De l`attaché de presse au conseiller en communication

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De l`attaché de presse au conseiller en communication
Journée d’étude mai-juin 2016 – CRULH Université de Lorraine (Nancy)
De l’attachée de presse au conseiller en communication :
pour une histoire politique des communicants
La question des entourages – qu’il s’agisse de leur composition ou de leur évolution
quantitative au fil des Républiques – des hommes politiques a déjà fait l’objet d’un certain nombre
d’ouvrages [1], de travaux de recherche [2], d’articles dans des revues scientifiques [3] et de
témoignages [4]. Récemment, des politistes se sont attachés à mettre en lumière la
professionnalisation de l’activité politique et notamment le travail des collaborateurs [5], en
montrant que le « métier » a de plus en plus tendance à l’emporter sur la vocation, aspect qui avait
déjà été mis en lumière par Max Weber dans Le savant et le politique (1919). Quelques séries
télévisées américaines comme West Wing, House of cards ou Scandal ont popularisé le rôle clé joué
par les entourages, et notamment par les conseillers en communication, dans le processus de
décision politique. De même, des scandales récents comme l’affaire Dominique Strauss-Kahn ou
Jérôme Cahuzac ont montré l’influence que pouvaient exercer certains conseillers [6], comme Anne
Hommel, attachée de presse ou « attachée de stress » [7] de l’agence Euro RSCG, dirigée par
Stéphane Fouks.
Par-delà ces évènements récents qui ont placé sous le feu des projecteurs médiatiques
quelques communicants, il convient de s’interroger sur l’histoire de ces conseillers en
communication. Quand et comment sont-ils apparus ? De quelle façon et par quels moyens est-on
passé du simple rôle d’attachée de presse à celui plus englobant de conseiller en communication ?
Quel est le périmètre exact de leur mission et comment s’exerce leur influence ? Les communicants
peuvent-ils être réellement considérés comme des hommes d’influence et si la réponse est
affirmative comment mesurer celle-ci dans le processus de décision politique ? Quels sont les
connexions utilisées par ces conseillers de l’ombre, via leurs relais dans le monde des médias, pour
faire passer l’image et le message de leur « patron » ? En quoi les communicants sont-ils des
faiseurs d’opinion et des intercesseurs entre monde politique et sphère médiatique ?
Sous la IVe République, la fonction d’attachée de presse commence à apparaître dans
l’entourage des hommes politiques, notamment dans l’organigramme plus ou moins officiel des
cabinets ministériels. Depuis lors, le conseiller en communication a un double rôle qui consiste
d’une part, à fournir des éléments de langage à son patron, afin de canaliser sa parole publique et
d’autre part, à assurer l’interface entre celui qui l’emploie et le monde des médias, avec pour
objectif de promouvoir son image et son discours. Le communicant, ou spin doctor dans les pays
anglo-saxons, est donc chargé de faire du « marketing politique », une activité qui s’accroit
naturellement lors des campagnes électorales. Sur ce point, la campagne présidentielle de Jean
Lecanuet en 1965, dont l’un des conseillers est Michel Bongrand, peut être considérée comme un
tournant dans l’histoire de la communication politique française [8], de même que la campagne
pour les élections législatives de 1967 [9]. Le travail du communicant consiste donc pour l’essentiel
à façonner l’image d’un candidat pour convaincre l’opinion publique que celui-ci est l’homme de la
situation, en d’autres termes qu’il faut l’élire, le réélire ou le soutenir dans son action. Ainsi, il doit
sans cesse adapter et faire évoluer le message de son candidat afin de le faire coïncider avec les
attentes supposées de l’électorat en ayant parfois recours aux artifices du storytelling, une sorte de
« conte de faits contemporain » dont l’objectif est de « vendre un candidat ». Pourtant, même si le
métier de conseiller en communication a connu des transformations notables depuis les années
1950, avec en toile de fond une professionnalisation accrue, l’essentiel de ses attributions demeure,
ce dont témoigne des surnoms qui perdurent au fil du temps. En effet, les qualificatifs de « sorcier »
(Jacques Pilhan [10]), d’éminence grise ou faiseur d’images (Gérard Colé [11] et Jacques Séguéla
[12]) appartiennent désormais au champ de l’histoire politique sans que cet objet d’étude n’ait
donné lieu jusqu’à présent à un essai global de compréhension et de mise en lumière dans un sens
politique et non médiatique.
Cette journée d’études a donc pour ambition d’aborder le versant politique des
communicants plutôt que celui qui relève de l’histoire des médias, même si la ligne de crête entre
ces deux versants est étroite. Par ailleurs, la frontière entre le conseiller en communication et
l’éminence grise est parfois mince et perméable, tant le poids pris par certains conseillers fait que
leurs attributions dépassent largement le cadre strict défini par leurs fonctions officielles (Pierre
Juillet et Marie-France Garaud [13] pour G. Pompidou ; Roger Chinaud [14] pour V. Giscard
d’Estaing ; Jacques Attali [15] et François de Grossouvre [16] pour F. Mitterrand ; Thierry Saussez,
Patrick Buisson et Henri Guaino pour N. Sarkozy). Les phénomènes de capillarité et de connexions
entre monde politique et sphère médiatique seront donc au centre de cette journée d’études dont les
travaux s’orienteront autour de deux axes.
Axe 1 : Les filières de recrutement et d’accès à la fonction de conseiller en communication. Les
attributions et missions fluctuantes des communicants. Sur quels critères sont-ils recrutés ? Ces
critères ont-ils évolué depuis les années 1950 ? Comment accède-t-on à un poste sensible qui repose
sur une relation de confiance entre l’homme politique et un conseiller qui est là pour gérer son
image ? Peut-on mettre en évidence les grandes lignes de l’évolution de cette profession ? Si les
attachées de presse étaient à l’origine des femmes issues du journalisme, il semble que cette
fonction se soit peu à peu masculinisée avec l’arrivée des sondeurs et spécialistes des études
d’opinion.
Axe 2 : A travers l’exemple de quelques personnalités politiques et de moments clés comme les
campagnes électorales, on tentera de mettre en évidence l’influence réelle ou supposée des
conseillers en communication sur celui qu’ils servent. Comment les communicants parviennent-ils à
convaincre l’élu ? Quels sont les éléments dont ils disposent pour mettre en œuvre leur marketing
politique ? Quelles relations entretiennent-ils avec le monde de la presse ? Quels sont leurs
réseaux ? Les communicants multiplient les conseils mais sont-ils toujours de si bon conseil ? La
rupture entre l’élu et son faiseur d’images repose-t-elle uniquement sur la défaite du premier dans
les urnes ou peut-il s’agir d’une approche différente de tel ou tel événement ?
Jérôme Pozzi, MCF Histoire contemporaine, Université de Lorraine CRULH-EA3945
Lieu : Université de Lorraine – site de Nancy.
Calendrier :
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La journée d’études se déroulera à Nancy en Mai-Juin 2016 (la date précise sera fixée
prochainement). La publication des actes est prévue pour fin 2017.
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Propositions de communication (résumé de 5000 signes avec biographie de l’auteur) à adresser par
mail à [email protected] pour le 15 novembre 2015 dernier délai.
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Les intervenants retenus recevront une réponse fin décembre 2015.
Voir René Rémond, Aline Coutrot et Isabel Boussard (dir.), Quarante ans de cabinets
ministériels. De Léon Blum à Georges Pompidou, Paris, FNSP, 1982 ; Francis de Baecque et Jean[1]
Louis Quermonne, Administration et politique sous la Ve République, Paris, FNSP, 1982 ; Pierre
Birnbaum, Les sommets de l’Etat. Essai sur l’élite du pouvoir en France, Paris, Seuil, 1977 ;
Christian Bigaut, Les cabinets ministériels, Paris, LGDF, 1998 ; Dominique Chagnollaud, Les
cabinets ministériels côté cour, Paris, L’Harmattan, 2000 ; Olivier Schrameck, Dans l’ombre de la
République. Les cabinets ministériels, Paris, A. Colin, 2006.
Eric Chiaradia, L’entourage du général de Gaulle juin 1958-avril 1969, Paris, Publibook, 2011 ;
Sabrina Tricaud, L’entourage de Georges Pompidou (1962-1974). Institutions, hommes et
pratiques, Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2014.
[2]
Voir entre autres le numéro spécial de la revue en ligne de Sciences Po coordonné par Gilles Le
Béguec et Christine Manigand, « Les entourages des chefs de l’Etat de Mac-Mahon à Valéry
Giscard d’Estaing », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n°8, mai-août 2009,
www.histoire-politique.fr ; Gilles Le Béguec, « Les premiers pas de la République des énarques »,
[3]
Bulletin de l’institut d’histoire du temps présent, n°71, juin 1998, p. 8-23. Par ailleurs, le 13ème
congrès national de l’AFSP, 22-24 juin 2015, Aix en Provence, a été consacré à la « Sociologie des
entourages politiques ».
Voir le témoignage récent de l’ancien conseiller de Valéry Giscard d’Estaing, Jean Sérisé, La
France n’est pas seule au monde, Paris, de Fallois, 2015.
[4]
Voir l’ouvrage récent dirigé par Didier Demazière et Patrick Le Lidec, Les mondes du travail
politique. Les élus et leurs entourages, Rennes, PUR, 2014.
[5]
[6] Voir
le documentaire télévisé en deux parties de Luc Hermann et Gilles Bovon, Jeu d’influences,
diffusé pour la 1ère fois le 6 mai 2014 à 20h35 sur France 5. Ce documentaire a été suivi d’un livre
de Luc Hermann et Jules Giraudat, Jeu d’influences, Paris, La Martinière, 2014.
[7]
Luc Le Vaillant, « Anne Hommel, attachée de stress », Libération, 10 octobre 2012.
Christian Delporte, La France dans les yeux. Une histoire de la communication politique de
1930 à nos jours, Paris, Flammarion, 2007, p. 121-160 et du même auteur Images et politique en
[8]
France au XXe siècle, Paris, Nouveau monde éditions, 2006, p. 319-332.
Voir Jérôme Pozzi, « Investitures, parachutages et communication politique des candidats
gaullistes lors de la campagne des élections législatives de 1967 », dans Eric Kocher-Marboeuf et
François Dubasque (dir.), Terres d’élections. Les dynamiques de l’ancrage politique 1750-2009,
Rennes, PUR, 2014, p. 375-384.
[9]
[10]
François Bazin, Jacques Pilhan, le sorcier de l’Elysée, Paris, Plon, 2009.
[11]
Gérard Colé, Le conseiller du prince, Paris, Michel Lafon, 1999.
[12]
Jacques Séguéla, La parole de Dieu, Paris, Albin Michel, 1994.
[13]
Sabrina Tricaud, « Trajectoires féminines dans les entourages politiques : l’exemple de Marie-
France Garaud, Richelieu en jupons », in Parlement[s]. Revue d’histoire politique, L’Harmattan,
2013/1, n°19, p. 49-60.
[14]
Roger Chinaud, De Giscard à Sarkozy. Dans les coulisses de la Ve, Paris, L’Archipel, 2009.
[15]
Jacques Attali, Verbatim, Paris, Fayard, 3 vol., 1993 et 1995.
[16]
Raphaëlle Bacqué, Le dernier mort de Mitterrand, Paris, Grasset, 2010.