10 HISTOIRE VIVANTE Ya-t-il une vie après le roi Juan Carlos?
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10 HISTOIRE VIVANTE Ya-t-il une vie après le roi Juan Carlos?
10 HISTOIRE VIVANTE LA LIBERTÉ VENDREDI 3 OCTOBRE 2008 REPÈRES Trente ans de monarchie 1902. Début du règne d’Alphonse XIII, père de Juan de Borbòn. 1931. Victoire des Républicains aux élections municipales. Proclamation de la République. Alphonse XIII abdique, les Bourbons quittent l’Espagne. 1936. Victoire du Front populaire aux législatives (février). Le 17 juillet, coup d’Etat de Franco et début de la guerre d’Espagne. 1938. Le 5 janvier, naissance à Rome de Juan Carlos, fils de Juan de Borbòn, comte de Barcelone. 1948. Fin des actions de guérilla. Franco rencontre Don Juan de Borbòn afin de prévoir en Espagne l’éducation de Juan Carlos. 1968. Début des attentats de l’ETA. 1974. Franco gravement malade, Juan Carlos le remplace provisoirement. 1975. Le 20 novembre, mort de Franco. Le 22, Juan Carlos est proclamé roi d’Espagne. 1976. Adolfo Suarez, président du gouvernement, initie les réformes. Partis politiques légalisés sauf le Parti communiste (légalisé lui en 1977). 1977. Premières élections législatives libres depuis 41 ans. 1978. L’Espagne devient une monarchie constitutionnelle. 1981. Le 23 février, coup d’Etat militaire avorté. 1993. Mort de Don Juan de Borbòn. 2004 Mariage du prince héritier Felipe avec Letizia. PaB . Juan Carlos et la reine Sofia: malgré les aventures prêtées au roi, ce couple de «grands professionnels» est solide. KEYSTONE Y a-t-il une vie après le roi Juan Carlos? DYNASTIE • Trente ans de monarchie constitutionnelle en Espagne. Malgré la popularité du roi, certains «privilèges» de la couronne semblent d’un autre temps. Même si les critiques restent encore timides. PASCAL BAERISWYL «Le plus grand Espagnol de tous les temps.» Plus grand encore que Cervantes, Christophe Colomb ou Picasso! Selon les sondages régulièrement publiés sur la famille royale, le roi Juan Carlos trône sur l’olympe des phares de la nation. Une popularité durable, insolente même à l’endroit des autres monarques européens, en dépit de plus de 30 ans d’un règne né sous de sombres auspices (voir ci-dessous). Si la monarchie s’est réimposée en Espagne, elle le doit essentiellement à Juan Carlos. Les Espagnols, dit-on, sont d’abord et surtout «juancarlistes», plutôt que monarchistes. Ce qui pose toute la question de la succession d’un souverain âgé de 70 ans et qui s’efforce, depuis dix ans, de mettre le pied de son fils Felipe à l’étrier des responsabilités. Questions ouvertes Uni, travailleur, présentant un front aussi lisse que possible, protégé par la loi de toute «injure à la famille royale», le clan autour de Juan Carlos n’échappe plus cependant à certaines critiques. C’est ainsi qu’à l’été 2007, le magazine «El Jueves» publiait en «Une» un dessin satirique présentant le futur héritier en pleins ébats sexuels avec son épouse Letizia, afin de pouvoir toucher les 2500 euros de la «prime nataliste» mise en place par le gouvernement. Dans la légende, Felipe affirmait qu’il n’avait jamais autant travaillé... Scandale immédiat: un juge fait aussitôt suspendre l’édition du journal – officiellement sans intervention de la famille royale. Contre-attaque des médias, qui défendent alors leur confrère en soulignant le caractère obsolète de la loi protégeant la monarchie. En définitive, «El Jueves» a brisé un peu plus le consensus autour de l’«inviolabilité» de la famille royale, garantie et longtemps respectée à la lettre par la classe politique et médiatique. Mais surtout, derrière la satire, c’est l’utilité même de la monarchie qui a été égratignée. Attaques aux extrêmes Parallèlement, toujours en 2007, des nationalistes catalans ont brûlé à plusieurs reprises et devant les caméras des photos de Juan Carlos, alors que la radio catholique Cope, proche de l’Eglise espagnole, lançait des appels répétés à l’abdication du souverain. A l’automne, c’en était trop. A l’occasion de la fête nationale, en octobre dernier, Juan Carlos décidait de descendre dans l’arène en prononçant un discours dans lequel il procédait à une véritable autojustification: «La monarchie parlementaire consacrée par notre Constitution, devait-il dire, a permis à devait traiter José Maria Aznar (ex-premier ministre) de «fasciste». Colère du roi, qui n’hésita pas à apostropher Chavez par un «mais tu vas te taire!» qui a fait le tour du monde... D’un coup, la popularité du souverain est repartie à la hausse, réalisant une fois encore l’unité parmi les Espagnols. N’en déplaise à ses rares détracteurs, dont l’historien espagnol Higinio Polo. Dans un article publié à fin 2007, celui-ci n’y allait pas par quatre chemins: «L’incompétence et la grossièreté montrées par Juan Carlos de Bourbon [...] est la énième preuve que l’Espagne ne peut plus supporter pendant plus longtemps un chef de l’Etat semblable, que les Espagnols méritent d’avoir une république comme les autres.» A son tour, le mouvement antimonarchiste progresse ac- La famille royale est légalement protégée contre toute «injure» l’Espagne de vivre sa plus longue période de stabilité et de prospérité en démocratie.» Sa pugnacité, l’homme l’a également démontrée lors d’un autre épisode devenu fameux. Après s’être rendu en octobre 2007 dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Mellila, provoquant la colère du roi du Maroc, Juan Carlos s’en est pris avec virulence au président vénézuélien. En effet, en novembre, lors d’un sommet ibéro-américain, Hugo Chavez L’enfance d’un chef, la tragédie d’un père «Il a été beaucoup plus intelligent que tous ceux qui croyaient le manipuler. Il a compris que pour réussir son retour, la monarchie devait mener à la démocratie.» Cet hommage rendu à Juan Carlos ne provient pas d’un royaliste ordinaire. Ancien chef du Parti communiste espagnol, adversaire irréductible de Franco, l’écrivain Santiago Carillo n’a de cesse de louer le rôle historique du roi. Interrogé aux côtés d’autres témoins, dans un documentaire de Daniel Leconte et Anne-Elisabeth Lozano (diffusé dimanche soir sur TSR2), Carillo a achevé sa conversion lors de l’intervention décisive du roi mettant fin à une tentative de putsch militaire en février 1981. Car avant de devenir une figure de légende, Juan Carlos a connu une enfance et surtout une jeunesse hors du commun. Né à Rome en 1938, exilé avec sa famille depuis l’avènement de la République (puis sous le franquisme), le jeune Juan Carlos va se trouver dès son enfance pris en «otage entre deux pères tyranniques»: le sien, Juan de Borbòn, et le dictateur Franco. Dès son retour en Espagne, vers 1948, le Caudillo va peu à peu étendre son influence sur l’éducation du jeune homme. Longtemps, Juan Carlos maintient une certaine ambiguïté sur son destin, alors que son père et Franco négocient leur emprise respective sur ce prince tant convoité. A Franco, le jeune homme, formé aux armes, donne des gages de fidélité alors qu’il avait bien compris «que son rôle dans l’histoire serait de ne pas être le continuateur du franquisme», rappelle le leader socialiste Alfonso Guerra. Avec son père, Juan Carlos se trouve dès son plus jeune âge dans une sorte de rivalité à distance en vue d’incarner – un jour – le retour de la monarchie. L’épisode de rupture se situe vers le milieu des années 60. Vieillissant, Franco propose soudain au prince de devenir son suc- Création de Franco (à dr.), Juan Carlos a fini par échapper à l’ombre d’une double tutelle paternelle. KEYSTONE cesseur. Presque sans réfléchir, il accepte tout de go, condamnant ainsi le rêve de son père d’accéder au trône. «Don Juan, fils de roi, père de roi, 40 ans de combat contre la dictature: celui qui se considérait comme roi ne le sera jamais. C’est une tragédie grecque qu’Euripide ou Sophocle auraient pu écrire», résume un ancien premier ministre. La suite est connue. Deux jours après la mort de Franco, le petit-fils d’Alphonse XIII prête serment et devient roi. Habilement, il évite de heurter de front la droite ultra en nommant premier ministre un ancien franquiste, le jeune Adolfo Suarez. Mais l’objectif est clair: le passage rapide à une démocratie moderne. Désormais, l’unité de la nation sera symbolisée par la monarchie constitutionnelle. Dès lors, les réformes s’enchaînent. Déstabilisée, visée aussi par les attentats de l’ETA, la vieille garde de l’armée tente un dernier coup d’éclat au Parlement, en février 1981. L’intervention ferme du roi y met fin. Alors qu’il l’avait d’abord affublé du sobriquet de «Juan Carlos le Bref», prédisant un rapide écartement du pouvoir, Santiago Carillo lancera alors, ému: «Dieu protège le Roi!» PAB tuellement, alors qu’il a longtemps été cantonné à l’extrême gauche, aux indépendantistes et à l’extrême droite. De plus en plus, les Espagnols critiquent notamment le fait que la monarchie soit héréditaire et préservée par des règles d’inspiration franquiste. Quid du successeur? C’est ainsi que selon un récent sondage moins de la moitié des Espagnols soutiendraient l’accession du prince Felipe au trône sans consultation populaire. Professeur de sciences politiques à Madrid, Jorge Verstryne conclut: «On attend le fils au tournant. Il y a actuellement une grande déception face au rôle du couple princier. Jeune, journaliste, divorcée, ayant déjà avorté, la princesse Letizia aurait pu insuffler un vent de changement au sein de la famille royale. Cela n’a pas été le cas...» I LA SEMAINE PROCHAINE RELIGION ET POLITIQUE Comment le sacré est-il utilisé à des fins de propagande électorale aux Etats-Unis? Quelle est la place des Eglises dans la campagne présidentielle américaine? Et quel candidat a-t-il été «désigné par Dieu»? Ces questions, et bien d’autres, seront au cœur du prochain dossier «Histoire Vivante». A écouter dès lundi sur RSR-La Première, à voir dimanche 12 octobre sur TSR 2 et à lire vendredi prochain dans «La Liberté». LIB RSR-La Première Du lundi au vendredi de 15 à 16 h Histoire vivante Dimanche 20 h 35 Lundi 23 h 05