des gros becs particuliers
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des gros becs particuliers
CDE 303 3/11/05 10:59 Page 24 Toucans des gros becs particuliers Toucans, calaos, même combat ? Rien à voir, mais pourtant que de mélanges ! Clarifions un peu les ressemblances, mais aussi les différences fondamentales entre ces deux familles dont le caractéristique bec énorme, aussi grand que le corps, amène parfois à les confondre. CDE 303 3/11/05 10:59 Page 26 Quand on les connaît, impossible de se tromper. Pourtant, à vouloir les décrire, la chose n’apparaît pas si simple car ils présentent effectivement bon nombre de points communs : les toucans, comme les calaos, semblent faits de trois morceaux à peu près identiques en longueur : la tête et le bec, le corps, la queue ; dans leur plumage, le noir et le blanc dominent souvent ; ils poussent des cris puissants et adoptent un régime alimentaire frugivore, avec un instinct de prédation, en particulier des couvées, bien établi. Cependant, les grands toucans, de la taille d’une pie, sont à peu près aussi volumineux que les petits calaos. Leur bec, toujours simple (sans corne ou relief ), leur plumage lisse (ni crête, ni aspect ébouriffé) et brillant (alors qu’il est souvent terne chez les calaos) constituent les premières approches visuelles. Nous ne parlerons pas couleurs car, si les toucans sont généralement beaucoup plus colorés que les CALAO TOUCAN calaos, certains de ces derniers peuvent s’enorgueillir de teintes remarquables. Malgré leur port horizontal (vertical chez les calaos), les toucans sont proches des pics (alors que les calao suivent guêpiers et rolliers), mais surtout ils sont tous latino-américains et forestiers tandis que beaucoup de calaos habitent les savanes, et tous se rencontrent en Afrique, Asie, voire Australasie. Calaos et toucans occupent donc toujours des continents différents ! 26 Ramphastos vitellinus CDE 303 3/11/05 10:59 Page 28 TEXTE ET PHOTOGRAPHIES DE ROLAND SEITRE O n distingue 34 espèces de toucans, de taille, formes et coloris pour le moins versatiles, mais invariablement jolis. Leur centre de distribution serait la grande forêt amazonienne où ils ont évolué dans la canopée. Mais leur vol ondulant, assez lourd, leur permet tout juste, sur de longues distances, de limiter une chute inexorable ! Aussi, les grandes rivières, larges de plusieurs kilomètres, sem- blent constituer des barrières infranchissables, et induisent une spéciation importante. Au même titre que certaines chaînes de montagne. Et c’est ce qui explique leur absence remarquée d’un grand nombre d’îles, même proche des côtes. Ramphastos toco 28 En Savane, les Indiens les chassaient à la course d’un groupe d’arbre à l’autre, jusqu’à ce que, épuisés, ils tombent au sol. Un type de battue encore plus facile à accomplir à cheval. Dans les frondaisons, ils se montrent en revanche fort agiles, bondissant de branche en branche, vers le bas mais aussi vers le haut. Ils semblent alors montés sur ressort, rebondissant dans toutes les directions fort rapidement. Avant de s’arrêter brusquement pour observer qui un fruit, qui une proie accessible. Ils peuvent aussi s’accrocher à de simples brindilles pour atteindre le fruit suspendu ou aux longues tresses des nids en boules de certains ictéridés (Orioles) dont ils dégustent volontiers les poussins. Ils chassent, parfois en groupes, lézards ou insectes. Et les ornithologues apprécient fort peu la propension de certains à consommer les passereaux pris dans les filets de baguage ! Leur grand bec, certains diront énorme en pensant au Toucan toco, possède parfois une pointe tendue, mais toujours des serrations (dentelures) vers l’avant. Elles jouent en quelque sorte le rôle de dents et comme elles sont par ailleurs surtout connues chez les oiseaux de mer, il fut supposé par les premiers scientifiques européens recevant les spécimens que ces oiseaux étaient de gigantesques “martins-pêcheurs” ! Malgré sa taille, l’appendice demeure fort léger, avec un nombre limité de fines superstructures osseuses et beaucoup de vide. Heureusement pour le vol et le port de la tête ! Ce bec, outil de préhension des fruits et arme de destruction des nids, qui peut plonger au fond d’une cavité pour capturer des poussins, est aussi une arme d’intimidation, en particulier pour les espèces qui constituent les proies régulières de certains prédateurs, ou lorsqu’ils entrent en compétition avec des congénères pour des fruits. Comme pour beaucoup de maraudeurs, le toucan fait l’objet d’agression de la part des petits oiseaux, et des tyrans (gobe-mouches) les harassent en se posant en vol sur leur dos pour les griffer ou leur donner des coups de bec ! 29 Aulacorhynchus prasinus 10:59 fréquentent aussi les forêts secondaires, même jeunes, et généralement riches en fruits, mais ne peuvent s’y établir pour un simple problème de nidification. Car tous nichent dans des cavités, variables selon leur taille (souvent les plus petits y dorment), généralement creusées par des pics. Eux-mêmes ne peuvent tailler le bois. Impossible donc de s’établir pleinement dans une forêt aux arbres jeunes et sains. Sauf s’ils peuvent profiter de quelques vieux arbres creusés et sans valeur marchande, parfois préservés ! Pour la majorité des espèces, la déforestation constitue ainsi le handicap principal à leur présence. 3/11/05 Si la forêt humide est leur domaine, même en montagne jusqu’à la limite des arbres vers 3 500 mètres, quelques espèces s’aventurent en forêt sèche et une, le géant Toucan toco, a gagné les îlots forestiers et forêts riveraines en savane. Ils CDE 303 Page 30 3/11/05 10:59 Page 32 © Photo Roland Seitre UN PEU D’ANATOMIE Rail de guidage Crénelures © Photos Léonid P. Korzun et al. CDE 303 Rhamphothèque (enveloppe cornée qui s’emboite sur l’os) d’un toucan Rhamphastos tucanus. En haut : vue latérale (noter le schéma de coloration et les crénelures des bords du bec) ; au centre : vue de l’intérieur de l’enveloppe de la mâchoire supérieure montrant les crénelures latérales et le rail de guidage central ; en bas : vue du maxillaire (os sans la rhamphothèque). D’après Léonid P. KORZUN, Christian ÉRARD, Jean-Pierre GASC & Félix J. DZERZHINSKY in Alauda, 72 (4), 2004 : 259-280. 32 S’ils vivent en couples, beaucoup, grégaires, se rassemblent en groupes qui atteignent une vingtaine d’individus, capables de faire le tour des fruitiers de leur territoire, attrapant de façon opportuniste insectes ou petits oiseaux. On ne connaît pas à proprement parler de migration de toucans, essentiellement faute de recherches, mais on sait, et cela semble localement régulier, que des milliers d’oiseaux passent par certaines zones de la grande forêt amazonienne, suivant probablement le cycle des fructifications. Comme la digestion d’un gros fruit bloque toute la capacité du tube digestif durant une vingtaine de minutes, l’oiseau n’a d’autre choix que d’attendre, s’occupant de son plumage ou de celui de son voisin. Avec leur grand bec, pas facile d’atteindre tous les points de son corps ! Merci donc au fidèle conjoint… On se retrouve aussi au bain, plus souvent pris en l’air, dans la vasque d’une branche, qu’au sol. Malgré son alimentation frugivore, le toucan boit régulièrement et l’entre-feuille des grandes broméliacées représente à cet égard un libre-service parfait. Compte tenu de leur rôle de consommateur de fruits, ils jouent un rôle dominant dans la dispersion des graines à travers les forêts sud-américaines. Socialement, les sons s’avèrent essentiels. Ils associent claquements de bec, grognements, cris ou sifflements parfois très puissants. Des vocalises qui sont bien sûr aussi associées aux parades, au cours desquelles les toucans essaient différentes postures mettant en valeur taches de couleur ou zones de plumes partiellement érigées. Leur reproduction a lieu dès l’âge de deux ans pour les femelles, et trois pour les mâles chez les grandes espèces du moins. S’ils sont associés par force aux cavités des pics, ils trouveront l’indispensable nid là où ils peuvent, y compris s’il le faut en chassant le malheureux ouvrier. Mais les Toco peuvent aussi aller jusque dans les termitières du sol, où les Colaptes (genre de pics verts terrestres) ont précédemment creusé. S’ils ne peuvent creuser le bois, ils s’appliquent cependant à nettoyer le nid des zones pourries et donc meubles. Ils vont défendre le foyer contre des prédateurs potentiels et un couple de Toucans tocards a été observé chassant à coup de bec un kinkajou, carnivore pourtant redoutable. Nombre d’aigles capturent cependant des adultes et ces oiseaux plus grands qu’eux demeurent probablement leurs seuls véritables prédateurs. En revanche, les singes capucins qui parviennent au nid mangent les couvées et il est probable que les boas fassent de même, ainsi que ceroiseaux exotiques, Décembre 2005 Ramphastos sulfuratus CDE 303 3/11/05 10:59 Page 34 Ramphastos sulfuratus tains mustélidés arboricoles. Si les deux membres du couple incubent, le mâle se contente de quelques intervalles durant le jour, tandis que la femelle reste seule sur les œufs toute la nuit. La taille des couvées, de 1 à 5 œufs, varie considérablement, plus selon les individus qu’en fonction de la taille de l’espèce, ce qui est inhabituel. L’incubation de courte durée, 15 à 17 jours (18 chez les plus grands) donne naissance à un jeune aveugle mais dynamique, qui tient vite debout, appuyé sur ses pattes qui possèdent à leur jointure (comme les pics) des bourrelets hérissés de picots permettant à l’oisillon de se tenir dressé bien qu’assis. Encore nus, ils sont particulièrement vulnérables aux chutes de température, ce qui amène la femelle à les couver, en particulier après une pluie ou le soir. 34 Mais si le couple est dérangé, il abandonne assez facilement, non sans avoir gobé ses poussins ! En 40 à 60 jours, selon l’espèce mais pas la taille, les jeunes sortent du nid. Les jeunes demeurent nourris par leurs parents quelques semaines à deux mois et parfois peut-être (mais on ne le sait avec certitude) plus longtemps dans les groupes constitués. Comme les jeunes, et généralement les adultes, possèdent tous un plumage identique, il est difficile de s’y retrouver à distance ! Enfin, si leur longévité dans la nature n’est guère connue, on estime en captivité que vingt ans est une bonne moyenne. Leur vie serait assez belle, n’était l’homme ! Car ils sont chassés spécifiquement dans beaucoup de régions : pour leur chair, leurs plumes et becs ornementaux, mais surtout pour être gardés captifs – avec oiseaux exotiques, Décembre 2005 un renouvellement d’autant plus abondant que, à l’instar de beaucoup de frugivores au régime complexe, la banane comme seule nourriture ne leur permet guère de durer… Plus grave encore, la déforestation a détruit des zones entières de sa répartition, ou bien fractionné les blocs boisés (sans parler des chasseurs que les routes alors tracées mènent jusqu’à eux). Rappelons qu’un toucan ne peut guère voler qu’un kilomètre d’une traite. Au long de toutes les routes, des caboclos s’installent, tombent les arbres et cultivent sur les brûlis, créant ainsi beaucoup de ces zones infranchissables pour les toucans. Le problème se pose aussi au niveau du fleuve Paraguay dont les rives boisées permettaient le flux des populations du centre de l’Argentine vers celles du Brésil. Mais elles sont aujourd’hui totalement déboisées sur plusieurs kilomètres, et il semble que les différentes populations de toucans soient totalement isolées. Pour le moment, seule une espèce est déclarée menacée d’extinction mais pour quelques races, la situation devient grave. Le Toucanet à sourcils jaunes (Aulacorhynchus huallagae), ainsi classé par l’UICN, vit dans une zone réduite de forêts de montagnes péruviennes, la plus propice à l’agriculture. En conséquence, il souffre beaucoup du déboisement qui a fragmenté son habitat dans les deux sens possibles : car comme toutes les espèces de montagne, il modifie selon la saison aussi son altitude ! Il rencontre donc une double difficulté de circulation ! Nous verrons le mois prochain plus en détail la vie et l’œuvre des nombreuses et différentes espèces de cette famille originale. (à suivre) 35