La fille de l`eau Je prends la plume en l`an de grâce 2097 et

Transcription

La fille de l`eau Je prends la plume en l`an de grâce 2097 et
La fille de l'eau
Je prends la plume en l'an de grâce 2097 et retourne à l'époque où
je vivais encore avec mes parents et ma petite sœur dans le village de
Nelwam de la contrée de l'eau. Nous étions en hiver 2074. La guerre
contre le royaume d'Alma avait pris fin en notre faveur depuis trois
ans et la vie de tous les habitants d'Iralia avait commencée à se
reconstruire, bien qu'aucun de nous ne puisse oublier toutes les
horreurs que nous avions subies durant quarante ans de batailles
acharnées. Pour la plupart des elfes vivant à Nelwam, ce matin
pluvieux était comme tous les autres, sauf pour moi et ma famille.
Eleusis, ma petite sœur, était tombée gravement malade il y avait
de cela une semaine. Nous ne connaissions ni le nom, ni l'origine, ni le
moyen de guérir son mal. Toute la journée, toute la nuit, mes parents
restaient à son chevet, afin de veiller sur elle jusqu'au bout. Pendant ce
temps, j'allais seule à la chasse pour nous nourrir. Malheureusement,
le gibier se faisait rare et le manque de nourriture aggravait l'état
d'Eleusis.
Je marchais le long de la rue principale. Ce jour-là, je portais un
pantalon moulant et un corset, noirs tous les deux ainsi que mon
habituel chaperon couleur ébène, j'avais beau être gelée, je ne me
pressais pas. Je savais déjà que je ne rapporterai pas assez de gibier
pour tout le monde à la maison, et pour cela je m'en voulais
terriblement.
J'aperçus la forêt de la lune, c'était là que j'allais chasser depuis
mes treize ans. A présent, j'en avais dix-sept. Tant de choses me
semblaient avoir changé depuis cette période d'insouciance.
Quittant l'ombre des bâtiments, tous taillés dans la pierre de
l'aube et ayant la particularité d'avoir une couleur blanche aux reflets
argentés, je rejoins le petit sentier de terre battue qui menait au bois.
Cela faisait une bonne demi-heure que je chassais et pourtant je
n'avais tué que deux lapins. Je commençais à me décourager quand je
distinguai un daim se désaltérant une trentaine de pas plus loin. Je
m'approchai, jusqu'à me trouver derrière un buisson de baies, à
environ neuf bras de lui. Avec le plus de discrétion possible, je sortis
l'une des flèches de mon carquois pourpre. Lentement, très lentement,
je l'encochai sur mon arc de bois, attendis quelques minutes le
moment propice et tendis la corde, m'apprêtant à tirer. Ma main se
relâcha, et l'animal tomba.
Je rentrais à Nelwam, heureuse. Un attroupement s'était fait sur la
place principale. Je m'approchai, sans pour autant savoir que le
moment qui suivrait, allait me mener dans une quête sans précédent.
Je me frayai un chemin parmi la foule. Ils lisaient une pancarte
portant le sceau du roi Naroumen. Je m'approchai un peu plus afin de
comprendre pourquoi cette affiche avait créé tout ce raffut à Nelwam
qui est d'ordinaire un village plutôt tranquille, comme tous les villages
peuplés uniquement par les elfes. Voici ce qui était écrit :
"Moi, Ginia, gnome de la contrée du feu, général en chef des armées
de sa majesté lance un appel à toute la population du royaume
d'Iralia: elfes, gnomes, nains, dryades et farfadets. Notre grand roi
Naroumen, elfe de la contrée de l'air est au plus mal. Bien qu'il soit
immortel et qu'il ne puisse être touché par aucune maladie comme
toutes les personnes de son peuple, une fièvre s'est emparée de lui il y
a de cela deux semaines et ne l'a plus quittée depuis lors. Je fais donc
appel à vous, habitants d'Iralia et vous demande solennellement
d'aider notre roi à vaincre son mal. Il existe, au fin fond de la forêt de
l'Ombre, une source, qui a en elle le pouvoir de réaliser l'un des
souhaits de celui qui l'atteint. Je vous prie donc d'essayer de retrouver
cette source et de lui demander le rétablissement de sa majesté. Si
vous acceptez, rendez-vous au palais de Zevenia le douzième jour du
mois des bois.
Toutes mes salutations et vive le roi!"
"-Personne n'acceptera d'aller dans cette forêt!"
Je sursautai.
"-Laviana! Préviens-moi quand tu arrives!
-Désolée Evher! Tu as lu l'affiche? Franchement, qui se lancerait dans
une quête pareille? Tout le monde sait bien que toutes les personnes
qui sont entrées dans la forêt n'en sont jamais ressorties!
-Je dois te laisser, à la prochaine!
-Mais..."
Je ne lui laissai pas le temps de finir sa phrase, je courais déjà en
direction de chez moi. Il n'y avait aucun doute, Eleusis était atteinte de
la même maladie que Naroumen. Je pouvais donc demander à la
source de les guérir tous les deux. Je courais à perdre haleine, le long
des maisons. Il n'y avait pas une seconde à perdre. Pour la première
fois depuis le début de la semaine, il me sembla entrevoir une lueur
d'espoir.
Nous marchions depuis déjà deux bonnes heures. Mes parents
n'avaient pas voulu me laisser partir, j'avais donc fugué la nuit juste
après avoir lu la fameuse pancarte, ne laissant pas même une lettre
pour leur expliquer mon geste. Je n'avais pris pour seuls bagages qu'un
quignon de pain pour ne pas mourir de faim avant d'arriver au palais,
un arc, des flèches et un carquois ainsi qu'une épée que j'avais volée à
la forge de l'un des villages voisins.
Nous n'étions que quatre à avoir accepté de partir à la recherche
de la source. Le plus âgé était un farfadet de la contrée du feu se
nommant Fremin. Une dryade qui venait de la contrée de l'air se
joignait à nous. Elle se nommait Amynia. Notre quatrième
compagnon, Hirën, était un elfe, tout comme moi, mais il venait de la
cinquième contrée, la contrée de l'éther.
A la nuit tombée, nous nous arrêtâmes à l'entrée de la forêt. Sans
un mot, nous montâmes le camp. Quand tout fut prêt, autour du feu,
nous fûmes bien obligés de nous adresser la parole :
-"Pourquoi êtes-vous venus, nous questionna Amynia, de sa voix
mélodieuse empreinte d'une profonde mélancolie.
-Et toi? lui demanda Fremin de sa voix rauque.
-Durant la grande guerre, mon père combattait pour l'armée de
Naroumen, sa majesté lui a sauvé la vie. Maintenant que toute ma
famille est morte et que mon père se fait vieux, j'ai décidé de payer sa
dette envers le roi, lui répondit la dryade sur un ton presque
indifférent.
-Je suis un ancien soldat, je n'ai jamais vécu pour autre chose que pour
mon royaume, déclara le farfadet."
Fremin et Amynia se montrèrent très bavards, pendant ce temps,
Hirën et moi-même nous dévisageâmes silencieusement. Il était très
grand, même pour un elfe, ses yeux étaient d'un bleu limpide presque
blanc et sa chevelure châtain clair. En bref, il était mon contraire.
J'étais de taille moyenne, avec des cheveux et des yeux noirs.
La forêt se révéla extrêmement grande, cela faisait deux jours que
nous marchions et il me semblait que notre mission était
définitivement vouée à l'échec. Le paysage restait toujours le même.
Des arbres gigantesques à l'aspect mystérieux, et, pour la plupart,
dépourvus de feuilles. Une terre boueuse couleur cendre ainsi que de
très nombreux buissons de ronce jonchant notre sentier improvisé.
Nous avions déjà traversé d'innombrables marais, peuplés de créatures
maléfiques telles que des harpies. Sans cesse nous étions sur nos
gardes, au moindre bruit nous tressaillions de peur. La forêt était telle
que la décrivaient les conteurs. Sinistre.
Ce n'est que trois jours plus tard que nous aperçûmes une faible
lueur d'espoir. Alors que nous marchions, de la boue jusqu'aux
genoux, je distinguai au loin la lumière d'un feu follet. Sans savoir
pourquoi, je me mis à courir dans sa direction, domptant la fatigue.
"-Evher! Mais qu'est-ce qui te prend?" s'écria Hirën.
C'était bien la première fois qu'il m'adressait la parole. Ce n'est
pas pour autant que je m'arrêtai de courir.
« -Venez ! » ordonna Hirën à Amynia et Fremin.
Tous les trois se mirent à courir dans ma direction, très vite, ils
me rattrapèrent.
« -Que se passe-t-il? me demanda Amynia, sans pour autant s'arrêter
de courir à mes côtés.
-Un feu follet, lui répondis-je, d'une voix qui trahit mon épuisement.
-Tu crois qu'il nous mènera à la source ? »
Je ne lui répondis pas, ce n'était pas nécessaire. Nous arrivâmes
devant l'endroit en question et le feu follet disparut.
Prudemment, nous avançâmes. L'endroit ne m'inspirait pas
confiance, et je suppose qu'à mes compagnons d'infortune non plus.
Nous nous trouvions dans une petite clairière entourée de chênes dont
les branchages étaient si longs et si denses que nous apercevions à
peine la lune qui venait de faire son apparition dans le ciel étoilé. Le
sol était couvert d'une herbe verte qui ne poussait sûrement sur cette
terre infertile que grâce à la magie. Au-dessus de la source d'eau
claire, flottait une légère brume. Tout en ce lieu avait été conçu pour
attirer les voyageurs égarés. Même les odeurs : un doux parfum de
rose des champs. Je me tournai vers mes compagnons. Amynia avait
un mal évident à essayer de cacher ses tremblements, je sentais que la
peur s'était emparée d'elle mais son regard semblait tout de même très
attiré par l'eau, elle ne réussissait pas à résister à la magie du lieu.
Hirën paraissait septique.
« -Fremin ! Non! »S'écria Hirën.
Le farfadet qui s'était avancé vers la source poussa un hurlement
strident. Une femme au regard noir et froid, grande et magnifique,
semblant constituée d'eau claire, venait de remonter des profondeurs
du point d'eau : la gardienne de la source!
« -Que venez-vous faire en ce lieu, étrangers? Vous n'êtes pas les
bienvenus ici, annonça la femme de sa voix douce et envoûtante.
-Nous venons vous demander de guérir notre roi Naroumen, lui
expliquais-je, en la regardant droit dans les yeux, d'un air décidé.
-Inutile de mentir avec moi, je peux voir au plus profond de ton âme.
-Je viens vous demander de guérir notre roi mais aussi ma sœur
Eleusis, me corrigeais-je sans pour autant lui donner la satisfaction de
céder à la panique.
-Tu es plus courageuse que je ne le pensais, elfe, déclara-t-elle, c'est
pourquoi je préfèrerais ne pas avoir à te tuer. Pars et tu auras la vie
sauve.
-Si tu dis vrai et que tu peux voir au fond de mon âme alors tu connais
déjà la réponse.
-Très bien, alors, que les choses soient ainsi. »
La gardienne tourna lentement la tête vers Fremin, avant qu'il
n'ait pu prononcer un mot, il se décomposa, et de lui, il ne resta plus
qu'un tas de cendres. Amynia poussa un cri de terreur, essaya de
s'enfuir, mais il était trop tard, en l'espace de quelques secondes, elle
fut réduite au même état que le farfadet. Un sourire machiavélique aux
lèvres, la gardienne se tourna vers Hirën.
"- Non! Hurlais-je en courant me placer devant Hirën. J'ai un marché à
vous proposer, proclamais-je tout en reprenant mon souffle, tuez-moi.
Tuez-moi, mais laissez Hirën partir et donnez-lui le remède pour
guérir Naroumen et ma sœur.
- Tu serais prête à donner ta vie pour les sauver? s'étonna-t-elle.
- Oui.
- Evher, ne fais pas ça! m'ordonna Hirën.
- Je ne suis là que pour une seule raison, lui rappelai-je en me tournant
vers lui, sauver Eleusis et Naroumen. Gardienne de la source aux
souhaits, acceptez-vous ma demande, continuai-je en m'adressant à la
femme d'eau.
- Si tel est ton désir alors oui, proclama-t-elle, je suis même prête à te
laisser la vie sauve si tu me bats en duel. Approche Hirën, elfe du
comté de l'éther."
Mon compagnon de voyage s'approcha prudemment de la
gardienne. Cette dernière ouvrit sa main de laquelle sortit une petite
fiole transparente dans laquelle brillait un liquide couleur émeraude.
Hirën prit le flacon et recula en hâte.
« - A présent, mets-toi en garde Evher du comté de l'eau, clama la
gardienne de la source. »
Je m'exécutai, sortant ma fine lame noire de son fourreau. Mon
adversaire se jeta sur moi, avant que je n'aie pu me mettre en position
d'attaque. Prenant mon épée à deux mains, j'arrêtai le violent coup
qu'elle avait tenté de me porter à la tête. Nous combattîmes longtemps,
sans jamais réussir à se blesser. Je voyais sur le visage de la gardienne
la même irritation que devait laisser transparaître le mien, j'avais hâte
que tout ceci se finisse, en bien ou en mal, cela m'importait peu à vrai
dire. D'un large fendant, elle coupa court à mes réflexions en me
blessant à la joue droite. Sous l'effet de la colère, mes coups
redoublèrent de force et d'intensité. Je réussis à lui entailler une jambe,
de laquelle sortit un liquide bleu nuit. A partir de cet instant, le combat
s'accéléra, nous étions toutes les deux de plus en plus blessées,
mutilées, mais personne ne prenait l'avantage.
Soudain, une pierre atteignit mon adversaire à la tête. Elle se
tourna vers Hirën. Profitant de ce moment d''inattention, je sautai
agilement sur son dos, lui pris les cheveux, et d'une main, lui trancha
la tête. Je m'écroulai sur le sol, à côté du cadavre. Avant de sombrer
dans l'inconscience, j'eus le temps d'apercevoir Hirën et de formuler ce
mot :
« -Merci. »
Je me réveillai cinq jours plus tard, Hirën m'avait ramenée au
palais. Il avait remis l'élixir à Naroumen. Sa majesté guérit
instantanément et fit porter le reste de la fiole à Eleusis, son mal la
quitta aussitôt. Aujourd'hui, je ne regrette qu'une chose, c'est de ne pas
avoir pu sauver Amynia et Fremin. Depuis toutes ces années, leur
souvenir n'a jamais cessé de me hanter. Il y a de cela un an, je suis
revenue à la source des souhaits accompagnée d'Hirën, afin de ne pas
oublier. Le corps de la gardienne avait disparu, les cendres d'Amynia
et Fremin aussi. Hirën pense que c'est le signe que cette période de
notre vie est révolue, il a sûrement raison. Mais le roi m'a tout de
même demandé d'écrire ce livre, pour que cette aventure ne sombre
pas dans l'oubli.

Documents pareils