25 Idées Actuelles sur la Dépression

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25 Idées Actuelles sur la Dépression
Direction de
la rédaction :
Marie-Jeanne
Guedj
DÉPRESSION
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idées actuelles
éditorial
a publication des 33 évolutions majeures de la pensée
clinique en psychiatrie répondait à l’exigence de
savoir des psychiatres, jeunes et vieux, face aux
bouleversements de la psychiatrie, jusque dans le
langage et les conceptions.
Le terme de « dépression », toujours vivace, ne saurait constituer une évidence
trompeuse. Diagnostic complexe, une terminologie aussi profane pourrait en
obscurcir l’investigation. La dépression est considérée par l’OMS comme un
problème planétaire majeur de santé publique, entraînant des coûts sociaux et
individuels considérables en termes économiques et de qualité de vie.
Pourtant, le caractère « compréhensible » de ce mot, d’usage fortement
médiatisé, lui fait occuper la place de diagnostic fourre-tout, par exemple pour
parer aux multiples attaques contre le secret médical, professionnel, partagé,
remis au patient (ce qui est normal), à la Sécurité sociale, dans le dossier fourni
par le patient aux experts de toutes sortes (assurances…)…
La dépression en même temps devient technique. On en finit avec l’idée d’un
sentiment associé au confort et à l’oisiveté, à l’introspection excessive ou à l’intellectualisme : mal du siècle si peu romantique quand les difficultés existentielles ont envahi le champ de la médecine, en même temps que la définition
de la maladie reste la préoccupation majeure des médecins et des malades.
Dans une perspective anthropologique, certains considèrent les nouvelles
exigences de réussite comme un repérage important dans la définition de la
dépression, tandis qu’on tend à privilégier les causes extérieures au sujet
psychique, qu’elles soient organiques ou environnementales : à la fois « maladie
de la responsabilité dans laquelle le sentiment d’insuffisance domine celui de la
culpabilité » (Lecourt D, Dictionnaire de la pensée médicale. Paris, PUF, 2004),
pathologie de l’estime de soi et de la conception grandiose de soi-même, et à la
fois objet des recherches dites régulièrement « les plus prometteuses ».
L
Ainsi l’envahissement de la psychiatrie par les problèmes liés à la dépression
met-il en évidence différents aspects :
– ce n’est plus un autodiagnostic et elle n’est plus synonyme de « déprime » ;
– elle a pris, dans la psychiatrie hors-les-murs, le rôle majeur attribué aux
troubles psychotiques par la psychiatrie asilaire ;
– en même temps que les troubles psychiatriques tendent à être absorbés en
une psychose unique dépressive et schizophrénique ;
2
DÉPRESSION
25
idées actuelles
– elle entretient un lien très fort avec les problématiques addictives qui envahissent aussi le champ social et individuel ;
– et constitue un espoir thérapeutique pour tous les troubles antisociaux et
comportementaux.
Les avancées scientifiques ont déplacé cette notion très classique :
– la définition motrice, dans sa visibilité, est au premier plan, non seulement
l’humeur ressentie mais le ralentissement et l’inhibition motrices objectivables ;
– le tableau clinique dépend de l’importance majeure donnée aux comorbidités ;
– même les recherches pharmacologiques et génétiques s’attachent au lien avec
les comorbidités (troubles anxieux, démences, stress post-traumatique…) ;
– plus classiquement, la préoccupation des combinaisons de symptômes, des
formes cliniques et des chronologies des divers troubles se trouve actuellement justifiée par l’intérêt d’affiner les possibilités thérapeutiques.
Maladie à traiter, quelles que soient ses formes et son intensité, elle apparaît
responsable, en l’absence de traitement et notamment en cas de comorbidités, d’un handicap social, de la diminution de la qualité de vie, et du dessaisissement des stratégies normales d’adaptation.
Les avancées thérapeutiques, certaines, ont vu la fin des conseils, du
« soutien », voire des interventions autoritaires de remise au travail par exemple.
Une place importante est redonnée aux psychothérapies et aux traitements
non médicamenteux. Enfin advient la part respectable et raisonnée de traitements médicamenteux administrés selon des recommandations, reconnus
comme agissant sur le symptôme dépressif quels que soient le syndrome ou
les comorbidités. Elle est régulièrement entachée du questionnement du lien
dépression/suicide, attribuant ainsi des suicides au traitement, non à la
maladie, notamment chez les jeunes, et pondérant les prescriptions d’importantes précautions.
Pour explorer ce vaste champ des possibles, il ne faut pas moins de 25 idées
actuelles sur la dépression, réparties en chapitres répondant aux questions
suivantes : historique, évolution du concept, bases de l’évolution, implications
pratiques quotidiennes, avenir du concept, points forts, mots-clés.
Dr Marie-Jeanne GUEDJ
CPOA, Hôpital Sainte-Anne, Paris
3
DÉPRESSION
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idées actuelles
rédaction
Directeur de la rédaction
Dr Marie-Jeanne Guedj
CPOA, CHS Sainte-Anne, Paris (75)
Auteurs
Dr Christophe André
CHS Sainte-Anne, Paris (75)
Dr Marine Attali
Service de Psychiatrie, Hôpital Esquirol, Saint Maurice (94)
Dr Thierry Baubet
Service de Psychopathologie de l’enfant, de l’adolescent et de
Psychiatrie générale, CHU Avicenne, Bobigny (93)
Dr Bérengère Beauquier-Maccotta
Service de Pédopsychiatrie de l’Hôpital Necker-Enfants Malades, Paris (75)
Dr Braitman Alexis
CPOA, CHS Sainte-Anne, Paris (75)
Dr William de Carvalho
Ancien Praticien Hospitalier à l’Hôpital Sainte-Anne à Paris et
coordonnateur du Pôle ECT de la Maison de Santé de Bellevue,
Meudon (92)
Dr Yves Contejean
Service du secteur Psychiatrie Infanto-Juvénile n° 8, CHS Sainte-Anne,
Paris (75)
Dr François Ducrocq
Cellule d’urgence médico-psychologique Nord-Ouest, Samu 59,
Clinique universitaire de psychiatrie, CHRU de Lille (59)
Dr Fabrice Duval
Service de Psychiatrie, CH Rouffach (68)
Pr Philippe Duverger
Service de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, CHU d’Angers (49)
Pr Bernard Golse
Service de Pédopsychiatrie de l’Hôpital Necker-Enfants Malades, Paris (75)
Dr Marie-Jeanne Guedj
CPOA, CHS Sainte-Anne, Paris (75)
Dr Bertrand Hanin
CPOA, CHS Sainte-Anne, Paris (75)
Dr Bruno Harlé
Unité de Thérapie Familiale de Bondy (93)
Pr Pierre-Michel Llorca
Service de Psychiatrie B, Hôpital Gabriel Montpied, Clermont-Ferrand (63)
4
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idées actuelles
Dr Jean Malka
Service de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, CHU d’Angers (49)
Dr Anjali Mathur
Service de Psychiatrie, CHU Purpan, Toulouse (31)
Dr Marianne Mazodier
CPOA, CHS Sainte-Anne, Paris (75)
Dr Frédéric Medouze
Clinique Médico-Universitaire Georges Heuyer, Paris (75)
Dr Christine Mirabel-Sarron
CMME, CHS Sainte-Anne, Paris (75)
Pr Marie-Rose Moro
Service de Psychopathologie de l’enfant, de l’adolescent et de
Psychiatrie générale, CHU Avicenne, Bobigny (93)
Dr Marc Passamar
Centre d’Accueil et de Crise, S.A.U.S, CHS Pierre-Jamet, Albi (81)
Dr Jérôme Pellerin
Service de Psychiatrie des personnes âgées, Hôpital Charles Foix,
Ivry-Sur-Seine (94)
Dr François Petitjean
Service de Psychiatrie, CHS Sainte-Anne, Paris (75)
Dr Christian Spadone
CHU Hôpital Saint Louis-Lariboisière, Paris (75)
Dr Jacques Thuile
CMME, CHS Sainte-Anne, Paris (75)
Dr Arouna Togora
Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, CHU d’Angers (49)
Pr Guillaume Vaiva
Clinique universitaire de psychiatrie, CHRU de Lille (59)
Dr Gilles Vidon
Service de Psychiatrie, Hôpital Esquirol, Saint Maurice (94)
Dr Bernard Vilamot
CH Pierre Jamet, Albi (81)
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122, avenue du Général Leclerc, 75014 Paris
www.editions-scientifiques.com – [email protected]
5
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idées actuelles
sommaire
Dépression : trait ou état ?
PAG E
DÉPRESSION
..................................................
9
par F. Petitjean
Dépression et estime de soi
.............................................
15
..............................................................
19
....................................................................
23
....................................................................
29
par C. André
Échelles d’évaluation
par C. Spadone
Trouble bipolaire 1
par B. Passamar
Trouble bipolaire 2
par C. Spadone
Dépression récurrente ............................................................ 33
par F. Petitjean
Dépression résistante
.............................................................
39
par P.-M. Llorca
Dépression dite atypique
....................................................
45
par M. Attali et G. Vidon
Dépression et crise suicidaire ......................................... 49
par M. Vilamot et A. Mathur
Dépression et épisode psychotique ........................... 55
par M.-J. Guedj
Dépression et démences
......................................................
61
par J. Pellerin
Dépression et stress post-traumatique .................. 67
par F. Ducrocq et G. Vaiva
Dépression et alcool
par M. Mazodier
6
................................................................
71
25
idées actuelles
PAG E
DÉPRESSION
Dépression et saison
...............................................................
75
par C. Mirabel-Saron
Dépression et endocrinopathies
...................................
81
par F. Duval
Dépression et tumeurs cérébrales .............................. 89
par A. Braitman
Dépression et accident vasculaire cérébral ....... 93
par F. Medouze
Dépression et couple ............................................................... 99
par B. Harlé
Dépression et migration
....................................................
103
par T. Baubet et M.-R. Moro
Dépression et nourrisson .................................................. 109
par B. Beauquier-Macotta et B. Golse
Dépression et enfant
.............................................................
115
...............................................................
119
par Y. Contejean
Dépression et jeune
par J. Malka, A. Togora et P. Duverger
Évolution des traitements
par électrochocs ........................................................................ 125
par W. de Carvalho
Psychothérapies des dépressions :
notions actuelles ..................................................................... 133
par B. Hanin
Luxthérapie
....................................................................................
139
par J. Thuile
7
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présentations à caractère scientifique contenues dans cette publication n’engagent que la responsabilité
des auteurs, et ne pourraient en
aucun cas impliquer la responsabilité
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attirée sur le fait que ce contenu ne
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et les publications scientifiques, en
particulier en ce qui concerne les
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auxquelles le lecteur devra exclusivement se référer afin de déterminer
la sécurité à laquelle il peut légitimement s’attendre du fait des médicaments, méthodes ou traitements
évoqués dans les pages à suivre.
ÉVOLUTION DES TRAITEMENTS
p a r
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é l e c t r o c h o c s
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idées actuelles
Évolution
des traitements
par électrochocs
William de CARVALHO
Concept. Par un effet de stimulation cérébrale induite par le passage de
courant électrique durant quelques secondes, l’électroconvulsivothérapie
(ECT), la plus ancienne des thérapeutiques psychiatriques contemporaines,
déclenche une crise convulsive généralisée. Son action thérapeutique est
médiée par des remaniements neurophysiologiques, biochimiques, neuroendocriniens, cellulaires, moléculaires. Le recours aux techniques de neuroimagerie cérébrale, anatomiques ou fonctionnelles et la possibilité d’utilisation
de radioligands permettent à la neurobiologie et à la neurogénétique de participer à l’élucidation des raisons de l’efficacité de l’ECT. L’efficacité de l’ECT est
surtout remarquable dans les troubles de l’humeur qui nous intéressent ici,
mais son action est transnosographique. Les dernières décades ont été
marquées à la fois par une extension de la pratique des ECT et par leur technicisation accrue.
Historique.
La conception
selon laquelle un trouble psychiatrique
peut favorablement être influencé par
des traitements non psychologiques a
introduit une rupture épistémologique
dans l’histoire de la psychiatrie. Wagner
von Jauregg propose en 1917 la malariathérapie pour traiter les patients
atteints de paralysie générale. Les traitements insuliniques à la fin des années
1920 peuvent être considérés comme
les premières thérapeutiques de choc.
La cure de Sakel (coma hypoglycé-
ECT
ECT-M
Théorie anticonvulsivante
Théorie neurotrophique
125
DÉPRESSION
25
idées actuelles
ÉVOLUTION DES TRAITEMENTS
p a r
é l e c t r o c h o c s
mique transitoire, 1930) était utilisée jusqu’à récemment chez des patients très
autistiques. L’hypothèse de l’antinomie entre schizophrénie et épilepsie a été
reprise en 1934 par le psychiatre hongrois Ladislas von Meduna, qui a
provoqué des convulsions dès la première tentative de pharmacoconvulsivothérapie chez un patient catatonique en utilisant du cardiazol. Le patient s’est
amélioré très nettement après neuf chocs et est sorti.
Bini (1937) trouve avec l’électricité un moyen sûr, fiable, reproductible d’une séance à l’autre. La première ECT fut réalisée par Cerletti en
mars 1938 à Milan, sur un patient schizophasique et catatonique. La publication eut lieu en 1938 devant l’Académie de Médecine à Rome et marque la date
de naissance de l’ECT.
Lapipe et Rondepierre introduisent le « sismothère » en France
avec l’aide de Binet en 1940. D’emblée, l’ECT a été utilisée dans toutes les
affections psychotiques dont l’étiologie n’apparaissait pas évidente, l’efficacité
étant estimée à 85 % dans les dépressions. Le nombre de séances utiles pour
obtenir une rémission s’établit entre 8 et 12 chez les maniacodépressifs, bien
au-delà chez les sujets atteints de schizophrénie.
L’utilisation des barbituriques pour l’anesthésie des ECT s’est
développée à partir de 1943.
Une étape supplémentaire vers l’électrochoc modifié a été franchie avec Bennett en 1951, par le recours à la curarisation brève qui modifie le
contexte de l’ECT. Les accidents traumatiques (luxations, fractures, bris de
dents, morsures de langue) appartiennent au passé. L’avènement de la
psychopharmacologie en 1952 avec la découverte des neuroleptiques par J.
Delay, P. Deniker et JM Harl vient mettre un frein à l’utilisation des ECT, par l’espoir suscité que l’on pourrait se passer des ECT. Le contexte politicoculturel,
l’antipsychiatrie dénoncent dans les années 1960 les ECT comme un outil
d’asservissement social et politique supplémentaire. Leur pratique recule,
victime d’une vision très idéologique qui nie la pathologie mentale, avec les
conséquences qu’ont connues les patients, premiers à faire les frais d’un aveuglement systématique et militant, avec des fortunes diverses selon les pays.
Depuis la fin des années 1980, le pragmatisme est redevenu de rigueur et les
ECT ont repris leur place dans la thérapeutique.
126
Degré d’évaluation. Des études comparant ECT versus ECT
simulée ont démontré l’efficacité du traitement. Une métaanalyse a regroupé
les études ECT versus ECT simulée, ECT versus placebo, ECT versus tricycliques, ECT versus IMAO : elles permettent de conclure à une supériorité de
l’ECT dans ces quatre cas de figure. Le différentiel d’efficacité est de 20 % en
faveur de l’ECT par rapport aux tricycliques, encore plus important avec les
IMAO.
ÉVOLUTION DES TRAITEMENTS
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DÉPRESSION
é l e c t r o c h o c s
25
idées actuelles
Les ECT ont fait l’objet de la première recommandation en
psychiatrie de l’ANAES, et de multiples évaluations, conférences de
consensus, recommandations d’académies, d’experts. Elles agissent de façon
spectaculaire sur les syndromes dépressifs sévères de tonalité mélancolique
non grevés de comorbidités, en particulier organiques, qui viendraient en limiter
la portée. Leur efficacité clinique à court terme ainsi que leur délai d’action sont
supérieurs à ceux de tous les antidépresseurs.
Quelle place a l’ECT dans les sous-groupes de dépression ?
Épisode dépressif majeur
L’ensemble des études permet de conclure à un taux d’efficacité
de l’ECT de l’ordre de 80 à 90 %.
Dépressions résistantes
Des travaux consensuels indiquent une efficacité de l’ECT dans les
formes de dépression les plus résistantes (1) : le délai de l’action antidépressive (10
à 12 séances) peut être supérieur à ce qu’il est lors d’un épisode dépressif simple
(6 à 8 ECT) ; l’efficacité des ECT est estimée de l’ordre de 50 à 60 %, mieux que
ce que font les antidépresseurs. Ces dépressions résistantes avérées ont une forte
probabilité de rechutes précoces après l’arrêt du traitement par ECT.
Dépressions psychotiques
La règle usuelle est d’associer antidépresseur et neuroleptique,
un résultat favorable pouvant alors être escompté dans à peine 50 % des cas.
L’analyse de 35 études portant sur des épisodes dépressifs avec caractéristiques psychotiques permet d’affirmer que l’ECT y est efficace dans plus de
80 % des cas (2, 3). Dans la pratique, ces dépressions peuvent être traitées par
ECT soit d’emblée, soit après échec d’une chimiothérapie mixte : les résultats
sont alors favorables dans 50 à 60 % des cas après un nombre de séances
d’ECT identique à celui qui est nécessaire dans le traitement des épisodes
dépressifs caractérisés sans éléments psychotiques (6 à 12 séances). Ces
dépressions sont réputées à taux de rechutes précoces élevé : 80 % des cas
à 1 an (4). Ceci pose la question de la thérapeutique de relais au-delà du temps
de l’accès : antidépresseur + neuroleptique ? ECT de maintenance ?
Dépressions avec substratum organique
Les patients présentant un trouble dépressif sur un tel terrain
peuvent répondre à l’ECT en améliorant conjointement les symptômes
thymiques et cognitifs (5). L’ECT améliore davantage les symptômes cognitifs à
moyen terme que les médicaments antidépresseurs parfois mal tolérés.
L’ECT est utilisé dans des dépressions dans le cours des maladies de Parkinson, de Kreutzfeld-Jakob, des démences vasculaires ou mixtes,
des comorbidités avec une pathologie VIH ou des pathologies néoplasiques.
127
DÉPRESSION
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idées actuelles
ÉVOLUTION DES TRAITEMENTS
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é l e c t r o c h o c s
Dépressions bipolaires et dépressions unipolaires
On ne dispose d’aucune donnée permettant de situer les niveaux
comparés d’efficacité ou de délai d’action de l’ECT dans les troubles bipolaires
et unipolaires. L’ECT y est efficace dans les deux cas.
Diverses entités dépressives
Les dépressions atypiques (hypersomnie, hyperphagie, hyperréactivité), le trouble dysthymique, les dépressions postpsychotiques n’ont pas été
systématiquement évalués. Une comorbidité avec un trouble de la personnalité est
considérée comme un facteur de résistance aux antidépresseurs. L’utilisation de
l’ECT dans ce sous-groupe peut être efficace, avec une réserve liée au risque de
réapparition rapide de la symptomatologie dépressive après le traitement par ECT.
Épisodes dépressifs du sujet âgé
Le sujet âgé réunit volontiers des facteurs de résistance, notamment des comorbidités et des associations médicamenteuses qui rendent
parfois problématique la coprescription d’antidépresseurs. Les ECT ont
apporté la preuve de leur supériorité sur les antidépresseurs dans le traitement
des épisodes dépressifs du sujet de plus de 60 ans comme aux autres âges
finalement (5). Le risque élevé de rechutes à l’arrêt de l’ECT demeure, comme
avec les antidépresseurs.
Épisodes dépressifs des enfants et adolescents
On ne dispose pas d’études systématisées évaluant l’efficacité et
les inconvénients de l’ECT dans cette population. Des rapports de cas ont
simplement signalé l’utilité de l’ECT dans des situations de grande difficulté.
L’étude rétrospective de Cohen et al. (6) sur 21 sujets entre 13 et 20 ans
confirme l’efficacité de l’ECT sur les troubles de l’humeur de l’adolescent tout
en soulignant le taux élevé de rechutes à 1 an (40 %).
Épisodes dépressifs et grossesse
128
De nombreux cas de femmes enceintes ayant reçu un ECT ont
été rapportés dans la littérature. Les complications retrouvées concernent
environ 5 % de ces cas : avortement, mort néonatale, naissance prématurée,
trouble du développement.
Les ECT n’ont pas d’effet tératogène, ce qui n’est pas le cas de
tous les psychotropes qui peuvent poser problème aux différents temps de la
grossesse. Il ne faut pas méconnaître le risque de ne pas traiter, en particulier
celui lié à la permanence de l’anxiété et de la dépression, avec le risque suicidaire et l’altération possible de la qualité des liens précoces vis-à-vis de l’enfant. L’ensemble de ces rapports de cas confirme la possibilité d’utiliser l’ECT,
à la condition d’une surveillance gynécoobstétricale rapprochée dans le cas où
l’ECT serait utilisé au cours du troisième trimestre de grossesse.
ÉVOLUTION DES TRAITEMENTS
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DÉPRESSION
25
idées actuelles
En synthèse
L’ECT est efficace à court terme dans les épisodes dépressifs
majeurs isolés ou récurrents. Aucun diagnostic ne justifie en lui-même une
proposition systématique d’ECT.
Il existe des indications prioritaires et non prioritaires de l’ECT (2).
L’ECT est recommandée en première intention là où existe le besoin d’une
action rapide sur une symptomatologie psychiatrique sévère, là où l’utilisation
d’autres traitements peut induire des risques supérieurs à ceux de l’ECT, lorsqu’il y a des antécédents de chimiorésistance ou de bonne réponse aux ECT,
et enfin lorsque c’est le choix du patient dans une indication valide. En pratique,
la non-réponse à une chimiothérapie adaptée bien conduite est le plus souvent
l’argument qui fait décider la mise en œuvre d’une ECT.
Implications pratiques quotidiennes. La pratique
consiste à administrer deux à trois ECT par semaine. Le délai d’apparition
d’une amélioration significative ressentie par le patient est très habituellement
aux alentours du septième ECT. Une fois la rémission clinique obtenue, il
convient d’administrer au minimum deux à trois ECT supplémentaires pour
consolider le résultat. L’ECT n’a qu’un effet transitoire : un relais doit impérativement être pris soit par une chimiothérapie antidépressive en ne méconnaissant pas le délai minimum de 3 semaines pour qu’elle soit active, soit par
la poursuite de séances d’ECT dites de consolidation (environ 4 mois) pour
éviter les rechutes précoces, dont la probabilité de survenue est maximale
dans les 2 mois qui suivent les ECT. En cas de pathologies récurrentes et
d’absence d’efficacité des médicaments reconnue et documentée, il faut
envisager les ECT d’entretien ou de maintenance (ECT-M), au-delà de la
période de consolidation, pour éviter les récidives et s’engager dans la
prophylaxie (7).
Sur les modalités d’administration : l’ECT unilatérale permet d’induire moins d’effets cognitifs. De notre point de vue, le recours à l’ECT unilatérale peut être un choix de deuxième intention en cas de mauvaise tolérance du
patient à l’ECT bilatéral, qui est souvent la règle.
La question n’est plus aujourd’hui de s’interroger sur la puissance
d’action des ECT mais bien plutôt de garantir l’excellence des conditions de
leur pratique (1) et du maintien de leurs résultats à long terme. L’utilisation d’un
courant fait de trains d’ondes brèves pulsées doit être la règle aujourd’hui.
C’est du degré de dépassement du seuil épileptogène que la crise convulsive
tirera sa robustesse, objectivable par l’EEG perictal, avec notamment une
rapide suppression de l’activité bioélectrique corticale (SABC) objectivée par
une ligne d’EEG « plate » très nette en fin de crise. Cette séquence est la plus
corrélée à l’efficacité clinique (8). Il est donc impératif de réunir les conditions
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DÉPRESSION
25
idées actuelles
ÉVOLUTION DES TRAITEMENTS
p a r
é l e c t r o c h o c s
d’obtention de cette SABC. Ceci impose de disposer d’appareils ECT délivrant
un courant bref pulsé à ondes carrées délivré par trains. Somatics et Mecta
Corporation offrent la possibilité indispensable aujourd’hui d’un enregistrement
EEG perictal contemporain de l’administration du stimulus.
Nous sommes maintenant en mesure de diminuer très sensiblement les effets d’amnésie antérograde et rétrograde en utilisant le courant ultrabref (impulsion minimale de 0,3 ms). La différence est frappante, du jour au
lendemain pour les équipes qui ont pu s’équiper avec ces nouveaux matériels
(Mecta™ 5000 Q et Thymatron™ IV).
130
L’avenir du concept. Il s’agit essentiellement de l’élucidation des
mécanismes d’action des ECT. Quelques techniques de stimulation cérébrale
sont développées depuis ces dernières années, qui restent du domaine de la
recherche : la rTMS (stimulation magnétique transcrânienne répétée), la DBS
(Deep Brain Stimulation), la VNS (Vagus Nerve Stimulation), la FEAST (Focally
Electrically Applied Seizure Therapy), la MST (Magneto Stimulation Therapy).
Certaines de ces techniques trouvent des indications parfois très précises et
très intéressantes (TOC, Parkinson), mais aucune n’a montré jusqu’à présent
qu’elle pouvait remplacer l’ECT. On peut supposer que la compréhension
intime des mécanismes d’action permettra de se passer du protocole d’anesthésie qui rend la pratique des ECT lourde et grevée d’effets indésirables, au
premier rang desquels les effets cognitifs.
Que sait-on à l’heure actuelle des mécanismes d’action ? Le
premier constat est que l’ECT induit bien une activité anticonvulsivante croissante au fur et à mesure des séances. La théorie dite « anticonvulsivante » des
ECT (3, 8) est probablement celle qui a le mérite d’être la plus intégrative des
données actuelles. Elle est compatible avec les effets neurotrophiques des ECT
et des antidépresseurs, elle est cohérente avec les effets observés sur le plan
métabolique et fonctionnel (inhibition GABA).
La pratique des ECT requiert une équipe rodée, dont les
membres sont formés au sens des différents paramètres qui influencent positivement l’issue d’un traitement par ECT afin d’écarter le risque d’être plus
délétère que thérapeutique. L’ECT d’entretien (ECT-M) a une place sousutilisée en psychiatrie eu égard à la proportion de troubles qui ne répondent
qu’aux ECT et dont l’algorithme de traitement consisterait à poursuivre au
long cours ce qui a permis de sortir de l’épisode. Pour certains patients, l’épisode semble se poursuivre sur la vie entière, ce qui justifie le maintien des antidépresseurs et donc également des ECT-M pour certains d’entre eux. C’est
donc l’expérience pratique et clinique qui guide ce choix pragmatique. L’ECT-M
ne trouvera une place croissante chez les patients qui en ont besoin que si la
pratique des ECT-M ambulatoires s’étend (2, 3).
ÉVOLUTION DES TRAITEMENTS
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é l e c t r o c h o c s
DÉPRESSION
25
idées actuelles
Nous ne savons toujours pas comment agit le traitement le plus
puissant pour traiter les dépressions les plus sévères, mais si les ECT doivent délivrer un jour leur mystère, cela passera par une méthodologie dont nous devons
être déjà les garants, même si notre ignorance reste encore grande.
G
bibliographie
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131
Directeur des publications : Dr Pierric Couturier
Conception graphique, mise en pages : Jacques Michel
Coordination et suivi technique : Audrey Loÿs
Relecture : Manuella Montanary
© Brain Storming SAS
122, avenue du Général Leclerc
75014 Paris
[email protected]
Imprimé en UE
ISBN : 2–915442–92–4
ISSN : 1769–5953
Dépôt légal : mars 2007

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