des gros becs particuliers

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des gros becs particuliers
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Toucans
des gros becs particuliers
Toucans, calaos, même combat ? Rien à voir, mais pourtant que de
mélanges ! Clarifions un peu les ressemblances, mais aussi les différences
fondamentales entre ces deux familles dont le caractéristique bec énorme,
aussi grand que le corps, amène parfois à les confondre.
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Quand on les connaît, impossible de se tromper. Pourtant, à vouloir les décrire, la chose
n’apparaît pas si simple car ils présentent
effectivement bon nombre de points communs : les toucans, comme les calaos, semblent faits de trois morceaux à peu près identiques en longueur : la tête et le bec, le corps,
la queue ; dans leur plumage, le noir et le
blanc dominent souvent ; ils poussent des cris
puissants et adoptent un régime alimentaire
frugivore, avec un instinct de prédation, en
particulier des couvées, bien établi. Cependant, les grands toucans, de la taille d’une
pie, sont à peu près aussi volumineux que les
petits calaos. Leur bec, toujours simple (sans
corne ou relief ), leur plumage lisse (ni crête,
ni aspect ébouriffé) et brillant (alors qu’il est
souvent terne chez les calaos) constituent les
premières approches visuelles. Nous ne parlerons pas couleurs car, si les toucans sont
généralement beaucoup plus colorés que les
CALAO
TOUCAN
calaos, certains de ces derniers peuvent s’enorgueillir de teintes remarquables. Malgré
leur port horizontal (vertical chez les
calaos), les toucans sont proches des pics
(alors que les calao suivent guêpiers et rolliers), mais surtout ils sont tous latino-américains et forestiers tandis que beaucoup de
calaos habitent les savanes, et tous se rencontrent en Afrique, Asie, voire Australasie.
Calaos et toucans occupent donc toujours des
continents différents !
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Ramphastos vitellinus
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TEXTE ET PHOTOGRAPHIES DE ROLAND SEITRE
O
n distingue 34 espèces de toucans, de taille, formes et coloris pour le moins versatiles, mais invariablement jolis. Leur centre de distribution serait la grande
forêt amazonienne où ils ont évolué dans la canopée. Mais leur vol ondulant,
assez lourd, leur permet tout juste, sur de longues distances, de limiter une
chute inexorable ! Aussi, les grandes rivières, larges de plusieurs kilomètres, sem-
blent constituer des barrières infranchissables, et induisent une spéciation importante. Au
même titre que certaines chaînes de montagne. Et c’est ce qui explique leur absence remarquée d’un grand nombre d’îles, même proche des côtes.
Ramphastos toco
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En Savane, les Indiens les chassaient à la course d’un groupe d’arbre à l’autre, jusqu’à ce que, épuisés, ils
tombent au sol. Un type de battue encore plus facile à accomplir à cheval. Dans les frondaisons, ils se
montrent en revanche fort agiles, bondissant de branche en branche, vers le bas mais aussi vers le
haut. Ils semblent alors montés sur ressort, rebondissant dans toutes les directions fort rapidement. Avant de s’arrêter brusquement pour observer qui un fruit, qui une proie accessible. Ils peuvent aussi s’accrocher à de simples brindilles pour atteindre le fruit
suspendu ou aux longues tresses des nids en boules de certains ictéridés (Orioles)
dont ils dégustent volontiers les poussins. Ils chassent, parfois en groupes, lézards
ou insectes. Et les ornithologues apprécient fort peu la propension de certains à
consommer les passereaux pris dans les filets de baguage !
Leur grand bec, certains diront énorme en pensant au Toucan toco, possède
parfois une pointe tendue, mais toujours des serrations (dentelures) vers l’avant. Elles jouent en quelque sorte le rôle de dents et comme elles sont par
ailleurs surtout connues chez les oiseaux de mer, il fut supposé par les premiers scientifiques européens recevant les spécimens que ces oiseaux
étaient de gigantesques “martins-pêcheurs” ! Malgré sa taille, l’appendice
demeure fort léger, avec un nombre limité de fines superstructures osseuses et beaucoup de vide. Heureusement pour le vol et le port de la tête !
Ce bec, outil de préhension des fruits et arme de destruction des nids, qui
peut plonger au fond d’une cavité pour capturer des poussins, est aussi
une arme d’intimidation, en particulier pour les espèces qui constituent
les proies régulières de certains prédateurs, ou lorsqu’ils entrent en compétition avec des congénères pour des fruits. Comme pour beaucoup de
maraudeurs, le toucan fait l’objet d’agression de la part des petits oiseaux,
et des tyrans (gobe-mouches) les harassent en se posant en vol sur leur dos
pour les griffer ou leur donner des coups de bec !
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Aulacorhynchus prasinus
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fréquentent aussi les forêts secondaires,
même jeunes, et généralement riches en
fruits, mais ne peuvent s’y établir pour un
simple problème de nidification. Car tous
nichent dans des cavités, variables selon
leur taille (souvent les plus petits y dorment), généralement creusées par des pics.
Eux-mêmes ne peuvent tailler le bois.
Impossible donc de s’établir pleinement
dans une forêt aux arbres jeunes et sains.
Sauf s’ils peuvent profiter de quelques
vieux arbres creusés et sans valeur marchande, parfois préservés ! Pour la majorité des espèces, la déforestation constitue
ainsi le handicap principal à leur présence.
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Si la forêt humide est leur domaine, même en
montagne jusqu’à la limite des arbres vers 3 500
mètres, quelques espèces s’aventurent en forêt
sèche et une, le géant Toucan toco, a gagné les
îlots forestiers et forêts riveraines en savane. Ils
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© Photo Roland Seitre
UN PEU D’ANATOMIE
Rail de guidage
Crénelures
© Photos Léonid P. Korzun et al.
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Rhamphothèque (enveloppe cornée qui s’emboite sur l’os) d’un toucan Rhamphastos tucanus. En haut : vue latérale (noter le schéma de
coloration et les crénelures des bords du bec) ;
au centre : vue de l’intérieur de l’enveloppe de la
mâchoire supérieure montrant les crénelures
latérales et le rail de guidage central ; en bas :
vue du maxillaire (os sans la rhamphothèque).
D’après Léonid P. KORZUN, Christian ÉRARD,
Jean-Pierre GASC & Félix J. DZERZHINSKY in
Alauda, 72 (4), 2004 : 259-280.
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S’ils vivent en couples, beaucoup, grégaires, se rassemblent en groupes qui atteignent une vingtaine d’individus, capables de faire le tour des fruitiers de leur
territoire, attrapant de façon opportuniste insectes ou
petits oiseaux. On ne connaît pas à proprement parler
de migration de toucans, essentiellement faute de
recherches, mais on sait, et cela semble localement
régulier, que des milliers d’oiseaux passent par certaines zones de la grande forêt amazonienne, suivant probablement le cycle des fructifications. Comme la digestion d’un gros fruit bloque toute la capacité du tube
digestif durant une vingtaine de minutes, l’oiseau n’a
d’autre choix que d’attendre, s’occupant de son plumage ou de celui de son voisin. Avec leur grand bec,
pas facile d’atteindre tous les points de son corps !
Merci donc au fidèle conjoint… On se retrouve aussi
au bain, plus souvent pris en l’air, dans la vasque d’une
branche, qu’au sol. Malgré son alimentation frugivore,
le toucan boit régulièrement et l’entre-feuille des grandes broméliacées représente à cet égard un libre-service
parfait. Compte tenu de leur rôle de consommateur de
fruits, ils jouent un rôle dominant dans la dispersion
des graines à travers les forêts sud-américaines.
Socialement, les sons s’avèrent essentiels. Ils associent claquements de bec, grognements, cris ou sifflements parfois très puissants. Des vocalises qui sont
bien sûr aussi associées aux parades, au cours desquelles les toucans essaient différentes postures mettant en
valeur taches de couleur ou zones de plumes partiellement érigées. Leur reproduction a lieu dès l’âge de
deux ans pour les femelles, et trois pour les mâles chez
les grandes espèces du moins. S’ils sont associés par
force aux cavités des pics, ils trouveront l’indispensable nid là où ils peuvent, y compris s’il le faut en chassant le malheureux ouvrier. Mais les Toco peuvent
aussi aller jusque dans les termitières du sol, où les
Colaptes (genre de pics verts terrestres) ont précédemment creusé. S’ils ne peuvent creuser le bois, ils s’appliquent cependant à nettoyer le nid des zones pourries et donc meubles. Ils vont défendre le foyer contre
des prédateurs potentiels et un couple de Toucans
tocards a été observé chassant à coup de bec un kinkajou, carnivore pourtant redoutable. Nombre d’aigles
capturent cependant des adultes et ces oiseaux plus
grands qu’eux demeurent probablement leurs seuls
véritables prédateurs. En revanche, les singes capucins
qui parviennent au nid mangent les couvées et il est
probable que les boas fassent de même, ainsi que ceroiseaux exotiques, Décembre 2005
Ramphastos sulfuratus
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Ramphastos sulfuratus
tains mustélidés arboricoles. Si les deux membres du
couple incubent, le mâle se contente de quelques
intervalles durant le jour, tandis que la femelle reste
seule sur les œufs toute la nuit. La taille des couvées,
de 1 à 5 œufs, varie considérablement, plus selon les
individus qu’en fonction de la taille de l’espèce, ce qui
est inhabituel.
L’incubation de courte durée, 15 à 17 jours (18
chez les plus grands) donne naissance à un jeune
aveugle mais dynamique, qui tient vite debout,
appuyé sur ses pattes qui possèdent à leur jointure
(comme les pics) des bourrelets hérissés de picots
permettant à l’oisillon de se tenir dressé bien qu’assis. Encore nus, ils sont particulièrement vulnérables
aux chutes de température, ce qui amène la femelle à
les couver, en particulier après une pluie ou le soir.
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Mais si le couple est dérangé, il abandonne assez facilement, non sans avoir gobé ses poussins ! En 40 à 60
jours, selon l’espèce mais pas la taille, les jeunes sortent du nid. Les jeunes demeurent nourris par leurs
parents quelques semaines à deux mois et parfois
peut-être (mais on ne le sait avec certitude) plus
longtemps dans les groupes constitués. Comme les
jeunes, et généralement les adultes, possèdent tous
un plumage identique, il est difficile de s’y retrouver
à distance ! Enfin, si leur longévité dans la nature
n’est guère connue, on estime en captivité que vingt
ans est une bonne moyenne.
Leur vie serait assez belle, n’était l’homme ! Car ils
sont chassés spécifiquement dans beaucoup de
régions : pour leur chair, leurs plumes et becs ornementaux, mais surtout pour être gardés captifs – avec
oiseaux exotiques, Décembre 2005
un renouvellement d’autant plus abondant que, à
l’instar de beaucoup de frugivores au régime complexe, la banane comme seule nourriture ne leur permet guère de durer… Plus grave encore, la déforestation a détruit des zones entières de sa répartition, ou
bien fractionné les blocs boisés (sans parler des chasseurs que les routes alors tracées mènent jusqu’à
eux). Rappelons qu’un toucan ne peut guère voler
qu’un kilomètre d’une traite. Au long de toutes les
routes, des caboclos s’installent, tombent les arbres et
cultivent sur les brûlis, créant ainsi beaucoup de ces
zones infranchissables pour les toucans. Le problème
se pose aussi au niveau du fleuve Paraguay dont les
rives boisées permettaient le flux des populations du
centre de l’Argentine vers celles du Brésil. Mais elles
sont aujourd’hui totalement déboisées sur plusieurs
kilomètres, et il semble que les différentes populations de toucans soient totalement isolées. Pour le
moment, seule une espèce est déclarée menacée d’extinction mais pour quelques races, la situation
devient grave. Le Toucanet à sourcils jaunes (Aulacorhynchus huallagae), ainsi classé par l’UICN, vit
dans une zone réduite de forêts de montagnes péruviennes, la plus propice à l’agriculture. En conséquence, il souffre beaucoup du déboisement qui a
fragmenté son habitat dans les deux sens possibles :
car comme toutes les espèces de montagne, il modifie selon la saison aussi son altitude ! Il rencontre
donc une double difficulté de circulation !
Nous verrons le mois prochain plus en détail la vie
et l’œuvre des nombreuses et différentes espèces de
cette famille originale.
(à suivre)
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