Genres et sous genres de la Science Fiction au prisme d`un auteur

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Genres et sous genres de la Science Fiction au prisme d`un auteur
Genres et sous genres de la Science Fiction au prisme d'un auteur
emblématique :
Philip K. Dick
ou
une vie de Science Fiction
« il n'y avait eu en tout que quatre types de
Griffes. Celles qu'il voyait maintenant avaient toutes
été fabriquées dans la même usine souterraine, elles
étaient toutes sorties de la même matrice, du même
moule. Cinquante à soixante robots, qui formaient
autant d'exemplaires d'un même jeune homme, allaient
calmement leur chemin. Ils se déplaçaient très
lentement. Tous étaient amputés d'une jambe. »
Philip k. Dick, Le monde de Jon, in « Souvenir », p.
267, Editions Denoël, 2011.
Question du programme liée à l'objet d'étude : Le virtuel est-il un enrichissement du
réel ?
Problématique de fond à cette communication :
La science fiction implique-t-elle nécessairement un déplacement dans le temps et dans
l'espace ?
Dans la science-fiction le fantastique est tué dans l'œuf grâce à la science ou à des
spéculations scientifiques. Mais différencier ces deux genres catégoriquement n'est pas si aisé. En
effet, comme le rappelle Michel Houellebecq dans son essai H. P. Lovecraft, contre la vie, contre la
mort, cet auteur américain horrifique aux accents si fantastiques et inclassables fut d'abord publié en
France dans une collection SF. Avec Philip K. Dick aussi, tracer des traits définitifs est souvent
difficile : sa science-fiction est tellement hors des marges et ses thèmes de prédilection si vastes et
particuliers qu'ils constituent des références aussi incontournables qu'originales.
I. Philip K. Dick, « le pape » de la science-fiction 1928-1982
Auteur très prolifique de nouvelles dans les pulps et de romans tous azimuths, K. Dick a
abordé tous les genres de la SF, et a largement contribué à les populariser. Parfois il en a été le
précurseur comme pour le genre Cyberpunk. Ou encore il a créé de nouvelles branches et catégories
qui en sont devenues de nouveaux genres comme celui de la SF métaphysique.
K. Dick a ainsi largement influencé le monde des lettres et des arts au 20ème : une pièce
maîtresse d'une synergie entre SF, philosophie, sociologie et littérature que le cinéma ne cesse de
redécouvrir ou réinterpréter ; citons par exemple Blade Runner de Ridley Scott en 1982, Total
Recall (Paul Verhoeven, 1990), Planète hurlante (1995), Impostor (2001), Minority Report (Steven
Spielberg, 2002), Paycheck (John Woo, 2003) qui sera réadapté par Martin Scorcese avec Les
Infiltrés, A Scanner Darkly (2005). Les problématiques de Ubik ont encore inspiré librement Vanilla
Sky de Cameron Crowe en 2001. Dans Next de Lee Tamahori, 2007, Nicolas Cage arbore un
curieux bronzage mordoré comme en référence à L'Homme Doré, la nouvelle dont est tiré ce film.
En 2011 sort L'Agence, avec Matt Damon, film tiré de la nouvelle Rajustement de K. Dick.
Next est d'ailleurs un film très proche du fantastique : son héros évolue à notre époque et
possède un don qui lui montre le futur à un quart d'heure mais pas plus. Cette exception de la nature
pourra ainsi sauver l'humanité d'une attaque terroriste atomique dont l'arme sophistiquée permet
l'ambivalence avec le genre de la science-fiction.
A. Des jeux sur le temps
Passé fantasmé, futur proche et futur lointain : quelle science Fiction ?
Philip K. Dick a été un auteur très prolifique qui a écrit des uchronies comme Le Maître du
Haut Château. Les forces de l'Axe ont remporté la victoire et se sont partagé le monde. Ainsi,
l'Europe et l'Afrique sont aux mains des nazis alors que l'Asie et l'Amérique sont passés sous le
contrôle des Japonais depuis bien longtemps déjà... Mais aux États-Unis un homme résiste : un
écrivain de science-fiction qui vit reclus et diffuse des romans subversifs appelant à la rébellion...
Un des héros empreint de culture nippone prend régulièrement ses décisions grâce au Yi King dont
l'usage aléatoire lui délivre des oracles. Ainsi, à l'Histoire revisitée s'ajoute déjà une touche
spirituelle et métaphysique avec ce livre traditionnel.
« John Cage, le compositeur, l'utilise pour dériver ses progressions d'accords. Plusieurs
physiciens y ont recours pour déterminer le comportement des particules subatomiques –
contournant ainsi le principe d'incertitude d'Heisenberg. Je m'en suis servi pour développer le sens
d'un roman. Jung s'en servait avec ses patients pour contourner leurs zones aveugles
psychologiques. Leibniz fonda son système binaire dessus, l'idée de la porte ouverte-et-fermée,
sinon l'intégralité de sa philosophie de la monadologie... pour ce qu'elle vaut. »
Philip K. Dick, La schizophrénie et le Livre des Changements, in
« Souvenir », p.33, Editions Denoël, 1996.
- Point de divergence et multivers : les uchronies
Le mot « uchronie » a été inventé par Charles Renouvier, qui s’en est servi pour intituler son
livre Uchronie, l’utopie dans l’histoire, publié en 1857. « Uchronie » est donc un néologisme du
XIXe siècle fondé sur le modèle d’utopie (mot créé en 1516 par Thomas More pour servir de titre à
son célèbre livre, Utopia), avec un « u » privatif et, à la place de « topos » (lieu), « chronos »
(temps). Étymologiquement, le mot désigne donc un « non-temps », un temps qui n’existe pas.
L'uchronie est un genre littéraire qui repose sur le principe de la réécriture de l’Histoire à
partir de la modification d’un événement du passé. On utilise également l’expression « histoire
alternative » (alternate history) ou « histoire contrefactuelle ». Lorsqu’elle est associée à des
moyens techniques qui permettent de remonter dans le temps et donc de modifier le passé,
l’uchronie est directement associée au genre de la science-fiction.
L’uchronie devint populaire petit à petit grâce aux magazines américains publiant des
nouvelles de science-fiction.
Winston Churchill qui reçut le Prix Nobel de littérature en 1953 avait écrit en 1900 un seul
et unique roman de fiction : Savrola qui raconte la révolution d'un pays européen fictif. Il a aussi
écrit une uchronie qui s'intitule Si Lee avait gagné la bataille de Gettysburg. Il a pour cadre la
Guerre de Sécession. Churchill y évoque un historien sudiste vivant dans un monde où les
Confédérés sudistes ont gagné ; cet historien imagine ce que serait le monde si les Nordistes avaient
gagné. Ce texte est donc comme une prémisse de l’uchronie qui sera répétée par Philip K. Dick
dans Le Maître du Haut Château.
Le moment où l’histoire réelle et l’histoire uchronique divergent est appelé « Point de
divergence ». Par exemple, dans Le Maître du Haut Château, c’est l’assassinat de Franklin
Roosevelt à Miami en 1933 qui est le point de divergence et fait basculer l’intrigue dans la fiction.
Les États-Unis ne parviennent pas à sortir de la grande dépression et restent figés dans leur
neutralité face à Hitler.
Un ami de Philip K. Dick, Norman Spinrad, (que nous retrouverons dans des tasses à café
avec lui à Disneyland), a lui aussi écrit une uchronie intitulée Rêve de fer où un obscur auteur
d'heroic fantasy, nommé Adolf Hitler, atteint un certain succès avec son roman le Seigneur du
Swastika. Et il imagine un monde n’ayant pas vécu la Seconde Guerre mondiale.
La théorie du multivers postule que des points de divergence surviennent à chaque instant au
sein des uchronies. Ils créent sans cesse des univers parallèles au sein d'un même roman : si les
dinosaures n’avaient pas disparu, si l’Empire romain avait perduré, etc...
Uchronies dans la BD :
On peut citer les Watchmen, une bande dessinée politique de Alan Moore et Dave Gibbons
mettant en scène des super héros : l’apparition en 1959 d’un surhomme dote les États-Unis d’une
arme qui leur permet plus tard de gagner la guerre du Viêt Nam ; Richard Nixon étouffe le
Watergate et est toujours président en 1985.
Au cinéma :
Pour des uchronies récentes on pense tout de suite à Inglorious Bastards de Tarentino ou, à
Goodbye Lénine.
Mais comme uchronies spécifiquement SF au cinéma on peut citer Capitaine Sky et le
monde de demain (Captain Sky and the World of Tomorrow, 2004) : L'histoire se déroule en 1939.
Polly Perkins, journaliste au Chronicle, cherche à élucider la disparition de plusieurs scientifiques
de renom. La piste semble aboutir à un certain docteur Totenkopf. Alors que des robots géants
envoyés par Totenkopf attaquent New York, la police impuissante fait appel au Capitaine Sky. Dans
ce film où seuls les acteurs qui ont joué sur fond bleu sont réels, l'ambiance bande dessinée est très
forte et très réussie.
L'armée des douze singes de Terry Gilian avec Bruce Willys et Brad Pitt est aussi une
uchronie : des savants du futur envoient un homme dans notre époque pour savoir comment est
apparu un virus qui a quasiment détruit toute l'humanité.
B. Philip K. Dick a aussi écrit des dystopies :
Toujours dans la question de l'espace-temps : Une science fiction à ¼ d'heure
Son roman Substance Mort est une dystopie, ou, contre-utopie : un récit de fiction peignant
une société imaginaire, organisée de telle façon qu'elle empêche ses membres d'atteindre le bonheur,
et contre l'avènement de laquelle l'auteur entend mettre en garde le lecteur. La dystopie s'oppose à
l'utopie : au lieu de présenter un monde parfait, la dystopie propose le pire qui soit.
Cette forme littéraire a été rendue célèbre par Le Meilleur des mondes (1932) d'Aldous
Huxley, La Kallocaïne de Karin Boye (1940), 1984 de George Orwell (1948), Fahrenheit 451
(1954) de Ray Bradbury et Nous autres (1920) de Ievgueni Zamiatine.
Dans sa dystopie Substance Mort (A Scanner Darkly au cinéma), Philip K. Dick met en
scène un Junkie, Bob Arctor, travaillant dans la brigade des stups. Vêtu d'un « complet brouillé » lui
donnant mille et une apparences pour couvrir son anonymat, il lui sera finalement demandé
d'enquêter sur lui-même. Cette enquête est donc métaphorique d'un thème récurrent chez K. Dick :
celui de la perte d'identité ; celle du héros mais aussi celle du spectateur mis en abime. Tout est
possible dans la société de consommation : changer d'image, certes mais aussi se perdre dans des
modes créant des identités instables. Au point de ne plus se souvenir de sa propre origine...
Et dans l'adaptation ciné, l'image elle-même est matière à réflexion sur le traitement de la SF
grâce au rotoscop. Avec le traitement redessiné et numérisé il y a parfaite adéquation entre le fond
de l'histoire, la forme et le genre de la SF.
Substance mort est une charge contre les drogues et une stigmatisation des modes, de leurs
dangers et de l'hypnose collective par l'information et les spectacles de masse. En outre, K. Dick
montre dans ce roman un autre versant du psychédélisme, un psychédélisme alternatif : il y a bien
eu le célèbre Peace and Love de Woodstock, certes (en août 1969 dans l'État de New York)... mais
aussi le festival d'Altamont, en Californie, quelques mois plus tard (décembre 69) pourtant assuré
par les mêmes organisateurs. Or, Altamont s'est traduit par le meurtre d'un jeune adolescent noir par
des Hells Angels lors du concert des Stones qui continuent néanmoins à jouer... La drogue ici n'est
plus pacifique... Et Substance Mort se termine avec la liste des amis de K. Dick morts d'overdose ou
devenus fous à la suite d'expériences psychédéliques.
Minority Report de Steven Spielberg (2002) est aussi une dystopie désenchantée adaptée de
la nouvelle éponyme de K. Dick. Erreurs de la nature, les Précogs ont permis de mettre fin au crime.
En effet, une brigade de police, Précrime, les utilise car ils prévoient les crimes : ainsi Précrime
intervient et arrête les meurtriers avant qu'ils ne passent à l'acte. Jusqu'au moment où ils prédisent
qu'un meurtre sera commis par l'un des meilleurs policiers de Précrime qui doit donc être
rapidement neutralisé. Dans cette nouvelle, on retrouve les thèmes dickiens de la paranoïa alimentée
par des mouchards de chair et de sang ou même électroniques, de la quête d'identité mais aussi de la
mise en danger des libertés au sein d'une démocratie. Précrime, la police et ses méthodes modernes
ne seraient-elles pas une organisation qui faciliterait le totalitarisme à grande échelle ?
C. A l'ombre des dystopies, le cyberpunk : informatique, robotique et
extrapolations :
« Ed eut un choc en comprenant
qu'il s'agissait d'un robot. Un robot ultraperfectionné, humanoïde, de conception
très différente des travailleurs à coque de
métal. Il s'y était laissé prendre – il y
avait si longtemps qu'il avait quitté la
Terre ! »
Philip k. Dick, Progéniture, in
« Souvenir », p.63, Editions Denoël,
2011.
Avec Les Androïdes rêvent-ils de Moutons électriques (1968), Philip K. Dick se pose en
précurseur et inspirateur du Cyberpunk : il présente en effet « les Répliquants » qui sont des
androïdes biomécaniques au service de l'humanité. Mais la frontière entre robots et humains est très
ténue puisque ces créatures ont développé des sentiments, des ambitions, et ils possèdent un appétit
de vie. Ils débarquent sur Terre, au siège de l'entreprise qui les a créés et en dignes évolutions
« frankensteinesques » réclament « plus de vie » à Tyrell, leur créateur.
Voilà un premier niveau de lecture. Mais ce qui est en germe dans la nouvelle de K. Dick va
être développé dans l'adaptation qu'en réalise Ridley Scott pour le cinéma avec Blade Runner. Elle
va ouvrir une toute nouvelle clé de lecture de l'oeuvre car Ridley Scott soulève des questions qui
resteront soumises à la sagacité du spectateur : le policier, le Faucheur (Blade Runner), joué par
Harrison Ford, chargé d'exécuter les Répliquants révoltés et meurtriers n'est-il pas lui-même un
Répliquant qui aurait oublié qu'il en est un ? Le film se trouve parsemé d'indices allant dans ce
sens, notamment autour des implants de souvenirs des protagonistes qui semblent connus des
inspecteurs de police...
Ainsi, c'est le spectateur qui est mis en abîme à travers ce film : si un robot biologique a
oublié son origine artificielle au point de se confondre avec un humain, n'en serait-il pas de même
pour nous tous ? Les perspectives SF qui s'ouvrent avec cette réflexion vont ensemencer de
nombreuses autres œuvres : l'humanité n'est pas ce qu'elle croit être, son origine est autre et elle
peut-être manipulée comme dans Matrix, par exemple...
Philip K. Dick avait vendu les droits de ses Androïdes rêvent-ils de Moutons électriques à la
Warner et il est décédé durant le tournage. Mais il est mort très mécontent du film car il s'est senti
dépossédé de l'histoire qu'il avait écrite, en particulier avec la fin revue par Hollywood. En effet,
conformément à son nom de faucheur sans états d'âme, le Blade Runner exterminait tous les
Répliquants dans la nouvelle. Or, dans le film, le Blade Runner tombe amoureux de la belle Rachel,
une répliquante qui ignore ses origines et, dans un happy end bricolé et lyrique, les dernières images
les montrent partir pour filer le parfait amour dans un vaisseau survolant des forêts (images
empruntées à des rushes de Kubrick inutilisés pour son Shining). C'était ici la fin du film tel qu'il est
sorti sur les écrans en 1984.
Or, la Warner a finalement rendu justiice à Philip K. Dick puisque dans la version final cut
du DVD ces dernières images sont coupées : les amants semblent s'enfuir mais le suspense demeure
sur un fond noir enchaîné avec la musique de Vangélis et le générique de fin.
Dans I Robot d'Asimov, on retrouve ce thème du robot policier qui ignore lui aussi qu'il en
est un...
Cette question des robots pouvant être assimilés à des humains existait déjà dans l'Eve future
de Villiers de l'Isle Adam : un dandy décadent, insatisfait par la gent féminine décide de construire
la femme idéale. L'accouplement de l'homme avec la machine, super et parfaite poupée gonflable
robotisée est en marche...
Dans 2001 l'Odyssée de l'espace, Carl, l'ordinateur du vaisseau se dote d'une vie autonome
et refuse de répondre aux ordres des humains qui le pilotent : il prend seul les commandes de
l'engin. Mais il reste un robot. Ce qui n'est plus le cas du petit garçon robot dans AI, du même
Stanley Kubrick. Quand ses parents adoptifs l'abandonnent, il se met à pleurer. Il rencontrera
d'autres robots qui fuient les chasseurs : des hommes dénonçant l'usurpation existentielle de ces
robots devenus autonomes...
Mais c'est surtout dans le manga Astro boy qu'est exploitée cette veine des androïdes dont la
genèse mécanique est inextricablement mêlé à l'ADN des humains. En effet, mort dans un accident,
un petit garçon très intelligent est reconstruit par son père à partir de son ADN. Mais son papa lui
offre des super pouvoirs technologiques qui en font « le robot le plus fort du monde ! » Et le lecteur
de ce manga vit les aventures et la déchirure d'Astro Boy qui se tient constamment à la lisière de
deux mondes sans appartenir jamais à aucun : celui des hommes et celui des robots.
Ces thématiques sont à nouveau développées dans une suite pour adultes, un manga
librement inspiré d'Astro Boy où des robots humanisées et totalement intégrés à nos sociétés
risquent bien de prendre le contrôle de leurs créateurs.
Ainsi, les reflexions de Philip K. Dick sur le devenir de robots biologiques ont amorcé
une nouvelle veine dans la SF : celle du Cyberpunk.
Si Isaac Asimov avait inventé l'hyper espace, William Gibson aura été en 1984 l'inventeur
du « cyberspace » dans son ouvrage Neuromancien. Et en tant que tel il est le premier à porter le
titre de romancier cyberpunk.
Le cyberpunk est un sous-genre de la science-fiction décrivant un monde dystopique.
Depuis les années 1980 il a essaimé ses thématiques dans de nombreux média, notamment dans la
bande dessinée, le cinéma, la musique, les jeux vidéo et les jeux de rôle. Les sous-genres
Postcyberpunk et Biopunk en sont des spécialisations.
« Le courant Cyberpunk provient d'un univers où le dingue d'informatique et le rocker
se rejoignent, d'un bouillon de culture où les tortillements des chaînes génétiques
s'imbriquent. »
Bruce Sterling
Le terme « Cyberpunk » résulte d'une association de « cyber » (du grec ancien kubérnètès :
l'art de gouverner ou de piloter à l'origine du mot cybernétique) et « punk » (mouvement exprimant
une révolte contre les valeurs établies). Le « Cyberpunk » est au confluent des thématiques du
hacker, de l'intelligence artificielle et des multinationales. Ses romans se déroulent la plupart du
temps dans un futur proche sur Terre en opposition avec les récits de science-fiction se déroulant
dans une perspective plus large : voyages dans l'espace, découverte de nouveaux espaces, conflits
mettant en jeu l'univers connu et inconnu... Le lieu où l'histoire se déroule possède des caractères
dystopiques et « punk » : les personnages font leur possible pour se débrouiller dans un univers
désorganisé. Mais le futur est déjà passé et ils se retrouvent dans la zone d'incertitude qui sépare une
« presque-apocalypse » et l'univers post apocalyptique. Ils voient leurs actions se heurter à des
intérêts inamovibles, impalpables. L'assimilation du terme « punk » est aussi induite par le slogan
de ce mouvement « No Futur ! » et par son esthétique à la fois familière et particulièrement
agressive. L'implication politique anarchiste vaut surtout par son opposition à l'organisation de
pouvoirs totalement dépourvue d'éthique, très fortement dénoncés et la plupart du temps combattus.
Et dans le monde informatique parallèle du cyberspace du Neuromancien de William Gibson
se trouve la matrice : en est-elle une excroissance ou l'origine ?
« La matrice tire ses racines des jeux vidéo les plus primitifs, expliquait la voix hors champ,
des tout premiers programmes graphiques et des expérimentations militaires avec les connecteurs
crâniens. » Sur le Sony, une guerre spatiale en deux dimensions s'évanouit derrière une forêt de
fougères générées de manière mathématique, démontrant les possibilités spatiales des spirales
logarithmiques ; insertion d'une séquence d'archive militaire bleu glacé : animaux de laboratoire
câblés sur des dispositifs d'expérimentation, casques branchés sur les circuits de contrôle des mise à
feu de blindés et d'avions de combat. « Le cyberspace. Une hallucination consensuelle vécue
quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d'opérateurs, dans tous les pays, par
des gosses auxquels on enseigne les concepts mathématiques... Une représentation graphique de
données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du système humain. Une complexité
impensable. Des traits de lumière disposés dans le non-espace de l'esprit, des amas et des
constellations de données. Comme les lumières de villes dans le lointain... »
William Gibson, Neuromancien, 1984.
II. De Philip K. Dick à Horselover Fat :
genèse d'une œuvre séminale
A. Un auteur et un héros de SF : comment objectiver le réel ?
Les palimpsestes d'un Voyant :
- Tu parles ! Après ce que j'ai
vu ? Ecoute, Ruth. J'ai vu le tissu de la
réalité se déchirer sous mes yeux. Et j'ai
vu… derrière. Dessous. J'ai vu ce qui se
trouve réellement là. Et je ne veux pas y
retourner. Je ne veux plus voir d'êtres en
poussière. Plus jamais. »
« Souvenir », p.63,
Philip k. Dick, Rajustement, in
Editions Denoël, 2011.
L'écriture de Philip K. Dick est une écriture charnelle, très proche du lecteur, encore
renforcée par des héros très ordinaires qui, du jour au lendemain, sont appelés à sauver le monde.
Philip K. Dick a exercé une véritable fascination sur des générations de lecteurs comme on peut le
voir à travers les biographies qui lui sont consacrées comme Invasions divines de Laurence Sutin ;
mais aussi une biographie fictionnée sur le mode des romans dickiens : Requiem pour Philip K.
Dick de Michael Bishop. Ou encore la biographie romancée que lui a consacré Emmanuel Carrère :
Je suis vivant et vous êtes morts. Son inspiration est aussi revendiquée par Maurice G. Dantec,
l'auteur de Babylon Babies, porté à l'écran par Mathieu Kassovitz avec Vin Diesel, en 2008.
Dans Existenz, Cronenberg lui rend hommage et le cite comme source d'inspiration.
K. Dick a des obsessions qui reviennent et participent à la construction d'une oeuvre
véritable : qu'est-ce que la réalité, qu'est-ce que l'humain véritable, sommes-nous maîtres de notre
destin ou objet manipulés ? Sa littérature paranoïaque est en fait extrêmement perturbante et
subversive car elle remet en cause notre vision des choses et du monde. Nourrie de la paranoïa de la
guerre froide, elle remet en question l'Etat, le pouvoir et tous ses agents.
« J'ai toujours eu l'espoir, en écrivant des romans et des nouvelles qui posaient la question
« Qu'est-ce que la réalité ? » d'obtenir un jour une réponse. C'était aussi l'espoir de la plupart de mes
lecteurs... Les années passaient. J'écrivis plus de trente romans et plus de cent nouvelles, et j'étais
toujours incapable de déterminer ce qui était réel. Un jour, une étudiante canadienne m'a demandé
de lui fournir une définition de la réalité pour son cours de philosophie. Elle voulait une réponse en
une phrase. J'y réfléchis, et je finis par dire : « La réalité est ce qui, lorsqu'on cesse d'y croire, ne
s'en va pas. » C'est tout ce que j'étais capable de proposer. C'était en 1972. Depuis lors, je ne suis
pas parvenu à définir la réalité plus clairement.
Mais il s'agit d'un vrai problème, pas d'un simple jeu intellectuel. Parce que nous vivons
aujourd'hui dans une société où les médias, les gouvernements, les grandes compagnies, les
groupements religieux et les partis politiques fabriquent de pseudo-réalités – et qu'il existe
l'équipement électronique requis pour faire rentrer ces univers illusoires dans la tête du lecteur, du
spectateur, de l'auditeur. Parfois, quand j'observe ma fille de onze ans en train de regarder la télé, je
me demande ce qu'on lui apprend. […] Les policiers sont toujours bons et ils gagnent toujours. Ne
négligez pas cela : la police gagne toujours. Quelle leçon ! On ne devrait pas combattre les autorités
et, même si on le fait, on est sûr de perdre. Ici, le message est : Restez passifs. Et... coopérez. Si le
sergent Baretta vous demande une information, donnez-la-lui, parce que le sergent Baretta est UN
BRAVE HOMME DIGNE DE CONFIANCE, IL VOUS AIME, ET VOUS DEVRIEZ L'AIMER.
Alors dans mes écrits, je pose la question « Qu'est-ce qui est réel ? ». Parce que nous
sommes sans cesse bombardés de pseudo-réalités fabriquées par des gens très sophistiqués
recourant à des mécanismes électroniques très sophistiqués. Je ne me défie pas de leurs intentions ;
je me défie de leur pouvoir. Ils en ont beaucoup. Et c'est un pouvoir stupéfiant : celui de créer des
univers entiers, des univers mentaux. Je devrais le savoir. Je fais la même chose. C'est mon boulot
de créer des univers, c'est indispensable pour écrire roman sur roman. Et je dois les construire de
telle manière qu'ils ne s'effondrent pas deux jours plus tard. Ou, du moins, c'est ce que mes éditeurs
souhaitent. Pourtant, je vais vous confier un secret : j'aime construire des univers qui s'effondrent
vraiment. J'aime les voir perdre le nord, et j'aime voir comment les personnages de romans se
débrouillent face à ce problème. J'éprouve un secret amour pour le chaos. Il devrait y en avoir
davantage. »
Philip K. Dick, Comment construire un univers qui
ne s'effondre pas deux jours plus tard, conférence publiée en 1978, traduite en
1987 in Le Crâne, collection Présence du Futur, Denoël éditeur.
K. Dick vivait à Berkeley, en Californie, dont l'université était gauchisante. Il a lui-même
souvent fouillé de fond en comble sa demeure, persuadé qu'elle était truffée de micros et que ses
écrits étaient l'objet de la plus grande attention du FBI. Il met d'ailleurs en scène cette parano dans
Substance mort.
A travers ses écrits, 200 nouvelles publiées dans des pulps et 3O romans, il a cherché par la
voie de la SF a interroger et a objectiver le réel : peut-on voir la réalité vraie en ouvrant les portes
de la perception, par quelque moyen que ce soit ?
Aldous Huxley en 1954 expérimente le peyotl chez les indiens du Mexique et Carlos
Castaneda, un anthropologue américain est connu pour ses ouvrages relatant ses expériences
prétendument issues de l'enseignement d'un mentor indien Yaqui, don Juan Matus qui lui fait
expérimenter la mescaline et les champignons hallucinogènes : il témoigne de ses expériences dans
ses livres car il découvre une autre réalité. Dans la Californie contemporaine de K Dick il existe
donc une synergie autour de la drogue et particulièrement du LSD. En prendre est très smart, dans
l'air du temps (le film Single man, rappelle les déboires de son héros, prof d'université, avec la
mescaline). Les poètes de la Beat Generation : Ginsberg, Ken Kesey, Kerouac en prennent et
Timothy Leary, sociologue, se fait apôtre des drogues dans un but scientifique... D'ailleurs, n'a-t-il
pas lui-même téléphoné à K. Dick ? « Il aimait raconter comment Leary, un jour, lui avait téléphoné
de la chambre d'hôtel de John Lennon au Canada, où les Beatles étaient en tournée. Oui, répétait-il
avec solennité, jouissant du frisson mi-incrédule, mi-dévot qu'il suscitait : de la chambre de John
Lennon ! Les deux hommes, complètement pétés, venaient de lire Le Dieu venu du Centaure et ne
se tenaient plus d'enthousiasme. C'était ça ! Exactement ça ! hoquetait Lennon en rampant sur la
moquette. Il parlait déjà d'en faire un film, le film psychédélique, qui serait le pendant de l'album
qu'il préparait : Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band (Emmanuel Carrère, Je suis vivant et
vous êtes morts, Philip K. Dick, 1928-1982, Biographie, p. 173, Editions du Seuil, septembre 1993).
Et dans ce même album, les Beatles chantent à la gloire de l'acide Lucy in the Sky with Diamonds.
Le LSD a été synthétisé en 1938. Mais sa formule tombe dans le domaine public et échappe
au laboratoire pharmaceutique qui l'a inventé en 1963. Il arrive donc sur le marché sous forme de
buvards aux noms évocateurs : Superman, Yellow Sunshine... Souvent pour le pire avec Charles
Manson et La Famille en 1969 et l'hécatombe des musiciens rock, fans et groupies psychédéliques.
Mais aussi pour le meilleur avec K Dick car elle va être un moteur de son oeuvre. Il écrit ainsi un
roman qu'il intitule La Transmigration de Timothy Archer (Timothy Leary ?) et il envisage les
drogues comme moyens de voir le réel. En effet, « Les membres de la secte dont Jésus, ou ses
inventeurs, n'avaient fait que vulgariser l'enseignement cultivaient dans leurs cavernes, au-dessus de
la mer Morte, un champignon dont ils faisaient une sorte de pain et un bouillon. Ils mangeaient ce
pain et buvaient ce bouillon, tradition dans laquelle il n'est pas difficile de repérer l'origine de la
communion sous les deux espèces. Or on venait d'établir que ce champignon était un
hallucinogène : l'Anamita muscaria, objet d'un culte de la fertilité remontant à la plus haute
antiquité et encore en usage parmi des peuplades sibériennes qu'il avait largement , d'ailleurs,
contribué à décimer. Le christianisme n'était donc qu'une manifestation de ce culte, plutôt tardive, et
le Nouveau Testament, qui le travestissait pour complaire aux autorités civiles et religieuses, un
cryptogramme cryptogrammique (Emmanuel Carrère, opus cité, p. 177).
Pour Emmanuel Carrère pas de doutes au sujet des drogues et K. Dick : comme il l'écrit dans
la biographie qu'il lui a consacré, il avait fait de son corps « un shaker à cocktails chimiques ». À
cette époque, on parlait beaucoup des flashbacks d'acide, où les anciens drogués des années
soixante avaient soudain des hallucinations hors du commun, et pouvaient être pris de pulsions
meurtrières inattendues, phénomène qui faisait peur et fascinait les Américains moyens. Peut-être
cela explique-t-il la raison qui poussa Philip k. Dick à verser dans le spirituel, lui qui avait toujours
voulu prouver que notre monde était faux, qu'il existait une réalité supérieure et que lui seul
semblait s'en apercevoir.
Ainsi, l'œuvre géniale de Dick est celle d'un « voyant » et se caractérise par une philosophie
mystique et une science fiction métaphysique qui trouve son paroxysme dans sa « Trilogie divine »
avec SIVA, L'Invasion divine et La Transmigration de Timothy Archer.
Et ses obsessions, Dick les interroge et revisite sans trêve dans ses romans d'une SF presque
fantastique pour être toute proche de nous et où il se met lui-même en scène sous les pseudonymes
de ses héros. A la manière de Montaigne avec ses farcissures ou Proust avec ses papillotes, il écrit
en palimpsestes : ses romans reviennent sur les mêmes sujets et se recouvrent les uns les autres car
il traite souvent les mêmes questions sous des éclairages différents : qu'est-ce que le réel ? Quelle
est l'origine du mal ? Qu'est-ce qu'un humain authentique ? Et ses réponses restent dans le genre de
la SF avec une eschatologie par des robots, des androïdes, des extraterrestres ou peut-être des
hommes évolués comme des dieux revenant du futur …
B. Une SF métaphysique : « La trilogie divine »
L'apax, au sens de Michel Onfray, qui a bouleversé K. Dick aurait été une curieuse et
pragmatique vaticination lui ayant permis de sauver son fils. Il va la retranscrire dans certains de ses
romans et elle influencera les interrogations de sa Trilogie divine :
« Du schéma dessiné sur la feuille de papier tendue monta soudain un rayon de lumière
violet-rose d'environ trois centimètres de diamètre qui frappa le visage de Nicholas. Il ferma les
yeux, grimaça de douleur, laissa tomber la feuille de papier et porta vivement une main à son front.
« D'un seul coup, fit-il d'une voix pâteuse, j'ai une migraine vraiment très violente.
- Tu n'as pas vu le faisceau lumineux ? » demandai-je. Rachel avait posé son livre et s'était
levée.
- Nicholas ôta sa main de son front, ouvrit les yeux et cligna des paupières. « Je suis
aveugle », dit-il.
Silence. Nous restions plantés là tous les trois, immobiles.
« Je distingue des phosphènes en activité, maintenant. Une image rémanente. Non, je n'ai vu
aucun rayon lumineux. Mais je vois un cercle de phosphènes. Il est rose. A présent, je discerne un
certain nombre de choses. »
Rachel s'approcha de lui, le prit par l'épaule. « Tu ferais mieux de t'asseoir. »
D'une voix bizarre, atone, à la texture presque mécanique, Nicholas déclara :
« Rachel, Johnny a un défaut de naissance.
- Le docteur a dit qu'il n'y avait absolument rien de …
- Il a une hernie inguinale droite étranglée. Elle est déjà descendue dans le sac scrotal. La
membrane a cédé. Johnny doit être opéré immédiatement ; va au téléphone, décroche-le et appelle
le Dr Evenston. Dis-lui que tu emmènes Johnny au service des urgences de l'hôpital Saint-Jude, à
Fullerton. Demande-lui d'y être.
- Ce soir ? fit Rachel, épouvantée.
- Il court un danger de mort imminente », psalmodia Nicholas. Puis il le répéta mot par mot,
les yeux fermés, exactement comme il l'avait dit. En l'observant, j'eus subitement l'impression que,
quoique ses yeux fussent fermés, il voyait des mots. Il s'exprimait comme s'il les lisait sur des
cartons portant les répliques d'une pièce de théâtre, à la façon d'un acteur. Cce n'était pas son ton de
voix, sa cadence ; il suivait un discours que l'on avait rédigé à son intention.
Je les accompagnai à l'hôpital. Rachel conduisit ; Nicholas avait encore des problèmes avec
ses yeux, et il s'était donc assis à côté d'elle, le petit garçon dans les bras. Leur médecin, le Dr
Evenston, très irritable, vint à leur rencontre dans la salle des urgences. D'abord, il leur affirma qu'il
avait examiné Johnny plusieurs fois à la recherche d'une possible hernie et qu'il n'avait rien trouvé.
Puis il emmena Johnny. Le temps passa. Le Dr Evenston finit par revenir et déclara sans se
compromettre qu'il y avait en effet une hernie inguinale droite, réductible mais nécessitant une
intervention chirurgicale immédiate, car il existait toujours une possibilité d'étranglement.
Sur le chemin du retour vers l'appartement de Placentia, je demandai :
« Qui sont ces gens ?
- Des amis, répondit Nicholas.
- Ils s'intéressent à ta santé, c'est sûr. Et à celle de ton fils.
- Rien de mal ne peut arriver, dit Nicholas.
- Mais de tels pouvoirs !
- Ils ont transféré l'information dans ma tête, mais ils n'ont pas guéri Johnny. Ils ont juste...
- Ils l'ont guéri », dis-je. Le faire emmener chez le médecin et attirer l'attention de celui-ci
sur le défaut de naissance, c'était le guérir. »
Philip K. Dick, Radio libre Albemuth, p. 53-54, collection Présence du
Futur, éditions Denoël, 1987.
Dans une de ses BD, Robert Crumb a mis en images l'apax de Philip K. Dick :
Selon K. Dick lui-même, cette expérience prémonitoire a fortement influencé sa vision du
monde. Pour l'expliquer rationnellement, il n'écarte aucune hypothèse : qui lui a parlé pour sauver
son fils ? Des extra terrestres ? Dieu ? Des robots ou des hommes du futur à l'aide d'un puissant
émetteur ?
Dès 1965 avec Le Dieu venu du Centaure et toute sa vie il va tenter de répondre à ces
questions à travers sa SF et il invente le genre de la SF métaphysique avec la « Trilogie divine »
composée de :
–Siva (1980) : nom d'une divinité hindoue mais dans le cadre du Cyberpunk, elle devient Système
Intelligent Vivant et Agissant ;
–L'Invasion divine en 1981, réécriture de Radio Libre Albemuth, un brouillon génial (toujours l'idée
du palimpseste) qui sera tout de même publié sous forme de roman posthume en 1985 ;
–La Transmigration de Timothy Archer, en 1982, une synthèse dans cette trilogie, qui sera publiée
juste avant sa mort.
C.Un « retour aux sources » pour de nouvelles clés de lecture de l'œuvre de
Philippe K. Dick : génie cyberpunk, un prophète qui recycle la SF de l' antiquité
A quelle époque vivons-nous ? (// Qu'est-ce que le réel ?) Ne serions-nous pas abusés par les
puissants qui nous gouvernent ? Comment le savoir ? Bien-sûr, il y a bien eu des erreurs dans le
calendrier chrétien mais il pourrait ne pas s'agir de quelques années... Plutôt de siècles sans que
nous n'en sachions rien... Érudit, c'est ce qu'il explique avec humour lors d'une interview enregistrée
à Disneyland en compagnie d'un ami auteur de SF, Norman Spinrad, avec lequel il tournoie dans un
manège de tasses de thé, pour une chaîne de télévision française. Car K. Dick connaît le succès en
France alors qu'il souffre de n'être encore considéré en 1978 que comme un marginal aux États-Unis
:
« Au Moyen Âge, une curieuse théorie a vu le jour, que je vais maintenant vous présenter
pour ce qu'elle vaut. C'est la théorie selon laquelle le Mauvais – Satan – est « le singe de Dieu ».
Qu'il crée de fallacieuses imitations de la création, de l'authentique création de Dieu, puis les insère
dans cette authentique création pour la falsifier. Est-ce que cette théorie bizarre contribue à éclairer
mon expérience ? Devons-nous croire que nous sommes enfermés, que nous sommes abusés, que
nous ne sommes pas en 1978 mais en 50 après Jésus Christ... et que Satan a fabriqué une
contrefaçon de la réalité pour étouffer notre foi en le retour du Christ ? […]
Je sais parfaitement que nous sommes en 1978, que Jimmy Carter est Président et que
j'habite Santa Ana, Californie, aux États-Unis. Je connais même le trajet pour aller de chez moi à
Disneyland, chose que je semble incapable d'oublier. Et il n'existait sûrement aucun Disneyland à
l'époque de saint Paul.
Donc, si je me force à être très rationnel, raisonnable et toutes ces choses louables, je dois
admettre que l'existence de Disneyland (que je sais réel) prouve que nous ne vivons pas en Judée en
50 après Jésus Christ. L'idée d'un Saint Paul en train de tournoyer dans des tasses à thé géantes tout
en composant les Premières Épîtres aux Corinthiens, pendant que la télévision parisienne le film au
téléobjectif – c'est tout simplement impossible. Saint Paul n'approcherait jamais de Disneyland.
Seuls les enfants, les touristes et les hauts fonctionnaires soviétiques en visite officielle vont à
Disneyland. Pas les saints. »
Philip K. Dick, Comment construire un univers qui ne s'effondre pas
deux jours plus tard.
Mais tout de même, tout notre monde pourrait fort bien n'être semblable qu'à un gigantesque
Disneyland pour K. Dick qui cherche à soulever le voile d'Isis :
« Disneyland est un organisme évolutif. Pendant des années, ils ont eu le simulacre de
Lincoln et, finalement, celui-ci s'est mis à mourir et ils ont dû le retirer, à contrecœur. Le simulacre,
comme Lincoln lui-même, n'était qu'une de ces formes temporaires dont la matière et l'énergie
s'emparent, puis qu'elles abandonnent. La même chose est vraie pour chacun d'entre nous, que ça
vous plaise ou non.
Le philosophe grec présocratique Parménide enseignait que les seules choses réelles sont
celles qui ne changent jamais... et le philosophe grec présocratique Héraclite enseignait que tout
change. Si l'on superpose leurs deux façons de voir, on arrive à ce résultat : rien n'est réel. […]
Mais je considère que la question de la définition de la réalité... c'est un problème sérieux, et
même un problème vital. Et qui contient quelque part l'autre question, celle de la définition de
l'humain authentique. Car le bombardement de pseudo-réalités commence à produire très vite des
êtres humains non authentiques, des simulacres d'êtres humains – aussi faux que les données qui les
assaillent de toutes parts. Mes deux questions n'en forment qu'une, en réalité ; c'est là qu'elles se
rejoignent. De fausses réalités engendrent de faux êtres humains. Ou de faux êtres humains
engendrent de fausses réalités qu'ils vendent ensuite à d'autres humains, les transformant, au bout
du compte, en contrefaçons d'eux-mêmes. Et nous nous retrouvons donc avec de faux humains
inventant de fausses réalités, puis les refilant à d'autres faux êtres humains. C'est juste une immense
variante de Disneyland. On peut faire un tour avec les pirates, voir le simulacre de Lincoln ou
monter dans le Mr Toad's Wilde Ride – on peut tout faire, mais rien n'est vrai.
Dans ce que j'ai écrit, je me suis tellement intéressé aux faux que j'en suis finalement arrivé
au concept de faux faux. Par exemple, il y a à Disneyland de faux oiseaux mus par des moteurs
électriques qui émettent des croassements et des cris perçants quand on passe à côté d'eux.
Imaginez qu'une nuit nous nous introduisions tous dans le parc avec de vrais oiseaux et que nous
nous en servions pour remplacer les oiseaux artificiels. Imaginez l'horreur qu'éprouveraient les
responsables de Disneyland en découvrant la cruelle supercherie. De vrais oiseaux ! Et peut-être
même un jour de vrais hippopotames et de vrais lions. Consternation. Le parc subissant une fourbe
transmutation de l'irréel au réel sous l'influence de sinistres forces. Et si le lieu entier, par quelque
miracle de la puissance et de la sagesse divines, devenait, en un instant, en un clin d'œil, quelque
chose d'incorruptible ? Ils seraient obligés de fermer.
Dans le Timée de Platon, Dieu ne crée pas l'univers, comme le fait le Dieu chrétien ; il le
découvre un jour, simplement. Et il est dans un état de chaos total. Dieu se met au travail pour
transformer le chaos en ordre. Je trouve cette idée séduisante, et je l'ai adaptée pour qu'elle
satisfasse mes propres besoins intellectuels : et si notre univers n'avait pas été tout à fait réel, au
commencement, s'il n'avait été qu'une sorte d'illusion, comme l'enseigne la religion hindoue, et que
Dieu, par amour et bonté envers nous, le métamorphosait lentement, lentement et secrètement en
quelque chose de réel.
Nous n'aurions pas conscience de cette transformation, puisque nous n'aurions pas
conscience du fait que notre monde était une illusion au départ. Techniquement, il s'agit d'une
notion gnostique. Le gnosticisme est une religion qu'ont embrassée les juifs, les chrétiens et les
païens durant des siècles. O m'a accusé d'avoir des idées gnostiques. Je suppose que c'est vrai. A
une certaine époque on m'aurait brûlé. Mais certaines de leurs idées m'intriguent. Une fois, alors
que je consultais l'Encyclopedia Britannica à l'article « Gnosticisme », je suis tombé sur la
référence à un codex gnostique intitulé Le Dieu irréel et les aspects de son univers inexistant, idée
qui m'a plongé dans un irrésistible fou rire. Quel genre d'individu pouvait être capable d'écrire à
propos d'une chose dont il savait qu'elle n'existait pas, et comment quelque chose qui n'existe pas
peut-il avoir des aspects ? Mais je m'aperçus ensuite que j'avais écrit sur ces sujets durant plus de
vingt-cinq ans. […]
Nous avons la fiction qui parodie la réalité et la réalité qui parodie la fiction. Nous avons
deux choses qui se chevauchent dangereusement, qui se brouillent dangereusement l'une l'autre. Et,
en toute probabilité, ce n'est pas volontaire. Cela fait en réalité partie du problème. On ne peut pas
forcer un auteur à déclarer quelle partie est vraie et laquelle ne l'est pas s'il ne le sait pas luimême. »
Philip K. Dick, Comment construire un univers qui ne s'effondre pas
deux jours plus tard.
K. Dick s'inspire donc des présocratiques et du mythe de la caverne de Platon comme il le
dit en 1954, par exemple dans sa nouvelle : Le monde de Jon. « Jon allait et venait, surexcité. « Tout
ceci, toutes ces choses. Ce que nous voyons ici. Les immeubles. Le ciel. Les cités. La cendre à n'en
plus finir. Rien de tout cela n'est vraiment réel. C'est tellement vague et flou ! Je ne le sens pas
réellement, ce monde, pas comme l'autre en tout cas. Et il perd de plus en plus de sa réalité. Mais
l'autre croît, Ryan. Il devient de plus en plus net ! Grant pense que c'est seulement un produit de
mon imagination. Mais il se trompe ! Il est réel ! Plus que tout ce que nous avons ici, plus que les
objets de cette pièce. » (Philip k. Dick, Le monde de Jon, in « Souvenir », p. 250, Editions Denoël,
2011.)
Mais la vision de cette dualité du monde est essentiellement lisible dans les Manuscrits de
Nag Hammadi.
Aussi, développe-t-il dans sa SF une vision gnostique du monde.
Ces Manuscrits de Nag Hammadi, ou Manuscrits de la Mer Morte, découverts en 1945 dans
des jarres cachées dans des grottes, sont en fait des évangiles vierges pour ne pas avoir été
interpolés par l'Église catholique. Ils se présentent sous forme de codex et s'ils contiennent une
version de La République de Platon, antérieurs au canon du christianisme romain ils dévoilent
surtout un christianisme sans Jésus qui fait de chacun un Christ en puissance.
Si le plus célèbre de ces évangiles est L'Evangile selon Thomas, ont aussi été découverts :
L'Evangile selon Philippe, L'Hypostase des Archontes, Le Livre de Thomas l'Athlète, Le Livre des
secrets de Jean, L'Apocalypse de Paul, l'Authentikos Logos, La Paraphrase de Sem, le Deuxième
Traité du Grand Seth, la Prôtennoia trimorphe, parmi bien d'autres...
Et pour un auteur mystique de science-fiction, ces œuvres sonnent comme une SF antique.
En effet, ces Révélations présentent une vision du monde qui explique l'origine du mal : déchues
dans le dernier de mondes chutés et emboîtés à la manière de poupées gigognes, l'humanité est
prisonnière des archontes et des éons de la chute qui cadenassent l'univers et la tiennent éloignée du
Royaume du seul Dieu bon. Parce que ces anges mauvais se repaissent des souffrances des âmes
qu'ils martyrisent et vampirisent, ils obscurcissent les consciences en les maintenant dans des
illusions de religions salvatrices et de progrès... Ils cachent ainsi de toute leur puissance la Vérité du
royaume immuable et éternel du vrai Dieu, qu'ils ignorent eux-mêmes, aux âmes aveuglées par de
fausses lumières : engluées dans la matière, elles tournent en rond dans le Samsâra des
réincarnations et ne peuvent accéder au Nirvana libérateur.
C'est cette idée d'une humanité jouet de puissances démoniaques que l'on retrouve, par
exemple, dans Le Mal de Rimbaud :
Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ;
Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu ;
Tandis qu'une folie épouvantable, broie
Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ;
- Pauvres morts dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie,
Nature, ô toi qui fis ces hommes saintement !... - Il est un Dieu qui rit aux nappes damassées
Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or ;
Qui dans le bercement des hosanna s'endort,
Et se réveille quand des mères, ramassées
Dans l'angoisse et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !
Comme Gustav Meyrink, l'auteur du Golem l'avait déjà fait dans L'Ange à la fenêtre
d'Occident, K. Dick n'explique-t-il pas lui aussi à propos des anges dans sa nouvelle Sur la terre
sans joie que :
« Mais si ! Le sang les attire, surtout le sang d'agneau. Ils planent au-dessus des champs de
bataille. Les Walkyries qui emportent les morts au Walhalla... C'est pour cela que les saints et les
martyrs se blessent et se mutilent eux mêmes. »
Philip k. Dick, Sur la terre sans joie, in
« Souvenir », p. 178, Éditions Denoël, 2011.
La seule solution pour l'humanité déchue est de prendre conscience de l'illusion organisée
dans laquelle elle se débat dans ce monde pour suivre la voie de la Gnose (la Connaissance) : LE
seul rayonnement d'information originelle provenant du Royaume du Père unique. Il traverse tous
les univers et appelle au retournement vers la Vérité du Dieu Bon. Cette prise de conscience peut
seule permettre à chacun de suivre de son vivant le chemin libérateur vers la Lumière ; de se relier
progressivement et de plus en plus intensivement au Plérôme gnostique, à ce champ de
rayonnement divin pour accéder sans intermédiaire à la Lumière, transfigurer en corps glorieux
christique et poursuivre sa vie sur Terre en tant que libéré et libérateur des âmes encore endormies
pour être victimes de l'hypnose collective.
C'est, par exemple, le sens d'un autre évangile gnostique découvert quant à lui au 17ème
siècle : la Pistis Sophia (Foi de la Sagesse, ou, Connaissance et Sagesse). Ce texte présente, comme
un nouveau commencement après sa transfiguration et sa crucifixion sur le Golgotha
(étymologiquement « le lieu du crâne ») l'ascension du Christ dans le Plérôme gnostique à travers
tous les mondes déchus vers le Royaume du Père. Incarnant dans sa chair un « royaume qui n'est
pas de ce monde » le Christ n'est même pas aperçu par les éons et les archontes de la chute dont il
traverse les sphères puisqu'il n'est plus de notre monde, celui de cette nature déchue.
Car pour K. Dick, « Il existe d'autres régions au-delà de celle-ci. L'échelle ne se termine pas
ici. Personne ne sait où elle s'arrête ; apparemment, elle ne cesse de s'élever, monde après monde. »
Philip k. Dick, Sur la terre sans joie, in « Souvenir », p. 192,
Éditions Denoël, 2011.
Or cette résurrection et cette élévation ne sont pas l'apanage d'un être divin unique mais sont
accessibles à tous : elles doivent se dérouler intérieurement ici-bas selon un processus précis décrit
dans les évangiles gnostiques. C'est là le « Mysterium Magnum » que tout homme doit. Et surtout,
l'Oeuvre, doit être accomplie ici-bas, sans rien attendre de l'au-delà, ce monde des anges de la chute
dans lequel les pauvres âmes sont encore plus soumises à l'illusion que dans notre monde concret.
Ce sont tous ces thèmes que Philip K. Dick va recycler dans son œuvre avec des anges plus
ou moins ignorants déréglant notre monde, des robots qui ont pris le pouvoir sur les hommes, ou,
d'étranges visiteurs de l'espace...
Et K. Dick ne cache pas ses érudites sources d'inspiration :
« Le docteur Stone s'appuya contre son bureau, croisa les bras et se balança doucement
d'avant en arrière en étudiant Fat, attendant la suite. […]
« Fragment vingt-quatre : A l'état latent, germinatif, en tant qu'information vivante, le
plasme a sommeillé dans la bibliothèque enfouie des manuscrits de Khénoboskion jusqu'à...
- Khénoboskion ? releva le docteur Stone.
- Nag Hammadi.
- Oh ! La bibliothèque des gnostiques... » Le psychiatre hocha la tête. « Découverte et
déchiffrée en 1945 mais jamais publiée. Information vivante ? » Ses yeux se rivèrent à ceux de Fat.
« Information vivante ? » dit-il une nouvelle fois, avant d'ajouter : « Le Logos. »
Fat frissonna.
« Oui. Le Logos constituerait de l'information vivante, capable de reproduction.
- Une reproduction, dit Fat, non par ou dans l'information, mais comme information. »
Philip K. Dick, SIVA, pp. 61-62, collection Présence du Futur, éditions
Denoël, 1980.
Philip K. Dick, catholique romain en proie au doute, truffe ainsi son oeuvre SF de ces
références aux cosmogonie gnostiques, à ce christianisme primitif qui, selon lui, peut seul révéler
l'essence de notre monde, l'origine réelle du mal et l'hypnose collective de l'humanité en proie à
l'errance. Et il ensemence la SF de ces thèmes pour les générations futures. On peut citer, par
exemple, Mysterium de Robert Charles Wilson :
Parce qu'une explosion a endommagé le complexe de recherches
de Two Rivers, les pompiers locaux, dans l'incapacité de contacter
l'armée, se rendent sur les lieux à la recherche de survivants pour
aussitôt rebrousser chemin. Certains ont vu des anges jaillir des
flammes. Pour d'autres, il s'agissait de monstres terrifiants. Et ce
n'est pas le plus étrange, car autour de Two Rivers la forêt a
changé. Visiblement plus ancienne, elle coupe désormais toutes
les routes d'accès. Révélé au grand public par le succès mondial
de Spin, Robert Charles Wilson a publié son premier roman, La
Cabane de l'aiguilleur, en 1986, mais ne connaîtra son premier
véritable succès que huit ans plus tard avec Mysterium, lauréat du
prix Philip K. Dick 1994.
Mais, cette vision d'un monde double imprègne aussi cinéma et philosophie au XXème :
l'image de l'Homme exploité et tenu en ignorance, c'est bien le thème de The Truman Show, un film
de Peter Weir, avec Jim Carey, sorti en 1998. Et, c'est surtout, avec sa dimension spirituelle non
dissimulée, à la manière de K. Dick et de ses inspirations gnostiques, le thème de la trilogie Matrix
(une trilogie comme la « Trilogie divine »...) dont le premier volet est sorti en 1999.
Et dans Matrix, l'humanité est à tel point trompée qu'elle ignore à quelle époque elle vit.
Problématique bien-sûr déjà exploitée par K. Dick :
« Le temps n'existe pas. C'est là le grand secret que connaissaient Apollonios de Tyane, Simon le
Magicien, Paracelse, Boehme et Bruno. L'univers se contracte en une entité unitive qui tend à sa
complétude. La dégradation et le désordre nous les voyons à l'envers, comme s'ils augmentaient. Le
fragment 18 de mon exégèse l'affirme : « Le temps réel a pris fin en 70 de l'Ère commune, avec la
destruction du temple de Jérusalem. Il a repris son cours en 1974. La période située dans l'intervalle
n'était qu'une interpolation bâtarde qui singeait à la perfection la création de l'Esprit. »
- Qui est responsable de cette interpolation ?
- La prison de fer noir, qui est une expression de l'Empire. La chose qui... » Fat s'apprêtait à
dire : « La chose qui m'a été révélé. » Il reformula sa phrase. « La chose qui a le plus compté parmi
mes découvertes est ceci : l'Empire n'a jamais pris fin. »
Philip K. Dick, SIVA, pp. 61-62, collection Présence du Futur, éditions
Denoël, 1980.
Dans Matrix, le mythe gnostique de l'enfermement et de l'asservissement de l'humanité est le
même que dans le christianisme originel mais il a évolué : elle n'est plus prisonnière des archontes
et éons de la chute, ou, de concentrations magnétiques impies, qui l'aveuglent mais des machines
qu'elle a elle-même construites... Le monde est tenu par des machines qui asservissent une humanité
oublieuse du monde de son origine et de sa fin eschatologique.
Ces machines construites par les humains les vampirisent : elles les asservissent en les
maintenant dans l'illusion organisée et collective. Pour ce faire, elles projettent de simples artefacts
de notre monde devant nos cinq sens. Mais ce monde dans lequel nous vivons n'est qu'un leurre, que
des programmes informatiques émanant de la matrice. « L'homme est un dieu déchu qui se souvient
des cieux. » Or dans Matrix l'humanité a bu depuis si longtemps l'eau du Léthé qu'elle ne se
souvient plus qu'elle a elle même construit ses geôliers, les machines qui la cultivent et ne la
considèrent que comme des batteries d'énergie leur permettant de mener leur vie mécanique
autonome.
K. Dick n'avait-il d'ailleurs pas représenté l'humanité dessaisie de ses enfants par des robots
dans sa nouvelle Progéniture, publiée en 1954 :
« Les parents n'étaient jamais capables d'objectiver vis-à-vis de leur enfant. Ils faisaient
immanquablement sur lui une projection affective tendancieuse. Il était inévitable que leur point de
vue soit erroné. Aucun parent ne pouvait être un bon instructeur pour son enfant.
En revanche, les robots, eux, savaient observer l'enfant, analyser ses besoins, ses désirs,
tester ses centres d'intérêt. Jamais ils ne forçaient un enfant à se couler dans un moule particulier.
On l'élevait au gré de ses propres tendances, toujours dans le sens de ses intérêts et de ses besoins,
tels que déterminés par l'analyse scientifique. »
Philip k. Dick, Progéniture, in « Souvenir », p. 153, Editions Denoël, 2011.
Quand les spectateurs ont vu le blockbuster Matrix, ils ont été fascinés et nombreux ont été
ceux qui se sont demandés quelles en étaient les sources. Philip K. Dick en est une. Mais dès le
début du film si les références sont multiples à Alice au Pays des Merveilles qui va passer à travers
le miroir en suivant le lapin blanc, une autre source plus moderne est discrètement mentionnée :
Néo, le héros, cache ses logiciels pirates dans un livre. Un arrêt sur image permet d'en lire le titre :
Simulacras et Simulations.
Qu'est-ce que cet ouvrage ?
Une simple fiction ?
En fait, ce titre donne une autre clef de lecture de Matrix. En effet, Simulacres et
Simulations est le titre d'un livre de Jean Baudrillard, l'auteur de La Guerre du Golfe n'a pas eu lieu.
Baudrillard (1929-2007): critique, sociologue et philosophe français. Simulacres et
simulations en 1981 : « La séduction représente la maîtrise de l'univers symbolique, alors que le
pouvoir ne représente que la maîtrise de l'univers réel. » Il s'est intéressé à la consommation, les
relations de couples, la compréhension sociale de l'histoire à travers des commentaires sur le sida,
le clonage, l'affaire Rushdie, la première guerre du Golfe et les attentats contre le World Trade
Center. Baudrillard, inspiré par l'œuvre de Nietzsche, s'intéresse aux événements de l'objet et à
leurs règlements ou dérèglements : « séduction », « simulation » et « hyper-réalité ». L'une de ses
thèses centrales, qui poursuit, d'une certaine façon, la critique de la société du spectacle entamée
par Guy Debord, repose sur l'analyse de la « disparition du réel », auquel se substitue une série de
simulacres qui ne cessent de s'auto-engendrer. Tous thèmes inspirateurs de Matrix, dont il dénonça
la récupération : " Matrix, c’est un peu le film sur la Matrice qu’aurait pu fabriquer la Matrice." Un
film à gros budget et gros profits qui ne ferait que l'entretenir plutôt que réellement la dénoncer ?
Pour Beaudrillard, comme pour les gnostiques et Philip K. Dick, la réalité intrinsèque de
notre monde est donc recouverte par des simulacres, de fines pellicules de cendre, qui nous
empêchent de l'objectiver.
Quelques-unes des étapes de l'évolution d'une cosmogonie largement inspiratrice de la
science-fiction :
La cosmogonie gnostique des chrétiens qui est une tentative d'expliquer l'origine du mal et
d'objectiver le réel a donc été pérennisé grâce à la SF qui lui a fait subir plusieurs évolutions :
1.Références de K. Dick, les philosophes « pré socratiques » matérialistes et hédonistes
réfléchissent à la genèse du monde puis, comme Platon le fera à leur suite avec le mythe de la
caverne, mettent en doute notre notion de la réalité : le monde est difficile à percevoir car, recouvert
de simulacres, il n'est qu'atomes en mouvement... Cette dimension reste philosophique.
2.Une SF des premiers siècles de l'ère chrétienne : la spiritualité gnostique. C'est une alternative
spirituelle à la philosophie pré-socratique transposée et imagée à partir de l'Ancien Testament :
Yahvé est le démiurge (Yahvé = Satan). Avec les éons, d'autres anges rebelles, il cadenasse le
monde et vampirise les humains. C'est la cosmogonie des gnostiques, véhiculée autour du bassin
méditerranéen et du Proche Orient par d'innombrables groupements (Thérapeutes, Esséniens,
Ophites, Caïnites, Barbélognostiques, Mandéens, cultes à mystères tel que celui de Mithra propagé
par les légions romaines... – puis, plus tard, le gnosticisme des Manichéens de l'Afrique à la
Chine...) et « Maîtres de Gnose » comme Valentin, Bardesane, Carpocrate, Basilide, Plotin et les
néo platoniciens d'Alexandrie ou, les Hermétistes et les alchimistes. Ils ont laissé des évangiles
« secrets » retrouvés à Nag Hammadi, par exemple, non interpolés ni détournés par l'Eglise
catholique alors en construction. Malgré son opposition à ces évangiles et au fait qu'elle en retarde
la publication, l'Université Laval au Québec est la première à les publier. Des historiens et nombre
d'auteurs les présentent et vulgarisent : Elaine Pagels avec ses Evangiles secrets, Leisegang avec La
Gnose, Jacques Lacarrière qui présente seulement les gnostiques licencieux avec Les Gnostiques,
La Pléiade qui publie enfin ces « autres » et « nouveaux » évangiles. Michel Onfray s'y réfère dans
ses Résistances au Christianisme, avec « la transvaluation gnostique » ou, sa présentation des Frères
du Libre Esprit. Quant à Gérard Manset, il a traduit cette philosophie dans ses chansons,
particulièrement dans ses albums Prisonniers de l'inutile mais aussi Lumières puis Matrice... Les
gnostiques insistent sur la réalité de mondes qui s'imbriquent : celui du Dieu Bon inconnaissable et
celui des faux dieux, le monde chuté, L'Hypostase des Archontes dans le samsâra de laquelle nous
vivons et tournons en rond : il faut s'en échapper de notre vivant pour regagner et incarner ici-bas le
Royaume du Père, le Nirvana de l'Éternel. Tous ces référents hermétiques et religieux sont ceux de
Philip K. Dick qui les exploite dans sa science-fiction :à laquelle il donne une dimension spirituelle
et eschatologique, particulièrement dans sa Trilogie divine. Car Philip K. Dick « prenait position
dans un débat qui agitait l'opinion, du moins sa frange soucieuse de questions religieuses. La
découverte des manuscrits de la mer Morte, en 1947, avait fait grand bruit et vulgarisé l'idée que, si
une partie appréciable de l'enseignement attribué à Jésus par les Évangiles synoptiques se retrouve
dans des documents antérieurs à sa naissance, cet enseignement n'était peut-être pas si original
qu'on l'a cru, et celui qui le dispensait autre chose qu'un prédicateur comme il en pullulait alors en
Palestine : en somme, et si l'on considère ce que des milliards de gens croient et ont cru à son sujet,
un imposteur. » En effet, « Le christianisme est déjà une dissidence, mais les gnostiques sont les
dissidents de cette dissidence : perdants magnifiques, mauvais cons absolus qui toujours fascineront
les francs-tireurs de la religion. Dick ne pouvait qu'aimer ces maîtres spirituels, Valentin, Basilide,
dont tout l'enseignement repose sur l'intuition que quelque chose ne va pas dans le monde comme il
va. C'est à la fois, disent-ils, une prison et une illusion, une erreur et un mauvais tour que nous joue
un cruel démiurge. A qui en prend conscience, cependant, et fait le dur effort de rester éveillé il est
possible de remonter jusqu'à la lumière du vrai Dieu, dans l'ombre de qui le démiurge nous tient
captifs. Entendant, lisant cela, Dick comprit que toute sa vie il avait fait de la Gnose sans le
savoir. » (Emmanuel Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts, Philip K. Dick, 1928-1982,
Biographie, pp. 173, 175, Editions du Seuil, septembre 1993).
3.Les cosmogonies gnostiques sont aussi traitées dans une perspective athée mais poético-
scientifique : des extra terrestres nous obombrent comme dans la science-fiction pure du film Dark
City, d' Alex Proyas, en 1998 (Au commencement étaient les ténèbres...). Ou, des robots
biologiques, construits ou non par l'Homme, Les Répliquants de Blade Runner, nous menacent : ils
reviennent sur Terre. « Et tombent les anges en feu... » introduit la dernière tirade du chef des
Répliquants dans Blade Runner, juste avant sa mort par fin de son programme de vie volontairement
limitée.
4.Dans la perspective matérialiste, les deux mondes se rapprochent de nous : l'hyperespace
permettant de relier rapidement des mondes lointains, inventé par Asimov dans Fondation, ne reste
toujours qu'une fantasmagorie théorique. Aussi, après les chocs pétroliers et à l'heure de l'énergie
chère, se double-t-il d'une version terrestre grâce à Internet et aux nouvelles technologies. Elles
permettent d'envisager parmi nous un monde informatique parallèle créé par l'Homme : la matrice
de William Gibson avec Neuromancien en 1982. La SF s'adapte aux contraintes économiques en
amplifiant les possibilités de la high tech. Et surtout elle se rapproche en temps et en distance.
5.Matérialisme et retour au spirituel avec la trilogie Matrix inspirée de K. Dick et Baudrillard :
l'informatique et les machines ont pris le dessus sur l'Homme qui les a créées et elles l'asservissent
sans qu'il le sache. Seuls des éveillés pourront sauver l'humanité et surtout l'Élu, le nouveau messie :
Néo. L'ennui d'Anderson au début de la trilogie peut-être envisagé comme un recyclage du mal du
siècle, des souffrances du jeune Werther, du spleen Baudelairien, de la lassitude face à un monde
qui ne correspond pas à l'image qu'on s'en fait et qui n'apporte rien aux poètes. En tout cas la SF ne
recourt plus pour cette cosmogonie à des extra terrestres lointains, beaucoup plus évolués que les
humains et qui possèdent des technologies très avancées. Non, les avancées technologiques sur terre
permettent d'envisager des machines créées par les humains et qui les dépassent et exploitent.
De spéculations antiques sur le réel aux élucubrations gnostiques sur deux mondes
imbriqués qu'exploitent des auteurs de SF, on est passé à des peurs d'extra terrestres avancés
venus de la « planète rouge » durant la guerre froide, à des humains hyperévolués revenant du
futur et à des robots qui « s'humanisent ». Pour en arriver enfin à des machines esclavagistes
construites par des hommes qui les ont oubliées et qu'elles vampirisent : depuis les chocs
pétroliers et les années 80, la SF vit désormais son futur ici et maintenant, aujourd'hui et sur
Terre.
D. Une SF initiatique : trouvez l'Élu ! Quelques tics au niveau de
l'onomastique...
Trois thèmes dominent dans la SF : les voyages spatiaux avec l'exploration des mondes
lointains, les robots et, l'initiation d'un héros qui deviendra un nouveau messie, le sauveur de
l'humanité.
Déjà, dans Le cycle de Dune publié aux USA en 1965 par Frank Herbert (adapté au ciné par
David Lynch) très inspirée par le soufisme, le héros se nomme au départ Paul Atréide. Il est peutêtre le messie attendu pour sauver le monde menacé par une autre famille, les Arkonnen. Au cours
de multiples épreuves son nom va évoluer : après ces initiations, il sera véritablement reconnu
comme l'élu et il deviendra Usul (la base du pilier, de la colonne, en arabe).
Puis il sera finalement renommé le Kwisach Aederech lorsqu'il deviendra l'empereur-dieu de
Dune.
L'initiation, l'évolution vers l'illumination se traduit donc par un changement de nom au sein
du roman.
Dans Matrix des héros se nomment Orphéus, Trinity : sans-doute là, l'influence de K. Dick
qui incarne des personnages mythologiques et bibliques dans ses romans : dans Invasions divines,
un ami du héros doté de super pouvoirs se révèle au dernier tiers du roman être le prophète Élie
venu d'une lointaine constellation. Et toujours dans Matrix, Anderson devient Néo. Les Smiths y
pullulent comme chez Ionesco, dans La Cantatrice chauve : le dramaturge qui dépeint l'absurdité de
la condition humaine avait choisi ce patronyme parce que c'est le nom le plus répandu chez les
anglo-saxons. C'est donc « Smith » pour ces agents du FBI dans Matrix, pour ces agents de la
matrice, le nom des anonymes. Et leur costume témoigne de cet anonymat : ils portent tous le même
et sa doublure dorée, symbole de leur origine divine, est volontairement cachée ou oubliée sous le
vêtement.
Car nous en sommes tous là ! Tout le monde devient un Smith, se transforme quand la
matrice est attaquée : clochard, policier, passants, anonyme au téléphone portable se
métamorphosent en agents Smith dès que Néo, le révélateur de la vie véritable, les menace ... Nous
sommes tous d'ignorantes entités de la matrice... Et elle veille sur nous, nous tient dans son enclos
comme un loup garde ses brebis....
Si tous ces personnages appartiennent à la science-fiction ou l'inspirent, pas chez K. Dick où
là encore sa vie se confond avec son œuvre. Alors qui est réellement Horselover Fat ?
Comme Saül, pharisien grand persécuteur des chrétiens, est devenu l'apôtre Paul, Philip K.
Dick va devenir, lui, Horselover Fat au sein de ses romans. Il entretient en effet une filiation
particulière avec Paul de Tarse.
Saül le pharisien fut un grand persécuteur des chrétiens avant d'être terrassé par la lumière
divine sur le chemin de Damas : sa conversion au Nouveau Testament est aussi aveuglante
qu'immédiate. Et avec elle il prend le nom de Paul pour répandre les évangiles en se réclamant
apôtre de Jésus Christ. Une expérience qui selon Philip K. Dick est similaire à la sienne... N'a-t-il
pas lui aussi été révélé à lui-même par le fameux rayon rose qu'il dépeint dans SIVA ? Son double
apparaît donc désormais dans sa « Trilogie divine » sous la traduction de son nom héllénogermanisée : Horselover Fat, Le Gros Ami des Chevaux !
Son Exégèse, ouvrage énorme de 8000 pages, date de cette époque. Il s'agit d'un essai où
toutes ses révélations sont soigneusement notées, et où s'affrontent Philip K. Dick et Horselover Fat,
unique et même personnage (Philippe signifie en grec « l'ami des chevaux » qui s'écrit en anglais
« horse lover » ; Dick signifie gros en allemand, « fat » en anglais). Dans plusieurs de ses romans de
cette dernière période, l'ancien président Richard Nixon, sous son nom (dans SIVA) ou une version
fictive, apparaît comme une figure maléfique de L'Empire car L'Empire n'a jamais pris fin est une
phrase récurrente dans SIVA. En effet, « Rome est ici, maintenant. L'Américain moyen n'y voit que
du feu, mais elle est la réalité sous-jacente au monde où il vit. L'Empire n'a jamais pris fin. Il s'est
seulement dérobé aux yeux de ses sujets. Comme on projette un film sur le mur d'une prison, il a
ourdi pour eux cet univers de fantaisie, cette fiction éhontée que la plupart des spectateurs prennent
pour un scrupuleux documentaire : dix-neuf siècles d'histoire et le monde qui en résulte. Mais
pendant la projection la guerre continue. Ceux qui refusent de regarder le film et de le croire réel
sont pourchassés impitoyablement : on ne les laisse pas sortir de la salle, on les massacre dans les
toilettes. Certains, par prudence, donnent le change : ils restent assis face à l'écran, les yeux clos et
l'esprit éveillé. Ils suivent leur propre voix, ils servent un autre roi (Emmanuel Carrère, Je suis
vivant et vous êtes morts, Philip K. Dick, 1928-1982, Biographie, p. 262, Editions du Seuil,
septembre 1993)
Ainsi, K Dick déclara avoir eu plusieurs révélations divines, et, il fut invité d'honneur en
1977 à la Convention de la SF de Metz : « Il pouvait à présent sortir du placard pour annoncer au
monde la vérité. Et il admirait le tact de la Providence, qui en avait réservé la primeur aux Français,
ses plus fervents admirateurs » (Emmanuel Carrère, opus cité, p. 347). Ainsi prononça-t-il devant
une foule ébahie, en guise d'ouverture, un discours saugrenu où il expliqua avoir été contacté par
des extraterrestres en mars 1974 et qu'il entretenait depuis cette date une correspondance avec eux.
Puis, « Dick attribuait une origine divine aux rafales d'information qui depuis février 1974
mitraillaient son cerveau. Dieu, qu'il nommait pudiquement Siva, lui parlait comme Il avait parlé à
Moïse, à Mahomet et à quelques autres. Il s'était adressé cette fois à un écrivain, comptant sur lui
pour transcrire Ses paroles dans la forme contemporaine, qui, à Son avis, convenait le mieux à une
révélation : la science-fiction. » (Emmanuel Carrère, idem, p. 301)
III.Histoire des arts : Evolution d'un mythe
A. Petite mythologie appliquée du savant fou
Mythe de Prométhée : un extrait des dieux antiques de Mallarmée.
Peintures et sculptures de Prométhée
Un sujet grave mais avec les élèves on pourra mettre en relief les différences de traitement au
cinéma : elles débouchent sur la notion de tonalités à propos des sciences dans la SF :
Dramatique et tragique certes (Frankenstein, L'île du Docteur Moreau...) mais aussi épique dans
retour vers le futur et comique : Folamour, mais aussi Mike Myers dans Austin Powers.
Ainsi, on mettra en avant, à travers deux analyses filmiques comparées ce qui fait le comique ou le
dramatique autour d'un même sujet : bande son, images, cadrage, univers inquiétant, références
nazisme (Minority)
Extrait Blade Runner à 1 h. 17 mn 40 secondes
// Frankenstein versus Folamour
Minority : les yeux à 1h 02 + 1h09
Renaissance
Photos savants fous
B. Des divagations d'un hurluberlu ?
Du rêve de « l'Homme amélioré » aux nanotechnologies :
Par le dopage, les drogues (Saga de Dune, l'épice et les Fremen) ; bidouillage ADN : le surhomme
par eugénisme (Bienvenue à Gattaca, Andrew Nicoll, 1997) ; et par les machines : Roboccop (Paul
Verhoeven en 1987)
Edgar Cayce (1877-1945) ,vie secrète de Jésus; Swedenborg : 1688-1772 : les arcanes célestes (16
volumes) ; le ciel, ses merveilles et l'enfer d'après ce qui a été entendu et vu.
Fils de l'Un et fils de Bélial
Voici ce qu'a écrit Dick dans Le monde de Jon, une nouvelle publiée en 1954 :
« En réalité, il y avait eu deux guerres. La première avait opposé l'homme à lui-même. La
seconde, il l'avait livrée aux Griffes, ces robots qu'il avait lui-même conçus pour servir d'armes de
guerre; Les Griffes s'étaient retournées contre leurs créateurs en se dotant elles-mêmes de nouveaux
modèles et équipements. »
Philip k. Dick, Le monde de Jon, in « Souvenir », p. 245, Editions Denoël, 2011.
Et c'est bien ce fantasme dickien, ce conflit entre humains et robots, qu'a mis en scène
Stanley Kubrick puis Steven Spielberg auquel le premier avait confié de poursuivre son film AI
après sa mort survenue en cours de tournage.
Mais si tout ceci est de l'ordre de la science-fiction, que penser alors de ces images ? Notre
réalité ne serait-elle pas en train de dépasser cette même science-fiction ?
http://terresacree.org/images/nanotechnology.jpg
C. Des exfiltrations de la SF vers la littérature canonique :
Burroughs : cut up ; écriture informatique ; Nova Express, La machine molle (n'ayons pas
peur), le ticket qui explosa (cut up qui fait de la langue l'héroïne elle-même de la narration +
une cyberécriture ; chaos, punk)
Tom Wolfe Acid Test : synchronisation, LSD, Merry Pranksters, Greatefull Dead...
Étude la langue :
Voyage en Sciences et en Fictions :
La science-fiction s'adresse-t-elle uniquement à des spécialistes ou des
scientifiques ?
Dominante : Analyse de la langue.
Capacités : Savoir distinguer extraits de romans de science fiction et articles scientifiques.
« Les écrivains de science-fiction, je suis navré de le dire, ne savent vraiment rien. Nous ne
pouvons pas parler de la science, car la connaissance que nous en avons est vraiment limitée et n'a
rien d'officiel, et d'habitude notre fiction est épouvantable. Il y a quelques années, aucun
établissement d'enseignement supérieur, aucune université n'aurait jamais songé l'un d'entre nous à
venir parler. Nous étions miséricordieusement cantonnés dans d'atroces magazines à deux sous, et
n'impressionnions personne. A cette époque-là, certains amis me demandaient : « Mais est-ce que tu
écris des choses sérieuses ? » Entendant par là : « Est-ce que tu écris autre chose que de la sciencefiction ? » Nous mourions d'envie qu'on nous reconnaisse. Nous pleurions pour qu'on nous
remarque. Et puis, d'un seul coup, les milieux intellectuels se sont mis à nous prêter attention, on
nous a invités à participer à des conférences et à participer à des tables rondes – et nous nous
sommes aussitôt fait passer pour des idiots. Le problème est simplement celui-ci : qu'est-ce qu'un
écrivain de science-fiction ? Dans quelle matière fait-il autorité ? »
Philip K. Dick, Comment construire un univers qui
ne s'effondre pas deux jours plus tard, conférence publiée en 1978, traduite en
1987 in « Le Crâne », collection Présence du Futur, Denoël éditeur.
Texte 1 :
Il ne s’était un peu raidi qu’au moment du saut dans l’hyperespace, un phénomène qu’on
n’avait pas l’occasion d’expérimenter au cours de simples déplacements interplanétaires. Le saut
demeurait, et demeurerait sans doute toujours, le seul moyen pratique de voyager d’une étoile à
l’autre. On ne pouvait se déplacer dans l’espace ordinaire à une vitesse supérieure à celle de la
lumière (c’était un de ces principes aussi vieux que l’humanité) ; il aurait donc fallu des années pour
passer d’un système habité au système le plus voisin. En empruntant l’hyperespace, ce domaine
inimaginable qui n’était ni temps ni espace, ni réalité ni néant, il était possible de traverser la
Galaxie en un instant dans toute sa longueur.
Isaac Asimov, Fondation, 1951.
Extrait de roman ou d'article scientifique ?
Rayez la fausse appellation.
Extrait : Minority report
Texte 2 :
Laissez-moi vous expliquer, dit Joe, comment agit généralement un anti–précog. Comment
il agit en fait dans tous les cas que nous connaissons. Le précog a la vision d’une série de futurs,
rangés les uns à côté des autres comme des rayons dans une ruche. Mais l’un d’eux lui apparaît plus
lumineux que les autres, et c’est celui-là qu’il choisit. Après ça l’anti-précog ne peut plus agir ; il
faut qu’il soit présent au moment où le précog va faire son choix sinon il est trop tard. L’action de
l’anti-précog brouille la vision du précog en lui donnant l’impression que tous les futurs ont le
même coefficient de réalité, ce qui l’empêche d’en sélectionner un. Mais le précog est
immédiatement averti de la présence de l’anti-précog, car toute la relation entre le futur et lui est
altérée.
Philip K. Dick, Ubik, 1969.
Extrait de roman ou d'article scientifique ?
Rayez la fausse appellation.
Extrait : A scanner darkly
Texte 3 :
Le complet brouillé était une invention des laboratoires Bell, due à un employé nommé S.A.
Powers, qui tomba dessus par hasard. Quelques années auparavant, Powers avait expérimenté
quelques substances déshinibitrices affectant les tissus nerveux. Un soir, il avait subi une baisse
catastrophique de liquide GABA à l’intérieur du cerveau. Subjectivement, il avait alors assisté à une
projection de phosphènes bariolés sur le mur de sa chambre, un montage toujours plus frénétique de
ce que, sur le moment, il considéra comme des toiles abstraites contemporaines. Au cours d’une
transe de six heures environ, S.A. Powers avait vu des Picasso se chasser l’un l’autre selon un
rythme ultra-rapide ; puis ç’avait été le tour de Paul Klee, plus de toiles que l’artiste n’en avait
peintes durant sa vie. Alors que des Modigliani se succédaient sous ses yeux à la vitesse grand V,
Powers avait présumé (on a besoin de théories pour tout) que des mages lui projetaient
télépathiquement des tableaux, aidés sans doute par un système avancé de micro-relais ; plus tard
Kandinsky se mit à le harceler, il se rappela que le principal musée de Leningrad se spécialisait
dans ce genre d’art moderne, et décida que les Soviets essayaient d’entrer télépathiquement en
contact avec lui.
Au matin, il se rappela qu’une diminution radicale du liquide GABA provoquait
normalement une telle apparition de phosphènes. Personne n’essayait d’entrer en contact avec lui,
avec ou sans micro-relais. Mais l’incident lui donna l’idée du complet brouillé. A la base il
s’agissait de relier un quartz à un mini-ordinateur dont les mémoires contenaient jusqu’à un million
et demi d’images fragmentaires de la physionomie d’individus divers : hommes, femmes, enfants ;
chaque variante encodée était ensuite projetée omnidirectionnellement sur une membrane ultra-fine,
sorte de linceul assez grand pour envelopper un humain de taille moyenne.
Philip K. Dick, Substance mort, 1973.
Extrait de roman ou d'article scientifique ?
Rayez la fausse appellation.
Texte 4 :
Case rencontra son premier Moderne deux jours après avoir visionné le topo de l'Hosaka.
Les Modernes étaient décidément la version contemporaine des Grands savants du temps de ses
vingt ans. Il y avait comme un spectre d'ADN adolescent à l'œuvre dans la Conurb, un truc qui
transportait les préceptes codés de diverses subcultures à brève durée de vie et les répliquait à
intervalles aléatoires. Les Panthers modernes étaient une variante biologique des Savants. Si la
technologie avait été disponible à l'époque, tous les Grands Savants auraient porté des connecteurs
bourrés de micrologiciels. C'était le style qui comptait et le style restait le même. Les Modernes
étaient des mercenaires, des rigolos, des technofétichistes nihilistes.
Celui qui se présenta à la porte du loft avec une boîte de disquettes du Finnois était un
garçon à la voix douce du nom d'Angelo. Son visage n'était qu'un greffon de collagène et de
cartilages de squale en polysaccharides, aussi lisse que hideux. L'un des exemples les plus affreux
de chirurgie élective qu'il ait été donné à Case de contempler. Lorsque Angelo sourit, révélant les
canines effilées comme des rasoirs de quelques fauves, Case fut réellement soulagé : vulgaires
transplants de racines dentaires. Ça, il avait déjà vu. p. 70
William Gibson, Neuromancien, 1984.
Extrait de roman ou d'article scientifique ?
Rayez la fausse appellation.
Texte 5 :
L'implant HealthGuard utilisait la toute dernière puce doseuse programmable : une batterie
de protéines complexes agglutinées au silicium, comparable sous bien des aspects à un synthétiseur
de robopharm mais conçue pour compter les molécules et non les fabriquer. La génération des puces
précédentes avait utilisé une multitude d'anticorps hautement spécialisés, des protéines fourchues
implantées en damier dans le semi-conducteur comme des parcelles juxtaposées de cent cultures
différentes. Quand une molécule de cholestérol, d'insuline ou de n'importe quoi atterrissait par
hasard sur la parcelle correcte et entrait en collision avec un anticorps compatible, elle s'attachait à
lui assez longtemps pour que l'infime différence de potentiel soit détectée, puis enregistrée dans un
microprocesseur. Au bout d'un certain temps, ce relevé de collisions aléatoires indiquait le taux de
chaque substance dans le sang.
Les nouveaux capteurs recouraient à une protéine qui ressemblait plus à une plante
carnivore dotée d'un cerveau qu'à la matrice passive et spécialisée d'un anticorps. Dans son état
réceptif, la "dosagine" était une molécule longiligne en forme de cloche, un tube s'évasant en un
large entonnoir.
Cette configuration était métastable : la répartition de la charge sur la molécule la rendait
prodigieusement sensible, comme un piège à ressort. Tout objet suffisamment volumineux heurtant
la surface interne de l'entonnoir déclenchait une onde déferlante, rapide comme l'éclair, qui
engloutissait et empaquetait l'intrus. Le microprocesseur, voyant le piège refermé, pouvait alors
sonder la molécule captive en recherchant une forme de la dosagine qui l'emprisonnerait encore
plus étroitement. Il n'y avait plus de collisions inutiles et mal assorties - plus de molécules d'insuline
s'écrasant sur des anticorps du cholestérol avec un résultat nul sur le plan de l'information. La
dosagine identifiait à tous les coups ce qui l'avait touché.
Greg Egan, L'énigme de l'univers, 1995.
Extrait de roman ou d'article scientifique ?
Rayez la fausse appellation.
Texte 6 :
Les cellules solaires en plastique font un bon en avant
Avec 8,3 % d’énergie lumineuse transformée en énergie électrique, les panneaux plastique
de la société américaine Konarka établissent une nouveau record de rendement pour les cellules à
base de polymères. Les performances de ces panneaux, contrôlées par la National Energy
Renewable Laboratory (NREL), sont spectaculaires : elles ont cru de près d’un tiers en trois années
seulement. Le rendement du « Power Plastic » de Konarka atteint désormais la moitié de celui des
cellules traditionnelles rigides à base de silicium, mais à un coût trois fois moins élevé et sur un
support souple, grâce à des techniques de fabrication inspirées de l’imprimerie : les panneaux
sortent sous forme de rouleaux de 152 cm de large, sur une longueur quasiment illimitée.
Pierre Grumberg, Science et Vie, décembre
2010.
http://mondedurable.science-et-vie.com/2010/12/les-cellules-solaires-en-plastique-font-un-bon-enavant/
Extrait de roman ou d'article scientifique ?
Rayez la fausse appellation.
Texte 7 :
Le graphène pourrait aider à séquencer l’ADN
Encore une application pour le graphène : cette fois, c’est en décodeur d’ADN que l’équipe
du physicien américain Daniel Branton, associant des chercheurs du Massachusetts Institute of
Technology et de l’Université de Harvard, veut transformer le désormais fameux feuillet de carbone
d’un atome d’épaisseur. L’idée est la suivante : utiliser une membrane de graphène (épaisse de deux
feuillets, soit moins d’un nanomètre d’épaisseur) pour séparer deux bacs contenant chacun des ions
en solution. Lorsque des ions traversent la membrane par un trou de quelques nanomètres de
diamètre, un signal électrique continu est mesuré. L’idée des chercheurs est d’introduire des
molécules d’ADN dans un des bacs. Attirées dans le trou, les longs rubans y pénètrent alors comme
un fil par le chas d’une aiguille. Chaque base composant le code génétique étant d’une taille
légèrement différente, son passage dans le trou modifie le flux d’ions traversant, et du coup le signal
électrique. Dont la variation permet alors d’identifier les composants de la chaîne, base par base…
Vertigineux ! Évidemment, il s’agit encore d’un « décodeur » expérimental, encore très loin d’un
dispositif industriel. Mais les chercheurs espèrent bien parvenir à en tirer un appareil à la fois plus
rapide et moins coûteux que les décodeurs actuels.
http://nouvellestechnos.science-et-vie.com/14/09/2010/le-graphene-pourrait-aider-a-sequencer-ladn/
Extrait de roman ou d'article scientifique ?
Rayez la fausse appellation.
Subjectivité Vs objectivité
Charabia ou littérature ?
Demander aux élèves de classer extraits de romans et articles scientifiques en justifiant
leurs choix (différencier texte narratif et texte explicatif). Les extraits sont distribués à toute la
classe mais chaque élève ne travaille que sur deux textes pour les confronter : un extrait de
roman et un article scientifique.
Donner un échantillon de texte SF + 1 extrait vulgarisation scientifique (Science et Vie) et
demander aux élèves pour chacun :
Selon vous, extrait de roman ou article scientifique ?
Puis :
Guidance par des questions :
–Comprenez-vous cet extrait ? De quoi parle-t-il ?
–Des personnages se trouvent-ils dans votre extrait ?
–Que font-ils ?
–Est-ce possible à notre époque ?
–Quels sont les temps utilisés ?
–Quel(s) est (sont) le(s) niveau(x) de langue utilisés dans votre extrait ?
Le langage de la crédibilité :
La pseudo-science ou l'art de faire prendre des vessies pour des lanternes :
Comment se construit un univers de SF, une ambiance, une atmosphère propre à la
science-fiction et comment se différencie-t-elle d'articles scientifiques ?
Extraits K. Dick n° 6 et 7
Bien-sûr, la préoccupation de tout auteur de roman est d'introduire son lecteur dans une
fiction. Mais la question est particulièrement prégnante avec la Science-fiction puisqu'elle a pour
but d'induire un pacte de lecture qui d'emblée projette le lecteur dans un univers qui lui est peu ou
prou inconnu.
Si la langue romanesque de la SF utilise les ressorts littéraires éprouvés de la construction de
fiction, il est bon de montrer aux élèves la prolifération de ces ressorts littéraires pour forcer le
lecteur à entrer dans des univers très particuliers. Comment la SF pousse néanmoins au paroxysme
certains procédés pour maintenir des repères et entretenir une connexion constante avec l'univers
des auteurs.
On retrouvera donc tous les artifices littéraires que nous connaissons mais nous amènerons
les élèves à remarquer leur abondance créant en quelque sorte :
Une langue de la prolifération au service des élucubrations :
La méthode pour amener cette prise de conscience d'un pacte de lecture amplifié serait donc
mettre en parallèle extraits de romans et articles scientifiques pour insister sur certains procédés
comme :
–Les caractéristiques des situations d'énonciation avec présence ou absence de narrateurs et de
personnages ; jeu sur la prominalisation ;
–le jeu des temps : présent du compte rendu ou temps du passé propres au récit ;
–Les modalisateurs qui permettent de distinguer le « dictum », ce qui est dit, du « modus »,
l'intention avec laquelle on le dit. Les modalisateurs sont les marqueurs privilégiés de la
subjectivité : ils abondent bien-sûr dans les extraits de romans contrairement aux articles
scientifiques visant l'objectivité et la neutralité. On retrouve donc l'expression de la
modalisation avec :
–les verbes, leur temps, leur mode quand ils énoncent une impression ou une probabilité ;
–avec la présence d'adverbes et d'adjectifs qui traduisent le ton engagé du narrateur ; ils abondent
dans les extraits de romans, sont renforcés par les points d'exclamation et de suspension alors qu'ils
sont peu fréquents dans les articles scientifiques.
–Et bien sûr, on se penchera sur la surabondance des particularités lexicales dans les romans
de SF en mettant en évidence avec les élèves :
–les niveaux de langue : soutenu, courant et familier sont mélangés dans les romans alors que les
articles scientifiques favorisent le soutenu (les textes scientifiques se classent dans une catégorie du
soutenu) ;
–métaphores et comparaisons : présentes dans les passages de romans, rigoureusement absentes
dans les compte-rendus scientifiques mais présentes dans la vulgarisation scientifiques !!!
–les nombreux néologismes qui abondent dans les extraits de romans alors qu'ils sont
rigoureusement exclus des articles scientifiques : précogs = apocope de « précognition » ; conurb =
apocope de conurbation. Procédé phonétique, l'apocope peut être employée sciemment pour oraliser
un discours ou pour brouiller le message dans un but esthétique particulier.
–Mots valises : robopharm. Technofétichistes. Micrologiciels.
Cette multiplication des néologismes fait évoluer le lecteur dans une dimension abstraite qui
contribue à la poétique du récit de science fiction.
–Insertion de noms de sociétés commerciales ou de laboratoires scientifiques réels pour une plus
grande crédibilité afin de brouiller les pistes de la fiction dans les romans ; Souci des références à
des noms de scientifiques ou de laboratoires pour une crédibilité, une vraisemblance pour ce qui
reste principalement des élucubrations romanesques. Mais elles sont construites sur la copie
d'articles scientifiques, en particulier pour l'extrait n° 5.
–Insertion directe de mots scientifiques sans explications (liquide GABA) ; au contraire, dans les
articles scientifiques il est usé de comparaisons et même de métaphores pour faire comprendre les
concepts aux lecteurs : vulgarisation scientifique.
–usage du franglais comme une ressource naturelle liée au genre anglo saxon de la SF (dosagine).
Ce jeu entre mots inventés et références établies, participe évidemment des effets de réel. Il assure
une crédibilité à la fiction par un soutènement pseudo scientifique. Le langage est ici performatif.
Le cadre de la fiction est donné à priori et dans le sens d'un argument d'autorité. Il est inhérent au
pacte de lecture, et le lecteur doit l'accepter d'emblée pour se transporter dans des mondes
imaginaires. En effet, qui parmi nous connaît le liquide GABA ?
–L'acide 4-hydroxybutanoïque ou gamma-hydroxybutyrate ou GHB est un psychotrope dépresseur,
utilisé à des fins médicales ou à des fins détournées (parfois comme « drogue de viol »). Découvert
par les laboratoires Balmer & CO, il est produit physiologiquement dans le cerveau des
mammifères et sa structure chimique est très proche du neurotransmetteur GABA.
Les données scientifiques exactes ou imprécises n'empêchent pas de lire le roman : elles ne
servent que de cadre enveloppant à une intrigue principale et aux actions des héros. Les enjeux des
intrigues des romans de SF touchent aux préoccupations existentielles de l'humanité et sont
universelles puisqu'elles traitent de son avenir, de son eschatologie.
Ce registre pseudo scientifique n'est qu'un cadre et ne constitue pas un parcours fléché
d'importance pour le lecteur qui reste accroché à l'intrigue du roman et à l'évolution de ses
personnages.
Pour introduire un exercice d'écriture récapitulatif des impératifs de langue inhérents à la SF
on pourra procéder en trois étapes :
I. donner aux élèves les étapes du compte-rendu scientifique :
1. Décrire les problèmes posés et les hypothèses émises.
2. Exposer le protocole expérimental.
Sans entrer véritablement dans le détail, il faut décrire brièvement les outils et le déroulement de
l'expérience.
3. Présenter les résultats de l'expérience :
4. Faire la critique de l'expérience et conclure.
Il s'agit là de faire le bilan de l'expérience et de ses limites en guise de conclusion.
II. Replacez logiquement des mots dans l'énoncé d'une expérience :
L'expérience de l'œuf flottant
Replacez logiquement ces mots dans l'énoncé de cette expérience : solution, doucement, légers,
complètement, délicatement, grand, frais, ingrédients, densités, préparation, à l'origine, composés.
... :
1. un œuf ...
2. un ... verre
3. du sel de cuisine
... :
1. Remplir le ... verre d'eau du robinet.
2. Placez l'oeuf ... à la surface de l'eau et lâchez-le. L'oeuf coule !
3. Avec une cuillère, versez du sel dans l'eau et remuez ... au fur et à mesure.
4. Observez
Que se passe t-il ?
L'oeuf flotte.
Pourquoi ?
C'est une question de rapport entre les ... de l'eau et de l'oeuf. En effet, ... , l'eau est plus
légège que l'oeuf car les ... les plus ... se positionnent au dessus des ... les plus lourds (comme
l'huile flotte sur l'eau). En versant du sel dans l'eau, la ... finit par devenir plus lourde que l'oeuf :
celui-ci flotte !
III. Exercice d'écriture :
Première étape : Teintez de subjectivité la dernière étape de ce compte-rendu scientifique en y
introduisant vos commentaires et vos impressions. Utilisez ces expressions et adverbe : Il me
semble, vraiment, génial, formidable, il paraît, le croirez-vous, fantastique !
Deuxième étape : Fictionnez ce compte rendu en le poursuivant dans le genre de la science fiction,
cette fois ! Introduisez, par exemple, des ingrédients chimiques ou des machines pour faire éclore
cet oeuf transformé par vos soins. Imaginez quelle sera la créature qui naîtra de vos
expérimentations pseudo scientifique.
Passé fantasmé, futur proche et futur lointain : quelle science Fiction ?
Demander aux élèves de déterminer, parmi les extraits de romans précédents, ceux dont
l'action se déroule sur Terre et ceux qui se déroulent ailleurs.
Les élèves affinent leur définition de la SF et leurs réponses vont souvent à l'encontre de ce qu'ils
croyaient être obligé dans le domaine de la SF, idée forgée par les films et séries à effets spéciaux
dont la TV les abreuve : hormis pour le premier extrait, l'action de tous les autres se situe sur Terre.
La SF peut donc se passer de vaisseaux spatiaux, de lointaines planètes, d'extra terrestres... Même si
elle peut faire appel à des mondes parallèles, ils peuvent être à deux doigts de nous ou à un clic de
souris.

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