
de ces communautés étaient prises par le vote. Localement
des communes ou des ligues de communes avaient passé ce
type d’accord soit afin de mettre en place des mesures de
gestion des conflits liés à la répartition des terres arables, des
eaux d’irrigation des rizières ou se protéger des armées et
des brigands qui erraient dans le pays. Ce mode de gestion
était basé sur un accord écrit en deux exemplaires signé dans
par toutes les parties. Un exemplaire était conservé dans un
lieu sacré, un temple bouddhiste ou un autel shinto, l’autre
exemplaire était brûlé et ses cendres mélangées à de l’eau
tirée du sanctuaire. L’eau était ensuite bue par tous les
signataires afin de sceller le pacte.
Les décisions prises par une assemblée réunie par
ce type de pacte étaient prises à la majorité lors d’assemblée
dans un temple et étaient supposées être appliquées à
l’unanimité.
Pour plus d’informations :
Katsumata Shizuo Ikki : coalitions, ligues et révoltes dans le
Japon d’autrefois
Toutefois, il ne s’agissait pas d’un état gouverné démocratiquement tel
que nous le concevons, ces accords visaient à permettre à des clans rivaux de cohabiter, de prendre des décisions communes et de
prospérer face à une situation sécuritaire complexe. La violence était très présente dans la zone. Les disputes autour des zones de
rizières étaient fréquentes, et, dès le 13e siècle des rapports insistent
sur le nombre de brigands sillonnant la zone12.
Sur le plan militaire, les samouraïs d’Iga avaient dû suivre
une formation militaire durant leur enfance. Elle devait comprendre le
maniement du sabre, de la lance, de l’arc et l’équitation. Il semblerait
que, en sus, certaines de ces familles aient développé un enseignement
plus spécifique axé sur les techniques d’espionnage, d’infiltration ou
de sabotage. Cet enseignement pouvait inclure des choses aussi
diverses que l’apprentissage à des fins de camouflage des métiers de
prêtre ou de marchand itinérant, les accents locaux, le camouflage, les
poudres et explosifs, la survie, les poisons et les techniques d’escalade.
Mais cet enseignement variait, il n’était pas, à l’époque, formalisé par
8
Cf Histoire du Japon des origines à nos jours sous la direction de Francine HERAIL La formation sur trois lignes évoquées ne fût pas forcément systématique.
Selon les auterus Nagashino apparaît parfois comme une exception. La fabrication, la vente et l’emploi des armes à feu furent ensuite limités par les successeurs
d’Oda au même titre que les autres armes.
9
idem
10
Le terme jizamurai (samouraï de la terre) sera utilisé dans ce texte mais son acuité peut être discutée. En l’absence d’édit fixant précisément le statut, il apparaît
que les guerriers d’Iga dans l’accord cité se nommaient eux-mêmes samouraïs. Il est possible que le statut de jizamourais ait été accordé par le gouverneur
appointé par Oda Nobunaga après la prise d’Iga afin d’accorder aux survivants un titre supérieur à celui de paysans mais en les subordonnant aux samouraïs qu’il
avait lui même appointés afin de gérer les affaires civiles.
11
cf Pierre Souyri Autonomy and War publié dans War and state building in medieval Japan
12
idem
écrit et exclusivement dispensé de façon orale de maître à élève comme tous les
savoir-faire guerriers ou artisanaux. Toutefois, les guerriers d’Iga n’étaient pas les
seuls dépositaires de telles méthodes et certains daimyos entretenaient à demeure des
groupes d’hommes rompus à ce type d’opérations. Mais les termes de ninja ou de
shinobi restaient peu usités à l’époque des évènements décrits.13
Ce n’est qu’à la fin du 15e siècle que les mercenaires d’Iga et leurs voisins de
Koga semblent avoir acquis un certain renom. Leur nom apparait souvent lié à des
raids ou à des missions de renseignement.14 Dans les chroniques militaires, hommes
d’Iga, Iga no mono ou hommes de Koga, Koga no mono étaient parfois synonymes
d’espions ou de saboteur. La violence présente dans Iga, la diaspora des cadets des
familles de jizamuraïs, ainsi que la pratique répandue du Shugendo15 dans Iga ont sans
doute favorisé l’émergence de mercenaires endurcis aptes à escalader les nouvelles
murailles en pierre des châteaux ou à se faire passer pour des locaux ou des itinérants
dans la plupart des autres provinces.
Mais l’autre force d’Iga tient à sa géographie, les montagnes l’entourant
n’étaient franchissables que par des passes étroites, certaines si étroites qu’elles
n’étaient praticables que par un cavalier de front (localement appelées kogushi, gueule
de tigre) sur les faces Est, Sud et Ouest.16 Sa façade Nord, la plus poreuse était bordée
par la province alliée de Koga. Les conflits précédents entre familles de jizamuraï
avaient ponctué le paysage de places fortes consistant en une maison de jizamuraï ou
un village entourés de merlons de terre et où le réseau des rizières canalisait
facilement l’ennemi sur de petites pistes et se convertissait aisément en douves.
Concernant ses forces militaires, il est difficile d’estimer précisément le
nombre des hommes, comme dit précédemment, l’avancée d’Oda Nobunaga a réduit
en cendres une bonne partie des archives de la province. De plus, il semble que les
documents relatifs à cette époque aient encore du mal à sortir de certaines collections
privées. Néanmoins afin de bien saisir les rapports de force en jeu, il faut se risquer à
une estimation. Les 66 clans ayant signé l’Ikki ne permettent pas de compter sur plus
de quelques centaines de guerriers entraînés dont certains étaient versés dans les
opérations irrégulières. A l’époque, la densité de population du Japon était de 78
hab/km², mais dans les faits Iga ne comptait pas de grande ville comme Kyoto et était
en majorité montagneuse. Elle ne pouvait abriter que quelques dizaines de milliers
d’habitants soit quelques milliers d’hommes en âge de combattre, 4 à 5000 au
maximum. Ils repousseraient brutalement une armée quasi professionnelle comptant
plus de 12.000 hommes.
Les victoires d’Iga précipitent sa chute
Pour Iga, la fin débute en 1568 lorsque le clan Oda originaire de la région
d’Owari s’empara de la province d’Ise afin d’assurer ses lignes de communication avec
Kyoto nouvellement conquise. La plupart des évènements qui suivent sont relatés
dans deux sources : une chronique rédigée par un membre de l’entourage d’Oda
Nobunaga et une autre par un moine résidant en Iga au moment des faits.17
En Ise, le clan régnant, les Kitabatake résista mais perdit du terrain
rapidement face aux Oda. En 1569, les Kitabatake se rendirent et le daimyo accepta
d’adopter un des fils d’Oda Nobunaga, Nobuo et d’en faire son héritier. Il ne dirigea
plus sa province que sous le contrôle d’hommes de Nobunaga. Assassiné en 1576 par
ce même entourage, son fief, non sans protestations de ses vrais descendants, devint
celui de Kitabatake Nobuo. A environ 18 ans, il devint daimyo d’Ise dans l’ombre de
son père biologique.
Le mythe des hommes en noir
Le terme ninja couvre une réalité différente
du mythe popularisé en occident par « On ne vit que
deux fois » d’Ian Flemming. Les fameuses étoiles de
ninja n’apparaissent dans aucun des manuels les plus
anciens. En revanche, les opérations de sabotage, les
raids contre les forteresses, l’espionnage ont été
présents dans les conflits au Japon depuis longtemps.
Les chroniques des quatorzième et quinzième siècles
font état de l’emploi d’espions précédant les armées et
de mercenaires spécialisés capables de s’infiltrer dans
les forteresses ou d’appuyer l’infiltration de troupes
régulières. Ces opérations et les hommes qui les
menaient portaient des noms divers : suppa, rappa,
ninja, shinobi voire au 16e siècle parfois Iga no mono et
Koka no mono (hommes d’Iga ou de Koga le terme de
ninja , prononciation japonaise des caractère chinois
Shinobi (lame cachée) n’a vraiment pris de l’ampleur
qu’à l’époque Edo à compter de 1603. Les récits de
leurs actions sont rares puisque, conformément aux
enseignements de Sun Tzu, ils étaient tenus secrets.
L’apparition de manuels, d’écoles de ninjas ou
d’une formalisation du ninjutsu date également de la
période Edo où, faute de guerre, ils étaient déjà bien
moins employés. Les tenues noires, les masques, les
étoiles de ninja n’ayant iété ajoutées au folklore que
vers le début du 19e siècle et popularisés après la
seconde guerre mondiale. Ces récits ont, a priori, plus
contribué au développement du tourisme dans les
anciennes Iga et Koga qu’à l’établissement de la vérité
historique.
Dans les faits, un uniforme ou un masque de
ninja eussent sans doute été contre-productifs voire
suicidaires. Le costume noir serait issu des codes du
Kabuki où une tenue noire signifiait que son porteur
était invisible.
Lors des conflits des 15e, 16e et 17e siècles des
troupes régulières, roturiers comme samouraïs, parfois
des mercenaires spécialisés menèrent des opérations
irrégulières oscillant entre espionnage, sabotage, coup
de main, ou assassinat. Le statut social de samouraï
n’était pas forcément incompatible avec la profession de
ninja. Les infiltrations ont s été conduites en se
déguisant en unités de soldats ennemis et en passant
par la grande porte ou en escaladant les parois des
châteaux après avoir été renseignés sur les zones les
moins gardées par des espions infiltrés sous l’identité
de serviteurs. Lors de ces opérations, à l’instar des
camisades menées par les Espagnols durant la guerre
des Flandres, il arrivait que le détachement infiltré
porte des bandeaux blancs autour de la tête pour éviter
les affrontements fratricides dans l’enceinte. Une fois
dans l’enceinte, ils pouvaient créer la confusion, mener
une attaque ou bien mettre le feu aux bâtiments.
S’identifier eut été contraire aux intérêts de
ceux qui cultivaient la discrétion et la confusion.
Pour plus d’informations :
Anthony Cummins, “In search of the ninja, the historical
truth of ninjutsu”
John Man, “Ninja 1000 years of the shadow warrior
history”
Stephen Turnbull, “Ninja The true story of Japan Secret
warrior cult”
Mais, en janvier 1579, alors qu’un clan ennemi, les Mori, menace les Oda à
l’Ouest, un samouraï d’Iga vint se plaindre du gouvernement autonome d’Iga auprès
de Nobuo. Celui-ci y vit une occasion de s’emparer d’une zone facile à tenir face aux
Mori, de régler le problème des derniers partisans de Kitabatake réfugiés en Iga et
d’acquérir de la gloire personnelle. Il décida donc de reprendre un chantier de son père adoptif, débuter la conquête d’Iga en
construisant une forteresse en son centre, à Maruyama. Mais les guerriers d’Iga comprirent que leur tranquillité était terminée et que
jamais ils ne mobiliseraient assez d’hommes pour s’opposer aux forces de Nobuo sur un champ de bataille.
13
cf Anthony Cummins In search of the ninja, the historical truth of ninjutsu
Idem
15
Le Shugendo est un ascétisme religieux qui encourage la contemplation dans les montagnes et le dépassement de soi par, entre autres, le jeûne, des exercices de
résistance au froid ou à la douleur et l’escalade cf John Man Ninja 1000 years of the shadow warrior history
16
Cf Pierre Souyri Autonomy and war in the sixteenth century Iga and the birth of the ninja phenomenon publié dans War and state building in Medieval Japan
17
Cf Stephen Turnbull, Ninja The true story of Japan Secret warrior cult dont est tiré la majorité du récit des évènements.
14
Ils réagirent en infiltrant les équipes de construction et les serviteurs du château. Et peu après la reprise des travaux, ils
lancèrent une attaque, parvinrent à pénétrer dans le château, à y mettre le feu et à massacrer la garnison en proie à la confusion la plus
totale.
Nobuo n’a trouvé que l’humiliation là où il cherchait la gloire. Ses généraux parvinrent à le convaincre de ne pas réagir trop
vite, et il patienta jusqu’en septembre 1579 avant de pénétrer dans Iga à la tête de 12.000 hommes. Répartis en 3 colonnes ils
pénétrèrent dans Iga depuis Ise. Les guerriers d’Iga, professionnels de l’espionnage travaillant dans leur province natale, repérèrent ces
colonnes. Ils ne laissèrent pas passer l’opportunité et mirent en place trois embuscades avec des éléments fixes et, un ou plusieurs
éléments de réserve mobiles. Là où le rapport de force global leur était défavorable ils parvinrent à se créer trois rapports de force
locaux favorables. Les forces de Nobuo furent massacrées, certains de ses généraux les plus expérimentés, compagnons d’armes de son
père, périrent.
Leur capacité à acquérir du renseignement et leur connaissance des savoir-faire liés à la guérilla ont permis aux
hommes d’Iga de remporter la victoire sans pertes majeures. Dans ce cas, ils sont largement aidés par l’engagement précipité de Nobuo,
son inexpérience étant compensée par l’expérience de son entourage. Mais leurs modes d’action plutôt indirects servent une approche
directe. Certes, la destruction de la forteresse Maruyama en 1579 montrait une volonté de s’attaquer à un symbole et d’envoyer un
message. Toutefois ils ne répondent que partiellement à la définition de l’approche indirecte telle qu’elle est définie dans les documents
règlementaires actuels.18 Lors des embuscades contre les forces de Nobuo, les bénéfices étaient bien tirés de l’obtention « d’une
supériorité relative ponctuelle sur une vulnérabilité détectée 19». Mais elle visait la force matérielle de l’ennemi. La vision quantitative
de l’ennemi prédominait dans la conduite de leurs opérations. En dépit de leurs victoires initiales, les hommes d’Iga n’ont jamais eu la
capacité d’agir de façon significative hors de leur province sur d’autres objectifs que les forces ennemies elle-même. Un rapprochement
d’Iga vers le clan Mori qui menaçait les Oda à l’Ouest aurait sans doute de la même manière condamné à terme leur indépendance. Il n’y
avait pas de communauté internationale ou de médias pour basculer le rapport de force de façon radicale dans un autre champ. Une
vision systémique de l’ennemi telle qu’elle est normalement associée à l’approche indirecte avait peu de chance d’emporter la victoire.
Les daimyos et la totalité du système de commandement, autoritaire et institutionnalisé, absorbait facilement les attaques contre sa
structure de commandement. L’histoire a démontré que même la mort d’Oda Nobunaga n’a pas empêché son clan d’achever sa conquête
du Japon.
Par cette victoire, les guerriers d’Iga venaient d’accélérer leur défaite. Ils n’étaient opposés qu’à Nobuo et venaient d’attirer
l’attention de Nobunaga. Ce dernier, dans un courrier adressé à Nobuo le tança assez vertement, lui reprochant l’impatience de la
jeunesse, le fait de n’avoir pas assez respecté les guerriers d’Iga réputés pour leur valeur et de s’être engagé en aveugle en méprisant les
enseignements de Sun Tzu. Oda Nobunaga était patient, respectait les guerriers d’Iga et les enseignements de Sun Tzu.
Le Y et le Tchou 20
Le clan Oda régla d’autres conflits avant de s’engager en Iga. Toutes les opportunités pour acquérir du renseignement sur la
province d’Iga furent mises à profit. Il fut aidé par la trahison de certains notables de Koga qui vinrent proposer leur aide au clan Oda.
Koga, comme Iga, devait peiner à offrir un front uni en période de crise, le mode de gouvernance par l’Ikki rencontrant ses limites. Le
voisin septentrional d’Iga a compris que leur alliance ne ferait pas le poids et qu’ils risquaient d’être en première ligne face à toute la
puissance des Oda. Koga fournit ainsi du renseignement et le offrit libre passage aux forces d’Oda. En 1581, le clan lança finalement une
campagne d’ampleur face à une province d’Iga désarmée.
Oda Nobunaga ne s’engagea pas en
Iga uniquement pour des raisons de prestige
familial bafoué. En plus des autres daimyos,
il affrontait
depuis longtemps des
mouvements religieux et s’était efforcé de
refaire passer, souvent manu militari, sous
l’autorité shogunale l’ensemble des Ikkis et
des coalitions locales. En 1581, la
réunification du Japon était clairement à sa
portée.
Aussi, il pouvait difficilement
accepter une communauté ne répondant à
aucun seigneur à proximité de ses terres. Il
consacra ainsi une part conséquente de ses
moyens à la prise de ce lopin de terre, une
force au moins équivalente à la population
totale de la province. 44500 hommes
pénétrèrent dans une zone de 50 km de long
par 20 de large par 6 ou 7 itinéraires
différents.
Face à cette puissance, les
guerriers d’Iga ne purent que se replier. Ils
se regroupèrent sur deux sites l’un proche
de Maruyama et l’autre près de Ueno. Les
fortifications de terre levée des fermes
18
19
FT02 Tactique générale
Idem
20
Sun tzu « L’art de la guerre »
fortifiées ne résistèrent pas aux canons des Oda.
Les forces d’Oda, avancèrent en brûlant les villages sur leur passage. La planification et la puissance de l’action directe ont
privé les guerriers d’Iga de toute cible à haute valeur ajoutée pour leurs raids ou leurs sabotages et quasiment chacune des colonnes
ennemies comporte deux fois plus d’hommes que la totalité de leurs forces. Certes, Nobunaga perdit des hommes, les campements
étaient attaqués. Les hommes d’Iga profitaient de la nuit pour attaquer les forces avec leurs guerriers les plus expérimentés mais même
en parvenant à tuer ponctuellement cent hommes, leurs raids et leurs ruses ne leur permirent jamais de prendre l’ascendant. Les
dernières forces d’Iga se retranchèrent sur deux sites. Les raids nocturnes et les ruses contre les assiégeants ne purent jamais leur
permettre de reprendre l’ascendant. Au final, après la défaite des deux garnisons, certains parvinrent à s’échapper, comme le veut la
légende, en escaladant une paroi abrupte21.
La planification et la coordination de cette campagne menée à une époque où les messages ne se déplaçaient à la vitesse des
chevaux est admirable mais il est impossible d’y trouver une once de subtilité ou d’élégance. Qualités que l’Histoire, à raison, n’a jamais
vraiment trouvées chez Oda Nobunaga. Pourtant, au final, le déchainement de force, s’il fût violent parce qu’il a permis d’appliquer la
technique de la terre brûlée derrière le passage des troupes, a surtout permis aux troupes des Oda d’avancer sans réellement combattre.
Aussi brutales qu’elles paraissent, les actions du clan Oda correspondent aux préconisations lues ou écrites à cette époque.
Ainsi, Sun Tzu, comme la plupart des auteurs, insiste sur la nécessité du renseignement, des opérations de déception et le
secret qui doit entourer les opérations militaires. Oda ne s’est lancé que lorsque des habitants de Koga se sont proposés pour le guider et
le renseigner. De plus, la méfiance systématique des Oda a empêché de jouer la désinformation ou l’infiltration. Même les hommes de
Koga, venus proposer leur aide, auraient été emprisonnés jusqu’à ce que leur bonne foi soit prouvée. La compréhension des acteurs visà-vis des opérations de renseignement était déjà très aboutie.
De plus, sur le plan tactique, Sun Tzu préconise un encerclement de toutes parts si le rapport de force le permet. S’il défend
l’approche indirecte et la ruse lorsque les armées sont de forces équivalentes, il explique également que le rapport de force écrasant est
souvent le meilleur moyen de remporter une victoire avec le minimum de combats « Soyez à votre ennemi ce que le Y et est au tchou 22».
Oda Nobunaga avait déjà choqué ses contemporains en réduisant en cendres le monastère du Mont Hiei en 1573, de la même manière, il
avait encerclé le monastère et fait converger ses troupes vers le sommet en profitant d’un rapport de force écrasant.
Enfin, même s’il ne l’a pas lu, on retrouve la détermination préconisée par Machiavel dans l’esprit de rouleau compresseur
de l’opération de Nobunaga23. Lors de la conquête des provinces habituées sous le régime de la liberté, l’homme d’état florentin
préconisait en effet la sévérité et la brutalité les plus totales afin d’extirper les idées de liberté de l’esprit du peuple. Cela est plus ardu
que de mettre à l’écart ou d’éliminer une famille régnante. Sun Tzu déconseillait formellement de détruire les villages et de s’attaquer
aux populations conquises mais ce dernier ne s’était pas trouvé face à des communautés auto-administrées ayant pris goût à leur
indépendance.
L’action d’Oda Nobunaga a finalement rendu inefficace les modes d’action employés par les guerriers d’Iga. La création
ponctuelle de RAPFOR local favorable a été interdite par le rapport de force écrasant et la simultanéité des attaques sur plusieurs fronts.
Et, contrairement à d’autres mouvements insurrectionnels ayant pu résister face à des forces importantes. Ils n’ont pu remettre
l’affrontement direct à plus tard. L’étroitesse géographique qui leur permettait de « varianter » facilement entre quelques colonnes les
empêche de disposer de la profondeur nécessaire pour concentrer successivement leurs forces face aux 6 à 7 colonnes de Nobunaga. La
simultanéité des attaques leur a interdit de tenter de combattre dans la profondeur. Nobunaga a retourné la géographie d’Iga contre ses
habitants. Selon les grilles de lecture modernes, en l’occurrence FT02, il est difficile d’arrêter pour chacun des camps si leur approche
était directe ou indirecte. La force de Nobunaga fût bien de mettre en œuvre une opération directe et, comme s’il avait eu une vision
systémique de son ennemi, d’obtenir l’effondrement de son adversaire sans réellement combattre. Sans disposer d’informations
précises sur leurs motivations, il est probable que c’est bien la force du clan Oda qui a mis fin à l’accord entre Koga et Iga, voire qui a pu
conduire la population d’Iga à des dissensions internes. Obtenir la victoire sans combat en n’offrant à l’adversaire qu’un rapport de force
écrasant s’approche du concept de dissuasion. A l’opposé, la génération d’une force juste suffisante comme celle de Nobuo peut s’avérer
beaucoup plus couteuse sur le plan opératif que la mise en œuvre d’une force importante dont les effectifs semblent excessifs.
Epilogue
Iga avait perdu son autonomie et les terres contrôlées par le clan Oda s’étendraient jusqu’à couvrir tout l’Archipel. Les hommes
d’Iga continueraient pour certains à combattre les notables installés par Nobunaga en résistant depuis les montagnes. Certains évoquent
même une tentative d’assassinat contre Nobunaga au moyen d’arquebuses de gros calibre ou de couleuvrines lorsqu’il visita la
province. Nobunaga fût finalement assassiné en 1582 lors d’un complot mené par l’un de ses lieutenants. Celui-ci fût ensuite défait par
Totoyomi Hideyoshi qui s’empara ainsi de la succession d’Oda Nobunaga en restant un féal loyal à son seigneur.
Les hommes d’Iga refirent parler d’eux à cette occasion. En effet, le troisième grand féal de Nobunaga, Tokugawa Ieyasu, le
futur Shogun fût surpris par cet assassinat hors de ses terres. Ce sont des hommes d’Iga qui lui ont permis d’échapper aux comploteurs
qui le cherchaient sur les axes principaux. Un groupe d’hommes d’Iga le protégèrent et lui permirent de traverser le Japon en passant
notamment par les itinéraires les plus discrets d’Iga. A cette occasion, les mercenaires d’Iga devinrent les serviteurs de Tokugawa
Ieyasu. Les ninjas d’Iga deviendraient ensuite responsables de la sécurité du Shogun et mèneraient des actions secrètes lors de la
bataille de Sekigahara en 1600, celle qui mit à genoux ses derniers opposants et lors de la rébellion catholique en 1638. A l’exception de
révoltes ponctuelles, le système instauré par Tokugawa Ieyasu serait si stable et les échanges avec le reste du monde si limités que l’art
de la guerre et les actions des ninjas ne retrouveraient plus la même ampleur.
21
Cf John Man Ninja 1000 years of the shadow warrior history
Idem, le Y et le tchou sont de unités de mesure des poids le Y étant mille fois plus important que le tchou.
23
Cf Le Prince Machiavel
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