Carole Bouquet

Transcription

Carole Bouquet
RENCONTRE
Icône de
beauté, actrice,
vigneronne...
Autant de rôles
qui lui ont permis
de trouver son
équilibre.
Carole Bouquet
En Sicile, où elle
produit un vin
ensoleillé, Carole
Bouquet a enfin
planté ses racines.
Lucide, sereine,
elle se raconte.
Propos recueillis
par Richard Gianorio
“je me suis inventé une vie”
Trench en cuir
verni, collection
automne-hiver
2007-2008,
Valentino Roma.
PHOTO ANDRÉ RAU
“À l’instant
même où les
hommes ont
posé leur regard
sur moi, j’ai su
que la beauté
était une arme.”
RENCONTRECAROLE BOUQUET
ystématiquement, naturellement, aisément,
Carole Bouquet met en boule sa légende de papier glacé : elle est enjouée, vive, disponible.
Si on avait un brin de courage, on lui proposerait
de boire un ballon de rouge sur le zinc d’un bistrot. Peut-être même qu’elle accepterait? Ou non.
En face de soi, non pas une BCBG dévoyée, surtout pas, non,
plutôt une bonne vivante revendiquée, amusée et amusante,
parlant d’elle avec la lucidité analytique des grands timides
dès que les barricades vacillent.
On ne réclamera pourtant que de l’eau minérale dans le bar
d’une méga-boutique à vins parisienne – où on la rencontre –,
qui a le bon goût de distribuer le sien, le passito, un muscat
raffiné réchauffé par le soleil incendiaire de Pantelleria, un
caillou volcanique jeté dans la Méditerranée, à mi-chemin
entre la Sicile et la Tunisie.
C’est sur cet îlot italien devenu malgré lui une étape jet-set
(Armani y possède une villa, Madonna y a fêté
son anniversaire) que Carole Bouquet, propriétaire d’un vignoble, a ancré ses racines
et, d’une certaine façon, amarré son destin.
Ce n’est certainement pas par affinités mondaines que l’actrice a choisi d’en faire son
éden. Depuis dix ans, laborieusement, elle a
réuni parcelle après parcelle 10 hectares de
terres abandonnées en terrasses, qu’elle a
remis en état. La simple évocation de ce jardin secret – les parfums d’abricotiers en fleur, les couleurs de feu – la transporte.
À Paris aussi, Carole Bouquet n’a plus peur des contreemplois. Elle mène désormais une carrière affranchie de
toutes contraintes. On l’attend au théâtre (« Bérénice », mis
en scène par Lambert Wilson aux Bouffes du Nord, en janvier prochain) et dans trois films de cinéma. Dans l’un d’eux,
« les Enfants de Timpelbach », elle retrouvera son excompagnon, Gérard Depardieu. Le scénario ne leur réserve aucune scène ensemble. Espiègle, elle s’en amuse...
On n’insiste pas... Confessions d’une femme plus douce
qu’il n’y paraît, plus forte qu’il n’y paraît.
S
“Mon rêve
le plus cher :
marcher dans
un champ
d’orangers
en fleur,
m’y asseoir
et méditer.
C’est une image
du Paradis.”
Manteau court
en soie brochée
de Lurex,
collection
printemps-été
2007, Valentino.
“LE SUD, LA PROMESSE DU BONHEUR...”
« ... Mon antidépresseur, ma force, ma lumière, c’est le Sud.
Petite déjà, je voulais être italienne et rêvais devant les tableaux
de Botticelli, Lippi, Giotto ou Piero della Francesca. Aujourd’hui,
dès que j’atterris à Fiumicino, je me sens bien; la même chose
à l’aéroport de Trapani qui est peut-être le plus laid du monde.
Ma manière de devenir italienne, c’est de produire quelque
chose avec de la terre. C’est une jolie histoire même si elle a
été très compliquée. Je fais tout à l’envers : j’ai décidé que je
venais de là et suis allée y planter mes racines. Être une femme m’a aidée. Parce qu’en Sicile, il est a peu près impossible
d’entreprendre quoi que ce soit. Ils ont vu arriver une femme
honnête, respectueuse, admirative. Et inconsciente aussi.
“Ce vin raconte une histoire qui me
ressemble, celle de cette île rude et
austère qui produit un vin doux et sensuel.”
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« ... Je suis née à Neuilly, mais cela ne veut rien dire, c’est
comme une désincarnation affective. Ma famille ne m’a pas
donné une identité. Je n’ai rien puisé. Mon père, qui m’a élevée, est mort quand j’avais 20 ans. S’il avait vécu, je suis sûre
que j’aurais trouvé un chemin vers lui à travers mes enfants.
Il n’en a pas été ainsi. Mais je suppose que j’ai reçu assez
d’amour pour pouvoir vivre, exister, désirer, rêver... On m’a au
moins transmis cette force-là, la capacité de rêver. Ensuite,
bien sûr, cela demande de plier cette vie à ses rêves, de se
l’accaparer. Je continue de rêver. Mon rêve le plus cher : marcher dans un champ d’orangers en fleur, m’y asseoir et méditer. C’est une image du Paradis. J’y pensais tellement que
j’ai failli acquérir une terre avec des orangers. Mais l’ami qui
m’encourageait dans cette voie est mort. J’ai renoncé à cette
folie. D’ailleurs, il n’y a presque plus de champs d’orangers... »
“LA COQUETTERIE, JE NE SAIS PAS CE QUE C’EST...”
« ... La féminité, c’était comme une langue étrangère que j’ai
mis du temps à apprendre. Jusqu’à 12 ans, on m’a prise pour
un garçon. Aujourd’hui, je reconnais enfin que j’ai été gâtée par
la nature et que les fées penchées sur mon berceau se sont
montrées généreuses. Mais jeune fille, j’étais gênée par cette
beauté et je n’en rajoutais pas. Je suis ravie d’avoir eu des
garçons : je crois que je n’aurais pas été une bonne mère pour
une fille. Je n’aurais pas su. Ou c’est elle qui m’aurait appris ?
Avec des garçons, c’était autre chose, une terre étrangère,
je pouvais tout inventer. Je les ai élevés librement. »
PHOTO ANDRÉ RAU
« ... Je préfère ce mot à celui de viticultrice, parce qu’il est plus
terrien et que je suis très attachée à la terre. Cela m’occupe
l’esprit tout le temps, trop même. Mon vin s’appelle Sangue
d’oro, le sang d’or. C’est christique. Ce sont aussi les couleurs
du drapeau sicilien, rouge et jaune. Ce vin raconte une histoire
qui me ressemble, celle de cette île rude et austère qui produit un vin doux et sensuel. Cette terre, je m’y sens à ma place.
J’y étais récemment, il faisait 40°C et c’est exactement ce qui
me convient : j’ai besoin de cette lumière... »
“JE VIENS DE NULLE PART...”
▼
“JE SUIS VIGNERONNE...”
Les gens ont développé une sorte de tendresse à mon égard
et m’ont protégée. Aujourd’hui, je suis des leurs : je prends
la parole avec les producteurs de vins siciliens. »
RENCONTRECAROLE BOUQUET
“LA MODE NE M’INTÉRESSE PAS...”
« ... Mais j’aime la haute couture pour sa rareté et l’exigence
de son travail. La haute couture, c’est de la sorcellerie : n’importe quelle femme, je dis bien n’importe quelle femme, habillée dans une robe faite pour elle est extraordinaire. Mais
dans la vie, je suis toujours en jean. Chaque fois que je dois
me parer pour une soirée, c’est un véritable effort que mes amis
soulignent invariablement... »
“JE N’AI JAMAIS ÉTÉ À L’AISE
AVEC LA SÉDUCTION...”
« ... À l’instant même où les hommes ont posé leur regard sur
moi, j’ai su que la beauté était une arme. Les désirs que je suscitais me faisaient peur. Et puis, mon éducation, basée sur le
mérite, m’interdisait de me prévaloir de quoi que ce soit : en
quoi avais-je mérité d’être belle? J’aurais aimé qu’il y ait plus
de joie. Ce pouvoir de la beauté existait donc et me déplaisait vraiment : je n’aime ni le pouvoir, ni les gens de pouvoir
“Chaque fois
que je dois
me parer pour
une soirée, c’est
un véritable
effort que mes
amis soulignent
invariablement...”
délester de la peur. Longtemps, j’ai joué sans lunettes, moi qui
suis myope : ça m’arrangeait de ne rien voir. J’ai été nommée
aux césars pour “Rive droite, rive gauche”, le premier film dans
lequel je porte des lentilles! (Rires.) Je voyais mes partenaires,
mon jeu était devenu plus généreux. Aujourd’hui, je n’ai plus
peur de rien, même quand je n’y arrive pas. Sur un plateau de
cinéma, je suis chez moi. Et au théâtre aussi, comme pour
“Bérénice” aux Bouffes du Nord, au plus près des spectateurs.
Avant je détestais les répétitions, maintenant j’adore ça.
Le plaisir vient de l’abandon. Il ne vient que de l’abandon... »
Longue robe
bustier en soie
plissée rouge,
collection
automne-hiver
2007-2008,
Valentino.
Coiffure Katia.
Maquillage
Jacques
Clémente.
“JE N’AI AUCUNE ENVIE D’ÊTRE DÉÇUE...”
RÉALISATION
« ... C’est sans doute pour cela que j’ai longtemps tu mes rêves
de peur de ne pas les atteindre ou de les trahir. Par exemple,
je ne me suis jamais dit “Je veux être actrice”. Je n’étais pas
armée pour courir des castings pendant dix ans. Je me suis
organisée pour me protéger et j’ai passé ma vie à remettre
les choses à l’endroit. Aujourd’hui tout fait sens : je me suis
inventé une vie, c’est un luxe inouï. J’ai plié le monde à mes
rêves. J’ai cru que c’était de la chance ou un accident, mais
je vois bien qu’il y a eu beaucoup de travail et d’efforts.
Cette renaissance n’est pas arrivée par hasard : j’ai dû faire
preuve d’un peu de courage. C’est l’audace des timides, ce
vieux paradoxe. Les acteurs sont de drôles de gens. Je peux
faire des choses insensées. Par exemple,
il y a quinze ans, pour impressionner
les enfants avec qui je me promenais,
j’ai sauté du pont du Gard. Comme
ça, une impulsion. Quelqu’un a dû dire
“Pas cap !” et j’ai sauté tout de suite.
Je me suis fait atrocement mal mais je
ne l’ai pas montré... »
VÉRONIQUE CARRÉ
“J’ai plié le monde à mes rêves. J’ai cru que
c’était de la chance ou un accident, mais je
vois bien qu’il y a eu beaucoup de travail.”
“ACTRICE EST UN MÉTIER QUI ME VA BIEN...”
« ... Je m’y sens même incroyablement à ma place. C’est sans
doute parce que je me suis longtemps sentie étrangère à tout
que ce métier m’est si naturel. Rétrospectivement, je me dis
qu’il devait y avoir chez moi une nécessité suffisamment désespérée pour que Buñuel me choisisse moi. Un besoin de plaire
refoulé qui devait être immense. J’étais terrorisée et pourtant
j’y suis allée : c’est ça la nécessité absolue. Je demandais
sans cesse à Buñuel comment j’étais mais rien ne me rassurait, je n’entendais rien, ne croyais rien. J’ai mis du temps à me
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“JE N’ARRIVE PAS À CROIRE QUE J’AI 49 ANS...”
« ... Même si dans le regard des hommes, je vois bien qu’on
ne me considère pas comme une ancêtre. (Rires.) Je n’avais
jamais pensé vivre aussi longtemps. Je pensais mourir jeune
parce beaucoup de gens autour de moi sont partis. C’est
pour cela que la mort ne me fait pas peur, pas plus que la maladie ou la douleur. Vieillir ne m’enchante pas mais ce n’est
pas si douloureux. Et puis, j’ai ce trait de caractère-là : je ne
souffre pas des choses sur lesquelles je n’ai aucun contrôle.
Et le temps qui passe est incontrôlable. J’ai décidé de ne
pas me battre : le portrait de Dorian Gray, ce n’est pas mon
fantasme. On peut retoucher une photo, mais pas la vie...
Quand même, les femmes de ma famille sont belles longtemps. Nous vieillissons d’un coup, mais très tard! Récemment, j’ai rencontré le directeur de l’Opéra de Paris dans un
avion. J’étais avec ma tante, qu’il a prise pour ma sœur. (Rires.)
■
Nous avons de bons gènes... »
PHOTO ANDRÉ RAU
– du moins j’aime ceux qui y ont renoncé. Longtemps, je me
suis cachée, timide et apeurée. J’avais pris l’habitude de m’habiller en noir pour me fondre dans le décor. Ce n’est pas
l’effet que je devais produire puisque c’est comme ça que
Bertrand Blier m’a remarquée et engagée pour “Buffet froid”.
J’ai fait la paix avec cette beauté plus tard, à l’époque de “Trop
belle pour toi” et de mon contrat avec Chanel. Aujourd’hui,
quand je regarde les très jeunes femmes, c’est pour moi un
spectacle exquis ; je vois immédiatement celles qui sont
conscientes ou pas de leur attrait. À leur âge, je tournais avec
Buñuel, mon premier film, “Cet obscur objet du désir”. Il avait
77 ans et lisait en moi comme dans un livre ouvert. Pour moi,
c’était le Diable. Tout ce qu’il m’a prédit, y compris le contrat
Chanel!, s’est réalisé... »