La fanfare de Yannick Bureau

Transcription

La fanfare de Yannick Bureau
Sur le terrain
Su r l e t e r r a i n
par Alain de l’Hermite
photos Patric k Iafrate
Visite Trompes Périnet
La fanfare de Yannick Bureau
◆ Instrument de communication des veneurs à l’origine, la trompe est devenue un instrument
de musique à part entière. Dont Yannick Bureau est l’un de ses meilleurs ambassadeurs.
C
ertaines rues parisiennes,
où fleurissent les commerces
du luxe, semblent avoir le privilège d’échapper aux embouteillages du matin. Voilà
pourquoi, lorsqu’il fait beau,
c’est toujours un plaisir de flâner rue du Faubourg-Saint-Honoré. Nous avons choisi le trottoir opposé pour aborder le
“174, rue du Faubourg”, selon
la dénomination désormais
familière des inconditionnels
d’Artumès & Co. La boutique de
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chasse en vogue reconnaissable
au mauve de l’auvent et aux couleurs chinées des vêtements
de la vitrine : nous y puisons
une bouffée d’oxygène, nous
rappelant la bruyère des moors
écossais ou celle de la Sologne.
Le rez-de-chaussée baigne
dans une lumière délassante, où
Haribo le chien de la maison
poursuit sa nuit, lové sur son fauteuil. Il semble savourer le talent
de son maître Nicolas dont les
radoucis de trompe nous par-
Jours de C HASSE ◆
viennent depuis l’étage. Aux
notes de son élève semblent
répondre les vibratos de son
maître, Yannick Bureau. Il est
notre rendez-vous ce matin, lui
qui, depuis 1994, a décidé de
Yannick Bureau dans la pièce
réservée à la vénerie
chez “Artumès & Co”,
rue du Faubourg-Saint-Honoré
à Paris, testant une trompe
à guirlande argentée ornée
de motifs de chasse.
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poursuivre «l’aventure humaine
Périnet », nous conte-t-il.
Artumès & Co est le distributeur parisien des trompes Périnet. Un authentique brevet, si
l’on connaît la tradition familiale de la chasse à courre chez
les maîtres des lieux, Nicolas,
Thomas Drach et leur père Alain,
maître d’équipage de La Futaie
des amis. C’est un plaisir non
feint de retrouver cette demeure
idéale du chasseur où embaume
la cire des meubles de famille,
Sur le terrain
Sur le terrain
où armes et vêtements cohabitent avec les beaux-arts de la
chasse, telle ce beau léopard
en terre cuite patinée. À gauche,
en haut de l’escalier, Nicolas et
Yannick gants blancs aux mains
continuent leur concert, cette
fois sous l’œil amusé du chien
qu’a dessiné Jean-Yves du Boispéan.
Dans cette pièce consacrée
à la vénerie, nous découvrons
la majeure partie des huit modèles de la collection Périnet.
Posées sur la collerette de leur
pavillon, elles semblent vouloir
nous entraîner à jouer avec elles.
Sous l’effet des spots, leur cuivre
jaune étincelle de mille feux,
elles s’appellent: La Diane, La
Daguet, La Saint-Hubert, La Périnet.
La trompe (lire notre encadré
page122), «cet adjuvant auquel
la vénerie française doit un incomparable éclat », selon la jolie formule du duc de Brissac,
Yannick Bureau l’a portée d’une
certaine manière au firmament.
Un spectaculaire stock
de pavillons. En 1855,
les recherches de Périnet
aboutiront à la conception
du pavillon actuel, puissant
et au timbre brillant.
En effet, rappelons-nous que
l’on doit à François Périnet au
XIXe siècle d’avoir redéfini si l’on
peut parler ainsi la trompe de
chasse, avec un son plus puissant permettant de communiquer plus loin, tout en conservant la justesse de son timbre,
grâce à son tonnerre élargi et
son pavillon directionnel. Jusqu’alors régnait la trompe dite
“à la Dauphine” d’une longueur
déployée de 4,545 mètres, remplacée en 1818 par celle dite
“à la d’Orléans”, de même longueur, mais enroulée à trois tours
et demi (elle recevra ce nom à
la suite d’une commande de
quarante trompes passée par
l’aîné des fils de Louis-Philippe,
le duc d’Orléans). Cette trompe
exécutée par le fameux Auguste
Raoulx sera perfectionnée par
Périnet, qui la mettra définitivement au point en 1855.
Au vrai, François Périnet avait
été formé dès 1820 chez Auguste Raoulx. Neuf ans plus tard,
il s’installe à Paris. En 1859, pour
la première fois, le nom d’un associé est gravé sur la trompe à
côté de Périnet : ce sera Pettex-Muffat. L’année suivante le
modèle de grand luxe avec sa
guirlande argentée la célèbre
Pettex-Muffat naîtra de cette
union (l’ornementation de sa
guirlande argentée est due au
sculpteur Henri Garnier; elle représente une allégorie des trois
types de chasse, du loup, du cerf
et du sanglier ; à la suite d’un
don, la matrice de Garnier est
aujourd’hui conservée au musée
de la Chasse de Gien).
Après la disparition de François Périnet en 1862 ou 1863,
ses successeurs ne sacrifieront
jamais la qualité sur l’autel de
la rentabilité. Sans entrer dans
une chronologie fastidieuse, sachons que c’est après la retraite
du célèbre facteur Cheval, occupé depuis 1945 à la destinée
L’une des premières étapes de la fabrication d’une trompe : la découpe du laiton d’après
gabarit. Une fois repoussé puis soudé, le pavillon est poli sur un mandrin en acier, ci-dessous.
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Sur le terrain
PERINET
Sur le terrain
de Périnet, que Michel Bureau
l’oncle de Yannick décide de “reprendre le fouet”. En 1968, le
nom de Bureau est gravé pour
la première fois à côté de celui
de Périnet sur la guirlande d’une
trompe. Chaudronnier de métier, sonneur au Débuché de Paris, salarié du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) le jour,
Michel travaillait souvent la nuit,
principalement pour réparer les
trompes de nombreux équipages. Pour Yannick, reprendre
le flambeau était presque une
évidence.
Ce n’est ni la voie de la chasse,
ni celle de la vénerie (il ne pratique – hélas! – ni l’une ni l’autre)
qui l’ont amené chez Périnet
mais la passion de sonner. « Oui,
mon grand-père sonnait, mon
père sonnait, mon oncle également et je sonne. Je suis issu
d’une famille de sonneurs. Depuis l’âge de 14 ans, ma passion c’est vraiment la trompe
d’un point de vue musical. Il faut
bien l’avouer, lorsque j’ai repris
son activité en 1994, la fabrication stricto sensu était assez réduite », se souvient Yannick
Bureau. De là, a mûri son envie d’améliorer l’instrument
lui-même; sa branche d’embouchure. Mais aussi la façon
de s’en servir, “en allant voir
ailleurs”, des cornistes, des
bassistes, des trompettistes
comme Thierry Caens, élève
de Maurice André. Bien sûr,
Yannick Bureau a appartenu
à des groupes de trompe
comme le Bien Aller de
Nantes et fait des concours
pour arriver «en première catégorie » (l’élite des sonneurs) vers 1980, au Débuché de Paris comme son
oncle Michel.
Comme pour qui s’est essayé
un jour à vouloir sortir un son
d’une trompe, une chose étonne
Préparation du pavillon avant la réception de sa
guirlande. Ci-dessus, le cintrage de la trompe peut
commencer. Ci-dessous, polissage extérieur du pavillon.
À gauche, aujourd’hui la peinture noire
a remplacé la poudre de graphite martelée.
À la manufacture située aux
environs de Stuttgart. Le facteur
en grande discussion technique
avec Yannick Bureau pour
la validation des trompes.
aussitôt en observant sonner
Yannick Bureau. C’est sa facilité ! On est si loin, aussi, de
l’image de ces sonneurs en
Jours de C HASSE ◆
grande tenue de veneur dont
les joues se gonflaient comme
sur cette célèbre photographie
du trompettiste de jazz Dizzy
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Gillespie. Alors, même si la fanfare était belle, ils devenaient rubiconds et semblaient bientôt
devoir défaillir devant l’effort à
produire! Comme 90% des sonneurs qui prennent beaucoup
d’air et force à obtenir un son.
Quel secret se cache donc
derrière cette facilité apparente
à sonner, à produire également
des tons si doux à l’oreille? Sa
réponse tombe aussitôt: « Qui
sait utiliser la colonne d’air est
capable de sonner presque sans
efforts; la technique de respi-
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Sur le terrain
Sur le terrain
PERINET
Soudure à l’étain des cinq
éléments. Depuis Raoulx en
1818, l’enroulement des trois
tubes est à 3,5 tours pour un
diamètre de 35 cm. Ci-dessous,
La Saint-Hubert, un modèle
au métal d'une épaisseur
de trois dixièmes de millimètre.
ration est alors comparable à
celle du chant. Fondamentale. »
Et de nous expliquer qu’à cette
fin lors de l’inspiration, on remplit d’air la totalité des poumons
en gonflant l’abdomen, et pas
seulement le haut des poumons
comme dans la vie courante. Ensuite lors de l’expiration, les abdominaux jouent le rôle d’un piston pour expulser un grand
volume d’air. Cette respiration
dite diaphragmatique s’apprend et sert même de base
aux techniques de relaxation.
C’est l’une des raisons pour lesquelles la pratique de la trompe
est fortement conseillée aux
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gens stressés, Yannick qualifie
même ses cours de « trompethérapie ».
Qui plus est, le « matériel a
également évolué» précise Yannick, lorsqu’il nous tend sa
trompe, un peu particulière. Le
modèle de la collection nommé
La Tyndare «en hommage à Tyndare Gruyer, l’un des pères de
la musique de trompe ». Nos
yeux de profane découvrent à
peine quelques bagues de métal blanc à la jointure de chacun des éléments de laiton. Un
numéro de série, aussi, comme
chaque trompe Périnet. Mais
l’innovation est ailleurs.
Jours de C HASSE ◆
Il faut savoir qu’un modèle
de trompe traditionnelle possède toujours deux éléments coniques, la branche d'embouchure et le pavillon. Mais les trois
autres tubes intérieurs sont cylindriques et de diamètres différents pour pouvoir entrer l’un
dans l’autre. Pas pour cet instrument dont chacun des tubes
est dit “étiré conique”. Cette importance du volume intérieur de
la trompe, de la “perce” comme
disent les spécialistes, Yannick
l’avait toujours pressentie, car
on sait, dit-il, lors d’un test
qu’une trompe était « facile à
sonner, une autre moins, sans
vraiment savoir pourquoi ».
Pour tenter de résoudre ce
problème, Yannick fera une rencontre capitale lors de la reprise
de la manufacture, celle avec
un facteur allemand des environs de Stuttgart; une rencontre
facilitée par le fait que l’épouse
de l’artisan est française. « Il fabrique le cor en mi-bémol pour
les Allemands, du très haut de
gamme. Des cors d’harmonie,
des trompettes aussi, bref, tous
les instruments à vent », nous
précise Yannick Bureau. Surtout
ce fut la découverte du Graal,
un logiciel dans lequel la perce
idéale avait été modélisée. Incrédule, ce jour-là, Yannick Bureau trouvait la réponse sur « le
profil idéal interne, qui offre une
trompe juste et facile ».
Pour chacun des modèles de
la gamme, on a même « la possibilité de personnalisation de
la trompe selon les capacités du
sonneur. Par exemple à tel sonneur très puissant, on adaptera
une ouverture plus importante.»
Mais quel est l’intérêt des tubes
coniques? « Primordial, ça modifie les nœuds, c’est-à-dire les
rencontres d’énergie à l’intérieur
de l’instrument. La qualité du son
et sa justesse sont meilleures. Le
PRINTEMPS 2014
Petite histoire
de la trompe
La trompe est indissociable
de la chasse à courre.
« Sans elle, indique la
Société de vènerie, le laissercourre perdrait une partie de
son âme; véritable instrument
de musique, elle est aussi,
pendant la chasse, le moyen
utilisé par les veneurs pour
communiquer entre eux
et appuyer les chiens ».
Historiquement, avant la
trompe, les veneurs utilisaient
des cors ou huchets, en corne
animale ou en métal. Avec cet
instrument à une seule note,
les veneurs étaient convenus
de cornures pour signaler
les circonstances de chasse.
Si les premières trompes (en
airain) auraient existé sous
l’Antiquité, sa cousine de
chasse en cuivre n’apparaîtra
que sous Louis XIV en 1680
(en empruntant les grandes
trompes de la chapelle royale
de Versailles), avec l’avantage
d’offrir des tonalités plus
riches que celles du cor;
la trompe sera améliorée par
le marquis de Dampierre (qui
précisera ses caractéristiques
et composera des fanfares),
puis par Raoulx (qui donnera
la trompe dite “à la
d’Orléans”) et Périnet.
Depuis lors, la trompe
de chasse n’a pas varié.
N’oublions pas que la trompe
est un instrument de musique
à part entière, et qu’elle est
donc utilisée en musique
sacrée et lors de concerts.
radouci ou” radoux” est aussi favorisé. » À la question: “Cette
technique des tubes coniques
est-elle propre à Périnet?” Yannick Bureau s’enthousiasme :
« Ah oui! Il n’y a que moi! »
Yannick Bureau porte également une attention particulière
à la fabrication pure. Chaque année « quelques dizaines de
trompes sortent de la manufacture…». Mais nous n’en saurons
Sur le terrain
Sur le terrain
Après la conception assistée
par ordinateur de la perce
et de l’optimisation de la trompe,
c’est l’heure du verdict.
Par l’envoi d’une impulsion
électrique le facteur vérifie la perce
de l’instrument. Imparable !
pas plus. La chaudronnerie, la dinanderie devrait-on peut-être
dire en référence à la noblesse
de ce métier, est par excellence
la compétence du facteur de
trompe. On ne le sait pas forcément, mais il existe deux familles de trompes: les chaudronnées et les repoussées. Pour
ces dernières, on utilise la technique du repoussage sur un tour.
Le laiton, alliage de cuivre et de
zinc, est repoussé, déformé
avant d’être soudé sur un cône.
Petite précision d’utilisation,
grâce à la technique du repoussage, on adapte l’épaisseur du
métal. Une trompe de chasse devra être solide et possédera des
parois de cinq dixièmes de millimètre, certes plus lourde, elle
résistera aux coups. À, rebours
dans le cas d’une utilisation purement musicale de sa trompe,
on peut diminuer les parois jusqu’à trois dixièmes de millimètre. Comme La Saint-Hubert.
À côté, les trompes chaudronnées représentent l’aristocratie de la trompe, comme dans
la collection actuelle, La Périnet et La Pettex-Muffat. Dans
la grande tradition, « perpétuée
par mon oncle Michel », nous
expliquera Yannick, le pavillon
supporté par un mandrin d’acier
est martelé sur son ensemble
avant d’être soudé bord à bord.
Du fait de ce martelage, le métal obtient des caractéristiques
techniques particulières pour
un meilleur transport des fréquences, de meilleurs harmoniques. Et les prix? Ils commencent à 500 euros et montent,
jusqu’à 3600 euros avec le modèle Pettex-Muffat. Mais de
toutes ses expériences, ce qui
lui a vraiment plu, c’est la créativité, l’expérience des “choses
nouvelles”. Comme ce jour où,
dans un mariage, il y a eu la rencontre avec un orchestre de jazz,
ça a été « le coup de foudre » !
Depuis « on s’est acoquinés »,
selon ses mots, « l’an dernier, on
a donné une quinzaine de
concerts. L’accueil du public a
été formidable ». Comme quoi
la trompe est bien un instrument
à part entière et pas au seul service de la chasse à courre.
Fort de toutes ces expériences, une méthode codifiée a
vu le jour. « Maintenant, on apprend vraiment à sonner », savoure-t-il. La méthode est enseignée par Yannick Bureau chaque
semaine à la Maison de la Chasse
et de la Nature à Paris dans le
IIIe arrondissement. Parmi la quarantaine d’élèves où se côtoient
toutes les classes d’âge, on
trouve un tiers de veneurs, un
tiers de chasseurs à tir et un autre
tiers ne chasse pas non plus.
Dans ce travail de transmission de ses connaissances, Yannick Bureau a su s’entourer d’un
professeur de cor d’harmonie
nantais comme lui, « il vient parler de la colonne d’air», d’un professeur de piano, « qui vient
parler du solfège » ; et « d’un
copain kiné des voies respiratoires de l’École de la voix à Paris». Le clou de la saison consiste
en un stage de trompe de trois
jours au domaine de Belval, propriété dans les Ardennes de la
Fondation François-Sommer.
En quittant Yannick Bureau,
nous avions compris qu’il fallait
s’inscrire à son école de trompe
du Club Périnet. Pour assister
de toute urgence à l’une de ses
“trompes thérapie”, dont il nous
◆
avait entretenues.
Périnet :Yannick Bureau,
06.14.20.99.53
et 03.86.66.37.87.
Internet : www.perinet.fr
Artumès & Co,
174, rue du Faubourg
Saint-Honoré, Paris VIIIe.
Tél. : 01.84.16.96.11.
Ci-dessous, Yannick Bureau prend en charge une trompe en vue d’une réparation. Grâce aux embouchures à bords plats, la dextérité du sonneur
est améliorée, sa fatigue contenue. À droite, en Sologne, concert de l’ensemble Jazz à Courre au château de Chambord pour La nuit du brame.
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