Cour d`appel - Fromont Briens

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Cour d`appel - Fromont Briens
Cour d’appel
„ DISCRIMINATION SYNDICALE
Méthode de reconnaissance et
chiffrage de l’indemnisation
364-18
Cécilia Arandel
CA Agen, 11 févr. 2014, n° 13/00532
Avocat
L’évocation de l’exercice d’un mandat représentatif lors de l’entretien d’évaluation
peut caractériser une discrimination syndicale. Le fait que deux fiches d’entretien
individuel annuel fassent mention d’une disponibilité réduite compte tenu des fonctions syndicales est suffisant pour caractériser une discrimination. Par ailleurs, l’existence d’une discrimination n’implique pas nécessairement une comparaison avec la
situation d’autres salariés.
Les faits
L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Agen s’inscrit
dans le cadre de procédures civile et pénale en reconnaissance d’une discrimination syndicale, procédure qui a duré plus de dix ans et a connu de multiples rebondissements. Estimant qu’ils faisaient
l’objet d’une discrimination syndicale de la part de
leur employeur, plusieurs salariés ont engagé une
procédure prud’homale en référé à l’encontre de
celui-ci. Ils ont été déboutés de leur demande. Ils
engagèrent alors une action pénale et, par jugement du 3 avril 2003, le Tribunal correctionnel
de Cahors déclarait le directeur financier et des
ressources humaines ainsi que le directeur général de la société coupables du délit de discrimination syndicale pour la période du mois de juin
1997 au mois de mai 2000.
Les demandes et argumentations
La Cour d’appel d’Agen, par un arrêt du 15 janvier 2004, relaxait les dirigeants au motif qu’aucun acte de discrimination n’avait été commis
au cours de la période visée.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 9
novembre 2004, cassait l’arrêt de la Cour d’appel
d’Agen. La Haute Juridiction reprochait notamment à la cour d’appel de ne pas avoir procédé à
une étude comparative entre les salaires et coefficients des représentants du personnel et ceux des
autres salariés de l’entreprise, à diplôme équivalent et même ancienneté, et renvoyait l’examen
du dossier à la Cour d’appel de Bordeaux.
Par un arrêt en date du 6 avril 2005, la Cour d’appel de Bordeaux, considérant que les éléments
constitutifs du délit de discrimination syndicale
étaient réunis à l’encontre du Directeur financier et des ressources humaines, le condamnait
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Fromont Briens
à payer à chacun des salariés, parties civiles des
dommages et intérêts.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation,
le 20 juin 2006, cassait cet arrêt mais en ses
seules dispositions relatives à la fixation du préjudice des parties civiles et renvoyait l’affaire
devant la cour d’appel de Toulouse.
David Calvayrac
Avocat associé
Fromont Briens
La Cour d’appel de Toulouse, par un arrêt en date
du 30 avril 2007, ordonnait la réparation du préjudice des parties civiles en évaluant les dommages et intérêts entre 8 000 € et 16 000 €.
C’est dans ce contexte que, parallèlement, les
salariés saisissaient, le 22 mai 2004, puis à nouveau le 29 mai 2008, le Conseil de prud’hommes
de Figeac, dans le cadre d’une action au fond,
afin de faire condamner la société au règlement
de dommages et intérêts pour préjudice économique et moral résultant d’une discrimination
syndicale. Ils sollicitaient également la fixation
de leurs coefficients et rémunérations ainsi que
la condamnation de l’employeur aux rappels de
salaire correspondant.
Par jugement de départage du 29 mai 2009, le
conseil de prud’hommes, après avoir ordonné
avant dire droit une expertise, déboutait les salariés et le syndicat CGT de leur demandes. Les
salariés et le syndicat CGT interjetaient alors
appel de cette décision. Ils faisaient valoir qu’il
avait été établi judiciairement qu’ils avaient été
victimes de discrimination syndicale durant leur
carrière professionnelle et indemnisés pour la
seule période 1997-2000 et que la limitation à
la période de prévention pénale n’excluait pas
que ce retard d’évolution de carrière avait pris
effet antérieurement et se soit poursuivi ultérieurement.
L’arrêt de la Cour d’appel d’Agen du 11 février
2014 intervient au terme de cette longue procédure.
Jurisprudence Sociale Lamy
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Arrêt de cour d’appel
La décision, son analyse et sa portée
La Cour d’appel d’Agen reconnaît que les salariés ont été victimes
de discrimination syndicale et leur attribue des dommages et intérêts compris entre 30 000 € et 174 000 €. L’intérêt de cet arrêt
se rapporte aux méthodologies retenues par la cour d’appel.
• Sur la méthode pour retenir une discrimination
syndicale
La cour d’appel rappelle, tout d’abord, l’article L 1132-1 du Code
du travail qui définit la discrimination et l’article L. 1134-1 du
Code du travail qui précise les modalités de preuve d’une discrimination. Il appartient au salarié de présenter des éléments de
fait laissant supposer l’existence d’une discrimination, à charge
pour l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des
éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
La cour poursuit en rappelant que la mention dans les fiches
d’entretien individuel d’une disponibilité réduite compte tenu
des fonctions syndicales, est suffisante pour caractériser une
discrimination. Cette solution est, par ailleurs, reconnue par la
Cour de cassation (Cass. soc., 11 janv. 2012, n° 10-16.655).
Elle rappelle également que l’existence d’une discrimination n’implique pas nécessairement une comparaison avec la situation
d’autres salariés. Pourtant, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans le volet pénal de cette affaire, avait précisé que pour apprécier une éventuelle disparité de traitement, il convenait de comparer
les salaires et les coefficients des salariés de l’entreprise, à diplôme
et ancienneté équivalents (Cass. crim., 9 nov. 2004, n° 04-81.397).
Ces rappels étant faits, la Cour d’appel d’Agen s’appuie sur les
différentes décisions de la procédure pour considérer que la discrimination est établie et ce, sans procéder véritablement à une
démonstration, ni motiver, en droit, sa position. Elle part ainsi du
postulat qu’il a été judiciairement établi que les salariés avaient
été victimes de discrimination durant leur carrière professionnelle, discrimination qui n’avait été indemnisée que pour la période courant de 1997 à 2000. Elle souligne à ce titre que la Cour
d’appel de Bordeaux a effectivement procédé à une étude comparative des salaires et coefficients des représentants du personnel et des autres salariés de l’entreprise, à diplôme équivalent
et même ancienneté. Elle poursuit, pour écarter l’argumentation de l’employeur, qu’il n’y a pas lieu de retracer à compter
de la date d’embauche et année après année les coefficients
et salaires pour chaque période considérée par rapport à ceux
des salariés du panel retenu. Au contraire, selon la Cour d’appel
d’Agen, il y a lieu d’apprécier l’évolution globale de la carrière du
salarié, au regard de la situation dans laquelle l’employeur l’a
mis puis l’a maintenu. Fort des différentes décisions intervenues
dans le cadre de la procédure et reconnaissant l’existence d’une
discrimination, la Cour d’appel d’Agen conclut que les salariés
établissent les éléments de fait laissant supposer l’existence
d’une discrimination. Cette démarche apparaît contestable, la
cour d’appel, sans procéder à une véritable démonstration ou
motivation de sa décision, se contentant de mettre en avant les
différentes décisions favorables aux salariés pour considérer que
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ces derniers établissent les éléments laissant supposer l’existence
d’une discrimination.
Elle se devait alors, dans un second temps, d’examiner les éléments présentés par l’employeur afin de déterminer si celui-ci
prouve que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à
toute discrimination. Or, elle se contente d’examiner le rapport
d’expertise mis en avant par l’employeur et qui conclut à l’absence de toute discrimination syndicale. Cette analyse conduit
la Cour d’appel d’Agen à considérer que l’expert ne procède à
aucune démonstration, comporte des approximations et jugements de valeur et en conclut de manière lapidaire que l’expertise était « inutile ». À l’image de la méthode retenue pour apprécier l’existence d’éléments caractérisant une discrimination,
la cour d’appel cite plusieurs extraits du rapport d’expertise pour
le disqualifier sans apporter une démonstration globale. La cour
d’appel en déduit alors, au terme d’une motivation peu convaincante, l’existence d’une discrimination syndicale. Quoi qu’il en
soit, il lui appartenait alors d’évaluer le préjudice subi par les salariés en raison de cette discrimination.
• Sur la méthode retenue pour chiffrer
l’indemnisation
La Cour d’appel d’Agen, pour chiffrer le préjudice des salariés victimes de discrimination syndicale, valide la méthode de calcul
dite du « triangle ». Cette méthode consiste à retenir la différence entre le salaire moyen du panel et le salaire perçu par
l’intéressé. Cette différence est multipliée par treize, les salaires
étant perçus sur treize mois. Cette somme est ensuite multipliée
par le nombre d’années comprises entre le début de l’engagement syndical et le départ de l’entreprise des salariés et ce, nonobstant une éventuelle évolution ultérieure.
La cour d’appel applique ensuite une majoration de 30 % du
total afin d’intégrer l’incidence sur les droits à la retraite des salariés. Il est à noter que la Cour de cassation préconisait, dans
cette affaire, une majoration de 15 % au titre de l’ancienneté et
du préjudice subi du fait du manque à gagner au titre de l’intéressement et de la participation. Le préjudice moral est, quant
à lui, apprécié à hauteur de 1 000 € par an alors que la Cour de
cassation recommandait une valorisation à hauteur de 3 000 €.
Cette méthode n’apparaît pas satisfaisante car peu précise et
relativement arbitraire. Il est ainsi contestable de multiplier la
différence de rémunération du panel avec celle du salarié par
le nombre d’années comprises entre le début de l’engagement
syndical et le départ de l’entreprise. En effet, ce calcul n’intègre
pas une augmentation de la rémunération en cours de période,
et donc, une éventuelle réduction de l’écart entre le panel et la
rémunération du salarié. De même, la majoration de 15 % ou 30
% apparaît arbitraire et difficilement applicable à chaque situation de discrimination.
L’employeur ayant fait savoir qu’un pourvoi en cassation devait
être formé, l’arrêt de la Cour d’appel d’Agen ne pourrait donc
que constituer une nouvelle étape dans cette affaire à rebondissements et non un arrêt fondateur en matière de discrimination.
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