Swaps 79 - Vih.org
Transcription
Swaps 79 - Vih.org
DÉBAT AUTOUR DU MATÉRIEL D’INJECTION Santé, réduction des risques et usages de drogues N o 79 / 2 e trimestre 2015 COCAÏNE Seringues : l’« espace mort » est un facteur de risque des interventions de santé publique Réduction des risques : pour les consommateurs de cocaïne / 4 état des lieux Approches pharmacodynamiques Un défi d’ici 2030 : Actualités dans les troubles liés à l’usage de cocaïne / 7 / 14 volume mort et filtration, / 16 intensifier la riposte aux VIH, hépatites et infections sexuellement transmissibles / 18 Régulation du cannabis en Uruguay : bilan d’étape / 10 « Les trois âges du Palfium » ® histoire d’un produit ambivalent (France, 1957-1999) / 20 Philippe Périn, qui fut mon ami et le secrétaire de rédaction (SR) de Transcriptases et de Swaps puis de vih.org, depuis la création jusqu’à ce que la maladie l’en empêche, est mort le mercredi 7 octobre 2015, à l’aurore qu’il aimait tant, entouré des siens, à son domicile, des suites d’une sclérose latérale amyotrophique (SLA ou maladie de Charcot) à laquelle il a résisté magnifiquement, jusqu’à son dernier souffle. Une maladie qui n’avait en rien affecté ses qualités cognitives, d’homme, d’érudit, d’intellectuel. Et qui eut même comme retombée d’amplifier ses qualités de poète, voyageant dans sa tête sur ses deux écrans. Injuste dans sa violence, la SLA lui avait pourtant laissé jusqu’aux jours précédant le dernier, l’usage de ses deux index, posés sur ses souris. Il se tenait ainsi, via le Net, informé du monde, du rugby à la réduction des risques (RdR) dont il fût, de sa place, un artisan. Philippe est parti avec « élégance et légèreté » comme il l’avait souhaité. Et comme il a toujours vécu ! Quelques mois après Jimmy Kempfer, avec lequel il avait échangé quelques pudeurs. Philippe était arrivé à Swaps et à Transcriptases dans le sillage d’une amitié de 32 ans, lorsque Didier Jayle avait construit l’idée de Pistes. Tout naturellement, malgré ses multiples tâches de secrétaire de rédaction de l’époque (Le Journal du Dimanche, L’Équipe, puis Le Monde). Il y avait donné de son temps, implacable dans la relecture, me soutenant dans mon indisponibilité, y tissant des amitiés fortes (Isabelle Célérier, Michel Gandilhon, William Ho Van Cam, Vincent Perrottet, Lydie Desplanques, Céline Debrenne et bien d’autres). Voyageant avec le Crips aux conférences internationales, de Yokohama à Durban, de Mexico à Vienne pour les numéros spéciaux de Transcriptases avec l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS). Apportant à chaque fois sa bonne humeur tranquille, sa conscience professionnelle intransigeante, son érudition, sa générosité. Jusqu’à son écriture sous le pseudonyme de Nestor Hervé (N. Hervé), envoyé spécial de la RdR, de Barcelone à Beyrouth. Toute la rédaction de Swaps/vih.org, Didier Jayle, Michel Kazatchkine, Charles Roncier, se joint en une pensée émue pour sa femme, pour ses enfants, Dora, Juliette et Victor, pour l’ensemble de sa famille et ses amis. Gilles Pialoux La photographie est de Philippe Voisin. 4 MISE AU POINT des interventions de santé publique Actualités pour les consommateurs de cocaïne Perrine Roux / INSERM, U912 (SESSTIM), Marseille ; Aix-Marseille université, IRD, UMR-S912 Marseille ; 3ORS PACA, Observatoire régional de la santé Provence-Alpes-Côte d’Azur, Marseille Laurent Karila / Département d’addictiologie, Hôpital universitaire Paul-Brousse, AP-HP, Groupe Hospitalier Paris-Sud ; CEA-INSERM U1000 La cocaïne a connu en France une diffusion croissante au cours des années 1990. En effet, parmi les 18-44 ans, le pourcentage des personnes ayant déclaré l’avoir expérimentée est passé de 1,7 % en 2000 à 3,8 % en 2010 (0,9 % en ont consommée au cours de l’année) 1. Aujourd’hui en France, 44 % des usagers de drogues qui fréquentent les structures de réduction des risques et des dommages tels que les Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD) déclarent avoir consommé de la cocaïne (chlorhydrate ou base) au cours du dernier mois parmi lesquels près de la moitié en consomment plus d’une fois par semaine 2. 1 Beck F, Tovar ML, Spilka S, Guignard R, Richard JB. Les niveaux d’usage des drogues en France en 2010, exploitation des données du Baromètre santé 2010. Tendances. OFDT, OFDT. 2011;76:6. 2 Cadet-Taïrou A, Saïd S. Profils et pratiques des usagers des CAARUD en 2012. Tendances. OFDT, 2015. 3 Jauffret-Roustide M, Pillonel J, Weill-Barillet L et al. Estimation de la séroprévalence du VIH et de l’hépatite C chez les usagers de drogues en France - Premiers résultats de l’enquête ANRS-Coquelicot 2011. BEH 2013: 39-40. 4 Fuller CM, Ompad DC, Galea S et al. Hepatitis C incidence--a comparison between injection and noninjection drug users in New York City. J Urban Health 2004;81(1):20-4. 5 Macias J, Palacios RB, Claro E et al. High prevalence of hepatitis C virus infection among noninjecting drug users: association with sharing the inhalation implements of crack. Liver Int 2008;28(6):781-6. 6 EMCDDA. EMCDDA-Europol 2009 Annual Report on the implementation of Council Decision 2005/387/JHA. 2010. 7 Karila L, Petit A, Lowenstein W, Reynaud M. Diagnosis and consequences of cocaine addiction. Curr Med Chem 2012;19(33):5612-8. L’enquête Coquelicot réalisée auprès des usagers de drogues fréquentant les Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) et les CAARUD montre que les principaux produits psychoactifs illicites consommés au cours du dernier mois sont le crack (33 %) et le chlorhydrate de cocaïne (poudre) (28 %)3. Les données de cette même étude montrent que la séroprévalence globale du VIH est de 10 % et celle du VHC de 44 % chez les usagers de drogues. Il semblerait que parallèlement à l’épidémie de VIH qui a connu une décroissance importante depuis les années 1990 avec l’accès aux traitements de substitution aux opiacés (TSO) et aux programmes échange de seringues (PES), la prévalence du VHC n’a pas connu de diminution marquée chez les usagers de drogues (UD). Les pratiques à risque qui favoriseraient la circulation du VHC ont un lien avec la consommation de stimulants dont la cocaïne. En effet, par leurs propriétés psychostimulantes et leur durée d’action courte dans l’organisme, ces substances conduisent à une fréquence de consommation plus élevée qu’avec les opiacés d’où un risque majoré 4,5. Par extrapolation des données nord-américaines, 5 % des usagers de cocaïne entre 15 et 44 ans deviendraient dépendants dans la première année d’usage et environ 20 % à long terme6. Les drogues psychostimulantes comme la cocaïne sont caractérisés par un cycle clinique comprenant des symptômes d’allure maniaque (euphorie), syndrome de sevrage, besoin irrépressible de consommer (craving), déni du trouble, trouble de la prise de décision et consommation de produit malgré la connaissance des conséquences négatives7. Une revue de la littérature montre que les consommateurs de cocaïne ou de crack ont des taux de mortalité quatre à huit fois plus élevés que la population générale8. Pourtant, il est reconnu que peu d’interventions dédiées aux consommateurs de cocaïne ont montré des résultats satisfaisants et qu’il n’existe pas de « gold standard » pharmacologique9. Et, à la différence des opiacés, il n’existe aucun traitement de substitution10, même si les dérivés amphétaminiques à longue durée d’action pour- 5 8 Degenhardt L, Singleton J, Calabria J et al. Mortality among cocaine users: a systematic review of cohort studies. Drug Alcohol Depend 2011;113(2-3):88-95. 9 Fischer B, Blanken P, Da Silveira D et al. Effectiveness of secondary prevention and treatment interventions for crack-cocaine abuse: a comprehensive narrative overview of English-language studies. Int J Drug Policy 2015;26(4):352-63. raient avoir des effets positifs sur les sujets dépendants à la cocaïne11. Il apparaît qu’une modification des usages de drogues ainsi qu’un accès limité aux soins pour les hépatites créent un important besoin de nouvelles stratégies de prévention de la transmission du VHC et autres complications liées à l’usage de drogue. 10 Karila L, Reynaud M, Aubin HJ et al. Pharmacological treatments for cocaine dependence: is there something new? Curr Pharm Des 2011;17(14):1359-68. Interventions pour les consommateurs problématiques 11 Mariani JJ, Levin FR. Psychostimulant de cocaïne/crack treatment of cocaine dependence. Psychiatr Clin North Am 2012;35(2):425-39. 12 Hershberger SL, Wood MM, Fisher DG. A cognitive-behavioral intervention to reduce HIV risk behaviors in crack and injection drug users. AIDS Behav 2003;7(3):229-43. 13 Wechsberg WM, Lam WK, ZuleWA, Bobashev G. Efficacy of a woman-focused intervention to reduce HIV risk and increase self-sufficiency among African American crack abusers. Am J Public Health 2004;94(7):1165-73. 14 Strathdee SA, Navarro JR. Commentary on Salmon et al. The case for safer inhalation facilities--waiting to inhale. Addiction 2010;105(4):684-5. 15 Malchy LA, Bungay V, Johnson JL, Buxton J. Do crack smoking practices change with the introduction of safer crack kits? Can J Public Health 2011;102(3):188-92. 16 Maude-Griffin PM, Hohenstein JM, Humfleet GL et al. Superior efficacy of cognitive-behavioral therapy for urban crack cocaine abusers: main and matching effects. J Consult Clin Psychol 1998;66(5):832-7. 17 Karila L, M Reynaud M. Guide pratique de thérapie cognitive et comportementale: troubles liés à l’usage de cocaïne ou de drogues stimulantes. Eds Lavoisier, 2012. 18 Dutra L, Stathopoulou G, Basden SL et al. A meta-analytic review of psychosocial interventions for substance use disorders. Am J Psychiatry 2008;165(2):179-87. 19 Ingersoll KS, Farrell-Carnahan L, CohenFilipic J et al. A pilot randomized clinical trial of two medication adherence and drug use interventions for HIV+ crack cocaine users. Drug Alcohol Depend 2011;116(1-3):177-87. 20 Greenwald MK, Lundahl LH, Steinmiller CL. Sustained release d-amphetamine reduces cocaine but not ‘speedball’-seeking in buprenorphine-maintained volunteers: a test of dual-agonist pharmacotherapy for cocaine/heroin polydrug abusers. Neuropsychopharmacol 2010;35(13):2624-37. 21 Conners NA, Bradley RH, Whiteside-Mansell L, Crone CC. A comprehensive substance abuse treatment program for women and their children: an initial evaluation. J Subst Abuse Treat 2001;21(2):67-75. 22 Volkow ND, Fowler JS, Wang GJ, Goldstein RZ. Role of dopamine, the frontal cortex and memory circuits in drug addiction: insight from imaging studies. Neurobiol Learn Mem 2002;78(3):610-24. Une récente revue de la littérature sur la prévention secondaire et les interventions thérapeutiques actuelles pour les consommateurs problématiques de cocaïne a montré des résultats mitigés9. Du côté de la prévention, des interventions psychosociales ou comportementales ont montré leur efficacité en termes de réduction des pratiques à risque de VIH dans certaines populations12,13. D’autres dispositifs permettent de réduire les risques liés à l’usage de cocaïne par voie intraveineuse tels que les salles de consommations de drogues à moindres risques et sembleraient pouvoir être appliqués aux consommateurs par voie intranasale ou inhalée (forme base)14. La distribution de matériel stérile, à usage unique ou plus adapté pour les consommateurs de cocaïne par voie inhalée ou intranasale permet également de diminuer les pratiques à risque de VIH et de VHC15. Concernant les interventions thérapeutiques, il y en a trois types : la prise en charge psychosociale, les traitements adjuvants et les traitements pharmacologiques de la dépendance à la cocaïne. La prise en charge psychosociale existe sous plusieurs formes avec des niveaux d’efficacité différents. Les auteurs citent la thérapie cognitivo-comportementale (TCC)16 qui reste aujourd’hui l’un des traitements de référence pour la dépendance à la cocaïne (prévention de rechute, réduction des risques)17 mais qui n’a pas montré de preuve d’efficacité suffisante18, les entretiens motivationnels (pendant la phase de sevrage)19, le management ou la gestion des contingences (thérapie comportementale fondée sur le renforcement positif)20 et les sevrages thérapeutiques résidentiels21. Les traitements adjuvants ont montré des résultats mitigés tels que l’acupuncture, les médicaments anti-craving, la stimulation cérébrale. Aujourd’hui les espoirs se tournent vers des traitements pharmacologiques pour la dépendance à la cocaïne. C’est pourquoi de nombreuses molécules sont à l’essai, sur la base théorique de trois différentes approches : l’approche pharmacodynamique ou l’impact de la cocaïne sur le système de récompense et sur les neurotransmetteurs impliqués dans la neurobiologie du trouble22, l’approche substitutive avec l’utilisation d’agonistes pharmacologiques et l’approche pharmacocinétique avec l’immunothérapie dynamique9,23. Médicaments agissant sur les mécanismes biologiques de la dépendance à la cocaïne Les agents glutamatergiques tels que le N-acétyl-cystéine ont montré des résultats mitigés, même si un essai récent a montré l’intérêt d’en prescrire à haut dosage après un temps d’arrêt de la cocaïne. Le modafinil, à la fois glutamatergique et GABAergique, n’a pas montré d’efficacité supérieure au placebo dans différentes études, même si les espoirs se tournaient vers des sujets de sexe masculin, dépendants à la cocaïne, ayant une consommation excessive d’alcool24,25, le topiramate présente des résultats mitigés et ceux sur l’acamprosate ou la mémantine ont été largement négatifs. Les méta-analyses sur les agents gabaergiques (vigabatrine, baclofène, tiagabine) ne montrent pas de preuve d’efficacité26. Le baclofène pourrait être testé à hautes doses comme agent de la prévention de la rechute. Parmi les agents dopaminergiques, le disulfiram a montré des résultats positifs mais présentent un certain nombre d’effets indésirables. Le bupropion, la lévodopa ainsi que les antidépresseurs n’ont pas montré d’efficacité. Les antipsychotiques dont la rispéridone, l’olanzapine, la quétiapine ou l’aripiprazole n’ont pas montré de résultats positifs pour la dépendance à la cocaïne27. La piste des combinaisons médicamenteuses est en cours d’évaluation. Taitements agonistes dits « de substitution» Il s’agit des traitements indiqués dans les troubles du déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH). Aux ÉtatsUnis, la dexamphétamine et la lysdexamphétamine et, en France, le méthylphénidate sont utilisés. Il est important de noter que 30 % des sujets dépendants à la cocaïne ont des antécédents de TDAH. Immunothérapie Comme la vaccination curative, elle consiste à induire la production d’anticorps anti-cocaïne qui permettrait de réduire l’euphorie, le craving, et donc la consommation de cocaïne. Cependant, les résultats seraient positifs 1 6 23 Karila L, Zarmdini R, Petit A et al. Cocaine addiction: current data for the clinician. Presse Med 2014;43(1):9-17. 24 Anderson AL, Reid MS, Li SH et al. Modafinil for the treatment of cocaine dependence. Drug Alcohol Depend 2009;104(1-2):133-9. 25 Dackis CA, Kampman KM, Lynch KG et al. A double-blind, placebo-controlled trial of modafinil for cocaine dependence. J Subst Abuse Treat 2012;43(3):303-12. seulement dans des sous-populations avec des effets de courte durée28. Différentes équipes travaillent sur des vaccins, des anticorps monoclonaux pour gérer les surdosages et sur des enzymes métabolisant la cocaïne. Espoirs tournés vers des Anticonvulsant drugs in cocaine dependence: traitements agonistes pour a systematic review and meta-analysis. J Subst Abuse Treat 2010;38(1):66-73. la dépendance à la cocaïne 26 Alvarez Y, Farre M, Fonseca F, Torrens M. 27 Amato L, Minozzi S, Pani PP, Davoli M. Antipsychotic medications for cocaine dependence. Cochrane Database Syst Rev 2007;(3):CD006306. 28 Haney M, Gunderson EW, Jiang H et al. Cocaine-specific antibodies blunt the subjective effects of smoked cocaine in humans. Biol Psychiatry 2010;67(1):59-65. 29 Martinez D, Greene K, Broft A et al. Lower level of endogenous dopamine in patients with cocaine dependence: findings from PET imaging of D (2)/D (3) receptors following acute dopamine depletion. Am J Psychiatry 2009;166(10):1170-7. 30 Martinez D, Carpenter KM, Liu F et al. Imaging dopamine transmission in cocaine dependence: link between neurochemistry and response to treatment. Am J Psychiatry 2011;68(6):634-41. 31 Czoty PW, Gould RW, Martelle JL, Nader MA. Prolonged attenuation of the reinforcing strength of cocaine by chronic d-amphetamine in rhesus monkeys. Neuropsychopharmacol 2011;36(2):539-47. 32 Mooney ME, Herin DV, Schmitz JM et al. Effects of oral methamphetamine on cocaine use: a randomized, double-blind, placebo-controlled trial. Drug Alcohol Depend 2009;101(1-2):34-41. 33 Greenwald MK, Ledgerwood DM, Lundahl LH, Steinmiller CL. Effect of experimental analogs of contingency management treatment on cocaine seeking behavior. Drug Alcohol Depend 2014;139:164-8. 34 Rush CR, Stoops WW. Agonist replacement therapy for cocaine dependence: a translational review. Future Med Chem 2012;4(2):245-65. 35 Kim JH, Lawrence AJ. Drugs currently in Phase II clinical trials for cocaine addiction. Expert Opin Investig Drugs 2014;23(8):1105-22. 36 Ferris MJ, Calipari ES, Mateo Y et al. Cocaine self-administration produces pharmacodynamic tolerance: differential effects on the potency of dopamine transporter blockers, releasers, and methylphenidate. Neuropsychopharmacol 2012;37(7):1708-16. 37 Collins SL, Levin FR, Foltin RW et al. Response to cocaine, alone and in combination with methylphenidate, in cocaine abusers with ADHD. Drug Alcohol Depend 2006;82(2):158-67. 38 Levin FR, Evans SM, Brooks DJ, Garawi F. Treatment of cocaine dependent treatment seekers with adult ADHD: double-blind comparison of methylphenidate and placebo. Drug Alcohol Depend 2007;87(1):20-9. 39 Levin FR, Mariani JJ, Bisaga A, Nunes EV et al. Sustained-release methylphenidate in a randomized trial of treatment of methamphetamine use disorder. Addiction 2015. Il semblerait que les personnes dépendantes à la cocaïne qui ne répondent pas à la psychothérapie de référence soient caractérisées par un déficit en certains neurotransmetteurs (tels que la dopamine) impliqués dans les processus neurobiologiques des addictions et qu’il serait pertinent de proposer des traitements dits « de substitution »29. Il a été montré que parmi des individus dépendants à la cocaïne, en plus du déficit dopaminergique, les nonrépondants à la TCC avaient une histoire de consommation de cocaïne beaucoup plus longue que les répondants30. Les premières études réalisées chez le singe ont montré que l’administration prolongée de d-amphétamine permettait de réduire la tolérance à la cocaïne31. D’autres études sur l’homme ont mis en évidence la capacité des dérivés amphétaminiques à diminuer la prise de cocaïne chez des usagers de drogues32,33. Une revue de la littérature suggère que la recherche sur les traitements agonistes tels que les analogues amphétaminiques pour la dépendance à la cocaïne pourrait permettre d’identifier des agents thérapeutiques efficaces34. Une publication sur les médicaments actuellement en essai clinique de phase II pour la dépendance à la cocaïne donnent les sels d’amphétamines comme le traitement le plus prometteur35. Il est reconnu que la mise en place d’essais cliniques plus larges, randomisés, incluant des populations plus homogènes et comparant à un placebo est nécessaire afin de répondre à cette question majeure de recherche clinique10. Le méthylphénidate (Ritaline®) a été identifié comme prometteur de par son profil mixte d’inhibiteur de la recapture de la dopamine à faible dose et libérateur de dopamine à forte dose36. Dans une étude expérimentale d’auto-administration, il est montré que, chez des consommateurs de cocaïne atteint de TDAH, le méthylphénidate (Ritaline®) diminuerait significativement les effets subjectifs positifs de la cocaïne ainsi que la fréquence des prises de cocaïne37,38. Même si certaines études présentent des résultats négatifs pour le MPH dans la dépendance à la cocaïne et que ce traitement serait plus efficace pour les personnes dépendantes à la méthamphétamine, il est important de rappeler que ces traitements pharmacologiques doivent s’adresser à des personnes présentant une plus grande sévérité de la dépendance et doivent être administrés à des doses suffisamment élevées11,39. De plus, la prise en compte de certains troubles tels que le TDAH doit permettre de guider le choix des molécules. L’idée de ces traitements est de permettre à des personnes dépendantes à la cocaïne, présentant des pratiques à risque très problématiques et en demande de soins d’accéder à un suivi médical adapté qui leur permette à la fois de réduire leur consommation de cocaïne et de rester dans les soins. Pour en savoir plus Buchanan D, Tooze JA, Shaw S et al. Demographic, HIV risk behavior, and health status characteristics of “crack” cocaine injectors compared to other injection drug users in three New England cities. Drug Alcohol Depend 2006;81(3):221. Castells X, Casas M, Perez-Mana C et al. Efficacy of psychostimulant drugs for cocaine dependence. Cochrane Database Syst Rev 2010;(2):CD007380. Emmanuelli J, Desenclos. Harm reduction interventions, behaviours and associated health outcomes in France, 1996-2003. Addiction 2005;100(11):1690-700. Kasanetz F, Deroche-Gamonet V, Berson N et al. Transition to addiction is associated with a persistent impairment in synaptic plasticity. Science 2010;328(5986):1709-12. O’Brien MS, Anthony JC. Risk of becoming cocaine dependent: epidemiological estimates for the United States, 2000-2001. Neuropsychopharmacol 2005;30(5):1006-18. Wilkins L, Bissell P, Meier PS. Risky injecting practices associated with snowballing: a qualitative study. Drug Alcohol Rev 2010;29(3):256-62. 7 MISE AU POINT Approches pharmacodynamiques dans les troubles liés à l’usage de cocaïne Laurent Karila / Service d’addictologie, hôpital Paul-Brousse, université Paris Sud-11, Inserm U1000, porte-parole de SOS Addictions (www.sos-addictions.org), [email protected], Twitter : @laurentKarila William Lowenstein / Médecin interniste, addictologue, président de SOS Addictions Aucun traitement pharmacologique n’a d’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le trouble lié à l’usage de cocaïne, quelle que soit son intensité. Différentes approches pharmacologiques sont utilisées en regard des données actuelles de la littérature. Il existe notamment l’approche cinétique via l’immunothérapie (vaccins, anticorps monoclonaux) en cours d’étude chez l’homme que nous ne traiterons pas dans cet article. En pratique clinique, l’approche est pharmacodynamique, à savoir l’utilisation d’agents pharmacologiques ayant une action sur différents types de récepteurs/transporteurs cérébraux. Agents dopaminergiques Le disulfiram, découvert comme traitement potentiel de la dépendance à l’alcool à la fin des années 1930, a rendu involontairement abstinents des laborantins exposés à ce médicament après avoir bu de l’alcool1. Cette molécule a comme principale action pharmacologique d’inhiber l’aldéhyde déshydrogénase et la dopamine β-hydroxylase (DBH), enzyme intervenant dans la conversion dopamine-noradrénaline, en augmentant les taux cérébraux de dopamine et en diminuant les taux de noradrénaline. Elle aurait donc un effet agoniste-like dopaminergique. Un métabolite du disulfiram pouvait bloquer les récepteurs glutamatergiques2. Le disulfiram, comparé au placebo, est à l’origine d’une réduction significative de la consommation de cocaïne3,4, de la dysphorie, du craving, et un rôle dans le maintien de l’abstinence5. La posologie de choix dans les études est de 250 mg/j. Cependant, une étude a montré l’intérêt de l’utilisation de cette molécule en mg/kg. Une posologie de 4 mg/kg diminuerait la prise de cocaïne6. L’approche pharmacogénétique a montré que des patients ayant des génotypes ANKK1, DRD2 ou les deux, MTHFR, DBH pourraient être identifiés comme candidats au disulfiram7-9. Une étude en phase II, évaluant l’efficacité et la tolérance du nepicastat, un inhibiteur de la DBH dans la réduction de l’usage de cocaïne chez des sujets dépendants à la cocaïne, est en cours10. Le choix de l’utilisation du disulfiram chez les sujets dépendants à la cocaïne doit prendre en compte la question de l’usage d’alcool quelle que soit son intensité. Agents GABAergiques Le baclofène (cf. Swaps no 73, 4e trimestre 2013), agoniste non sélectif GABAB, est principalement utilisé comme antispastique dans les pathologies neurologiques (sclérose en plaques, atteintes médullaires)11. Une étude préliminaire avait montré que le baclofène possédait des propriétés anticraving cocaïne12, à une posologie entre 20 et 40 mg/j chez des patients dépendants à la cocaïne13. Un essai contrôlé en double aveugle contre placebo durant 16 semaines a montré que le baclofène (60 mg/j) était 1 8 plus efficace chez les sujets qui avaient une consommation importante de cocaïne14. Une récente étude multicentrique contrôlée contre placebo n’a cependant pas confirmé l’efficacité du baclofène (60 mg/j) dans la réduction de l’usage et du craving en cocaïne, surtout chez les sujets sévèrement dépendants15. D’autres études semblent nécessaires avec de plus hautes posologies dans le sevrage thérapeutique mais également dans la prévention de la rechute. Une étude d’imagerie cérébrale, en phase II, testant le baclofène à libération prolongée est en cours10. Il n’est pas possible d’envisager une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) pour le baclofène dans l’indication « trouble lié à l’usage de cocaïne ». Agents noradrénergiques La cocaïne agit aussi sur le système noradrénergique. Un essai contrôlé contre placebo avec la doxazosine retrouve une diminution des effets stimulants de la cocaïne et une tendance à la réduction du craving16. Une étude pilote avec une prise sur quatre semaines de doxazosine (8 mg/j) retrouve une diminution de la consommation de cocaïne17. Un essai avec le bipéridène (antagoniste cholinergique) a montré une réduction du craving et de l’usage de cocaïne18. Agents glutamatergiques Via un système d’échange cystine/glutamate, la N-acétyl cystéine (NAC) peut normaliser les taux de glutamate et diminuer le comportement de recherche de cocaïne19. Peu d’effets indésirables ont été rapportés à une posologie de 1 200 mg/j (prurit, diarrhée, céphalées, douleurs abdominales) et cette molécule est bien tolérée20. Une tendance à la réduction du syndrome de sevrage était observée. En présence d’images de cailloux de cocaïne, de poudre, de paille, la NAC réduirait l’intérêt de consommer de la cocaïne et le craving21,22. Une étude pilote a évalué trois posologies différentes (1 200, 2 400 et 3 600 mg/j). Elle a montré un taux de rétention plus élevé pour les patients ayant eu les deux posologies les plus élevées, avec une diminution ou un arrêt de la consommation de cocaïne23. La NAC pourrait jouer un rôle dans la prévention de la rechute à la posologie de 2 400 mg/j24. la posologie de 200 mg/j, n’a pas montré d’efficacité chez les fumeurs de crack29, ni à la posologie de 300 mg/j chez les patients sous méthadone30. L’efficacité de la combinaison topiramate-sels d’amphétamines à libération prolongée a été montrée supérieure au placebo, permettant trois semaines d’arrêt continu de la consommation31. D’autres études sont en cours. Le modafinil est un traitement pharmacologique utilisé dans la narcolepsie avec ou sans cataplexie ou dans l’hypersomnie idiopathique32. La prescription de cette molécule est non autorisée en France en dehors de la narcolepsie. Les études retrouvent différents types de résultats comme une réduction du craving33-35 , une réduction de l’euphorie34,36 et le maintien de l’abstinence34. Il existe de meilleurs résultats chez l’homme non dépendant à l’alcool, à la posologie de 400 mg/j33 avec une amélioration cognitive37,38 et une action sur les circuits cérébraux motivationnels et cognitifs39. Une étude contrôlée contre placebo n’a pas retrouvé d’efficacité du modafinil dans la réduction de la consommation et le maintien d’abstinence40. Cet agent pharmacologique n’améliorait pas non plus cliniquement les fumeurs de crack dans une étude ouverte hollandaise41. Cependant, une étude contrôlée récente a montré que le modafinil pourrait être un traitement efficace à la posologie de 300 mg/j chez les sujets dépendants à la cocaïne, mais non dépendants à l’alcool42. Une étude contrôlée contre placebo, utilisant l’imagerie cérébrale fonctionnelle évaluant le modafinil chez des sujets dépendants à la cocaïne, a été réalisée (programme hospitalier de recherche clinique [PHRC] Cocaine Addiction Imaging Medications And Neurotransmitters study [CAIMAN], Karila et al., soumis). En termes de combinaison thérapeutique, la combinaison modafinil-d-amphétamine n’est pas efficace chez l’homme43. Autres traitements La progestérone a fait l’objet d’une étude contrôlée contre placebo, sur 12 semaines, chez des femmes en post-partum ayant un trouble lié à l’usage de cocaïne. Des résultats préliminaires ont montré une réduction de l’usage de cocaïne dans le groupe traité par progestérone44. Agents glutamatergiques mixtes Le topiramate, médicament anticonvulsivant, permettrait une réduction du craving25,26 et le maintien d’abstinence27. Différentes études contrôlées avec le topiramate à la posologie de 300 mg/j contre placebo, combiné à de la thérapie cognitive et comportementale, ont montré une réduction de la consommation et du craving25. Il a également été montré une réduction de la consommation de cocaïne chez des patients comorbides (cocaïne et alcool)28. Le topiramate, à Conclusion Les résultats des études contrôlées avec différents agents pharmacologiques sont encore insuffisants. De nombreux essais thérapeutiques sont en cours. Les approches vaccinale et substitutive sont des pistes activement étudiées également. Les traitements pharmacologiques présentés dans cet article restent des tendances. 9 En pratique clinique, la prise en charge d’un sujet souffrant d’une addiction à la cocaïne doit s’inscrire dans un programme intégré et multimodal d’une durée d’au moins 12 mois prenant en compte l’initiation et le maintien de l’abstinence. Outre l’évaluation somatique (cardiovasculaire, infectieuse, ORL, etc.), cognitive, psychiatrique, la phase de sevrage comprend l’utilisation d’un traitement pharmacologique combiné à trois ou quatre séances 1 Karila L, Reynaud M. Therapeutic approaches to cocaine addiction. La Revue du praticien 2009 ; 59 : 830-4. The status of disulfiram: a half of a century later. J Clin Psychopharmacol 2006;26:290-302. 14 Shoptaw S, Yang X, Rotheram-Fuller EJ, Hsieh YC, Kintaudi PC, Charuvastra VC, et al. Randomized placebo-controlled trial of baclofen for cocaine dependence: preliminary effects for individuals with chronic patterns of cocaine use. J Clin Psychiatry 2003;64:1440-8. 3 Carroll KM, Nich C, Ball SA, McCance E, 15 Kahn R, Biswas K, Childress AR, Shoptaw S, Frankforter TL, Rounsaville BJ. One-year follow-up of disulfiram and psychotherapy for cocaine-alcohol users: sustained effects of treatment. Addiction 2000;95:1335-49. Fudala PJ, Gorgon L, et al. Multi-center trial of baclofen for abstinence initiation in severe cocaine-dependent individuals. Drug Alcohol Depend 2009;103:59-64. 4 Higgins ST, Budney AJ, Bickel WK, Hughes JR, Foerg F. Disulfiram therapy in patients abusing cocaine and alcohol. Am J Psychiatry 1993;150:675-6. 16 Newton TF, De La Garza R 2nd, Brown G, 2 Suh JJ, Pettinati HM, Kampman KM, O’Brien CP. 5 Stezhka T. Disulfiram: old addiction drug gains new support. Expert Rev Clin Pharmacol 2013;6:101. 6 Haile CN, De La Garza R 2nd, Mahoney JJ 3rd, Nielsen DA, Kosten TR, Newton TF. The impact of disulfiram treatment on the reinforcing effects of cocaine: a randomized clinical trial. PloS one 2012;7:e47702. 7 Spellicy CJ, Kosten TR, Hamon SC, Harding MJ, Nielsen DA. ANKK1 and DRD2 pharmacogenetics of disulfiram treatment for cocaine abuse. Pharmacogenet Genomics 2013;23:333-40. 8 Spellicy CJ, Kosten TR, Hamon SC, Harding MJ, Nielsen DA. The MTHFR C677T variant is associated with responsiveness to disulfiram treatment for cocaine dependency. Front Psychiatry 2013;3:109. 9 Kosten TR, Wu G, Huang W, Harding MJ, Hamon SC, Lappalainen J, et al. Pharmacogenetic randomized trial for cocaine abuse: disulfiram and dopamine beta-hydroxylase. Biol Psychiatry 2013;73:219-24. 10 Kim JH, Lawrence AJ. Drugs currently in Phase II clinical trials for cocaine addiction. Expert Opin Investig Drugs 2014;23:1105-22. Kosten TR, Mahoney JJ 3rd, Haile CN. Noradrenergic 1 receptor antagonist treatment attenuates positive subjective effects of cocaine in humans: a randomized trial. PLoS One 2012;7:e30854. 17 Shorter D, Lindsay JA, Kosten TR. The alpha-1 adrenergic antagonist doxazosin for treatment of cocaine dependence: A pilot study. Drug Alcohol Depend 2013;131:66-70. 18 Dieckmann LH, Ramos AC, Silva EA, Justo LP, Sabioni P, Frade IF, et al. Effects of biperiden on the treatment of cocaine/crack addiction: a randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Eur Neuropsychopharmacol 2014;24:1196-202. 19 Baker DA, McFarland K, Lake RW, Shen H, Tang XC, Toda S, et al. Neuroadaptations in cystine-glutamate exchange underlie cocaine relapse. Nat Neurosci 2003;6:743-9. 20 LaRowe SD, Mardikian P, Malcolm R, Myrick H, Kalivas P, McFarland K, et al. Safety and tolerability of N-acetylcysteine in cocaine-dependent individuals. Am J Addic 2006;15:105-10. 21 Amen SL, Piacentine LB, Ahmad ME, Li SJ, Mantsch JR, Risinger RC, et al. Repeated N-acetyl cysteine reduces cocaine seeking in rodents and craving in cocaine-dependent humans. Neuropsychopharmacology 2011;36:871-8. 11 Karila L, Gorelick D, Weinstein A, Noble F, 22 LaRowe SD, Myrick H, Hedden S, Benyamina A, Coscas S, et al. New treatments Mardikian P, Saladin M, McRae A, et al. for cocaine dependence: a focused review. Int J Neuropsychopharmacol 2008;11, 425-38. Is cocaine desire reduced by N-Acetylcysteine? Am J Psychiatry 2007;164:1115-7. 12 Ling W, Shoptaw S, Majewska D. Baclofen as a cocaine anti-craving medication: 23 Mardikian PN, LaRowe SD, Hedden S, a preliminary clinical study. Kalivas PW, Malcolm RJ. An open-label trial Neuropsychopharmacology 1998;18:403-4. of N-acetylcysteine for the treatment 13 Brebner K, Childress AR, Roberts DC. of cocaine dependence: a pilot study. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry A potential role for GABA (B) agonists in 2007;31:389-94. the treatment of psychostimulant addiction. Alcohol Alcohol 2002;37:478-84. 24 LaRowe SD1, Kalivas PW, Nicholas JS, Randall PK, Mardikian PN, Malcolm RJ. A double-blind placebo-controlled trial of N-acetylcysteine in the treatment of cocaine dependence. Am J Addict 2013;22:443-52. d’entretiens motivationnels. Le maintien d’abstinence utilise une autre approche pharmacologique combinée à de la thérapie cognitive et comportementale (un guide issu des travaux du National Institute on Drug Abuse [NIDA], traduit en français, existe aux éditions Lavoisier). Les agents pharmacologiques et les psychothérapies pourraient aider à la réduction des dommages induits par la cocaïne. 25 Johnson BA, Ait-Daoud N, Wang XQ, Penberthy JK, Javors MA, Seneviratne C, et al. Topiramate for the treatment of cocaine addiction: a randomized clinical trial. JAMA Psychiatry 2013;70:1338-46. 26 Reis AD, Castro LA, Faria R, Laranjeira R. Craving decrease with topiramate in outpatient treatment for cocaine dependence: an open label trial. Rev Bras Psiquiatr 2008;30:132-5. 37 Kalechstein AD, Mahoney JJ 3rd, Yoon JH, Bennett R, De la Garza R 2nd, et al. Modafinil, but not escitalopram, improves working memory and sustained attention in long-term, high-dose cocaine users. Neuropharmacology 2013;64:472-8. 38 Mereu M, Bonci A, Newman AH, Tanda G. The neurobiology of modafinil as an enhancer of cognitive performance and a potential treatment for substance use disorders. Psychopharmacology (Berl) 2013;229:415-34. 27 Kampman KM. What’s new in 39 Goudriaan AE, Veltman DJ, van den Brink W, the treatment of cocaine addiction? Curr Psychiatry Rep 2010;12:441-7. Dom G, Schmaal L. Neurophysiological effects of modafinil on cue-exposure in cocaine 28 Kampman KM, Pettinati HM, Lynch KG, dependence: a randomized placebo-controlled Spratt K, Wierzbicki MR, O’Brien CP. cross-over study using pharmacological fMRI. A double-blind, placebo-controlled trial Addict Behav 2013;38:1509-17. of topiramate for the treatment of comorbid 40 Dackis CA, Kampman KM, Lynch KG, cocaine and alcohol dependence. Plebani JG, Pettinati HM, Sparkman T, et al. Drug Alcohol Depend 2013;133:94-9. A double-blind, placebo-controlled trial 29 Nuijten M, Blanken P, van den Brink W, of modafinil for cocaine dependence. Hendriks V. Treatment of crack-cocaine J Subst Abuse Treat 2012;43:303-12. dependence with topiramate: a randomized 41 Nuijten M, Blanken P, van den Brink W, controlled feasibility trial in The Netherlands. Hendriks V. Modafinil in the treatment Drug Alcohol Depend 2014;138:177-84. of crack-cocaine dependence in 30 Umbricht A, DeFulio A, Winstanley EL, the Netherlands: Results of an open-label Tompkins DA, Peirce J, Mintzer MZ, et al. randomised controlled feasibility trial. Topiramate for cocaine dependence during J Psychopharmacol 2015;29:678-87. methadone maintenance treatment: 42 Kampman KM, Lynch KG, Pettinati HM, a randomized controlled trial. Drug Alcohol Spratt K, Wierzbicki MR, Dackis C, et al. Depend 2014;140:92-100. A double blind, placebo controlled trial 31 Mariani JJ, Levin FR. Psychostimulant of modafinil for the treatment of cocaine treatment of cocaine dependence. Psychiatr dependence without co-morbid alcohol dependence. Drug Alcohol Depend Clin North Am 2012;35:425-39. 2015;155:105-10. 32 Ballon JS, Feifel D. A systematic review 43 of modafinil : Potential clinical uses Schmitz JM, Rathnayaka N, Green CE, and mechanisms of action. Moeller FG, Dougherty AE, Grabowski J. J Clin Psychiatry 2006;67:554-66. Combination of Modafinil and d-amphetamine for the Treatment of Cocaine 33 Anderson AL, Reid MS, Li SH, Holmes T, Dependence: A Preliminary Investigation. Shemanski L, Slee A, et al. Modafinil Front Psychiatry 2012;3:77. for the treatment of cocaine dependence. 44 Drug Alcohol Depend 2009;104:133-9. Yonkers KA, Forray A, Nich C, Carroll KM, Hine C, Merry BC, et al. Progesterone Reduces 34 Dackis CA, Kampman KM, Lynch KG, Cocaine Use in Postpartum Women with Pettinati HM, O’Brien CP. A double-blind, a Cocaine Use Disorder: A Randomized, placebo-controlled trial of modafinil Double-Blind Study. for cocaine dependence. Lancet Psychiatry 2014;1:360-7. Neuropsychopharmacology 2005;30:205-11. 35 Hart CL, Haney M, Vosburg SK, Rubin E, Foltin RW. Smoked cocaine selfadministration is decreased by modafinil. Neuropsychopharmacology 2008;33:761-8. 36 Malcolm R, Swayngim K, Donovan JL, DeVane CL, Elkashef A, Chiang N, et al. Modafinil and cocaine interactions. Am J Drug Alcohol Abuse 2006;32:577-87. 10 MISE AU POINT Régulation du cannabis en Uruguay : bilan d’étape Luis M. Rivera-Velez / Doctorant en science politique, Sciences Po Paris. L’auteur remercie vivement Michel Gandilhon pour les apports qui ont permis d’enrichir ce texte. L’Uruguay est le premier pays au monde à avoir légalisé la production, la consommation et la vente du cannabis. Toutefois, contrairement à ce qui se passe au Colorado par exemple, cette régulation est très encadrée par l’État. Outre l’autorisation de l’autoproduction individuelle et collective via les clubs associatifs, l’État s’est engagé à permettre la commercialisation en pharmacie du cannabis pour une consommation récréative, ce dernier étant issu d’une production sous la forme d’un oligopole contrôlé par lui. C’est ce dernier aspect qui fait de ce pays un cas unique, mais qui explique aussi les retards et les difficultés auxquels la politique de régulation est confrontée. Le 10 décembre 2013, le Sénat uruguayen adopte la loi no 19.172 sur Le cannabis et ses dérivés. Cette loi autorise la consommation à des fins récréatives et légalise l’obtention de la substance par trois moyens distincts : la production pour une consommation personnelle, la production en club associatif de 15 et 45 membres, et la vente en pharmacie de cannabis produit sous contrôle étatique. De même, les expérimentations et utilisations à des fins médicales et industrielles sont rendues légales. L’Uruguay, pays de 3,3 millions d’habitants doté d’une tradition démocratique forte, devient ainsi un cas unique, se plaçant à l’avant-garde de la remise en question de la guerre à la drogue. Pour comprendre cette exception uruguayenne, il est nécessaire de revenir sur les facteurs sociaux et culturels qui caractérisent ce pays, sans sous-estimer les obstacles propres à la société uruguayenne qui se dressent devant cette nouvelle politique et qui expliquent les lenteurs 1 Garat G. Pour une histoire du cannabis dans la mise en place d’un dispositif plus en Uruguay. Marihuana y otras yerbas. Montevideo : Debate. 2012. complexe qu’il n’y paraît. Apparition d’une politique de légalisation du cannabis L’Uruguay est un des seuls pays de la région à avoir échappé à un important trafic illicite de stupéfiants et à l’emprise des organisations criminelles que celui-ci suppose. Mais l’histoire de la consommation des drogues dans le pays est longue1, de même que celle des revendications tournant autour de la légalisation. Ainsi, en 1974, la possession de stupéfiants en « quantités minimes, destinées exclusivement à une consommation personnelle » (loi no 14.294) est dépénalisée. En 1986, une « association anti-razzia » s’organise contre les abus de la police envers les consommateurs de drogues, son action étant couronnée de succès en 1989. En 1998, une nouvelle loi relative aux stupéfiants distingue la consommation de drogues de la délinquance, en remplaçant le terme de « quantités minimes » par « quantités raisonnables » selon l’interprétation d’un juge (loi no 17.016). En 2000, dès son arrivée à la présidence, Jorge Batlle (2000-2005) met en avant « le besoin de 11 légaliser toutes les drogues » dans une perspective néolibérale pour résoudre le problème du trafic illicite de stupéfiants. Or, même si la volonté du président Batlle se trouve noyée dans une conjoncture économique et sociale désastreuse suite à la crise économique de 2002, c’est sous son mandat qu’une politique de réduction des risques est adoptée de manière institutionnelle. Cela est fait à travers la création de la Junte nationale des drogues (JND), un organe gouvernemental (sorte d’équivalent de la MILDECA en France) destiné à lutter pour la réduction de l’offre, à favoriser la prévention de la consommation et la réduction des dommages liés à la consommation et qui travaille depuis sa création en lien avec les organisations sociales. Avec la crise, la consommation de pâte-base de coca augmente, notamment dans les milieux défavorisés. Mais, même si la pâte-base reste marginale, elle déclenche une panique sociale aggravée par un traitement médiatique mettant en exergue l’insécurité et la « déchéance sociale » consécutive à la consommation de cette substance. Cela produit deux effets favorables à l’actualisation de la législation sur les drogues. Premièrement, à cette époque s’organise le Mouvement pour la libération du cannabis, une coalition des groupes sociaux d’autoproducteurs et de consommateurs de cannabis qui revendiquent la distinction entre les drogues et prônent le respect du droit à la consommation de cannabis comme une liberté individuelle. De même, la situation de la pâte-base conduit les parlementaires élus en 2010 à demander une étude sur les addictions et ses conséquences sociales. Ce débat va donner lieu à la rencontre des demandes sociales et politiques de la société civile avec les plus hautes institutions du pays pour déboucher sur une proposition de loi coécrite par des représentants de différents partis politiques. La proposition vise à légaliser l’autoproduction individuelle ou en club associatif, l’usage et la recherche médicale et industrielle de la substance. Cette proposition est fondée sur un référentiel de santé publique et des droits humains qui cherche à encadrer la consommation des 8,3 % des Uruguayens qui déclarent avoir consommé du cannabis au moins une fois pendant l’année 20112. Mais alors qu’elle a des fortes chances d’être adoptée par le Parlement, la proposition 2 Toutes les statistiques sont tirées de la Fundación Friedrich Ebert en Uruguay sera concurrencée par un projet de loi du gou(FESUR). Módulo sobre cannabis en vernement de José Mujica (2010-2015) visant à la 6ª encuesta nacional sobre consumo de drogas en hogares. Montevideo : FESUR. 2015. investir l’État d’une capacité de « contrôle et 3 Projet de loi « Marihuana y sus derivados », régulation de l’importation, production, acquidans le dossier nº 1785 de 2012 de la Comisión sition, commercialisation et distribution du Espacial de drogas y adicciones con fines 3 legislativos. cannabis » . Ce projet s’inscrit dans la straté- gie sécuritaire de l’exécutif cherchant à lutter contre le trafic illicite de drogues, et à dissocier le marché du cannabis de celui de la pâte-base (contrôlé jusque-là par de petits groupes criminels). Mais surtout, la première formulation du gouvernement exclut l’autoproduction et, de ce fait, ne répond pas aux demandes provenant du Parlement et de la société civile. Ce seront les parlementaires du parti du gouvernement qui feront la synthèse entre les deux propositions en concurrence, incluant les approches sécuritaires, de santé publique et des droits dans la formulation finalement adoptée. Ainsi, la loi votée se donne pour objectif de : – lutter contre le narcotrafic avec la création d’un marché régulé ; – mettre en œuvre une politique sanitaire pour la prévention des consommations problématiques ; – et élargir les droits à la consommation pour mettre fin à l’incohérence juridique entre la consommation et l’accès au cannabis. Mise en place de la loi no 19.172 La nouvelle loi répond à un changement dans l’acceptation du cannabis. D’une part, il est admis désormais que la substance en soi ne produit pas un gateway effect, c’est-à-dire que sa consommation ne conduit pas à la consommation de drogues dures (théorie de l’escalade). D’autre part, il est reconnu que le cannabis n’engendre pas de dépendance forte (withdrawal effect). Par conséquent, l’usage récréatif est autorisé en l’absence de toute justification médicale, car sa consommation n’est plus liée au préjugé d’une supposée déchéance sociale. Toutefois, la régulation proposée par la loi uruguayenne est assez stricte. Seuls les adultes résidant dans le pays sont autorisés à se procurer du cannabis, et le moyen de l’obtenir est limité à seulement une des trois voies possibles : l’autoproduction, les clubs de production associatifs ou la vente en pharmacie. La nécessité d’adhérer à l’un de ces systèmes passe par un registre étatique, très critiqué pour le risque de fichage des consommateurs, mais défendu par le gouvernement comme le seul moyen de contrôler la production et la consommation. Ainsi, pour gérer le système, un nouvel Institut de régulation et contrôle du cannabis (IRCCA) est créé en 2014. L’autoproduction a été le premier moyen d’obtention à entrer en fonctionnement, en août 2014. Ce mode de production est très défendu par les organisations civiles qui cherchaient une amélioration de la qualité de la substance considérée comme très mauvaise sur le marché noir. Ainsi, par foyer et sans considération pour le nombre de personnes qui le composent, il est permis de posséder 1 12 six plants de cannabis et de produire au maximum 480 g par an. Toutefois, le cadrage posé à l’autoproduction dans la loi est considéré comme excessif par les militants sociaux, pour qui la consommation est souvent élevée. De plus, l’autoproduction reste une solution touchant une minorité de personnes car peu nombreux sont ceux susceptibles d’investir économiquement et matériellement dans ce système. De ce fait, pour faciliter l’accès à ce type de production, le gouvernement a également permis la constitution des clubs associatifs où, sous condition d’adhésion, il est possible de se procurer du cannabis à partir d’une production propre au club. Le nombre de membres doit être compris entre 15 et 45 personnes, le nombre des plantes est limité à 99 et la production à 480 g par an et par membre. Les clubs doivent être enregistrés auprès de l’IRCCA, qui recueille les données sur la distribution de la production tous les mois. Dans la pratique, l’adhésion aux clubs peut être chère : 350 euros de frais d’entrée et une cotisation mensuelle d’environ 70 euros pour l’exemple du club Sativa. Finalement, seule la production de cannabis par l’État et sa vente en pharmacie permet un accès universel à cette politique publique. L’idée est que toute personne, à condition qu’elle soit majeure, puisse s’inscrire sur les registres de l’IRCCA et accéder à 10 g de cannabis par semaine au prix du marché noir, c’est-à-dire 1,20 dollar par gramme. Pour commencer, l’IRCCA s’était engagé à réaliser l’objectif de favoriser la production, la distribution et la commercialisation de 6 000 kg de cannabis avec un taux maximal de 15 % de tétrahydrocannabinol (THC) la première année4. Mais cela n’a pas été réalisé. Malgré l’attente internatio4 La production est divisée équitablement nale, la vente en pharmacie a été doublement en taux faible, taux équitable retardée. Souffrant d’une faiblesse de reset taux modéré de THC. sources humaines et financières induite par la 5 L’enquête est réalisée entre août et décembre 2014 par L’Observatoire uruguayen législation qui interdit toute création de poste et des drogues avec l’aide de la société civile allocation budgétaire à la création de nouvelles (Proderechos) et l’université. Le travail de terrain est réalisé par l’Institut national structures pendant l’année électorale, l’IRCCA a de statistique (INE). Les résultats sont disponibles sur FESUR (2015), op. cit. passé toute l’année 2014 à se consolider insti6 FESUR (2015). Estrategia para la evaluación tutionnellement. De plus, le président élu, de resultados y monitoreo de implementación Tabaré Vázquez, exprime publiquement et de la ley Nº 19.172, volume 2, p.11. Selon l’enquête, les consommateurs « réguliers » devant une opinion publique encore rétive dans sont ceux ayant une consommation sa majorité, un scepticisme certain vis-à-vis de quotidienne ou hebdomadaire de cannabis, les « occasionnels » ceux ayant consommé la vente de cannabis en pharmacie. Cela a plusieurs fois le dernier an ou mois (sans régularité hebdomadaire) et « habituels » ceux retardé de fait la mise en place de la politique ayant consommé une fois dans les 12 derniers même si le président Vázquez a déclaré l’accepmois ou dans leur vie. tation de la loi, sous un grand contrôle. 7 Boidi MF, Queirolo R, Cruz JM. Marijuana Consumption Patterns among Frequent Deux ans après l’approbation de la régulation, la Consumers in Montevideo. 9th Conference of production contrôlée de cannabis n’a pas comthe international Society of the Study of Drug Policy. Ghent, Belgique : 2015. mencé. Devant l’impossibilité pratique d’assurer une production sous l’égide d’une entreprise nationale, un appel d’offre a été lancé. Onze entreprises ont répondu et, au terme de la sélection, deux entreprises à capitaux nationaux et internationaux ont été retenues pour la production de cannabis. Elles seront tenues de respecter les règles très strictes imposées par l’IRCCA, que ce soit en termes de niveau des prix, des taux de THC et des normes de production (dans l’utilisation des pesticides notamment). Entre temps, le cannabis à usage médical a été légalisé et il est probable que ce secteur se révèlera plus lucratif pour les entreprises du fait de prix plus attractifs sur le marché international que ceux proposés par l’État pour le cannabis à usage récréatif. Effets de la politique sur la société Même si la politique interdit toute publicité du cannabis et introduit un cours de prévention aux usages problématiques des drogues dans le monde éducatif, toutes les estimations prévoient une augmentation de la consommation. Ainsi, entre 2011 et 2014, la consommation est passée de 8,3 à 9,3 %, dont 14 % de manière habituelle, 23 % occasionnelle, 63 % expérimentale, alors que seuls l’autoproduction et les clubs entraient seulement en fonctionnement5. Toutefois, pour l’écrasante majorité (97,4 %) des individus qui ne consomment pas, la loi ne provoquerait pas une incitation à l’usage, tandis que pour ceux qui consomment (91,2 %), la légalisation contrôlée de l’offre n’engendrerait pas une augmentation des quantités consommées. Autre enjeu : les estimations prévoient que la production légale ne suffira pas à satisfaire la demande des consommateurs habituels, estimée à 17 136 kg/an pour 35 700 personnes6. Ainsi le principal moyen d’accès au cannabis risque de rester le marché noir issu des réseaux illicites, avec un risque lié à des situations de violence et d’offre d’autres substances (55 % des acheteurs de cannabis se voient offrir une autre drogue, notamment cocaïne et pâte-base). De plus, un nouveau marché parallèle est en train d’apparaître. Celui-ci émane de producteurs locaux qui mettent à la vente (illégalement) leur production destinée théoriquement à leur consommation personnelle et concernerait 6 % des acheteurs. Selon une étude publiée en 20157, ce marché reste majoritairement occasionnel, notamment en raison du prix de vente nettement supérieur (100 dollars contre 30 dollars pour 25 g pour le cannabis du marché noir). Les effets de la loi restent donc ambigus. En outre, il apparaît qu’une partie des consommateurs pourraient évoluer hors du cadre de la politique de régulation. Si 9 % d’entre eux déclarent obtenir la substance par une production personnelle ou en club associatif, et si 44 % qui 13 l’achètent directement ou par des amis sont potentiellement dans leur majorité (58 %) des futurs clients des pharmacies, des autoproducteurs en devenir (45 %) ou de futurs membres pour les clubs (30 %), quid des autres consommateurs ? Parmi les usagers de cannabis en Uruguay, 45 % consomment une substance offerte (et non pas achetée) par des proches et de ce fait ils constituent une zone grise potentielle de consommateurs qui n’a pas d’incitation particulière à s’inscrire auprès de l’IRCCA. Le contrôle et le suivi de cette population restent un des enjeux importants de la réforme. On le voit, la mise en place de la politique de régulation est plus complexe que prévu et souffre d’un certain nombre de retards dus non seulement à des questions techniques, mais à des facteurs politiques. Les réticences internes sur les bienfaits de cette politique, de même que les réserves exprimées par l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) (structure en charge de l’application des conventions internationales) ont toutefois des effets bénéfiques. Elles forcent en effet l’Uruguay à prêter une attention particulière à l’évaluation et au suivi de la politique de régulation. Un nouveau diplôme universitaire de spécialisation a même été créé afin de former des professionnels sur ce sujet. Le pays se veut irréprochable, ce qui lui permet aussi de préparer dans les meilleures conditions l’échéance de la Session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la drogue (UNGASS) de 2016. S’il essuiera probablement le feu des critiques des pays les plus prohibitionnistes, il pourra compter notamment sur l’appui de ses voisins latino-américains, notamment le Chili et la Colombie engagés eux aussi dans des approches nouvelles. L’acceptation, voire la transposition de la politique uruguayenne en dehors de ses frontières dépend beaucoup du succès de la mise en œuvre de la politique et du lobbying diplomatique que le pays entreprendra. Séminaire EHESS 2015-2016 La prohibition des drogues : approche transversale L’EHESS et ASUD co-organisent ce séminaire gratuit ouvert à tous d’octobre 2015 à juin 2016 de 11h00 à 14h00. 2015 – 7 octobre : Antiprohibition, histoire. – 12 novembre – 10 décembre 2016 – 7 janvier – 11 février – 10 mars – 7 avril – 12 mai – 9 juin Amphithéâtre François-Furet 105 bd Raspail, 75006 Paris de 11h00 à 14h00 www.asud.org/2015/10/07/seminaireehess-2015-2016-la-prohibitiondes-drogues-approche-transversale 14 Débat autour du matériel d’injection Le matériel stérile mis à la disposition des usagers de drogues n’est plus adapté aux nouvelles pratiques et peut être amélioré pour contrer les infections virales, bactériennes ou mycosiques et pour se protéger de certains excipients provenant de médicaments détournés et souvent injectés. Ce premier article d’Apothicom, qui commercialise notamment Stéribox et Stérifilt est un exposé didactique sur la notion d’espace mort qui majore le risque d’infection en cas de partage de seringue. Le second, écrit par un groupe de travail sous l’égide de la Direction générale de la santé et de la MILDECA, élargit la réflexion à la filtration et propose la création de nouveaux outils, plus efficaces, qui tient compte de la place toujours croissante des médicaments opiacés chez les injecteurs. Swaps accompagne ce débat utile qui devrait aboutir, en lien avec les industriels, à des outils de la réduction des risques plus performants. Seringues : l’« espace mort » est un facteur de risque Elliot Imbert, Lenneke Keijzer / Apothicom En 1990, Gaughwin et une équipe de chercheurs australiens, simulant un partage de seringue avec du sang radiomarqué, quantifiaient le volume de sang transféré d’un sujet à un autre : ils observèrent que, quand il s’agissait de seringue de 2 ml, il y avait sept fois plus de sang partagé à partir du sujet source que quand il s’agissait de seringue de 1 ml. Deux types de seringues C’est Jean-Paul Grund, en 1991, qui attribua cela non pas au volume de la seringue, mais au type de seringues. Il distingue deux types : – les seringues à insuline de 1 ml, serties, qui n’ont pratiquement pas de volume résiduel ; – les autres seringues (souvent plus grosses), à aiguille détachable, qui ont un volume résiduel beaucoup plus conséquent. 1 Zule WA, Ticknor-Stellato KM, Desmond DP, Le volume résiduel est appelé « espace mort ». Vogtsberger KN. Evaluation of needle Lorsque le piston est complètement enfoncé, le and syringe combinations. J Acquir Immune Defic Syndr Hum Retrovirol 1997;14(3):294-5. liquide qui s’y retrouve reste présent entre le 2 Abdala N, Stephens PC, Griffith BP, piston et l’aiguille. Ce liquide ne peut être Heimer R. Survival of HIV-1 in syringes. éjecté de la seringue. J Acquir Immune Defic Syndr Hum Retrovirol 1999;20(1):73-80. L’usager s’assure que l’aiguille se trouve dans la veine en voyant le sang pénétrer dans la seringue. Geste indispensable, qui est celui de l’infirmière lorsqu’elle fait son « retour veineux ». Si la personne est contaminée, la seringue le sera également. Après l’injection, l’usager opère un flux et un reflux du sang en aspirant et refoulant le contenu de la seringue, sur quelques graduations et à plusieurs reprises. La contamination se poursuit donc et, après l’injection, l’espace mort est quasiment entièrement constitué de sang. William Zule a mené cette réflexion plus loin. Il a mesuré l’espace mort dans les deux types de seringues ayant le même volume, c’est-à-dire des seringues à aiguille sertie de 1 ml et des seringues à aiguille détachable de 1 ml. L’espace mort s’est révélé 40 fois supérieur dans les 15 seringues détachables1. Étant donné que les personnes qui injectent des drogues rincent souvent leur seringue après utilisation, il a également mesuré la quantité de sang qui restait dans ces seringues après rinçage : les seringues non serties contiennent une quantité de sang qui est environ 1 000 fois supérieure aux seringues serties. Robert Heimer et son équipe de l’université de Yale ont pris la suite. Pour cette équipe, il ne suffisait pas de démontrer la présence d’acide désoxyribonucléique (ADN) ou d’acide ribonucléique (ARN) viral sur les outils de l’injection. Certes, leur présence atteste que les outils ont été en contact avec des virus. Mais cela ne fournit pas la preuve de leur rôle dans la transmission de ces maladies. L’équipe de Heimer a alors développé une méthode permettant de connaître la quantité de virus viable, gardant sa capacité infectieuse, restant présente sur les outils. En 1999, ils publient un article2 sur l’infectivité du VIH présent dans différents types de seringues. Cette étude a confirmé l’hypothèse que nous venons d’évoquer : le VIH reste présent en plus grande quantité et reste infectieux plus longtemps dans les seringues à aiguilles détachables que dans les seringues serties. À titre d’exemple : à 27 °C, le VIH reste viable pendant une journée avec peu de copies virales dans une seringue sertie, tandis que dans une seringue à aiguille détachable, il reste viable pendant sept jours avec beaucoup de copies. Une deuxième étude, publiée par la même équipe en 20103 a confirmé le même résultat pour l’hépatite C. L’hépatite C reste viable pendant une journée dans les seringues serties, et 60 jours dans les seringues non serties. Toutefois, pour l’hépatite C, pendant cette première journée, la charge virale reste très élevée, même dans les seringues à insuline. Recommandations de l’OMS et de l’ONUSIDA William Zule a continué ses recherches au sujet de l’influence de l’espace mort. Il a mis en parallèle le type de seringues utilisées avec la prévalence du VIH dans plusieurs pays. Cette étude semble confirmer le lien entre l’espace mort et le risque de contamination virale. L’Organisation des Nations Unies pour le sida (ONUSIDA) et l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) recommandent désormais, chaque fois que possible, l’utilisation de seringues à aiguilles serties. Des seringues à aiguilles détachables sont encore utilisées. Certains usagers ont en effet besoin d’un volume plus important que 1 ml. D’autres ont besoin d’aiguilles d’une taille non disponible sur les seringues 3 Paintsil E, He H, Peters C, Lindenbach BD, Heimer R. (2010) Survival of hepatitis C virus serties. in syringes: implication for transmission C’est pourquoi plusieurs seringues et plusieurs among injection drug users. J Infect Dis 2010;202(7): 984-90. aiguilles ont été, depuis, conçues dans l’objectif de diminuer l’espace mort des seringues à aiguille détachable. Ces outils parviennent effectivement à réduire l’espace mort et peuvent être une alternative aux seringues à aiguille détachable standard. On les appelle seringues (ou aiguilles) à espace mort intermédiaire. Mais celui-ci reste bien supérieur à celui des seringues à insuline, qui doivent toujours être préférées. Conseils individuels et stratégie collective En France, 10 à 20 % des seringues délivrées sont à aiguille détachable et, donc, leur espace mort élevé constitue un facteur de risque. Il s’agit quasiment toujours de seringues de 2, 3 ou 5 ml. L’usager les utilise essentiellement pour l’injection de gélules de Skénan® LP, de Ritaline®, parfois aussi pour des comprimés de buprénorphine (Subutex® et génériques). La solubilité du sulfate de morphine se situe entre 50 et 60 mg/m. Celle de la Ritaline® est de 18 mg/ml. Une partie de leurs utilisateurs, selon leur niveau de tolérance, peuvent avoir besoin d’un volume supérieur à 1 ml et donc d’une seringue à aiguille détachable. À ces personnes, il convient de conseiller l’utilisation de seringues ou d’aiguilles à espace mort intermédiaire. Plusieurs arguments peuvent être avancés auprès des personnes qui injectent des drogues pour que leur choix s’oriente plutôt vers des seringues serties à espace mort faible : – du produit actif est « perdu » dans le volume résiduel d’une seringue à espace mort élevé. Cela représente entre 4 et 6 % du produit : cela est loin d’être négligeable. « Ne perdez rien » peut donc être un argument pour choisir un type de seringue où il y ait très peu de perte de produit ; – la solubilité de la buprénorphine est compatible avec sa dilution dans un volume de 1 ml. De nombreux usagers injecteurs de Subutex® utilisent déjà aujourd’hui des seringues serties de 1 ml. Cependant, les conseils individuels ont une limite évidente : l’objectif est de limiter le risque de transmission viral. Ce risque peut certes être moindre et persister moins longtemps avec les seringues serties, mais il continue à exister. Pour l’hépatite C par exemple, la charge virale de la seringue sertie reste élevée quand le partage a eu lieu dans la journée. L’approche ne peut donc être seulement individuelle. Elle est nécessairement collective : moins de seringues à espace mort élevé circuleront, mieux ce sera, car le risque de transmissions virales au niveau de la population diminuera. Il est donc important de ne jamais proposer un changement de seringue aux personnes qui utilisent actuellement des seringues « à insuline ». 16 DÉBAT Réduction des risques : volume mort et filtration, état des lieux William Lowenstein / Interniste et addictologue, président de SoS Addictions Emmanuel G. Reynaud / School of Biomolecular and Biomedical Science, University College Dublin, Dublin, Irlande Thomas Nefau / Docteur en pharmacie, Docteur en biologie, membre de l’association SAFE chargé des études scientifiques Jean-Pierre Couteron / Président de la Fédération Addiction Catherine Duplessy / Directrice de Safe Dans les années 1980, la réduction des risques (RdR) est née en réponse aux risques de transmission du VIH/sida chez les usagers héroïnomanes : sa conception doit aujourd’hui être largement renouvelée. En effet, l’évolution des pratiques des usagers de drogues, celle des produits consommés et des connaissances scientifiques imposent de revoir la nature des outils de RdR distribués pour en améliorer la qualité et l’efficacité. Il s’agit de prendre en compte les risques d’infection par le virus de l’hépatite C, mais aussi les risques infectieux liés aux bactéries, aux champignons, dont les levures, ou encore ceux liés aux excipients présents dans des médicaments injectés. Des travaux conjoints de scientifiques, d’usagers de drogues, de cliniciens, de professionnels de la RdR, menés sous l’égide de la Direction générale de la santé (DGS) et de la MILDECA ont pour but de déterminer les outils les plus performants, en matière d’hygiène, de désinfection, d’injection et de filtration. À partir de ces travaux, la DGS a financé l’expérimentation d’un nouvel assemblage d’outils (lingette, seringue, filtre). À la clé : des bénéfices à la fois physiques, somatiques, infectieux et psychologiques pour les usagers. Renforcer la protection of syringe filters in harm reduction among grâce à la filtration 1 Caflisch C, Wang J, Zbinden R. The role injection drug users. Am. J. Public Health 1999;89:1252-4. 2 McLean S, Bruno R, Brandon S, de Graaff B. Effect of filtration on morphine and particle content of injections prepared from slow-release oral morphine tablets. Harm Reduct J 2009;6:37. 3 Ng H, Patel RP, Bruno R, et al. Filtration of crushed tablet suspensions has potential to reduce infection incidence in people who inject drugs. Drug Alcohol Rev 2015;34:67-73. L’efficacité des filtres à membranes 0,2 µm est connue depuis plus de 15 ans. Malheureusement, ils ne sont pas ou peu utilisés dans le cadre de la RdR. Dès 1999, des publications scientifiques ont mis en évidence les nombreux bénéfices de santé publique associés à la diffusion de dispositifs de filtration efficaces, dans le cadre d’une politique complète de RdR1. La diffusion de filtres, dont l’efficacité sur la filtration des bactéries et particules a été prouvée en laboratoire en présence de produits utilisés dans la rue par les usagers, est donc pertinente et porteuse de progrès. En 2009, l’équipe de McLean et Bruno2 conclut à la filtration des particules des médicaments par les filtres de porosité de 0,2 µm et 0,45 µm et recommande que cette filtration devienne une méthode standard de RdR pour les usagers de drogues par voie intraveineuse. Elle précise la plus grande efficacité des filtres de 0,2 µm, et souligne le caractère coût-efficace de cette distribution. Par la suite, une étude de Ng et al.3 conclut au potentiel positif des filtres 0,2 µm pour réduire les complications médicales chez les usagers injecteurs de comprimés et recommande de les considérer comme une méthode hautement efficace de RdR. Enfin, en 2015, l’équipe de Karolak et al. (en cours de publication) conclut à l’efficacité de filtration et d’élimination du risque microbiologique des filtres toupies 0,2 µm et 0,45 µm, sur des suspensions préparées en situation « de rue » et avec des produits stupéfiants utili- 17 sés par les usagers. Elle conclut également à l’absence de protection microbienne procurée par les autres dispositifs de filtration usuellement distribués (filtres coton et Sterifilt®). Pourquoi ce filtre à 0,2 µm change-t-il le quotidien des usagers ? Sur les plans physique et somatique, il évite les abcès, septicémies, endocardites, greffes à champignons chroniques, etc. La filtration enfin efficace des excipients des médicaments permet également d’éviter les lymphœdèmes (« main de popeye », etc.) et autres complications (malaise, douleurs, etc.) Sur le plan psychologique, le fait de ne plus associer l’injection aux infections atténue ses effets délétères et apporte confort et meilleure qualité de vie. Diminuer le risque du volume mort des seringues En 2009, Zule4 montre l’importance du volume mort d’une seringue dans la transmission virale chez les usagers de drogues qui échangent leurs seringues. Ce problème n’était pas nouveau puisqu’il avait été mis en évidence dans des études sur le dosage de médicaments et vaccins administrés par injection. Mais les données en laboratoire, de terrain ou les modélisations mathématiques et autres revues de la littérature, restent confuses sur ce sujet et les conclusions ne sont pas catégoriques. Logiquement, un volume de sang peut persister dans les seringues à volume mort important. Ce milieu est alors propice à la survie de particules virales pouvant induire des contaminations si, et seulement si, la seringue est partagée avec une autre personne. La pratique de rinçage, selon le volume de liquide utilisé, et la nature des produits injectés ont une influence directe sur la survie des particules virales et minimisent parfois le problème du volume mort. En revanche, la possibilité d’utiliser au bout de la seringue un filtre de type toupie, qui élimine toute possibilité d’infection bactériologique ou d’injection de particules, avec ou sans volume mort, s’avère primordiale. Ce paramètre, associé à la connaissance des pratiques des injecteurs, du type de produit injecté, de l’accès au matériel stérile, du volume de rinçage et des outils de filtration, est donc à prendre en compte. En effet, les études récentes mettent en évidence un accroissement 4 Zule WA, Bobashev, G, RTI International. High dead-space syringes and the risk of HIV significatif de l’injection de médicaments : and HCV infection among injecting drug users. ainsi, en Île-de-France, il a été démontré que Drug Alcohol Depend 2009;100:204-13. plus de 30 % des seringues récupérées dans 5 Néfau T, Charpentier E, Elyasmino N, et al. Drug analysis of residual content of used les automates d’échange de seringues contiensyringes: a new approach for improving nent de la buprénorphine haut dosage, plus de knowledge of injected drugs and drug user practices. Int J Drug Policy 2015;26:412-9. 25 % des sulfates de morphine et plus de 10 % de la méthadone5. En plus des médicaments de substitution aux opiacés, d’autres produits sont de plus en plus souvent injectés tels les nouveaux produits de synthèse. Par ailleurs, les professionnels des CAARUD rapportent la persistance de la pratique de réutilisation des cotons usagés, qui majore les risques de contaminations bactériennes et fongiques. Seule la filtration avec un filtre toupie 0,2 µm permet d’éviter ces contaminations. C’est en trouvant la meilleure association entre l’efficacité de la filtration et la diminution du volume mort que l’outil le plus adapté peut être proposé. Les études scientifiques de terrain sur ce sujet étant encore peu nombreuses, les acteurs de la RdR et leurs partenaires travaillent par principe de précaution avec des outils qu’on qualifie de « à faible volume mort ». L’enjeu est de pousser les industriels à fournir du matériel de RdR doté d’un volume mort équivalent à celui du matériel serti et qui permettrait d’utiliser les filtres dits « stérilisants ». L’objectif est de minimiser le volume mort tout en assurant une filtration efficace des bactéries, champignons et particules, sans augmentation significative des coûts. Conclusion Des solutions émergent et permettent de surmonter les difficultés du passé. Elles contribuent à ce que le volume mort ne soit plus un facteur de blocage contre toute avancée de la filtration. Aujourd’hui, des industriels ont conçu du matériel d’injection non serti présentant un faible volume mort équivalent à celui des seringues serties, et permettant l’usage des filtres à membrane 0,2 µm. D’autres recherches portent sur la possibilité d’adapter les filtres à membrane 0,2 µm sur les seringues serties. Le but est donc clair et atteignable : associer les bénéfices d’une filtration enfin efficace et la minimisation du volume mort. En conséquence, nous devons désormais travailler sur nos messages et nos pratiques pour faciliter l’accès à ces matériels et favoriser leur appropriation. La RdR est une tâche complexe qui nécessite d’utiliser une combinaison de protocoles et méthodes afin d’être efficace dans les situations réelles de rue, en tenant compte de la diversité des besoins des usagers. Poursuivons le combat qui consiste à renforcer la disponibilité, permanente et non limitée, à l’ensemble des outils de RdR, afin de supprimer définitivement la réutilisation et le partage de matériel. 18 RÉUNION Un défi d’ici 2030 : intensifier la riposte aux VIH, hépatites et infections sexuellement transmissibles Elisabeth Avril / Association Gaïa Du 23 au 26 juin 2015, s’est tenue, à Copenhague, la consultation régionale sur les stratégies de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour le secteur de santé VIH, hépatites et infections sexuellement transmissibles (IST) sous le thème principal de la couverture sanitaire universelle. Les stratégies proposées ont pour objectif la lutte contre les épidémies de VIH, d’hépatites et d’IST au cours de la période 2016-2021. Elles seront soumises à l’approbation de la 69e assemblée mondiale de l’OMS en 2016. Ces stratégies serviront de guide aux actions menées en vue d’atteindre les objectifs ambitieux d’élimination de ces maladies et/ou de fin des épidémies en 2030. La consultation s’est donnée comme programme de dresser un bilan des progrès accomplis dans la réponse au VIH et aux hépatites et d’entendre les représentants des pays impliqués dans la lutte contre ces épidémies, ainsi que les représentants de la société civile, des associations non gouvernementales, des associations professionnelles (European Association for the Study of the Liver [EASL], European AIDS Clinical Society [EACS], European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction [EMCDDA], United Nations Programme on HIV and AIDS [UNAIDS]) et des représentants régionaux de l’OMS. Cette consultation a permis également un échange d’expériences, de données d’études entre experts afin d’identifier les priorités, les approches stratégiques et les actions essentielles pour l’OMS et les États membres. Les actions devront être reprises et développées dans les stratégies. Les experts, venus d’en grande partie des pays d’Europe avec une forte représentation de l’Europe de l’Est et de l’Asie centrale, ont mené des travaux en groupes et ont pu échanger idées et expériences afin de déterminer des recommandations. Plusieurs constats ont été partagés en plénière dont une augmentation très importante des contaminations VIH en Europe (+81 %), surtout en Europe de l’Est (+144 %). Malgré des progrès comme l’introduction d’une politique de santé publique dans certains pays d’Europe de l’Est, les diagnostics VIH sont tardifs (29 % des personnes ont moins de 200 CD4 au moment du diagnostic), en particulier les personnes qui consomment des drogues. Les hépatites sont une priorité pour l’OMS, 60 % des personnes touchées vivent en Europe de l’Est et en Asie centrale, l’accès aux stratégies de réduction des risques restant très inégal dans ces régions (en volume et en qualité). Il faut noter que dans la plupart des présentations, les IST ne semblent pas être une priorité de santé publique dans les différents programmes nationaux. Concernant l’accès aux soins, on note un développement de l’accès aux antirétroviraux souvent grâce au soutien du Fonds mondial, mais peu de personnes ont réellement une charge virale indétectable. En Fédération de Russie, seules 9 % des personnes traitées atteignent une suppression virale. 19 Il a été dit à plusieurs reprises que l’épidémie de VIH était incontrôlée dans l’est de l’Europe (plus de 90 000 nouveaux cas chaque année en Russie), la couverture de dépistage de la population est très faible et ne cible pas les populations à risque. Une fois dépistées, les personnes ne parviennent pas aux soins et encore moins aux traitements par peur de la stigmatisation et de la criminalisation de leur statut. Quelques programmes sont mis en avant comme l’échange de seringues dans les prisons du Kirghizistan mais, globalement, la cascade de soins est très médiocre. Les spécialistes médicaux et les représentants des États se sont succédé à la tribune en concentrant leur discours et leurs études sur la transmission verticale du VIH et de leurs succès (les femmes sont testées deux fois au cours de leur grossesse dans la plupart des pays de l’Est). Personne n’a parlé, ou si peu, des populations vulnérables à risque, usagers de drogues, men who have sex with other men (MSM), migrants et travailleurs du sexe. On peut se réjouir de la situation quasi unique de l’Ukraine qui a vu en 2014 la première diminution de l’incidence du VIH chez les usagers de drogues grâce aux mesures de réduction des risques (qui ont été abolies dans les territoires occupés par les Russes et qui semblent mises en danger par la guerre). La représentante de l’EMCDDA est intervenue pour promouvoir les résultats positifs des politiques de réduction des risques en présentant des résultats d’études indépendantes et scientifiques. Des projets ambitieux – l’élimination de l’hépatite C – mais beaucoup d’inquiétudes émergent quant aux financements des programmes nationaux efficients, qui dépendent pour beaucoup des financements du Fonds mondial. Les fonds internationaux diminuent et le Fonds mondial souhaite financer des stratégies nationales qui font sens et dont l’impact est réel, pas de financement sans réduction des risques. Tous les experts présents ainsi que les représentants des institutions internationales reconnaissent que traiter est efficace au niveau du coût, qu’il s’agisse du VIH, des hépatites ou des IST mais, paradoxalement, le coût des traitements et des diagnostics (comme obstacle clé) n’a pas été ou pas assez pointé comme un défi fondamental pour la communauté internationale. L’autre obstacle majeur à l’accès aux traitements reste présent à des degrés divers dans tous les pays d’Europe : les politiques qui criminalisent les populations vulnérables (usagers de drogues, migrants, travailleurs du sexe) et la stigmatisation qui y est liée. Comment transformer les évidences scientifiques en politiques plus humaines respectant les droits humains fondamentaux ? Et, de là, permettre un réel accès aux soins, universel et de qualité ? Cet objectif ambitieux est fixé, mais le discours et les productions de guides et de bonnes pratiques de l’OMS promeuvent la réduction des risques, les droits humains et la participation communautaire des populations clés comme autant d’éléments essentiels à mettre en place pour se rapprocher de cet objectif. Abonnement Je souhaite m’abonner gratuitement à la revue Swaps Participation de 10 euros pour frais d’envoi des quatre numéros annuels À retourner à VIH.org / Swaps / Pistes, Chaire d’addictologie CNAM, case 216, 2 rue Conté, 75003 Paris nom profession adresse prénom organisme code postal tél. ville e-mail 20 HISTOIRE « Les trois âges du Palfium » ® histoire d’un produit ambivalent (France, 1957-1999) Alexandre Marchant / Docteur en histoire de l’ENS de Cachan Le Palfium®, médicament commercialisé mais soumis à la législation sur les stupéfiants, devient un objet de convoitise pour les usagers d’opiacés et, pendant un temps, l’un des outils de la substitution informelle pratiquée par les médecins généralistes. C’est donc plusieurs pans de l’histoire de la toxicomanie et de sa prise en charge thérapeutique qui se reflètent dans l’histoire de ce produit. En 1996, Antoine Khouri, médecin généraliste de Belleville, se retrouve au cœur d’une affaire défrayant la chronique au moment même où la réduction des risques (RdR) et la substitution aux opiacés de synthèse rentrent dans les mœurs thérapeutiques. Sensibilisé aux problèmes de dépendance aux opiacés, Khouri fut marqué par les symptômes de sevrage des nouveau-nés de mères toxicomanes. Il en avait tiré la conviction que la toxicomanie était un trouble somatique réel, susceptible de recevoir une réponse médicamenteuse. C’était loin d’être une évidence à l’époque où le modèle psychothérapeutique de Marmottan dominait. Il se mit à pratiquer la substitution informelle en prescrivant à ses patients toxicomanes, dans son cabinet de généraliste, des opiacés de synthèse comme le Temgésic®, l’Antalvic® et surtout d’importantes quantités de Palfium® sous forme injectable. Près de 200 toxicomanes le consultent régulièrement, jusqu’à ce qu’il soit poursuivi pour la mort accidentelle de six patients, décédés d’embolie pulmonaire après des injections surdosées de Palfium®. En 1997, Khouri est condamné à quatre ans de prison (dont deux avec sursis) et à payer 30 000 francs d’amende ainsi que 1,4 millions de francs de dommages et intérêts aux familles des vic1 ASUD, n 13, hiver 1997-1998, p.11 ; Le Monde, 17 octobre 1997. times à acquitter avec la pharmacienne qui 2 « La ténébreuse affaire du docteur K… ». exécutait les ordonnances, désormais interdite 1 In: Substitution Auto-Support (SAS) juin 1996;2. de profession . Mais pour Khouri, l’affaire reflète o aussi l’hypocrisie du conseil de l’ordre des médecins, selon lui, parfaitement informé de l’usage qu’il faisait de ses carnets à souche, et ayant même approuvé sa démarche quand, en réponse à l’un de ses courriers en 1993, le Conseil lui avait suggéré de ne pas dépasser 25 prescriptions d’opiacés de synthèse par semaine2. L’affaire Khoury résume à elle seule les enjeux cristallisés par le Palfium®. Entre toxicomanie iatrogène et détournement de la filière pharmaceutique Le Palfium®, forme commercialisable de la dextromoradine, synthétisée par les laboratoires belges Janssen, est mis en vente en 1954. Il arrive en France en 1957, produit et vendu par Delalande sous forme d’ampoules injectables ou de comprimés de 5 mg. Sa découverte s’inscrit dans le cadre de la révolution des opiacés de synthèse dont l’utilisation thérapeutique est alors devenue incontournable pour soulager la douleur ou bien, en milieu hospitalier, en matière de « neuro-analgésie » comme alternative à l’anesthésie générale, c’est-à-dire en provoquant un état d’insensibilité totale à la douleur, à l’aide de substances comme la phénopéridine ou le Fentanyl®, lui aussi commercialisé par Janssen. Le Palfium® se retrouve inscrit au tableau B des substances narcotiques et doit être prescrit à l’aide du carnet à souche (remplacé en 1999 par 21 les ordonnances sécurisées). Le risque, qui va se concrétiser très vite, est que le patient accroche au produit et ne sache plus s’en passer. Le Palfium® s’insère alors dans le schéma dominant des toxicomanies iatrogènes. Au seuil des années 1950, les toxicomanes s’approvisionnent à 65 % auprès du marché licite des produits pharmaceutiques, pour seulement 35 % au marché clandestin3. Il s’agit là d’une toxicomanie qui reste souterraine et n’enfreint aucun code social, n’apparaissant qu’au détour d’un exercice de comptabilité sur registres de pharmacies ou carnets à souches. Les archives du service central des années 1960 sont remplies d’exemples de ce genre, pour n’en citer que quelques-uns, en 1960 Guy Péchenard de Paris est mis en cause pour vol de carnets à souches chez des collègues qu’il remplaçait en Seine-et-Marne : les carnets dérobés servaient pour son usage personnel de Palfium®, donnant ainsi un nouvel avatar à la figure du médecin morphinomane hérité du XIXe siècle. En 1961, c’est un notable de Bergerac, Maurice Faugère, directeur des établissements Pro-Méca qui est ainsi débusqué par les pharmaciens inspecteurs de la Santé qui le désignent comme « toxicomane au Palfium® » et qui se ferait prescrire de plusieurs médecins. Le produit représente près de 10 % des cas de toxicomanie médicamenteuse4. Mais la surveillance des autorités ne porte d’ailleurs pas uniquement sur les cabinets de médecins généralistes et s’étend aux pharmacies où se présentent régulièrement des clients plus ou moins rusés trafiquant les ordonnances : en 1972, à Vernon en Normandie, un patient a « présenté l’ordonnance sur laquelle il avait ajouté le chiffre 1 devant le 6, pour obtenir 16 comprimés de Palfium® au lieu des 6 prescrits » lit-on ainsi sur une note diffusée auprès des pharmaciens de la région, simple exemple pris parmi d’autres d’avertissements diffusés par les pharmaciens inspecteurs pour éviter ce genre de détournement en donnant le signalement de l’individu qui ne ressemblait en l’occurrence en rien à un junky désocialisé5. Le détournement peut aussi venir des pharmaciens eux-mêmes et faire l’objet de la part des autorités sani3 Vaille C, Stern G. Les Stupéfiants, fléau social. taires d’enquêtes qui n’ont rien à envier à ce Paris : Expansion scientifique, 1955, p.154. que font les policiers dans le cas des filières illi4 Dossiers compilés par les pharmaciens cites. Par exemple, en 1971, le service central inspecteurs régionaux (années 1970). Archives du ministère de la Santé. CAC 1990545/1 et 4. est informé par l’ordre national des pharma5 Note du 11 janvier 1972. Archives ciens de problèmes posés par la collecte de du ministère de la Santé. CAC 1990545/1. médicaments usagés par une pharmacienne 6 Dossier « Medicus Mundi ». Archives d’Orléans, Nicole Viossat, pour le compte d’une du ministère de la Santé. CAC 19900545/3. association, « Medicus Mundi », faisant œuvre 7 Association Le Pont. Séminaire Toxicomanie, humanitaire au Pakistan. La comptabilité révèle septembre 1971. Textes choisis, Le Pont, 1972. des transferts non conformes à la régulation 8 Dossiers « produits volés, 1977 » et « Vols (c’est-à-dire hors prescription) de centaines de de stupéfiants dans les hôpitaux ». Archives ® du ministère de la Santé. CAC 197901019/5. doses de Palfium de la pharmacie vers l’asso- ciation. Les inspecteurs mettent finalement au jour un impressionnant détournement de produits inscrits au tableau B. Interrogée, la pharmacienne avoua qu’elle utilisait aussi du Palfium® pour sa consommation personnelle et celle de ses amis6. Au cœur des nouvelles consommations toxicomaniaques dans les années 1970-1980 Le Palfium® se retrouve aussi au même moment au cœur des nouveaux usages qui inquiètent tant les pouvoirs publics au moment du vote de la loi de 1970. La polytoxicomanie est une caractéristique importante du comportement des jeunes drogués, plus jeunes et cultivant leur profil de marginaux, et le « Palf’ » intègre logiquement la panoplie de leurs cocktails médicamenteux sophistiqués. On se l’injecte sur le modèle du shoot à l’héroïne, comme on s’injecte également des amphétamines, alors en vente libre jusqu’au début des années 1970, ou du Valium®. Tandis que les comprimés sont broyés avant d’être injectés, tout comme ceux du barbiturique Nembutal® ou de l’amphétamine anorexigène Préludine®. Statistiquement, ces toxicomanies sont assez difficiles à discerner (à la prison des Baumettes en 1971, on ne recense ainsi que trois cas de toxicomanes au Palfium® incarcérés), le produit n’étant pas illicite et les usagers ayant pu être condamnés pour d’autres produits associés7. Mais, conséquence de la marginalisation, l’accès aux toxiques se fait parfois sur un mode plus radical : les cambriolages de pharmacie sont ainsi l’une des principales préoccupations de la Commission interministérielle des stupéfiants entre 1974 et 1980, c’est-à-dire entre la fin de la French Connection qui a entraîné une restriction du marché clandestin de l’héroïne et le retour de filières criminelles de trafic plus organisées (libanaise, pakistanaise, africaine). Entre temps, beaucoup de toxicomanes se reportent sur les opiacés de synthèse disponibles dans les officines et contenus dans les précieuses armoires sécurisées pour produits du tableau B dont le décret Poniatowski-Veil de juillet 1975 impose la généralisation. L’Office central pour la répression du trafic illicite (OCRTIS) a recensé en moyenne entre 500 et 1 000 cambriolages d’officines par an au cours de cette période. Le Palfium® figure en très bonne place sur la liste des principaux produits dérobés, à côté du Dolosal® ou du Fortal®, du laudanum et autres poudres d’opium, de l’élixir parégorique, dont on essaye toujours d’extraire l’opium malgré les mesures prises en 1969 pour en modifier sa composition. Les armoires à toxiques des hôpitaux sont également la cible de ces cambriolages : ampoules de Palfium®, de Dolosal® ou de morphine sont régulièrement volées8. En 1978, lors d’une réunion de la commission 1 22 des stupéfiants, Claude Olievenstein fait état du problème, constaté en région parisienne, de chantage, voire d’agressions perpétrées par des drogués à l’encontre de membres de SOS Médecins pour obtenir des prescriptions de Palfium® ou de Dolosal®9. Le recours aux opiacés de synthèse et au « palf’ » se constate sur le long terme. Une enquête menée en 1983 par l’unité 185 de l’Inserm auprès des médecins travaillant en prison dans la région de Bordeaux révèle que le Palfium® est, pour eux, le médicament qui est le plus sujet à induire des addictions (103 citations sur 248 médecins interrogés). Une autre enquête de 1985 dans la région de Clermont-Ferrand auprès des foyers et centres d’accueils pour toxicomanes montre que, dans les cas de polyaddictions combinant des médicaments (51 % des usagers), le Palfium® est cité dans 18 % des cas. On lui préfère cependant dans 38 % des cas le Néocodion®, antitussif à base de codéine commercialisé par les laboratoires Boucharat-Recordati, moins puissant, mais qui a l’avantage d’être en vente libre10. La question se pose donc de savoir quelles logiques motivent les toxicomanes dans leur quête et leur consommation de Palfium®. Il y a bien évidemment la recherche de la « défonce », le flash procuré par l’injection intraveineuse de « Palf’ » n’ayant guère à envier à celui de l’héroïne : « C’était presque un flash car ça arrivait d’un coup et c’était tellement fort » commente en 2010 sur un forum Internet un ancien usager nostalgique11… Obtenir du « 875 » (d’après le code du médicament R875), par un moyen ou par un autre, résulte alors d’un mécanisme de report en cas de tarissement momentané du marché, d’absence ponctuel de dea9 Compte-rendu d’une réunion de la Commission ler, ou simplement pour patienter entre deux interministérielle des stupéfiants, printemps livraisons. Mais le rapport au produit n’est pas 1978. Archives de l’OCRTIS, CAC 19920026/5. toujours le même que pour une substance illi10 Reynaud M, Chassaing JL, Coudert A J. cite. Le Palfium® a aussi pu servir de support à Les toxicomanies médicamenteuses. Paris : PUF, 1989 : 48-60. une logique d’autosubstitution, dans le but de 11 Forum « Enfermés dehors ». Consultable décrocher graduellement. C’est ce que constaen ligne : http://forum.enfermes tent les médecins de l’hôpital Fernand Widal à -dehors.org/viewtopic.php?f=42&t=2274. Paris en 1978 dans leur rapport annuel. Les 12 Rapport d’activité du service hospitalouniversitaire de santé mentale et de produits les plus utilisés par leurs patients thérapeutique concernant la lutte contre les sont les sirops et comprimés à base de codéine toxicomanies, hôpital Fernand Widal, 1978. Archives de l’OCRTIS, CAC 19920026/5. ou de codéthyline (Néocodion® et Nétux®) et, ® 13 Appel L. Cocaïne, cannabis, caféine bien évidemment, le Palfium , particulièreou calva : ils se dopent pour bosser. ment recherché via des prescriptions obtenues Rue 89, 24 février 2013. par ruse ou complaisance, ou par vol. Mal 14 Le Monde, respectivement 7 avril 1977 et 16 mai 1978. encadrées, ces pratiques occasionnent bien 12 15 Pochette « stupéfiants, substances souvent des infections aux points d’injection . vénéneuses, lutte contre la drogue : Enfin, pour ceux qui exercent une profession, correspondance ». Archives du ministère de la Santé. CAC 19900545/1. notamment des petits boulots précaires pure® 16 Le Monde, respectivement 24 mars 1982 ment « alimentaires », le Palfium est un de et 29 avril 1983. ces adjuvants qui permettent de tenir. Laurent Appel, journaliste d’ASUD, livre ce témoignage : « J’ai connu le monde de la brasserie/traiteur sous speed dans mes premiers boulots au début des années 1980 : calva dans les cafés, ballons de blanc à la volée et grosse dose de Captagon®. Certains ajoutaient une injection de Palfium® pour masquer leurs douleurs chroniques… »13 Les overdoses aux polytoxicomanies incluant le Palfium® surgissent ponctuellement dans la presse. Des jeunes, parfois marginaux, sont retrouvés morts, des boîtes de Palfium® à proximité14. Devant ces usages et morts accidentels, les autorités ont réagi en resserrant les contrôles sur les prescriptions et les ventes, les pharmaciens ont parfois pris des initiatives pour limiter la vente de Palfium®, ce qui ne fut pas toujours du goût des patients qui calmaient des douleurs chroniques liées à des maladies graves (comme les cancers) avec le Palfum®15, ce dernier ayant l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans ces maladies. Traitement de substitution informelle Parallèlement à ces usages, le Palfium® arrive au troisième âge de son histoire lorsque des médecins généralistes, confrontés à des patients toxicomanes aux profils de plus en plus précaires, se mettent à utiliser la gamme des divers opiacés de synthèse disponibles à la prescription pour stabiliser ou amener progressivement au sevrage certains drogués en détresse. Non conforme au paradigme alors dominant en matière de soins (Olievenstein martèle depuis plus de dix ans que l’intervenant en toxicomanie ne doit pas être un « dealer en blouse blanche », les programmes méthadone de 1972 demeurent expérimentaux et limités à la portion congrue), cette substitution de l’ombre va venir recouvrir les pratiques d’autosubstitution des usagers. Non sans poser des problèmes déontologiques, en tombant dans l’accusation d’entretien de la toxicomanie, ou pointer des dommages collatéraux quand le produit prescrit et mal utilisé provoque une overdose. Les précurseurs de cette substitution informelle en feront ainsi les frais. En mars 1982, des médecins et pharmaciens de Béthune sont condamnés à des amendes et à des peines de prison avec sursis pour avoir prescrit du Palfium® à de jeunes usagers qui se sont empressés de le revendre. Plus grave, en avril 1983, le Dr Alain Laurent de Marsillargues, dans l’Hérault, est condamné à six ans de prison, dont deux avec sursis, et à cinq ans d’interdiction d’exercice de la médecine : une adolescente a succombé à un mélange d’alcool et de Palfium® qu’il lui avait prescrit16. Cette pratique reçoit en 1985 sa justification théorique, certes sur un autre produit que le Palfium® : un psychiatre belge, Marc Reisinger, publie les 23 résultats de son expérience de prescription de Temgésic® (buprénorphine), autre opiacé de synthèse, aux patients de son cabinet de Bruxelles17. Dès lors, la prescription de Temgésic®, de sulfate de morphine (Skenan® ou Moscontin®) ou de Palfium® devient une pratique légitime qu’expérimentent à leur tour de plus en plus d’audacieux. Ce nouvel usage thérapeutique ne plait guère aux gardiens du dogme : l’Association nationale des intervenants en toxicomanie (ANIT) monte au créneau, à partir de 1990, d’abord contre la généralisation de la substitution à la méthadone alors en débat, mais aussi contre ces prescriptions d’opiacés de synthèse réalisées par des généralistes qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas. Et qui provoquent de surcroît de nouvelles addictions dont doivent alors s’occuper les vrais experts, comme tance Nelson Feldman, médecin-psychiatre à Marmottan, lors des journées nationales de l’Association en mai 1990 et dans un texte reproduit dans Interventions : « Nombreux sont les toxicomanes qui viennent à Marmottan afin de faire un sevrage de Néocodion®, d’Antalvic®, de Codéthyline, de Temgésic® ou de Palfium®, produits facilement accessibles en pharmacie ou prescrits pendant des mois par des généralistes. L’idée que le traitement du toxicomane ne doit pas reposer sur un produit a toujours été un pilier du travail clinique. Pourquoi le sida doit-il faire tout basculer ? »18. C’est pourtant pour réagir face au sida que la RdR va s’imposer comme une nécessité en France et parce que le système de soins officiel est incapable de prendre en charge un nombre toujours plus grand d’usagers qui ne peuvent supporter l’abstinence totale du jour au lendemain que la substitution aux opiacés des généralistes va s’imposer comme un bon compromis. Dans le bras de fer qui commence, les généralistes vont devoir s’organiser. En 1992, en région parisienne, à l’initiative entre autres de Jean Carpentier, qui revendique sa pratique de substitution depuis 1987, est créé le Réseau des professionnels pour les soins aux usagers de drogues (REPSUD)19. Antoine Khouri, l’un de ses membres fondateurs, défend, avant même le Temgésic®, l’emploi du Palfium® comme le produit de substitution idéal : par son « flash », il peut facilement s’insérer dans les pratiques préexis17 Reisinger M. Buprenorphine as a new treatment for heroin dependence. tantes des héroïnomanes, tandis que par sa Drug Alcohol Dependence 1985;16:257-62. durée de vie limitée dans l’organisme, il évite18 Feldman N. Réflexions sur les traitements rait selon lui le risque de surdose, sauf en cas de maintenance aux opiacés. Interventions, octobre 1990. d’association avec d’autres opiacés. 19 Carpentier J. Des toxicomanes et des Mais les polémiques sur les « médecins deamédecins ; un drame en trois actes lers » de Palfium® ne désemplissent pas. En et quarante-sept tableaux. Paris : L’Harmattan, 2000. 1994, après des mois de procédure, le conseil 20 Libération, respectivement 20 décembre national de l’ordre des médecins suspend pour 1994 et 7 mars 1996. un mois Jean Carpentier et Clarisse Boisseau pour prescription illégale de narcotiques à leurs patients toxicomanes. Près de 280 médecins signent une pétition dans Libération, « Qui ne dit mot consent », pour défendre les pratiques de leurs collègues. Le texte pointe la contradiction entre ces sanctions et la généralisation des programmes méthadone qui a alors enfin été décidée par protocole du ministère de la Santé cette année-là, et met en avant l’éthique du médecin pour qui le soulagement de la douleur du patient est aux fondements de sa profession. Toutefois, à partir de novembre 1993, REPSUD avait décidé de ne plus recommander le Palfium® sur la liste des produits utilisables en substitution. En 1996, Albert Cohen, médecin parisien membre de REPSUD, est sanctionné de la même manière par les instances ordinales qui lui reprochent ordonnances de complaisance et traitements dangereux au Temgésic® ou au Palfium® (un de ses patients est mort d’overdose en 1994) : en colère, le médecin entame une grève de la faim devant le siège du conseil de l’ordre20. Des abus peuvent toujours survenir : REPSUD jugeait ainsi que Khouri était devenu beaucoup trop complaisant dans des consultations qui ne duraient que cinq minutes et très large dans ses prescriptions : ce à quoi le médecin se défendait en parlant de « médecine d’urgence » sur un « territoire ravagé par la came et le sida » comme Belleville. Tandis que les toxicomanes rusés continuaient de solliciter et de cumuler des prescriptions : Khouri souligne ainsi dans son entretien avec Substitution Auto-Support en 1996 avoir débusqué quelques patients faisant la tournée des cabinets. Mais l’année même où les ennuis judiciaires commencent pour lui, les produits de substitution comme la méthadone ou le Subutex®, qui ont enfin obtenu leur AMM, deviennent accessibles à la prescription au 1er janvier, prenant petit à petit le pas, sans pour autant les supplanter, sur les autres opiacés de synthèse auparavant prescrits. À la fois poison et remède, le Palfium® illustre bien les paradoxes du pharmakon, pour reprendre un terme de Platon qu’affectionnait particulièrement Olievenstein. Mais les scandales et les overdoses qui lui sont désormais associés ont finalement raison de lui. Les laboratoires Synthélabo (qui avaient intégré Delalande en décembre 1991) décident donc d’en arrêter la commercialisation : l’histoire du Palfium® en France prend fin au soir du 31 décembre 1999… Une version plus complète de l’article est disponible en ligne sur vih.org. 24 Directeur de la publication Didier Jayle Rédacteur en chef Gilles Pialoux Secrétaire de rédaction Brigitte Hulin Comité de rédaction Florence Arnold-Richez Élisabeth Avril Philippe Batel Mustapha Benslimane Vincent Benso Catherine Brousselle Jean-Pierre Couteron Michel Gandilhon Marie Jauffret-Roustide Jimmy Kempfer† France Lert Alexandre Marchant Isabelle Michot Philippe Périn† Pierre Poloméni Brigitte Reboulot Gestion Amanda Baptista Réalisation graphique Céline Debrenne Impression : Alliance Reims Dépôt légal : à parution ISSN : 1277-7870 Commission paritaire : en cours SWAPS Chaire d’addictologie CNAM case 216 2, rue Conté 75003 Paris Téléphone : 01 58 80 87 31 [email protected] www.pistes.fr/swaps Publié par l’association Pistes (Promotion de l’information scientifique, thérapeutique, épidémiologique sur le sida), qui édite aussi Transcriptases et www.vih.org Avec le soutien financier de la Direction générale de la Santé MINISTÈRE DU TRAVAIL, DE L’EMPLOI ET DE LA SANTÉ Édito Swaps est en deuil. Après Jimmy Kempfer, parti il y a quelques mois, c’est Philippe Périn qui a rejoint les nuages qu’il aimait tant le 7 octobre dernier (voir page 2). Notre comité de rédaction s’orne désormais de deux †. Ce qui n’est pas rien pour une équipe plutôt « jeune » ! L’un comme l’autre avaient lutté jusqu’à l’épuisement contre une maladie aussi dramatique que violente. C’est avec toutes les équipes de Pistes, du Crips, du journal Le Monde où il travaillait, que sa famille et ses amis l’ont accompagné à Saint Eustache puis au cimetière de Montmartre le 15 octobre dernier. Ce numéro 79 de Swaps lui est dédié. C’est un numéro qu’il aurait aimé, avec notamment la dimension du voyage dans le bilan d’étape de Michel Gandilhon et Luis M. Rivera-Velez (page 10) sur la régulation du cannabis en Uruguay. Un pays particulièrement sous les feux de l’actualité dans la préparation de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unis sur la drogue (UNGASS) en mai 2016, sur laquelle Swaps reviendra très largement. Et où il est question de politique novatrice à l’égard du cannabis, dans lequel l’Uruguay s’est engagé, comme le Chili ou la Colombie. Et puis parce que c’est une tradition, à Transcriptases, à Vih.org et à Swaps, d’ouvrir le débat dès lors qu’il est contradictoire, nous avons ouvert nos colonnes à des échanges autour du matériel d’injection, tout particulièrement la notion d’« espace mort », avec un nouvel objectif de réduction des risques de lui associer les bénéfices d’une filtration efficace et de minimiser le volume mort (voir page 14). Ce numéro aurait plu aussi à Philippe, parce qu’il est à la fois un regard sur l’histoire, comme nous le faisons régulièrement dans Swaps avec Alexandre Marchant (voir page 20), qui rappelle ici les trois âges du Palfium®, produit issu de la pharmacopée détourné de son usage ou utilisé de manière profane comme outil de substitution. Et un regard sur le futur, avec Élisabeth Avril, qui nous invite à nous projeter dans l’avenir, jusqu’en 2030, suite à la réunion de Copenhague en juin dernier, sur les stratégies de politiques régionales de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Et ce dans les domaines du VIH, des hépatites et des infections sexuellement transmissibles (voir page 18) où l’OMS a souvent le bon rôle pour distiller les orientations aux pays ou aux organismes de santé avec cet objectif ambitieux de promouvoir la réduction des risques en respectant les droits humains fondamentaux et en privilégiant la participation communautaire des populations cibles. Vaste programme. et du laboratoire GILLES PIALOUX, DIDIER JAYLE No 78 / 1er trimestre 2015
Documents pareils
SWAPS79_SWAPSmaquette copie
of two medication adherence and drug use interventions for HIV+ crack cocaine users. Drug Alcohol Depend 2011;116(1-3):177-87. 20 Greenwald MK, Lundahl LH, Steinmiller CL.
Plus en détail