LE LIEN SOCIAL EST-IL EN CRISE ? Plan du chapitre Notions à
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LE LIEN SOCIAL EST-IL EN CRISE ? Plan du chapitre Notions à
LE LIEN SOCIAL EST-IL EN CRISE ? Plan du chapitre I – La cohésion sociale dans les sociétés individualistes A. L'intégration sociale chez Durkheim : solidarité mécanique et solidarité organique 1) La solidarité mécanique dans les sociétés traditionnelles 2) La solidarité organique dans les sociétés modernes 3) La coexistence des deux formes de solidarité B. L'individualisme, une menace pour la cohésion sociale ? 1) La notion d'individualisme 2) Une tendance qui fragilise le lien social ? II – Une fragilisation du lien social ? A. Les transformations de la famille fragilisent son rôle d'intégration 1) Des changements affectent la famille... 2) ... et semblent fragiliser son rôle intégrateur 3) Pourtant la famille continue de jouer un rôle essentiel dans l'intégration et la cohésion sociale B. Le travail entre intégration et exclusion 1) Le travail au cœur de l'intégration 2) Les transformations du travail et de l'emploi menacent son rôle intégrateur C. Les défis de l'intégration par l'école 1) Une instance d'intégration centrale... 2) … aujourd'hui mise en difficulté ? D. Le rôle de l’État dans l'intégration Notions à connaître – – – acquis de la classe de Première : Socialisation, capital social, sociabilité, anomie, désaffiliation, disqualification, réseaux sociaux notions à acquérir : Solidarité mécanique/organique, cohésion sociale notions complémentaires : lien social, intégration, normes, valeurs, instances d'intégration Après avoir présenté l’évolution des formes de solidarité selon Durkheim, on montrera que les liens nouveaux liés à la complémentarité des fonctions sociales n’ont pas fait pour autant disparaître ceux qui reposent sur le partage de croyances et de valeurs communes. On traitera plus particulièrement de l’évolution du rôle des instances d’intégration (famille, école, travail, État) dans les sociétés contemporaines et on se demandera si cette évolution ne remet pas en cause l’intégration sociale. Exemples de sujets de connaissances • • • • Présentez l’évolution des formes de solidarité selon Durkheim. Comment l’État contribue‐t‐il à la cohésion sociale ? En quoi le rôle de l’école dans l’intégration sociale s’est transformé dans les sociétés contemporaines ? En quoi la solidarité organique se distingue-t‐elle de la solidarité mécanique chez Durkheim ? • • • Comparez la solidarité organique et la solidarité mécanique. Comment se réalise l’intégration sociale d’un individu ? Comment le développement de l’individualisme se traduit‐il dans les familles ? Exemples de sujets de dissertation/d'épreuve composée • • • • • Quel est le rôle de l’école dans l’intégration sociale aujourd’hui ? Vous montrerez que le rôle de la famille dans l’intégration sociale a évolué. Quels sont les effets de la montée de l’individualisme sur la cohésion sociale ? Quel rôle joue le travail dans l’intégration sociale ? En quoi l’école favorise‐t‐elle la cohésion sociale ? • • • • 1/9 La pauvreté est‐elle un obstacle à la cohésion sociale ? Analysez les formes du lien social aujourd’hui en France. Comment la cohésion sociale s’est‐elle transformée depuis environ cinquante ans ? L’évolution du rôle des instances d’intégration remet‐ elle en cause l’intégration sociale ? • • • • Quelle est la contribution de l’école à la cohésion sociale en France aujourd’hui ? • Analysez l’importance du rôle joué par les solidarités familiales aujourd’hui. Quels sont les effets des évolutions du marché du travail sur l’intégration sociale ? En quoi le lien entre travail et intégration sociale est‐il fragilisé par certaines évolutions de 2/9 • • l’emploi ? Comment le travail favorise l’intégration sociale ? Montrez que la massification de l’école n’a pas permis de faire disparaître toutes les inégalités. Montrez que le travail ne permet pas à lui seul d’assurer la cohésion sociale. Introduction Doc 1 p. 236 Questions 1 à 3 Le lien social au cœur de la cohésion sociale Une triple dimension du lien social La notion d'intégration sociale, une notion complexe I – Les fondements du lien social dans les sociétés contemporaines A. Les deux formes du lien social selon Durkheim Doc 2 p. 210 Question 3 1) La solidarité mécanique dans les sociétés traditionnelles La solidarité mécanique est une forme de cohésion sociale qui repose sur la similitude des membres de la société, leur respect des normes et des valeurs traditionnelles, propre aux groupes faiblement différenciés. 2) La solidarité organique dans les sociétés modernes La solidarité organique est à une forme de cohésion sociale qui repose sur l'interdépendance des individus, dans les sociétés fortement différenciées. 3) La coexistence des deux formes de lien social L a religion crée du lien social dans le temps et dans l'espace, dans le temps car elle implique une transmission, dans l'espace avec les diverses formes de solidarité et d'appartenance que génèrent les religions. […] Les religions font société différemment, tant au plan institutionnel que communautaire, et les formes de sociabilité qui s'y manifestent ne sont pas les mêmes. […] La religion relie à des ancêtres, à des témoins et fondateurs du passé, elle dessine des « lignées croyantes » […] ; la religion crée de la solidarité communautaire, relie les gommes entre eux à travers la pratique de rites, le partage de récits et la référence à des figures fondatrices. Les personnes qui se retrouvent pour une quelconque activité dans un cadre religieux interagissent entre elles de façon spécifique : il ne s'agit pas d'une réunion familiale, amicale, politique, syndicale, culturelle..., il s'agit d'une rencontre où les personnes qui interagissent ont le sentiment d'être rassemblées au nom d'un Autre. J.-P. Willaime, « La religion : un lien social articulé au don », Revue du MAUSS, n° 22, février 2003. • L Quelle forme de lien social relie les croyants ? e ghetto est un monde à part. Il est doté de ses règles propres, un mélange de valeurs dominantes et de normes plus ou moins cachées et implicites qui organisent la vie collective et la vie de chacun. Le ghetto protège ainsi ses habitants du monde extérieur, des humiliations et des échecs. Il procure les ressources sociales et culturelles nécessaires à la survie. Il offre le cadre dans lequel la dignité de chacun est reconnue. Pour le construire, les habitants se replient sur leurs relations primaires, la famille, le groupe de pairs. Ils exacerbent les définitions traditionnelles des rôles de genre. Ils en font une morale sociale contraignante, bigote et parfois brutale. Dans cet univers de l'interconnaissance, chacun se définit et est reconnu comme un individu, doté d'un certain degré de prestige ou d'une réputation, chacun est identifié par son caractère. Mais le prix à payer est particulièrement lourd : la solitude, y compris à l'intérieur de la famille, est la contrepartie de l'identification rigide aux rôles et à la performance de genre. L'individu se doit de rester secret. Il n'a pas sa place dans cet univers. Personne ne peut se révéler à quelqu'un d'autre. D. Lapeyronnie, Ghetto urbain : ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd'hui, Robert Laffon, coll. « le monde comme il va », 2008. • • En quoi le ghetto fonctionne-t-il selon le principe de la solidarité mécanique ? Expliquez la phrase soulignée B. La montée de l'individualisme menace-t-elle le lien social ? 1) La notion d'individualisme La montée de l'individualisme désigne ce phénomène de différenciation des individus qui se trouvent moins animés par une conscience collective. On l'assimile souvent à un repli sur la sphère privée mais elle reflète surtout l'autonomie croissante des individus vis-à-vis du groupe, par opposition à des logiques communautaires selon lesquelles les personnes sont liées par une forte conscience collective et une similarité des conditions de vie. 3/9 D epuis quelques années, domine l'impression d'une société qui se défait et d'une crise du lien social. Cette crainte n'est pas nouvelle. Elle apparaît dès le XIXème siècle. L'Occident a inventé avec la Révolution Française, une société qui rompt avec les sociétés traditionnelles, dites « holistes », centrées sur le « tout » comme principe de base, une société paradoxale, une société « individualiste », centrée sur l'individu comme cellule de base. [...] Le fait que les individus contemporains soient « individualisés » ne signifie pas qu'ils aiment être seuls, que leur rêve soit la solitude. Il veut dire que ces individus apprécient d'avoir plusieurs appartenances pour ne pas être liés par un lien unique. Pour exprimer schématiquement, le lien social serait composé de fils moins solides que les fils antérieurs, mais ils en comprennent nettement plus. […] La multiplication des liens d'appartenance engendre une diversité des liens qui, pris un à un, sont moins solides, mais qui, ensemble, font tenir et les individus et la société. Pour en rester à la métaphore religieuse pour exprimer le lien social, la religion des temps modernes est nettement moins monothéiste. Le polythéisme des dieux et des valeurs crée une impression de désordre, mais on en oublie trop l'intérêt : rendre compatible le respect de l'individu et son adhésion à des collectifs. C'est en pouvant se déplacer d'un groupe à un autre, en pouvant prendre distance de ses proches, que l'individu individualisé peut à la fois se définir comme un membre d'un groupe et comme doté à la fois d'une personnalité indépendante et autonome. F. de Singly, Les Uns avec les autres – Quand l'individualisme crée du lien, Armand Colin, 2003. • • Quelles sont les inquiétudes associées à la montée de l'individualisme ? Sont-elles justifiées selon l'auteur ? 2) Une tendance qui fragilise le lien social ? Répartition (en %) es individus selon leurs niveaux de revenus 1 et le nombre de leurs réseaux sociaux actifs2 Moins de 1 000 € par mois 1 000 à 1 499 1 500 à 2 499 2 500 à 3 499 3 500 à 4 500 Plus de 4 500 Ensemble de la population Aucun réseau 18 7 9 6 8 5 9 Un réseau 26 24 24 18 21 24 23 Aucun réseau ou un seul réseau 44 31 33 24 29 29 32 Deux réseaux 35 38 29 32 29 29 32 Trois réseaux 17 21 27 26 26 21 24 4 9 11 19 16 21 12 Quatre réseaux ou plus 1. Revenus nets mensuels du ménage 2. Sont considérées ici les relations sociales au sein des cinq grands réseaux de sociabilité : familial, professionnel, associatif, amical, de voisinage. Source : Fondation de France, Les solitudes en France : l'impact de la pauvreté sur la vie sociale, juillet 2010. • • • Cherchez ce qu'est un réseau social (en théorie : acquis de Première) et la définition de la sociabilité. Après avoir présenté le document, vous montrerez que la pauvreté a un impact sur les relations sociales. Comment pouvez-vous expliquer le constat fait à la question précédente ? 4/9 II – Des instances d'intégration en crise ? Le processus d'intégration s'opère dans différents lieux : la famille, l'école, le travail... mais également par la mise en place de dispositifs précis comme la protection sociale. Il s'agit donc maintenant de se pencher sur ces instances d'intégration, et de s'interroger sur les évolutions récentes qu'elles ont connues. Or toutes ces instances d'intégration connaissent des transformations qui les fragilisent dans leur rôle intégrateur. Est-ce le lien social qui alors entièrement menacé ? A. La famille 1) Des changements affectent la famille... Des évolutions démographiques qui transforment la famille 1960 1970 1980 1990 2000 2005 2009 319 944 393 686 334 377 287 099 297 922 276 303 245 151 - - - - 22 108 59 837 173 045 Divorces 30 182 38 949 81 156 105 813 114 005 152 020 127 573 Naissances 819 919 850 381 800 376 762 407 774 782 774 355 793 420 6,1 6,8 11,4 30,1 42,6 47,4 52,9 Mariages Pacs Naissances hors mariage (en %) Source : Ined • • Après avoir présenté le document, vous décrirez les principales transformations qu'a connues la famille depuis les années 1960. Le processus d'individualisation permet-il d'expliquer certaines évolutions constatées ? Doc 1 p. 240 • Après avoir présenté le document, vous décrirez les principales transformations de la famille qu'il met en évidence. S i dans l'isoloir les citoyens peuvent avoir la nostalgie d'une société bien tenue, ils ne veulent pas d'un tel ordre dans leur vie personnelle. Tel est le cas pour le mariage rendu plus fragile avec le divorce par consentement mutuel. Cette précarité à des effets qui ne sont pas toujours positifs au moment de la séparation pour les partenaires et pour leurs enfants. Personne n'ose cependant proposer la suppression d'un tel divorce. […] Ainsi, apparaît une contradiction principale des sociétés contemporaines : si les individus souhaitent plutôt un lien social « fort », ils ne veulent pas, pour autant, en payer le prix qui consisterait à diminuer leur liberté. Ils apprécient aussi ce lien social moderne électif. On le saisit avec une dénonciation qui fait l'unanimité, celle du lien traditionnel qui unit les époux dans un mariage arrangé, dans un mariage forcé. En Inde, un père n'est-il pas satisfait d’avoir marié le même jour tous ses fils, âgés de 4 à 14 ans, à des petites filles du même âge ? Signe d'une alliance entre groupes, un tel mariage prend peu en compte les individus. Il en existe des traces encore dans les sociétés occidentales mais le « droit d'aimer » fait aujourd'hui partie des droits approuvés. L'indignation ressentie à l'évocation des mariages arrangé renvoie au fait que l'amour doit être libre même dans le mariage. Un couple réunit deux individus qui se sont choisis et qui ne sont pas contraints de rester pour d'autres raisons que leurs propres satisfactions. L'amour forme une des figures centrales du lien dans les sociétés contemporaines. […] Pour résoudre la contradiction entre l'élection et la permanence de l'union, Durkheim pensait que les époux devaient changer de nature une fois mariés : libres à l'entrée, ils devenaient ensuite, selon son expression, des « fonctionnaires de la vie domestique ». Cette formule magique, pour être efficace, présupposait que l'individu renonce à sa liberté, ne pouvant plus, selon les exigences de l'institution, rompre un lien même trop serré, même étouffant. Un tel renoncement est devenu irréaliste, les individus contemporains se définissant d'abord par ce sentiment de liberté. F. de Singly, Les Uns avec les autres – Quand l'individualisme crée du lien, Armand Colin, 2003. • Quel est l'impact de l'individualisation sur la famille ? 2) ... et semblent fragiliser son rôle intégrateur Doc 2 p. 240 Questions 1 à 3 5/9 3) Pourtant la famille continue de jouer un rôle essentiel dans l'intégration et la cohésion sociale Doc 3 p. 241 Questions 1 à 4 Les aides reçues et données au sein de la famille en % Aides reçues Âge Sexe Revenus mensuels du foyer Aides données Aide financière Service rendu Soutien moral Aide financière Service rendu Soutien moral 15-24 ans 76 93 89 37 91 91 25-39 ans 53 92 79 43 87 87 40-59 ans 30 78 10 53 83 83 60-69 ans 25 75 64 51 76 76 70 ans et plus 15 76 73 30 69 69 Hommes 35 82 69 45 81 81 Femmes 47 85 80 46 85 85 Inférieurs à 900 € 45 75 75 30 69 69 De 900 à 1 500 € 44 84 78 10 82 82 De 1 500 à 2 300 € 44 82 72 50 86 86 De 2 300 à 3 100 € 43 88 79 51 90 90 Supérieurs à 3 100 € 31 89 74 61 90 90 Champ : 1 015 personnes âgées de 15 ans et plus, résidant en France métropolitaine, ont été interrogées en mai 2007 Source : Credoc, Le baromètre des solidarités familiales en France, 2ème vague, 2007. • • Faites une phrase avec les données soulignées. Les aides reçues et données varient-elles selon l'âge ? Selon le sexe ? B. Le travail 1) Le travail au cœur de l'intégration Doc 1 p. 244 Questions 1 et 2 2) Les transformations du travail et de l'emploi menacent son rôle intégrateur Des emplois de plus en plus incertains Emplois (en % de l'emploi total) 1982 1990 2002 2007 Formes particulières d'emplois 5,4 8,2 11,5 12,3 Contrats à durée déterminée et saisonniers 3,7 4,8 6,6 7,1 Intérimaires 0,4 0,8 1,7 2,1 Stagiaires et contrats aidés 0,6 1,8 2,2 1,7 Apprentis 0,7 0,8 1 1,4 Actifs occupés à temps partiel 9,2 12 16,2 17,2 Sous-emploi 1 Nd 3,9 5 5,5 1. correspond aux personnes travaillant à temps partiel mais qui souhaiteraient tavailler davantage J.-L. Dayan, « L'emploi, nouveaux enjeux », Insee, 2008. • • Après avoir présenté le document, vous décrirez comment a évolué l'emploi atypique en France puis les années 1980. Pourquoi les emplois précaires sont-ils susceptibles de fragiliser le lien social ? 6/9 A utrefois, le terme « question sociale » désignait l'existence d'un important prolétariat, qui menait une existence très difficile alors même qu'il travaillait beaucoup. Les Trente Glorieuses ont réduit cette question sociale-là, et beaucoup ont cru qu'elle disparaîtrait même grâce à une sorte de « moyennisation » de la société française, c'est-à-dire de grande classe moyenne, pas forcément aisée, mais capable au moins d'accéder aux normes sociales de base de la société urbaine dans laquelle nous vivons : logement, voiture, vacances, loisirs. La pauvreté laborieuse, le chômage de longue durée et l'exclusion sont venus démentir cette prédiction. Le risque majeur, désormais, est que les travailleurs pauvres, abonnés aux « petits boulots » et aux temps partiels sans avenir, continuent à voir leur nombre progresser. C'est cela, le « retour de la question sociale ». Mais avec deux nuances de taille. D’une part, le prolétariat des années 1850-1950 était organisé et combatif, les travailleurs pauvres – des travailleuses dans plus d'un cas sur deux – sont isolés et résignés. […] D'autre part, ce même prolétariat avait moins besoin d'emploi – il en avait, le plus souvent – que de protection sociale, alors que les travailleurs pauvres ont besoin d'emploi digne plus que de protection sociale, le premier leur assurant l'accès à la seconde. Entretien avec D. Clerc par P. Petit, « Vers un retour de la question sociale au cœur de la crise », Marianne2, 9 octobre 2008 • • • • Qu'est-ce qu'un travailleur pauvre ? Comment se traduit le « retour de la question sociale » ? Expliquez le passage souligné. Comparez la question sociale d'hier et d'aujourd'hui. Doc 3 p. 245 Questions 1 et 2 P our définir le lien social, on pet prendre en compte ce fondement essentiel qu'est la protection, c'est-à-dire le fait de pouvoir se dire « je peux compter sur qui ? Je peux compter sur un système de protection sociale généralisée mais si celui-ci s'écroule, je peux compter sur qui ? Sur mes proches, certes, sur ma famille, sur mes collègues de travail, etc. » Mais ce n'est pas la seule dimension du lien social : l'autre dimension, tout aussi fondamentale, est de savoir « est-ce que je compte pour quelqu'un ? ». [Le lien social] conduit finalement à donner à l'individu le sentiment qu'il est reconnu par autrui, c'est-à-dire par le regard que portent les autres sur lui. […] Dans le processus de disqualification sociale que j'ai décrit et analysé dans mes travaux, on peut souligner al double dimension de la perte d'un certain nombre de protections et d'une certaine insécurité économique et sociale, du fait de ne plus avoir un emploi stable par exemple, du fait d'avoir rompu avec un certain nombre des membres de sa famille, et de ne plus pouvoir compter sur une protection sociale universelle. Mais cela n'est pas tout. En même temps, une personne en situation de pauvreté voit sa position menacée dans la société en général. Le statut qui la caractérise est un statut qui correspond finalement à la dernière strate de la société. La personne pauvre est désignée socialement comme appartenant à un ensemble social que d'aucuns considèrent comme extrêmement dévalorisant, et peut-être même que certains caractériseraient comme étant le produit d'une certaine incompétence, d'une irresponsabilité sociale, parfois même de la paresse. C'est cette double dimension, celle liée au fait de manquer d'appui et d'être vulnérable du point de vue de la protection que l'on peut avoir, mais aussi d'être sous un regard méprisant mettant en relief son inutilité, qui caractérise le processus de disqualification sociale. F. de Singly, Les Uns avec les autres – Quand l'individualisme crée du lien, Armand Colin, 2003. • • • Qu'est-ce que l'auteur appelle « disqualification sociale » ? En quoi le chômage peut-il être à l'origine du processus de disqualification sociale ? L'exclusion est-elle seulement un phénomène économique ? L undi dernier, Nicolas, jeune SDF, s'enchaînait devant la mairie de Draveil (91). Cadenassé à un poteau de signalisation interdisant le stationnement, le jeune homme de vingt et un ans se voulait « décidé ». Les traits tirés par la fatigue et l'air grave, il se dit « déterminé jusqu'à la mort ». « Je ne partirais pas d'ici avant d'obtenir un logement. Je ne peux plus me permettre d'attendre », expliquait-il. La nuit, il s'attache par les pieds pour dormir dans une tente de fortune. À la rue depuis six mois, à la suite d'un « conflit familial », le jeune homme enrage : « j'ai tout essayé. Je travaille depuis l'âge de quatorze ans. J'ai cherché dans le public, dans le privé. Sans succès. » Éternelle rengaine chaque jour plus insupportable. « Soit je touche trop soit pas assez et je n'ai ni garant ni caution à apporter. C'est usant. » Un dossier de logement social a été déposé à a Draveil. Sans suite. […] Sa crainte : perdre son emploi. « Pour le moment, mon employeur est compréhensif, mais ça ne pourra pas durer éternellement. Si je n'ai pas de logement, je vais me faire virer et, sans emploi, je suis condamné à rester SDF. Je suis quoi pour la société ? À quoi bon continuer dans ces conditions ? » s'interrogeait-il ? […] Préparateur en commandes en fruits et légumes, en CDD depuis trois ans au marché de Rungis, Nicolas s'interroge sur son sort. « Je ne comprends pas. Je ne demande rien hormis un logement. Je ne suis pas fainéant. Je travaille. J'embauche tous les jours à quatre jeures du matin. » Son premier mois sans toit, Nicolas l'a passé à l'hôtel. « Je gagne 1 300 euros, je ne peux pas me permettre tous les mois de claquer 1 000 euros à l'hôtel. » […] Hier après-midi, la nouvelle est tombée. Il sera hébergé à l'hôtel, en attendant d'obtenir une place en foyer de jeunes travailleurs. L. Decottignies, L'Humanité, 29 juillet 2011. 7/9 À ma gauche, Christiane : 574 CDD en dix-sept ans. À ma droite, Marylène : 377 CDD en dix ans. Encore un coup de MacDonald's ? ou de sous-traitants indiens ? Tout faux. C'est la Poste – le plus grand employeur de France, entreprise nationale à 100 % et dont le PDG est nommé en Conseil des ministres – qui a été sans doute l'un des plus grands organisateurs de la précarité dans les années 1990, en franchissant allègrement et secrètement les frontières de la légalité : « Moi, confirme Christiane, le plus court de mes 574 CDD, ça a été un jour, et plus long, pour remplacer une factrice qui était partie à la Réunion, six mois. J'étais la roue de secours. On m'appelait la veille pour le lendemain, pour la tournée du matin. Parfois le téléphone sonnait à 6h30 pour embaucher le jour même à 7h. Je remplaçais les gens malades ou en congés […]. Entre deux contrats, je ne faisais plus partie de La Poste, et on le sentait soi-même qu'on n'était pas grand-chose. Alors que j'ai travaillé pendant dix-sept ans, je n 'ai jamais eu de tenue de factrice. Certains collègues ne se servaient pas de leurs vêtements et me les donnaient, mais les vestes étaient rarement à ma taille. Quand j'étais à vélo, je devais emprunter les pantalons de pluie à ceux qui étaient en voiture. Avec les collègues, on sent parfois qu'on ne fait pas vraiment partie, on n'est pas aidé. Le titulaire ne vous donne pas beaucoup de conseils, alors qu'eux ont l'habitude des tournées, et nous on met plus de temps ». […] Cette précarité statutaire crée à la fois un décalage invisible entre les employés d'une même entreprise et une insécurité financière tangible puisqu'on ne connaît pas son salaire en fin de mois, selon qu'on aura travaillé vingt jours, deux jours, ou seulement quelques heures. Mais elle engendre surtout une vie personnelle discontinue, avec des répercussions profondes sur le quotidien, la vie de famille, l'accès aux loisirs. « J'attendais toujours après mon téléphone, raconte Marylène. Je ne pouvais rien prévoir du tout dans ma vie. Je ne pouvais pas prévoir les vacances avec les enfants, les crédits pour la maison, les sorties, les week-ends, d'autant que comme je faisais des remplacements, je travaillais presque tout le temps le samedi et pendant les vacances scolaires, presque tous les étés, et ça, ça a été lourd pour mes enfants. Je ne pouvais pas non plus prévoir un rendez-vous chez le dentiste, d'aller chercher mes enfants à l'école... Comme j'avais peur de refuser une proposition car on m'avait dit qu'alors je ne serai pas rappelée, je ne prévoyais jamais de grandes choses. Un mercredi, j'ai même été obligée d'annuler l'anniversaire d'un de mes enfants, alors qu'on avait déjà invité les copain. J. Confavreux, « Précaires du public », in La France invisible, La Découverte, 2008. C. Les défis de l'intégration par l'école 1) Une instance d'intégration centrale Doc 1 p. 242 • Après avoir présenté le document, vous décrirez l'évolution des bacheliers en France depuis le XIXème siècle. L 'école républicaine, ouverte sur le monde, est un espace de rencontre avec les savoirs, le creuset des repères sociaux, le lieu d'appropriation et de partage des valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité, laïcité, sûreté... Dans le système complexe dans lequel elle prend place, trois éléments interdépendants contribuent à faire de l'école républicaine un espace d'intégration sociale : 1- une école de proximité, de voisinage, de village, de quartier pour le niveau primaire ; 2- une école qui accueille tous les élèves où ne se pose pas la question du recrutement, du niveau social des élèves accueillis, de leur nationalité, de leur culture d'origine, de leurs caractéristiques physiques ou intellectuelles ; Grandes dates des réformes du système scolaire français : 1881 : Gratuité de l'enseignement primaire 1882 : Obligation scolaire de 6 à 13 ans et laïcité de l'enseignement primaire 1930 : Gratuité de l'enseignement secondaire 1936 : Obligation scolaire portée à 14 ans 1959 : Obligation scolaire portée à 16 ans 1975 : Création du collège unique 1984 : Création des zones d'éducation prioritaire (ZEP) 2008 : Assouplissement de la carte scolaire 3- une école qui, par la transmission des connaissances, contribue à l'appropriation des valeurs et des codes du « vivrez ensemble » dans une société organisée ; et prépare à l'entrée dans la vie sociale et professionnelle. Haut Conseil à l'intégration, Les défis de l'intégration à l'école, Rapport au Premier ministre pour l'année 2010. • • • Par quels moyens l'école exerce-t-elle sa fonction d'intégration ? De quelles façons les différentes scolaires permettent-elles de prendre en compte ces missions ? Regroupez les différentes réformes scolaires en fonction de leur objectif. 2) Aujourd'hui mise en difficulté ? Doc 2 p. 242 Questions 1 à 3 8/9 Doc 3 p. 243 • Après avoir présenté le document, vous montrerez que la situation professionnelle d'un individu dépend de sa scolarité. Doc 4 p. 243 Questions 1 à 4 D. Le rôle de l’État dans l'intégration Doc 1 p. 246 Questions 1 à 4 Doc 2 p. 246 Questions 1 à 4 A près la Seconde guerre mondiale, l'intervention de l’État dans l'économie et la société prend toute son ampleur,avec la généralisation des systèmes de Sécurité sociale et la mise en place des politiques de redistribution des revenus. Le ralentissement de la croissance au milieu des années 1970 et la modification du contexte économique suscitent des interrogations d'une triple nature sur l'intervention de l’État-providence. Une crise de solvabilité : le financement de la protection sociale est rendu de plus en plus difficile, en raison du ralentissement de la croissance et de l'augmentation des besoins sociaux. Ces difficultés se traduisent par une progression continue du taux de prélèvements obligatoires Une crise d'efficacité : les inégalités se creusent malgré l'effet redistributif de la protection sociale ; les dispositifs mis ne place dans le passé paraissent de moins en moins adaptés aux besoins d'une société qui s'est beaucoup transformée. Une crise de légitimité : la solidarité nationale fondée sur un système de protection collective semble se heurter à une montée des valeurs individualistes. En effet, les mécanismes impersonnels de prélèvements et de prestations sociales, caractéristiques de l’État-providence, ne satisfont plus des citoyens à la recherche de relations moins anonymes et d'une solidarité davantage basée sur des relations interindividuelles. Les difficultés de financement de la protection sociale, les doutes quant à son efficacité et sa légitimité caractériseraient, selon P. Rosenvallon, une « crise de l’État-providence ». www.vie-publique.fr, 2011. • • • • Quel est le rôle de l’État-providence dans l'intégration ? Sur quels grands principes reposent l’État-providence ? À quelles difficultés est-il confronté aujourd'hui ? En quoi ces difficultés remettent-elles en question sa fonction intégratrice ? 9/9