La synthèse - Villes et Transports en Ile-de

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La synthèse - Villes et Transports en Ile-de
# DATA, SHARE DATA !
Comment le partage de données peut-il améliorer la mobilité en Ile-de-France ?
Rencontre du 03 avril 2014
à la SNCF, direction Transilien
SYNTHÈSE
Les open data – « données ouvertes » – ont envahi le champ de la mobilité en ville, avec une multiplication des services permettant aux
usagers de planifier leurs déplacements de manière de plus en plus fine. Leur diffusion apporte néanmoins tout un cortège de
questions : quelles modalités d’exploitation des données ? Quel modèle économique ? Quels usages ? Quels effets sur les politiques
publiques, sur la mobilité et sur la ville ? Plus fondamentalement, les données ouvertes sont-elles un outil de démocratisation, ou une
arme au service de puissants groupes à tendance monopolistique ? VTIF a invité les acteurs publics de la mobilité francilienne et
lyonnaise à en débattre avec des opérateurs privés et des représentants du monde du numérique.
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Échange # 01
Open Data : Pour une mobilité plus fluide ?
Intervenants :
Laurent BRIANT (Directeur Cityway, partenaire d’Optimod’Lyon)
Antoine COURMONT (Chargé de mission ouverture des données Grand Lyon)
Bernard DUPRÉ (Délégué Recherche et Innovation RATP)
Jean-Luc PRAT (Chargé de la diffusion de l’Information Multimodale, Vianavigo, STIF)
Discutante : Julie RIEG (Directrice des études et du développement Chronos)
La première série d’échanges, animée par Julie RIEG, était consacrée à un état des lieux de l’existant. Les initiatives autour de l’Open
Data se multiplient, reflétant notamment une évolution profonde des relations entre les usagers et les transporteurs induite par la
technologie. Les premiers, de plus en plus impliqués, demandent désormais à être informés précisément, et si possible en temps réel,
de l’état des réseaux de transport. Ils souhaitent aussi pouvoir effectuer des comparaisons entre différents modes (temps de trajet,
coûts, empreinte écologique...). A ces demandes, les acteurs publics et privés commencent à répondre. Dans le domaine des
transports, l’ouverture des données commence à prendre forme, mais pose encore une série de questions :

Quelles doivent être les modalités d’utilisation des données. Faut-il ouvrir l’ensemble des données ou seulement une partie ?

Comment organiser l’uniformisation de ces données ?

Quel modèle économique et quelle gouvernance pour ce système ?
Modératrice du débat, Julie RIEG a introduit la discussion par une mise en contexte loin de la
tentation technophile. Après le tout-voiture, nous sommes entrés dans l’ère de la « réparation »,
marquée par une prise de conscience de l’impact environnemental de nos déplacements. La
technologie et les données peuvent accompagner ce changement en permettant à l’usager de choisir
en connaissance de cause, mais le numérique reste avant tout un moyen au service d’une vision de la
mobilité qui doit être bien identifiée et cohérente. La démarche d’Open Data ne doit donc pas être
initiée pour elle-même, mais pour répondre à un objectif.
1) Etat des lieux
Le Grand Lyon a lancé le projet Optimod’Lyon, qui vise à améliorer la visibilité de l’offre de transports et à favoriser le report modal.
Dans ce cadre, la collectivité a développé plusieurs offres avec des partenaires privés : SmartData, une centrale de données ouvertes
mise à la disposition d’acteurs privés souhaitant créer des services d’information aux usagers, OnlyMoov’, qui informe l’usager en
temps réel sur l’état du réseau de transports, et bientôt SmartMoov’, une application GPS multimodale en temps réel, développée par
Cityway. Cette application innovante inclut des données sur le trafic et l’offre de TC, vélo, autopartage, ainsi que des informations sur le
stationnement, avec un système d’alerte en cas d’incident en cours d’itinéraire.
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En Ile-de-France, chaque opérateur (SNCF, RATP, Transilien, Vélib, Autolib ...) a développé ses propres applications uniquement
centrées sur son réseau, ce qui explique une certaine inertie sur le multimodal. Le STIF se concentre aujourd’hui sur le sillon du
transport public qui est déjà très complexe en Ile-de-France avec ses 80 opérateurs de transport, nécessitant un travail important
d’uniformisation des données. La qualité de l’information est son principal objectif (complétude, fraîcheur, neutralité), il se montre donc
peu enclin à s’ouvrir au multimodal, qu’il ne considère pas comme faisant partie de ses compétences. Sur le domaine des transports
publics, le STIF propose toutefois des packs de données brutes utilisables à des fins d’études, notamment par les collectivités ou les
bureaux d'études pour les plans de déplacement d'entreprises, et depuis 2009 une bibliothèque de webservices, pour permettre à des
partenaires de construire leur propre service d’information voyageur, comme Mappy ou Nokia. La RATP a choisi d’inscrire la thématique
de l’Open Data dans le domaine plus large de l’Open Innovation, avec en premier lieu, en 2008, le lancement de la Fabrique RATP qui
constitue un lieu d’échanges dont l’un des objectifs est de développer des applications mobiles, ciblées et proches du client.
2) Centraliser, décentraliser ?
La question de la centralisation est d’ordre à la fois politique et technique. Politique car la collecte des données se heurte naturellement
au morcellement territorial et à celui des compétences ; technique car l’harmonisation de données recueillies auprès d’opérateurs
différents représente un coût et un investissement importants. Par exemple, chaque exploitant de parking utilise ses propres dispositifs,
produisant des données qu’il faut ensuite traiter et harmoniser. La création d’une banque de données unique apporte un incontestable
plus à l’usager.
La centralisation présente toutefois ses inconvénients. Si un opérateur privé unique émergeait, il serait en mesure de dépasser les
clivages territoriaux pour offrir un système harmonisé et très facilement utilisable. Mais se poserait la question de la neutralité de
l’information fournie, qui peut en revanche être garantie par un opérateur public.
Le Grand Lyon s’est positionné comme un agrégateur de données qu’il met à disposition sur une plateforme afin que les acteurs privés
puissent s’en saisir pour créer des services innovants ou produire des statistiques, cartographie ou dataviz, avec une politique de
licences bien particulière pour éviter l’émergence d’un acteur unique.
Ainsi, dans le cadre de cette démarche d’Open Data, public et privé ne se conçoivent pas de manière mutuellement exclusive, mais en
complémentarité. On constate alors que la coproduction est désormais la règle, mais les acteurs publics n’y sont pas nécessairement
préparés. Quel modèle économique peut ainsi correspondre à cette configuration ?
3) Un modèle économique à trouver
Qui dit service dit facturation. Les opérateurs présents ont discuté des modes de rémunération de la donnée pouvant être mis en place.
Concernant la tarification des données mises à disposition auprès des acteurs privés souhaitant développer des services aux usagers
notamment, une forme de consensus s’est dégagée sur la notion de « premium », c’est-à-dire de tarification à partir d’un certain volume
d’usage. Cette tarification pourrait être calculée sur la base du chiffre d’affaires généré. Ce dispositif présente l’avantage de maintenir
une certaine équité entre les opérateurs et d’éviter les coûts d’entrée excessifs. Il doit en revanche veiller à ne pas empêcher l’accès
aux données de start-ups qui n’ont pas les moyens de payer.
La tarification à l’utilisateur individuel peut également être envisagée. Une étude conduite par la Caisse des Dépôts montre que 90 %
des utilisateurs sont prêts à payer pour un service d’information de qualité.
Par ailleurs, d’après un sondage réalisé par le Grand Lyon, 6 à 8 % des usagers seraient prêts à changer de mode de transport suite à
la mise en place d’une information performante.
En conclusion, les acteurs ont insisté sur l’importance de mettre la technologie au service de l’intérêt public, et non l’inverse. L’ouverture
des données n’est pas une fin en soi, mais doit s’inscrire dans une véritable vision politique avec des objectifs clairement définis.
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Échange # 02
Crowdsourcing, mobilité 3.0 : le retour des usagers
Intervenants :
Gaël MUSQUET (Chargé de mission OpenSource & Data à La Fonderie IDF // Président d’Open Street Map France)
Gabriel PLASSAT (Ingénieur Energies et Prospectives, Transports & Mobilité ADEME // Rédacteur du blog transportsdufutur)
Bénédicte TILLOY (Directrice SNCF Proximité)
Discutant : Zbigniew SMOREDA (Sociologue Orange Labs)
1) Le crowdsourcing : vers l’émergence de « l’usager expert »
La table ronde a été introduite par le sociologue Zbigniew SMOREDA. Inventé par Jeff Howe en 2006,
le terme de crowdsoucing désigne le fait de faire travailler la « foule » (crowd). Il renvoie à la
collaboration, à l’intelligence collective, et la pratique est inspirée par le mouvement de l’open source,
mais il peut également être un moyen commode, a souligné Zbigniew Smoreda, de mobiliser de la
main-d’œuvre à moindre coût.
L’intérêt du crowdsourcing a été très tôt identifié par les grands opérateurs, comme Fiat ou Amazon
qui a mis en place une marketplace, un système très souple où une très grande variété de tâches
peut être allouée à des individus. Dans le domaine du transport, les avantages sont évidents : en cas
d’incident sur une ligne, le premier informé est l’utilisateur. Si l’information se diffuse de manière virale, sans remonter à l’opérateur, le
gain de temps est considérable.
A travers sa filiale Transilien, la SNCF a mis en place une application innovante nommée Tranquilien, développée dans le cadre d’un
hackathon par la start-up Snips. Tranquilien utilise des données SNCF, mais également les informations transmises en temps réel par
les usagers sur le taux de remplissage des trains. Avec 3 millions de voyageurs par jour, le réseau recèle d’un grand nombre d’experts
participants potentiels. Le principal objectif de cette application est de lisser les pointes de fréquentation des trains.
Tous producteurs : ce pourrait être le mot d’ordre du crowdsourcing, où la puissance publique n’est plus l’émetteur et le détenteur
exclusif de l’information. Selon les auteurs Colin et Verdier (L’âge de la multitude, éditions Armand Colin), nous sommes entrés dans
une ère où la foule prend le pouvoir, s’implique dans la vie publique ; elle devient actrice et « experte ».
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2) L’usager et les pouvoirs publics : entre défiance et coopération
Un grand nombre d’initiatives de crowdsourcing sont nées d’une
volonté de défier l’institution. Transilien s’est par exemple aperçu que
des voyageurs avaient installé des webcams devant les panneaux
d’affichage pour connaître la ponctualité des trains Paris-Chartre,
après avoir demandé cette information en vain à l’opérateur. La
défiance vis-à-vis du monopole, qu’il soit des pouvoirs publics ou
d’un opérateur privé, procède également d’un esprit libertaire très
présent chez les pionniers de l’open source.
La prise en compte de l’expertise des citoyens de la part des acteurs
publics semble donc essentielle et pourrait contribuer à une
refondation totale de la notion de service public et de la relation avec
les usagers, pour tendre vers un travail de plus en plus collaboratif,
de co-création et de co-production. L’ère du crowdsourcing, a noté
un participant, est celle des relations horizontales.
Ainsi, force est de constater qu’il existe un besoin de formation et de
montée en compétence au sein des collectivités pour comprendre et
prendre en compte ce phénomène à fort enjeu et amenuiser
l’attitude défensive des acteurs publics face à la libération des
données et des citoyens face à la rétention de l’information. À la fin,
les pouvoirs publics eux-mêmes en seront bénéficiaires.
3) Incitation et récompense
Afin d’inciter les usagers à donner de l’information via certaines
applications ou sites web, la question de la rémunération – sous une
forme ou sous une autre – est essentielle mais dépend de l’objectif
du dispositif. Un grand nombre d’initiatives de crowdsourcing sont
orientées vers le bien public – comme dans le cas de l’application
Good Data, qui permet à l’utilisateur de transmettre ses traces
numériques pour des actions dont la valeur sera reversée à des
ONG. Mais dans le cas des entreprises orientées vers le profit –
comme la marketplace d’Amazon – alors une rémunération
contractualisée est indispensable. Derrière la participation de
l’usager se cache tout simplement une forme d’exploitation, où la
« foule » travaille au profit d’un opérateur qui capte l’essentiel de la
valeur. Pour éviter ce genre de dérives, la notion de contrat citoyen a
été évoquée.
Le projet de recherche Mobi-Lise financé par l’ADEME en
Champagne-Ardennes a justement pour objectif de comprendre les
motivations de l’implication des usagers. La réponse sera
probablement plurielle : certains demandent des avantages, d’autres
participent par philanthropie soit pour faire face à l’absence de
données, soit dans un esprit de défiance face à la rétention
d’information ou encore simplement par passion.
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Conclusion
L’open data est un champ qui se défriche sous nos yeux, dans un processus constant d’essais et d’erreurs. Les participants à ce débat
ont joué le jeu, que ce soit pour défendre leur point de vue ou, parfois, reconnaître leurs difficultés et leurs limites. Les opérateurs que
sont SNCF Transilien, le STIF, la RATP et la SGP ont fait état de leur volonté de jeter de nouveaux ponts vers les usagers.
La confrontation des points de vue sur la diffusion des données et leur traitement s’est avérée passionnante, entre ceux qui restent
partisans d’un processus encadré et ceux pour qui l’avenir est dans la libération totale et la diffusion horizontale : ici, la question urbaine
rejoint des enjeux de société, voire philosophico-politiques.
Le modèle économique est en cours de construction, mais des lignes de force sont apparues : ainsi, certains participants se sont
accordés sur la pertinence d’un système de type « Premium », où les données seraient facturées aux opérateurs privés au-dessus d’un
certain seuil et à proportion du chiffre d’affaires généré.
Cette reconfiguration des relations entre acteurs publics, privés et citoyens, ainsi que l’émergence de citoyens « experts » qui se
saisissent des outils technologiques pourraient permettre l’avènement d'une mobilité plus vertueuse et sont peut-être les résultats les
plus spectaculaires de la révolution numérique.
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