Swaps 79 - Vih.org

Transcription

Swaps 79 - Vih.org
DÉBAT AUTOUR
DU MATÉRIEL D’INJECTION
Santé, réduction des risques et usages de drogues N o 79 / 2 e trimestre 2015
COCAÏNE
Seringues : l’« espace mort »
est un facteur de risque
des interventions
de santé publique
Réduction des risques :
pour les consommateurs de cocaïne / 4
état des lieux
Approches
pharmacodynamiques
Un défi d’ici 2030 :
Actualités
dans les troubles liés à l’usage de cocaïne / 7
/ 14
volume mort et filtration,
/ 16
intensifier la riposte
aux VIH, hépatites et infections
sexuellement transmissibles / 18
Régulation du cannabis
en Uruguay : bilan d’étape / 10
« Les trois âges du Palfium »
®
histoire d’un produit ambivalent
(France, 1957-1999) / 20
Philippe Périn, qui fut mon ami et le secrétaire de rédaction (SR)
de Transcriptases et de Swaps puis de vih.org, depuis la création jusqu’à
ce que la maladie l’en empêche, est mort le mercredi 7 octobre 2015, à l’aurore
qu’il aimait tant, entouré des siens, à son domicile, des suites d’une sclérose
latérale amyotrophique (SLA ou maladie de Charcot) à laquelle il a résisté
magnifiquement, jusqu’à son dernier souffle. Une maladie qui n’avait en rien
affecté ses qualités cognitives, d’homme, d’érudit, d’intellectuel. Et qui eut
même comme retombée d’amplifier ses qualités de poète, voyageant dans
sa tête sur ses deux écrans. Injuste dans sa violence, la SLA lui avait pourtant
laissé jusqu’aux jours précédant le dernier, l’usage de ses deux index,
posés sur ses souris. Il se tenait ainsi, via le Net, informé du monde, du rugby
à la réduction des risques (RdR) dont il fût, de sa place, un artisan.
Philippe est parti avec « élégance et légèreté » comme il l’avait souhaité.
Et comme il a toujours vécu ! Quelques mois après Jimmy Kempfer, avec lequel
il avait échangé quelques pudeurs.
Philippe était arrivé à Swaps et à Transcriptases dans le sillage d’une amitié
de 32 ans, lorsque Didier Jayle avait construit l’idée de Pistes. Tout
naturellement, malgré ses multiples tâches de secrétaire de rédaction
de l’époque (Le Journal du Dimanche, L’Équipe, puis Le Monde).
Il y avait donné de son temps, implacable dans la relecture, me soutenant
dans mon indisponibilité, y tissant des amitiés fortes (Isabelle Célérier,
Michel Gandilhon, William Ho Van Cam, Vincent Perrottet, Lydie Desplanques,
Céline Debrenne et bien d’autres). Voyageant avec le Crips aux conférences
internationales, de Yokohama à Durban, de Mexico à Vienne pour les numéros
spéciaux de Transcriptases avec l’Agence nationale de recherche sur le sida
(ANRS). Apportant à chaque fois sa bonne humeur tranquille, sa conscience
professionnelle intransigeante, son érudition, sa générosité. Jusqu’à
son écriture sous le pseudonyme de Nestor Hervé (N. Hervé), envoyé spécial
de la RdR, de Barcelone à Beyrouth.
Toute la rédaction de Swaps/vih.org, Didier Jayle, Michel Kazatchkine,
Charles Roncier, se joint en une pensée émue pour sa femme, pour ses enfants,
Dora, Juliette et Victor, pour l’ensemble de sa famille et ses amis.
Gilles Pialoux
La photographie est de Philippe Voisin.
4
MISE AU POINT
des interventions
de santé publique
Actualités
pour les consommateurs de cocaïne
Perrine Roux / INSERM, U912 (SESSTIM), Marseille ; Aix-Marseille université, IRD, UMR-S912 Marseille ; 3ORS PACA,
Observatoire régional de la santé Provence-Alpes-Côte d’Azur, Marseille
Laurent Karila / Département d’addictiologie, Hôpital universitaire Paul-Brousse, AP-HP, Groupe Hospitalier Paris-Sud ;
CEA-INSERM U1000
La cocaïne a connu en France une diffusion croissante au cours des années 1990. En effet, parmi les 18-44 ans,
le pourcentage des personnes ayant déclaré l’avoir expérimentée est passé de 1,7 % en 2000 à 3,8 % en 2010
(0,9 % en ont consommée au cours de l’année) 1. Aujourd’hui en France, 44 % des usagers de drogues qui
fréquentent les structures de réduction des risques et des dommages tels que les Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD) déclarent avoir consommé de
la cocaïne (chlorhydrate ou base) au cours du dernier mois parmi lesquels près de la moitié en consomment plus d’une fois par semaine 2.
1 Beck F, Tovar ML, Spilka S, Guignard R, Richard
JB. Les niveaux d’usage des drogues en France
en 2010, exploitation des données du Baromètre
santé 2010. Tendances. OFDT, OFDT. 2011;76:6.
2 Cadet-Taïrou A, Saïd S. Profils et pratiques
des usagers des CAARUD en 2012.
Tendances. OFDT, 2015.
3 Jauffret-Roustide M, Pillonel J, Weill-Barillet L
et al. Estimation de la séroprévalence du VIH
et de l’hépatite C chez les usagers de drogues
en France - Premiers résultats de l’enquête
ANRS-Coquelicot 2011. BEH 2013: 39-40.
4 Fuller CM, Ompad DC, Galea S et al.
Hepatitis C incidence--a comparison between
injection and noninjection drug users in New
York City. J Urban Health 2004;81(1):20-4.
5 Macias J, Palacios RB, Claro E et al. High
prevalence of hepatitis C virus infection
among noninjecting drug users: association
with sharing the inhalation implements
of crack. Liver Int 2008;28(6):781-6.
6 EMCDDA. EMCDDA-Europol 2009 Annual
Report on the implementation of Council
Decision 2005/387/JHA. 2010.
7 Karila L, Petit A, Lowenstein W, Reynaud M.
Diagnosis and consequences of cocaine
addiction. Curr Med Chem 2012;19(33):5612-8.
L’enquête Coquelicot réalisée auprès des usagers de drogues fréquentant les Centres de
soins, d’accompagnement et de prévention en
addictologie (CSAPA) et les CAARUD montre
que les principaux produits psychoactifs illicites consommés au cours du dernier mois sont
le crack (33 %) et le chlorhydrate de cocaïne
(poudre) (28 %)3. Les données de cette même
étude montrent que la séroprévalence globale
du VIH est de 10 % et celle du VHC de 44 %
chez les usagers de drogues. Il semblerait que
parallèlement à l’épidémie de VIH qui a connu
une décroissance importante depuis les années
1990 avec l’accès aux traitements de substitution aux opiacés (TSO) et aux programmes
échange de seringues (PES), la prévalence du
VHC n’a pas connu de diminution marquée
chez les usagers de drogues (UD). Les pratiques à risque qui favoriseraient la circulation
du VHC ont un lien avec la consommation de
stimulants dont la cocaïne. En effet, par leurs
propriétés psychostimulantes et leur durée
d’action courte dans l’organisme, ces substances
conduisent à une fréquence de consommation plus élevée
qu’avec les opiacés d’où un risque majoré 4,5.
Par extrapolation des données nord-américaines, 5 % des
usagers de cocaïne entre 15 et 44 ans deviendraient
dépendants dans la première année d’usage et environ
20 % à long terme6. Les drogues psychostimulantes
comme la cocaïne sont caractérisés par un cycle clinique
comprenant des symptômes d’allure maniaque (euphorie), syndrome de sevrage, besoin irrépressible de
consommer (craving), déni du trouble, trouble de la prise
de décision et consommation de produit malgré la
connaissance des conséquences négatives7. Une revue
de la littérature montre que les consommateurs de
cocaïne ou de crack ont des taux de mortalité quatre à
huit fois plus élevés que la population générale8.
Pourtant, il est reconnu que peu d’interventions dédiées
aux consommateurs de cocaïne ont montré des résultats
satisfaisants et qu’il n’existe pas de « gold standard »
pharmacologique9. Et, à la différence des opiacés, il
n’existe aucun traitement de substitution10, même si les
dérivés amphétaminiques à longue durée d’action pour-
5
8 Degenhardt L, Singleton J, Calabria J et al.
Mortality among cocaine users: a systematic
review of cohort studies. Drug Alcohol Depend
2011;113(2-3):88-95.
9 Fischer B, Blanken P, Da Silveira D et al.
Effectiveness of secondary prevention and
treatment interventions for crack-cocaine
abuse: a comprehensive narrative overview of
English-language studies. Int J Drug Policy
2015;26(4):352-63.
raient avoir des effets positifs sur les sujets
dépendants à la cocaïne11. Il apparaît qu’une
modification des usages de drogues ainsi
qu’un accès limité aux soins pour les hépatites
créent un important besoin de nouvelles stratégies de prévention de la transmission du VHC
et autres complications liées à l’usage de
drogue.
10 Karila L, Reynaud M, Aubin HJ et al.
Pharmacological treatments for cocaine
dependence: is there something new?
Curr Pharm Des 2011;17(14):1359-68.
Interventions pour les
consommateurs problématiques
11 Mariani JJ, Levin FR. Psychostimulant
de cocaïne/crack
treatment of cocaine dependence. Psychiatr
Clin North Am 2012;35(2):425-39.
12 Hershberger SL, Wood MM, Fisher DG.
A cognitive-behavioral intervention to reduce
HIV risk behaviors in crack and injection drug
users. AIDS Behav 2003;7(3):229-43.
13 Wechsberg WM, Lam WK, ZuleWA, Bobashev G.
Efficacy of a woman-focused
intervention to reduce HIV risk and
increase self-sufficiency among
African American crack abusers.
Am J Public Health 2004;94(7):1165-73.
14 Strathdee SA, Navarro JR. Commentary
on Salmon et al. The case for safer inhalation
facilities--waiting to inhale. Addiction
2010;105(4):684-5.
15 Malchy LA, Bungay V, Johnson JL, Buxton J.
Do crack smoking practices change with
the introduction of safer crack kits?
Can J Public Health 2011;102(3):188-92.
16 Maude-Griffin PM, Hohenstein JM,
Humfleet GL et al. Superior efficacy of
cognitive-behavioral therapy for urban crack
cocaine abusers: main and matching effects.
J Consult Clin Psychol 1998;66(5):832-7.
17 Karila L, M Reynaud M. Guide pratique
de thérapie cognitive et comportementale:
troubles liés à l’usage de cocaïne ou
de drogues stimulantes. Eds Lavoisier, 2012.
18 Dutra L, Stathopoulou G, Basden SL et al.
A meta-analytic review of psychosocial
interventions for substance use disorders.
Am J Psychiatry 2008;165(2):179-87.
19 Ingersoll KS, Farrell-Carnahan L, CohenFilipic J et al. A pilot randomized clinical trial
of two medication adherence and drug use
interventions for HIV+ crack cocaine users.
Drug Alcohol Depend 2011;116(1-3):177-87.
20 Greenwald MK, Lundahl LH, Steinmiller CL.
Sustained release d-amphetamine reduces
cocaine but not ‘speedball’-seeking
in buprenorphine-maintained volunteers:
a test of dual-agonist pharmacotherapy
for cocaine/heroin polydrug abusers.
Neuropsychopharmacol 2010;35(13):2624-37.
21 Conners NA, Bradley RH, Whiteside-Mansell L,
Crone CC. A comprehensive substance
abuse treatment program for women
and their children: an initial evaluation.
J Subst Abuse Treat 2001;21(2):67-75.
22 Volkow ND, Fowler JS, Wang GJ, Goldstein RZ.
Role of dopamine, the frontal cortex and memory
circuits in drug addiction: insight from imaging
studies. Neurobiol Learn Mem 2002;78(3):610-24.
Une récente revue de la littérature sur la prévention secondaire et les interventions thérapeutiques actuelles pour les consommateurs
problématiques de cocaïne a montré des résultats mitigés9.
Du côté de la prévention, des interventions psychosociales ou comportementales ont montré
leur efficacité en termes de réduction des pratiques à risque de VIH dans certaines populations12,13. D’autres dispositifs permettent de
réduire les risques liés à l’usage de cocaïne par
voie intraveineuse tels que les salles de
consommations de drogues à moindres risques
et sembleraient pouvoir être appliqués aux
consommateurs par voie intranasale ou inhalée
(forme base)14. La distribution de matériel stérile, à usage unique ou plus adapté pour les
consommateurs de cocaïne par voie inhalée ou
intranasale permet également de diminuer les
pratiques à risque de VIH et de VHC15.
Concernant les interventions thérapeutiques, il
y en a trois types : la prise en charge psychosociale, les traitements adjuvants et les traitements pharmacologiques de la dépendance à
la cocaïne. La prise en charge psychosociale
existe sous plusieurs formes avec des niveaux
d’efficacité différents. Les auteurs citent la
thérapie cognitivo-comportementale (TCC)16
qui reste aujourd’hui l’un des traitements de
référence pour la dépendance à la cocaïne (prévention de rechute, réduction des risques)17
mais qui n’a pas montré de preuve d’efficacité
suffisante18, les entretiens motivationnels
(pendant la phase de sevrage)19, le management ou la gestion des contingences (thérapie
comportementale fondée sur le renforcement
positif)20 et les sevrages thérapeutiques résidentiels21. Les traitements adjuvants ont montré des résultats mitigés tels que l’acupuncture,
les médicaments anti-craving, la stimulation cérébrale.
Aujourd’hui les espoirs se tournent vers des traitements
pharmacologiques pour la dépendance à la cocaïne. C’est
pourquoi de nombreuses molécules sont à l’essai, sur la
base théorique de trois différentes approches : l’approche
pharmacodynamique ou l’impact de la cocaïne sur le système de récompense et sur les neurotransmetteurs impliqués dans la neurobiologie du trouble22, l’approche substitutive avec l’utilisation d’agonistes pharmacologiques
et l’approche pharmacocinétique avec l’immunothérapie
dynamique9,23.
Médicaments agissant sur les mécanismes
biologiques de la dépendance à la cocaïne
Les agents glutamatergiques tels que le N-acétyl-cystéine
ont montré des résultats mitigés, même si un essai récent
a montré l’intérêt d’en prescrire à haut dosage après un
temps d’arrêt de la cocaïne. Le modafinil, à la fois glutamatergique et GABAergique, n’a pas montré d’efficacité
supérieure au placebo dans différentes études, même si
les espoirs se tournaient vers des sujets de sexe masculin,
dépendants à la cocaïne, ayant une consommation excessive d’alcool24,25, le topiramate présente des résultats
mitigés et ceux sur l’acamprosate ou la mémantine ont
été largement négatifs. Les méta-analyses sur les agents
gabaergiques (vigabatrine, baclofène, tiagabine) ne montrent pas de preuve d’efficacité26. Le baclofène pourrait
être testé à hautes doses comme agent de la prévention
de la rechute. Parmi les agents dopaminergiques, le disulfiram a montré des résultats positifs mais présentent un
certain nombre d’effets indésirables. Le bupropion, la
lévodopa ainsi que les antidépresseurs n’ont pas montré
d’efficacité. Les antipsychotiques dont la rispéridone,
l’olanzapine, la quétiapine ou l’aripiprazole n’ont pas
montré de résultats positifs pour la dépendance à la
cocaïne27. La piste des combinaisons médicamenteuses
est en cours d’évaluation.
Taitements agonistes dits « de substitution»
Il s’agit des traitements indiqués dans les troubles du
déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH). Aux ÉtatsUnis, la dexamphétamine et la lysdexamphétamine et, en
France, le méthylphénidate sont utilisés. Il est important
de noter que 30 % des sujets dépendants à la cocaïne ont
des antécédents de TDAH.
Immunothérapie
Comme la vaccination curative, elle consiste à induire la
production d’anticorps anti-cocaïne qui permettrait de
réduire l’euphorie, le craving, et donc la consommation
de cocaïne. Cependant, les résultats seraient positifs
1
6
23 Karila L, Zarmdini R, Petit A et al. Cocaine
addiction: current data for the clinician.
Presse Med 2014;43(1):9-17.
24 Anderson AL, Reid MS, Li SH et al. Modafinil
for the treatment of cocaine dependence.
Drug Alcohol Depend 2009;104(1-2):133-9.
25 Dackis CA, Kampman KM, Lynch KG et al.
A double-blind, placebo-controlled trial
of modafinil for cocaine dependence.
J Subst Abuse Treat 2012;43(3):303-12.
seulement dans des sous-populations avec
des effets de courte durée28. Différentes
équipes travaillent sur des vaccins, des
anticorps monoclonaux pour gérer les surdosages et sur des enzymes métabolisant
la cocaïne.
Espoirs tournés vers des
Anticonvulsant drugs in cocaine dependence: traitements agonistes pour
a systematic review and meta-analysis.
J Subst Abuse Treat 2010;38(1):66-73. la dépendance à la cocaïne
26 Alvarez Y, Farre M, Fonseca F, Torrens M.
27 Amato L, Minozzi S, Pani PP, Davoli M.
Antipsychotic medications for cocaine dependence.
Cochrane Database Syst Rev 2007;(3):CD006306.
28 Haney M, Gunderson EW, Jiang H et al.
Cocaine-specific antibodies blunt
the subjective effects of smoked cocaine
in humans. Biol Psychiatry 2010;67(1):59-65.
29 Martinez D, Greene K, Broft A et al. Lower
level of endogenous dopamine in patients
with cocaine dependence: findings from PET
imaging of D (2)/D (3) receptors following
acute dopamine depletion. Am J Psychiatry
2009;166(10):1170-7.
30 Martinez D, Carpenter KM, Liu F et al. Imaging
dopamine transmission in cocaine dependence:
link between neurochemistry and response
to treatment. Am J Psychiatry 2011;68(6):634-41.
31 Czoty PW, Gould RW, Martelle JL, Nader MA.
Prolonged attenuation of the reinforcing strength
of cocaine by chronic d-amphetamine in rhesus
monkeys. Neuropsychopharmacol 2011;36(2):539-47.
32 Mooney ME, Herin DV, Schmitz JM et al. Effects
of oral methamphetamine on cocaine use:
a randomized, double-blind, placebo-controlled
trial. Drug Alcohol Depend 2009;101(1-2):34-41.
33 Greenwald MK, Ledgerwood DM, Lundahl LH,
Steinmiller CL. Effect of experimental analogs
of contingency management treatment on
cocaine seeking behavior. Drug Alcohol
Depend 2014;139:164-8.
34 Rush CR, Stoops WW. Agonist replacement
therapy for cocaine dependence: a translational
review. Future Med Chem 2012;4(2):245-65.
35 Kim JH, Lawrence AJ. Drugs currently in
Phase II clinical trials for cocaine addiction.
Expert Opin Investig Drugs 2014;23(8):1105-22.
36 Ferris MJ, Calipari ES, Mateo Y et al. Cocaine
self-administration produces
pharmacodynamic tolerance: differential
effects on the potency of dopamine transporter
blockers, releasers, and methylphenidate.
Neuropsychopharmacol 2012;37(7):1708-16.
37 Collins SL, Levin FR, Foltin RW et al.
Response to cocaine, alone and in combination
with methylphenidate, in cocaine abusers with
ADHD. Drug Alcohol Depend 2006;82(2):158-67.
38 Levin FR, Evans SM, Brooks DJ, Garawi F.
Treatment of cocaine dependent treatment
seekers with adult ADHD: double-blind
comparison of methylphenidate and placebo.
Drug Alcohol Depend 2007;87(1):20-9.
39 Levin FR, Mariani JJ, Bisaga A, Nunes EV et al.
Sustained-release methylphenidate in a
randomized trial of treatment of
methamphetamine use disorder. Addiction 2015.
Il semblerait que les personnes dépendantes à la cocaïne qui ne répondent pas à
la psychothérapie de référence soient
caractérisées par un déficit en certains
neurotransmetteurs (tels que la dopamine)
impliqués dans les processus neurobiologiques des addictions et qu’il serait pertinent de proposer des traitements dits « de
substitution »29. Il a été montré que parmi
des individus dépendants à la cocaïne, en
plus du déficit dopaminergique, les nonrépondants à la TCC avaient une histoire
de consommation de cocaïne beaucoup
plus longue que les répondants30. Les premières études réalisées chez le singe ont
montré que l’administration prolongée de
d-amphétamine permettait de réduire la
tolérance à la cocaïne31. D’autres études
sur l’homme ont mis en évidence la capacité des dérivés amphétaminiques à diminuer la prise de cocaïne chez des usagers
de drogues32,33. Une revue de la littérature
suggère que la recherche sur les traitements agonistes tels que les analogues
amphétaminiques pour la dépendance à la
cocaïne pourrait permettre d’identifier des
agents thérapeutiques efficaces34. Une
publication sur les médicaments actuellement en essai clinique de phase II pour la
dépendance à la cocaïne donnent les sels
d’amphétamines comme le traitement le
plus prometteur35. Il est reconnu que la
mise en place d’essais cliniques plus
larges, randomisés, incluant des populations plus homogènes et comparant à un
placebo est nécessaire afin de répondre à
cette question majeure de recherche clinique10. Le méthylphénidate (Ritaline®) a
été identifié comme prometteur de par son
profil mixte d’inhibiteur de la recapture de
la dopamine à faible dose et libérateur de
dopamine à forte dose36. Dans une étude expérimentale
d’auto-administration, il est montré que, chez des
consommateurs de cocaïne atteint de TDAH, le méthylphénidate (Ritaline®) diminuerait significativement les
effets subjectifs positifs de la cocaïne ainsi que la fréquence des prises de cocaïne37,38. Même si certaines
études présentent des résultats négatifs pour le MPH
dans la dépendance à la cocaïne et que ce traitement
serait plus efficace pour les personnes dépendantes à la
méthamphétamine, il est important de rappeler que ces
traitements pharmacologiques doivent s’adresser à des
personnes présentant une plus grande sévérité de la
dépendance et doivent être administrés à des doses suffisamment élevées11,39. De plus, la prise en compte de
certains troubles tels que le TDAH doit permettre de guider le choix des molécules. L’idée de ces traitements est
de permettre à des personnes dépendantes à la cocaïne,
présentant des pratiques à risque très problématiques et
en demande de soins d’accéder à un suivi médical
adapté qui leur permette à la fois de réduire leur consommation de cocaïne et de rester dans les soins.
Pour en savoir plus
Buchanan D, Tooze JA, Shaw S et al.
Demographic, HIV risk behavior, and health
status characteristics of “crack” cocaine
injectors compared to other injection
drug users in three New England cities.
Drug Alcohol Depend 2006;81(3):221.
Castells X, Casas M, Perez-Mana C et al.
Efficacy of psychostimulant drugs for cocaine
dependence. Cochrane Database Syst Rev
2010;(2):CD007380.
Emmanuelli J, Desenclos. Harm reduction
interventions, behaviours and associated
health outcomes in France, 1996-2003.
Addiction 2005;100(11):1690-700.
Kasanetz F, Deroche-Gamonet V, Berson N et al.
Transition to addiction is associated with a
persistent impairment in synaptic plasticity.
Science 2010;328(5986):1709-12.
O’Brien MS, Anthony JC. Risk of becoming
cocaine dependent: epidemiological estimates
for the United States, 2000-2001.
Neuropsychopharmacol 2005;30(5):1006-18.
Wilkins L, Bissell P, Meier PS. Risky injecting
practices associated with snowballing:
a qualitative study. Drug Alcohol Rev
2010;29(3):256-62.
7
MISE AU POINT
Approches
pharmacodynamiques
dans les troubles liés à l’usage de cocaïne
Laurent Karila / Service d’addictologie, hôpital Paul-Brousse, université Paris Sud-11, Inserm U1000, porte-parole de SOS
Addictions (www.sos-addictions.org), [email protected], Twitter : @laurentKarila
William Lowenstein / Médecin interniste, addictologue, président de SOS Addictions
Aucun traitement pharmacologique n’a d’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le trouble lié à
l’usage de cocaïne, quelle que soit son intensité. Différentes approches pharmacologiques sont utilisées en
regard des données actuelles de la littérature. Il existe notamment l’approche cinétique via l’immunothérapie (vaccins, anticorps monoclonaux) en cours d’étude chez l’homme que nous ne traiterons pas dans
cet article. En pratique clinique, l’approche est pharmacodynamique, à savoir l’utilisation d’agents pharmacologiques ayant une action sur différents types de récepteurs/transporteurs cérébraux.
Agents dopaminergiques
Le disulfiram, découvert comme traitement potentiel de
la dépendance à l’alcool à la fin des années 1930, a
rendu involontairement abstinents des laborantins exposés à ce médicament après avoir bu de l’alcool1.
Cette molécule a comme principale action pharmacologique d’inhiber l’aldéhyde déshydrogénase et la dopamine
β-hydroxylase (DBH), enzyme intervenant dans la conversion dopamine-noradrénaline, en augmentant les taux
cérébraux de dopamine et en diminuant les taux de noradrénaline. Elle aurait donc un effet agoniste-like dopaminergique. Un métabolite du disulfiram pouvait bloquer les
récepteurs glutamatergiques2.
Le disulfiram, comparé au placebo, est à l’origine d’une
réduction significative de la consommation de
cocaïne3,4, de la dysphorie, du craving, et un rôle dans le
maintien de l’abstinence5. La posologie de choix dans les
études est de 250 mg/j. Cependant, une étude a montré
l’intérêt de l’utilisation de cette molécule en mg/kg. Une
posologie de 4 mg/kg diminuerait la prise de cocaïne6.
L’approche pharmacogénétique a montré que des
patients ayant des génotypes ANKK1, DRD2 ou les deux,
MTHFR, DBH pourraient être identifiés comme candidats
au disulfiram7-9. Une étude en phase II, évaluant l’efficacité et la tolérance du nepicastat, un inhibiteur de la DBH
dans la réduction de l’usage de cocaïne chez des sujets
dépendants à la cocaïne, est en cours10. Le choix de l’utilisation du disulfiram chez les sujets dépendants à la
cocaïne doit prendre en compte la question de l’usage
d’alcool quelle que soit son intensité.
Agents GABAergiques
Le baclofène (cf. Swaps no 73, 4e trimestre 2013), agoniste non sélectif GABAB, est principalement utilisé
comme antispastique dans les pathologies neurologiques
(sclérose en plaques, atteintes médullaires)11.
Une étude préliminaire avait montré que le baclofène
possédait des propriétés anticraving cocaïne12, à une
posologie entre 20 et 40 mg/j chez des patients dépendants à la cocaïne13.
Un essai contrôlé en double aveugle contre placebo durant
16 semaines a montré que le baclofène (60 mg/j) était
1
8
plus efficace chez les sujets qui avaient une consommation importante de cocaïne14. Une récente étude multicentrique contrôlée contre placebo n’a cependant pas
confirmé l’efficacité du baclofène (60 mg/j) dans la
réduction de l’usage et du craving en cocaïne, surtout
chez les sujets sévèrement dépendants15. D’autres études
semblent nécessaires avec de plus hautes posologies
dans le sevrage thérapeutique mais également dans la
prévention de la rechute. Une étude d’imagerie cérébrale,
en phase II, testant le baclofène à libération prolongée est
en cours10. Il n’est pas possible d’envisager une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) pour le baclofène dans l’indication « trouble lié à l’usage de cocaïne ».
Agents noradrénergiques
La cocaïne agit aussi sur le système noradrénergique. Un
essai contrôlé contre placebo avec la doxazosine retrouve
une diminution des effets stimulants de la cocaïne et une
tendance à la réduction du craving16. Une étude pilote avec
une prise sur quatre semaines de doxazosine (8 mg/j)
retrouve une diminution de la consommation de cocaïne17.
Un essai avec le bipéridène (antagoniste cholinergique) a
montré une réduction du craving et de l’usage de cocaïne18.
Agents glutamatergiques
Via un système d’échange cystine/glutamate, la N-acétyl
cystéine (NAC) peut normaliser les taux de glutamate et
diminuer le comportement de recherche de cocaïne19.
Peu d’effets indésirables ont été rapportés à une posologie de 1 200 mg/j (prurit, diarrhée, céphalées, douleurs
abdominales) et cette molécule est bien tolérée20. Une
tendance à la réduction du syndrome de sevrage était
observée. En présence d’images de cailloux de cocaïne,
de poudre, de paille, la NAC réduirait l’intérêt de consommer de la cocaïne et le craving21,22. Une étude pilote a
évalué trois posologies différentes (1 200, 2 400 et
3 600 mg/j). Elle a montré un taux de rétention plus élevé
pour les patients ayant eu les deux posologies les plus
élevées, avec une diminution ou un arrêt de la consommation de cocaïne23. La NAC pourrait jouer un rôle dans la
prévention de la rechute à la posologie de 2 400 mg/j24.
la posologie de 200 mg/j, n’a pas montré d’efficacité chez
les fumeurs de crack29, ni à la posologie de 300 mg/j chez
les patients sous méthadone30.
L’efficacité de la combinaison topiramate-sels d’amphétamines à libération prolongée a été montrée supérieure
au placebo, permettant trois semaines d’arrêt continu de
la consommation31. D’autres études sont en cours.
Le modafinil est un traitement pharmacologique utilisé
dans la narcolepsie avec ou sans cataplexie ou dans
l’hypersomnie idiopathique32. La prescription de cette
molécule est non autorisée en France en dehors de la
narcolepsie.
Les études retrouvent différents types de résultats
comme une réduction du craving33-35 , une réduction de
l’euphorie34,36 et le maintien de l’abstinence34. Il existe
de meilleurs résultats chez l’homme non dépendant à
l’alcool, à la posologie de 400 mg/j33 avec une amélioration cognitive37,38 et une action sur les circuits cérébraux
motivationnels et cognitifs39. Une étude contrôlée contre
placebo n’a pas retrouvé d’efficacité du modafinil dans
la réduction de la consommation et le maintien d’abstinence40. Cet agent pharmacologique n’améliorait pas
non plus cliniquement les fumeurs de crack dans une
étude ouverte hollandaise41. Cependant, une étude
contrôlée récente a montré que le modafinil pourrait être
un traitement efficace à la posologie de 300 mg/j chez les
sujets dépendants à la cocaïne, mais non dépendants à
l’alcool42. Une étude contrôlée contre placebo, utilisant
l’imagerie cérébrale fonctionnelle évaluant le modafinil
chez des sujets dépendants à la cocaïne, a été réalisée
(programme hospitalier de recherche clinique [PHRC]
Cocaine Addiction Imaging Medications And Neurotransmitters study [CAIMAN], Karila et al., soumis). En termes
de combinaison thérapeutique, la combinaison modafinil-d-amphétamine n’est pas efficace chez l’homme43.
Autres traitements
La progestérone a fait l’objet d’une étude contrôlée contre
placebo, sur 12 semaines, chez des femmes en post-partum ayant un trouble lié à l’usage de cocaïne. Des résultats préliminaires ont montré une réduction de l’usage de
cocaïne dans le groupe traité par progestérone44.
Agents glutamatergiques mixtes
Le topiramate, médicament anticonvulsivant, permettrait
une réduction du craving25,26 et le maintien d’abstinence27.
Différentes études contrôlées avec le topiramate à la posologie de 300 mg/j contre placebo, combiné à de la thérapie
cognitive et comportementale, ont montré une réduction de
la consommation et du craving25. Il a également été montré une réduction de la consommation de cocaïne chez des
patients comorbides (cocaïne et alcool)28. Le topiramate, à
Conclusion
Les résultats des études contrôlées avec différents
agents pharmacologiques sont encore insuffisants. De
nombreux essais thérapeutiques sont en cours. Les
approches vaccinale et substitutive sont des pistes activement étudiées également. Les traitements pharmacologiques présentés dans cet article restent des tendances.
9
En pratique clinique, la prise en charge d’un sujet souffrant d’une addiction à la cocaïne doit s’inscrire dans un
programme intégré et multimodal d’une durée d’au moins
12 mois prenant en compte l’initiation et le maintien de
l’abstinence. Outre l’évaluation somatique (cardiovasculaire, infectieuse, ORL, etc.), cognitive, psychiatrique, la
phase de sevrage comprend l’utilisation d’un traitement
pharmacologique combiné à trois ou quatre séances
1 Karila L, Reynaud M. Therapeutic
approaches to cocaine addiction. La Revue
du praticien 2009 ; 59 : 830-4.
The status of disulfiram: a half of a century
later. J Clin Psychopharmacol 2006;26:290-302.
14 Shoptaw S, Yang X, Rotheram-Fuller EJ,
Hsieh YC, Kintaudi PC, Charuvastra VC, et al.
Randomized placebo-controlled trial
of baclofen for cocaine dependence:
preliminary effects for individuals with
chronic patterns of cocaine use.
J Clin Psychiatry 2003;64:1440-8.
3 Carroll KM, Nich C, Ball SA, McCance E,
15 Kahn R, Biswas K, Childress AR, Shoptaw S,
Frankforter TL, Rounsaville BJ. One-year
follow-up of disulfiram and psychotherapy
for cocaine-alcohol users: sustained effects
of treatment. Addiction 2000;95:1335-49.
Fudala PJ, Gorgon L, et al. Multi-center trial
of baclofen for abstinence initiation in severe
cocaine-dependent individuals. Drug Alcohol
Depend 2009;103:59-64.
4 Higgins ST, Budney AJ, Bickel WK,
Hughes JR, Foerg F. Disulfiram therapy
in patients abusing cocaine and
alcohol. Am J Psychiatry 1993;150:675-6.
16 Newton TF, De La Garza R 2nd, Brown G,
2 Suh JJ, Pettinati HM, Kampman KM, O’Brien CP.
5 Stezhka T. Disulfiram: old addiction
drug gains new support. Expert Rev Clin
Pharmacol 2013;6:101.
6 Haile CN, De La Garza R 2nd, Mahoney JJ 3rd,
Nielsen DA, Kosten TR, Newton TF. The impact
of disulfiram treatment on the reinforcing
effects of cocaine: a randomized clinical trial.
PloS one 2012;7:e47702.
7 Spellicy CJ, Kosten TR, Hamon SC, Harding MJ,
Nielsen DA. ANKK1 and DRD2 pharmacogenetics
of disulfiram treatment for cocaine abuse.
Pharmacogenet Genomics 2013;23:333-40.
8 Spellicy CJ, Kosten TR, Hamon SC, Harding
MJ, Nielsen DA. The MTHFR C677T variant is
associated with responsiveness to disulfiram
treatment for cocaine dependency. Front
Psychiatry 2013;3:109.
9 Kosten TR, Wu G, Huang W, Harding MJ,
Hamon SC, Lappalainen J, et al.
Pharmacogenetic randomized trial
for cocaine abuse: disulfiram and
dopamine beta-hydroxylase.
Biol Psychiatry 2013;73:219-24.
10 Kim JH, Lawrence AJ. Drugs currently in
Phase II clinical trials for cocaine addiction.
Expert Opin Investig Drugs 2014;23:1105-22.
Kosten TR, Mahoney JJ 3rd, Haile CN.
Noradrenergic 1 receptor antagonist
treatment attenuates positive subjective
effects of cocaine in humans: a randomized
trial. PLoS One 2012;7:e30854.
17 Shorter D, Lindsay JA, Kosten TR.
The alpha-1 adrenergic antagonist doxazosin
for treatment of cocaine dependence: A pilot
study. Drug Alcohol Depend 2013;131:66-70.
18 Dieckmann LH, Ramos AC, Silva EA,
Justo LP, Sabioni P, Frade IF, et al. Effects of
biperiden on the treatment of cocaine/crack
addiction: a randomised, double-blind,
placebo-controlled trial. Eur
Neuropsychopharmacol 2014;24:1196-202.
19 Baker DA, McFarland K, Lake RW, Shen H,
Tang XC, Toda S, et al. Neuroadaptations in
cystine-glutamate exchange underlie cocaine
relapse. Nat Neurosci 2003;6:743-9.
20 LaRowe SD, Mardikian P, Malcolm R,
Myrick H, Kalivas P, McFarland K, et al.
Safety and tolerability of N-acetylcysteine
in cocaine-dependent individuals.
Am J Addic 2006;15:105-10.
21 Amen SL, Piacentine LB, Ahmad ME, Li SJ,
Mantsch JR, Risinger RC, et al. Repeated
N-acetyl cysteine reduces cocaine seeking
in rodents and craving in cocaine-dependent
humans. Neuropsychopharmacology
2011;36:871-8.
11 Karila L, Gorelick D, Weinstein A, Noble F,
22 LaRowe SD, Myrick H, Hedden S,
Benyamina A, Coscas S, et al. New treatments
Mardikian
P, Saladin M, McRae A, et al.
for cocaine dependence: a focused review. Int
J Neuropsychopharmacol 2008;11, 425-38. Is cocaine desire reduced by N-Acetylcysteine?
Am J Psychiatry 2007;164:1115-7.
12 Ling W, Shoptaw S, Majewska D. Baclofen
as a cocaine anti-craving medication:
23 Mardikian PN, LaRowe SD, Hedden S,
a preliminary clinical study.
Kalivas PW, Malcolm RJ. An open-label trial
Neuropsychopharmacology 1998;18:403-4.
of N-acetylcysteine for the treatment
13 Brebner K, Childress AR, Roberts DC.
of cocaine dependence: a pilot study.
Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry
A potential role for GABA (B) agonists in
2007;31:389-94.
the treatment of psychostimulant addiction.
Alcohol Alcohol 2002;37:478-84.
24 LaRowe SD1, Kalivas PW, Nicholas JS,
Randall PK, Mardikian PN, Malcolm RJ.
A double-blind placebo-controlled trial of
N-acetylcysteine in the treatment of cocaine
dependence. Am J Addict 2013;22:443-52.
d’entretiens motivationnels. Le maintien d’abstinence
utilise une autre approche pharmacologique combinée à
de la thérapie cognitive et comportementale (un guide
issu des travaux du National Institute on Drug Abuse
[NIDA], traduit en français, existe aux éditions Lavoisier).
Les agents pharmacologiques et les psychothérapies
pourraient aider à la réduction des dommages induits par
la cocaïne.
25 Johnson BA, Ait-Daoud N, Wang XQ,
Penberthy JK, Javors MA, Seneviratne C, et al.
Topiramate for the treatment of cocaine
addiction: a randomized clinical trial.
JAMA Psychiatry 2013;70:1338-46.
26 Reis AD, Castro LA, Faria R, Laranjeira R.
Craving decrease with topiramate
in outpatient treatment for cocaine
dependence: an open label trial. Rev Bras
Psiquiatr 2008;30:132-5.
37 Kalechstein AD, Mahoney JJ 3rd, Yoon JH,
Bennett R, De la Garza R 2nd, et al.
Modafinil, but not escitalopram, improves
working memory and sustained attention
in long-term, high-dose cocaine users.
Neuropharmacology 2013;64:472-8.
38 Mereu M, Bonci A, Newman AH, Tanda G.
The neurobiology of modafinil as an enhancer
of cognitive performance and a potential
treatment for substance use disorders.
Psychopharmacology (Berl) 2013;229:415-34.
27 Kampman KM. What’s new in
39 Goudriaan AE, Veltman DJ, van den Brink W,
the treatment of cocaine addiction?
Curr Psychiatry Rep 2010;12:441-7. Dom G, Schmaal L. Neurophysiological effects
of modafinil on cue-exposure in cocaine
28 Kampman KM, Pettinati HM, Lynch KG,
dependence: a randomized placebo-controlled
Spratt K, Wierzbicki MR, O’Brien CP. cross-over study using pharmacological fMRI.
A double-blind, placebo-controlled trial
Addict Behav 2013;38:1509-17.
of topiramate for the treatment of comorbid
40 Dackis CA, Kampman KM, Lynch KG,
cocaine and alcohol dependence.
Plebani JG, Pettinati HM, Sparkman T, et al.
Drug Alcohol Depend 2013;133:94-9.
A double-blind, placebo-controlled trial
29 Nuijten M, Blanken P, van den Brink W,
of modafinil for cocaine dependence.
Hendriks V. Treatment of crack-cocaine
J Subst Abuse Treat 2012;43:303-12.
dependence with topiramate: a randomized
41 Nuijten M, Blanken P, van den Brink W,
controlled feasibility trial in The Netherlands.
Hendriks V. Modafinil in the treatment
Drug Alcohol Depend 2014;138:177-84.
of crack-cocaine dependence in
30 Umbricht A, DeFulio A, Winstanley EL,
the Netherlands: Results of an open-label
Tompkins DA, Peirce J, Mintzer MZ, et al.
randomised controlled feasibility trial.
Topiramate for cocaine dependence during
J Psychopharmacol 2015;29:678-87.
methadone maintenance treatment:
42 Kampman KM, Lynch KG, Pettinati HM,
a randomized controlled trial. Drug Alcohol
Spratt K, Wierzbicki MR, Dackis C, et al.
Depend 2014;140:92-100.
A double blind, placebo controlled trial
31 Mariani JJ, Levin FR. Psychostimulant
of modafinil for the treatment of cocaine
treatment of cocaine dependence. Psychiatr
dependence without co-morbid alcohol
dependence. Drug Alcohol Depend
Clin North Am 2012;35:425-39.
2015;155:105-10.
32 Ballon JS, Feifel D. A systematic review
43
of modafinil : Potential clinical uses
Schmitz JM, Rathnayaka N, Green CE,
and mechanisms of action.
Moeller FG, Dougherty AE, Grabowski J.
J Clin Psychiatry 2006;67:554-66.
Combination of Modafinil and
d-amphetamine for the Treatment of Cocaine
33 Anderson AL, Reid MS, Li SH, Holmes T,
Dependence: A Preliminary Investigation.
Shemanski L, Slee A, et al. Modafinil
Front Psychiatry 2012;3:77.
for the treatment of cocaine dependence.
44
Drug Alcohol Depend 2009;104:133-9.
Yonkers KA, Forray A, Nich C, Carroll KM,
Hine C, Merry BC, et al. Progesterone Reduces
34 Dackis CA, Kampman KM, Lynch KG,
Cocaine Use in Postpartum Women with
Pettinati HM, O’Brien CP. A double-blind,
a Cocaine Use Disorder: A Randomized,
placebo-controlled trial of modafinil
Double-Blind Study.
for cocaine dependence.
Lancet Psychiatry 2014;1:360-7.
Neuropsychopharmacology 2005;30:205-11.
35 Hart CL, Haney M, Vosburg SK, Rubin E,
Foltin RW. Smoked cocaine selfadministration is decreased by modafinil.
Neuropsychopharmacology 2008;33:761-8.
36 Malcolm R, Swayngim K, Donovan JL,
DeVane CL, Elkashef A, Chiang N, et al.
Modafinil and cocaine interactions.
Am J Drug Alcohol Abuse 2006;32:577-87.
10
MISE AU POINT
Régulation du cannabis
en Uruguay : bilan d’étape
Luis M. Rivera-Velez / Doctorant en science politique, Sciences Po Paris.
L’auteur remercie vivement Michel Gandilhon pour les apports qui ont permis d’enrichir ce texte.
L’Uruguay est le premier pays au monde à avoir légalisé la production, la consommation et la vente du cannabis. Toutefois, contrairement à ce qui se passe au Colorado par exemple, cette régulation est très encadrée
par l’État. Outre l’autorisation de l’autoproduction individuelle et collective via les clubs associatifs, l’État
s’est engagé à permettre la commercialisation en pharmacie du cannabis pour une consommation récréative, ce dernier étant issu d’une production sous la forme d’un oligopole contrôlé par lui. C’est ce dernier
aspect qui fait de ce pays un cas unique, mais qui explique aussi les retards et les difficultés auxquels la
politique de régulation est confrontée.
Le 10 décembre 2013, le Sénat uruguayen adopte la loi
no 19.172 sur Le cannabis et ses dérivés. Cette loi autorise la consommation à des fins récréatives et légalise
l’obtention de la substance par trois moyens distincts : la
production pour une consommation personnelle, la production en club associatif de 15 et 45 membres, et la
vente en pharmacie de cannabis produit sous contrôle
étatique. De même, les expérimentations et utilisations à
des fins médicales et industrielles sont rendues légales.
L’Uruguay, pays de 3,3 millions d’habitants doté d’une
tradition démocratique forte, devient ainsi un cas
unique, se plaçant à l’avant-garde de la remise en question de la guerre à la drogue. Pour comprendre cette
exception uruguayenne, il est nécessaire de revenir sur
les facteurs sociaux et culturels qui caractérisent ce
pays, sans sous-estimer les obstacles propres à la
société uruguayenne qui se dressent devant cette nouvelle politique et qui expliquent les lenteurs
1 Garat G. Pour une histoire du cannabis
dans la mise en place d’un dispositif plus
en Uruguay. Marihuana y otras yerbas.
Montevideo : Debate. 2012. complexe qu’il n’y paraît.
Apparition d’une politique
de légalisation du cannabis
L’Uruguay est un des seuls pays de la région à avoir
échappé à un important trafic illicite de stupéfiants et à
l’emprise des organisations criminelles que celui-ci suppose. Mais l’histoire de la consommation des drogues
dans le pays est longue1, de même que celle des revendications tournant autour de la légalisation. Ainsi, en
1974, la possession de stupéfiants en « quantités
minimes, destinées exclusivement à une consommation
personnelle » (loi no 14.294) est dépénalisée. En 1986,
une « association anti-razzia » s’organise contre les
abus de la police envers les consommateurs de drogues,
son action étant couronnée de succès en 1989. En 1998,
une nouvelle loi relative aux stupéfiants distingue la
consommation de drogues de la délinquance, en remplaçant le terme de « quantités minimes » par « quantités
raisonnables » selon l’interprétation d’un juge (loi
no 17.016). En 2000, dès son arrivée à la présidence,
Jorge Batlle (2000-2005) met en avant « le besoin de
11
légaliser toutes les drogues » dans une perspective néolibérale pour résoudre le problème du trafic illicite de
stupéfiants.
Or, même si la volonté du président Batlle se trouve
noyée dans une conjoncture économique et sociale
désastreuse suite à la crise économique de 2002, c’est
sous son mandat qu’une politique de réduction des
risques est adoptée de manière institutionnelle. Cela est
fait à travers la création de la Junte nationale des
drogues (JND), un organe gouvernemental (sorte d’équivalent de la MILDECA en France) destiné à lutter pour la
réduction de l’offre, à favoriser la prévention de la
consommation et la réduction des dommages liés à la
consommation et qui travaille depuis sa création en lien
avec les organisations sociales.
Avec la crise, la consommation de pâte-base de coca
augmente, notamment dans les milieux défavorisés.
Mais, même si la pâte-base reste marginale, elle
déclenche une panique sociale aggravée par un traitement médiatique mettant en exergue l’insécurité et la
« déchéance sociale » consécutive à la consommation
de cette substance. Cela produit deux effets favorables
à l’actualisation de la législation sur les drogues.
Premièrement, à cette époque s’organise le Mouvement
pour la libération du cannabis, une coalition des
groupes sociaux d’autoproducteurs et de consommateurs de cannabis qui revendiquent la distinction entre
les drogues et prônent le respect du droit à la consommation de cannabis comme une liberté individuelle.
De même, la situation de la pâte-base conduit les parlementaires élus en 2010 à demander une étude sur les
addictions et ses conséquences sociales. Ce débat va
donner lieu à la rencontre des demandes sociales et politiques de la société civile avec les plus hautes institutions du pays pour déboucher sur une proposition de loi
coécrite par des représentants de différents partis politiques. La proposition vise à légaliser l’autoproduction
individuelle ou en club associatif, l’usage et la recherche
médicale et industrielle de la substance.
Cette proposition est fondée sur un référentiel de santé
publique et des droits humains qui cherche à encadrer la
consommation des 8,3 % des Uruguayens qui déclarent
avoir consommé du cannabis au moins une fois pendant
l’année 20112. Mais alors qu’elle a des fortes chances
d’être adoptée par le Parlement, la proposition
2 Toutes les statistiques sont tirées de
la Fundación Friedrich Ebert en Uruguay sera concurrencée par un projet de loi du gou(FESUR). Módulo sobre cannabis en vernement de José Mujica (2010-2015) visant à
la 6ª encuesta nacional sobre consumo de
drogas en hogares. Montevideo : FESUR. 2015. investir l’État d’une capacité de « contrôle et
3 Projet de loi « Marihuana y sus derivados », régulation de l’importation, production, acquidans le dossier nº 1785 de 2012 de la Comisión sition, commercialisation et distribution du
Espacial de drogas y adicciones con fines
3
legislativos. cannabis » . Ce projet s’inscrit dans la straté-
gie sécuritaire de l’exécutif cherchant à lutter contre le
trafic illicite de drogues, et à dissocier le marché du cannabis de celui de la pâte-base (contrôlé jusque-là par de
petits groupes criminels). Mais surtout, la première formulation du gouvernement exclut l’autoproduction et, de
ce fait, ne répond pas aux demandes provenant du
Parlement et de la société civile.
Ce seront les parlementaires du parti du gouvernement
qui feront la synthèse entre les deux propositions en
concurrence, incluant les approches sécuritaires, de
santé publique et des droits dans la formulation finalement adoptée. Ainsi, la loi votée se donne pour objectif
de :
– lutter contre le narcotrafic avec la création d’un marché
régulé ;
– mettre en œuvre une politique sanitaire pour la prévention des consommations problématiques ;
– et élargir les droits à la consommation pour mettre fin à
l’incohérence juridique entre la consommation et l’accès
au cannabis.
Mise en place de la loi no 19.172
La nouvelle loi répond à un changement dans l’acceptation du cannabis. D’une part, il est admis désormais que
la substance en soi ne produit pas un gateway effect,
c’est-à-dire que sa consommation ne conduit pas à la
consommation de drogues dures (théorie de l’escalade).
D’autre part, il est reconnu que le cannabis n’engendre
pas de dépendance forte (withdrawal effect). Par conséquent, l’usage récréatif est autorisé en l’absence de toute
justification médicale, car sa consommation n’est plus
liée au préjugé d’une supposée déchéance sociale.
Toutefois, la régulation proposée par la loi uruguayenne
est assez stricte. Seuls les adultes résidant dans le pays
sont autorisés à se procurer du cannabis, et le moyen de
l’obtenir est limité à seulement une des trois voies possibles : l’autoproduction, les clubs de production associatifs ou la vente en pharmacie. La nécessité d’adhérer à
l’un de ces systèmes passe par un registre étatique, très
critiqué pour le risque de fichage des consommateurs,
mais défendu par le gouvernement comme le seul moyen
de contrôler la production et la consommation. Ainsi, pour
gérer le système, un nouvel Institut de régulation et
contrôle du cannabis (IRCCA) est créé en 2014.
L’autoproduction a été le premier moyen d’obtention à
entrer en fonctionnement, en août 2014. Ce mode de production est très défendu par les organisations civiles qui
cherchaient une amélioration de la qualité de la substance considérée comme très mauvaise sur le marché
noir. Ainsi, par foyer et sans considération pour le nombre
de personnes qui le composent, il est permis de posséder
1
12
six plants de cannabis et de produire au maximum 480 g
par an. Toutefois, le cadrage posé à l’autoproduction
dans la loi est considéré comme excessif par les militants
sociaux, pour qui la consommation est souvent élevée. De
plus, l’autoproduction reste une solution touchant une
minorité de personnes car peu nombreux sont ceux susceptibles d’investir économiquement et matériellement
dans ce système.
De ce fait, pour faciliter l’accès à ce type de production, le
gouvernement a également permis la constitution des
clubs associatifs où, sous condition d’adhésion, il est
possible de se procurer du cannabis à partir d’une production propre au club. Le nombre de membres doit être
compris entre 15 et 45 personnes, le nombre des plantes
est limité à 99 et la production à 480 g par an et par
membre. Les clubs doivent être enregistrés auprès de
l’IRCCA, qui recueille les données sur la distribution de la
production tous les mois. Dans la pratique, l’adhésion
aux clubs peut être chère : 350 euros de frais d’entrée et
une cotisation mensuelle d’environ 70 euros pour
l’exemple du club Sativa.
Finalement, seule la production de cannabis par l’État et
sa vente en pharmacie permet un accès universel à cette
politique publique. L’idée est que toute personne, à condition qu’elle soit majeure, puisse s’inscrire sur les
registres de l’IRCCA et accéder à 10 g de cannabis par
semaine au prix du marché noir, c’est-à-dire 1,20 dollar
par gramme. Pour commencer, l’IRCCA s’était engagé à
réaliser l’objectif de favoriser la production, la distribution et la commercialisation de 6 000 kg de cannabis
avec un taux maximal de 15 % de tétrahydrocannabinol
(THC) la première année4.
Mais cela n’a pas été réalisé. Malgré l’attente internatio4 La production est divisée équitablement nale, la vente en pharmacie a été doublement
en taux faible, taux équitable retardée. Souffrant d’une faiblesse de reset taux modéré de THC.
sources humaines et financières induite par la
5 L’enquête est réalisée entre août et
décembre 2014 par L’Observatoire uruguayen législation qui interdit toute création de poste et
des drogues avec l’aide de la société civile allocation budgétaire à la création de nouvelles
(Proderechos) et l’université. Le travail
de terrain est réalisé par l’Institut national structures pendant l’année électorale, l’IRCCA a
de statistique (INE). Les résultats sont
disponibles sur FESUR (2015), op. cit. passé toute l’année 2014 à se consolider insti6 FESUR (2015). Estrategia para la evaluación tutionnellement. De plus, le président élu,
de resultados y monitoreo de implementación Tabaré Vázquez, exprime publiquement et
de la ley Nº 19.172, volume 2, p.11. Selon
l’enquête, les consommateurs « réguliers » devant une opinion publique encore rétive dans
sont ceux ayant une consommation sa majorité, un scepticisme certain vis-à-vis de
quotidienne ou hebdomadaire de cannabis,
les « occasionnels » ceux ayant consommé la vente de cannabis en pharmacie. Cela a
plusieurs fois le dernier an ou mois (sans
régularité hebdomadaire) et « habituels » ceux retardé de fait la mise en place de la politique
ayant consommé une fois dans les 12 derniers même si le président Vázquez a déclaré l’accepmois ou dans leur vie.
tation de la loi, sous un grand contrôle.
7 Boidi MF, Queirolo R, Cruz JM. Marijuana
Consumption Patterns among Frequent Deux ans après l’approbation de la régulation, la
Consumers in Montevideo. 9th Conference of production contrôlée de cannabis n’a pas comthe international Society of the Study of Drug
Policy. Ghent, Belgique : 2015. mencé. Devant l’impossibilité pratique d’assurer
une production sous l’égide d’une entreprise nationale,
un appel d’offre a été lancé. Onze entreprises ont répondu
et, au terme de la sélection, deux entreprises à capitaux
nationaux et internationaux ont été retenues pour la production de cannabis. Elles seront tenues de respecter les
règles très strictes imposées par l’IRCCA, que ce soit en
termes de niveau des prix, des taux de THC et des normes
de production (dans l’utilisation des pesticides notamment). Entre temps, le cannabis à usage médical a été
légalisé et il est probable que ce secteur se révèlera plus
lucratif pour les entreprises du fait de prix plus attractifs
sur le marché international que ceux proposés par l’État
pour le cannabis à usage récréatif.
Effets de la politique sur la société
Même si la politique interdit toute publicité du cannabis
et introduit un cours de prévention aux usages problématiques des drogues dans le monde éducatif, toutes les
estimations prévoient une augmentation de la consommation. Ainsi, entre 2011 et 2014, la consommation est
passée de 8,3 à 9,3 %, dont 14 % de manière habituelle,
23 % occasionnelle, 63 % expérimentale, alors que seuls
l’autoproduction et les clubs entraient seulement en
fonctionnement5. Toutefois, pour l’écrasante majorité
(97,4 %) des individus qui ne consomment pas, la loi ne
provoquerait pas une incitation à l’usage, tandis que
pour ceux qui consomment (91,2 %), la légalisation
contrôlée de l’offre n’engendrerait pas une augmentation
des quantités consommées.
Autre enjeu : les estimations prévoient que la production
légale ne suffira pas à satisfaire la demande des
consommateurs habituels, estimée à 17 136 kg/an pour
35 700 personnes6. Ainsi le principal moyen d’accès au
cannabis risque de rester le marché noir issu des réseaux
illicites, avec un risque lié à des situations de violence et
d’offre d’autres substances (55 % des acheteurs de cannabis se voient offrir une autre drogue, notamment
cocaïne et pâte-base). De plus, un nouveau marché
parallèle est en train d’apparaître. Celui-ci émane de
producteurs locaux qui mettent à la vente (illégalement)
leur production destinée théoriquement à leur consommation personnelle et concernerait 6 % des acheteurs.
Selon une étude publiée en 20157, ce marché reste majoritairement occasionnel, notamment en raison du prix de
vente nettement supérieur (100 dollars contre 30 dollars
pour 25 g pour le cannabis du marché noir).
Les effets de la loi restent donc ambigus. En outre, il
apparaît qu’une partie des consommateurs pourraient
évoluer hors du cadre de la politique de régulation. Si 9 %
d’entre eux déclarent obtenir la substance par une production personnelle ou en club associatif, et si 44 % qui
13
l’achètent directement ou par des amis sont potentiellement dans leur majorité (58 %) des futurs clients des
pharmacies, des autoproducteurs en devenir (45 %) ou de
futurs membres pour les clubs (30 %), quid des autres
consommateurs ? Parmi les usagers de cannabis en
Uruguay, 45 % consomment une substance offerte (et
non pas achetée) par des proches et de ce fait ils constituent une zone grise potentielle de consommateurs qui
n’a pas d’incitation particulière à s’inscrire auprès de
l’IRCCA. Le contrôle et le suivi de cette population restent
un des enjeux importants de la réforme.
On le voit, la mise en place de la politique de régulation
est plus complexe que prévu et souffre d’un certain
nombre de retards dus non seulement à des questions
techniques, mais à des facteurs politiques. Les réticences internes sur les bienfaits de cette politique, de
même que les réserves exprimées par l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) (structure en
charge de l’application des conventions internationales)
ont toutefois des effets bénéfiques. Elles forcent en effet
l’Uruguay à prêter une attention particulière à l’évaluation et au suivi de la politique de régulation. Un nouveau
diplôme universitaire de spécialisation a même été créé
afin de former des professionnels sur ce sujet.
Le pays se veut irréprochable, ce qui lui permet aussi de
préparer dans les meilleures conditions l’échéance de la
Session extraordinaire de l’Assemblée générale des
Nations Unies sur la drogue (UNGASS) de 2016. S’il
essuiera probablement le feu des critiques des pays les
plus prohibitionnistes, il pourra compter notamment sur
l’appui de ses voisins latino-américains, notamment le
Chili et la Colombie engagés eux aussi dans des
approches nouvelles. L’acceptation, voire la transposition
de la politique uruguayenne en dehors de ses frontières
dépend beaucoup du succès de la mise en œuvre de la
politique et du lobbying diplomatique que le pays entreprendra.
Séminaire EHESS 2015-2016
La prohibition des drogues :
approche transversale
L’EHESS et ASUD co-organisent
ce séminaire gratuit ouvert à tous
d’octobre 2015 à juin 2016
de 11h00 à 14h00.
2015
– 7 octobre : Antiprohibition, histoire.
– 12 novembre
– 10 décembre
2016
– 7 janvier
– 11 février
– 10 mars
– 7 avril
– 12 mai
– 9 juin
Amphithéâtre François-Furet
105 bd Raspail, 75006 Paris
de 11h00 à 14h00
www.asud.org/2015/10/07/seminaireehess-2015-2016-la-prohibitiondes-drogues-approche-transversale
14
Débat autour du matériel d’injection
Le matériel stérile mis à la disposition des usagers de drogues n’est plus adapté
aux nouvelles pratiques et peut être amélioré pour contrer les infections virales,
bactériennes ou mycosiques et pour se protéger de certains excipients provenant
de médicaments détournés et souvent injectés. Ce premier article d’Apothicom,
qui commercialise notamment Stéribox et Stérifilt est un exposé didactique sur la notion
d’espace mort qui majore le risque d’infection en cas de partage de seringue.
Le second, écrit par un groupe de travail sous l’égide de la Direction générale de la santé
et de la MILDECA, élargit la réflexion à la filtration et propose la création de nouveaux
outils, plus efficaces, qui tient compte de la place toujours croissante des médicaments
opiacés chez les injecteurs. Swaps accompagne ce débat utile qui devrait aboutir,
en lien avec les industriels, à des outils de la réduction des risques plus performants.
Seringues : l’« espace mort »
est un facteur de risque
Elliot Imbert, Lenneke Keijzer / Apothicom
En 1990, Gaughwin et une équipe de chercheurs australiens, simulant un partage de seringue avec du
sang radiomarqué, quantifiaient le volume de sang transféré d’un sujet à un autre : ils observèrent que,
quand il s’agissait de seringue de 2 ml, il y avait sept fois plus de sang partagé à partir du sujet source que
quand il s’agissait de seringue de 1 ml.
Deux types de seringues
C’est Jean-Paul Grund, en 1991, qui attribua cela non
pas au volume de la seringue, mais au type de seringues.
Il distingue deux types :
– les seringues à insuline de 1 ml, serties, qui n’ont pratiquement pas de volume résiduel ;
– les autres seringues (souvent plus grosses), à aiguille
détachable, qui ont un volume résiduel beaucoup plus
conséquent.
1 Zule WA, Ticknor-Stellato KM, Desmond DP, Le volume résiduel est appelé « espace mort ».
Vogtsberger KN. Evaluation of needle Lorsque le piston est complètement enfoncé, le
and syringe combinations. J Acquir Immune
Defic Syndr Hum Retrovirol 1997;14(3):294-5. liquide qui s’y retrouve reste présent entre le
2 Abdala N, Stephens PC, Griffith BP, piston et l’aiguille. Ce liquide ne peut être
Heimer R. Survival of HIV-1 in syringes. éjecté de la seringue.
J Acquir Immune Defic Syndr Hum Retrovirol
1999;20(1):73-80. L’usager s’assure que l’aiguille se trouve dans
la veine en voyant le sang pénétrer dans la seringue.
Geste indispensable, qui est celui de l’infirmière lorsqu’elle fait son « retour veineux ». Si la personne est
contaminée, la seringue le sera également. Après l’injection, l’usager opère un flux et un reflux du sang en aspirant et refoulant le contenu de la seringue, sur quelques
graduations et à plusieurs reprises. La contamination se
poursuit donc et, après l’injection, l’espace mort est quasiment entièrement constitué de sang.
William Zule a mené cette réflexion plus loin. Il a mesuré
l’espace mort dans les deux types de seringues ayant le
même volume, c’est-à-dire des seringues à aiguille sertie
de 1 ml et des seringues à aiguille détachable de 1 ml.
L’espace mort s’est révélé 40 fois supérieur dans les
15
seringues détachables1. Étant donné que les personnes
qui injectent des drogues rincent souvent leur seringue
après utilisation, il a également mesuré la quantité de
sang qui restait dans ces seringues après rinçage : les
seringues non serties contiennent une quantité de sang
qui est environ 1 000 fois supérieure aux seringues serties.
Robert Heimer et son équipe de l’université de Yale ont
pris la suite. Pour cette équipe, il ne suffisait pas de
démontrer la présence d’acide désoxyribonucléique (ADN)
ou d’acide ribonucléique (ARN) viral sur les outils de l’injection. Certes, leur présence atteste que les outils ont été
en contact avec des virus. Mais cela ne fournit pas la
preuve de leur rôle dans la transmission de ces maladies.
L’équipe de Heimer a alors développé une méthode permettant de connaître la quantité de virus viable, gardant
sa capacité infectieuse, restant présente sur les outils.
En 1999, ils publient un article2 sur l’infectivité du VIH
présent dans différents types de seringues. Cette étude a
confirmé l’hypothèse que nous venons d’évoquer : le VIH
reste présent en plus grande quantité et reste infectieux
plus longtemps dans les seringues à aiguilles détachables que dans les seringues serties. À titre d’exemple :
à 27 °C, le VIH reste viable pendant une journée avec peu
de copies virales dans une seringue sertie, tandis que
dans une seringue à aiguille détachable, il reste viable
pendant sept jours avec beaucoup de copies.
Une deuxième étude, publiée par la même équipe en 20103
a confirmé le même résultat pour l’hépatite C. L’hépatite C
reste viable pendant une journée dans les seringues serties,
et 60 jours dans les seringues non serties. Toutefois, pour
l’hépatite C, pendant cette première journée, la charge
virale reste très élevée, même dans les seringues à insuline.
Recommandations
de l’OMS et de l’ONUSIDA
William Zule a continué ses recherches au sujet de l’influence de l’espace mort. Il a mis en parallèle le type de
seringues utilisées avec la prévalence du VIH dans plusieurs pays. Cette étude semble confirmer le lien entre
l’espace mort et le risque de contamination virale.
L’Organisation des Nations Unies pour le sida (ONUSIDA)
et l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) recommandent désormais, chaque fois que possible, l’utilisation de seringues à aiguilles serties.
Des seringues à aiguilles détachables sont encore utilisées. Certains usagers ont en effet besoin d’un volume
plus important que 1 ml. D’autres ont besoin d’aiguilles
d’une taille non disponible sur les seringues
3 Paintsil E, He H, Peters C, Lindenbach BD,
Heimer R. (2010) Survival of hepatitis C virus serties.
in syringes: implication for transmission C’est pourquoi plusieurs seringues et plusieurs
among injection drug users. J Infect Dis
2010;202(7): 984-90. aiguilles ont été, depuis, conçues dans l’objectif
de diminuer l’espace mort des seringues à aiguille détachable. Ces outils parviennent effectivement à réduire l’espace mort et peuvent être une alternative aux seringues à
aiguille détachable standard. On les appelle seringues (ou
aiguilles) à espace mort intermédiaire. Mais celui-ci reste
bien supérieur à celui des seringues à insuline, qui doivent
toujours être préférées.
Conseils individuels
et stratégie collective
En France, 10 à 20 % des seringues délivrées sont à
aiguille détachable et, donc, leur espace mort élevé
constitue un facteur de risque. Il s’agit quasiment toujours de seringues de 2, 3 ou 5 ml. L’usager les utilise
essentiellement pour l’injection de gélules de Skénan® LP,
de Ritaline®, parfois aussi pour des comprimés de buprénorphine (Subutex® et génériques).
La solubilité du sulfate de morphine se situe entre 50 et
60 mg/m. Celle de la Ritaline® est de 18 mg/ml. Une partie de leurs utilisateurs, selon leur niveau de tolérance,
peuvent avoir besoin d’un volume supérieur à 1 ml et
donc d’une seringue à aiguille détachable. À ces personnes, il convient de conseiller l’utilisation de seringues
ou d’aiguilles à espace mort intermédiaire.
Plusieurs arguments peuvent être avancés auprès des
personnes qui injectent des drogues pour que leur choix
s’oriente plutôt vers des seringues serties à espace mort
faible :
– du produit actif est « perdu » dans le volume résiduel
d’une seringue à espace mort élevé. Cela représente entre
4 et 6 % du produit : cela est loin d’être négligeable. « Ne
perdez rien » peut donc être un argument pour choisir un
type de seringue où il y ait très peu de perte de produit ;
– la solubilité de la buprénorphine est compatible avec
sa dilution dans un volume de 1 ml. De nombreux usagers
injecteurs de Subutex® utilisent déjà aujourd’hui des
seringues serties de 1 ml.
Cependant, les conseils individuels ont une limite évidente : l’objectif est de limiter le risque de transmission
viral. Ce risque peut certes être moindre et persister
moins longtemps avec les seringues serties, mais il
continue à exister. Pour l’hépatite C par exemple, la
charge virale de la seringue sertie reste élevée quand le
partage a eu lieu dans la journée. L’approche ne peut
donc être seulement individuelle. Elle est nécessairement
collective : moins de seringues à espace mort élevé circuleront, mieux ce sera, car le risque de transmissions
virales au niveau de la population diminuera. Il est donc
important de ne jamais proposer un changement de
seringue aux personnes qui utilisent actuellement des
seringues « à insuline ».
16
DÉBAT
Réduction des risques :
volume mort et filtration,
état des lieux
William Lowenstein / Interniste et addictologue, président de SoS Addictions
Emmanuel G. Reynaud / School of Biomolecular and Biomedical Science, University College Dublin, Dublin, Irlande
Thomas Nefau / Docteur en pharmacie, Docteur en biologie, membre de l’association SAFE chargé des études scientifiques
Jean-Pierre Couteron / Président de la Fédération Addiction
Catherine Duplessy / Directrice de Safe
Dans les années 1980, la réduction des risques (RdR) est née en réponse aux risques de transmission du
VIH/sida chez les usagers héroïnomanes : sa conception doit aujourd’hui être largement renouvelée. En
effet, l’évolution des pratiques des usagers de drogues, celle des produits consommés et des connaissances
scientifiques imposent de revoir la nature des outils de RdR distribués pour en améliorer la qualité et l’efficacité. Il s’agit de prendre en compte les risques d’infection par le virus de l’hépatite C, mais aussi les
risques infectieux liés aux bactéries, aux champignons, dont les levures, ou encore ceux liés aux excipients présents dans des médicaments injectés.
Des travaux conjoints de scientifiques, d’usagers de
drogues, de cliniciens, de professionnels de la RdR,
menés sous l’égide de la Direction générale de la santé
(DGS) et de la MILDECA ont pour but de déterminer les
outils les plus performants, en matière d’hygiène, de
désinfection, d’injection et de filtration. À partir de ces
travaux, la DGS a financé l’expérimentation d’un nouvel
assemblage d’outils (lingette, seringue, filtre). À la clé :
des bénéfices à la fois physiques, somatiques, infectieux
et psychologiques pour les usagers.
Renforcer la protection
of syringe filters in harm reduction among grâce à la filtration
1 Caflisch C, Wang J, Zbinden R. The role
injection drug users. Am. J. Public Health
1999;89:1252-4.
2 McLean S, Bruno R, Brandon S, de Graaff B.
Effect of filtration on morphine and particle
content of injections prepared from
slow-release oral morphine tablets.
Harm Reduct J 2009;6:37.
3 Ng H, Patel RP, Bruno R, et al. Filtration
of crushed tablet suspensions has potential
to reduce infection incidence in people who
inject drugs. Drug Alcohol Rev 2015;34:67-73.
L’efficacité des filtres à membranes 0,2 µm est
connue depuis plus de 15 ans. Malheureusement, ils ne sont pas ou peu utilisés dans le
cadre de la RdR. Dès 1999, des publications
scientifiques ont mis en évidence les nombreux
bénéfices de santé publique associés à la diffusion de dispositifs de filtration efficaces, dans
le cadre d’une politique complète de RdR1.
La diffusion de filtres, dont l’efficacité sur la filtration
des bactéries et particules a été prouvée en laboratoire en
présence de produits utilisés dans la rue par les usagers,
est donc pertinente et porteuse de progrès.
En 2009, l’équipe de McLean et Bruno2 conclut à la filtration des particules des médicaments par les filtres de
porosité de 0,2 µm et 0,45 µm et recommande que cette
filtration devienne une méthode standard de RdR pour les
usagers de drogues par voie intraveineuse. Elle précise la
plus grande efficacité des filtres de 0,2 µm, et souligne le
caractère coût-efficace de cette distribution.
Par la suite, une étude de Ng et al.3 conclut au potentiel
positif des filtres 0,2 µm pour réduire les complications
médicales chez les usagers injecteurs de comprimés et
recommande de les considérer comme une méthode hautement efficace de RdR.
Enfin, en 2015, l’équipe de Karolak et al. (en cours de
publication) conclut à l’efficacité de filtration et d’élimination du risque microbiologique des filtres toupies
0,2 µm et 0,45 µm, sur des suspensions préparées en
situation « de rue » et avec des produits stupéfiants utili-
17
sés par les usagers. Elle conclut également à l’absence
de protection microbienne procurée par les autres dispositifs de filtration usuellement distribués (filtres coton et
Sterifilt®).
Pourquoi ce filtre à 0,2 µm change-t-il le quotidien des
usagers ?
Sur les plans physique et somatique, il évite les abcès,
septicémies, endocardites, greffes à champignons chroniques, etc. La filtration enfin efficace des excipients des
médicaments permet également d’éviter les lymphœdèmes (« main de popeye », etc.) et autres complications
(malaise, douleurs, etc.)
Sur le plan psychologique, le fait de ne plus associer l’injection aux infections atténue ses effets délétères et
apporte confort et meilleure qualité de vie.
Diminuer le risque du volume mort
des seringues
En 2009, Zule4 montre l’importance du volume mort
d’une seringue dans la transmission virale chez les usagers de drogues qui échangent leurs seringues. Ce problème n’était pas nouveau puisqu’il avait été mis en évidence dans des études sur le dosage de médicaments et
vaccins administrés par injection. Mais les données en
laboratoire, de terrain ou les modélisations mathématiques et autres revues de la littérature, restent confuses
sur ce sujet et les conclusions ne sont pas catégoriques.
Logiquement, un volume de sang peut persister dans les
seringues à volume mort important. Ce milieu est alors
propice à la survie de particules virales pouvant induire
des contaminations si, et seulement si, la seringue est
partagée avec une autre personne.
La pratique de rinçage, selon le volume de liquide utilisé,
et la nature des produits injectés ont une influence
directe sur la survie des particules virales et minimisent
parfois le problème du volume mort. En revanche, la possibilité d’utiliser au bout de la seringue un filtre de type
toupie, qui élimine toute possibilité d’infection bactériologique ou d’injection de particules, avec ou sans volume
mort, s’avère primordiale.
Ce paramètre, associé à la connaissance des pratiques
des injecteurs, du type de produit injecté, de l’accès au
matériel stérile, du volume de rinçage et des outils de filtration, est donc à prendre en compte. En effet, les études
récentes mettent en évidence un accroissement
4 Zule WA, Bobashev, G, RTI International.
High dead-space syringes and the risk of HIV significatif de l’injection de médicaments :
and HCV infection among injecting drug users. ainsi, en Île-de-France, il a été démontré que
Drug Alcohol Depend 2009;100:204-13.
plus de 30 % des seringues récupérées dans
5 Néfau T, Charpentier E, Elyasmino N, et al.
Drug analysis of residual content of used les automates d’échange de seringues contiensyringes: a new approach for improving nent de la buprénorphine haut dosage, plus de
knowledge of injected drugs and drug user
practices. Int J Drug Policy 2015;26:412-9. 25 % des sulfates de morphine et plus de 10 %
de la méthadone5. En plus des médicaments de substitution aux opiacés, d’autres produits sont de plus en plus
souvent injectés tels les nouveaux produits de synthèse.
Par ailleurs, les professionnels des CAARUD rapportent la
persistance de la pratique de réutilisation des cotons
usagés, qui majore les risques de contaminations bactériennes et fongiques. Seule la filtration avec un filtre toupie 0,2 µm permet d’éviter ces contaminations. C’est en
trouvant la meilleure association entre l’efficacité de la
filtration et la diminution du volume mort que l’outil le
plus adapté peut être proposé. Les études scientifiques
de terrain sur ce sujet étant encore peu nombreuses, les
acteurs de la RdR et leurs partenaires travaillent par
principe de précaution avec des outils qu’on qualifie de
« à faible volume mort ». L’enjeu est de pousser les
industriels à fournir du matériel de RdR doté d’un volume
mort équivalent à celui du matériel serti et qui permettrait d’utiliser les filtres dits « stérilisants ».
L’objectif est de minimiser le volume mort tout en assurant une filtration efficace des bactéries, champignons et
particules, sans augmentation significative des coûts.
Conclusion
Des solutions émergent et permettent de surmonter les
difficultés du passé. Elles contribuent à ce que le volume
mort ne soit plus un facteur de blocage contre toute
avancée de la filtration. Aujourd’hui, des industriels ont
conçu du matériel d’injection non serti présentant un
faible volume mort équivalent à celui des seringues serties, et permettant l’usage des filtres à membrane 0,2
µm. D’autres recherches portent sur la possibilité
d’adapter les filtres à membrane 0,2 µm sur les
seringues serties.
Le but est donc clair et atteignable : associer les bénéfices d’une filtration enfin efficace et la minimisation du
volume mort. En conséquence, nous devons désormais
travailler sur nos messages et nos pratiques pour faciliter l’accès à ces matériels et favoriser leur appropriation.
La RdR est une tâche complexe qui nécessite d’utiliser
une combinaison de protocoles et méthodes afin d’être
efficace dans les situations réelles de rue, en tenant
compte de la diversité des besoins des usagers.
Poursuivons le combat qui consiste à renforcer la disponibilité, permanente et non limitée, à l’ensemble des
outils de RdR, afin de supprimer définitivement la réutilisation et le partage de matériel.
18
RÉUNION
Un défi d’ici 2030 :
intensifier la riposte
aux VIH, hépatites et infections
sexuellement transmissibles
Elisabeth Avril / Association Gaïa
Du 23 au 26 juin 2015, s’est tenue, à Copenhague, la consultation régionale sur les stratégies de
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour le secteur de santé VIH, hépatites et infections sexuellement transmissibles (IST) sous le thème principal de la couverture sanitaire universelle. Les stratégies proposées ont pour objectif la lutte contre les épidémies de VIH, d’hépatites et d’IST au cours de la période
2016-2021. Elles seront soumises à l’approbation de la 69e assemblée mondiale de l’OMS en 2016.
Ces stratégies serviront de guide aux actions menées en
vue d’atteindre les objectifs ambitieux d’élimination de
ces maladies et/ou de fin des épidémies en 2030.
La consultation s’est donnée comme programme de dresser un bilan des progrès accomplis dans la réponse au
VIH et aux hépatites et d’entendre les représentants des
pays impliqués dans la lutte contre ces épidémies, ainsi
que les représentants de la société civile, des associations non gouvernementales, des associations professionnelles (European Association for the Study of the
Liver [EASL], European AIDS Clinical Society [EACS],
European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction
[EMCDDA], United Nations Programme on HIV and AIDS
[UNAIDS]) et des représentants régionaux de l’OMS.
Cette consultation a permis également un échange d’expériences, de données d’études entre experts afin d’identifier les priorités, les approches stratégiques et les
actions essentielles pour l’OMS et les États membres. Les
actions devront être reprises et développées dans les
stratégies.
Les experts, venus d’en grande partie des pays d’Europe
avec une forte représentation de l’Europe de l’Est et de
l’Asie centrale, ont mené des travaux en groupes et ont pu
échanger idées et expériences afin de déterminer des
recommandations.
Plusieurs constats ont été partagés en plénière dont une
augmentation très importante des contaminations VIH en
Europe (+81 %), surtout en Europe de l’Est (+144 %).
Malgré des progrès comme l’introduction d’une politique
de santé publique dans certains pays d’Europe de l’Est,
les diagnostics VIH sont tardifs (29 % des personnes ont
moins de 200 CD4 au moment du diagnostic), en particulier les personnes qui consomment des drogues. Les hépatites sont une priorité pour l’OMS, 60 % des personnes
touchées vivent en Europe de l’Est et en Asie centrale,
l’accès aux stratégies de réduction des risques restant
très inégal dans ces régions (en volume et en qualité).
Il faut noter que dans la plupart des présentations, les
IST ne semblent pas être une priorité de santé publique
dans les différents programmes nationaux.
Concernant l’accès aux soins, on note un développement
de l’accès aux antirétroviraux souvent grâce au soutien
du Fonds mondial, mais peu de personnes ont réellement
une charge virale indétectable. En Fédération de Russie,
seules 9 % des personnes traitées atteignent une suppression virale.
19
Il a été dit à plusieurs reprises que l’épidémie de VIH était
incontrôlée dans l’est de l’Europe (plus de 90 000 nouveaux cas chaque année en Russie), la couverture de
dépistage de la population est très faible et ne cible pas
les populations à risque. Une fois dépistées, les personnes ne parviennent pas aux soins et encore moins aux
traitements par peur de la stigmatisation et de la criminalisation de leur statut.
Quelques programmes sont mis en avant comme
l’échange de seringues dans les prisons du Kirghizistan
mais, globalement, la cascade de soins est très
médiocre. Les spécialistes médicaux et les représentants
des États se sont succédé à la tribune en concentrant
leur discours et leurs études sur la transmission verticale du VIH et de leurs succès (les femmes sont testées
deux fois au cours de leur grossesse dans la plupart des
pays de l’Est).
Personne n’a parlé, ou si peu, des populations vulnérables à risque, usagers de drogues, men who have sex
with other men (MSM), migrants et travailleurs du sexe.
On peut se réjouir de la situation quasi unique de
l’Ukraine qui a vu en 2014 la première diminution de l’incidence du VIH chez les usagers de drogues grâce aux
mesures de réduction des risques (qui ont été abolies
dans les territoires occupés par les Russes et qui semblent mises en danger par la guerre).
La représentante de l’EMCDDA est intervenue pour promouvoir les résultats positifs des politiques de réduction
des risques en présentant des résultats d’études indépendantes et scientifiques.
Des projets ambitieux – l’élimination de l’hépatite C –
mais beaucoup d’inquiétudes émergent quant aux financements des programmes nationaux efficients, qui
dépendent pour beaucoup des financements du Fonds
mondial. Les fonds internationaux diminuent et le Fonds
mondial souhaite financer des stratégies nationales qui
font sens et dont l’impact est réel, pas de financement
sans réduction des risques.
Tous les experts présents ainsi que les représentants des
institutions internationales reconnaissent que traiter est
efficace au niveau du coût, qu’il s’agisse du VIH, des
hépatites ou des IST mais, paradoxalement, le coût des
traitements et des diagnostics (comme obstacle clé) n’a
pas été ou pas assez pointé comme un défi fondamental
pour la communauté internationale.
L’autre obstacle majeur à l’accès aux traitements reste
présent à des degrés divers dans tous les pays d’Europe :
les politiques qui criminalisent les populations vulnérables (usagers de drogues, migrants, travailleurs du
sexe) et la stigmatisation qui y est liée.
Comment transformer les évidences scientifiques en politiques plus humaines respectant les droits humains fondamentaux ? Et, de là, permettre un réel accès aux soins,
universel et de qualité ?
Cet objectif ambitieux est fixé, mais le discours et les
productions de guides et de bonnes pratiques de l’OMS
promeuvent la réduction des risques, les droits humains
et la participation communautaire des populations clés
comme autant d’éléments essentiels à mettre en place
pour se rapprocher de cet objectif.
Abonnement
Je souhaite m’abonner gratuitement à la revue Swaps
Participation de 10 euros pour frais d’envoi des quatre numéros annuels
À retourner à VIH.org / Swaps / Pistes, Chaire d’addictologie CNAM, case 216, 2 rue Conté, 75003 Paris
nom
profession
adresse
prénom
organisme
code postal
tél.
ville
e-mail
20
HISTOIRE
« Les trois âges du Palfium »
®
histoire d’un produit ambivalent
(France, 1957-1999)
Alexandre Marchant / Docteur en histoire de l’ENS de Cachan
Le Palfium®, médicament commercialisé mais soumis à la législation sur les stupéfiants, devient un objet
de convoitise pour les usagers d’opiacés et, pendant un temps, l’un des outils de la substitution informelle
pratiquée par les médecins généralistes. C’est donc plusieurs pans de l’histoire de la toxicomanie et de sa
prise en charge thérapeutique qui se reflètent dans l’histoire de ce produit.
En 1996, Antoine Khouri, médecin généraliste de Belleville,
se retrouve au cœur d’une affaire défrayant la chronique
au moment même où la réduction des risques (RdR) et la
substitution aux opiacés de synthèse rentrent dans les
mœurs thérapeutiques. Sensibilisé aux problèmes de
dépendance aux opiacés, Khouri fut marqué par les
symptômes de sevrage des nouveau-nés de mères toxicomanes. Il en avait tiré la conviction que la toxicomanie
était un trouble somatique réel, susceptible de recevoir
une réponse médicamenteuse. C’était loin d’être une évidence à l’époque où le modèle psychothérapeutique de
Marmottan dominait. Il se mit à pratiquer la substitution
informelle en prescrivant à ses patients toxicomanes,
dans son cabinet de généraliste, des opiacés de synthèse
comme le Temgésic®, l’Antalvic® et surtout d’importantes
quantités de Palfium® sous forme injectable. Près de 200
toxicomanes le consultent régulièrement, jusqu’à ce qu’il
soit poursuivi pour la mort accidentelle de six patients,
décédés d’embolie pulmonaire après des injections surdosées de Palfium®. En 1997, Khouri est condamné à
quatre ans de prison (dont deux avec sursis) et à payer
30 000 francs d’amende ainsi que 1,4 millions de francs
de dommages et intérêts aux familles des vic1 ASUD, n 13, hiver 1997-1998, p.11 ; Le Monde,
17 octobre 1997. times à acquitter avec la pharmacienne qui
2 « La ténébreuse affaire du docteur K… ». exécutait les ordonnances, désormais interdite
1
In: Substitution Auto-Support (SAS) juin 1996;2. de profession . Mais pour Khouri, l’affaire reflète
o
aussi l’hypocrisie du conseil de l’ordre des médecins,
selon lui, parfaitement informé de l’usage qu’il faisait de
ses carnets à souche, et ayant même approuvé sa
démarche quand, en réponse à l’un de ses courriers en
1993, le Conseil lui avait suggéré de ne pas dépasser
25 prescriptions d’opiacés de synthèse par semaine2.
L’affaire Khoury résume à elle seule les enjeux cristallisés
par le Palfium®.
Entre toxicomanie iatrogène et
détournement de la filière pharmaceutique
Le Palfium®, forme commercialisable de la dextromoradine, synthétisée par les laboratoires belges Janssen, est
mis en vente en 1954. Il arrive en France en 1957, produit
et vendu par Delalande sous forme d’ampoules injectables ou de comprimés de 5 mg. Sa découverte s’inscrit
dans le cadre de la révolution des opiacés de synthèse
dont l’utilisation thérapeutique est alors devenue incontournable pour soulager la douleur ou bien, en milieu hospitalier, en matière de « neuro-analgésie » comme alternative à l’anesthésie générale, c’est-à-dire en provoquant
un état d’insensibilité totale à la douleur, à l’aide de substances comme la phénopéridine ou le Fentanyl®, lui aussi
commercialisé par Janssen. Le Palfium® se retrouve inscrit au tableau B des substances narcotiques et doit être
prescrit à l’aide du carnet à souche (remplacé en 1999 par
21
les ordonnances sécurisées). Le risque, qui va se concrétiser très vite, est que le patient accroche au produit et ne
sache plus s’en passer. Le Palfium® s’insère alors dans le
schéma dominant des toxicomanies iatrogènes. Au seuil
des années 1950, les toxicomanes s’approvisionnent à
65 % auprès du marché licite des produits pharmaceutiques, pour seulement 35 % au marché clandestin3. Il
s’agit là d’une toxicomanie qui reste souterraine et n’enfreint aucun code social, n’apparaissant qu’au détour
d’un exercice de comptabilité sur registres de pharmacies
ou carnets à souches. Les archives du service central des
années 1960 sont remplies d’exemples de ce genre, pour
n’en citer que quelques-uns, en 1960 Guy Péchenard de
Paris est mis en cause pour vol de carnets à souches chez
des collègues qu’il remplaçait en Seine-et-Marne : les carnets dérobés servaient pour son usage personnel de
Palfium®, donnant ainsi un nouvel avatar à la figure du
médecin morphinomane hérité du XIXe siècle. En 1961,
c’est un notable de Bergerac, Maurice Faugère, directeur
des établissements Pro-Méca qui est ainsi débusqué par
les pharmaciens inspecteurs de la Santé qui le désignent
comme « toxicomane au Palfium® » et qui se ferait prescrire de plusieurs médecins. Le produit représente près de
10 % des cas de toxicomanie médicamenteuse4.
Mais la surveillance des autorités ne porte d’ailleurs pas
uniquement sur les cabinets de médecins généralistes et
s’étend aux pharmacies où se présentent régulièrement
des clients plus ou moins rusés trafiquant les ordonnances : en 1972, à Vernon en Normandie, un patient a
« présenté l’ordonnance sur laquelle il avait ajouté le
chiffre 1 devant le 6, pour obtenir 16 comprimés de
Palfium® au lieu des 6 prescrits » lit-on ainsi sur une note
diffusée auprès des pharmaciens de la région, simple
exemple pris parmi d’autres d’avertissements diffusés
par les pharmaciens inspecteurs pour éviter ce genre de
détournement en donnant le signalement de l’individu qui
ne ressemblait en l’occurrence en rien à un junky désocialisé5. Le détournement peut aussi venir des pharmaciens
eux-mêmes et faire l’objet de la part des autorités sani3 Vaille C, Stern G. Les Stupéfiants, fléau social. taires d’enquêtes qui n’ont rien à envier à ce
Paris : Expansion scientifique, 1955, p.154. que font les policiers dans le cas des filières illi4 Dossiers compilés par les pharmaciens
cites. Par exemple, en 1971, le service central
inspecteurs régionaux (années 1970). Archives
du ministère de la Santé. CAC 1990545/1 et 4. est informé par l’ordre national des pharma5 Note du 11 janvier 1972. Archives ciens de problèmes posés par la collecte de
du ministère de la Santé. CAC 1990545/1. médicaments usagés par une pharmacienne
6 Dossier « Medicus Mundi ». Archives d’Orléans, Nicole Viossat, pour le compte d’une
du ministère de la Santé. CAC 19900545/3. association, « Medicus Mundi », faisant œuvre
7 Association Le Pont. Séminaire Toxicomanie,
humanitaire au Pakistan. La comptabilité révèle
septembre 1971. Textes choisis, Le Pont, 1972.
des transferts non conformes à la régulation
8 Dossiers « produits volés, 1977 » et « Vols
(c’est-à-dire hors prescription) de centaines de
de stupéfiants dans les hôpitaux ». Archives
®
du ministère de la Santé. CAC 197901019/5. doses de Palfium de la pharmacie vers l’asso-
ciation. Les inspecteurs mettent finalement au jour un
impressionnant détournement de produits inscrits au
tableau B. Interrogée, la pharmacienne avoua qu’elle utilisait aussi du Palfium® pour sa consommation personnelle et celle de ses amis6.
Au cœur des nouvelles consommations
toxicomaniaques dans les années 1970-1980
Le Palfium® se retrouve aussi au même moment au cœur
des nouveaux usages qui inquiètent tant les pouvoirs
publics au moment du vote de la loi de 1970. La polytoxicomanie est une caractéristique importante du comportement des jeunes drogués, plus jeunes et cultivant leur
profil de marginaux, et le « Palf’ » intègre logiquement la
panoplie de leurs cocktails médicamenteux sophistiqués.
On se l’injecte sur le modèle du shoot à l’héroïne, comme
on s’injecte également des amphétamines, alors en vente
libre jusqu’au début des années 1970, ou du Valium®.
Tandis que les comprimés sont broyés avant d’être injectés, tout comme ceux du barbiturique Nembutal® ou de
l’amphétamine anorexigène Préludine®. Statistiquement,
ces toxicomanies sont assez difficiles à discerner (à la
prison des Baumettes en 1971, on ne recense ainsi que
trois cas de toxicomanes au Palfium® incarcérés), le produit n’étant pas illicite et les usagers ayant pu être
condamnés pour d’autres produits associés7. Mais,
conséquence de la marginalisation, l’accès aux toxiques
se fait parfois sur un mode plus radical : les cambriolages de pharmacie sont ainsi l’une des principales préoccupations de la Commission interministérielle des stupéfiants entre 1974 et 1980, c’est-à-dire entre la fin de la
French Connection qui a entraîné une restriction du marché clandestin de l’héroïne et le retour de filières criminelles de trafic plus organisées (libanaise, pakistanaise,
africaine). Entre temps, beaucoup de toxicomanes se
reportent sur les opiacés de synthèse disponibles dans
les officines et contenus dans les précieuses armoires
sécurisées pour produits du tableau B dont le décret
Poniatowski-Veil de juillet 1975 impose la généralisation.
L’Office central pour la répression du trafic illicite (OCRTIS) a recensé en moyenne entre 500 et 1 000 cambriolages d’officines par an au cours de cette période. Le
Palfium® figure en très bonne place sur la liste des principaux produits dérobés, à côté du Dolosal® ou du Fortal®,
du laudanum et autres poudres d’opium, de l’élixir parégorique, dont on essaye toujours d’extraire l’opium malgré les mesures prises en 1969 pour en modifier sa composition. Les armoires à toxiques des hôpitaux sont
également la cible de ces cambriolages : ampoules de
Palfium®, de Dolosal® ou de morphine sont régulièrement
volées8. En 1978, lors d’une réunion de la commission
1
22
des stupéfiants, Claude Olievenstein fait état du problème, constaté en région parisienne, de chantage, voire
d’agressions perpétrées par des drogués à l’encontre de
membres de SOS Médecins pour obtenir des prescriptions
de Palfium® ou de Dolosal®9.
Le recours aux opiacés de synthèse et au « palf’ » se
constate sur le long terme. Une enquête menée en 1983
par l’unité 185 de l’Inserm auprès des médecins travaillant en prison dans la région de Bordeaux révèle que
le Palfium® est, pour eux, le médicament qui est le plus
sujet à induire des addictions (103 citations sur
248 médecins interrogés). Une autre enquête de 1985
dans la région de Clermont-Ferrand auprès des foyers et
centres d’accueils pour toxicomanes montre que, dans les
cas de polyaddictions combinant des médicaments (51 %
des usagers), le Palfium® est cité dans 18 % des cas. On
lui préfère cependant dans 38 % des cas le Néocodion®,
antitussif à base de codéine commercialisé par les laboratoires Boucharat-Recordati, moins puissant, mais qui a
l’avantage d’être en vente libre10. La question se pose
donc de savoir quelles logiques motivent les toxicomanes
dans leur quête et leur consommation de Palfium®. Il y a
bien évidemment la recherche de la « défonce », le flash
procuré par l’injection intraveineuse de « Palf’ » n’ayant
guère à envier à celui de l’héroïne : « C’était presque un
flash car ça arrivait d’un coup et c’était tellement fort »
commente en 2010 sur un forum Internet un ancien usager nostalgique11… Obtenir du « 875 » (d’après le code
du médicament R875), par un moyen ou par un autre,
résulte alors d’un mécanisme de report en cas de tarissement momentané du marché, d’absence ponctuel de dea9 Compte-rendu d’une réunion de la Commission ler, ou simplement pour patienter entre deux
interministérielle des stupéfiants, printemps livraisons. Mais le rapport au produit n’est pas
1978. Archives de l’OCRTIS, CAC 19920026/5.
toujours le même que pour une substance illi10 Reynaud M, Chassaing JL, Coudert A J.
cite. Le Palfium® a aussi pu servir de support à
Les toxicomanies médicamenteuses.
Paris : PUF, 1989 : 48-60. une logique d’autosubstitution, dans le but de
11 Forum « Enfermés dehors ». Consultable décrocher graduellement. C’est ce que constaen ligne : http://forum.enfermes tent les médecins de l’hôpital Fernand Widal à
-dehors.org/viewtopic.php?f=42&t=2274.
Paris en 1978 dans leur rapport annuel. Les
12 Rapport d’activité du service hospitalouniversitaire de santé mentale et de produits les plus utilisés par leurs patients
thérapeutique concernant la lutte contre les sont les sirops et comprimés à base de codéine
toxicomanies, hôpital Fernand Widal, 1978.
Archives de l’OCRTIS, CAC 19920026/5. ou de codéthyline (Néocodion® et Nétux®) et,
®
13 Appel L. Cocaïne, cannabis, caféine bien évidemment, le Palfium , particulièreou calva : ils se dopent pour bosser. ment recherché via des prescriptions obtenues
Rue 89, 24 février 2013.
par ruse ou complaisance, ou par vol. Mal
14 Le Monde, respectivement 7 avril 1977
et 16 mai 1978. encadrées, ces pratiques occasionnent bien
12
15 Pochette « stupéfiants, substances souvent des infections aux points d’injection .
vénéneuses, lutte contre la drogue : Enfin, pour ceux qui exercent une profession,
correspondance ». Archives du ministère
de la Santé. CAC 19900545/1. notamment des petits boulots précaires pure®
16 Le Monde, respectivement 24 mars 1982 ment « alimentaires », le Palfium est un de
et 29 avril 1983. ces adjuvants qui permettent de tenir. Laurent
Appel, journaliste d’ASUD, livre ce témoignage : « J’ai
connu le monde de la brasserie/traiteur sous speed dans
mes premiers boulots au début des années 1980 : calva
dans les cafés, ballons de blanc à la volée et grosse dose
de Captagon®. Certains ajoutaient une injection de
Palfium® pour masquer leurs douleurs chroniques… »13
Les overdoses aux polytoxicomanies incluant le Palfium®
surgissent ponctuellement dans la presse. Des jeunes,
parfois marginaux, sont retrouvés morts, des boîtes de
Palfium® à proximité14. Devant ces usages et morts accidentels, les autorités ont réagi en resserrant les contrôles
sur les prescriptions et les ventes, les pharmaciens ont
parfois pris des initiatives pour limiter la vente de
Palfium®, ce qui ne fut pas toujours du goût des patients
qui calmaient des douleurs chroniques liées à des maladies graves (comme les cancers) avec le Palfum®15, ce
dernier ayant l’autorisation de mise sur le marché (AMM)
dans ces maladies.
Traitement de substitution informelle
Parallèlement à ces usages, le Palfium® arrive au troisième âge de son histoire lorsque des médecins généralistes, confrontés à des patients toxicomanes aux
profils de plus en plus précaires, se mettent à utiliser la
gamme des divers opiacés de synthèse disponibles à la
prescription pour stabiliser ou amener progressivement
au sevrage certains drogués en détresse. Non conforme
au paradigme alors dominant en matière de soins
(Olievenstein martèle depuis plus de dix ans que l’intervenant en toxicomanie ne doit pas être un « dealer en
blouse blanche », les programmes méthadone de 1972
demeurent expérimentaux et limités à la portion
congrue), cette substitution de l’ombre va venir recouvrir
les pratiques d’autosubstitution des usagers. Non sans
poser des problèmes déontologiques, en tombant dans
l’accusation d’entretien de la toxicomanie, ou pointer
des dommages collatéraux quand le produit prescrit et
mal utilisé provoque une overdose. Les précurseurs de
cette substitution informelle en feront ainsi les frais. En
mars 1982, des médecins et pharmaciens de Béthune
sont condamnés à des amendes et à des peines de prison avec sursis pour avoir prescrit du Palfium® à de
jeunes usagers qui se sont empressés de le revendre.
Plus grave, en avril 1983, le Dr Alain Laurent de
Marsillargues, dans l’Hérault, est condamné à six ans de
prison, dont deux avec sursis, et à cinq ans d’interdiction d’exercice de la médecine : une adolescente a succombé à un mélange d’alcool et de Palfium® qu’il lui
avait prescrit16. Cette pratique reçoit en 1985 sa justification théorique, certes sur un autre produit que le
Palfium® : un psychiatre belge, Marc Reisinger, publie les
23
résultats de son expérience de prescription de Temgésic®
(buprénorphine), autre opiacé de synthèse, aux patients
de son cabinet de Bruxelles17. Dès lors, la prescription
de Temgésic®, de sulfate de morphine (Skenan® ou
Moscontin®) ou de Palfium® devient une pratique légitime qu’expérimentent à leur tour de plus en plus d’audacieux.
Ce nouvel usage thérapeutique ne plait guère aux gardiens
du dogme : l’Association nationale des intervenants en
toxicomanie (ANIT) monte au créneau, à partir de 1990,
d’abord contre la généralisation de la substitution à la
méthadone alors en débat, mais aussi contre ces prescriptions d’opiacés de synthèse réalisées par des généralistes
qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas. Et qui provoquent de surcroît de nouvelles addictions dont doivent
alors s’occuper les vrais experts, comme tance Nelson
Feldman, médecin-psychiatre à Marmottan, lors des journées nationales de l’Association en mai 1990 et dans un
texte reproduit dans Interventions : « Nombreux sont les
toxicomanes qui viennent à Marmottan afin de faire un
sevrage de Néocodion®, d’Antalvic®, de Codéthyline, de
Temgésic® ou de Palfium®, produits facilement accessibles en pharmacie ou prescrits pendant des mois par
des généralistes. L’idée que le traitement du toxicomane
ne doit pas reposer sur un produit a toujours été un pilier
du travail clinique. Pourquoi le sida doit-il faire tout basculer ? »18. C’est pourtant pour réagir face au sida que la
RdR va s’imposer comme une nécessité en France et parce
que le système de soins officiel est incapable de prendre
en charge un nombre toujours plus grand d’usagers qui ne
peuvent supporter l’abstinence totale du jour au lendemain que la substitution aux opiacés des généralistes va
s’imposer comme un bon compromis. Dans le bras de fer
qui commence, les généralistes vont devoir s’organiser. En
1992, en région parisienne, à l’initiative entre autres de
Jean Carpentier, qui revendique sa pratique de substitution depuis 1987, est créé le Réseau des professionnels
pour les soins aux usagers de drogues (REPSUD)19.
Antoine Khouri, l’un de ses membres fondateurs, défend,
avant même le Temgésic®, l’emploi du Palfium® comme le
produit de substitution idéal : par son « flash », il peut
facilement s’insérer dans les pratiques préexis17 Reisinger M. Buprenorphine as a new
treatment for heroin dependence. tantes des héroïnomanes, tandis que par sa
Drug Alcohol Dependence 1985;16:257-62. durée de vie limitée dans l’organisme, il évite18 Feldman N. Réflexions sur les traitements
rait selon lui le risque de surdose, sauf en cas
de maintenance aux opiacés. Interventions,
octobre 1990. d’association avec d’autres opiacés.
19 Carpentier J. Des toxicomanes et des Mais les polémiques sur les « médecins deamédecins ; un drame en trois actes lers » de Palfium® ne désemplissent pas. En
et quarante-sept tableaux. Paris :
L’Harmattan, 2000. 1994, après des mois de procédure, le conseil
20 Libération, respectivement 20 décembre national de l’ordre des médecins suspend pour
1994 et 7 mars 1996. un mois Jean Carpentier et Clarisse Boisseau
pour prescription illégale de narcotiques à leurs patients
toxicomanes. Près de 280 médecins signent une pétition
dans Libération, « Qui ne dit mot consent », pour
défendre les pratiques de leurs collègues. Le texte pointe
la contradiction entre ces sanctions et la généralisation
des programmes méthadone qui a alors enfin été décidée
par protocole du ministère de la Santé cette année-là, et
met en avant l’éthique du médecin pour qui le soulagement de la douleur du patient est aux fondements de sa
profession. Toutefois, à partir de novembre 1993, REPSUD
avait décidé de ne plus recommander le Palfium® sur la
liste des produits utilisables en substitution. En 1996,
Albert Cohen, médecin parisien membre de REPSUD, est
sanctionné de la même manière par les instances ordinales qui lui reprochent ordonnances de complaisance et
traitements dangereux au Temgésic® ou au Palfium® (un
de ses patients est mort d’overdose en 1994) : en colère,
le médecin entame une grève de la faim devant le siège
du conseil de l’ordre20. Des abus peuvent toujours survenir : REPSUD jugeait ainsi que Khouri était devenu beaucoup trop complaisant dans des consultations qui ne
duraient que cinq minutes et très large dans ses prescriptions : ce à quoi le médecin se défendait en parlant de
« médecine d’urgence » sur un « territoire ravagé par la
came et le sida » comme Belleville. Tandis que les toxicomanes rusés continuaient de solliciter et de cumuler des
prescriptions : Khouri souligne ainsi dans son entretien
avec Substitution Auto-Support en 1996 avoir débusqué
quelques patients faisant la tournée des cabinets. Mais
l’année même où les ennuis judiciaires commencent pour
lui, les produits de substitution comme la méthadone ou
le Subutex®, qui ont enfin obtenu leur AMM, deviennent
accessibles à la prescription au 1er janvier, prenant petit
à petit le pas, sans pour autant les supplanter, sur les
autres opiacés de synthèse auparavant prescrits.
À la fois poison et remède, le Palfium® illustre bien les
paradoxes du pharmakon, pour reprendre un terme de
Platon qu’affectionnait particulièrement Olievenstein.
Mais les scandales et les overdoses qui lui sont désormais associés ont finalement raison de lui. Les laboratoires Synthélabo (qui avaient intégré Delalande en
décembre 1991) décident donc d’en arrêter la commercialisation : l’histoire du Palfium® en France prend fin au
soir du 31 décembre 1999…
Une version plus complète de l’article est disponible en
ligne sur vih.org.
24
Directeur de la publication
Didier Jayle
Rédacteur en chef
Gilles Pialoux
Secrétaire de rédaction
Brigitte Hulin
Comité de rédaction
Florence Arnold-Richez
Élisabeth Avril
Philippe Batel
Mustapha Benslimane
Vincent Benso
Catherine Brousselle
Jean-Pierre Couteron
Michel Gandilhon
Marie Jauffret-Roustide
Jimmy Kempfer†
France Lert
Alexandre Marchant
Isabelle Michot
Philippe Périn†
Pierre Poloméni
Brigitte Reboulot
Gestion
Amanda Baptista
Réalisation graphique
Céline Debrenne
Impression : Alliance Reims
Dépôt légal : à parution
ISSN : 1277-7870
Commission paritaire : en cours
SWAPS
Chaire d’addictologie CNAM
case 216
2, rue Conté
75003 Paris
Téléphone : 01 58 80 87 31
[email protected]
www.pistes.fr/swaps
Publié par l’association Pistes
(Promotion de l’information
scientifique, thérapeutique,
épidémiologique sur le sida),
qui édite aussi Transcriptases
et www.vih.org
Avec le soutien financier de la
Direction générale de la Santé
MINISTÈRE DU TRAVAIL,
DE L’EMPLOI
ET DE LA SANTÉ
Édito
Swaps est en deuil. Après Jimmy Kempfer, parti il y a quelques
mois, c’est Philippe Périn qui a rejoint les nuages qu’il aimait tant
le 7 octobre dernier (voir page 2). Notre comité de rédaction s’orne désormais de
deux †. Ce qui n’est pas rien pour une équipe plutôt « jeune » ! L’un comme l’autre
avaient lutté jusqu’à l’épuisement contre une maladie aussi dramatique que violente.
C’est avec toutes les équipes de Pistes, du Crips, du journal Le Monde où il travaillait,
que sa famille et ses amis l’ont accompagné à Saint Eustache puis au cimetière de
Montmartre le 15 octobre dernier. Ce numéro 79 de Swaps lui est dédié.
C’est un numéro qu’il aurait aimé, avec notamment la dimension du voyage dans le
bilan d’étape de Michel Gandilhon et Luis M. Rivera-Velez (page 10) sur la régulation du
cannabis en Uruguay. Un pays particulièrement sous les feux de l’actualité dans la
préparation de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unis sur
la drogue (UNGASS) en mai 2016, sur laquelle Swaps reviendra très largement. Et où il
est question de politique novatrice à l’égard du cannabis, dans lequel l’Uruguay s’est
engagé, comme le Chili ou la Colombie.
Et puis parce que c’est une tradition, à Transcriptases, à Vih.org et à Swaps, d’ouvrir le
débat dès lors qu’il est contradictoire, nous avons ouvert nos colonnes à des échanges
autour du matériel d’injection, tout particulièrement la notion d’« espace mort », avec
un nouvel objectif de réduction des risques de lui associer les bénéfices d’une filtration
efficace et de minimiser le volume mort (voir page 14).
Ce numéro aurait plu aussi à Philippe, parce qu’il est à la fois un regard sur l’histoire,
comme nous le faisons régulièrement dans Swaps avec Alexandre Marchant (voir
page 20), qui rappelle ici les trois âges du Palfium®, produit issu de la pharmacopée
détourné de son usage ou utilisé de manière profane comme outil de substitution. Et un
regard sur le futur, avec Élisabeth Avril, qui nous invite à nous projeter dans l’avenir,
jusqu’en 2030, suite à la réunion de Copenhague en juin dernier, sur les stratégies de
politiques régionales de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Et ce dans les
domaines du VIH, des hépatites et des infections sexuellement transmissibles (voir
page 18) où l’OMS a souvent le bon rôle pour distiller les orientations aux pays ou aux
organismes de santé avec cet objectif ambitieux de promouvoir la réduction des risques
en respectant les droits humains fondamentaux et en privilégiant la participation
communautaire des populations cibles. Vaste programme.
et du laboratoire
GILLES PIALOUX, DIDIER JAYLE
No 78 / 1er trimestre 2015

Documents pareils

SWAPS79_SWAPSmaquette copie

SWAPS79_SWAPSmaquette copie of two medication adherence and drug use interventions for HIV+ crack cocaine users. Drug Alcohol Depend 2011;116(1-3):177-87. 20 Greenwald MK, Lundahl LH, Steinmiller CL.

Plus en détail