QUEL AVENIR POUR LA RADIO
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QUEL AVENIR POUR LA RADIO
112 _ 113 ENQUÊTE LA RADIO QUEL AVENIR POUR LA RADIO ? Avec l’arrivée de la Radio Numérique Terrestre (RNT), des radios connectées, des plateformes de streaming, du podcast, la radio est en train de vivre à son tour sa révolution numérique. Elle se modifie dans son propre univers médiatique et dans les usages qu’on en fait. À quoi ressemblera l’avenir de la radio6? Comment consommerons-nous le son6? Quels seront les liens avec les autres médias6? La radio de demain sera-t-elle toujours une radio ou sera-t-elle fusionnée dans le grand mix Internet6? Tour d’horizon avec Pierre Bellanger et Alain Weill, deux figures emblématique du secteur. Propos recueillis par Marc Labernadière “La radiodiffusion va s’intégrer à l’univers de l’IP” Depuis l’apparition de la FM la radio semble être un média «2figé2». Est-ce le cas ou est-ce un leurre2? Le son est plus facile à traiter et transmettre que l’image. Le son, donc la radio, a précédé la vidéo dans tous ses usages-: flux, téléchargement, partage, plateforme d’hébergement, personnalisation, édition, etc. La radio est le média le plus innovant par la grâce de sa légèreté. Pierre Bellanger, président de Skyrock Comment avez-vous contribué à la modernisation de ce média2? Nous avons toujours fait ce que nous ressentions. Nous sommes la libre expression populaire de la nouvelle génération. Nous avons chaque fois exprimé cet ADN-: en FM avec le rap et la radio libre de Difool, sur Internet avec la liberté créative des blogs et nous réinventons aujourd’hui cette liberté sur les terminaux mobiles. Nous contribuons à l’émancipation de la nouvelle génération, à sa reconnaissance et à son autonomie de pensée et de parole grâce à des outils, des réseaux et des audiences qui mettent une génération en direct avec elle-même. Notre vertu est peut-être là, démar- ginaliser la nouvelle génération en la plaçant au centre de la société. Quelle place occupera à l’avenir la radio dans le mix média/? La radio se défi nit comme une présence sonore, une présence c’est-àdire un accompagnement sonore auprès de soi dans l’instant présent. Cette intimité qui ne mobilise pas l’œil est la force de la radio. La radio sur Internet, la radio IP, est mieux que l’Internet visuel. L’Internet visuel mobilise l’œil et donc votre activité. L’Internet audio vous laisse votre liberté visuelle, un atout majeur. La RNT marque-t-elle une révolution dans la numérisation des contenus radiophoniques/? La RNT dans sa forme actuelle est une impasse car elle s’imagine à part de l’écosystème Internet. La radio IP apporte une diffusion universelle sans contrainte et la possibilité d’insérer des publicités correspondant aux utilisateurs. Avec la numérisation de ses contenus, le terme «/radiodiffusion/» risque-t-il de disparaître/? En d’autres termes, la radio est-elle soluble dans Internet/? La radiodiffusion va s’intégrer à PIERRE BELLANGER, ROCK, BLOG, RAP & R’N’B Pionnier des radios libres, Pierre Bellanger fonde dès 1982 la station parisienne «GLa Voix du LézardG» qui deviendra par la suite Skyrock. Ayant compris que ses jeunes auditeurs recherchaient avant tout un canal d’expression susceptible de les représenter, il lance en 2002 skyblog.com qui deviendra une des principales plateformes de blog en France. Il est aussi l’auteur du livre La radio IP, une vision de la radio à l’âge d’Internet disponible en téléchargement sur Internet. l’univers de l’IP. Il existera une radiodiff usion IP pour délester les réseaux télécoms. D’un point de vue artistique, la radio est une présence sonore. Qui dit présence dit être humain et donc talent. On ne remplace pas un talent par un disque dur. La technologie est un accélérateur magique des radios vivantes, elle est dévastatrice pour les radios neutres sans vie ajoutée. mais chacun entendra des publicités qui lui correspondent. Se développent également les services musicaux – à ne pas confondre avec la radio – qui sont de nouvelles formes intelligentes d’accès et de distribution de la musique permettant toutes les formules d’écoute. L’ensemble est une révolution de l’accès à la musique de la magnitude de ce qu’a été l’imprimerie pour le livre. Quels peuvent être les modèles économiques pour les nouveaux modes d’accès à la radio/? Les nouvelles plateformes de diffusion musicales/? Le modèle économique passera par la personnalisation publicitaire rendue possible par la radio IP. Tout le monde écoutera le même programme Quelle est, selon vous, la qualité intangible de la radio/? La voix humaine en direct. LA TECHNOLOGIE EST UN ACCÉLÉRATEUR MAGIQUE DES RADIOS VIVANTES, ELLE EST DÉVASTATRICE POUR LES RADIOS NEUTRES SANS VIE AJOUTÉE. Quels seront, selon vous, les acteurs majeurs de la radio de demain/? Nous sans aucun doute, les autres peut-être. 114 _ 115 ENQUÊTE LA RADIO “Le marché de la radio est en bonne santé” Quelle est la place de la radio au sein du groupe que vous dirigez-? Historiquement, le groupe s’appelait NextRadio. Sa création, en 2000, a été organisée autour du rachat de RMC puis, quelques mois plus tard, de la reprise de BFM. Ces deux chaînes connaissaient à l’époque des difficultés économiques importantes. Le groupe s’est intéressé à la télévision dans un second temps, à la faveur de l’arrivée de la TNT en 2005… D’où l’évolution de son nom. Le dispositif plurimédia a été complété par la suite avec la reprise d’un groupe de presse magazine spécialisée, le Groupe Tests – qui publie par exemple 01 Informatique – et enfin le développement d’un pôle digital. Tout cela pour dire que la radio constitue le média originel du Groupe. Sa place reste bien évidemment très importante, même si l’objectif poursuivi est bel et bien de créer et d’entretenir des synergies entre les différents médias. Et économiquement, qu’en est-il-? Le marché de la radio est en bonne santé, en France et partout dans le monde. C’est un marché mature mais qui a encore beaucoup d’avenir. Pour le Groupe NextRadioTV, les deux tiers du résultat de l’année proviennent de ce média. Et l’année prochaine sa part sera encore de 50K% du résultat total. Les chiffres que nous avons publiés pour le premier semestre 2012 montrent une hausse de 11K% du chiffre d’affaires de la division radio. Celle-ci, avec une marge opérationnelle de 35K%, fait preuve d’une excellente rentabilité. Les raisons de ce succès sont directement liées aux audiences records enregistrées au printemps sur R MC… Sacha nt que la cha îne dispose encore d’un important potentiel de croissance du fait des nouveaux émetteurs installés récemment sur la moitié nord de l’Hexagone. Alain Weill, président du groupe NextRadioTV ALAIN WEILL ET LES MÉDIAS On entend souvent dire qu’il faut moderniser le média radio, qu’en pensez-vous-? Je pense pour ma part que la radio est déjà un média moderne et puissant qui offre aux auditeurs un très large choix. Depuis sa création, la radio a toujours été moderne. En permettant de transporter la voix, elle a initié une véritable révolution en termes de communication. Rappelons que la radio est le premier média mobile qui a montré la voie à tous les autres, notamment à la télévision. Le meilleur exemple que l’on puisse donner c’est celui de la TNT qui a permis de combler le retard que la télévision avait sur la radio en matière de pluralité des programmes. Le projet de Radio Numérique Terrestre (RNT) constitue-t-il une opportunité pour un groupe comme le vôtre-? Je ne pense pas que la RNT ait d’intérêt aujourd’hui. Si ce projet était mis en place, il supposerait des coûts importants pour les opérateurs radiophoniques avec, Après avoir occupé différents postes au sein de NRJ Group, Alain Weill fonde en 2000 NextRadio et rachète cette même année la station RMC, puis BFM en 2002. Il se lance dans la course à la TNT et inaugure BFMTV en 2005 qui deviendra la première chaîne d’information en continu sur la TNT en termes d’audience. NextRadio est alors rebaptisée NextRadioTV, ouvrant la porte à une stratégie plurimédia confirmée depuis par le rachat des titres du Groupe Tests (01 Informatique, l’Ordinateur Individuel, Micro-Hebdo). notamment, un doublement des coûts de diffusion… Il faut rappeler que de ce point de vue, dans le cas de la TNT, la donne était radicalement différente. Le recours au numérique permettait en effet d’abaisser les coûts, par rapport au hertzien traditionnel dans un ratio de un à six. Sans compter que la RNT engendrerait d’autres coûts pour les auditeurs qui seraient dans l’obligation d’investir dans des récepteurs spécifiques pour en bénéficier. Mais aussi pour l’État, avec la mise en place d’un nouveau réseau hertzien dédié… Et compte tenu du contexte financier actuel, je ne pense pas que le projet de RNT sera poursuivi. Pourtant, des expérimentations sont en cours… Oui, mais on s’aperçoit aujourd’hui que ces expériences ne sont pas concluantes. Il n’y a qu’à regarder ce qui se passe avec la diffusion audionumérique, plus connue sous de l’interactivité entre les stations émettrices et leurs auditeurs. La radio sur IP a donc clairement votre préférence… Effectivement, cette technologie offre de nombreux avantages avec des coûts d’exploitation inférieurs à la RNT. Avec la radio sur IP, il est possible d’accroître de manière presque inf inie l’offre de programmes. Je pense notamment à la possibilité pour les auditeurs d’écouter des stations étrangères ou leurs JE NE PENSE PAS QUE LA RNT AIT D’INTÉRÊT AUJOURD’HUI. son acronyme anglo-saxon de DAB (Digital Audio Broadcasting). Ce dispositif créé dès les années 90 n’a jamais vraiment réussi à percer. Au point que 20 ans après son lancement officiel, il reste complètement marginal. La Radio Numérique Terrestre, ça ne marche pasD! Ceci signifie-t-il que la radio restera cantonnée aux réseaux hertziens5? Non, parce qu’il y a une alternative à la RNT, c’est la radio sur IP, soit la radio sur le Web. Et je crois réellement que cette solution est beaucoup plus intéressante pour le développement de la radio numérique. Ne serait-ce que pour des raisons économiques puisqu’avec cette technologie les coûts de diffusion restent limités. Au-delà des aspects financiers, la radio sur IP a un atout de tailleD: l’existence d’une voie retour qui se traduit par la possibilité de créer stations nationales favorites même lorsqu’ils sont à plusieurs milliers de kilomètres. Ensuite, il y a la technologie qui joue aussi en faveur de la radio sur le Web. Aujourd’hui, le développement du Wi-Fi ou de la 4G offre de nombreuses possibilités en matière de radio mobile… Avec l’opportunité de récupérer les programmes en direct – ou en différé grâce aux podcasts – sur un smartphone, un PC ou une tablette. Ne craignez-vous pas une remise en question du modèle économique de la radio5? La rentabilité financière d’une station radio provient pour l’essentiel de la publicité. De ce point de vue, il faut savoir qu’en France nous sommes d’ores et déjà dans un univers très concurrentiel. À Paris, on ne compte pas moins de 55 stations diffusant en analogique contre une vingtaine dans des villes comme New York ou Francfort. Quant au passage au numérique, quel que soit le modèle choisi, il se traduit forcément par une augmentation du nombre de stations avec à la clé un risque de dilution de l’audience et, du même coup, d’éparpillement du marché publicitaire. Pour autant, ce que recherche un annonceur lorsqu’il achète du temps d’antenne pour diff user des spots, c’est l’audience. Qu’il s’agisse de RNT ou de radio sur IP, le problème est le même5? Pas réellement, car avec la radio sur Internet, la voie retour permet de mieux cibler la publicité. Ce qui n’est pas le cas avec la Radio Numérique Terrestre. Et, dans l’esprit d’un annonceur qui cherche à faire du trafic en magasin ou à accroître la notoriété d’un produit, le ciblage est un argument qui n’est pas neutre.