Douzième Séance Le dommage
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Douzième Séance Le dommage
UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II) Année universitaire 2013-2014 TRAVAUX DIRIGES - 2ème année de Licence en Droit. DROIT CIVIL Cours de Monsieur le Professeur Nicolas MOLFESSIS ___________________________________ Distribution : du 24 au 28 février 2014. Douzième Séance Le dommage ----------------------------------------------------------------- I. – Premier thème : Le dommage réparable. On a déjà envisagé, incidemment mais nécessairement, au sujet de la responsabilité contractuelle, les questions posées par l’existence de dommages appelant – ou n’appelant pas – réparation. Les règles applicables sont les mêmes qu’il s’agisse de responsabilité contractuelle ou de responsabilités délictuelle ou quasi-délictuelle, sous réserve d’une exception importante, déjà indiquée, au sujet de la responsabilité contractuelle : au sujet de celle-ci, seul le dommage prévisible (quant à son montant) est réparable, l’article 1150 du Code civil disposant que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée ». En matière délictuelle ou quasi-délictuelle, au contraire, le dommage réparable peut être soit prévisible, soit imprévisible. Lors d’une séance ultérieure, on envisagera plus particulièrement les modes de réparation d’un dommage, à supposer qu’il soit réparable. Tout dommage causé par une personne à une autre n’est pas, en effet, nécessairement réparable. La vie en société peut entraîner des dommages ne donnant pas lieu à réparation. Ainsi a-t-on évoqué en cours le fait qu’une personne doit pouvoir supporter certains dommages. C’est le cas des dommages soufferts par suite de concurrence loyale. Les exigences du commerce exigent que l’on ne puisse se plaindre que des seuls actes de concurrence déloyale. De même faut-il souffrir les troubles normaux du voisinage, seuls les troubles anormaux donnant lieu, comme on l’a vu en première année, à réparation. Dans ces hypothèses, un dommage est donc souffert sans que la victime ait droit à réparation. L’idée, alors, apparaît que certains dommages ne constituent pas des préjudices juridiquement réparables, peu important que moralement ou psychologiquement, la personne ressente un dommage, s’estime victime. 1 S’agissant de la naissance d’un enfant handicapé, une loi est intervenue afin de contrecarrer les solutions de la jurisprudence. L’article 1er de cette loi a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité qui a été transmise par le Conseil d’État au Conseil constitutionnel le 14 avril 2010. Ce dernier a rendu sa décision le 11 juin 2010. Document 1 : Ass. plén., 17 novembre 2000, Bull. AP, n° 9 ; D. 2001, p. 332, note D. Mazeaud et P. Jourdain ; Grands arrêts de la jurisprudence civile, T.II, n° 187. Document 2 : Art. 1er, I, de la loi du 4 mars 2002, devenu l’art. L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles. II. – Deuxième thème : La diversité des dommages. – Les sortes de dommages sont assez diverses dans la mesure où les accidents peuvent être plus ou moins graves (l’on blesse ou l’on tue ; l’on abîme ou l’on détruit) et où ils peuvent atteindre des biens ou des personnes (dommage matériel ; corporel : incapacité de travail, préjudice esthétique, préjudice d’agrément…). Lorsque le dommage subi cesse d’être corporel ou matériel et revêt un caractère extrapatrimonial, sa réparation peut susciter des objections, soit d’une manière générale, parce qu’il est alors singulièrement difficile d’aménager une réparation adéquate, soit de manière plus particulière, lorsqu’il s’agit d’une douleur morale, car il peut être choquant d’aller en quelque sorte monnayer ses larmes devant les Tribunaux. A quoi il a été répondu que, de toute façon, et même lorsqu’il ne s’agit pas de dommage moral, l’octroi de dommages-intérêts tend moins à réparer qu’à compenser l’irréparable. Sensible à cette argumentation, la jurisprudence a décidé que le dommage réparable pouvait être moral. Document 3 : Georges Ripert, Le prix de la douleur, D. 1948, chron. p. 1 et s. Document 4 : Ch. mixte 30 avril 1976, (1ère et 2ème espèce) D. 1977, p.185, note Monique Contamine-Raynaud (non reproduite). Dès lors, la victime peut souffrir aussi bien d’un dommage matériel, corporel ou moral. Les différents chefs de préjudice donneront lieu à indemnisation. Le juge, à ce titre, opère une distinction entre les différents chefs de dommages, pour apprécier l’existence du dommage puis l’évaluer. En matière de contamination par le virus H.I.V. du Sida, la jurisprudence procède toutefois différemment en admettant l’existence d’un « préjudice spécifique de contamination ». Document 5 : Civ. 2ème, 2 avril 1996, Bull. civ. n° 88 ; JCP.1996.I.3985, n°12, obs. Viney. Cette notion de « préjudice spécifique de contamination » a été appliquée aux personnes qui ont été contaminées par le virus de l’hépatite C à la suite d’une transfusion sanguine. Plus récemment, la Chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu l’existence d’un « préjudice spécifique d’anxiété » face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante (Soc., 11 mai 2010). 2 La possibilité d’obtenir réparation d’un préjudice lié à la crainte ressentie était déjà présente dans les affaires relatives aux sondes cardiaques. Document 6 : Civ. 1ère, 19 décembre 2006, Inédit. Document 7 : Soc., 4 décembre 2012, pourvoi n°11-26.294. Document 8 : Civ. 2ème, 22 novembre 2012, pourvoi n° 11-21.031. Le préjudice peut également consister en une atteinte à l’environnement. L’affaire de l’Erika a conduit à la reconnaissance d’un « préjudice écologique ». Il a été consacré par la Cour de cassation dans un arrêt du 25 septembre 2012. Son insertion dans le Code civil est proposée. Document 9 : Extraits du rapport pour la réparation du préjudice écologique remis au Garde des Sceaux le 17 septembre 2013. On se souviendra enfin de la perte de chance étudiée lors de la séance précédente. Si la perte de chance de vie n’est pas, selon la Cour de cassation, un préjudice réparable, l’angoisse d’une mort éminente peut l’être en revanche. Document 10 : Crim., 26 mars 2013, pourvoi n°12-82.600. III. – Troisième thème : La diversité des victimes. Une fois admis que la preuve est rapportée par la victime de son préjudice, étant entendu qu’elle devra établir qu’il est direct, certain et légitime, elle aura droit à réparation. La qualité de la victime ne devrait donc pas influer, sinon éventuellement sur le quantum, c’est-à-dire, sur le montant des dommagesintérêts éventuellement alloués. Jeunes ou vieux, hommes ou femmes, riches ou pauvres ont évidemment et heureusement un même droit à réparation. On vient de le rappeler : la réparation du dommage est subordonnée au caractère direct de celui-ci. Mais il ne faut pas en déduire que d’autres personnes que la victime immédiate du dommage ne peuvent pas, elles aussi, à titre personnel (et non en leur seule qualité éventuelle d’héritiers), se prévaloir à l’égard de l’auteur de l’accident des dommages qui en résultent pour elles. Tout en étant une victime médiate, la personne à charge, par exemple, n’en est pas moins victime, dès lors que la mort d’un parent la prive de subsides sur lesquels elle pouvait suffisamment compter. Bien entendu, la difficulté consiste à savoir jusqu’où il convient d’aller dans cette voie. Longtemps la jurisprudence s’est montrée récalcitrante quand il s’est agi d’admettre le droit à réparation des victimes « par ricochet ». La résistance de la Chambre civile de la Cour de cassation se traduisit par l’exigence d’un « lien de droit, de parenté ou d’alliance » entre la victime immédiate (directe) et la victime par ricochet (médiate). Cela donna lieu à une célèbre divergence de jurisprudence qui ne prit fin qu’en 1970. Document 11 : Civ. 27 juillet 1937 et Ch. mixte 27 février 1970, Grands arrêts de la jurisprudence civile, T.II, n° 185-186. 3 La question du dommage par ricochet s’est aussi posée au sujet du dommage moral, à propos de la réparation de la douleur éprouvée en raison de la mort d’un être cher ou même des seules souffrances physiques subies par lui. La jurisprudence a retenu une conception libérale. Sur cette voie certaines solutions pour le moins originales ont pu être retenues notamment lorsque la « victime » est un animal. Mais il ne s’agit plus ici de dommage par ricochet, l’animal n’étant pas une victime immédiate du dommage subi, faute de personnalité juridique. A vrai dire, on aurait dû placer ces décisions dans les développements tenant à la diversité des dommages (supra, 2ème thème), car la situation de la victime (qui n’est pas l’animal, rappelons-le) n’est pas en cause. Mais, il est également intéressant de comparer le concubin et le cheval ainsi que le sieur Sailly et Lunus. Document 12 : Civ., 1ère sect. civ. 16 janvier 1962, D. 1962, p.199, note R. Rodière. Document 13 : Rouen, 16 septembre 1992, D. 1993, p. 353, note Marguénaud. IV. – Exercice : Commentaire de l’arrêt du 19 décembre 2006 rendu par la première Chambre civile de la Cour de cassation (document 6). 4 Document 1 : Ass. plén., 17 novembre 2000 Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil; Attendu qu’un arrêt rendu le 17 décembre 1993 par la cour d’appel de Paris a jugé, de première part, que M. Y..., médecin, et le Laboratoire de biologie médicale de Yerres, aux droits duquel est M. A..., avaient commis des fautes contractuelles à l’occasion de recherches d’anticorps de la rubéole chez Mme X... alors qu’elle était enceinte, de deuxième part, que le préjudice de cette dernière, dont l’enfant avait développé de graves séquelles consécutives à une atteinte in utero par la rubéole, devait être réparé dès lors qu’elle avait décidé de recourir à une interruption volontaire de grossesse en cas d’atteinte rubéolique et que les fautes commises lui avaient fait croire à tort qu’elle était immunisée contre cette maladie, de troisième part, que le préjudice de l’enfant n’était pas en relation de causalité avec ces fautes ; que cet arrêt ayant été cassé en sa seule disposition relative au préjudice de l’enfant, l’arrêt attaqué de la Cour de renvoi dit que " l’enfant Nicolas X... ne subit pas un préjudice indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises " par des motifs tirés de la circonstance que les séquelles dont il était atteint avaient pour seule cause la rubéole transmise par sa mère et non ces fautes et qu’il ne pouvait se prévaloir de la décision de ses parents quant à une interruption de grossesse ; Attendu, cependant, que dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution des contrats formés avec Mme X... avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ; PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs de l’un et l’autre des pourvois : CASSE ET ANNULE, en son entier, l’arrêt rendu le 5 février 1999, entre les parties, par la cour d’appel d’Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée. Document 2 : Art. 1er, I, de la loi du 4 mars 2002, devenu l’art. L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles. I. - Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance. La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer. Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. Les dispositions du présent I sont applicables aux instances en cours, à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation. 5 Document 3 : Georges Ripert, Le prix de la douleur, D. 1948, chron. p. 1 et s. 6 7 8 9 Document 4 : Ch. mixte 30 avril 1976, (1ère et 2ème espèce) - 1ère espèce : Vu l’article 1382, du code civil ; ensemble les articles 2, 3 et 10, du code de procedure pénale et les articles 731 et 732, du code civil ; Attendu qu’il résulte de ces textes que toute personne victime d’un dommage, quelle qu’en soit la nature, a droit d’en obtenir réparation de celui qui l’a causé par sa faute ; que le droit à réparation du dommage résultant de la souffrance physique éprouvee par la victime avant son décès, étant né dans son patrimoine, se transmet à ses héritiers ; Attendu que les epoux y... ont été mortellement bléssés au cours d’un accident de la circulation survenu le 6 septembre 1972 et dont le Petitcorps a été declaré entièrement responsable par la juridiction penale ; que la femme est decédée le 10 octobre 1972, et le mari, le 31 octobre 1972 ; que michel y..., leur fils, a sollicité l’allocation de dommagesintérêts au titre du « préjudice successoral » - representé par la souffrance subie par ses parents entre le jour de l’accident et leur décès; Attendu que pour rejeter ce chef de la demande de michel y..., l’arrêt attaqué enonce qu’il s’agit d’un « prejudice moral et personnel aux victime » et que, des lors, ces dernieres n’avaient transmis aucun droit à leur héritier; Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés; Par ces motifs : casse et annule l’arrêt rendu le 4 janvier 1974 par la cour d’appel de Rennes (chambre correctionnelle), mais seulement en ce qu’il a rejété le chef de la demande en dommages-interets de michel y... pour « préjudice successoral » représenté par la souffrance subie par ses parents entre le jour de l’accident et leur décès ; 2ème espèce : Vu l’article 1382 du code civil, ensemble les articles 2, 3 et 10 du code de procédure pénale et les articles 731 et 732 du code civil ; Attendu qu’il résulte de ces textes que toute personne victime d’un dommage, quelle qu’en soit la nature, a droit d’en obtenir l’indemnisation de celui qui l’a cause par sa faute ; que le droit à reparation du dommage résultant de la souffrance morale éprouvee par des parents en raison de la mort de leur fils, victime d’un accident, dont la responsabilité incombe à un tiers, étant né dans leur patrimoine, se transmet à leur décès, à leurs heritiers ; introduit aucune action à cette fin avant son décès; attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés; Par ces motifs : casse et annule l’arrêt rendu le 26 octobre 1973 par la cour d’appel de Poitiers (chambre correctionnelle), mais seulement en ce qu’il a declaré irrecevable la demande de dommages-interets formée par les consorts x..., en réparation du préjudice moral causé à leur pere à raison du décès de patrick x...; Attendu qu’Alizan a été declaré coupable d’un homicide involontaire commis le 17 janvier 1971 sur la personne de patrick x... par la juridiction penale ; que le père de ce dernier est décédé le 12 juillet 1972 ; que pour déclarer irrecevable la demande des héritiers du père de patrick x... en ce qu’elle tendait à obtenir l’indemnisation de la souffrance morale qu’il avait subie du fait de la mort accidentelle de son fils, l’arrêt énonce que x... père n’avait 10 Document 5 : Civ. 2ème, 2 avril 1996 Sur le second moyen, qui est préalable : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 mars 1994), que l'automobile de M. Roland X... a été heurtée par une camionnette conduite par M. Y... ; que, blessé, M. Roland X... a assigné celui-ci et son assureur, la Mutuelle assurance artisanale de France (MAAF), en réparation de son préjudice ; que, la victime ayant subi, lors de soins consécutifs à cet accident, une transfusion sanguine et ayant à cette occasion été contaminée par le virus d'immunodéficience humaine (VIH), la CPAM de l'Essonne (la Caisse) est intervenue en appel pour demander le remboursement de prestations versées ou à verser à M. Roland X... du fait de cette contamination ; Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt, qui a condamné M. Y... et la MAAF à indemniser M. Roland X... pour son préjudice spécifique de contamination, d'avoir rejeté cette demande, alors que, selon le moyen, d'une part, les juges du fond, qui fixent la somme réparant le préjudice global de la victime d'un accident doivent préciser quelle est la part du préjudice purement personnel et la part du préjudice soumis au recours des organismes sociaux sur laquelle viendra s'imputer leurs créances ; qu'en se contentant de fixer le montant du préjudice global sans autre précision, la cour d'appel a violé l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale, que, d'autre part, il convient de déterminer le montant des dépenses de la Caisse et de les déduire de l'évaluation du préjudice global pour calculer l'indemnité revenant à la victime ; qu'en l'espèce la cour d'appel a évalué le montant de l'indemnité revenant à la victime sans tenir compte des dépenses de la Caisse ; qu'ainsi la cour d'appel a derechef violé l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale ; qu'enfin ne revêt pas un caractère personnel le préjudice résultant de toutes les affections opportunistes consécutives à la déclaration du SIDA ainsi que les perturbations de sa vie sociale, s'agissant d'un préjudice touchant directement à l'intégrité physique de la victime ; qu'en décidant le contraire la cour d'appel a violé l'article L. 3761 du Code de la sécurité sociale ; Mais attendu que l'arrêt retient que le préjudice spécifique de contamination comprend l'ensemble des préjudices de caractère personnel subis par Roland X... tant physiques que psychiques et résultant, notamment, de la réduction de l'espérance de vie, des perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle ainsi que des souffrances et de leur crainte, du préjudice esthétique et d'agrément ainsi que de toutes les affections opportunistes consécutives à la déclaration de la maladie ; Qu'en l'état de ces énonciations c'est à bon droit que la cour d'appel, qui n'était saisie, au regard des préjudices découlant de la contamination, que de demandes en réparation du seul préjudice spécifique de contamination, qui n'inclut pas l'atteinte à l'intégrité physique, a rejeté la demande de la Caisse ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Sur le premier moyen : (sans intérêt) ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi. Document 6 : Civ. 1ère, 19 décembre 2006 Attendu que le 23 mars 1992, un stimulateur cardiaque équipé d’une sonde auriculaire de marque Accufix fabriquée par la société Telectronics pacing system (TPLC) a été implanté à Mme X... souffrant d’une insuffisance cardiaque ; que le 1er février 1995, cette sonde, mal positionnée, a été remplacée par une sonde de marque Encor également fabriquée par la société TPLC ; qu’à la suite de ruptures sur certaines sondes de marque Accufix du fil de rétention susceptibles, en cas de sortie de la gaine de protection, d’entraîner des blessures et parfois un décès et après un retrait du marché de ce type de sonde, Mme X... a sollicité une expertise en référé et recherché la responsabilité de la société TPLC ; Attendu que la cour d’appel a débouté Mme X... de sa demande d’indemnisation d’un préjudice moral, sans répondre à ses conclusions invoquant l’existence d’un dommage lié à sa crainte de subir d’autres atteintes graves et à l’impossibilité d’être libérée du risque de rupture présenté également par la sonde de marque Encor et d’envisager ainsi sereinement son existence et son avenir, 11 méconnaissant ainsi les exigences du texte susvisé ; PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen : CASSE ET ANNULE, (…) Document 7 : Soc., 4 décembre 2012 Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 9 septembre 2011), qu'engagée le 23 décembre 1968 en qualité d'ouvrier spécialisé par la société Moulinex, Mme X... a exercé des activités syndicales à compter de 1971 ; que, suite à l'ouverture le 7 septembre 2001 d'une procédure de redressement judiciaire de la société puis à l'adoption d'un plan de cession, elle a été licenciée le 27 décembre 2002 ; qu'elle a été admise au régime de l'Allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) ; Sur le premier moyen : (…) Sur les deuxième et troisième moyens : Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces moyens qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ; Et sur le quatrième moyen : Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de fixer la créance de la salariée sur le passif de la liquidation judiciaire de la société Moulinex à une certaine somme à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété subi alors, selon le moyen, que si les salariés, qui ont travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante peuvent se trouver par le fait de l'employeur dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et subir de ce fait un préjudice spécifique d'anxiété qu'il appartient à l'employeur d'indemniser, encore faut-il qu'ils aient été amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse ; qu'en l'espèce, en ayant jugé que Mme X... avait subi un préjudice spécifique d'anxiété en raison de son exposition à l'amiante qu'il appartenait à son employeur d'indemniser sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si cette salariée avait été amenée à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, ensemble le texte précité ; Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que la salariée, qui avait travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, se trouvait, de par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'elle se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers, a ainsi caractérisé l'existence d'un préjudice spécifique d'anxiété et légalement justifié sa décision ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Document 8 : Civ. 2ème, 22 novembre 2012 Sur le moyen unique : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mai 2011), que R... X..., épouse Y... a subi en avril 1984 une opération de chirurgie cardiaque au cours de laquelle elle a reçu des transfusions de produits sanguins ; qu'à la fin de l'année 1991, des examens ont révélé qu'elle avait été contaminée par le virus d'immunodéficience humaine (VIH) et par le virus de l'hépatite C ; que R... Y..., qui a subi 146 hospitalisations depuis 1984, est décédée le 2 janvier 2009 des suites d'une fibrose pulmonaire, en ayant été maintenue durant 25 ans dans l'ignorance de la nature exacte de sa pathologie par sa famille, 12 qui avait même présenté à son insu le 10 octobre 1992 une demande d'indemnisation au Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le VIH ; que le 21 janvier 2009, les ayants droit de R... Y..., M. Y... et les quatre enfants issus de leur union, les consorts Y..., exerçant l'action successorale, ont sollicité auprès de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) l'indemnisation du préjudice spécifique de contamination de la défunte ; que l'ONIAM ayant rejeté cette demande, les consorts Y... ont formé un recours devant la cour d'appel ; Attendu que les consorts Y... font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande, alors, selon le moyen : 1°/ que le préjudice spécifique de contamination comprend l'ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques résultant de la contamination, notamment des perturbations et craintes éprouvées, concernant l'espérance de vie et la crainte des souffrances ; qu'il comprend aussi le risque de toutes les affections opportunistes consécutives à la contamination, les perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle et les dommages esthétique et d'agrément générés par les traitements et soins subis ; que les différentes composantes de ce préjudice sont supportées par la victime que celle-ci ait connaissance ou non de l'appellation exacte de la contamination qu'elle a subi ; qu'en refusant aux ayants droit de R... Y... la réparation d'un préjudice lié à sa contamination par le VIH par cela seul que celle-ci, qui avait pourtant pendant vingt cinq ans supporté toutes les conséquences physiques et psychiques liées à sa contamination ayant entraîné pas moins de 146 hospitalisations, aurait été laissée dans l'ignorance de la nature exacte de sa pathologie, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ; 2°/ qu'en toute hypothèse, la cour d'appel a reconnu elle-même que le préjudice spécifique de contamination comportait à tout le moins une dimension liée à la spécificité des atteintes d'ordre physique et psychique engendrées par la contamination, indépendamment de la connaissance par la victime de la nature exacte de sa pathologie ; qu'en refusant cependant de réparer ces éléments dont elle a reconnu l'existence, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé l'article 1382 du code civil ; Mais attendu que l'arrêt retient que l'époux et les enfants de R... Y... ont fait le choix de ne pas informer celle-ci de la nature exacte de la pathologie dont elle a souffert pendant vingt cinq ans ; que le préjudice spécifique de contamination est un préjudice exceptionnel extra-patrimonial qui est caractérisé par l'ensemble des préjudices tant physiques que psychiques résultant notamment de la réduction de l'espérance de vie, des perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle ainsi que des souffrances et de leur crainte, du préjudice esthétique et d'agrément ainsi que de toutes les affections opportunes consécutives à la déclaration de la maladie ; que le caractère exceptionnel de ce préjudice est intrinsèquement associé à la prise de conscience des effets spécifiques de la contamination ; Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, a exactement déduit que R... Y..., tenue dans l'ignorance de sa contamination par le VIH et par le virus de l'hépatite C, n'avait pu subir de préjudice spécifique de contamination; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Document 9 : Extraits du rapport pour la réparation du préjudice écologique remis au Garde des Sceaux le 17 septembre 2013. LA DEFINITION DU PREJUDICE ECOLOGIQUE Certains juges acceptent d’indemniser directement le préjudice écologique pur. En jurisprudence, la réparation du dommage écologique a été « plus ou moins admise dans quelques espèces isolées: à propos des boues rouges en Corse1 ou de la pollution de la baie de Seine2 ». Mais la fixation 1 2 . TGI de Bastia, 8 décembre 1976. . CA Rouen, 30 janvier 1984. 13 « d’une indemnité en cas de dommage écologique est toujours très délicate pour le juge.[...] Désormais les juges n’hésitent plus à reconnaître l’existence d’un préjudice écologique3 distinct de tout préjudice matériel ou moral ». Dans l’arrêt ERIKA du 25 septembre 2012, la Cour de cassation reconnaît de manière explicite la notion de préjudice écologique, dans l’acception qui en a été retenue par la cour d’appel (cette dernière ayant reconnu le préjudice écologique pur) : « Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et a ainsi justifié l’allocation des indemnités propres à réparer le préjudice écologique, consistant en l’atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement et découlant de l’infraction ». Il est précisé que la cour d’appel de Paris avait explicitement qualifié le préjudice écologique de préjudice objectif et l’avait défini précisément en ces termes : « toute atteinte non négligeable à l’environnement naturel, à savoir, notamment, l’air, l’atmosphère, l’eau, les sols, les terres, les paysages, les sites naturels, la biodiversité et l’interaction entre ces éléments qui est sans répercussions sur un intérêt humain particulier mais qui affecte un intérêt collectif légitime ». Cependant, comme l’indique le rapport précité du sénateur Alain ANZIANI « en droit, plusieurs personnes entendues ont souligné que l’arrêt de la Cour de cassation méritait une consolidation législative qui, seule, permettrait d’éviter d’éventuels errements ou contradictions de la jurisprudence ». En effet, la Cour de cassation n’a pas tiré toutes les conséquences de cette décision, en ordonnant en quelque sorte la réparation d’un préjudice moral « second » des associations de protection de l’environnement et des collectivités territoriales, évalué de manière identique à leurs préjudices propres alors que le préjudice écologique pur présente un caractère objectif. A partir de ces données et de ces réflexions, plusieurs options étaient offertes au groupe de travail. La première, retenue par la proposition de loi du sénateur Bruno RETAILLEAU, conduisait à ne pas définir le préjudice écologique pur, en se limitant à en consacrer le caractère réparable. La seconde consistait à reprendre les termes de la LRE mais cela aboutissait à une définition inopportune, dès lors qu’elle était destinée à être intégrée dans le Code civil. Le groupe de travail a donc considéré qu’il était nécessaire à la fois de préciser dans la loi le contenu du préjudice écologique (1) et de mentionner une possible référence à la nomenclature écologique (2). 1. PROPOSITION D’UNE DEFINITION GENERALE DU PREJUDICE ECOLOGIQUE Le groupe de travail propose donc de définir le préjudice écologique comme celui qui résulte d’une atteinte aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement et en excluant explicitement les préjudices individuels et certains préjudices collectifs qui sont réparés selon les modalités du droit commun. La notion d’écosystème est ici privilégiée car elle est, selon les écologues et les économistes, plus pertinente que celle de milieu naturel. 3 . TGI de Narbonne, 4 octobre 2007 ; TGI Tours, 24 juillet 2008(préjudice subi par une fédération de pêche du fait d’une usine Seveso). 14 Document 10 : Crim., 26 mars 2013 Attendu qu’à la suite de l’accident mortel de la circulation dont Cassandra X... a été victime à l’âge de 16 ans, et dont M. Z..., reconnu coupable d’homicide involontaire, a été déclaré tenu à réparation intégrale, les premiers juges ont indemnisé Mme Y..., en qualité d’héritière de sa fille, du fait, d’une part, des souffrances physiques et morales endurées par Cassandra X... avant son décès du fait de ses blessures ainsi que de la conscience de l’imminence de sa mort, et, d’autre part, du préjudice résultant de son décès prématuré, ce dernier chef étant réparé par une indemnité égale à celle que la victime aurait perçue si elle était restée atteinte d’un déficit fonctionnel total ; que, sur l’appel de l’assureur du prévenu, la cour d’appel a réduit l’indemnisation du premier chef et rejeté la demande du second ; En cet état ; Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 et 731 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ; « en ce que l’arrêt attaqué, a infirmé le jugement en ce qu’il avait condamné M. Z... à verser à Mme Y..., en sa qualité d’héritière de Mme X..., la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice de la douleur subi par la victime et a limité la condamnation de M. Z... au paiement de la somme de 5 000 euros au profit de Mme Y... ; « aux motifs que, sur la demande fondée sur le préjudice de la douleur subi par Mme X..., il est constant que l’indemnisation d’un dommage n’est pas fonction de la représentation que s’en fait la victime mais de sa constatation par les juges et de son évaluation objective dans la limite de la demande dont ils sont saisis ; il est acquis en l’espèce que le décès de la jeune victime n’a pas été instantané, puisqu’elle a été éjectée de la voiture lors du choc et que son corps a été retrouvé plusieurs minutes après par Mme A..., qui a constaté qu’elle se trouvait allongée sur le dos avec son bras gauche désaxé, qui a pris son pouls qui était présent mais filant, les yeux étant ouverts en mydriase réactive ; le témoin a en outre constaté que la blessée émettait un râle et l’a changé de position, ce qui a entraîné un crachement de sang ; c’est donc à juste titre, au vu de ces éléments, que le tribunal a retenu que l’agonie de la jeune fille avait duré au moins une dizaine de minutes, que les derniers moments de sa vie avaient été particulièrement pénibles et que le principe de la réparation de la douleur devait être reconnu ; il convient cependant de limiter l’appréciation de ce préjudice à la somme de 5 000 euros dans la mesure où la douleur qu’a pu ressentir la jeune victime, a été particulièrement brève et très amoindrie par son absence de conscience provoquée par la violence du choc ; « 1) alors que l’auteur d’un délit est tenu à la réparation intégrale du préjudice qu’il a causé ; que l’état d’inconscience d’une personne humaine n’excluant aucun chef d’indemnisation, son préjudice doit être réparé dans tous ses éléments ; qu’il ressort des constatations mêmes de l’arrêt que le décès de Mme X... n’a pas été instantané, que l’agonie de la jeune fille a duré au moins une dizaine de minutes et que les derniers moments de sa vie ont été particulièrement pénibles ; qu’en affirmant néanmoins, pour limiter l’indemnisation du préjudice de la douleur subi par Mme X... à la somme de 5 000 euros, que la douleur avait été amoindrie par son absence de conscience provoquée par la violence du choc, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses propres constatations ; « 2) alors que si les juges apprécient souverainement le préjudice résultant de l’infraction, il en va autrement lorsque cette appréciation est déduite de motifs contradictoires ; que la cour d’appel a limité la réparation du préjudice né de la douleur subi par Mme X... à la somme de 5 000 euros au motif que celle-ci avait été inconsciente à compter du choc violent causé par l’accident ; que, cependant, elle a relevé que l’agonie de la jeune fille avait duré au moins dix bonnes minutes et que les derniers moments de sa vie avaient été particulièrement pénibles, ce dont il s’évinçait que la victime avait été consciente après l’accident ; qu’en l’état de tels motifs contradictoires, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ; « 3) alors que l’angoisse de l’imminence de la mort peut apparaître avant le choc causé par 15 l’accident ; que les consorts X..., Y... et B... faisaient valoir que Mme X... avait eu conscience du caractère inéluctable de son décès bien avant le choc, à savoir au moment de l’abord du virage et de la perte de contrôle du véhicule par son conducteur ; qu’en retenant que la douleur qu’avait pu ressentir la jeune victime avait été particulièrement brève et amoindrie par son absence de conscience provoquée par la violence du choc, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la victime n’avait pas eu conscience de l’imminence de sa mort bien avant le choc, au moment où le conducteur avait commencé à perdre le contrôle de son véhicule, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision » ; Attendu que, pour réduire l’indemnisation du préjudice subi par la victime entre l’accident et son décès du fait de ses blessures et de l’angoisse d’une mort imminente, l’arrêt retient que l’agonie de la jeune fille a duré une dizaine de minutes et a été particulièrement pénible ; Attendu qu’en statuant ainsi, par des motifs, procédant de son appréciation souveraine, la cour d’appel, qui a répondu comme elle le devait aux chefs péremptoires des conclusions des parties civiles, a justifié sa décision ; D'où il suit que le moyen doit être écarté ; Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 et 731 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ; « en ce que l'arrêt attaqué a infirmé le jugement en ce qu'il avait condamné M. Z... à verser à Mme Y..., en sa qualité d'héritière de Mme X..., la somme de 201 712, 06 euros au titre du préjudice de la perte de chance de vie de la victime et a débouté Mme Y... de cette demande ; « aux motifs que sur la demande fondée sur le préjudice de la perte de chance de vie de la victime, les parents de la jeune victime invoquent le décès prématuré de leur fille comme étant constitutif d'une perte de chance de vie relative aux plaisirs de la vie, du travail ou de fonder une famille ; il est cependant constant que le droit de vivre jusqu'à un âge statistiquement déterminé n'est pas suffisamment certain au regard des aléas innombrables de la vie quotidienne et des fluctuations de l'état de santé de toute personne, pour être tenu pour un droit acquis entré dans son patrimoine de son vivant et, comme tel, transmissible à ses héritiers lorsque survient un événement qui emporte le décès ; il en résulte que le droit revendiqué par les héritiers de Mme X... et la créance qu'ils entendent en déduire sont inexistants et que le jugement entrepris doit être réformé sur ce chef de prétention, Mme Y... devant être déboutée de sa demande en paiement de la somme de 201 715, 20 euros ; « alors que toute personne victime d'un dommage, quelle qu'en soit la nature, a droit d'en obtenir l'indemnisation de celui qui l'a causé ; que le droit à réparation du dommage résultant de la perte de vie, étant entré dans le patrimoine de la victime au moment de l'accident, se transmet à ses héritiers, lors de son décès ; que les consorts X..., Y... et B... faisaient valoir que s'il était effectivement difficile de retenir une espérance de vie déterminée, eu égard aux aléas de la vie, il n'était pas davantage possible d'exclure toute indemnisation de la perte de chance de vie sauf à remettre en cause le principe même du droit à réparation et ils demandaient, pour que soient pris en compte les aléas de la vie, une indemnisation de ce préjudice sur la base d'une capitalisation, reprenant ainsi les modalités de réparation des préjudices futurs ; qu'en se bornant à retenir que le droit de vivre jusqu'à un âge statistiquement déterminé n'est pas suffisamment certain au regard des aléas innombrables de la vie quotidienne et des fluctuations de l'état de santé de toute personne, pour être tenu pour un droit acquis entré dans son patrimoine de son vivant et, comme tel, transmissible à ses héritiers lorsque survient un événement qui emporte le décès, sans rechercher, comme elle y était expressément invitée, si, malgré les aléas de la vie, il n'était pas possible d'indemniser la perte de chance de vie en se référant à des barèmes de capitalisation prenant en considération les tables de mortalité établies par l'INSEE, lesquelles intégraient les probabilités de décès prématuré et donc les aléas de la vie, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision » ; Attendu que, pour débouter les héritiers de leur demande d'indemnisation au titre de « la perte de chance de vie », l'arrêt retient que le droit de vivre jusqu'à un âge statistiquement déterminé n'est pas suffisamment certain au regard des 16 aléas innombrables de la vie quotidienne et des fluctuations de l'état de santé de toute personne, pour être tenu pour un droit acquis, entré dans le patrimoine de celle-ci de son vivant et, comme tel, transmissible à ses héritiers lorsque survient un événement qui emporte le décès ; Attendu qu'en l'état de ces motifs la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors qu'aucun préjudice résultant de son propre décès n'a pu naître, du vivant de la victime, dans son patrimoine et être ainsi transmis à ses héritiers; Que, dès lors, le moyen ne peut être admis ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; REJETTE les pourvois ; 17 Document 11 : Civ. 27 juillet 1937 et Ch. mixte 27 février 1970, Grands arrêts de la jurisprudence civile, T.II, n° 185-186. 18 Document 12 : Civ., 1ère sect. civ. 16 janvier 1962 Sur le premier moyen pris en ses deux branches : attendu qu'en aout 1952, Daille, propriétaire du cheval de courses Lunus, l'a donne en location a l'entraineur Henri de X... ; Que celui-ci a fait conduire l'animal à Langon où il devait participer les 26 et 27 juillet 1953 a des courses organisées par la société hippique de Langon ; Que Fabre, président de cette société, a mis à la disposition de l'entraineur un box de son écurie pour y loger le cheval ; Que le 27 juillet 1953 au matin, l'animal a saisi avec la mâchoire le fil d'une lampe mobile dite « baladeuse » et a été électrocuté ; Que daille a assigne la société hippique de Langon, Fabre personnellement et de X... en payement de dommages-intérêts ; Attendu que l'arrêt attaqué a mis la responsabilité de la mort du cheval Lunus à la charge de Fabre pour 50%, de la société hippique de Langon pour 25% et de De X... pour 25% ; Que tout en refusant d'accorder a Daille la perte du gain éventuel que le cheval aurait pu rapporter dans l'avenir, la cour d'appel a retenu qu'en sus de la valeur vénale de l'animal qu'elle chiffrait a 350.000 francs, daille devait recevoir une somme supplémentaire pour le préjudice certain que lui causait la mort de Lunus, et a fixe globalement les dommagesintérêts dus à Daille à la somme de 500.000 francs, de X... recevant une somme de 75.000 francs ; Attendu qu'il est reproché à cette décision d'avoir alloué des dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice moral subi du fait de la perte du cheval et d'avoir également admis que de X... sous la couleur duquel le cheval était engagé dans la course, justifiait lui-même d'un préjudice moral, alors d'une part qu'un tel préjudice ne se conçoit qu'à l'occasion de la perte d'un être cher, et qu'il n'y a rien de commun entre le trouble causé par la disparition d'une personne et celle d'un animal, que d'autre part, il aurait appartenu à la cour de justifier, en se référant à des circonstances particulières, l'existence d'un préjudice qu'elle s'est contentée d'affirmer et qui n'apparaissait pas ; Mais attendu qu'indépendamment du préjudice matériel qu'elle entraine, la mort d'un animal peut être pour son propriétaire la cause d'un préjudice d'ordre subjectif et affectif susceptible de donner lieu a réparation, qu'en l'espèce la cour d'appel a pu estimer que le préjudice subi par Daille à l'occasion de la mort de son cheval ne se limitait pas a la somme nécessaire pour acheter une autre bête possédant les mêmes qualités, et qu'il y avait également lieu de faire entrer en ligne de compte dans le calcul des dommages-intérêts une indemnité destinée a compenser le préjudice que lui causait la perte d'un animal auquel il était attaché, que par le motif concernant de X... elle a pu également faire état du préjudice subi par celui-ci dans ses intérêts d'entraineur; Qu'il suit de la qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour a légalement justifié sa décision ; Mais sur le second moyen : vu l'article 1202 du code civil ; Attendu que si chacun des co-auteurs d'une faute commune peut être condamné à réparer l'intégralité du dommage à la réalisation duquel il a participé, la solidarité de l'article 1202 du code civil ne peut être prononcée contre eux que dans les cas prévus par la loi ; Attendu que pour condamner solidairement Fabre, la société hippique de Langon, de x..., la société d'assurance, à la garantie des condamnations prononcées contre eux, au profit de daille et de De X..., l'arrêt se borne à relever leur faute commune, mais qu'en déduisant de cette seule constatation l'existence d'un lien de solidarité entre eux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; Par ces motifs : casse et annule, mais dans la limite du moyen, l'arrêt rendu entre les parties par la cour d'appel de bordeaux le 5 juillet 1956 ; 19 Document 13 : Rouen, 16 septembre 1992 LA COUR : - Sur la loi du 5 juill. 1985 : Attendu que la loi n° 85-677 du 5 juill. 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation prévoit en son art. 1er qu'elle est applicable aux « victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ... » ; que ces dispositions ne se limitent pas à l'indemnisation des dommages résultant des atteintes aux personnes ; qu'elles visent également les dommages aux biens ; que rien ne justifierait qu'en soit écartée la réparation du préjudice subi par les propriétaires d'un chien, du fait des blessures occasionnées à ce dernier à la suite d'un accident dans lequel est impliqué un véhicule en circulation ; que de ce chef, la décision entreprise appelle déjà réformation en ce qu'elle a écarté l'application de la loi précitée du 5 juill. 1985 ; - Attendu qu'aux termes de cette loi, la faute commise par la victime a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages aux biens qu'elle a subis (art. 5 de la loi précitée) ; qu'en l'espèce le droit à l'indemnisation des époux Guillaume ne saurait donc être écarté qu'à condition pour M. Planquais d'établir que l'accident trouve sa cause dans une faute qui leur serait imputable ; Sur le droit à indemnisation : - Attendu que les circonstances précises de l'accident sont controversées ; qu'il n'en est pas moins établi qu'il est survenu alors que le chien Cyrus, en liberté, poursuivait le véhicule de M. Planquais qui quittait la propriété des époux Guillaume ; qu'à ce moment, les époux Guillaume n'exerçaient aucune surveillance particulière sur leur animal, malgré la présence d'étrangers dans la propriété ; que la poursuite d'un véhicule par un chien est une manifestation de son atavisme naturel l'incitant à y voir une proie ; que cet atavisme est généralement neutralisé par le dressage qui, en l'espèce, s'est avéré insuffisant ; que cette dernière constatation renforce la faute pouvant être reconnue à la charge des époux Guillaume ; Attendu cependant que cette faute ne saurait être considérée comme la cause exclusive de l'accident ; que M. Planquais ne conteste pas l'affirmation des époux Guillaume selon laquelle, mécontent d'observations qui lui auraient été faites, il aurait quitté leur propriété sans les prévenir ; qu'il apparaît qu'une telle démarche, à tout le moins naturelle, les aurait rappelés à toute la vigilance dont ils devaient faire preuve à l'égard de leur animal ; que surtout, ce dernier avait une taille d'environ 80 cm et pesait 58 kilos ; qu'en matière de visibilité et d'insonorisation, les camionnettes modernes - telle celle de M. Planquais - se rapprochent des conduites intérieures ; qu'il est manifeste que l'accident ne se serait pas produit, ou qu'il aurait eu des conséquences moindres, si M. Planquais avait fait preuve de la prudence et de la vigilance qui s'imposaient, notamment en circulant au pas ; - Attendu dans ces conditions que la faute commise par les époux Guillaume ne saurait avoir pour effet d'exclure leur droit à indemnisation ; qu'elle justifie tout au plus une limitation de ce dernier dans une proportion de 50 % ; Sur le préjudice : - Attendu que le chien Cyrus était né le 21 oct. 1987 ; qu'il était issu d'ascendants sélectionnés ; qu'il avait été acquis par les époux Guillaume pour une somme de 3 000 F ; qu'il avait fait l'objet, à leur initiative, d'un dressage pour la défense et des soins préventifs nécessaires pour son maintien en bonne santé ; que, pour se limiter à une approche étroitement matérielle, l'accident a eu pour effet de réduire à néant l'investissement ainsi effectué par les époux Guillaume, à un moment où l'espérance de vie de l'animal était d'encore au moins dix années ; - Attendu qu'à ce préjudice matériel s'ajoutent les frais des soins vétérinaires que les époux Guillaume ont dû exposer du fait de l'accident ; que M. Planquais apparaît mal venu à leur reprocher leur négligence à ce sujet ; qu'il est manifeste que, sur le moment, les époux Guillaume ont pu se méprendre sur l'état de l'animal et éprouver des difficultés à organiser son transport chez un vétérinaire ; que M. Planquais, lui-même, n'allègue d'ailleurs pas qu'une telle mesure lui aurait alors paru s'imposer et encore moins que, disposant pourtant d'une camionnette, il aurait proposé ses services à cet effet ; que pendant les cinq semaines ayant précédé la décision de pratiquer l'euthanasie, l'évolution de l'état de santé de l'animal a été suivie par un vétérinaire ; qu'ici encore M. Planquais apparaît mal venu à soutenir qu'il était dès le début manifeste que 20 les soins étaient voués à l'échec, et qu'il y avait lieu sans attendre de mettre un terme à sa vie ; - Attendu enfin que, bien que ne constituant pas un sujet de droit, un chien n'en est pas moins un être vivant ; qu'il est doté d'une forme d'intelligence et surtout de sensibilité ; qu'il est connu comme étant un animal avec lequel des liens étroits d'affectivité peuvent se nouer ; que les époux Guillaume justifient qu'ils étaient particulièrement attachés à leur chien Cyrus ; qu'en attestent les soins qu'ils lui ont prodigués tant avant qu'après l'accident ; que sa perte, surtout après cinq semaines d'efforts pour le sauver, leur a occasionné un préjudice moral incontestable ; - Attendu que, compte tenu des éléments ci-dessus évoqués, le préjudice subi par les époux Guillaume peut être évalué à 5 000 F pour le préjudice matériel, 1 278,70 F pour les frais vétérinaires, 2 000 F pour le préjudice moral, soit au total : 8 278,70 F ; que, compte tenu de la limitation du droit à indemnisation des époux Guillaume, M. Planquais et sa compagnie d'assurances seront condamnés in solidum à leur verser la moitié de cette somme, soit : 8 278,70 F : 2 = 4 139,35 F ; que la décision entreprise sera réformée en conséquence ; Sur les autres demandes : - Attendu que compte tenu des circonstances particulières à l'espèce, il ne semble pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elles ont engagés ; qu'elles seront donc déboutées de leur demande réciproque au titre de l'art. 700 NCPC ; que l'appel des époux Guillaume était justifié ; que M. Planquais et sa compagnie d'assurances seront condamnés in solidum aux dépens ; Par ces motifs, reçoit M. et Mme Norbert Guillaume en leur appel, y fait partiellement droit, infirme le jugement du Tribunal d'instance de Rouen du 17 mai 1991, condamne in solidum M. Planquais et la Compagnie Elvia assurances à payer à M. et Mme Guillaume la somme de 4 139,35 F, montant de leur droit à indemnisation du chef de leur préjudice consécutif à l'accident de la circulation au cours duquel leur chien Cyrus a été blessé, déboute les parties du surplus de leurs demandes [...]. 21