jocaste sand

Transcription

jocaste sand
Sand Jocaste Fabien / Bösch
Un dyptique produit par Sturmfrei
Au T/50 à Genève, du 2 novembre au 19 décembre 2004
(état du projet mars 2004)
Sturmfrei
10 rue de Zurich
1201 Genève
Tél. / Fax : 022 731 59 91
Mobile : 078 858 59 33
Attention(s)à deux suicidés de la société :
Pasolini et Jocaste
L’Association genevoise Sturmfrei, fondée par Maya Bösch, s’engage aujourd’hui dans un
projet en dyptique sur deux figures damnées : Pasolini et Jocaste. Un homosexuel et une
femme. Un assassiné et une pendue. Soit deux personnages auxquels colle particulièrement
bien l’expression - à la fois terriblement vague et terriblement accusatrice - forgée pour
Artaud : des suicidés de la société. Mais alors quelle société et quelle mort consentie ?
Pour aller vite, on pourrait avancer que Jocaste est victime de la crédulité grecque envers
l’ire des dieux, et Pasolini de la crédulité bourgeoise envers les codes de bienséance
sociale. Des deux côtés, un système de préjugés impose un destin tragique à qui est soudain
perçu comme un monstre.
Est ainsi posée, au-delà des mille différences de posture et du mystère bien particulier de
chaque figure, une commune désignation monstrueuse. Parenté du regard social sur Jocaste et
sur Pasolini, à deux mille cinq cents ans de distance, et pour des raisons qui relèvent dans
les deux cas de la doxa sexuelle du moment: on ne couche pas mère avec son garçon, on ne
couche pas garçon avec des garçons.
L’appariement de ces deux « personnages » est aussi favorisé par le rapprochement des deux
auteurs qui s’en sont emparés aujourd’hui : Michèle Fabien pour Jocaste, Mathieu Bertholet
pour Pasolini (signalons qu’à vingt ans de distance - Jocaste est écrit en 1980 et sAnD en
2003 - c’est le même Marc Liebens qui passe commande à chacun de ces deux auteurs sur ces
monstres-là). Or, ce sont deux écrivains qui en appellent clairement à l’influence de Heiner
Müller dans la réécriture des mythes, dans cette manière de retraverser les histoires
anciennes en se les appropriant très librement : de la distorsion entre mythe d’origine et
texte contemporain, entre passé et présent, surgissent alors des intuitions sur la situation
actuelle de l’humain et sur la situation actuelle de l’écriture.
2
Pour ces différentes raisons, parenté monstrueuse des figures et cousinage cinétique des
écritures, Maya Bösch et Marc Liebens ont choisi de monter Jocaste et sAnD dans le même lieu
et dans la même période (l’un à la suite de l’autre). Le lieu sera le T/50 et la période fin
2004. Cela dans un espace commun conçu par le scénographe Thibault van Craenenbroeck.
Le metteur en scène belge Marc Liebens est ainsi invité par Sturmfrei pour monter le volet
sAnD de ce dyptique, alors que Maya Bösch mettra en scène le volet Jocaste.
Michèle Pralong
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Distribution
sAnD / Mathieu Bertholet
Mise en scène Jeu Marc Liebens
Jean-Charles Fontana
Jeanne De Mont
Fred Jacot-Guillarmod
Valérie Liengme
Jocaste / Michèle Fabien
Mise en scène Jeu Maya Bösch
Barbara Baker
Dyptique Sand / Jocaste
Scénographie
Eclairage
Technique
Administration
Photographie
Graphisme
/ Promotion
Thibault Vancraenenbroeck
Colin Legras
Gianni Kaeser
Sturmfrei
Hélène Göhring
Aurélie Mertenat
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sAnD / Jocaste : deux mises en scènes
Ce sont deux pièces monologiques qui s’interrogent sur la question du Chœur. Elles sont,
tous les deux, adressées au public ce qui veut aussi dire, que les deux mises en espace
conçues par Thibault van Craenenbroeck intégreront différemment le spectateur dans les
pièces.
Les deux mises en scènes s’articulent donc autour de la question du Chœur et ouvrent une
relation organique avec le public. Le Chœur d’autrefois des Grecs, le Chœur idéologique et
politique du Xxème siècle, le Chœur au seuil du nouveau millénaire ? – Qui est-ce ? A qui
parle-t-il ? Existe-t-il encore ? Comment et pour qui ? Sa Fonction ? Son Ethique ?
-
Intention / Stratégie pour sAnD et Jocaste :
Nous allons travailler d’avantage sur la présence que sur la représentation.
- Nous cherchons à présenter l’acte (ou tous les actes) plutôt que la signification ,
c’est-à-dire : les impulsions énergetiques plutôt que l’information.
- Notre intérêt est le processus de travail avant le résultat. Le processus de travail
comme champ d’expérience, de transformation, de possibilités et de probabilités.
- Notre but est de créer une expérience partagée avec le spectateur plutôt que
l’expérience transmise (réception mentale et solitaire).
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Planning
(Répétitions au Mottattom et au T/50 et Jeu au T/50, 11 ruelle du Couchant, 1207 Genève)
Deux spectacles,
représentations.
une
équipe
technique,
six
semaines
de
1. sAnD / Mathieu Bertholet / Marc Liebens
Période de répétitions du 20 septembre au 1er Novembre 2004
Période de représentations du 2 au 21 novembre 2004
2. Jocaste / Michèle Fabien / Maya Bösch
Période de répétitions du 1 mai au 15 juillet et du 15 août au 29 novembre 2004
Période de représentations du 30 novembre au 19 décembre 2004
Le travail sur Jocaste comporte une recherche sur six mois pour visiter et confronter le
matériau mythologique sur Jocaste, depuis les Grecs jusqu’à la littérature contemporaine. Il
s’agit de comparer, comprendre et distinguer les différentes esthétiques, approches
philosophiques et dramatiques, ainsi que les formes du jeu les plus appropriées (corps,
espace et prise de parole). Car ici, la forme monologique n’est pas représentative d’une
prise de parole individuelle mais draine le mouvement de toute une collectivité, de toute
une histoire : le Chœur.
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En prenant garde d’éviter tout phénomène d’identification, nous rechercherons également en
quoi le mythe peut nous concerner aujourd’hui. Nous songeons notamment à la reconnaissance
sociale et/ou à la considération morale de toute forme d’amour. « on ne regarde pas sa mère
quand elle est une femme. On ne regarde plus sa femme quand elle est sa mère « . Nous
n’explorerons donc pas seulement le mythe, mais l’Homme.
La longue période de répétitions proposée nous permettra d’approfondir et d’échanger les
notions littéraires, chercher la musicalité propre au texte (la parole comme sonorités, du
grave à l’aigu, du deuil au cris etc). D’autres artistes pourraient partager cette recherche
(par exemple : Julie Maret fait un film sur Jocaste en Juin, Juillet 2004).
1.sAnD
Pier Paolo Pasolini : écrivain et cinéaste italien né à Bologne (1922-1975). Poète, auteur
de romans sur la vie de la banlieue romaine (Une vie violente,il a également mis en scène
des films (L’Evangile selon Saint-Matthieu, Œdipe-roi, Théorème, Médée, Le Décaméron, Les
Contes de Canterbury, Salò ou les 120 journées de Sodome). Il est mort assassiné.
(Petit Larousse)
1.1. Mathieu Bertholet
Né en 1977 en Valais, Mathieu Bertholet a quitté la Suisse en 1997 pour Berlin où il a
étudié l’Ecriture de scène à l’Académie des Beaux-Arts. Il vit et travaille à Berlin.
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Mathieu Bertholet est l’auteur de nombreuses pièces historiques, ou documentaires, c’est
selon : fArBen (Prix Schauspielhaus de Hambourg), biographie onirique de la première femme
chimiste allemande, épouse de l’inventeur des gaz de combat, geneva.lounging (créé par Maya
Bösch en avril 2002 à la Comédie de Genève où Mathieu Bertholet a été en résidence six
mois), adaptation contemporaine du mythe d’Orphée, On est toujours la salope de quelqu’un,
adaptation du mythe grec méconnu d’Atis, Cybèle et Agditis. Pour représenter le Valais à
l’Expo 02, il a écrit 13 (mis en scène par Catherine Sümi et Jacques de Torenté).
sAnD, oratorio sur le meurtre de Pier Paolo Pasolini a été écrit en 2002, et créé la même
année à Bruxelles par Marc Liebens, commanditaire du texte. Récemment, Marc Liebens et
Mathieu Bertholet ont travaillé ensemble avec la classe de dernière année de la SPAD sur une
réécriture chorale du mythe d’Œdipe : Supporter les visites.
1.2. sAnD : un oratorio sur la mort de Pasolini
« Pourquoi m’avoir demandé à moi d’écrire un hommage au grand homme. Je suis né cinquante
ans plus tard. Il était déjà mort. Je n’avais rien lu, rien vu de lui. J’avais tant entendu,
tant attendu, sachant qu’un jour j’aurais à faire à lui. Et Marc Liebens est venu, il m’a
fait confiance, un peu. Il m’a demandé d’écrire deux ou trois choses pour son projet de
soirée de poésies. Je l’ai mal compris, comme toujours quand on essaie d’user des mots. Ils
ne se laissent pas user. J’ai écrit une pièce. Il lui a fait confiance. Il l’a aimée. Il a
changé son projet, surmontant tous les problèmes produits par sa volte-face. Voilà.
Si je n’avais pas été auteur, j’aurais essayé d’être architecte. Mes pièces s’en ressentent,
mes constructions n’auraient sans doute pas tenu longtemps. sAnD n’est pas une pièce
normale. Pas de début, pas de fin, pas de milieu. Pas de toit, pas de porte, plein, trop de
fenêtres. Plutôt une sorte de course autour d’un point, comme si toutes les pièces d’une
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maison étaient ordonnées autour d’un lieu central, une cuisine, un salon, un patio. Dans la
maison dont je me suis inspirée pour organiser mon texte, tout tourne autour de la salle
d’études, la Case Study House 9 de Eero Saarinen et Charles Eames, Dans sAnD, tout s’ordonne
autour de la mort rêvée, vécue, définitive, espérée de Pier Paolo Pasolini. Les quatre
pièces, les quatre lieux autour de ce point central de la mort s’appellent : virilité,
politique, origines et religion. Un monument de l’architecture moderne. sAnD, un essai pour
un souvenir à la mémoire d’un auteur…
…Ca s’appelle sAnD parce que dans le sable se sont éteints les projets de Pasolini.
Toutes le nuits jusqu’au matin, sauf celle-là. « Mathieu Bertholet
Le Speaker commence
ainsi :
…et PPP termine ainsi :
Je dis au public qui entre
assieds-toi, je t’en prie
Mais oui,
sur ce siège de velours rouge
orgueil de notre théâtre bourgeois,
bourgeois que je suis moi aussi.
Je ne sais pas pourquoi je décide que ceci doit être
la dernière poésie
de ce recueil de poésies né au cours de la farce
à laquelle je participe justement en tant que poète.
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Il n’y a aucune raison
d’écrire tout au bas de ces vers le mot
FIN
1.3. sAnD selon Marc Liebens
Il s’agit d’un monologue à quatre voix.
Un Pasolini octogénaire. Un Pasolini à l’âge de sa mort, 53 ans. Une speakerine et Rosaura
(deux noms issus de la pièce Calderon).
Il parle juste après sa mort comme le personnage masculin d’Orgie qui vient de se
pendre : « Je suis mort depuis peu. Jeter un regard en arrière sur les derniers actes
significatifs et typiques de ma vie ? A présent, c’est la seule chose que j’aie envie
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de faire mais comme un mémorialiste ou un auteur d’aphorismes (à cause sans doute de la
trop grande sagesse due à la mort) ».
sAnD est une pièce où il y a, comme partout, l’amour, la mort, le pouvoir. Il y a la mort
tant évoquée et tragiquement subie après un ultime face-à-face terrible. Il y a l’amour
homosexuel. C’est beau comme Racine ou Genet. Seul le partenaire a changé. Il y a le pouvoir
que Pasolini traque et vilipende durant toute sa vie.
sAnD est un poème philosophique vivant comme une intervention de Deleuze.
sAnD est une pièce émouvante comme toute grande œuvre dont la langue est l’objet d’un vrai
travail.
sAnD est une pièce où se retrouvent les éléments d’une pièce classique mais sans conflits,
sans contradictions, sans fable.
sAnD est une pièce qui cherche à conduire le spectateur en terrain vierge de tout compromis.
sAnD est une convocation ludique.
sAnD est une pièce d’aujourd’hui écrite pour demain et hier.
sAnD est une pièce que l’on peut monter plusieurs fois dans sa vie.
sAnD est une pièce sur Pasolini qui a écrit six pièces de théâtre. Elles sont toutes
importantes. Car on n’a rien écrit de plus moderne depuis les Grecs et Heiner Müller.
1.4. Marc Liebens
Directeur et metteur en scène de théâtre.
En activité depuis 1970.
Fondateur du Théâtre du Parvis et de l’Ensemble Théâtral Mobile.
Editeur des Editions Didascalies.
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Principalement attaché aux écrivains contemporains : des Belges, bien sûr, comme Jean
Louvet, Michèle Fabien, Pierre Mertens, Jean-Marie Piemme. Assure la création mondiale de
Hamlet-Machine et la création française de Quartett de Heiner Müller. Il découvre, fait
traduire et publie avec la collaboration d’Actes Sud le Théâtre de Pier Paolo Pasolini. Il
monte la première pièce, en création, de Marie Ndyae : Hilda.
Il monte parfois des classiques : Maison de Poupée de Ibsen, Les Paysans de Balzac, Bérénice
de Racine.
Il y aussi Thomas Bernhard, et Orgie de Pasolini.
Il est professeur à la SPAD. Il a présenté et créé plusieurs spectacles en Suisse : Atget et
Bérénice, Tausk et Amphitryon de Michèle Fabien, Providence de Marie Ndyae au Festival de La
Bâtie. D’autres encore.
Il travaille actuellement avec Mathieu Bertholet.
Sa question est la langue poétique et qu’est-ce que ça veut dire que de représenter.
2.Jocaste
Jocaste : femme de Laïos, roi de Thèbes, et mère d’Œdipe. Elle épousa ce dernier sans savoir
qu’il était son fils ; instruite de la vérité, elle se tua. (Petit Larousse)
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2.1. Michèle Fabien
En Belgique, on ne présente pas Michèle Fabien. Elle a été durant plus de vingt ans un
pilier de tout un pan du théâtre belge. Elle était auteur, dramaturge, traductrice et
adaptatrice, déployant ces différentes fonctions au sein de l’Ensemble Théâtral Mobile fondé
par Marc Liebens. Elle est morte brutalement en 1999, laissant près d’une quinzaine de
pièces et quantité de textes théoriques*.
2.2. Jocaste/ Réécriture
Jocaste n’est pas la première pièce que Michèle Fabien a écrite, mais c’est sa première
pièce montée (en 1981). On y sent un fort tribut à Heiner Müller**, dans cette grande
liberté de retraitement, de malaxage d’un mythe fondateur, et on y trouve déjà ce qui se
confirmera au fil de l’œuvre à venir: une attention aux figures du bord de l’histoire (ou de
l’Histoire) et singulièrement aux figures féminines du bord (à la suite de Jocaste :
Déjanire, Charlotte, Claire Lacombe et Berty Albrecht, etc…).
Un personnage emporté avec
d’autres dans le flot d’un récit canonique – tragédie classique ou livre d’histoire –
s’extrait de son statut secondaire pour se raconter. On est là dans un mouvement
historiographique caractéristique de la deuxième moitié du XXe siècle: oublier ces deux
notions trompeuses que sont le vainqueur en Histoire et le personnage principal en
littérature (pour prendre deux exemples : Braudel qui lit l’Histoire du point de vue d’un
anonyme, Karge-Langhoff qui montent Woyzeck à partir de la position de Marie en 1980).
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La pièce compte cinq tableaux…
1. Jocaste la pendue
2. La peste de Jocaste
4. L’énigme de Jocaste 5. Utopie au théâtre
3. Jocaste : scène primitive et révélation
…et commence ainsi :
« Je m’appelle Jocaste.
Regarde-moi.
Ni reine, ni veuve, ni épouse, ni mère. »
Jocaste devient donc le sujet de l’énonciation. Les éléments du mythe sont, pour
l’essentiel, préservés, mais c’est la reine qui les pense et les formule de son point de
vue et dans sa langue à elle. L’histoire de Jocaste reste l’histoire d’Oedipe, elle ne peut
raconter autre chose, mais s’emparer de l’énonciation constitue pour cette femme condamnée
un défi aux lois humaines et aux diktats des Dieux. Voilà donc le combat singulier d’une
femme dorénavant sujet contre toutes les images qui la fixent dans son rôle. On peut penser
parfois à l’exercice auquel se livrerait un acteur, élaborant pour soi un monologue
totalisant sur son personnage afin de mieux en explorer toutes les facettes, poussant
toutes les contradictions jusqu’au bout afin de mettre à jour une autre vérité.
La prisonnière du mythe tente de s’opposer à la tragédie, de transformer par le récit la
réalité des faits ; elle veut quitter pour recommencer, mourir pour renaître, faire tabula
rasa. Armée de son désir et des mots de son désir, elle veut renverser le mythe, ne plus
être la suicidée de la prédiction. Malgré le fort renversement opéré dans la très belle
dernière partie, Utopie au théâtre, où son désir de femme profondément amoureuse d’Oedipe
semble un moment, au travers du théâtre, pouvoir court-circuiter la force maléfique de
l’oracle, elle se heurte à la même fin. Utopie.
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L’écriture procède d’un dialogue entre le mouvement actif de la pensée de Jocaste et
l’immuabilité du mythe. C’est dans cette dialectique entre passé et présent que se situe la
musicalité de Jocaste. Deux forces tendent ce récit : la fragmentation et le clivage du
sujet. Il y a tempête dans un crâne, et Jocaste saute d’une image à une autre, d’un fait à
un autre, livrant l’histoire en morceaux. Par ailleurs, Jocaste parle d’elle-même à la
première ou à la troisième personne. Ce clivage du sujet figure à la fois la distance que
le personnage peut prendre avec lui-même, donc avec le mythe pour tenter de le retravailler
en démiurge, et, la folie qui guette.
*Le numéro 63 d’Alternatives théâtrales lui a été dédié en 2000
**Pour ce qui est de la veine müllérienne, Michèle Fabien dit : « En ce qui concerne le
passage à l’écriture de fiction, c’est Hamlet-Machine de Müller qui a été, selon moi, la
pièce la plus déterminante. Ce texte qui ne ressemble pas à une pièce de théâtre m’a
libérée. »
2.3. La Démarche
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Notre travail sera de matérialiser la quête d’individualité pour que Jocaste – la oubliée –
devienne femme à part entière, avec ses passions, ses désirs et toutes ses contradictions.
C’est tout l’écho problématique du rôle de la femme dans la société active que nous
pourrons aborder.
On constate chez le personnage de Jocaste un va-et-vient incessant entre différents niveaux
de conscience : dédoublements dans le temps, « jeux de rôles », échappées dans le rêve…
La mise en scène désire entreprendre une recherche sur ce fonctionnement intime du
personnage. Sur le pourquoi et le comment de ces agissements, solitude, quête de soi,
révolte,etc.
Jocaste, personnage chargé par la cruauté du mythe, par la fatalité du temps, par le drame,
par la psychanalyse…
« L’humour sur soi » sera l’un des vecteurs de notre travail. Il sera la frontière ambiguë
entre la légèreté et le drame.
L’architecture fragmentaire de ce monologue oblige à la recherche d’une trajectoire, d’une
courbe rythmique, qui détournent délibérément, les codes systématiques de causes et
d’effets, et métamorphosent ainsi les situations dramatiques en de perpétuelles surprises.
La construction du texte implique la recherche d’un rythme tant visuel que verbal, voire
même musical. Mais là, il s’agira plus d’une ponctuation, dont la fonction, par essence, ne
sera pas d’accompagner mais de marques les situations dramatiques, de différentier les
fragments et rapports syntaxiques. Ponctuation musicale, moteur nécessaire et presque
essentiel pour souligner, exploser et régulariser le temps verbal et le rythme visuel.
Le parcours de Jocaste est celui d’une femme qui se reconstruit dans et par la parole. Il
s’agit de négocier chaque articulation de « cadencer » l’évolution du discours par une
succession rebondissante de moments de virtuosité, de souplesse, d’apaisement, d’humour…
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2.4. Dialogue entre Maya Bösch (mb) et Barbara Baker (bb)
LA DIFFERENCE
mb : Jocaste te fait penser à qui / quoi ?
bb : Je pense à une femme qui contient et connaît toutes les images du mythe. Je pense
également à la folie, à la mère.
mb : Dans la pièce, elle parle à la première et à la troisième personne. Elle nous amène à
voir et à revoir les représentations connues de la tragédie ainsi que ses nouvelles
représentations, sa propre construction. Elle défait son désir d’autrefois pour désirer ici
et maintenant. Qu’est-ce que c’est pour toi comme construction ?
bb : Elle réfléchit à haute voix ce qu’elle sait sur le mythe. Elle met l’imaginaire à
contribution pour accéder à une nouvelle connaissance de soi.
mb : Schizophrénie. Est-ce qu’elle est une schizo ou est-ce que c’est l’auteur qui a fait
que Jocaste se réécrive et se questionne, fracturant la figure de Jocaste.
bb : Je me suis souvent posé la question de « qui parle » ? Comment jouer la théâtralité et
non la maladie. Il y a aussi beaucoup de fantasmes et de projections dans la naissance de
cette pièce. Comment jouer cela ? Comment trouver l’action du texte pour que le fantasme
avance. Jocaste ici réinvente le mythe. Elle le transgresse et le détruit pour se refaire.
Et les autres ? Est-ce que ce sont les autres qui parlent quand le texte est écrit à la
troisième personne ou est-ce que c’est Jocaste ?
mb : C’est évident que les autres la définissent, la déterminent et que cela l’influence.
Mais ces mots la traversent. C’est un acte physique. Elle commente et rejoint la formule
« je est un autre ».
bb : L’effet miroir, le dédoublement, la transformation. Jocaste existe dans la nouvelle
construction comme femme qui s’interroge, qui questionne, qui se révolte et s’exprime. Elle
transforme le mythe, la tragédie, l’histoire. 2500 ans plus tard elle revient, commente et
change. Forcément il s’agit d’une femme fractionnée, fractionnée par l’histoire et par la
dialectique de l’espace temps. J’étais, je suis, je serai. Il s’agit de la même pièce et du
même personnage que dans le mythe et d’une nouvelle pièce et d’un nouveau personnage à la
fois. Je pense aussi au film Persona de Bergmann.
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mb : L’auteur se projette dans cette figure et son propre désir s’écrit à travers celui de
Jocaste. Fabien contrôle Jocaste pour qu’elle puisse se transformer, et elle aborde
d’autres thèmes avec une constance extraordinaire : le pouvoir des mots, leur violence,
leur insuffisance. On parle de la mort, du silence, de l’impossible rencontre. Mieux,
encore, les cadavres se mettent à parler dans l’entre-deux de la vie et de la mort. C’est
Jocaste, tombée dans l’oublie (cadavre < cadere : tomber) qui ouvre la bouche. Le processus
intellectuel de la pièce est intéressant puisqu’il crée d’emblée un espace pour la mise en
scène : La libération de Jocaste, l’acquisition d’une nouvelle langue se produira dans la
théâtralité, c’est-à-dire, sur scène. Et cela, à travers le corps. A travers le corps qui a
souffert et qui commence aujourd’hui à parler…
TRANSGRESSION /
OBSCENITE / CRIME : L’ANEANTISSEMENT
mb : La force créatrice de Jocaste, sa sexualité, son mutisme d’autrefois et l’urgence de
sa parole d’aujourd’hui me font penser à Ophélie et Electre. Mais on pourrait imaginer
plusieurs Ophélie, plusieurs Electre, même plusieurs Œdipe ; mais il y en a qu’une seule
Jocaste… Elle se révolte, s’émancipe, transgresse les lois et les attentes mais elle ne
trouve pas d’autre sortie que celle écrite dans le mythe, « Je sais que je suis ici pour me
tuer, pour mourir », elle dit. D’ailleurs Jocaste retourne dans le silence après la
révolte. Parlons de la scène de séduction. L’auteur propose l’anéantissement du mythe par
le renversement : « désir contre hasard ». Son désir pour Oedipe anéantit les actes
accidentels d’Oedipe et détruit la voix de l’oracle.
« 5. UTOPIE AU THEATRE
Rupture de l’immobilité ; des mains bougent le long des flancs, le long des fesses, des
doigts s’enfoncent dans la chair des épaules, des souffles inégaux s’infiltrent aux
creux des oreilles. Se retenir pour l’entendre, ou alors qu’il se mette, lui, l’autre,
à l’écoute de mon haleine ou du désir de mon sexe en attente puis en jouissance de
cette attente et de cette écoute.
« Non, ne sors pas ! Ne sors pas de moi ! Pas encore !
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Faut-il vraiment qu’à nouveau et toujours Jocaste retienne l’Homme qui…
Ne rien dire, surtout, ne pas interférer. Qu’elle sache qu’il peut aussi décider seul
de la serrer ou de la mordre, que son désir à lui est son plaisir à elle, et
inversement.
Qu’elle apprenne enfin qu’il ne peut pas penser à se suspendre parce qu’il veut encore
le clapotis de son sexe humide et que c’est de le provoquer qu’il le désire encore.
Elle sait.
Regarde, Œdipe, ta mère est une femme ! »
La séduction. La transgression. Le crime. Jocaste transgresse le drame, le transforme en
provoquant Oedipe et en le séduisant. Donc, elle détruit le mythe. Sa participation active
comme femme désirée, sensuelle, sexuelle et qui désire à la fois, détourne la tragédie, le
complexe d’Oedipe, le mythe, l’histoire. Notre connaissance est mise en danger ou au moins
questionnée. C’est ici dans cette problématique que je commence à travailler sur Jocaste.
Le déchirement est également présent. Cela commence par la voix qui déchire le silence.
C’est aussi la souffrance qui déchire le bonheur. C’est la démultiplication de tous ces
êtres qui grouillent en ces personnages et leur arrachent des lambeaux d’identité. Nous
voilà en présence d’un discours fragmenté, d’une voix hachée. Le rêve et la réalité se
mélangent, mais aussi le théâtre et la vie, la scène et la salle. Déchirée, chiffonné
l’image nette et lisse, bien cernée les mots… qu’est-ce encore que le théâtre ?
UTOPIE AU THEATRE / REVOLUTION ET TRANSFORMATION
bb : L’utopie, c’est quand on réalise vraiment quelque chose au théâtre, que la fiction est
tellement forte qu’elle en devient vraie. Pour un temps limité. Le phénomène réalité de la
fiction. Là, se trouve la jouissance de jouer. Tout ce que Jocaste essaie de faire est
d’ordre ontologique, ce qu’elle veut c’est changer l’être, rejouer son rôle si bien, comme
une actrice, qu’elle le transforme. A partir de la première phrase, elle se transforme,
elle se construit en décomposant l’histoire.
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mb : et ce n’est qu’à partir du moment ou l’actrice, toi, ouvre sa bouche et fait vivre la
parole, par cette action, un personnage, que celui-ci accède à la vie, mais à une vie
théâtrale, qui ne dure quel le temps d’une représentation.
Jocaste s’adresse à nous, aux spectateurs, elle s’adresse à elle-même, à Oedipe. Son arme
est la parole, la nouvelle parole, contre celle héritée de l’histoire. Ainsi elle crée, par
un acte révolutionnaire, un dialogue entre le présent et le passé: changer la langue égale
changer la vérité, la réalité.
Sturmfrei
Sturmfrei s’engage à confronter différentes esthétiques, langages, structures (dispositif
scénique entre acteur et spectateur) selon le choix des textes et le concept et la
perspective de la mise en scène. Sturmfrei cherche le dialogue avec le spectateur, avec
l’espace et le temps. Avec, ensemble et contre la complexité de notre société, nous
travaillons proches des textes et dans l’extrême distance à la fois afin de pouvoir
développer une relation et former une perspective, vision, ou contre-esquisse à notre
compréhension quotidienne. Des auteurs comme Bertolt Brecht, Heiner Müller, Sarah Kane,
Elfriede Jelinek ont différemment, mais tous, changé la fonction, l’expression et la vision
du théâtre. Aujourd’hui nous ne savons plus à qui nous nous adressons, donc « qui suis je ?
… » le théâtre comme démesure. Sturmfrei a souvent prolongé le temps habituel de répétition
financé pour accéder à un matériau (dialectique entre corps espace et parole) plus unique,
cela veut dire, plus précis et contraignant vers l’objet et dans ce dernier cas sur
Jocaste, l’objective est à pouvoir situer ce texte qui est une réécriture à la fois du
mythe dans un contexte plus adressé, Genève et le chœur / suicide et sexualité.
Ensemble avec le metteur en scène Marc Liebens, la quête de changer le théâtre, c’est-àdire, de trouver des auteurs contemporains et irritants aujourd’hui, continue. Les auteurs
comme Mathieu Bertholet, avec qui nous avons tous les deux déjà travaillé (rencontre suite
à geneva.lounging / comédie de genève / 2002) nous provoquent, nous apprennent, nous
irritent, aujourd’hui dans les questions sur la présentation. Aussi notre collaboration
avec le scénographe Thibault Vancranenbroeck se poursuit.
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Avec Marc Liebens, nous recherchons à travers ces deux pièces, l’entrée vers le Grecs
classiques.
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