Les Nombres, Viktor Pelevine
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Les Nombres, Viktor Pelevine
EXTRAITS DE PRESSE Les Nombres, Viktor Pelevine Presse écrite Page des libraires, automne 2014 LES ÉDITIONS ALMA ont l'heureuse idée de faire entrer dans leur catalogue l'écrivain russe Viktor Pelevine. On sait peu de chose de cet auteur, si ce n'est qu'il affectionne les univers étranges et absurdes. L'histoire est atypique Stopia, le personnage principal, prend toutes ses décisions en fonction de leur rapport au chiffre 34. Les joyeuses élucubrations de Pelevine et son imagination débridée rappellent parfois le célèbre roman de Luke Rhmehart, L'Homme-dé (L'Olivier) Mais la comparaison s'arrête là, car Viktor Pelevine compose un univers typiquement russe. L'auteur décrit la vie quotidienne dans un pays livré au chaos et peuplé de personnages hauts en couleur on pense notamment aux «protecteurs» tchétchènes, ou à ce devin détenteur d'une collection d'objets «porno-bouddhiste»... Maître de la satire, Viktor Pelevine pose un regard tendre et ironique sur son pays et ses habitants. Qu'adviendra-t-il de Stopia ? Lisez Les Nombres, vous finirez bien par le savoir. GUILLAUME LE DOUARIN Ouest France, 29 septembre 2014 Empire Mathématique et pensée magique Voici le nouveau roman de l'enfant terrible des lettres russes. Il est célèbre pour sa jubilation verbale et son univers romanesque. Stopia, un jeune garçon conclut une alliance avec le chiffre 7. Un chiffre censé le protéger. Le 7 est universel, tout le monde s'adresse a lui d'ailleurs des super-agents britanniques, des héros de contes populaires, des villes construites sur sept collines et même des hiérarchies d'anges attachées au septième ciel Néanmoins, le 7 le déçoit et il décide de choisir un nombre, le « 34 ». Il en fait le chiffre clé de sa vie placé sous le signe de l'empire mathématique et de la pensée magique. En fonction de sa présence ou de son absence, il dit oui ou non aux péripéties dans cette ex-URSS ou la grande affaire est de s'enrichir et jouir sans mourir. Sans oublier, âme slave oblige, de lire Pouchkine et consorts de temps en temps. Voila comment Stopia se dirige dans un monde ou les truands, terroristes, affairistes, crapules, ex du KGB putes, et poètes agissent selon leurs raisons. C'est caustique, lyrique et loufoque comme un film de Quentin Tarantino qui est d'ailleurs le surnom d'un personnage du roman. Le Monde des Livres, 26 septembre 2014 Chassez le hasard par la porte... 34 ? Prospérité. 43 ? Mort. Entre les deux, un roman joyeux et délirant de Viktor Pelevine Les chiffres sont clairs, précis, universels. Stiopa, le héros des Nombres, de Viktor Pelevine, l'a bien compris. Et le roman s'ouvre d'ailleurs sur ce postulat : dans la vie, il faut se choisir, plus encore qu'un dieu, un nombre, avec lequel passer un pacte. Ce nombre - ici, c'est le 34 qui sera élu « après de longues réflexions » -, on se soumettra tout entier à sa puissance, à sa mystique. Choix judicieux : Stiopa, grâce au miraculeux 34, parvient à faire fortune en Bourse. Voilà notre aventurier parti sur les routes de l'existence, son atout de choc en poche, prêt à braver les aléas de la vie en s'appuyant sur les signaux qu'il discerne autour de lui, cherchant même parfois l'inspiration du côté de ce qu'il parvient à comprendre de la philosophie bouddhiste. Le problème, c'est qu'à tout yin, son yang. Binga, la voyante, l'a d'ailleurs prédit : s'il veut éviter de mourir à l'âge de 43 ans - 43 est le chiffre maudit -, Stiopa doit se défaire de son « double lunaire », qu'il s'agira donc, dans un premier temps, d'identifier clairement, puis d'exterminer d'une manière ou d'une autre - en dissimulant par exemple un stylo-pistolet dans un godemiché. Sur la base de cette trame absurde, le récit avance en suivant les pensées du personnage, aussi idiotes et décousues soient-elles, et saute joyeusement d'une réflexion à une autre. Voyage sans fin Dopé aux références et aux citations qui, le plus souvent, sont tronquées, détournées, voire complètement erronées, ce roman du Russe Viktor Pelevine (paru à Moscou en 2003) emprunte tout autant à la culture patrimoniale (Gogol, Dostoïevski, et même au groupe de musique t.A.T.u) qu'à la pop culture internationale. Il se construit comme un jeu de fausses pistes, un emboîtement de digressions conduisant sans cesse le lecteur à s'interroger sur le sens qu'il convient de donner à cette histoire délirante. Il nous entraîne, enfin, vers les développements les plus inattendus, comme si le roman ne pouvait s'écrire que dans l'arbitraire le plus complet. Le style est si drôle qu'on se laisse volontiers embarquer dans ce voyage sans fin. Et l'on se surprend même à participer de cet univers paranoïaque en tentant - entre sagesse bouddhiste et clins d'œil aux Pokémon - de recoller les morceaux d'une vague intrigue, acharnés que nous sommes, comme le héros, à vouloir plaquer du sens là où il n’y en a pas. Né en 1962, scientifique de formation, Viktor Pelevine est l'une des figures de proue de la littérature russe contemporaine. Tout comme son héros, Stiopa, il semble penser que « dans la vie rien [n'est] dû au hasard », que « tout [est] lié et entrelacé ». Que l'ordre n'est jamais qu'un moment du désordre. Et qu'il est donc plus sage de vivre en suivant le précepte du poète Pasternak : « Plus c'est par hasard, et plus c'est sûr… » C'est justement ce mouvement qu'épouse Les Nombres, refusant de livrer des clés de lecture et nous demandant de faire cet effort-là : comprendre que l'abandon est, aussi, une vertu. Dégager du sens ? Mieux vaut préférer ne pas. • Quentin Civiel La Quinzaine Littéraire, 1er septembre 2014 Le nombre de votre vie PAR PIERRE BENETTI « II fallait suivre une voie différente : ne pas se lancer dans des rituels magiques confus, mais consacrer toute sa vie à ce nombre, fusionner avec lui en lui prouvant son dévouement par un effort quotidien. » C'est ce que va s'efforcer défaire Stiopa Mikhaïlov, le héros postsoviétique du dernier roman de Viktor Pelevine, dont le nombre 34 va organiser la vie. De ce businessman moscovite, le narrateur nous dit peu de chose : il a commencé par vendre des ordinateurs au moment de la dissolution de l'Union soviétique, il a eu trente-quatre ans alors que triomphait Boris Eltsine, il croit « comme la plupart des Russes aisés » au pouvoir des chamans, et son air évoque « le Pokémon Pikachu, devenu adulte et peureux ». Ce que le récit va déployer, c'est une longue série d'actions orientées vers son nombre fétiche, dont l'adoration, pleine de joie comme de crainte, est tout à la fois pour lui un rituel, une règle de vie et le moyen de contrer l'influence d'un nombre ennemi qu'il doit découvrir, ainsi que lui apprend une vieille prophétesse. La femme qu'il fréquente (dénommée Meowth, quant à elle placée sous le signe du 66), le capitaine des services secrets qui le sauve de l'attentat kamikaze d'un derviche tchétchène ou encore le banquier devenu son concurrent vont tour à tour lui donner des signes auxquels il croit dur comme fer. Toutefois, il ne faudrait pas prendre tout ceci avec autant de sérieux que Stiopa lui-même. L'art de Pelevine, placé sous l'égide du poète Daniil Kharms (1905-1942), précurseur de l'absurde dont les œuvres ne purent jamais être publiées de son vivant sous Staline, est avant tout puissamment satirique, souvent parodique et extrêmement ludique. L'auteur de La Vie des insectes (Seuil, 1995) nous mène en bateau de chapitre en chapitre, et peut-être même de phrase en phrase, en nous faisant croire que, pour vivre bien ou mieux en ex-URSS, il aurait suffi de se donner un nombre, une règle ou un dieu. De fait, Stopia devient l'un des hommes les plus influents du pays. Mais il demeure incapable de comprendre pour de bon que « l'époque où l'on pouvait attirer un Russe par l'odeur d'un cheese-burger pas trop frais était révolue ». « Chez nous renaissent des dieux vaincus. Des héros célestes qui ont commis un crime de guerre », dit-il à Meowth lors d'une de ces nombreuses scènes écrites sur un fil tendu entre réflexion métaphysique et description d'une société en mouvement. Bien qu'il soit le produit exemplaire de la perestroïka, Stopia n'a pas encore compris que la plus rigide des règles ou le plus respecté des rites ne changeait rien au temps historique où l'on se trouve, ou du moins n'était pas le bon moyen pour le modifier. Mais de quoi ou de qui Pelevine se moque-t-il ? Des nombreux « nouveaux riches » apparus depuis vingt ans en Russie ? De tous ceux qui se donnent des préceptes ou des « règles du jeu » ? Des reliquats de la croyance en une « âme russe » qui a parcouru tant d'œuvres écrites en cyrillique ? Peut-être du réel en entier, et de la littérature elle-même, qui peut en venir à produire une de ces phrases qui tournent en rond mais nous réjouissent : « Il était difficile de dire ce qui s'était précisément passé. C'était même impossible, car en réalité, rien ne s'était produit. » Inquiétante et drôle comme un récit de Kafka ou de Borges, parfois légèrement ennuyeuse mais toujours attrayante par l'effet de son étrangeté, l'histoire de Stiopa, ironiquement dédiée à Sigmund Freud et à Félix Dzerjinski, fondateur de la Tchéka (la police politique bolchevique), rappelle en permanence que l'intime est un lieu essentiel d'inscription du politique. Car c'est dans le moindre des actes de la vie quotidienne de Stiopa que se loge cette injonction qu'il s'est faite à lui-même ; c'est au cœur de ses pensées et de ses émotions que vont intervenir les révolutions économiques, politiques, sociales et culturelles entraînées par la disparition de l'Union soviétique, dont cette fable n'est peut-être qu'une parabole. Mais que symbolise encore le nombre de Stiopa ? La figure du chef auquel les sociétés sont capables de prêter allégeance ? Les idéologies qui se succèdent dans leur histoire ? Dès les premières pages, Pelevine installe son lecteur dans une épaisseur de sens qu'on ne saurait réduire au malaise ou au vertige que peut provoquer l'évolution de Stiopa dans un monde incompréhensible qu'il ne perçoit que sous l'angle du complot et qui semble si distant de luimême qu'il paraît l'avoir déjà quitté. « L'époque et la vie étaient absurdes jusque dans les profondeurs, quant à l'économie et aux affaires, elles dépendaient à tel point de Dieu sait quoi que n'importe quel homme se fondant sur une analyse pondérée pour prendre des décisions ne pouvait que ressembler à un crétin essayant de faire du patin à glace pendant une tempête. » Face à un tel constat, Stiopa s'est construit un monde sur des bases qu'il croit solides, en misant sur un nombre qui, au fond, pourrait être remplacé par un autre. Il mime en cela la société dont il est issu. Comme elle, il est à la recherche d'une manière de vivre - d'une forme à donner à la vie.