Barbe et test d`ajustement : qui s`y frotte s`y pique ?

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Barbe et test d`ajustement : qui s`y frotte s`y pique ?
D
D O S S I E R
P R O T E C T I O N
R E S P I R A T O I R E
Barbe et test d’ajustement :
qui s’y frotte s’y pique ?
Plusieurs questions surgissent lors des
essais d’ajustement des appareils de protection respiratoire
(APR). Un problème récurrent : les barbus ! Parmi les situations épineuses, il y a les travailleurs qui refusent de se raser
et d’autres qui se laissent pousser la barbe pour contourner les
tests. Et qu’en est-il lorsqu’il s’agit des médecins ?
Une question d’ajustement
Angélique Métra
asstsas
Une fois que l’établissement a choisi le type d’APR approprié (N-95, masque à cartouches, etc.), chaque futur utilisateur
doit passer un test d’étanchéité. La norme CSA Z94.4-93 spécifie que « Rien ne doit s’interposer entre la surface d’étanchéité
du masque et le visage de l’utilisateur ». Si l’APR ne s’ajuste
pas adéquatement, les contaminants pénètrent à l’intérieur et
la protection respiratoire perd son efficacité.
Ainsi, tout ce qui peut entraver le contact peau/APR est un
problème : barbe, favoris, longue moustache, lunettes, etc. Ils
viennent créer des fuites au visage et diminuent l’efficacité de
la protection respiratoire en place.
Comment réagir ?
La firme d’avocats Heenan
Blaikie a été mandatée par des
associations d’employeurs pour
émettre des avis juridiques sur la
problématique des travailleurs et
des médecins barbus et nécessitant une protection respiratoire.
Des communiqués ont été émis en juillet 2004. En voici les
points saillants. Intéressons-nous d’abord aux travailleurs.
La jurisprudence tend à préciser que
les motifs pour exercer un droit de
refus doivent relever de conditions
de travail et non de conditions
personnelles.
20 – OBJECTIF PRÉVENTION – VOL. 27, NO 5, 2004
Le droit de refus
Un travailleur peut-il recourir à son droit de refuser d'exécuter un travail, s’il n’accepte pas de se raser dans un contexte
où une protection respiratoire est requise et disponible ? Pour
exercer un tel droit, le travailleur doit avoir des motifs raisonnables de croire que l’exécution de ce travail l’expose à un
danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique.
C’est la condition primordiale.
Or, ce droit ne trouve pas application si les conditions de ce
travail sont normales, eu égard au type de travail exercé. Ainsi,
un travailleur de la santé qui doit prendre soin d’un bénéficiaire
atteint ou potentiellement atteint du Syndrome respiratoire
aigu sévère (SRAS) ou de la tuberculose, avec les protections
adéquates, serait donc considéré comme dans une situation de
travail normale.
En outre, la jurisprudence tend à préciser que les motifs
pour exercer un droit de refus doivent relever de conditions
de travail et non de conditions personnelles. Or, la barbe est
une condition personnelle. De fait, l’avis
juridique mentionne que dans pareille
situation le droit de refus ne trouverait
pas application et que la Commission de
la santé et de la sécurité du travail
(CSST) ne devrait pas intervenir.
Le droit à la vie privée
Les tribunaux québécois ont reconnu
que le port de la barbe constituait un
droit fondamental protégé par le droit à
la vie privée qui s’appuie sur le Code civil
du Québec et sur la Charte des droits et
libertés de la personne.
Toutefois, le droit à la vie privée n’est
pas absolu. Il doit s’exercer dans les limites prévues par l’article 9.1 de la Charte.
Il permet des restrictions ou intrusions
dans la mesure où trois conditions sont respectées : les restrictions ou limitations répondent à un objectif légitime et important, elles doivent être rationnellement
liées à cet objectif et elles représentent
une atteinte minimale au droit protégé.
Des décideurs se sont déjà penchés sur
des situations impliquant le port d’équipements de protection individuels, et plus
spécifiquement le port d’APR, en rapport
avec l’exigence de se raser la barbe. Verdict : les tribunaux ont reconnu que le fait
d’exiger de se raser la barbe pour assurer
le bon fonctionnement du respirateur ne
constituait pas un inconvénient majeur
chez les travailleurs visés par la mesure et
que, dans ces cas, l’intérêt public ou la
protection de la santé publique devait
primer sur la protection des droits individuels. Ainsi, l’argument du droit à la
vie privée n’est pas toujours de mise.
Le type d’APR
Pourrait-on sélectionner un type de
protection respiratoire qui n’implique pas
un test d’ajustement ou qui n’est pas incompatible avec le port de barbe ? La réponse varie selon les situations. Plusieurs
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critères conditionnent le choix d’un APR, notamment le type de contaminants, le niveau d’exposition, de même que leur état (particules, gaz, vapeurs). S’il s’agit spécifiquement de micro-organismes transmissibles par voie aérienne, telles la tuberculose
et la varicelle, le port d’un respirateur de type N-95 est unanimement prescrit par les
organismes faisant autorité en la matière.
Un APR à épuration d’air motorisé, communément appelé PAPR (Powered AirPurifying Respirator), ne nécessite pas que l’utilisateur se rase, car aucun test d’ajustement n’est requis. Le PAPR peut donc constituer une alternative, car il offre une protection respiratoire suffisante pour certains micro-organismes transmissibles par voie
aérienne, comme ceux de la tuberculose ou de la varicelle.
Cependant, selon le Comité ministériel sur les mesures de précaution contre le SRAS,
en présence du SRAS, pour certaines situations de travail à risque de générer des aérosols lors de soins aux bénéficiaires (ex. : administration de médicaments aérolisés,
bronchoscopie, intubation endotrachéale), le port du respirateur N-95 s’ajoute à
l’utilisation d’un PAPR pour éviter une contamination lors du retrait du PAPR. De
plus, le coût d’achat d’un PAPR est nettement plus élevé que celui d’un N-95.
des médecins demeure essentielle afin de
rencontrer les objectifs visés en matière de
santé et de sécurité du travail. Un refus
de se conformer aux règles de protection
en présence de cas de SRAS constitue sûrement une situation « urgente » et « exceptionnelle », au sens de la législation
applicable qui justifie une intervention
immédiate de l’établissement auprès d’un
médecin réfractaire. Celui-ci pourrait
faire l’objet de mesures disciplinaires si
l’établissement a adopté un règlement
prévoyant spécifiquement l’obligation
pour les médecins de se raser en pareilles
circonstances.
Mieux vaux en parler
Sur la base des informations actuelles, il apparaît donc impossible d’accommoder
les travailleurs barbus susceptibles d’être en présence de cas suspectés ou réels de SRAS.
Unanimement, les recommandations imposent le port minimal d’un masque N-95. Pour
Un seul point du visage mal rasé
les autres contaminants (ex. :
au contact du joint étanche peut
amiante, formaldéhyde, etc. ),
laisser passer des contaminants.
le Guide des appareils de protection respiratoire utilisés au
Québec, rédigé par l’IRSST, stipule : « Pour le port de tout appareil de protection respiratoire nécessitant une étanchéité parfaite entre la pièce faciale et le visage, particulièrement les appareils à surpression, un bon rasage est nécessaire. Un seul point du
visage mal rasé au contact du joint étanche peut laisser passer des contaminants.
Même si les poils paraissent courts, en comparaison avec le diamètre des particules
contaminées, ils laissent place à l’infiltration. Il faut donc éviter l’interposition de
cheveux, d’une barbe et de favoris avec le joint étanche d’un masque. »
Éviter de les prendre à rebrousse-poil !
ILLUSTRATION : FREDERIC SERRE
Lors de l’implantation du programme de protection respiratoire, il s’avère capital
de bien identifier les titres d’emplois et les postes qui requièrent le port d’un APR,
spécialement en ce qui concerne le personnel soignant susceptible d’être en présence
du SRAS ou d’autres micro-organismes transmis par voie aérienne.
Les hommes portant la barbe aux postes visés devraient être rencontrés afin de bien
expliquer les risques et la réglementation. S’ils ne sont pas susceptibles d’être en situation de travail à risque, les hommes peuvent porter la barbe, la raser pour le test
d’ajustement et la laisser pousser jusqu'à ce qu’un travail requiert le port d’un APR.
Néanmoins, la situation peut être ardue. Il faut éviter de prendre les travailleurs
barbus à rebrousse-poil ! Expliquer les risques, la réglementation, la nécessité imposée
par la situation permettra d’éviter bien des conflits.
Qu’en est-il des médecins ?
Les médecins œuvrant dans un établissement de santé ont un statut de
travailleur autonome. L’établissement ne peut être considéré comme
’employeur et ne bénéficie pas des mêmes droits de gérance et de
direction qu’avec les travailleurs. De ce fait, l’ensemble des éclaircissements apportés dans cet article ne s’applique pas.
Or, chaque établissement se doit d’assumer la protection de ses professionnels, ses travailleurs et des médecins. Évidemment, la collaboration
Encore une fois, le dialogue est un élément clé tant pour comprendre la problématique que pour la résoudre. On respire
quand même mieux avec cette mise au
point, n’est-ce pas ?
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RÉFÉRENCES
Programme de protection respiratoire. Test d’ajustement
- Personnel portant la barbe. Communiqué no 2004-24,
AHQ et ACCQ (Association des CLSC-CHSLD du Québec),
émis le 2004-07-07.
Programme de protection respiratoire. Test d’ajustement
des masques N-95 - Médecins portant la barbe, AHQ,
émis le 2004-07-20.
Avis juridique. Test d’ajustements et médecins portant
la barbe, Heenan Blaikie, avril 2004.
Orientations sur les mesures collectives et recommandations sur les mesures individuelles de prévention du SRAS
pour les travailleuses et travailleurs de la santé du Québec, Comité ministériel sur les mesures de précaution contre
le SRAS, Direction générale de la santé publique, mai 2004.
Guide des appareils de protection respiratoire utilisés au
Québec, IRSST, version 2002.
L.Q., 1991, C. 64, articles 3 à 35.
L.R.Q., c. C-12, article 5.
21 – OBJECTIF PRÉVENTION – VOL. 27, NO 5, 2004
SRAS et barbe : une liaison impossible !