Gil Scott-Heron, la flamme intacte

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Gil Scott-Heron, la flamme intacte
LIBÉRATION MERCREDI 11 SEPTEMBRE 2013
Withers ou Donny Hathaway, dont il
cite volontiers les influences, lui ouvre
grand les portes du public en l’installant
dans un courant davantage mainstream, au sens noble. «Le jazz s’adapte
à tous les formats que j’affectionne, aussi
bien pour la force des chansons engagées
que pour la plus langoureuse des ballades.
J’essaie juste d’exprimer ce que je suis à
travers mes compositions. Ma musique me
ressemble.»
Des mélodies qui retiennent immédiatement l’attention comme No Love
Dying en ouverture, vantant les louanges de l’amour éternel, le plus sombre
Hey Laura, ou encore cette relecture du
standard d’Abbey Lincoln et Max Roach
Lonesome Lover, choisi par Porter pour
affirmer l’admiration qu’il voue à la
chanteuse et compositrice disparue
en 2010. «Les sujets de mes chansons
tournent autour des épreuves joyeuses ou
tristes de la vie que j’ai traversées, comme
l’amour, notamment celui que je porte à
ma mère, mais également au sens plus
large, au-delà de celui voué à sa femme ou
à ses proches, l’amour envers une communauté. C’est aussi parfois la douleur
qui peut être causée par l’injustice ou le
racisme. C’est cette forme d’énergie que
j’essaie de transcrire dans mes textes et
ma musique.»
Gregory Porter
ne se sépare
jamais de sa
casquette et
de son passemontagne.
PHOTO SHAWN
PETERS
CLAQUEMENTS. Dans la continuité de
son travail, d’autres voies plus gospel
ou funk marquent aussi ces quatorze
plages que la sensualité habite de bout
en bout: l’irrésistible rythme gospélisant, cadencé par des claquements
de mains, du morceau-titre de l’album,
et ce groovy Free de feu scandé, qui fait
référence à la difficulté des parents
modestes pour faire face à l’éducation
de leurs enfants. Tout aussi engagée, la
ballade When Love Was King est un
hommage à Martin Luther King, où
Porter fait part de ses constats sociopolitiques. La palette d’émotions que
le chanteur peut exprimer, selon les
contextes, est à compléter par l’épurée
version piano-voix de Water Under
Bridges, ou encore le réalisme de Musical Genocide, où sont évoqués les effets
dévastateurs et sclérosants d’une
culture sans relief qui menace la société
d’aujourd’hui.
On peut ajouter au tableau la maîtrise
des standards be-bop comme The “In”
Crowd de Billy Page, et la version allongée de I Fall in Love Too Easily de Sammy
Cahn et Jule Styne, livrés dans une relecture personnelle. Pour l’occasion, le
festival Jazz à la Villette reçoit Gregory
Porter dans deux contextes différents:
vendredi, pour la présentation live de
Liquid Spirit, en compagnie des mêmes
musiciens présents sur ses précédents
albums –à savoir le pianiste et directeur
musical Chip Crawford, le saxophoniste
Yosuke Sato, le batteur Emanuel Harrold et le bassiste Aaron James (complétés sur l’album par le sax Tivon Pennicott et l’organiste Glenn Patscha) –,
ainsi que ce soir, pour une Soul Session
aux effluves vintage. •
GREGORY PORTER
CD: LIQUID SPIRIT
(Blue Note/Universal).
En concert ce soir à partir de 20 heures
au Cabaret Sauvage, parc de la Villette,
75019. Et vendredi à 20 heures à la
Grande Halle de la Villette, dans le cadre de
Jazz à la Villette.
Rens.: www.jazzalavillette.com
CULTURE
Kentyah Fraser, DJ à l’origine du projet, Brian Jackson, complice des débuts de Scott-Heron, et M1.
•
25
PHOTO REBECCA MEEK
Avec des invités de marque, dont Gregory Porter, la garde rapprochée
du poète engagé, mort en 2011, revisite son œuvre en CD et en live.
Gil Scott-Heron,
la flamme intacte
THE NEW MIDNIGHT BAND
CD: EVOLUTIONARY MINDED
(Motéma). En concert ce soir à 20 heures
au Cabaret sauvage, parc de la Villette,
75019. Dans le cadre de Jazz à la Villette.
Rens.: www.cabaretsauvage.com
M
algré le départ de Gregory
Porter (lire ci-contre), le label
Motéma se porte bien et peut
souffler ses 10 bougies avec un certain
optimisme : l’indépendant basé à
Harlem continue de multiplier les sorties saluées, comme Be My Monster
Love, de David Murray, qui s’enrichit
de la participation de Porter, ou encore
Jaimeo Brown et son ambitieux
Transcendence. D’autres prévues à
l’automne permettront la venue d’artistes comme le conguero de La Havane Pedrito Martinez, qui fait sensation à New York, lors d’une célébration
parisienne en novembre au Duc des
Lombards.
Hip-hop. Autre saveur, l’éclosion d’un
collectif intergénérationnel vecteur
d’héritage, dont le projet Evolutionary
Minded (depuis hier dans les bacs) reprend le flambeau spirituel et musical
de Gil Scott-Heron, proto-rappeur au
charisme quasi magnétique disparu
en 2011, dont l’influence sur les jeunes
générations est considérable. Son engagement politique et son style jazz,
funk, soul et blues mêlés ont très largement contribué à l’explosion de la
culture hip-hop aux Etats-Unis. Ce
«conscious rap» dont il fut l’un des
pionniers dans les années 70 avec son
spoken word en emboîtant le pas des
Last Poets, a encore son mot à dire.
C’est dans cette optique que le jeune
Kentyah Fraser, DJ et initiateur du
projet, a imaginé ce New Midnight
Band, du nom originel du groupe que
l’auteur de Johannesbourg avait formé
avec Brian Jackson, compagnon de
route du prophète urbain.
De cette étroite complicité étalée jusqu’en 1980, sur douze ans, sont nées
quelques-unes des plus belles pages de
la culture afro-américaine à travers
l’écriture des albums majeurs de la
discographie du poète écorché, tels
Pieces of a Man (qui inclut The Revolution Will Not Be Televised), Winter in
America (avec le tubesque The Bottle)
ou encore The First Minute of a New
Day (1975), et Bridges (1977). «Pour
donner à ce projet tout son sens, il me
semblait indispensable de le concevoir
avec des proches de Gil Scott-Heron,
précise Kentyah Fraser. C’est ainsi
qu’avec Brian Jackson, l’idée d’imaginer
un développement dans l’esprit de leur
catalogue s’est imposée.» Le but
n’étant pas de proposer des covers,
simples copies conformes, mais bien
de se réapproprier certaines compos et
de donner aussi une suite à cet héritage socio-politico-musical.
Pour Brian Jackson, producteur,
claviériste et flûtiste, l’enjeu est d’établir une passerelle entre hier et
aujourd’hui : «Il est de mon devoir de
transmettre aux jeunes générations tout
ce que j’ai appris, c’est ma préoccupation depuis plusieurs années», nous
confiait-il par téléphone le week-end
dernier depuis New York. «On voulait
aussi que chacun puisse apporter à l’édifice sa propre signature, comme
Chuck D, de Public Enemy, qui est un
aristocrate du hip-hop. Je ne voulais pas
non plus d’un tribute», s’exclame Jackson qui, petit, voulait être batteur, tant
les frappes de Max Roach, semblables
à «des jeux vidéo», le fascinaient.
Discours. M1 de Dead Prez répond lui
aussi par l’affirmative à la demande de
son ami Kentyah Fraser. Suivent encore Martin Luther, ex-comparse des
Roots, Gregory Porter (décidément
très demandé) que Jackson connaît
bien : «Ils étaient mes voisins, dit-il, et
le percussionniste Airto Moreira comme
Mike Clark, batteur des Headhunters de
Herbie Hancock, sont aussi des compagnons de longue date.»
Dans cet album au son urbain où rap,
soul, funk et jazz fusionnent, s’immiscent des bribes de discours de l’exBlack Panther Bobby Seale, et la voix
d’Abiodun Oyewole, des Last Poets.
Pour sa première venue à Paris, le projet décline une version light de cet impressionnant casting avec les instigateurs, plus M1 et Mike Clark rejoints
pour l’occasion par l’énergie soul de
Sandra Nkaké, la flûte de Jî Drû et la
basse de Reggie Washington. Avec des
messages encore d’actualité, comme
le souligne Brian Jackson : «Gil, qui a
écrit en 1974 Winter in America, pourrait aujourd’hui le transposer en Winter
in the World ».
D.Q.

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