The Indian Queen :discographie L`état de la discographie de The

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The Indian Queen :discographie L`état de la discographie de The
The Indian Queen :discographie
L’état de la discographie de The Indiqn Queen fait valoir l’évolution de l’interprétation de la
musique baroque depuis les années 1950. Ainsi, si l’on oubliera l’ancienne gravure dirigée par
Anthony Bernard (Music Guild), en raison de chanteurs inadéquats et surtout d’un orchestre
totalement inadapté, on aura davantage d’indulgence pour la version dirigée par Charles
Mackerras (Decca « Serenata », 1966), elle aussi jouée sur instruments modernes. Si la
direction du chef australien, à la tête du English Chamber Orchestra, manque quelque peu de
poésie, elle est en revanche d’une efficacité dramatique à toute épreuve, notamment dans la
scène opposant la Renommée et la Jalousie. Mackerras, à qui l’on doit tant de redécouvertes
dans les répertoires purcéllien et haendélien, a su par ailleurs s’entourer des meilleurs
spécialistes, pour l’époque, du baroque anglais. Citons la soprano April Cantelo, les ténors
Robert Tear et Ian Partridge ainsi que la basse Christopher Keyte.
Comme souvent avec les enregistrements du Deller Consort (Harmonia Mundi), c’est la
distribution vocale qui constitue le maillon faible de cette version. Deller père, relativement
âgé en 1976, n’intervient que dans l’ensemble « Ah, how happy are we » du troisième acte.
On entend cependant avec plaisir le soprano petit format de Jean Knibbs, le ténor Paul Elliott
et la basse Maurice Bevan, tous parfaitement à l’aise dans un répertoire qui leur va comme un
gant. Mais comme à l’accoutumée, les sonorités mièvres et pincées de la soprano Honor
Sheppard et surtout du contreténor Mark Deller – l’indigne fils de son père – sont à la limite
du supportable. À l’inverse de la version de Charles Mackerras, l’âme et la poésie sont au
rendez-vous, même si quelques raideurs dans la direction d’orchestre vont parfois à l’encontre
de la dimension théâtrale de l’ouvrage. On apprécie en tout cas les sonorités authentiques de
cette belle version, la première à avoir été intégralement jouée sur instruments d’époque.
C’est avec John Eliot Gardiner (Erato), dans son enregistrement de 1979, que nous tenons la
première version entièrement satisfaisante. Intégralement jouée sur instruments anciens, elle
restitue autant le contenu poétique de l’ouvrage que sa dimension scénique. Les solistes sont
pour la plupart satisfaisants et composent des personnages vivants et crédibles. Se détachent
tout particulièrement les ravissants ténors de Martyn Hill et de John Elwes ainsi que la basse
Stephen Varcoe, sans oublier la soprano Jennifer Smith, particulièrement émouvante dans
l’air d’Orazia du quatrième acte « They tell us ». Un des atouts majeurs de cette version est
évidemment l’irréprochable Monteverdi Choir, ainsi qu’un orchestre incroyablement vivant et
virtuose qui restitue à chaque instant ce qui apparaît comme la magie de la scène. Le
continuo, qui contient curieusement un violoncelle à la place de la viole de gambe que l’on
aurait attendue, est d’une beauté ineffable.
Difficile à trouver aujourd’hui dans le commerce, la version parue en 1994 sous le label Linn
et dirigée par Catherine Mackintosh à la tête de The Purcell Symfony vaut surtout pour
quelques jolis gosiers, notamment ceux de la basse Peter Harvey, du ténor Rogers CoveyCrump et de la soprano Catherine Bott.
On retrouve cette dernière, la même année, dans ce qui reste sans doute à ce jour la version la
plus accomplie, celle dirigée en 1994 par Christopher Hogwood à la tête de son Academy of
Ancient Music (Decca – L’oiseau-Lyre). Peut-être moins théâtral que la version de John Eliot
Gardiner, cet enregistrement a notamment le mérite de restituer dans son intégralité la
musique rajoutée au cinquième par Daniel Purcell, le frère de Henry. C’est donc une version
tout à fait complète qui est proposée ici, puisqu’elle intègre également une pièce
instrumentale de Daniel au deuxième acte. L’interprétation vocale est suprême, et l’on
retrouve avec délectation les meilleurs chanteurs baroqueux de l’époque. Le ténor John Mark
Ainsley se rit de la tessiture assez élevée de parties vocales davantage conçues pour un hautecontre à la française – notamment le jeune garçon du prologue – et l’angélique Emma Kirkby
fait valoir son timbre cristallin dans le rôle de Quivera, mais aussi dans le célèbre « I attempt
from love’s sickness » du troisième acte ; elle incarne également le petit rôle de Cupidon au
cinquième acte. Le timbre plus mélancolique de Catherine Bott convient idéalement au
« They tell us » d’Orazia. Du bonheur également du côté des basses, avec notamment la
présence de David Thomas, grand familier du répertoire de cette époque, et celle du
merveilleux Gerald Finley, parfaitement bien distribué en Ismeron. Le masque du cinquième
acte permet à l’orchestre de Hogwood de donner dans le comique mais aussi dans le rutilant,
et cela sans pour autant négliger la dimension poétique de l’ouvrage, notamment au troisième
acte.
Dernière en date de la discographie, et distribuée par un label connu pour ses petits prix
(Naxos), la version du groupe anglais the Scholars Baroque Ensemble contient elle aussi le
masque du cinquième acte. Confiée à des chanteurs passables, elle est loin de détrôner les
versions de Hogwood et de Gardiner.
À ce dernier, on pourra faire le reproche de n’avoir pas jugé opportun, en son temps, d’inclure
la musique de Daniel Purcell sans laquelle le « semi-opera » The Indian Queen restera
incomplet. Pour cette raison, on préfèrera la version de Christopher Hogwood, la seule à
présenter toutes les garanties textuelles et interprétatives.
Pierre Degott
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