Jouer avec l` imaginaire

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Jouer avec l` imaginaire
PSYCHO
FANTASMES FEMININS
Jouer avec l’imaginaire
n’en avons pas toujours conscience,
mais il est devenu la référence de notre
vie sexuelle. Parfois malgré nous. Un
exemple : une femme se choisit inlassablement des partenaires dominateurs et
volages, et ces relations tournent chaque
fois à la catastrophe. Peut-être a-t-elle un
fantasme primaire qui la mène vers ce
genre d’expérience amoureuse stéréotypée ? Si elle en souffre et souhaite sortir
de l’ornière, il peut être utile de prendre
conscience de la teneur de ce fantasme.
Ainsi, à l’avenir, elle pourra mieux gérer
cette attirance et choisir d’y céder ou pas,
en toute connaissance de cause.
Jardin secret
Faut-il parler de ses fantasmes avec son
partenaire ? A cette question, il n’y a
évidemment pas de réponse toute faite.
Etre à l’aise avec ses fantasmes donne
certainement envie de les partager. Dans
son livre « L’intelligence érotique », la
sexologue belgo-new-yorkaise Esther
Cercles de femmes
Florence Loos et Carolle Graf organisent
régulièrement des week-ends de
femmes sur le thème de la sexualité.
« Parce que souvent nous nous posons
mille questions, parfois nous avons honte
de notre passé, de nos envies, de nos
fantasmes, de nos blocages, nous ne
savons pas comment nous
situer par rapport à l’autre, oser
dire oui, oser dire non », expliquent-elles. Et aussi parce
que la transmission entre
femmes sur ces sujets tabous
entre tous fait cruellement
défaut dans notre culture
occidentale. Les moments de
partage alternent avec des
exercices de découvertes
basés sur le ressenti et le
lâcher-prise. « En avançant
dans la connaissance de
nous-mêmes, nous nous
offrons des choix plus
conscients sur ce que nous
voulons vivre. »
Elles organisent parallèlement
des week-ends consacrés
aux soignants, eux-mêmes
parfois mal à l’aise face à des
demandes de patients
concernant la sexualité.
Renseignements : www.carollegraf.be et www.florence-loos.be
Perel a cette jolie expression : « Le lit est un
endroit où l’on peut jouer son ombre ».
Entendez par-là qu’on peut s’y autoriser
des rôles empreints de domination,
soumission, voyeurisme, exhibitionnisme,
etc. que l’on ne vivrait jamais dans la
réalité. Participer au fantasme de l’autre,
sans honte ni jalousie – et pour autant que
le fantasme « plaise » à l’autre bien-sûr –
c’est un gage d’intimité bien construite,
une preuve de confiance, une promesse de
désir renouvelé, un nouvel horizon de
plaisir qui s’ouvre.
A contrario, d’autres vous diront que
nous sommes déjà dans une culture du
couple fusionnel (qui est en soi un mythe
irréel), et que tout se dire et tout partager
n’est pas nécessairement la meilleure
façon d’entretenir le désir. Le mystère,
l’incertitude, la distance, le soupçon de
jalousie... sont aussi des ingrédients du
désir. « Même si on décide de partager sa
vie avec quelqu’un, on ne lui est pas lié en
totalité et notre imaginaire peut être peuplé d’autres personnes sans que cela doive
se savoir. La fidélité n’est pas exigeante à
ce point ! », conclut Carolle Graf.
Passage à l’acte
Quand un fantasme est partagé, la tentation est parfois grande de le réaliser. Sur ce
point, les deux sexothérapeutes sont plus
circonspectes : « La plupart du temps,
c’est décevant. » Entre rêver de faire
l’amour dans un ascenseur, et le faire
vraiment, il y a une foule de petits
détails prosaïques qui viennent dégonfler
l’atmosphère hautement érotique de la
situation ! Mais à ce stade-là, ce n’est pas
grave. Au pire, on a perdu un fantasme
amusant, quoique le fantasme « raté »
puisse rester excitant, voire même nourrir
d’autres fantasmes qui viendront le « perfectionner » par la suite. Là où c’est parfois plus dramatique, c’est quand on joue
sur l’affectif, comme dans les relations à
plusieurs. « Voir soudain son ou sa partenaire faire l’amour avec quelqu’un d’autre
peut se révéler très déstabilisant. Encore
une fois, on ne peut pas faire de généralités, mais on constate souvent que cela crée
dans la relation une brèche difficile à réparer, où s’engouffrent la jalousie, la perte
de confiance en soi et en l’autre, et ce
genre de sentiments négatifs. » Prudence
donc, avant de jouer avec le feu. Car
finalement, l’imaginaire est riche de possibilités infinies ; mais pas la réalité.
JUIN 2009 ÉQUILIBRE 43
PSYCHO
Culpabilité
Quels sont les fantasmes féminins les plus
courants ? Les deux sexothérapeutes se
concertent du regard : « Le fait d’être
dominée, voire prise de force et violée, le
triolisme (relations à trois), ou encore
faire l’amour avec une autre femme. Ce
qui ne veut pas dire – soulignons trois
fois ! – que les femmes ont envie d’être
violées, d’avoir des relations à plusieurs
ou de devenir lesbiennes. Le fantasme de
viol, par exemple, peut refléter un idéal
d’homme dominateur, fort et protecteur,
dont les femmes rêvent quasi ataviquement depuis la nuit des temps, mais il
permet aussi de se dédouaner d’une éventuelle sensation de culpabilité devant son
propre désir (une attitude pas si rare)
puisque ’ce n’est pas moi qui éprouve du
désir, c’est l’autre, puisqu’il me prend de
force’ ».
La culpabilité, parlons-en. Elle entrave le
plaisir des femmes (et aussi des hommes
d’ailleurs) depuis que nos cultures et nos
religions se sont mêlées de baliser notre
sexualité. Les fantasmes sont souvent liés
à la transgression d’un de ces interdits.
Transgresser est toujours excitant car
notre psychisme aime à se rebeller contre
les normes imposées. Mais ces transgressions, tout imaginaires qu’elles soient,
véhiculent aussi leur pesant de culpabilité.
Ce qui est nettement moins excitant... Un
des secrets d’une sexualité épanouie réside
sans doute dans la capacité à faire pencher
cet équilibre précaire du bon côté. Avec
des retours de balanciers parfois inattendus. Carolle Graf évoque les jeunes
femmes de notre époque, libres dans leur
corps et dans leur tête, qui un jour décident de se ranger, trouvent le père idéal
pour leurs enfants à venir, l’épousent
éventuellement et... s’ennuient aussitôt à
mourir. « Souvent, il y a là derrière un
appauvrissement soudain de l’imaginaire
érotique, comme si, en intégrant les représentations de ’mère’, on s’interdisait toutà-coup tout ce qui pimentait sa vie de
’femme’. L’éternel antagonisme entre la
madone et la putain a encore de beaux
jours devant lui. »
Le fantasme sexuel a longtemps eu mauvaise presse : péché, perversion, signe d’immaturité
sexuelle ou de frustration... La sexologie moderne a radicalement changé ce regard. Le
fantasme, reflet de notre force créatrice, est un outil formidable pour épanouir la sexualité.
KARIN RONDIA
O
n admet depuis toujours
que l’imaginaire masculin
se nourrit abondamment
d’images érotiques. Mais
celui des femmes ? Etrangement, il devrait se satisfaire de câlins
et de soupirs langoureux. Hé non !
« Surtout, dites bien aux femmes qu’il est
normal d’avoir des fantasmes ! » Florence
Loos et Carolle Graf organisent régulièrement des week-ends de parole entre
femmes, autour de la sexualité (lire encadré). « La plupart viennent là à la fois
pour se rassurer sur le vécu des autres
femmes et pour se rassurer sur le fait
d’être ‘normales’ ou pas. Nous sommes
tellement formatés par les multiples
diktats qui entourent la sexualité... » Et
les fantasmes figurent bel et bien au menu
des confidences.
Mais d’abord, c’est quoi un fantasme ?
Beaucoup de femmes sont persuadées
de ne pas en avoir. Pourtant il ne faut
pas nécessairement avoir un scénario
« tordu » en tête : une simple idée, une
image, un mot émoustillant peuvent
suffire à éveiller le désir, alimenter l’excitation ou déclencher l’orgasme. Bien utile
donc. « Quand on n’arrive pas à se lâcher
pour laisser venir le plaisir, la seule évocation mentale du fantasme suffit souvent à
déclencher le feu d’artifice ! », confirme
Florence Loos, qui ajoute : « Mais les
fantasmes, c’est comme les rêves : parfois
on croit ne pas en avoir, alors qu’en réalité
ils sont là mais ne viennent pas jusqu’à la
conscience. Mais ce qui est intéressant,
c’est que nous pouvons avoir plus de prise
dessus que sur nos rêves. »
D’après les théories de la sexoanalyse,
nous avons tous un fantasme primaire,
qui correspond aux premières excitations
sexuelles que notre cerveau a engrammées. Cela remonte à l’enfance, et nous
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