ARCHIVES MLM Max Comfort Black Panther Party Qui sont les

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ARCHIVES MLM Max Comfort Black Panther Party Qui sont les
ARCHIVES MLM
Max Comfort
Black Panther Party
Qui sont les chiens enragés?
1968
Je m'appelle Mark Comfort. A six, en 1965, nous avons formé
le Comité d'action directe de Oakland pour agir à l'intérieur de
la communauté noire, définir ses problèmes et déterminer ce
que les Noirs sont décidés à faire pour les résoudre.
En 1966, les fonds nous ont manqué pour garder les locaux où
était installé notre quartier général. Depuis notre rôle consiste
essentiellement à lutter contre les brutalités policières dont les
Noirs sont victimes et contre les abus en matière de logements,
d'écoles et dans tout ce qui touche à la vie quotidienne des
Noirs d'Oakland.
Chaque fois que nous avons essayé d'acquérir un nouveau
local, a police a tenté de nous en empêcher. Nous avons dû
nous disperser. C'est donc par téléphone, de chez moi, que je
rassemble nos gens et nous nous débrouillons tant bien que
mal, mais nous ne pouvons plus faire grand-chose aujourd'hui.
C'est fini les sit-in, les manifestations pacifiques. Ça fait quatre
ans que je me fais mettre en tôle pour les mêmes
manifestations non violentes. Maintenant j'en ai marre : on
n'est arrivé à rien ou à pas grand-chose et malgré toutes ces
manifestations la situation est restée la même.
Nous n'avons fait qu'abattre quelques barrières mais pas assez
encore pour crier victoire. C'est pourquoi une tempête se
prépare qui secouera l'Amérique entière. Une fois la tempête
terminée, peut-être qu'alors les Noirs et les pauvres de ce pays
auront la vie plus facile. Pour l'instant, nous nous contentons
d'enregistrer ce qui se passe pour dresser un bilan réaliste.
Oakland compte cent trente-cinq mille Noirs et quarante mille
Mexicains, plus d'un tiers de la population totale. Les forces de
police comptent neuf cents flics, dont une vingtaine de Noirs et
trois Mexicains. Les flics blancs viennent surtout de Floride et
d'autres États du Sud. Leur seul travail est de taper sur la
gueule des nègres car c'est comme ça qu'ils ont de
l'avancement.
Résultat : les Noirs en ont marre de se faire cogner dessus. Les
Noirs en ont marre de vivre dans des baraques croulantes
infestées de rats et de cafards. Les Noirs en ont marre
d'envoyer leurs gosses dans des écoles où on les entasse à
quarante ou à cinquante dans une même classe - ce qui fait
qu'ils n'apprennent rien.
Et puis les Noirs - pas tous mais une grande majorité - en ont
marre de voter, car chaque fois c'est un Blanc qui est élu et rien
ne change. On ne peut pas toujours se contenter de miettes.
Quand ça va trop mal, le Blanc gagne du temps en faisant
passer encore une petite loi qui ne résout aucun de nos
problèmes. C'est à cause de tout ça que les Blancs auront
bientôt une révolution sur le dos.
Aujourd'hui on n'en est qu'au stade de la rébellion, mais à
Detroit, il y a eu une véritable guerre de rues. A Oakland, il y a
eu de petites flambées, rien de réellement sérieux mais assez
pour montrer au Blanc ce dont nous sommes capables. Certes,
en six ans, quarante-six millions de dollars ont été alloués par
l'État à la ville d'Oakland. Mais ce n'est pas aux pauvres que cet
argent est allé.
Il est passé dans les poches des salopards qui vivent sur les
collines, dans de belles maisons distinguées, et qui
commencent à avoir peur. Aujourd'hui dans les rues d'Oakland
il y a quinze mille jeunes Noirs en chômage: Ils nous trouvent
cinq mille emplois à 1 dollar 36 de l'heure et ils pensent que ça
ira comme ça. Bon.
Le mois de septembre arrive, plus de boulot : le programme
d'aide est terminé. Aujourd'hui, seuls ceux qui continuent à
s'occuper du mouvement pour les Droits civiques estiment
avoir droit au titre de dirigeants noirs. Ils organisent des
marches, toujours des marches, mais les Noirs un peu militants
n'ont plus tellement envie de marcher.
Vous revenez avec des trous plein vos chaussures et pas un sou
de plus pour vous en acheter des neuves. Pendant l'été 1967,
quatre-vingts villes ont explosé dans des États différents. Làdessus « The Man », ce que nous appelons « The Man », c'està-dire le Blanc - les gens au pouvoir, quoi - ont encore
stupidement dépensé de l'argent pour déterminer les causes des
rébellions. Pourtant, depuis treize ans que le mouvement existe,
nous avons manifesté, nous avons fait de la prison et nous
sommes morts précédemment pour expliquer le problème et
poser nos revendications.
Mais les Blancs essaient encore de démontrer que les rébellions
sont fomentées par les communistes. On sait que les
Américains voient des communistes partout. Le communisme,
c'est ce qui sert à camoufler les vrais problèmes, mais ça ne
marche plus. Les Noirs et les pauvres en ont marre de se faire
botter le cul. La rébellion est aussi vieille que la présence du
Noir en Amérique.
Les Noirs ont toujours combattu pour se libérer de l'esclavage,
de leurs chaînes. Les Blancs se sont toujours servis des Noirs
mais ils ne veulent pas le reconnaître. Ils s'en sont servis
pendant la guerre civile et contre les Indiens.
Les guerres des Blancs, ce sont les Noirs qui les ont faites. Et
quand ils en reviennent ils ne peuvent même pas trouver de
boulot. Il y a des exceptions mais la plupart d'entre eux se
retrouvent à la rue. Pour la liberté ? Pour quelle liberté? Nous,
nous ne sommes pas libres.
« The Man » ment mais nous le savons, maintenant, et le
monde entier le comprend en voyant ce qui se passe ici.
D'autant plus que l'Amérique prétend guider toutes les autres
puissances coloniales du monde.
Mais elle n'est pas si forte que ça. Si des gens ne s'entendent
pas, la maison qui les abrite ne restera pas debout longtemps
c'est ce qui est arrivé à Rome - et l'Amérique, qui veut l'empire
du monde, est la Rome d'aujourd'hui.
Comme disait Malcolm X, toujours payer sans rien recevoir en
échange, ça conduit à faire la révolution. Regardez le journal :
un million d'impôts supplémentaires pour la Californie. Mais
quand Reagan était candidat, il nous promettait des allègements
fiscaux. On n'y est pas.
Tout a augmenté et d'abord les impôts. Qu'est-ce qu'il espère ?
Combien de temps les pauvres vont-ils encore supporter ça ?
Les pauvres, pas seulement les Noirs, car si les Noirs sont les
plus pauvres de tous, il y a les Blancs pauvres et tous les autres
qui vivent dans les mêmes conditions et qui se joindront aux
Noirs et, si besoin est, combattront avec eux. Nous ne serons
pas seuls.
Personne ne peut faire la révolution à votre place, mais une fois
que la nôtre sera commencée, je suis certain que nous
recevrons l'aide nécessaire : les peuples qui veulent voir
l'Amérique à genoux sont nombreux, car l'Amérique les
menace et veut leur imposer sa puissance.
En fait, les Blancs ne peuvent pas déclencher une action de
contre-guérilla, faire sauter des maisons et utiliser les lanceflammes - car nous vivons dans leurs villes et qu'ils
risqueraient de tuer certains des leurs. Ils ont affaire à un type
de guerre qu'ils sont incapables de mener, pour l'instant. Alors
pour nous « calmer » ils font passer quelques décrets et
quelques lois supplémentaires tout en criant bien haut : « Nous
ne tolérerons pas d'insurrection dans les rues. Les émeutiers ne
sont que des criminels. Et nous les traiterons comme tels... »
Mais personne ne tient plus compte du « Nous ne tolérerons
pas... » Il y en a, comme Reagan, qui bondissent et déclarent : «
Ces chiens enragés qui se déchaînent dans les rues, nous n'en
voulons pas en Californie. »
Mais, qui sont les chiens enragés ? Jonhson est un chien
enragé. C'est le chien enragé. Comment peut-il dormir la nuit ?
Comment peut-il dormir quand des enfants ont été grillés par
cette saloperie de napalm, et que des vieux et des vieilles
crèvent dans les villages vietnamiens ?
Johnson, il devrait avoir des cauchemars, oui. Alors, vous
savez, on s'en tape de ce qu'il peut raconter. Ça ne veut plus
rien dire. D'ailleurs les Blancs nous ont toujours menti. Un de
ces jours, tous les États et toutes les villes vont exploser en
même temps.
Toutes les villes en même temps. Ils l'auront leur guerre civile ou leur révolution, appelez ça comme vous voudrez.
Ils ont une mentalité de gardien de zoo. Tant que le gardien
peut conserver les animaux enfermés ça va mais quand ils
arrivent à briser leurs cages, alors le gardien il a la trouille et il
fout le camp parce qu'il sait qu'ils vont lui faire la peau. C'est
ce qui est en train d'arriver aujourd'hui avec les Noirs : on nous
a enfermés dans des cages. On nous a dit : « Vous n'êtes rien du
tout... Vous ne venez de nulle part. » On nous a traités comme
des chiens et maintenant nous sommes en
train de démolir la cage et ils ont peur de nous voir commencer
à tout casser. C'est la guerre, voyez-vous. Et quand il y a la
guerre, il y a des innocents qui souffrent. Mais nous souffrons
déjà tous. Alors nous disons aux Noirs : « Levez-vous. Soyez
un homme véritable, une femme véritable. Combattez par tous
les moyens possibles et vous apporterez un peu de paix à vos
petits ». C'est ce qui arrive aujourd'hui.
Il ne s'agit pas d'émeutes. Une émeute, c'est quand deux ou
trois cents personnes se battent et se jettent des pierres. Mais
quand les gens s'attaquent directement aux autorités, ce n'est
plus une émeute - c'est la guerre. C'est la révolte contre
l'oppresseur, ceux qui n'ont rien combattent ceux qui ont tout.
Et c'est ça qui amènera le socialisme. Ils vous racontent qu'en
Amérique tout le monde a sa chance de devenir riche.
Alors, pourquoi ces pauvres ? Pourquoi y a-t-il cinq ou six
millions de Blancs qui crèvent de faim dans les États du Sud ?
C'est leurs frères, ceux-là. S'ils ne s'occupent même pas d'eux,
comment espérer qu'ils puissent s'occuper de nous ? Ils
entretiennent les préjugés raciaux pour que le combat reste
entre Noirs et Blancs : ça empêche les gens de voir de quoi il
retourne en réalité.
Mais une fois que les Blancs pauvres auront compris comme
les Noirs, alors ils seront foutus et ils le savent bien. Et la
vérité, un, jour ou l'autre, elle finit par apparaître à tout le
monde.
« The Man » est dans le pétrin. Il ne peut plus tenir les colonies
qu'il a partout dans le monde et la colonie qu'il a chez lui. Ça le
met dans une situation critique. Il ne peut pas faire revenir
toutes ses troupes pour les faire combattre contre nous.
Les Noirs qui sont au Viêt-nam savent ce qui se passe ici. Alors
ils disent ce que disait l'un d'eux l'autre jour à la télévision. On
lui demandait : « Que pensez-vous de ce qui arrive à
Detroit ? »
Il a dit: « Je suis allé au Viêt-nam pour défendre la liberté mais
avec cette histoire de Detroit je me dis que je ferais peut-être
bien de rentrer aux États-Unis parce que, là aussi, il y en a qui
se battent pour la liberté. »
Et le moral des soldats doit être bien bas. Les Blancs le
reconnaissent. A Saigon, les soldats noirs sont aussi emmerdés
qu'ici parce que les Blancs ont emporté leurs préjugés avec
eux. Chaque semaine, en plein Saigon, des soldats noirs et
blancs se tirent dessus. On en entend parler jusqu'ici. Ils ne
peuvent pas tout cacher.
Les esclaves ont construit l'Amérique qui est devenue la nation
la plus riche de son temps mais je dis qu'elle s'écroulera. Ça
n'arrivera pas dans quarante ou cinquante ans mais dans deux,
trois, quatre ou au plus six ans d'ici. Les hommes des pays
opprimés par l'Amérique ne se laisseront pas indéfiniment
marcher dessus. Une fourmi, malgré sa taille minuscule, essaie
de piquer celui qui l'écrase. Un chien tentera de mordre si vous
le battez trop. Même s'il n'est pas plus gros qu'un chat.
S'ils sont honnêtes, les soldats noirs de retour du Viêtnam
n'essaieront pas de se justifier en disant comme certains :
« Nous avons le droit d'être au Viêt-nam, nous avons le droit de
nous battre pour la liberté. »
Les rébellions leur montrent aujourd'hui qu'ils n'ont pas le droit
d'être au Viêt-nam parce qu'ils n'ont aucun droit chez eux. Il
faut d'abord balayer sa propre cour et la cour de l'Amérique est
dégueulasse. L'Amérique a beau essayer de l'enfouir sous son
argent, l'ordure remonte à la surface. Les masses noires sont en
train de secouer la poubelle et ça commence à puer de partout.