St-Ursanne - Les Livres de Sagesse

Transcription

St-Ursanne - Les Livres de Sagesse
S. R. Clerc
St-Ursanne
Secrets d’un Livre
de pierre
Préface de Claude Juillerat
Editions GurganuS
St-Ursanne - Secrets d’un Livre de pierre
Retrouvez les Editions Gurganus sur internet : www.gurganus.ch
ainsi que les cours et conférences de l’auteur : www.srclerc.com
ISBN 978-2-8399-0749-1
Dépôt légal : 2010
© Editions Gurganus (Suisse)
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation
réservés pour tous les pays
Source des plans : République et Canton du Jura - Office de la culture, Porrentruy
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A Daniel Grout
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St-Ursanne - Secrets d’un Livre de pierre
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“Avoir la foi sans intelligence est une insulte à la face de Dieu.”
Moebius
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St-Ursanne - Secrets d’un Livre de pierre
Préface
Préfacer un ouvrage au contenu inhabituel ou même déconcertant est un exercice
périlleux qui m’échoit… Pourquoi, au fait ?
Jurassien de souche, de formation et de cœur, j’ai été contacté par l’auteur au sujet
de certains renseignements spécifiques concernant la collégiale de St-Ursanne, bien
que n’étant aucunement spécialiste en ce domaine : je fais partie des « honnêtes hommes » du siècle passé (du millénaire passé), ayant suivi des études qui s’efforçaient
à nous intéresser aux multiples facettes de la vie, de la science, de l’ensemble des
témoignages humains qui ont constitué les sentiers caillouteux du Savoir. Et comme
la connaissance et l’amour du pays passent par la plante des pieds, j’ai suivi ces
chemins et je suis devenu la victime consentante désignée pour conseiller ou accompagner les éclairés chercheurs allogènes.
D’accord, j’ai fréquenté l’école enfantine de St-Ursanne, dans la classe de la Sr
Bienvenue (publicité mensongère), mais son intérêt primordial n’était pas de nous
ouvrir aux beautés décrépites d’un édifice qui se faisait surtout remarquer par les
sonneries et cloches, entre le quart d’heure et l’office dominical. Mon souvenir le plus
marquant fut la carillonnade hors horaire qui marqua l’armistice du 8 mai 1945… jour
de l’anniversaire de ma sœur : la veinarde, les grandes cloches pour elle !
La suite studieuse de mes passions m’amena à me pencher avec force douleurs
dorsales vers l’archéologie et l’histoire médiévale. Ma carrière fit que jamais je ne les
enseignai officiellement. Seuls les écrits et les excursions guidées furent mes activités
vouées à un passé qui se dérobe autant sur le terrain que dans les publications souvent orientées par le tempérament de l’auteur ou l’atmosphère politique du moment.
La « Société jurassienne d’émulation » est le clair vivier où, passionnément, je m’ébats
en eaux limpides.
Notre région a subi les modes et les adaptations aux vues dominantes des pontes de chaque époque… jusqu’à ce que le disciple publie à son tour des points de
vue divergents de ce que furent les fondamentaux de son maître. Les nouveautés et
découvertes en sciences ou en histoire ne sont-elles pas que la rectification des vérités désormais périmées !
L’histoire jurassienne était riche de l’œuvre fondatrice des « moines-défricheurs »,
personnages connus par leur hagiographie, leur sanctification par un travail acharné dans le désert froid, ingrat et boisé des profondeurs jurassiennes, et par leur illustration dans les rituels régionaux de l’église médiévale. Hélas ! Les bûcherons et
autres tronçonneurs des temps modernes ont abattu nos illusions et nos rêves. Saint
Ursanne a-t-il seulement vécu ? Le lieu traditionnel de son exil hors du monde a-t-il
été honoré de la présence de Wandrille ? Tout est remis en question : on a laissé une
parole prépondérante aux hérauts du document écrit expurgé, seul jugé authentique
et fiable selon des critères de rigueur qui n’avaient point cours à l’époque du haut
moyen âge. C’est simple : avant les documents d’archives certifiés, pas de passé,
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Préface
plus de souvenirs, le retour au désert… ce qu’avaient souvent vainement cherché
les cénobites des premiers siècles du christianisme (Voir : ASJE, MOYSE Gérard, A
propos de Saint-Imier en 884 : Le Jura septentrional dans la perspective du monachisme occidental avant l’an mille, 1984, pp. 9-38). Même saint Fromond, le doublon
welsche de saint Wendelin, n’a pas trouvé grâce auprès des censeurs du monde
moderne : son crâne a été examiné sous toutes ses sutures et fontanelles, y compris la qualité du trou formé par sa trépanation… qui a été reconnue d’époque, elle !
(Voir : ASJE, KAUFMANN Bruno, Les ossements de saint Fromond : leur expertise
anthropologique, 1991, pp. 243-259). Mais la fête annuelle est toujours célébrée à
Bonfol, et jour de congé pour les paroissiens, mécréants ou pas.
Concernant St-Ursanne, outre le foisonnement des publications des thuriféraires
patentés des siècles précédents, deux œuvres plus modernes sont à consulter, fruits
l’une et l’autre de travaux universitaires en vue de l’obtention d’un doctorat. Leurs
propos doivent être alignés aux vues des directeurs de thèse et de leur équipe de
certification, ce qui n’enlève rien à leur valeur. Claude Lapaire, en 1960, nous renseigne sur « Les constructions religieuses de Saint-Ursanne ». Ce fut un tremplin pour
une carrière consacrée à l’histoire de l’art. Jean-Paul Prongué, en 1955, s’est penché sur « La Prévôté de Saint-Ursanne du XIIIème au XVème siècle ; aspects politiques
et institutionnels » ; ce qui sort de notre intérêt actuel. C’est peu, et dans le monde
colombanien qui est censé envelopper saint Ursanne et St-Ursanne, les publications
régionales sont quasi inexistantes. Il est bien connu que fouilles, découvertes et publications sont inversement proportionnelles au carré de la distance qui les sépare d’un
pôle universitaire.
Mes études et mes convictions matérialistes m’ont vacciné contre toute forme de
raisonnement qui défie la rigueur scientifique traditionnelle. Mais chaque théorie doit
d’abord avoir été énoncée avant d’être dénoncée et combattue par des arguments de
haute teneur expérimentale et morale.
Face à notre technologie moderne, combien de certitudes s’évanouiraient dans
l’esprit des positivistes et autres matérialistes du XIXème siècle, ceux-là même qui
n’avaient point encore effleuré les potentiels de la mécanique ondulatoire ? Aujourd’hui,
téléphones et ordinateurs portables sont couramment utilisés. Nous leur accordons
une confiance absolue, quand bien même leur mode de fonctionnement échappe
complètement à nos cinq sens si limités, voire atrophiés.
Cette technologie de l’information porte pourtant mal son nom : l’enregistrement
informatique toujours plus miniaturisé remplace avec gourmandise la mémoire des
musées ou celle des vieux bouquins poussiéreux, fragilisant d’autant la postérité de
leur contenu.
Alors, la mémoire du passé… ?
Au-delà des témoignages matériels parcimonieux et sujets à d’hypothétiques interprétations, que reste-t-il ? La mémoire du « peuple » ? Les récits des hagiographes
et conteurs ? Les condamner pour leur manque de rigueur ou la sublimation du banal
quotidien, c’est nous condamner également au vide stérile, comblé par les fugaces
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St-Ursanne - Secrets d’un Livre de pierre
bandes dessinées d’origines lointaines, étrangères à notre culture et au génie de notre
terroir.
Parmi les narrateurs régionaux, Vincenot nous le rappelle : liés à la Bourgogne éternelle, ses acteurs se rattachent à l’universel par les idées, la recherche de l’absolu,
chacun selon ses possibilités et les moyens intellectuels et matériels de son époque.
Ça nous vaut quelques morceaux de bravoure, quand le Pape des escargots, la
Gazette ou le Prophète cèdent à leurs élucubrations… si proches de la réalité et des
résultats de la science contemporaine. Par exemple :
Le Pape des Escargots, d’Henri Vincenot
Première partie, chapitre 4 :
- Oui, tu sauras tout ça en temps voulu, compagnon. Il ne faut pas mettre terme
avant prémisses ! Mais remarque bien que le rectangle de proportion «deux, un» a
une diagonale égale à la racine carrée de cinq ! Et si l’on majore cette diagonale d’une
largeur de rectangle et que l’on divise par deux, on a quoi, je te le demande ?
- On a... on a... ânonnait Gilbert ahuri.
- On a 1,618 ! et 1,618, qu’est-ce que c’est, compagnon?
- C’est... c’est...
- C’est le Nombre d’or, c’est la limite de la série de Fibonacci...
- Le Nombre d’or ? demandait Gilbert, sans se méfier.
- Tais-toi, malheureux ! ne prononce pas cela à haute voix ! Parle bas ! Ces connaissances ne doivent pas être répandues dans la Masse! Compagnon, l’Elite, l’Elite seule
doit savoir... Ecoute et regarde.
La Gazette prenait sa crosse et écrivait, sur le sol, des chiffres :
1,618/0,618 = (1 + 1,618) = (1,618 x 1,618) = 2,618.
- Et 2,618, multiplié par le rapport douze dix, appelé rapport d’Osiris, donne ?
- Je... je... répétait Gilbert le souffle coupé.
- Donne Pi ! Oui compagnon, trois unités quatorze cent seize ! La constante universelle ! La clé du cercle et de la sphère ! La clé du monde! La résolution de la table
ronde... Et le rapport d’Osiris, qu’est-ce que c’est gamin ? C’est l’intervalle musical
de tierce ! Do mi ! Do mi !
Excité au plus haut point, la Gazette, méconnaissable, continuait à chanter : Do,
mi... Do mi !
Puis se reprenant:
- Le rapport «deux, un», c’est donc la racine de transformation d’une surface angulaire en une surface circulaire. C’est la quadrature du cercle !
(...)
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Préface
Bien évidemment, de façon plus moderne, après quelques manipulations plus ou
moins perfides, telles que les pratiquent tous les profs de math(s), je clamerai à la face
d’Euler et de Pythagore :
Pi ( ∏ ) égale trois au carré plus trois fois la racine de cinq, le tout divisé par cinq !
Que les puristes se contentent de 4 chiffres après la virgule, et renoncent à pinailler
sur le fait que Pi ne pourrait être qu’un nombre irrationnel... comme tend à le prouver
d’ailleurs cet article paru le 6 août 2010, établissant un nouveau record obtenu par
deux férus d’informatique, Shigeru Kondo et Alexander Yee, qui - au terme de 90 jours
de calculs et 18’000 dollars US d’investissement - ont déterminé la valeur du nombre
Pi à cinq trillions de décimales.
Dans quel but déjà ?
Mais trève de considérations : il est temps pour moi de vous laisser entre les mains du
truculent Alessandro et du sévère Wilhelm, porte-parole d’une réflexion qui échappe
à toute forme de carcan pour enrichir notre regard d’une perspective audacieuse sur
ce petit bijou du patrimoine jurassien, en ravivant la mémoire de son passé discret,
mais glorieux.
Claude Juillerat, professeur in partibus
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St-Ursanne - Secrets d’un Livre de pierre
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Remerciements
Ma gratitude va en premier lieu à toutes celles et ceux qui ont offert de relire et de
corriger le manuscrit de cet ouvrage. La pertinence de leurs réflexions et le bien-fondé
de leurs critiques n’en ont rendu la lecture que plus intelligible et confortable.
Je tiens à remercier tout particulièrement MM. Claude Juillerat et André Lachat, dont
l’érudition et la passion pour l’histoire de St-Ursanne m’ont été d’une grande aide
dans la documentation de mes recherches, ainsi que MM. Cyril Durussel, Jacques
Riat et Marcel Berthold, grâce auxquels j’ai obtenu les plans nécessaires pour vérifier
mes conclusions.
Mes remerciements vont également à Mme Marie-Thérèse Migy, pour son aide et
ses recherches dans les archives communales de St-Ursanne, à M. Georges Comte
qui a gentiment accepté de figurer dans le récit, ainsi qu’au personnel du foyer pour
personnes âgées du district de Porrentruy, qui prend grand soin de nos Alessandro.
Il me reste enfin à témoigner ma reconnaissance à ma femme pour ses encouragements, sa patience et les trop nombreuses heures hypothéquées sur notre temps libre
afin que ce roman voit le jour.
S. R. Clerc
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St-Ursanne - Secrets d’un Livre de pierre
Table des chapitres
Préface 10
Remerciements 15
Table des chapitres 16
Contexte chronologique et géographique 18
Livre I
Avant-propos 20
L’étranger 24
La négociation 27
Le terrassement 32
Le gnomon 35
La mécanique céleste 39
L’orage 42
Le solstice d’été 44
Le retour du Maître 47
La Genèse 49
Le mariage du ciel et de la terre 52
L’harmonie 57
Révélations 66
La longueur d’activation 75
La quine et l’étalon 81
Le plan de la chapelle 88
Nouveau départ 16
102
Table des chapitres
Livre II
St-Ursanne 109
Les travaux du lys 113
Le portail sud 126
L’ours à voir 141
Latin y es-tu ? 158
Le diable se cache dans les détails 162
Le jeu de la marelle 175
La grotte 191
Ignis Dei 208
Beatus Ursinus 217
L’étable du Graal 224
Le barde céleste 229
La croix marque le trésor 233
La roue solaire 240
Le coeur qui tombe à pique 248
Le secret de St-Ursanne 252
Le grand départ 259
Annexe I : Présentation des figures historiques 263
Annexe II : Secrets du complexe monastique 266
Index 269
Bibliographie 273
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St-Ursanne - Secrets d’un Livre de pierre
Contexte chronologique et géographique
Dates
Ursanne/St-Ursanne
552
Naissance d’Ursanne
561
573
Royaumes francs
Colomban/Wandrille
Mort de Clotaire Ier
Partage du royaume
Rencontre supposée
avec Colomban
Guerre civile entre la Colomban arrive en
Neustrie et l’Austrasie Armorique
584
Clotaire II voit le jour
603
Naissance du fils de
Clotaire II, Dagobert
610
Ursanne suit Colomban dans son exil
Colomban doit
s’exiler de Luxeuil
613
Ursanne se sépare du Clotaire II, victorieux,
réunit les royaumes
groupe pour se fixer
francs.
dans le Doubs
Colomban quitte
Bregenz pour
rejoindre Bobbio
615
Construction d’un
oratoire en bois
620
Mort d’Ursanne
629
Le plan au sol de la
chapelle est arrêté
Clotaire II meurt en
octobre.
Wandrille rejoint
Montfaucon
Début des travaux
de construction de la
cella (sanctuaire)
Dagobert réunit
sous sa coupe les
royaumes francs
Séjour de Wandrille
dans le Doubs,
avant son départ
pour Bobbio
vers 630
Dagobert est instruit à Mort de Colomban à
l’école du Palais.
Bobbio
639
Mort de Dagobert
vers 650
Wandrille entame
Fin de la construction Règne des rois dits
de la première église “fainéants”, marquant la construction de
la fin de la dynastie
Fontenelle (649)
mérovingienne
mérovingienne
Mort de Wandrille
668
18
Contexte chronologique et géographique
Royaumes francs au début du VIIème siècle. St-Ursanne s’inscrit dans une enclave austrasienne en
bordure du royaume burgond. Le Rhin fait office de frontière naturelle avec les Alamans.
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St-Ursanne - Secrets d’un Livre de pierre
Avant-propos
Il existe un livre à St-Ursanne, un livre oublié depuis des siècles même s’il n’a jamais
été perdu. Ce livre nous parle de science, parce que seule la science survit à la médiocrité des hommes ; elle est une source qui s’écoule, éternelle et paisible, à l’image
du Doubs qui contourne les obstacles mis sur sa route ; une source qui disparaît parfois, pour refaire surface en des temps - ou des lieux - improbables.
Le livre de St-Ursanne n’a rien de mystérieux ; il s’étale même au grand jour, pour
qui sait le lire. Mais qui saurait encore le lire ? Les maîtres d’oeuvre d’autrefois ont eu
la sagesse de renoncer au langage temporel des scribes et des rois. Ils lui ont préféré
la prose du symbole, qu’ils ont accordée au verbe géométrique, car leurs natures
respectives sont semblables à l’eau cristalline du Doubs : transparentes et fluides,
elles restent insaisissables, sauf si on les recueille avec le contenant de son être 1.
Dans la marge du livre de St-Ursanne s’inscrit l’épopée de saint Colomban. Elle
témoigne de l’érudition de ce moine irlandais et de ses compagnons, dont les connaissances se sont diffusées en périphérie des scriptoriums de Luxeuil, de Metz ou de
Fontaine qui ont fleuri dans leur sillage. Les premiers bénéficiaires de cet enseignement sont bien sûr les héritiers des familles aristocrates, ces leudes et ces monarques 2
qui ont le loisir de découvrir les arts libéraux 3 et la sagesse du monde antique grâce
aux ouvrages que les moines copistes ne cessent de traduire et de reproduire. Les
perles qui s’y cachent conduiront certains à réorienter le cours de leur vie. Le livre de
St-Ursanne a été écrit par l’un d’eux.
Car il y a deux personnages clés en vérité dans les coulisses de l’histoire de ce petit
village médiéval niché dans une vallée discrète du Jura. Le premier baigne dans la
lumière, même si le récit de sa vie tient plus de la légende que de l’histoire ; il s’agit
bien évidemment d’Ursinus, cet obscur compagnon de Colomban qui le suit fidèlement depuis son arrivée en Armorique jusqu’au milieu de son exil vers l’Italie 4.
La mythologie chrétienne est friande de ces saints hommes, aussi courageux que
solitaires, prêts à affronter les dangers d’une nature hostile dans leur quête d’absolu.
Ursinus, au dire de sa légende, est de ceux-là. Mais on doit lui opposer une réalité historique un peu différente : il existe déjà un hameau dans le Clos du Doubs depuis l’ère
romaine, construit dans l’ombre de la tour de garde qui le surplombe sur la falaise 5.
Les massifs alentour, riches en gisements de fer, sont exploités depuis toujours ; ils
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2
3
4
5
20
La recherche du Graal est une forme d’introspection.
Les leudes forment la noblesse rattachée au monarque qui dirige un royaume.
Les arts libéraux sont répartis en deux groupes : le trivium (grammaire, rhétorique et logique) et le
quadrivium (arithmétique, musique, géométrie et astronomie).
Ursanne ne fait pas partie des douze compagnons qui quittent l’Irlande avec Colomban. Il a donc
rejoint le groupe plus tard, peut-être à leur arrivée sur le continent.
Cette specula - une tour de guet - faisait partie du système défensif mis en place par les Romains
pour surveiller les populations d’outre-Rhin, dont le fleuve faisait office de frontière.
Avant-propos
font la richesse de la noblesse - tantôt burgonde, tantôt austrasienne - qui en protège
et en ravitaille les carrières d’extraction. La nature hostile qui attend Ursinus à son
arrivée dans la vallée du Doubs se limite probablement au paganisme des Warasques
qui vivent paisiblement sur les bords du cours d’eau.
Cet ermite qui charme les bêtes et les hommes sauvages éclipse – à dessein peutêtre - une seconde figure dont la nature historique ne doit elle rien à la légende. Les
chroniqueurs de l’époque retiennent avant tout son origine noble et les fonctions publiques prestigieuses auxquelles il va renoncer pour devenir moine. Mais la vie très bien
documentée de Wandrille révèle bien plus que sa seule conversion en homme de foi.
Comte du palais, parent - cousin peut-être - de Pépin de Landen, Wandrille possède
des terres sur lesquelles va se construire au VIIème siècle un coenobium, un complexe
monastique ; ces terres appartiennent à un domaine qu’administre sans doute un
châtelain local, contemporain de l’arrivée d’Ursinus dans le vallon du Doubs, et dont
la légende du saint a gardé le nom en mémoire : Euclion.
Wandrille, qui a rejoint le monastère de Montfaucon en 629, se rendra à St-Ursanne
vers 631, soit une dizaine d’années après la mort du compagnon de Colomban 6. Il y
restera cinq ans avant de partir se recueillir sur la tombe du maître irlandais, à Bobbio. Sur le chemin du retour, Wandrille va s’arrêter à Romainmôtier, où il demeurera
pendant presque dix ans. Pour y méditer, comme voudrait nous le faire croire le chroniqueur du Moyen Âge ? Rien n’est moins sûr.
Tout bien réfléchi en effet, Wandrille a les moyens financiers, le réseau nécessaire,
l’accès à l’enseignement et bien entendu la fascination – son périple à Bobbio le
prouve – pour être non seulement le commanditaire mais aussi le maître d’œuvre de
la basilique mérovingienne du VIIème siècle, basilique dont les fondations reposent toujours au nord du cloître de la collégiale, à l’emplacement actuel de l’ancienne église
paroissiale St-Pierre.
Aussi attrayante que soit cette hypothèse, elle ne lève en rien le voile sur le mystère
de l’origine et du destin d’Ursinus. Figure historique ? Personnage légendaire ? Le
débat à cet égard est vain. Car si - comme le suggère Mgr Chèvre 7 avec audace notre saint est bien en réalité ce compagnon breton hautement apprécié du maître
irlandais qui se prénomme Gurganus 8, alors toutes les clés nous sont données pour
traduire ce livre millénaire, et révéler avec humilité l’incroyable secret qui réunit la collégiale romane à la basilique mérovingienne voisine, construite cinq siècles plus tôt 9.
Cette révélation se veut un hommage rendu au maître d’oeuvre de St-Ursanne,
ainsi qu’à tous ceux qui n’ont eu de cesse de préserver son Livre de pierre jusqu’à
aujourd’hui.
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Ursinus.
Germain Fidèle Chèvre (1832-1910), curé-doyen de St-Ursanne de 1868 à 1896.
Le nom de Gurganus apparaît une seule fois dans l’hagiographie de saint Colomban, lorsque ce
dernier fait apparaître le Soleil pour sauver une moisson (Vita Columbani, livre I, ch. XIII).
Les fondations de l’église primitive mérovingienne remontent au VIIème siècle. La construction de
la collégiale va s’échelonner du XIème au XVème siècle. Voir l’annexe II à cet égard.
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