Libellules - Vie Féminine

Transcription

Libellules - Vie Féminine
Les “Libellules”
déploient leurs ailes
Elles ne sont plus toutes jeunes, mais
elles ont la même énergie qu’à vingt
ans. Jacqueline et Jeannine sont en
effervescence. Et pour cause, il ne
reste plus que quelques jours avant
l’inauguration de leur exposition de
photographies consacrée à leur vie
dans le parc résidentiel Le Bosquet de
Froidchapelle, dans le Hainaut. Un projet qu’elles ont élaboré avec le groupe
“Les Libellules”, créé en 2009 à l’initiative du Plan de cohésion sociale1 de la
commune et de Vie Féminine.
Au départ, quelques habitantes décident de se retrouver une fois par
mois avec Diane Delafontaine, coordinatrice du projet et animatrice à Vie
Féminine. Sans objectif clairement
défini, mais animées par le désir de
réfléchir sur le vivre ensemble dans
un parc résidentiel et de trouver des
pistes pour égayer le quotidien. “Je
cherchais une activité pour rompre
la solitude depuis le décès de mon
mari”, explique Jeannine. Jacqueline,
également veuve, a rejoint le groupe
“avec l’envie de partager des idées,
des discussions”.
Ensemble, autour d’un café, elles se
racontent leur semaine. Au fil des
Photo D.R.
Chaque semaine, quelques habitantes du parc résidentiel
de Froidchapelle, appelées “Les Libellules”, se retrouvent
dans un pavillon communautaire. Autour d’un café et de
petits biscuits, elles élaborent des projets pour mieux vivre
ensemble au sein du parc et améliorer l’image de ce lieu trop
souvent méprisé. Rencontre.
Manon Legrand
“On a un caractère
bien trempé.
Quand on a décidé
de faire quelque
chose, on le fait!”
Jacqueline.
échanges, les langues se délient, les
femmes se confient sur leurs difficultés. “Les parcs résidentiels jouissent
d’une mauvaise réputation au sein
du village. On souffrait d’être considérées par le village de Froidchapelle
comme des “gens à part””, témoigne
Jeannine, qui vit au Bosquet depuis
dix-huit ans, un endroit qu’elle a choisi et dont elle est fière.
Après quelques mois, les Libellules
augmentent la fréquence de leurs
rendez-vous, se retrouvant désormais
chaque vendredi matin. Des moments
durant lesquels elles organisent divers
ateliers ou activités. “Nous avons mis
en place des départs collectifs en bus
pour aller au marché toutes ensemble,
car c’est parfois difficile sans voiture
quand on vit à la campagne”, explique
Diane. Ces activités contribuent à briser leur isolement, mais les Libellules
sont plus ambitieuses et bien décidées à construire un dialogue solide
entre les habitants du parc et ceux
du village.
Mon désir fait désordre J’étais chômeuse complète indemnisée. À cause d’une loi contre les
chômeurs de longue durée, je me suis retrouvée sans revenus. Je me suis sentie pire qu’un déchet de la société, car je
devais dépendre de mon compagnon pour tout (soins, nourriture, sorties…). Je voudrais que le gouvernement ne fasse
plus de lois aussi stupides qui mettent les personnes en difficulté (concernant l’emploi, l’argent, la santé…). Marie-Josée.
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Photo D.R.
“Pour apprendre à se
connaître, on s’est dit,
pourquoi ne pas prendre
les devants et montrer
à la commune qu’on
existe?”
Jeannine.
CONSTRUIRE
DES SOLIDARITÉS
vers une série de clichés accompagnés d’un petit texte, elles livrent des
instants de leur existence, partagent
leur quotidien. L’exposition intitulée
“Un choix de vie”2 prend ses quartiers
durant trois jours dans la salle des
fêtes du village. À la grande surprise
des Libellules, elle récolte un beau
succès. Et surtout, elle permet de
nouer des contacts avec les habitants
“Pour apprendre à se connaître, on
s’est dit, pourquoi ne pas prendre
les devants et montrer à la commune
qu’on existe…? Et si on témoignait
de notre vie dans un parc résidentiel…?”, raconte Jacqueline. C’est ainsi
que naît le projet d’une exposition
de photographies. Les Libellules
prennent alors des cours de photo,
apprivoisent le matériel et la technique, heureuses de découvrir un
nouveau moyen d’expression. À tra-
du village. “Après nous avoir rencontrées, ils pouvaient mettre un nom
sur un visage. Nous n’étions plus “les
gens du parc”, explique fièrement
Jacqueline, on a eu l’occasion de
montrer qui on était, comment nous
vivions. Les gens associent toujours
les parcs à des campings…! Ils ont vu
que ça n’était pas le cas.”
Dans la foulée, l’association Échange,
qui distribue des colis alimentaires,
demande aux Libellules de se charger de la décoration en vue du souper de soutien qui se déroule au
village. Elles sont également sollicitées pour préparer les sachets de
friandises destinés à la Saint-Nicolas
des enfants. “C’est une manière de
● Les parcs résidentiels n’ont pas toujours
bonne réputation au sein des villages
avoisinants, “Les Libellules” en savent
quelque chose.
● Pour favoriser le dialogue, ce groupe de
femmes vivant dans le parc du Bosquet
se retrouve chaque vendredi dans un pavillon communautaire. Au fil du temps,
elles ont tissé de nouveaux liens avec le
village de Froidchapelle.
Photo D.R.
En quelques mots
Marie-Ange.
Mon désir de regard féministe dans toute conversation fait désordre parce qu’il est encore
mal perçu autour de moi par les hommes mais aussi par les femmes. Marie-Paule, 70 ans.
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Pour en savoir plus
Capacitation Citoyenne a consacré un des livrets de sa collection
aux Libellules. Intitulé Premier
papillonnage. Libellules, vécu de
femmes dans un parc résidentiel
à Froidchapelle en Wallonie, il est
téléchargeable gratuitement sur le
site et présente en détail la création du groupe, son évolution, ses
objectifs et ses projets.
www.capacitation-citoyenne.org.
Capacitation Citoyenne
Les Libellules à Froidchapelle
citation Citoyenne
t financé par :
gion Nord-Pas de Calais
gion wallonne
erreg IV efface les frontières
Capacitation Citoyenne
« arpenteurs » - Periferia - 2o11
nds Européen de Développement Régional
Premier
papillonnage
Libellules, vécu de femmes
dans un parc résidentiel à
Froidchapelle en Wallonie
Photo D.R.
montrer qu’on est disponibles pour
le village”, se réjouit Jacqueline.
Outre une implication dans le milieu
associatif, certaines membres des
Libellules n’hésitent pas à se rendre
au conseil communal. “Elles y font
part de leurs questions et de leurs
revendications concernant la gestion
du parc de Froidchapelle”, explique
Diane. Une manière de s’inscrire pleinement dans la vie citoyenne de la
commune, de réaffirmer qu’elles sont
bien de Froidchapelle!
Nicole.
DU PASSÉ À L’AVENIR
Après le succès de la première exposition, les Libellules ont recommencé
l’expérience cette année, en axant
cette fois le projet sur l’évolution de
la vie dans les parcs. “Avec la crise,
on rencontre des jeunes ménages qui
viennent ici parce que la ville est trop
chère, constate Jacqueline. Il faut donc
recréer une convivialité, apprendre à
respecter certaines règles.” Jeannine
confirme: “On a perdu de la convivialité et de la camaraderie d’antan. Les
gens sont plus renfermés qu’auparavant, nos parcelles sont pourtant
proches les unes des autres…!”
Pour préparer l’exposition, elles ont
fouillé des mois dans leurs archives,
retrouvé des clichés du passé. Avec
l’envie de se rappeler les bons souvenirs d’antan, mais également de
recréer une dynamique dans le parc
pour l’avenir. À propos, que pense
la jeune génération de ces Libellules
énergiques? “On aimerait avoir plus
de contacts avec les jeunes résidents”,
confie Jacqueline. Un avis que par-
tage Jeannine, parfois touchée par le
découragement et le regret du temps
passé, mais qui peut compter sur la
force du groupe en cas de moral en
berne: “On s’entraide, on fait des
choses qu’on ne tenterait pas seules.
Même si les résultats sont petits.”
Des résultats déjà bien au-delà des
ambitions de départ. Récemment, le
groupe a créé un agenda ménager
afin d’aider les habitants du Bosquet à gérer quotidiennement leur
budget. “Cet agenda deviendra un
outil bénéfique à tous les résidents du
parc”, se réjouit Diane. Et les Libellules
ne comptent pas s’arrêter en si bon
chemin. “Nous ne sommes pas nombreuses, mais bien soudées. Et surtout,
on a un caractère bien trempé. Quand
on a décidé de faire quelque chose, on
le fait…!”, conclut Jacqueline. ■
1 Ce plan de la Région wallonne vise à promouvoir l’accès de tous les citoyens aux
droits fondamentaux (logement, revenu
décent, accès aux soins de santé, formation et insertion socioprofessionnelle…)
via des actions sur le terrain.
2 Dont sont extraites les photos qui illustrent cet article.
Mon désir de voir le travail de la personne reconnu dans sa valeur fait désordre parce que
le travail aujourd’hui n’a plus de valeur, sinon le profit de ceux qui possèdent l’argent. Anne-Marie, 68 ans.
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