Douzième Séance Le dommage

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Douzième Séance Le dommage
UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II)
Année universitaire 2013-2014
TRAVAUX DIRIGES - 2ème année de Licence en Droit.
DROIT CIVIL
Cours de Monsieur le Professeur Nicolas MOLFESSIS
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Distribution : du 24 au 28 février 2014.
Douzième Séance
Le dommage
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I. – Premier thème : Le dommage réparable. On a déjà envisagé, incidemment mais
nécessairement, au sujet de la responsabilité contractuelle, les questions posées par l’existence
de dommages appelant – ou n’appelant pas – réparation.
Les règles applicables sont les mêmes qu’il s’agisse de responsabilité contractuelle ou de
responsabilités délictuelle ou quasi-délictuelle, sous réserve d’une exception importante, déjà
indiquée, au sujet de la responsabilité contractuelle : au sujet de celle-ci, seul le dommage
prévisible (quant à son montant) est réparable, l’article 1150 du Code civil disposant que « le
débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors
du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée ».
En matière délictuelle ou quasi-délictuelle, au contraire, le dommage réparable peut être soit
prévisible, soit imprévisible.
Lors d’une séance ultérieure, on envisagera plus particulièrement les modes de réparation
d’un dommage, à supposer qu’il soit réparable. Tout dommage causé par une personne à une
autre n’est pas, en effet, nécessairement réparable. La vie en société peut entraîner des
dommages ne donnant pas lieu à réparation.
Ainsi a-t-on évoqué en cours le fait qu’une personne doit pouvoir supporter certains
dommages. C’est le cas des dommages soufferts par suite de concurrence loyale. Les
exigences du commerce exigent que l’on ne puisse se plaindre que des seuls actes de
concurrence déloyale. De même faut-il souffrir les troubles normaux du voisinage, seuls les
troubles anormaux donnant lieu, comme on l’a vu en première année, à réparation. Dans ces
hypothèses, un dommage est donc souffert sans que la victime ait droit à réparation.
L’idée, alors, apparaît que certains dommages ne constituent pas des préjudices juridiquement
réparables, peu important que moralement ou psychologiquement, la personne ressente un
dommage, s’estime victime.
1
S’agissant de la naissance d’un enfant handicapé, une loi est intervenue afin de contrecarrer
les solutions de la jurisprudence. L’article 1er de cette loi a fait l’objet d’une question
prioritaire de constitutionnalité qui a été transmise par le Conseil d’État au Conseil
constitutionnel le 14 avril 2010. Ce dernier a rendu sa décision le 11 juin 2010.
Document 1 : Ass. plén., 17 novembre 2000, Bull. AP, n° 9 ; D. 2001, p. 332, note D.
Mazeaud et P. Jourdain ; Grands arrêts de la jurisprudence civile, T.II, n° 187.
Document 2 : Art. 1er, I, de la loi du 4 mars 2002, devenu l’art. L. 114-5 du Code de l’action
sociale et des familles.
II. – Deuxième thème : La diversité des dommages. – Les sortes de dommages sont assez
diverses dans la mesure où les accidents peuvent être plus ou moins graves (l’on blesse ou
l’on tue ; l’on abîme ou l’on détruit) et où ils peuvent atteindre des biens ou des personnes
(dommage matériel ; corporel : incapacité de travail, préjudice esthétique, préjudice
d’agrément…).
Lorsque le dommage subi cesse d’être corporel ou matériel et revêt un caractère extrapatrimonial, sa réparation peut susciter des objections, soit d’une manière générale, parce
qu’il est alors singulièrement difficile d’aménager une réparation adéquate, soit de manière
plus particulière, lorsqu’il s’agit d’une douleur morale, car il peut être choquant d’aller en
quelque sorte monnayer ses larmes devant les Tribunaux. A quoi il a été répondu que, de toute
façon, et même lorsqu’il ne s’agit pas de dommage moral, l’octroi de dommages-intérêts tend
moins à réparer qu’à compenser l’irréparable.
Sensible à cette argumentation, la jurisprudence a décidé que le dommage réparable pouvait
être moral.
Document 3 : Georges Ripert, Le prix de la douleur, D. 1948, chron. p. 1 et s.
Document 4 : Ch. mixte 30 avril 1976, (1ère et 2ème espèce) D. 1977, p.185, note Monique
Contamine-Raynaud (non reproduite).
Dès lors, la victime peut souffrir aussi bien d’un dommage matériel, corporel ou moral. Les
différents chefs de préjudice donneront lieu à indemnisation.
Le juge, à ce titre, opère une distinction entre les différents chefs de dommages, pour
apprécier l’existence du dommage puis l’évaluer.
En matière de contamination par le virus H.I.V. du Sida, la jurisprudence procède toutefois
différemment en admettant l’existence d’un « préjudice spécifique de contamination ».
Document 5 : Civ. 2ème, 2 avril 1996, Bull. civ. n° 88 ; JCP.1996.I.3985, n°12, obs. Viney.
Cette notion de « préjudice spécifique de contamination » a été appliquée aux personnes qui
ont été contaminées par le virus de l’hépatite C à la suite d’une transfusion sanguine.
Plus récemment, la Chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu l’existence d’un
« préjudice spécifique d’anxiété » face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie
liée à l’amiante (Soc., 11 mai 2010).
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La possibilité d’obtenir réparation d’un préjudice lié à la crainte ressentie était déjà présente
dans les affaires relatives aux sondes cardiaques.
Document 6 : Civ. 1ère, 19 décembre 2006, Inédit.
Document 7 : Soc., 4 décembre 2012, pourvoi n°11-26.294.
Document 8 : Civ. 2ème, 22 novembre 2012, pourvoi n° 11-21.031.
Le préjudice peut également consister en une atteinte à l’environnement. L’affaire de l’Erika a
conduit à la reconnaissance d’un « préjudice écologique ». Il a été consacré par la Cour de
cassation dans un arrêt du 25 septembre 2012. Son insertion dans le Code civil est proposée.
Document 9 : Extraits du rapport pour la réparation du préjudice écologique remis au Garde
des Sceaux le 17 septembre 2013.
On se souviendra enfin de la perte de chance étudiée lors de la séance précédente. Si la perte
de chance de vie n’est pas, selon la Cour de cassation, un préjudice réparable, l’angoisse
d’une mort éminente peut l’être en revanche.
Document 10 : Crim., 26 mars 2013, pourvoi n°12-82.600.
III. – Troisième thème : La diversité des victimes. Une fois admis que la preuve est
rapportée par la victime de son préjudice, étant entendu qu’elle devra établir qu’il est direct,
certain et légitime, elle aura droit à réparation. La qualité de la victime ne devrait donc pas
influer, sinon éventuellement sur le quantum, c’est-à-dire, sur le montant des dommagesintérêts éventuellement alloués.
Jeunes ou vieux, hommes ou femmes, riches ou pauvres ont évidemment et heureusement un
même droit à réparation.
On vient de le rappeler : la réparation du dommage est subordonnée au caractère direct de
celui-ci. Mais il ne faut pas en déduire que d’autres personnes que la victime immédiate du
dommage ne peuvent pas, elles aussi, à titre personnel (et non en leur seule qualité éventuelle
d’héritiers), se prévaloir à l’égard de l’auteur de l’accident des dommages qui en résultent
pour elles. Tout en étant une victime médiate, la personne à charge, par exemple, n’en est pas
moins victime, dès lors que la mort d’un parent la prive de subsides sur lesquels elle pouvait
suffisamment compter. Bien entendu, la difficulté consiste à savoir jusqu’où il convient
d’aller dans cette voie.
Longtemps la jurisprudence s’est montrée récalcitrante quand il s’est agi d’admettre le droit à
réparation des victimes « par ricochet ». La résistance de la Chambre civile de la Cour de
cassation se traduisit par l’exigence d’un « lien de droit, de parenté ou d’alliance » entre la
victime immédiate (directe) et la victime par ricochet (médiate). Cela donna lieu à une célèbre
divergence de jurisprudence qui ne prit fin qu’en 1970.
Document 11 : Civ. 27 juillet 1937 et Ch. mixte 27 février 1970, Grands arrêts de la
jurisprudence civile, T.II, n° 185-186.
3
La question du dommage par ricochet s’est aussi posée au sujet du dommage moral, à propos
de la réparation de la douleur éprouvée en raison de la mort d’un être cher ou même des
seules souffrances physiques subies par lui. La jurisprudence a retenu une conception libérale.
Sur cette voie certaines solutions pour le moins originales ont pu être retenues notamment
lorsque la « victime » est un animal.
Mais il ne s’agit plus ici de dommage par ricochet, l’animal n’étant pas une victime
immédiate du dommage subi, faute de personnalité juridique. A vrai dire, on aurait dû placer
ces décisions dans les développements tenant à la diversité des dommages (supra, 2ème
thème), car la situation de la victime (qui n’est pas l’animal, rappelons-le) n’est pas en cause.
Mais, il est également intéressant de comparer le concubin et le cheval ainsi que le sieur Sailly
et Lunus.
Document 12 : Civ., 1ère sect. civ. 16 janvier 1962, D. 1962, p.199, note R. Rodière.
Document 13 : Rouen, 16 septembre 1992, D. 1993, p. 353, note Marguénaud.
IV. – Exercice :
Commentaire de l’arrêt du 19 décembre 2006 rendu par la première Chambre civile de la
Cour de cassation (document 6).
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Document 1 : Ass. plén., 17 novembre 2000
Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil;
Attendu qu’un arrêt rendu le 17 décembre 1993 par la cour d’appel de Paris a jugé, de première part,
que M. Y..., médecin, et le Laboratoire de biologie médicale de Yerres, aux droits duquel est M. A...,
avaient commis des fautes contractuelles à l’occasion de recherches d’anticorps de la rubéole chez
Mme X... alors qu’elle était enceinte, de deuxième part, que le préjudice de cette dernière, dont
l’enfant avait développé de graves séquelles consécutives à une atteinte in utero par la rubéole, devait
être réparé dès lors qu’elle avait décidé de recourir à une interruption volontaire de grossesse en cas
d’atteinte rubéolique et que les fautes commises lui avaient fait croire à tort qu’elle était immunisée
contre cette maladie, de troisième part, que le préjudice de l’enfant n’était pas en relation de causalité
avec ces fautes ; que cet arrêt ayant été cassé en sa seule disposition relative au préjudice de l’enfant,
l’arrêt attaqué de la Cour de renvoi dit que " l’enfant Nicolas X... ne subit pas un préjudice
indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises " par des motifs tirés de la circonstance
que les séquelles dont il était atteint avaient pour seule cause la rubéole transmise par sa mère et non
ces fautes et qu’il ne pouvait se prévaloir de la décision de ses parents quant à une interruption de
grossesse ;
Attendu, cependant, que dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans
l’exécution des contrats formés avec Mme X... avaient empêché celle-ci d’exercer son choix
d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut
demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs de l’un et l’autre des
pourvois :
CASSE ET ANNULE, en son entier, l’arrêt rendu le 5 février 1999, entre les parties, par la cour
d’appel d’Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient
avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement
composée.
Document 2 : Art. 1er, I, de la loi du 4 mars 2002, devenu l’art. L. 114-5 du Code de
l’action sociale et des familles.
I. - Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance.
La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice
lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre
les mesures susceptibles de l’atténuer.
Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des
parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute
caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice
ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap.
La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale.
Les dispositions du présent I sont applicables aux instances en cours, à l’exception de celles où il a été
irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation.
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Document 3 : Georges Ripert, Le prix de la douleur, D. 1948, chron. p. 1 et s.
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Document 4 : Ch. mixte 30 avril 1976, (1ère et 2ème espèce)
-
1ère espèce :
Vu l’article 1382, du code civil ; ensemble les
articles 2, 3 et 10, du code de procedure pénale
et les articles 731 et 732, du code civil ;
Attendu qu’il résulte de ces textes que toute
personne victime d’un dommage, quelle qu’en
soit la nature, a droit d’en obtenir réparation de
celui qui l’a causé par sa faute ; que le droit à
réparation du dommage résultant de la
souffrance physique éprouvee par la victime
avant son décès, étant né dans son patrimoine,
se transmet à ses héritiers ;
Attendu que les epoux y... ont été mortellement
bléssés au cours d’un accident de la circulation
survenu le 6 septembre 1972 et dont le
Petitcorps a été declaré entièrement
responsable par la juridiction penale ; que la
femme est decédée le 10 octobre 1972, et le
mari, le 31 octobre 1972 ; que michel y..., leur
fils, a sollicité l’allocation de dommagesintérêts au titre du « préjudice successoral »
-
representé par la souffrance subie par ses
parents entre le jour de l’accident et leur décès;
Attendu que pour rejeter ce chef de la demande
de michel y..., l’arrêt attaqué enonce qu’il
s’agit d’un « prejudice moral et personnel aux
victime » et que, des lors, ces dernieres
n’avaient transmis aucun droit à leur héritier;
Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a
violé les textes susvisés;
Par ces motifs : casse et annule l’arrêt rendu le
4 janvier 1974 par la cour d’appel de Rennes
(chambre correctionnelle), mais seulement en
ce qu’il a rejété le chef de la demande en
dommages-interets de michel y... pour
« préjudice successoral » représenté par la
souffrance subie par ses parents entre le jour de
l’accident et leur décès ;
2ème espèce :
Vu l’article 1382 du code civil, ensemble les
articles 2, 3 et 10 du code de procédure pénale
et les articles 731 et 732 du code civil ;
Attendu qu’il résulte de ces textes que toute
personne victime d’un dommage, quelle qu’en
soit la nature, a droit d’en obtenir
l’indemnisation de celui qui l’a cause par sa
faute ; que le droit à reparation du dommage
résultant de la souffrance morale éprouvee par
des parents en raison de la mort de leur fils,
victime d’un accident, dont la responsabilité
incombe à un tiers, étant né dans leur
patrimoine, se transmet à leur décès, à leurs
heritiers ;
introduit aucune action à cette fin avant son
décès; attendu qu’en statuant ainsi, la cour
d’appel a violé les textes susvisés;
Par ces motifs : casse et annule l’arrêt rendu le
26 octobre 1973 par la cour d’appel de Poitiers
(chambre correctionnelle), mais seulement en
ce qu’il a declaré irrecevable la demande de
dommages-interets formée par les consorts x...,
en réparation du préjudice moral causé à leur
pere à raison du décès de patrick x...;
Attendu qu’Alizan a été declaré coupable d’un
homicide involontaire commis le 17 janvier
1971 sur la personne de patrick x... par la
juridiction penale ; que le père de ce dernier est
décédé le 12 juillet 1972 ; que pour déclarer
irrecevable la demande des héritiers du père de
patrick x... en ce qu’elle tendait à obtenir
l’indemnisation de la souffrance morale qu’il
avait subie du fait de la mort accidentelle de
son fils, l’arrêt énonce que x... père n’avait
10
Document 5 : Civ. 2ème, 2 avril 1996
Sur le second moyen, qui est préalable :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 mars
1994), que l'automobile de M. Roland X... a
été heurtée par une camionnette conduite par
M. Y... ; que, blessé, M. Roland X... a assigné
celui-ci et son assureur, la Mutuelle assurance
artisanale de France (MAAF), en réparation de
son préjudice ; que, la victime ayant subi, lors
de soins consécutifs à cet accident, une
transfusion sanguine et ayant à cette occasion
été
contaminée
par
le
virus
d'immunodéficience humaine (VIH), la CPAM
de l'Essonne (la Caisse) est intervenue en appel
pour demander le remboursement de
prestations versées ou à verser à M. Roland
X... du fait de cette contamination ;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt, qui a
condamné M. Y... et la MAAF à indemniser
M. Roland X... pour son préjudice spécifique
de contamination, d'avoir rejeté cette demande,
alors que, selon le moyen, d'une part, les juges
du fond, qui fixent la somme réparant le
préjudice global de la victime d'un accident
doivent préciser quelle est la part du préjudice
purement personnel et la part du préjudice
soumis au recours des organismes sociaux sur
laquelle viendra s'imputer leurs créances ;
qu'en se contentant de fixer le montant du
préjudice global sans autre précision, la cour
d'appel a violé l'article L. 376-1 du Code de la
sécurité sociale, que, d'autre part, il convient
de déterminer le montant des dépenses de la
Caisse et de les déduire de l'évaluation du
préjudice global pour calculer l'indemnité
revenant à la victime ; qu'en l'espèce la cour
d'appel a évalué le montant de l'indemnité
revenant à la victime sans tenir compte des
dépenses de la Caisse ; qu'ainsi la cour d'appel
a derechef violé l'article L. 376-1 du Code de
la sécurité sociale ; qu'enfin ne revêt pas un
caractère personnel le préjudice résultant de
toutes les affections opportunistes consécutives
à la déclaration du SIDA ainsi que les
perturbations de sa vie sociale, s'agissant d'un
préjudice touchant directement à l'intégrité
physique de la victime ; qu'en décidant le
contraire la cour d'appel a violé l'article L. 3761 du Code de la sécurité sociale ;
Mais attendu que l'arrêt retient que le préjudice
spécifique de contamination comprend
l'ensemble des préjudices de caractère
personnel subis par Roland X... tant physiques
que psychiques et résultant, notamment, de la
réduction de l'espérance de vie, des
perturbations de la vie sociale, familiale et
sexuelle ainsi que des souffrances et de leur
crainte, du préjudice esthétique et d'agrément
ainsi que de toutes les affections opportunistes
consécutives à la déclaration de la maladie ;
Qu'en l'état de ces énonciations c'est à bon
droit que la cour d'appel, qui n'était saisie, au
regard des préjudices découlant de la
contamination, que de demandes en réparation
du seul préjudice spécifique de contamination,
qui n'inclut pas l'atteinte à l'intégrité physique,
a rejeté la demande de la Caisse ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen : (sans intérêt) ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.
Document 6 : Civ. 1ère, 19 décembre 2006
Attendu que le 23 mars 1992, un stimulateur
cardiaque équipé d’une sonde auriculaire de
marque Accufix fabriquée par la société
Telectronics pacing system (TPLC) a été
implanté à Mme X... souffrant d’une
insuffisance cardiaque ; que le 1er février
1995, cette sonde, mal positionnée, a été
remplacée par une sonde de marque Encor
également fabriquée par la société TPLC ; qu’à
la suite de ruptures sur certaines sondes de
marque Accufix du fil de rétention
susceptibles, en cas de sortie de la gaine de
protection, d’entraîner des blessures et parfois
un décès et après un retrait du marché de ce
type de sonde, Mme X... a sollicité une
expertise en référé et recherché la
responsabilité de la société TPLC ;
Attendu que la cour d’appel a débouté Mme
X... de sa demande d’indemnisation d’un
préjudice moral, sans répondre à ses
conclusions invoquant l’existence d’un
dommage lié à sa crainte de subir d’autres
atteintes graves et à l’impossibilité d’être
libérée du risque de rupture présenté également
par la sonde de marque Encor et d’envisager
ainsi sereinement son existence et son avenir,
11
méconnaissant ainsi les exigences du texte
susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de
statuer sur la première branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, (…)
Document 7 : Soc., 4 décembre 2012
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 9
septembre 2011), qu'engagée le 23 décembre
1968 en qualité d'ouvrier spécialisé par la
société Moulinex, Mme X... a exercé des
activités syndicales à compter de 1971 ; que,
suite à l'ouverture le 7 septembre 2001 d'une
procédure de redressement judiciaire de la
société puis à l'adoption d'un plan de cession,
elle a été licenciée le 27 décembre 2002 ;
qu'elle a été admise au régime de l'Allocation
de cessation anticipée d'activité des travailleurs
de l'amiante (ACAATA) ;
Sur le premier moyen :
(…)
Sur les deuxième et troisième moyens :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces
moyens qui ne seraient pas de nature à
permettre l'admission du pourvoi ;
Et sur le quatrième moyen :
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de
fixer la créance de la salariée sur le passif de la
liquidation judiciaire de la société Moulinex à
une certaine somme à titre de dommages et
intérêts en réparation du préjudice d'anxiété
subi alors, selon le moyen, que si les salariés,
qui ont travaillé dans un des établissements
mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194
du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste
établie par arrêté ministériel pendant une
période où y étaient fabriqués ou traités
l'amiante ou des matériaux contenant de
l'amiante peuvent se trouver par le fait de
l'employeur dans une situation d'inquiétude
permanente face au risque de déclaration à tout
moment d'une maladie liée à l'amiante et subir
de ce fait un préjudice spécifique d'anxiété
qu'il appartient à l'employeur d'indemniser,
encore faut-il qu'ils aient été amenés à subir
des contrôles et examens réguliers propres à
réactiver cette angoisse ; qu'en l'espèce, en
ayant jugé que Mme X... avait subi un
préjudice spécifique d'anxiété en raison de son
exposition à l'amiante qu'il appartenait à son
employeur d'indemniser sans rechercher,
comme elle y était pourtant invitée, si cette
salariée avait été amenée à subir des contrôles
et examens réguliers propres à réactiver cette
angoisse, la cour d'appel a privé sa décision de
base légale au regard de l'article 1147 du code
civil, ensemble le texte précité ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté
que la salariée, qui avait travaillé dans l'un des
établissements mentionnés à l'article 41 de la
loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et
figurant sur une liste établie par arrêté
ministériel pendant une période où y étaient
fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux
contenant de l'amiante, se trouvait, de par le
fait de l'employeur, dans une situation
d'inquiétude permanente face au risque de
déclaration à tout moment d'une maladie liée à
l'amiante, qu'elle se soumette ou non à des
contrôles et examens médicaux réguliers, a
ainsi caractérisé l'existence d'un préjudice
spécifique d'anxiété et légalement justifié sa
décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Document 8 : Civ. 2ème, 22 novembre 2012
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mai
2011), que R... X..., épouse Y... a subi en avril
1984 une opération de chirurgie cardiaque au
cours de laquelle elle a reçu des transfusions de
produits sanguins ; qu'à la fin de l'année 1991,
des examens ont révélé qu'elle avait été
contaminée par le virus d'immunodéficience
humaine (VIH) et par le virus de l'hépatite C ;
que R... Y..., qui a subi 146 hospitalisations
depuis 1984, est décédée le 2 janvier 2009 des
suites d'une fibrose pulmonaire, en ayant été
maintenue durant 25 ans dans l'ignorance de la
nature exacte de sa pathologie par sa famille,
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qui avait même présenté à son insu le 10
octobre 1992 une demande d'indemnisation au
Fonds d'indemnisation des transfusés et
hémophiles contaminés par le VIH ; que le 21
janvier 2009, les ayants droit de R... Y..., M.
Y... et les quatre enfants issus de leur union,
les consorts Y..., exerçant l'action successorale,
ont sollicité auprès de l'Office national
d'indemnisation des accidents médicaux
(ONIAM) l'indemnisation du préjudice
spécifique de contamination de la défunte ; que
l'ONIAM ayant rejeté cette demande, les
consorts Y... ont formé un recours devant la
cour d'appel ;
Attendu que les consorts Y... font grief à l'arrêt
de les débouter de leur demande, alors, selon le
moyen :
1°/ que le préjudice spécifique de
contamination comprend l'ensemble des
préjudices de caractère personnel tant
physiques que psychiques résultant de la
contamination, notamment des perturbations et
craintes éprouvées, concernant l'espérance de
vie et la crainte des souffrances ; qu'il
comprend aussi le risque de toutes les
affections opportunistes consécutives à la
contamination, les perturbations de la vie
sociale, familiale et sexuelle et les dommages
esthétique et d'agrément générés par les
traitements et soins subis ; que les différentes
composantes de ce préjudice sont supportées
par la victime que celle-ci ait connaissance ou
non de l'appellation exacte de la contamination
qu'elle a subi ; qu'en refusant aux ayants droit
de R... Y... la réparation d'un préjudice lié à sa
contamination par le VIH par cela seul que
celle-ci, qui avait pourtant pendant vingt cinq
ans supporté toutes les conséquences
physiques et psychiques liées à sa
contamination ayant entraîné pas moins de 146
hospitalisations, aurait été laissée dans
l'ignorance de la nature exacte de sa
pathologie, la cour d'appel a violé l'article 1382
du code civil ;
2°/ qu'en toute hypothèse, la cour d'appel a
reconnu elle-même que le préjudice spécifique
de contamination comportait à tout le moins
une dimension liée à la spécificité des atteintes
d'ordre physique et psychique engendrées par
la contamination, indépendamment de la
connaissance par la victime de la nature exacte
de sa pathologie ; qu'en refusant cependant de
réparer ces éléments dont elle a reconnu
l'existence, la cour d'appel n'a pas tiré les
conséquences légales de ses constatations et
violé l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que l'époux et
les enfants de R... Y... ont fait le choix de ne
pas informer celle-ci de la nature exacte de la
pathologie dont elle a souffert pendant vingt
cinq ans ; que le préjudice spécifique de
contamination est un préjudice exceptionnel
extra-patrimonial qui est caractérisé par
l'ensemble des préjudices tant physiques que
psychiques résultant notamment de la
réduction de l'espérance de vie, des
perturbations de la vie sociale, familiale et
sexuelle ainsi que des souffrances et de leur
crainte, du préjudice esthétique et d'agrément
ainsi que de toutes les affections opportunes
consécutives à la déclaration de la maladie ;
que le caractère exceptionnel de ce préjudice
est intrinsèquement associé à la prise de
conscience des effets spécifiques de la
contamination ;
Que de ces constatations et énonciations, la
cour d'appel, a exactement déduit que R... Y...,
tenue dans l'ignorance de sa contamination par
le VIH et par le virus de l'hépatite C, n'avait pu
subir de préjudice spécifique de contamination;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Document 9 : Extraits du rapport pour la réparation du préjudice écologique remis au
Garde des Sceaux le 17 septembre 2013.
LA DEFINITION DU PREJUDICE ECOLOGIQUE
Certains juges acceptent d’indemniser directement le préjudice écologique pur. En jurisprudence, la
réparation du dommage écologique a été « plus ou moins admise dans quelques espèces isolées: à
propos des boues rouges en Corse1 ou de la pollution de la baie de Seine2 ». Mais la fixation
1
2
. TGI de Bastia, 8 décembre 1976.
. CA Rouen, 30 janvier 1984.
13
« d’une indemnité en cas de dommage écologique est toujours très délicate pour le juge.[...] Désormais
les juges n’hésitent plus à reconnaître l’existence d’un préjudice écologique3 distinct de tout préjudice
matériel ou moral ».
Dans l’arrêt ERIKA du 25 septembre 2012, la Cour de cassation reconnaît de manière explicite la
notion de préjudice écologique, dans l’acception qui en a été retenue par la cour d’appel (cette dernière
ayant reconnu le préjudice écologique pur) : « Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent
la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction,
répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et a ainsi justifié l’allocation des
indemnités propres à réparer le préjudice écologique, consistant en l’atteinte directe ou indirecte portée
à l’environnement et découlant de
l’infraction ».
Il est précisé que la cour d’appel de Paris avait explicitement qualifié le préjudice écologique de
préjudice objectif et l’avait défini précisément en ces termes : « toute atteinte non négligeable à
l’environnement naturel, à savoir, notamment, l’air, l’atmosphère, l’eau, les sols, les terres, les
paysages, les sites naturels, la biodiversité et l’interaction entre ces éléments qui est sans répercussions
sur un intérêt humain particulier mais qui affecte un intérêt collectif légitime ».
Cependant, comme l’indique le rapport précité du sénateur Alain ANZIANI « en droit, plusieurs
personnes entendues ont souligné que l’arrêt de la Cour de cassation méritait une consolidation
législative qui, seule, permettrait d’éviter d’éventuels errements ou contradictions de la jurisprudence
».
En effet, la Cour de cassation n’a pas tiré toutes les conséquences de cette décision, en ordonnant en
quelque sorte la réparation d’un préjudice moral « second » des associations de protection de
l’environnement et des collectivités territoriales, évalué de manière identique à leurs préjudices
propres alors que le préjudice écologique pur présente un caractère objectif.
A partir de ces données et de ces réflexions, plusieurs options étaient offertes au groupe de travail.
La première, retenue par la proposition de loi du sénateur Bruno RETAILLEAU, conduisait à ne pas
définir le préjudice écologique pur, en se limitant à en consacrer le caractère réparable.
La seconde consistait à reprendre les termes de la LRE mais cela aboutissait à une définition
inopportune, dès lors qu’elle était destinée à être intégrée dans le Code civil.
Le groupe de travail a donc considéré qu’il était nécessaire à la fois de préciser dans la loi le contenu
du préjudice écologique (1) et de mentionner une possible référence à la nomenclature écologique (2).
1. PROPOSITION D’UNE DEFINITION GENERALE DU PREJUDICE ECOLOGIQUE
Le groupe de travail propose donc de définir le préjudice écologique comme celui qui résulte d’une
atteinte aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par
l’homme de l’environnement et en excluant explicitement les préjudices individuels et certains
préjudices collectifs qui sont réparés selon les modalités du droit commun. La notion d’écosystème
est ici privilégiée car elle est, selon les écologues et les économistes, plus pertinente que celle de
milieu naturel.
3
. TGI de Narbonne, 4 octobre 2007 ; TGI Tours, 24 juillet 2008(préjudice subi par une fédération de
pêche du fait d’une usine Seveso).
14
Document 10 : Crim., 26 mars 2013
Attendu qu’à la suite de l’accident mortel de la
circulation dont Cassandra X... a été victime à
l’âge de 16 ans, et dont M. Z..., reconnu
coupable d’homicide involontaire, a été déclaré
tenu à réparation intégrale, les premiers juges
ont indemnisé Mme Y..., en qualité d’héritière
de sa fille, du fait, d’une part, des souffrances
physiques et morales endurées par Cassandra
X... avant son décès du fait de ses blessures
ainsi que de la conscience de l’imminence de
sa mort, et, d’autre part, du préjudice résultant
de son décès prématuré, ce dernier chef étant
réparé par une indemnité égale à celle que la
victime aurait perçue si elle était restée atteinte
d’un déficit fonctionnel total ; que, sur l’appel
de l’assureur du prévenu, la cour d’appel a
réduit l’indemnisation du premier chef et rejeté
la demande du second ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la
violation des articles 1382 et 731 du code civil,
591 et 593 du code de procédure pénale, défaut
de réponse à conclusions, défaut de motifs et
manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué, a infirmé le
jugement en ce qu’il avait condamné M. Z... à
verser à Mme Y..., en sa qualité d’héritière de
Mme X..., la somme de 10 000 euros en
réparation du préjudice de la douleur subi par
la victime et a limité la condamnation de M.
Z... au paiement de la somme de 5 000 euros
au profit de Mme Y... ;
« aux motifs que, sur la demande fondée sur le
préjudice de la douleur subi par Mme X..., il
est constant que l’indemnisation d’un
dommage n’est pas fonction de la
représentation que s’en fait la victime mais de
sa constatation par les juges et de son
évaluation objective dans la limite de la
demande dont ils sont saisis ; il est acquis en
l’espèce que le décès de la jeune victime n’a
pas été instantané, puisqu’elle a été éjectée de
la voiture lors du choc et que son corps a été
retrouvé plusieurs minutes après par Mme A...,
qui a constaté qu’elle se trouvait allongée sur
le dos avec son bras gauche désaxé, qui a pris
son pouls qui était présent mais filant, les yeux
étant ouverts en mydriase réactive ; le témoin a
en outre constaté que la blessée émettait un
râle et l’a changé de position, ce qui a entraîné
un crachement de sang ; c’est donc à juste titre,
au vu de ces éléments, que le tribunal a retenu
que l’agonie de la jeune fille avait duré au
moins une dizaine de minutes, que les derniers
moments de sa vie avaient été particulièrement
pénibles et que le principe de la réparation de
la douleur devait être reconnu ; il convient
cependant de limiter l’appréciation de ce
préjudice à la somme de 5 000 euros dans la
mesure où la douleur qu’a pu ressentir la jeune
victime, a été particulièrement brève et très
amoindrie par son absence de conscience
provoquée par la violence du choc ;
« 1) alors que l’auteur d’un délit est tenu à la
réparation intégrale du préjudice qu’il a causé ;
que l’état d’inconscience d’une personne
humaine
n’excluant
aucun
chef
d’indemnisation, son préjudice doit être réparé
dans tous ses éléments ; qu’il ressort des
constatations mêmes de l’arrêt que le décès de
Mme X... n’a pas été instantané, que l’agonie
de la jeune fille a duré au moins une dizaine de
minutes et que les derniers moments de sa vie
ont été particulièrement pénibles ; qu’en
affirmant
néanmoins,
pour
limiter
l’indemnisation du préjudice de la douleur subi
par Mme X... à la somme de 5 000 euros, que
la douleur avait été amoindrie par son absence
de conscience provoquée par la violence du
choc, la cour d’appel n’a pas tiré les
conséquences légales qui s’évinçaient de ses
propres constatations ;
« 2) alors que si les juges apprécient
souverainement le préjudice résultant de
l’infraction, il en va autrement lorsque cette
appréciation
est
déduite
de
motifs
contradictoires ; que la cour d’appel a limité la
réparation du préjudice né de la douleur subi
par Mme X... à la somme de 5 000 euros au
motif que celle-ci avait été inconsciente à
compter du choc violent causé par l’accident ;
que, cependant, elle a relevé que l’agonie de la
jeune fille avait duré au moins dix bonnes
minutes et que les derniers moments de sa vie
avaient été particulièrement pénibles, ce dont il
s’évinçait que la victime avait été consciente
après l’accident ; qu’en l’état de tels motifs
contradictoires, la cour d’appel n’a pas
légalement justifié sa décision ;
« 3) alors que l’angoisse de l’imminence de la
mort peut apparaître avant le choc causé par
15
l’accident ; que les consorts X..., Y... et B...
faisaient valoir que Mme X... avait eu
conscience du caractère inéluctable de son
décès bien avant le choc, à savoir au moment
de l’abord du virage et de la perte de contrôle
du véhicule par son conducteur ; qu’en
retenant que la douleur qu’avait pu ressentir la
jeune victime avait été particulièrement brève
et amoindrie par son absence de conscience
provoquée par la violence du choc, sans
rechercher, comme elle y était invitée, si la
victime n’avait pas eu conscience de
l’imminence de sa mort bien avant le choc, au
moment où le conducteur avait commencé à
perdre le contrôle de son véhicule, la cour
d’appel n’a pas légalement justifié sa
décision » ;
Attendu que, pour réduire l’indemnisation du
préjudice subi par la victime entre l’accident et
son décès du fait de ses blessures et de
l’angoisse d’une mort imminente, l’arrêt retient
que l’agonie de la jeune fille a duré une dizaine
de minutes et a été particulièrement pénible ;
Attendu qu’en statuant ainsi, par des motifs,
procédant de son appréciation souveraine, la
cour d’appel, qui a répondu comme elle le
devait aux chefs péremptoires des conclusions
des parties civiles, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la
violation des articles 1382 et 731 du code civil,
591 et 593 du code de procédure pénale, défaut
de réponse à conclusions, défaut de motifs et
manque de base légale ;
« en ce que l'arrêt attaqué a infirmé le
jugement en ce qu'il avait condamné M. Z... à
verser à Mme Y..., en sa qualité d'héritière de
Mme X..., la somme de 201 712, 06 euros au
titre du préjudice de la perte de chance de vie
de la victime et a débouté Mme Y... de cette
demande ;
« aux motifs que sur la demande fondée sur le
préjudice de la perte de chance de vie de la
victime, les parents de la jeune victime
invoquent le décès prématuré de leur fille
comme étant constitutif d'une perte de chance
de vie relative aux plaisirs de la vie, du travail
ou de fonder une famille ; il est cependant
constant que le droit de vivre jusqu'à un âge
statistiquement
déterminé
n'est
pas
suffisamment certain au regard des aléas
innombrables de la vie quotidienne et des
fluctuations de l'état de santé de toute
personne, pour être tenu pour un droit acquis
entré dans son patrimoine de son vivant et,
comme tel, transmissible à ses héritiers lorsque
survient un événement qui emporte le décès ; il
en résulte que le droit revendiqué par les
héritiers de Mme X... et la créance qu'ils
entendent en déduire sont inexistants et que le
jugement entrepris doit être réformé sur ce
chef de prétention, Mme Y... devant être
déboutée de sa demande en paiement de la
somme de 201 715, 20 euros ;
« alors que toute personne victime d'un
dommage, quelle qu'en soit la nature, a droit
d'en obtenir l'indemnisation de celui qui l'a
causé ; que le droit à réparation du dommage
résultant de la perte de vie, étant entré dans le
patrimoine de la victime au moment de
l'accident, se transmet à ses héritiers, lors de
son décès ; que les consorts X..., Y... et B...
faisaient valoir que s'il était effectivement
difficile de retenir une espérance de vie
déterminée, eu égard aux aléas de la vie, il
n'était pas davantage possible d'exclure toute
indemnisation de la perte de chance de vie sauf
à remettre en cause le principe même du droit à
réparation et ils demandaient, pour que soient
pris en compte les aléas de la vie, une
indemnisation de ce préjudice sur la base d'une
capitalisation, reprenant ainsi les modalités de
réparation des préjudices futurs ; qu'en se
bornant à retenir que le droit de vivre jusqu'à
un âge statistiquement déterminé n'est pas
suffisamment certain au regard des aléas
innombrables de la vie quotidienne et des
fluctuations de l'état de santé de toute
personne, pour être tenu pour un droit acquis
entré dans son patrimoine de son vivant et,
comme tel, transmissible à ses héritiers lorsque
survient un événement qui emporte le décès,
sans rechercher, comme elle y était
expressément invitée, si, malgré les aléas de la
vie, il n'était pas possible d'indemniser la perte
de chance de vie en se référant à des barèmes
de capitalisation prenant en considération les
tables de mortalité établies par l'INSEE,
lesquelles intégraient les probabilités de décès
prématuré et donc les aléas de la vie, la cour
d'appel n'a pas donné de base légale à sa
décision » ;
Attendu que, pour débouter les héritiers de leur
demande d'indemnisation au titre de « la perte
de chance de vie », l'arrêt retient que le droit de
vivre jusqu'à un âge statistiquement déterminé
n'est pas suffisamment certain au regard des
16
aléas innombrables de la vie quotidienne et des
fluctuations de l'état de santé de toute
personne, pour être tenu pour un droit acquis,
entré dans le patrimoine de celle-ci de son
vivant et, comme tel, transmissible à ses
héritiers lorsque survient un événement qui
emporte le décès ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs la cour
d'appel a justifié sa décision, dès lors qu'aucun
préjudice résultant de son propre décès n'a pu
naître, du vivant de la victime, dans son
patrimoine et être ainsi transmis à ses héritiers;
Que, dès lors, le moyen ne peut être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
17
Document 11 : Civ. 27 juillet 1937 et Ch. mixte 27 février 1970, Grands arrêts de la
jurisprudence civile, T.II, n° 185-186.
18
Document 12 : Civ., 1ère sect. civ. 16 janvier 1962
Sur le premier moyen pris en ses deux
branches : attendu qu'en aout 1952, Daille,
propriétaire du cheval de courses Lunus, l'a
donne en location a l'entraineur Henri de X... ;
Que celui-ci a fait conduire l'animal à Langon
où il devait participer les 26 et 27 juillet 1953 a
des courses organisées par la société hippique
de Langon ;
Que Fabre, président de cette société, a mis à
la disposition de l'entraineur un box de son
écurie pour y loger le cheval ;
Que le 27 juillet 1953 au matin, l'animal a saisi
avec la mâchoire le fil d'une lampe mobile dite
« baladeuse » et a été électrocuté ;
Que daille a assigne la société hippique de
Langon, Fabre personnellement et de X... en
payement de dommages-intérêts ;
Attendu que l'arrêt attaqué a mis la
responsabilité de la mort du cheval Lunus à la
charge de Fabre pour 50%, de la société
hippique de Langon pour 25% et de De X...
pour 25% ;
Que tout en refusant d'accorder a Daille la
perte du gain éventuel que le cheval aurait pu
rapporter dans l'avenir, la cour d'appel a retenu
qu'en sus de la valeur vénale de l'animal qu'elle
chiffrait a 350.000 francs, daille devait
recevoir une somme supplémentaire pour le
préjudice certain que lui causait la mort de
Lunus, et a fixe globalement les dommagesintérêts dus à Daille à la somme de 500.000
francs, de X... recevant une somme de 75.000
francs ;
Attendu qu'il est reproché à cette décision
d'avoir alloué des dommages-intérêts destinés
à réparer le préjudice moral subi du fait de la
perte du cheval et d'avoir également admis que
de X... sous la couleur duquel le cheval était
engagé dans la course, justifiait lui-même d'un
préjudice moral, alors d'une part qu'un tel
préjudice ne se conçoit qu'à l'occasion de la
perte d'un être cher, et qu'il n'y a rien de
commun entre le trouble causé par la
disparition d'une personne et celle d'un animal,
que d'autre part, il aurait appartenu à la cour de
justifier, en se référant à des circonstances
particulières, l'existence d'un préjudice qu'elle
s'est contentée d'affirmer et qui n'apparaissait
pas ;
Mais attendu qu'indépendamment du préjudice
matériel qu'elle entraine, la mort d'un animal
peut être pour son propriétaire la cause d'un
préjudice d'ordre subjectif et affectif
susceptible de donner lieu a réparation, qu'en
l'espèce la cour d'appel a pu estimer que le
préjudice subi par Daille à l'occasion de la
mort de son cheval ne se limitait pas a la
somme nécessaire pour acheter une autre bête
possédant les mêmes qualités, et qu'il y avait
également lieu de faire entrer en ligne de
compte dans le calcul des dommages-intérêts
une indemnité destinée a compenser le
préjudice que lui causait la perte d'un animal
auquel il était attaché, que par le motif
concernant de X... elle a pu également faire
état du préjudice subi par celui-ci dans ses
intérêts d'entraineur;
Qu'il suit de la qu'en statuant comme elle l'a
fait, la cour a légalement justifié sa décision ;
Mais sur le second moyen : vu l'article 1202 du
code civil ;
Attendu que si chacun des co-auteurs d'une
faute commune peut être condamné à réparer
l'intégralité du dommage à la réalisation
duquel il a participé, la solidarité de l'article
1202 du code civil ne peut être prononcée
contre eux que dans les cas prévus par la loi ;
Attendu que pour condamner solidairement
Fabre, la société hippique de Langon, de x..., la
société d'assurance, à la garantie des
condamnations prononcées contre eux, au
profit de daille et de De X..., l'arrêt se borne à
relever leur faute commune, mais qu'en
déduisant de cette seule constatation l'existence
d'un lien de solidarité entre eux, la cour d'appel
n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs : casse et annule, mais dans la
limite du moyen, l'arrêt rendu entre les parties
par la cour d'appel de bordeaux le 5 juillet
1956 ;
19
Document 13 : Rouen, 16 septembre 1992
LA COUR : - Sur la loi du 5 juill. 1985 : Attendu que la loi n° 85-677 du 5 juill. 1985
tendant à l'amélioration de la situation des
victimes d'accidents de la circulation et à
l'accélération des procédures d'indemnisation
prévoit en son art. 1er qu'elle est applicable aux
« victimes d'un accident de la circulation dans
lequel est impliqué un véhicule terrestre à
moteur ... » ; que ces dispositions ne se
limitent pas à l'indemnisation des dommages
résultant des atteintes aux personnes ; qu'elles
visent également les dommages aux biens ; que
rien ne justifierait qu'en soit écartée la
réparation du préjudice subi par les
propriétaires d'un chien, du fait des blessures
occasionnées à ce dernier à la suite d'un
accident dans lequel est impliqué un véhicule
en circulation ; que de ce chef, la décision
entreprise appelle déjà réformation en ce
qu'elle a écarté l'application de la loi précitée
du 5 juill. 1985 ; - Attendu qu'aux termes de
cette loi, la faute commise par la victime a
pour effet de limiter ou d'exclure
l'indemnisation des dommages aux biens
qu'elle a subis (art. 5 de la loi précitée) ; qu'en
l'espèce le droit à l'indemnisation des époux
Guillaume ne saurait donc être écarté qu'à
condition pour M. Planquais d'établir que
l'accident trouve sa cause dans une faute qui
leur
serait
imputable
;
Sur le droit à indemnisation : - Attendu que les
circonstances précises de l'accident sont
controversées ; qu'il n'en est pas moins établi
qu'il est survenu alors que le chien Cyrus, en
liberté, poursuivait le véhicule de M. Planquais
qui quittait la propriété des époux Guillaume ;
qu'à ce moment, les époux Guillaume
n'exerçaient aucune surveillance particulière
sur leur animal, malgré la présence d'étrangers
dans la propriété ; que la poursuite d'un
véhicule par un chien est une manifestation de
son atavisme naturel l'incitant à y voir une
proie ; que cet atavisme est généralement
neutralisé par le dressage qui, en l'espèce, s'est
avéré insuffisant ; que cette dernière
constatation renforce la faute pouvant être
reconnue à la charge des époux Guillaume ; Attendu cependant que cette faute ne saurait
être considérée comme la cause exclusive de
l'accident ; que M. Planquais ne conteste pas
l'affirmation des époux Guillaume selon
laquelle, mécontent d'observations qui lui
auraient été faites, il aurait quitté leur propriété
sans les prévenir ; qu'il apparaît qu'une telle
démarche, à tout le moins naturelle, les aurait
rappelés à toute la vigilance dont ils devaient
faire preuve à l'égard de leur animal ; que
surtout, ce dernier avait une taille d'environ 80
cm et pesait 58 kilos ; qu'en matière de
visibilité et d'insonorisation, les camionnettes
modernes - telle celle de M. Planquais - se
rapprochent des conduites intérieures ; qu'il est
manifeste que l'accident ne se serait pas
produit, ou qu'il aurait eu des conséquences
moindres, si M. Planquais avait fait preuve de
la prudence et de la vigilance qui s'imposaient,
notamment en circulant au pas ; - Attendu dans
ces conditions que la faute commise par les
époux Guillaume ne saurait avoir pour effet
d'exclure leur droit à indemnisation ; qu'elle
justifie tout au plus une limitation de ce dernier
dans une proportion de 50 % ;
Sur le préjudice : - Attendu que le chien Cyrus
était né le 21 oct. 1987 ; qu'il était issu
d'ascendants sélectionnés ; qu'il avait été
acquis par les époux Guillaume pour une
somme de 3 000 F ; qu'il avait fait l'objet, à
leur initiative, d'un dressage pour la défense et
des soins préventifs nécessaires pour son
maintien en bonne santé ; que, pour se limiter à
une approche étroitement matérielle, l'accident
a eu pour effet de réduire à néant
l'investissement ainsi effectué par les époux
Guillaume, à un moment où l'espérance de vie
de l'animal était d'encore au moins dix années ;
- Attendu qu'à ce préjudice matériel s'ajoutent
les frais des soins vétérinaires que les époux
Guillaume ont dû exposer du fait de l'accident ;
que M. Planquais apparaît mal venu à leur
reprocher leur négligence à ce sujet ; qu'il est
manifeste que, sur le moment, les époux
Guillaume ont pu se méprendre sur l'état de
l'animal et éprouver des difficultés à organiser
son transport chez un vétérinaire ; que M.
Planquais, lui-même, n'allègue d'ailleurs pas
qu'une telle mesure lui aurait alors paru
s'imposer et encore moins que, disposant
pourtant d'une camionnette, il aurait proposé
ses services à cet effet ; que pendant les cinq
semaines ayant précédé la décision de
pratiquer l'euthanasie, l'évolution de l'état de
santé de l'animal a été suivie par un vétérinaire
; qu'ici encore M. Planquais apparaît mal venu
à soutenir qu'il était dès le début manifeste que
20
les soins étaient voués à l'échec, et qu'il y avait
lieu sans attendre de mettre un terme à sa vie ;
- Attendu enfin que, bien que ne constituant
pas un sujet de droit, un chien n'en est pas
moins un être vivant ; qu'il est doté d'une
forme d'intelligence et surtout de sensibilité ;
qu'il est connu comme étant un animal avec
lequel des liens étroits d'affectivité peuvent se
nouer ; que les époux Guillaume justifient
qu'ils étaient particulièrement attachés à leur
chien Cyrus ; qu'en attestent les soins qu'ils lui
ont prodigués tant avant qu'après l'accident ;
que sa perte, surtout après cinq semaines
d'efforts pour le sauver, leur a occasionné un
préjudice moral incontestable ; - Attendu que,
compte tenu des éléments ci-dessus évoqués, le
préjudice subi par les époux Guillaume peut
être évalué à 5 000 F pour le préjudice
matériel, 1 278,70 F pour les frais vétérinaires,
2 000 F pour le préjudice moral, soit au total :
8 278,70 F ; que, compte tenu de la limitation
du droit à indemnisation des époux Guillaume,
M. Planquais et sa compagnie d'assurances
seront condamnés in solidum à leur verser la
moitié de cette somme, soit : 8 278,70 F : 2 = 4
139,35 F ; que la décision entreprise sera
réformée en conséquence ;
Sur les autres demandes : - Attendu que
compte tenu des circonstances particulières à
l'espèce, il ne semble pas inéquitable de laisser
à la charge de chacune des parties les frais
irrépétibles qu'elles ont engagés ; qu'elles
seront donc déboutées de leur demande
réciproque au titre de l'art. 700 NCPC ; que
l'appel des époux Guillaume était justifié ; que
M. Planquais et sa compagnie d'assurances
seront condamnés in solidum aux dépens ;
Par ces motifs, reçoit M. et Mme Norbert
Guillaume en leur appel, y fait partiellement
droit, infirme le jugement du Tribunal
d'instance de Rouen du 17 mai 1991,
condamne in solidum M. Planquais et la
Compagnie Elvia assurances à payer à M. et
Mme Guillaume la somme de 4 139,35 F,
montant de leur droit à indemnisation du chef
de leur préjudice consécutif à l'accident de la
circulation au cours duquel leur chien Cyrus a
été blessé, déboute les parties du surplus de
leurs demandes [...].
21