Etude comparative de deux ordres sportifs locaux. Les clubs de

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Etude comparative de deux ordres sportifs locaux. Les clubs de
BOUCHET P. - Université de La Réunion, Unité d’étude sociohistorique des APS,
CURAPS
NIER O. - Université Claude Bernard-Lyon 1, CRIS
Etude comparative de deux ordres sportifs locaux.
Les clubs de rugby et de tennis de table dans
l’agglomération grenobloise
INTRODUCTION
L’étude comparative des modes d’organisation des clubs fédéraux de rugby et de
tennis de table au sein de l’agglomération grenobloise est réalisée à partir de deux
recherches (Bouchet, 1992 ; Nier, 1993) menées en parallèle et dont les résultats
indiquaient de nombreuses dissemblances. Ce constat nous a conduit à rechercher
les fondements des disparités également observées dans la littérature spécialisée.
Celles-ci proviennent de l’utilisation de cadres théoriques différents pour analyser les
espaces sportifs et les systèmes de clubs auto-régulés.
De multiples recherches ont déjà porté sur l’étude des zones de diffusion des sports
en France (Mathieu et Praicheux, 1987), ou dans des espaces géographiques plus
restreints en les combinant avec des approches socio-historiques (Pociello, 1983 ;
Augustin et Garrigou, 1985 ; Callède, 1992). Elles montrent que les différenciations
de distribution des sports rendent compte de dynamiques d’implantation des clubs
dans des zones distinctes. Parfois, certaines pratiques inscrivent clairement et
spécifiquement leurs traces sur l’espace social local grâce à la diffusion de leurs
associations (Augustin, 1985), et/ou “sous l’impulsion d’organisations dans le cadre
de stratégies commerciales, corporatives ou politiques” (Defrance, 1995, 45). Mais,
globalement, ces recherches démontrent le plus souvent que la conformation d’un
espace sportif est le produit d’une dynamique “spatiale d’implantation et de
développement” (Pociello, 1995, 191) comprise comme un jeu de défense du terrain
conquis et/ou de conquête de nouveaux terrains de pratique par les organisations.
Elles permettent d’expliquer, en partie, que les espaces sportifs locaux ne se
présentent pas de manière homogène dans l’Hexagone, même si des activités sont
dominantes dans plusieurs régions françaises (Mathieu et Praicheux, 1992). En fait,
les différences de diffusion sportive tiennent tout autant à la nature des activités
pratiquées qu’à de multiples facteurs “inhérents aux conditions qui ont présidé à la
diffusion du mouvement sportif associatif en France” (Arnaud, 1988, 3). Si ces études
socio-géographiques et socio-historiques sont riches en enseignement, elles ne nous
fournissent que peu d’explications sur les enjeux qui régulent l’organisation locale
actuelle de chaque pratique.
Analysé sociologiquement en termes de stratégies et de rapports de pouvoir entre
les clubs, chaque espace sportif local devient un “sous-système des sports” (Callède,
1992) auto-organisé ou auto-régulé. Dans ce sous-système, les associations
“agissent dans les contraintes générales d’une rationalité limitée (un sport et un
espace local) et élaborent des solutions pour régler leur coopération conflictuelle et
pour gérer leur interdépendance stratégique ; celles qui s’adaptent pouvant vivre,
durer et se reproduire” (Friedberg, 1993, 19). S’ignorant ou en concurrence, les clubs
de chaque discipline entretiennent des relations en raison de leur implantation dans
les mêmes territoires et de leur confrontation à des interlocuteurs communs. Les
stratégies des clubs sont alors tributaires des enjeux auxquels ils doivent faire face et
des rapports privilégiés qu’ils nouent avec l’environnement sportif, politique ou
économique. Par ailleurs, leurs actions, en tant qu’organisations d’après la
conceptualisation de Bernoux (1985), dépendent du jeu de leurs acteurs les plus
influents (dirigeants, entraîneurs, joueurs…), et de leurs sources de pouvoir (position
hiérarchique, compétence, ancienneté…). Les professeurs d’EPS, les cadres sportifs
(Michon, 1982 ; Combaz, 1991) ou d’autres pratiquants, peuvent s’établir comme des
personnes ou des “relais” influents en fonction de leur position dans l’espace social,
de leurs relations ou de leur action éducative ou politique ; “chacun utilisant sa marge
d’autonomie de façon structurée et active en fonction de la perception qu’il a de l’état
du (sous-)système” (Friedberg, 1993, 113).
Les divers fondements théoriques expliquant les multiples modes d’organisation des
clubs sportifs deviennent complémentaires lorsqu’ils sont intégrés dans le concept
d’ordre local qui “prévaut, dans un contexte d’action particulier, comme le résultat
toujours partiel, provisoire et contingent d’une construction sociale” (Friedberg, 1993,
15). La pertinence de ce concept réside dans l’analyse dialectique qu’il induit pour
appréhender les stratégies et les relations entre des organisations en fonction de leur
dynamique d’implantation. L’ordre local serait issu d’une entropie naturelle qui
génère ses propres auto-régulations évolutives1. Dans cette acception, un ordre
sportif local2 correspond aux modes de régulation des organisations dans un espace
sportif délimité (résultat partiel et provisoire dans un contexte d’action particulier),
représentant un système auto-organisé (résultat contingent d’une construction
sociale) afin de s’adapter à des enjeux évolutifs pour vivre, durer ou se reproduire. Il
se caractérise, d’une part, par sa dimension à géométrie variable dans un Etat (du
quartier à la région), et, d’autre part, par l’unicité ou la multiplicité des disciplines
sportives concernées.
L’objectif de cet article consiste donc à comparer les modes d’organisation des clubs
de rugby et de tennis de table au sein de l’agglomération grenobloise, chaque mode
étant considéré comme un ordre sportif local représentant un sous-espace et un
sous-système auto-organisé par un environnement et des enjeux spécifiques. Bien
entendu, ils ne fonctionnent pas en autonomie et il existe entre eux, mais également
avec d’autres sports, des relations de concurrence (subventions publiques ou
privées, mise à disposition d’équipements ou de moniteurs municipaux, recrutement
de jeunes, etc.). Une telle analyse qui aurait permis d’estimer localement les effets
de position et les valeurs symboliques qui s’attachent au rugby et au tennis de table,
ne constitue pas notre axe principal d’investigation. La validité et la fiabilité de cette
recherche reposent sur une similitude méthodologique dans le recueil et le traitement
des résultats (sociologie des organisations avec étude d’archives et entretiens semidirectifs). La détermination des oppositions entre les deux ordres locaux du rugby et
du tennis de table se fonde sur deux étapes d’analyses complémentaires et
successives.
Premièrement, il s’agit de comparer la dynamique territoriale et sociale
(géographique, démographique, industrielle…) d’implantation du rugby et du tennis
de table en repérant leurs principaux facteurs de développement. Cette analyse
méso-sociologique doit être attentive aux enjeux de diffusion de ces deux sports. Elle
est complétée par l’étude de la distribution spatiale des clubs actuels afin d’identifier
les oppositions majeures de la conformation des sous-espaces du rugby et du tennis
de table. Si cette investigation est nécessaire pour l’interprétation, la comparaison
des principales caractéristiques structurelles des associations au moyen d’analyses
factorielles apparaît indispensable. Celles-ci indiquent des variables analogues les
différenciant et des groupes clubs en fonction des variables discriminantes les plus
corrélées.
Deuxièmement, dans chaque groupe identifié, une “analyse stratégique” (Crozier et
Friedberg, 1977) des clubs de rugby et de tennis de table, en tant qu’organisations,
est effectuée. Cette étude micro-sociologique des deux sous-systèmes sportifs
comporte une identification, puis une catégorisation de leurs stratégies (objectifs,
acteurs influents et sources de pouvoir) et de leurs réseaux de relations, face à
différents enjeux sportif, éducatif, politique et économique. Elle parachève ainsi le
repérage des oppositions entre les ordres locaux du rugby et du tennis de table en
favorisant la compréhension de leur auto-régulation.
LES DYNAMIQUES D’IMPLANTATION DES DEUX SOUS-ESPACES SPORTIFS
1) Origine et diffusion locale du rubgy et du tennis de table
Les diffusions locales des deux sous-espaces sportifs indiquent des évolutions
sensiblement distinctes sur plusieurs points. Tout d’abord, l’origine du rugby dès la
fin du XIXe siècle a précédé celle du tennis de table de 30 ans. Si pour la première,
elle dépendait d’enseignants d’établissements scolaires, pour la seconde elle est le
fruit de taverniers huppés désireux d’offrir une activité récréative à leurs clients. Par
la suite, les compétitions de rugby ont enregistré un engouement du public,
économique et politique, alors que les rencontres de tennis de table se
caractérisaient par leur aspect corporatif et confidentiel. Ce décalage temporel et
originel a contribué, en partie, à la territorialisation du rugby dans le milieu populaire
et sportif, et à la “discrimination” du tennis de table dans le champ des loisirs des
populations aisées.
Par la suite, la volonté de durer, de se reproduire et de se légitimer, en augmentant
(ou pas) ses effectifs et ses résultats, représentent les enjeux socio-historiques
inhérents à la différence d’évolution de ces deux sports sur le plan local. La diffusion
du rugby a eu lieu sous l’impulsion d’associations “semi-professionnalisées” : le
Comité des Alpes et le football club de Grenoble section rugby (FCG), soutenues par
des associés politiques et économiques (12 millions de budget1), et par un public
considérable et fidélisé (plus de 10 000 supporters par match)2. Dans le cadre
d’actions de promotion et de stratégies commerciales et politiques, elles ont
contribué à l’expansion de ce sport par l’augmentation des clubs ou des effectifs, des
titres dans toutes les catégories d’âge et dans toutes les divisions. Si par ses
résultats le rugby conserve un leadership sportif local, il n’a pas acquis pour autant
une notoriété aussi forte que l’ovalie du Sud-Ouest.
A l’inverse, la diffusion du tennis de table est le résultat de deux évolutions
contingentes où la notion sociologique de groupe “ouvert” ou “fermé” au recrutement
joue un rôle explicatif (Dunning & Scheard, 1979). En effet, la “fermeture” des clubs
corporatifs en privilégiant le jeu désintéressé et le plaisir de se retrouver entre
semblables a provoqué leur déclin progressif. Simultanément, la modification de la
composition des structures d’encadrement de quelques clubs et de la fraction
dirigeante de la Ligue, a favorisé l’ouverture et le développement du tennis de table
par un processus de divulgation. Les évolutions quantitative et qualitative
enregistrées ont contribué à asseoir la réputation nationale des cadres et des
dirigeants des clubs de l’agglomération grenobloise, sans pour autant conquérir une
notoriété sportive locale en termes de spectateurs et de sponsors. Seules quelques
municipalités aident fortement leur club malgré la connotation encore très “élitistes”
de cette discipline.
2) La distribution géographique des clubs actuels
La diffusion distincte du rugby et du tennis de table sur le plan local conduit à
rechercher des répercussions sur la distribution géographique des clubs présents en
1993 en fonction des caractéristiques des 23 communes de l’agglomération
grenobloise. Celles-ci correspondent selon les axes de vallées des rivières de l’Isère
et du Drac, et elles comptent 367 000 habitants au recensement de 1990. Leur
situation “de plaine en milieu alpin” ne particularise pas leur composition sportive visà-vis d’autres villes françaises (Bouchet, 1996). Douze clubs de rugby et dix-neuf de
tennis de table (cf. Annexe 1) sont répartis dans ces villes (cf. Carte 1 page
suivante).
La carte 1 indique une distribution géographique différente des associations des
deux sports. Les clubs de rugby sont répartis spatialement en fonction de leur niveau
d’évolution qui décroît du centre vers la périphérie à partir du club d’élite (FCG) :
ceux de niveau national vers le sud de l’agglomération : Seyssins (RCS) puis Pontde-Claix (US2P) ; les autres de divisions inférieures dans les directions des deux
autres vallées (vers Domène ou Fontanil-Cornillon). Pour le tennis de table, la
majorité des clubs fédéraux se situe dans la première couronne de l’agglomération.
Ceux de niveau national entourent la commune centrale et ils sont localisés en début
de chaque axe de vallée : Saint-Egrève (nord-ouest), Echirolles (sud) et la Tronche
(est). Les clubs de divisions inférieures se positionnent surtout dans des villes à
caractère industriel longeant les rives du Drac (de Sassenage à Pont-de-Claix) ou de
l’Isère (Saint-Martin le Vinoux, Gières) ; les clubs corporatifs traversant
l’agglomération d’ouest (Sassenage) en est (Saint-Martin d’Hères) en passant par
Grenoble siège de centres économique et bancaire.
Callède (1992) avait constaté dans la région bordelaise que le niveau d’évolution des
clubs décroissait globalement du “centre” vers la “périphérie”, comme s’il existait une
concaténation qui assure une continuité dans la diffusion spatiale. Cette tendance
apparaît similaire pour la distribution des clubs du rugby et sensiblement différente
pour ceux du tennis de table. Cette opposition s’expliquerait par une disparité
d’implantation de ces deux pratiques en fonction du développement urbanistique et
industriel local. En effet, à l’insertion plus précoce et socialement caractérisée
(étudiante et rurale) du rugby au centre (Grenoble), a succédé une diffusion sociale
progressive des clubs vers la périphérie de l’agglomération liée au succès populaire
de ce sport en relation l’expansion urbaine et économique. Pour le tennis de table,
l’origine plus tardive, socialement distinctive et périphérique, fut suivie d’un essor des
créations grâce aux soutiens des communes situées autour de Grenoble et d’un
déclin des sections corporatives évoluant dans un championnat en désuétude.
Ces distributions géographiques distinctes indiquent également que les clubs
nationaux de ces deux sports ne sont pas en concurrence dans les mêmes villes de
l’agglomération. Tout se passe comme si chaque dynamique d’implantation “s’était
historiquement définie dans une étroite et longue “localisation” tendant à assurer la
reproduction de l’existant” (Pociello, 1995, 191). La spatialisation autour d’un centre
pour le rugby et en périphérie pour le tennis de table, semble révélatrice d’une
organisation sociale des clubs de chaque sous-espace sportif.
3) Les caractéristiques structurelles des clubs
Les oppositions concernant la diffusion historique et socio-géographique du rugby et
du tennis de table conduisent à comparer les caractéristiques structurelles des clubs
actuels. Cette étude a été réalisée à partir d’une analyse factorielle des
correspondances (AFC) à l’aide de huit variables qualitatives communes aux deux
sports et regroupant 46 items (cf. Annexe 2).
En premier lieu, l’AFC a révélé que deux variables ne sont pas discriminantes. Les
types d’installation et leur volume horaire d’occupation des clubs de rugby et de
tennis de table demeurent très hétérogènes (terrain, gymnase, salles spécifiques ou
de musculation…). Elles dépendent du tissu associatif et du patrimoine présents
dans chaque commune concernée. Par ailleurs, le recrutement communal des clubs
des deux sports avoisine les 40% (en raison des jeunes essentiellement) et près de
90% des pratiquants résident dans l’agglomération.
En second lieu, l’AFC a signalé des variables discriminantes propres à chaque
discipline : la circulation des licenciés et le nombre d’équipes engagées en
championnat. D’une part, plus le niveau d’évolution des clubs de rugby augmente et
plus les mutations s’accroissent, alors que seuls deux clubs de tennis de table de
niveau national enregistrent quelques recrutements. D’autre part, la somme des
équipes engagées en championnat diffère pour les clubs de ces deux sports. Pour
ceux du rugby, le nombre est identique dans chaque catégorie d’âge : la “une” et la
“réserve” (rarement plus de 10 équipes). En tennis de table, un club a la possibilité
d’engager plusieurs équipes seniors et jeunes, masculines et féminines, en divisions
nationales, régionales et départementales, en fonction du niveau d’évolution et des
effectifs disponibles (plus de 20 équipes possibles). En fait, la compétition
rugbystique nécessitant au moins vingt joueurs par équipe en raison des blessures,
le recrutement constitue un enjeu sportif inhérent à cette discipline. Les rencontres
pongistes étant individuelles ou par équipe avec peu de joueurs (de 6 ou 4 en
seniors et de 3 en jeunes), le renouvellement des effectifs représente surtout un
enjeu économique (cotisation et subvention) et politique (reconnaissance sportive).
Par effet indirect, cette distinction explique la différence du nombre de clubs présents
dans l’agglomération.
En troisième lieu, l’AFC indique quatre variables discriminantes corrélées (30,3% de
l’inertie étant expliquée par les deux premiers axes) pour les clubs de rugby et de
tennis de table (cf. Annexe 2). Plus ils ont un niveau d’évolution élevé et plus les
licenciés, le pourcentage de jeunes et les personnels d’encadrement augmentent. Si
qualitativement ce résultat apparaît comme un truisme, on enregistre néanmoins une
différence quantitative des effectifs qui résulte de la pratique elle-même : sport
collectif pour l’un et sport individuel pour l’autre. En effet, le nombre de licenciés est
plus important et les personnels d’encadrement plus nombreux et rétribués
(professionnel et indemnisé) au rugby. Par contre, il existe peu de différences sur le
pourcentage de jeunes, car, dans les deux sports, le cahier des charges à respecter
est relativement similaire et proportionnel au niveau d’évolution.
Enfin, une recherche statistique de typologie de proche en proche sur quatre
variables discriminantes corrélées (hormis le niveau d’évolution représenté à titre
indicatif), révèle la présence de groupes de clubs dans chaque espace sportif local
(cf. Graphique 1).
Le graphique 1 révèle trois groupes de deux clubs et un groupe de cinq clubs pour le
rugby. Ces regroupements dépendent surtout du nombres de licenciés (axe 2), du
pourcentage de jeunes et de la circulation de licenciés (axe 1). Ils différencient
fortement les deux associations de niveau national (groupe 1) des autres de niveaux
élite régionale (groupe 2), régional (groupe 3) et départemental (groupe 4). Le
graphique 1 indique que les clubs de tennis de table sont répartis dans trois groupes
distincts. Cette typologie résulte principalement du nombre de licenciés et des
personnels d’encadrement (axe 1), et de la circulation de licenciés (axe 2). Elle
distingue trois clubs de niveau national (groupe 1), huit de niveaux régional et
départemental (groupe 2) et huit sections corporatives (groupe 3). Cette analyse
structurelle des clubs renforce les oppositions entre les sous-espaces sportifs locaux
par la mise en évidence de six variables discriminantes et de deux typologies
distinctes de clubs.
L’ANALYSE STRATEGIQUE DES DEUX SOUS-SYSTEMES SPORTIFS
L’étude des sous-espaces du rugby et du tennis de table dans l’agglomération
grenobloise a révélé des différences (socio-historique, socio-géographique et
structurelle) concernant la dynamique d’implantation des clubs. Il s’agit désormais
d’approfondir l’analyse comparative par une approche sociologique organisationnelle
centrée sur les stratégies des clubs (en fonction de leur groupe d’appartenance) et
sur leurs relations, face à des enjeux spécifiques.
1) Le sous-système des clubs de tennis de table
L’analyse stratégique des associations a permis de discerner trois types de
stratégies et de relations qui expliquent la typologie précédente, notamment la
distinction par rapport aux personnels d’encadrement et ses conséquences sur les
effectifs de licenciés.
Groupe 1 - Les trois clubs nationaux constituent des clubs formateurs et recruteurs.
Leur stratégie analogue consiste à être le club d’élite de l’agglomération grenobloise
et de la Ligue Alpes-Dauphiné. Chacun tente d’acquérir les meilleurs résultats
(individuel ou par équipe) dans toutes les catégories d’âge (masculine ou féminine),
et leurs équipes fanions évoluent au niveau national. Ces trois clubs se caractérisent
par un nombre important de licenciés jeunes et adultes, géré par des structures
d’encadrement organisées et “professionnalisées”. Ces dernières offrent aux
pratiquants une filière d’accès à un haut niveau de performance grâce à des
moniteurs municipaux détachés sur le club, eux-mêmes secondés par d’autres
entraîneurs diplômés et indemnisés. Cette stratégie leur permet d’augmenter ou de
pérenniser les aides de la Fédération, de l’Etat (FNDS) et du Conseil général, car les
critères d’attributions dépendent du volume de licenciés et du niveau des résultats
obtenus. Par ailleurs, ces clubs bénéficient d’un soutien décisif de leur commune
(subvention, équipement, personnel) qui met en avant leurs actions et leurs résultats
comme vecteurs de prestige et d’identité municipale. Ils attirent de nombreux jeunes
grâce aux moniteurs municipaux qui interviennent dans les écoles primaires et/ou
dans les écoles communales de sport en dehors du temps scolaire. Ces
interventions leur permettent également de faire de la détection pour le compte de
leur association. S’il existe quelques dirigeants actifs, il apparaît que le
fonctionnement de ces clubs dépend, en grande partie, des directives de
l’encadrement technique. Les entraîneurs, par leur rôle et leur statut, se sont
construits un pouvoir informel de décision et d’orientation de la politique. Cette
source de pouvoir provient de leurs compétences techniques, du relais qu’ils
représentent dans leur environnement sportif et politique et, surtout, du temps dont
ils disposent pour résoudre les problèmes quotidiens sans forcément en référer aux
dirigeants.
Les stratégies des trois clubs nationaux pour acquérir la suprématie locale
provoquent des luttes entre les structures d’encadrement vis-à-vis d’enjeux sportifs et
“éducatifs” communs. Les concurrences pour les meilleurs résultats dans toutes les
catégories d’âge sont autant d’occasions pour afficher la supériorité du travail et des
compétences des entraîneurs de chaque association. Cette rivalité se répercute, par
normalisation (Moscovici, 1991), sur les licenciés qui forment trois “communautés
sportives” en conflit implicite, et parfois explicite selon les confrontations. Par ailleurs,
des entraîneurs de ces clubs effectuent des actions d’encadrement pour le compte
de la Ligue ou dans des associations de divisions inférieures (dans l’agglomération
pour l’USSETT et l’ALETT, en dehors de celle-ci pour le TTT). En conséquence, ils
amplifient leur espace d’attraction des futurs adhérents en renforçant des relations de
partenariat officieuses. Ces trois clubs se sont même créés des zones
géographiques fédérales privilégiées de recrutement et de formation qui ne se
chevauchent pas spatialement : ALETT au sud, USSETT au nord-ouest, TTT à l’est.
La concurrence sportive se pérennise par la présence de moniteurs municipaux qui
investissent le système scolaire ou extra-scolaire et renouvellent ainsi les effectifs
jeunes et les résultats de leur asscociation.
Si la lutte pour la suprématie locale constitue un enjeu pour les trois clubs nationaux,
elle contribue également à la reconnaissance du tennis de table dans
l’environnement sportif, politique et économique. Depuis peu, quelques partenaires
privés et publics investissent dans cette discipline ou renforcent les subventions des
clubs ; les médailles de J.Ph. Gatien aux Jeux olympiques de Barcelone (argent) et
au Championnat du Monde de 1993 (or), ont certainement influencé ces
investissements.
Groupe 2 - Les huit clubs régionaux et départementaux représentent des clubs
formateurs. Ils n’entretiennent pas de relations conflictuelles ou de partenariat,
hormis une concurrence sportive lorsque leurs équipes s’affrontent durant les
matches de championnat. Leur stratégie est d’accéder à un niveau d’évolution
supérieur à plus ou moins long terme en consolidant leur structure d’encadrement
technique sur le modèle des clubs nationaux. Par ce moyen, ils espèrent augmenter
leur volume de pratiquants dans toutes les catégories d’âge et ainsi obtenir plus
d’aides de la part de leur commune (subvention, créneau horaire disponible,
moniteur municipal). Pour atteindre leurs objectifs, ces clubs cherchent à acquérir un
nombre suffisant de cadres techniques diplômés assurant des entraînements de
qualité pour les adhérents engagés en compétition et d’autres sections (loisir, école
de sport…). En contrepartie, ces stratégies provoquent progressivement un transfert
du pouvoir de décision et d’orientation des dirigeants au profit des cadres
techniques. Si leur taux de licenciés jeunes et adultes demeure comparable, le type
et le fonctionnement de leur structure d’encadrement diffèrent sensiblement en
fonction des voies de formation choisies.
La majorité d’entre eux a privilégié le recrutement d’entraîneurs qualifiés et
indemnisés pour améliorer l’encadrement de leurs sections. Certains (STT, TTS)
optent pour une croissance de leurs effectifs et de leurs résultats en menant des
actions régulières dans des écoles municipales de sport. D’autres (ALSMLV, CPE,
ASRP, CPG) aspirent à consolider leur structure d’encadrement, mais l’entraînement
de leur élite est assuré par des cadres techniques issus des clubs nationaux de
l’agglomération ou de Romans. Mais seuls l’ALSMLV et le STT sont parvenus à
accéder à un niveau d’évolution supérieur grâce à d’importantes aides municipales
(personnel et subvention) leur permettant de recruter des joueurs de valeur et de
maintenir leurs effectifs. Enfin, deux derniers clubs (ALG et ASFTT) qui bénéficient
de peu de ressources et de représentativité au niveau communal, tentent de fidéliser
leurs pratiquants et d’en attirer de nouveaux par des opérations ponctuelles dans les
établissements scolaires ou par l’organisation de tournois ouverts à tous. Mais ces
actions de formation et d’attraction ne produisent pas les effets escomptés, car le
fonctionnement de ces clubs dépend de présidents-entraîneurs bénévoles ne
disposant pas suffisamment de moyens financiers, d’équipement et de temps.
Les stratégies d’expansion de toutes ces associations rencontrent des obstacles
d’ordre sportif et éducatif liés à la présence des clubs nationaux. Si elles parviennent
à rivaliser avec eux au niveau des catégories jeunes, elles ont du mal à échapper au
recrutement “sauvage” (sans communication ni échange) de leurs meilleurs
pratiquants. Les clubs nationaux jouissent d’une notoriété attractive par leur résultat
et leur encadrement favorisant la progression et l’accès au haut niveau
(entraînement individualisé, émulation et relance, etc.). Cette renommée est
entretenue et propagée sur le plan local par leurs entraîneurs grâce à leurs actions
de formation et de sélection des élites jeunes pour le compte de la Ligue. De plus,
les clubs régionaux et départementaux se trouvent en concurrence sportive indirecte
en catégorie senior avec les autres équipes des clubs nationaux évoluant dans leur
division. Ils leurs reprochent de fausser les résultats des championnats grâce à leurs
effectifs et d’empêcher ou de freiner leur accession à un niveau d’évolution
supérieur. En effet, les clubs nationaux ont la possibilité de rehausser la valeur de
leur équipe régionale ou départementale par le renfort de pongistes remplaçants en
division supérieure. Cette tactique utilisée parfois pour éviter la descente de l’équipe
ou pour favoriser sa montée est ressentie comme une profonde “injustice” par les
autres clubs.
Groupe 3 - Les huit sections corporatives correspondent à des clubs non formateurs
et non recruteurs. Elles évoluent dans un “critérium” local en désuétude, organisé par
une commission de la Ligue, grâce aux subventions de leurs comités d’entreprise. Le
déclin de ces sections les placent dans une situation marginale vis-à-vis des autres
clubs fédéraux au niveau de leur fonctionnement (pas de cadre technique) et de leur
stratégie. Dans leur immense majorité, elles sont dirigées par des présidents qui
cherchent à pérenniser leur structure en fidélisant les adhérents par une pratique
conviviale entre amis et sans entraînement dirigé ; les comités d’entreprise ayant
modifié leurs actions en préférant participer au paiement des adhésions de leurs
employés au sein de clubs ou de sociétés sportives privées (Bouchet, 1996).
2) Le sous-système des clubs de rugby
L’analyse stratégique des associations a permis de discerner quatre types de
stratégies qui expliquent la typologie des clubs fondée sur le pourcentage de jeunes
et la circulation des joueurs, et ses conséquences sur les effectifs de licenciés et les
relations entretenues.
Groupe 1 - Les deux clubs nationaux sont des clubs formateurs et recruteurs. Ils se
caractérisent par le niveau d’évolution le plus élevé, par les structures d’encadrement
les plus importantes, tant sur le plan des ressources humaines (nombre et
compétence des éducateurs, position stratégique des dirigeants) que sur le plan des
ressources matérielles (stades, terrains d’entraînement, tribunes…). Cependant,
l’analyse a montré que le FCG possédait des moyens, des résultats et une image de
marque nettement supérieurs à ceux du RCS.
La stratégie du FCG est de devenir un des trois meilleurs clubs de rugby français
dans les catégories cadets, juniors et seniors. Elle résulte des ambitions de deux
personnes très influentes en raison de leur passé de joueur, de leurs fonctions
actuelles et de leur disponibilité : le président actuel et ancien capitaine de l’équipe
senior (M. Rinaldi), et le manager général des seniors et ancien capitaine de l’équipe
de France (M. Fouroux). Ces deux dirigeants ont toutefois des objectifs nationaux
différents : être champion de France pour le manager général qui espère ainsi
briguer un mandat de président de la FFR ; être un des premiers clubs français muni
d’un système éducatif efficace et reconnu pour le président actuel. Cette double
ambition conditionne la stratégie du FCG dans sa politique de formation et de
recrutement pour gérer des enjeux sportifs et éducatifs ne remettant pas en cause sa
suprématie locale. En effet, il est le représentant rugbystique de l’agglomération
grenobloise, voire du Sud-Est (en lutte avec Bourgoin-Jallieu, Clermont-Ferrand et
Toulon), et la constance de cette notoriété lui impose un fonctionnement
“professionnel”1 ; les autres clubs s’apparentant plus à des associations “bénévoles”
aux stratégies localisées. L’exemple du Centre éducatif et sportif (un des rares en
France) caractérise cette option car il représente un édifice de prestige permettant la
formation et le recrutement des meilleurs jeunes régionaux et nationaux. Si le FCG
domine le rugby local, il existe malgré tout des concurrences sportives avec les
autres clubs qui possèdent de très bonnes équipes de jeunes engagées dans
diverses compétitions régionales ou nationales. Mais ces rivalités sont autant
d’occasion pour se positionner sur l’échiquier des clubs prétendant aux meilleures
relations d’échange avec le FCG pour la mutation des joueurs juniors ou seniors. En
effet, la circulation des licenciés sur le plan local se caractérise par une attraction
vers le club d’élite des talents prometteurs jusqu’à la catégorie cadet pour s’équilibrer
au niveau des juniors. Dans cette catégorie, il existe un brassage qualitatif de la part
du FCG qui recrute les meilleurs juniors et redistribue ceux de qualité inférieure.
Chez les seniors, le modèle fonctionne différemment. Le FCG représente un pôle
d’attraction national et en même temps un réservoir d’éléments de valeur pour les
clubs de l’agglomération grenobloise (et au-delà). Ce réservoir est constitué soit
d’anciens joueurs en fin de carrière sportive, soit de jeunes de niveau insuffisant pour
évoluer en première Division. Ainsi, le FCG a mis en place une politique de
recrutement “légitime” qui se traduit par des relations complémentaires où tous les
présidents de clubs déclarent ouvertement y trouver leur compte.
Par ailleurs, la rudesse et les contraintes d’effectif de la compétition rugbystique
conduisent les associations à renouveler leur potentiel de jeunes joueurs. Il s’agit
donc pour eux d’engager des actions de promotion du rugby dans le milieu scolaire.
Cet enjeu éducatif est un préalable à toute politique de formation, même pour le FCG
avec sa notoriété locale. Il a donc créé une commission scolaire afin d’établir une
collaboration avec tous les clubs de l’agglomération en élargissant celle existant
entre les trois associations de Grenoble (FCG, GUC et ASG). Cette coopération a
pour vocation de développer la pratique du rugby des écoles primaires à l’Université,
en associant toutes les parties prenantes (élus, chefs d’établissement, moniteurs
municipaux, enseignants d’EPS et entraîneurs). Ce dispositif est complété par le
Centre éducatif et sportif qui représente pour les jeunes joueurs une consécration de
réussite sportive et pour les parents une garantie de formation scolaire ou
professionnelle. Mais sans de puissants partenaires locaux, la double stratégie du
FCG serait inopérante. Il possède des relais privilégiés dans l’environnement
politique : le Maire-adjoint chargé des sports collectifs à la ville de Grenoble, un
membre du conseil d’administration du Conseil général, et l’ancien président du club
(M. Micoud) à la fois président du Comité des Alpes et membre du Conseil régional.
De plus, le FCG jouit de soutiens financiers considérables de la part des plus
importants sponsors et mécènes locaux, et de la part aussi de son nombreux et
fidèle public.
Pour le RCS, la situation est différente, car son objectif majeur est d’accéder à la
première division (groupe B) et ainsi s’assurer la place de “dauphin” du FCG. Cette
stratégie qui passe par la formation et le recrutement, est l’affaire de trois personnes
très influentes dans le club : le président (en place depuis quinze ans et chef
d’entreprise), l’entraîneur (enseignant d’EPS) et le trésorier. Pour accéder à la
première division, le RCS a bénéficié des subventions importantes de la municipalité
et du Conseil général (relations privilégiées avec un des élus), pour la construction
d’installations et de structures d’accueil. Actuellement, il cherche à entretenir ses
résultats par une politique de formation des jeunes à long terme. Il mène des actions
régulières avec les établissements de la ville pour initier les scolaires au rugby. Mais
parallèlement, le comité directeur du RCS est persuadé que l’accession au niveau
supérieur passe obligatoirement par des recrutements de qualité. En fonction des
moyens disponibles chaque année, il incorpore des joueurs de bon niveau qui
pratiquaient essentiellement dans des clubs de la Région.
Groupe 2 - Les six clubs d’élite régionale représentent les clubs formateurs. Ils
possèdent un nombre important de licenciés dans les catégories jeunes. Ils
développent une stratégie de formation avec comme objectif majeur l’accession à
l’élite régionale, voire nationale pour l’US2P. Ces clubs sont en étroite relation avec
les écoles primaires de leur municipalité dans lesquelles ils enseignent le rugby sous
forme de “jeu de bataille”. Si les communes sont leur principal bailleur de fonds
(subvention, installations), ils obiennent des aides substantielles de quelques
sponsors. Ils sont dirigés par un bureau directeur de 8 à 10 personnes, mais le
président et le secrétaire, épaulés par les cadres techniques, se révèlent les
détenteurs du pouvoir de décision et d’orientation de la politique de ces clubs.
Groupe 3 - Les deux clubs régionaux constituent les clubs recruteurs. Ils engagent
beaucoup de seniors provenant des autres clubs de l’agglomération, leur
pourcentage de licenciés jeunes étant très faible (le minimum exigé par la FFR) et
leur relation avec le milieu scolaire pratiquement inexistante. Si cette situation
semble momentanée pour le FOC (transfert d’entraîneur et de joueurs, nouveaux
dirigeants), pour l’USS elle représente l’aboutissement d’une politique menée depuis
cinq années par des présidents “mécènes” soutenus par la municipalité. Face à des
enjeux de résultats rapides, leur stratégie de “recrutement de voisinage” (Augustin &
Garrigou, 1985) est conditionnée par les directives des investisseurs publics et privés
qui achètent des bons joueurs pour constituer une équipe compétitive.
Groupe 4 - Les deux clubs départementaux représentent des clubs non-recruteurs et
non-formateurs. Ils offrent un accès à la compétition pour des seniors avec peu de
contraintes d’entraînement et beaucoup de convivialité, sans toutefois se considérer
comme des structures “loisirs”. Leur stratégie consiste à maintenir les effectifs
adultes pour pratiquer à un bon niveau départemental sans pour autant perdre leur
“identité”. Pour le GUC, cette identité est liée à son ambiance estudiantine en raison
de son implantation et de son recrutement principal dans le campus universitaire.
Pour l’USD, elle tient à son statut “rural” au sein de l’agglomération et aux luttes de
clochers avec les villages alentours. Le manque de moyens financiers, ainsi que
l’absence de représentativité communale et de relation avec le milieu scolaire, les
cantonnent à fidéliser leurs adhérents. Ces clubs sont dirigés par des anciens
rugbymen cumulant deux sources de pouvoir : compétence administrative (président,
secrétaire, trésorier) ou technique et position symbolique grâce à leur passé de
joueur (les “sages” de la tribu).
Si le FCG a établi des rapports privilégiés au niveau scolaire et sportif, d’autres types
de relations existent entre les associations de divisions inférieures. Elles sont liées à
des enjeux sportifs ou éducatifs et ne sont pas limitées à un groupe. Elles coïncident
avec la localisation spatiale des clubs dans l’agglomération (Cf. carte 1) :
– relations complémentaires avec une proximité géographique : opération de
parrainage et organisation de tournois entre les clubs de Seyssins (RCS), de Saint
Egrève (USSER) et de Fontanil-Cornillon (FOC); entente au niveau des équipes
jeunes entre les clubs de Saint Martin d’Hères (ESSM) et de Domène (USD), de
Grenoble (GUC et ASG) et d’Echirolles (ALER),
– relations conflictuelles avec un éloignement géographique : hostilité entre les clubs
de Grenoble (GUC) et de Fontanil-Cornillon (FOC) suite à des violences d’après
matches ; recrutement “sauvage” du club de Seyssins (RCS) sur celui de Saint
Martin d’Hères (ESSM).
CONCLUSION
La synthèse des principales oppositions entre les modes d’organisation des clubs de
l’agglomération grenobloise permet de distinguer un ordre local hégémonique du
rugby d’un ordre local concurrentiel du tennis de table (cf. Figure 1). Cette différence
dépend, d’une part, de la dynamique d’implantation des clubs face à des enjeux
économiques et politiques, et, d’autre part, de leurs stratégies de formation et de
recrutement, ainsi que de leurs types de relations vis-à-vis d’enjeux sportifs et
éducatifs. Dans ces ordres locaux, les organisations qui par leur stratégie instaurent
l’équilibre sont susceptibles d’accéder au pouvoir et celles qui s’adaptent pourront
vivre, durer et se reproduire.
L'ORDRE LOCAL CONCURRENTIEL
DU TENNIS DE TABLE
NIVEAU ı
D'EVOLUTION
L'ORDRE LOCAL HEGEMONIQUE
DU RUGBY
FCG
ALE TT
USSE TT
TTT
RCSı
ı
US2P
TTS
ASMLV
CPG
STT
USSER
USS
CPE
ASFTT
ASRP
ALG
ALER
ASCA DRAGON
AS CENG
EGTT
ELF TT
ESSM
CEG
ALS
ASPTT
ASFR
ASG
FOC
GUC
USD
ALP ES DRAC
LEGENDE DE L'ORDRE LOCAL DU TENNIS DE TABLE
LEGENDE DE L'ORDRE LOCAL DU RUGBY
Groupe 1- Les clubs formateurs-recruteurs
Groupe 2- Les clubs formateurs
Groupe 1- Les clubs formateurs-recruteurs
Groupe 2- Les clubs formateurs
Groupe 3-Les clubs corporatifs (non-recruteurs et non-formateurs)
Groupe 3- Les clubs recruteurs
Groupe 4- Les clubs non-recruteurs et non-formateurs
Action d'encadrement technique de la p art d'entraîneurs de
clubs nationaux dans des clubs de divisions inférieures
Relation de concurrence sp ortive indirecte entre les clubs
nationaux et les autres clubs de divisions inférieures
Relation complémentaire entre le FCG et les
autres clubs au niveau sportif et scolaire
Relation de pseudo-concurrence entre les clubs
corporatifs dans un championnat à part
Relation complémentaire entre les clubs :
opération de p arrainage, organisation de tournois
ou entente au niveau des équipes jeunes
Relation conflictuelle
Relation conflictuelle
Relation de concurrence sportive directe
Relation de concurrence sportive directe
L’ordre local hégémonique du rugby est issu de la notoriété historique, sociale,
politique et économique du FCG. Il a instauré et il régule l’équilibre dynamique des
modes d’organisation des douze clubs de rugby de l’agglomération grenobloise par
un contrôle du recrutement et de la formation du vivier local. Pour ce faire, il ne
cherche pas à fonder des relations privilégiées avec l’un de ses “satellites” au
détriment des autres et il tente ainsi d’éviter de créer des tensions et des groupes
d’opposition nuisant à sa suprématie. Au contraire, il parvient à maintenir la base de
son réservoir de joueurs par un recrutement légitime et par un pôle scolaire
rugbystique qui profitent aussi aux autres clubs pour le renouvellement ou le
renforcement de leur effectif jeune et adulte. Il apparaît même que les clubs de rugby
établissent entre eux de multiples relations pour des actions conjointes dans le
domaine sportif et scolaire. La stratégie du FCG lui confère un pouvoir hégémonique
accentué par son étroite collaboration avec le Comité des Alpes. Tels des satellites,
les associations de divisions inférieures gravitent spatialement et stratégiquement
autour de ce centre autocratique. Si leur niveau d’évolution décroît globalement vers
la périphérie, leur stratégie dépend de leurs relations avec le FCG sur le plan de la
formation ou du recrutement, et de l’environnement politique et économique
communal pour les aides publiques et privées. Paradoxalement, le verrouillage
associatif et la notoriété sportive locale du FCG ne suffisent pas à générer sa
reconnaissance nationale en raison de sa stratégie concurrentielle avec l’équilibre
fédéral instauré par les clubs du Sud-Ouest.
L’ordre local du tennis de table se caractérise par les stratégies concurrentielles des
trois clubs nationaux pour la suprématie dans l’agglomération (et dans la Ligue).
Elles équilibrent la dynamique d’organisation des clubs par rapport à des enjeux de
reconnaissance locale et de professionnalisation des structures d’encadrement. La
diffusion tardive, confidentielle et ludique, a d’emblée positionné le tennis de table
comme un sport mineur sur le plan local. La spatialisation périphérique des
associations et le manque de partenaires et de public sont révélateurs d’une
discipline sans notoriété politique et économique. Mais la lutte récente des clubs
nationaux, fortement organisés et professionnalisés, a largement contribué à une
reconnaissance sociale et éducative du tennis de table par les actions des moniteurs
municipaux démocratisant cette pratique dans le cadre fédéral et scolaire. Dans le
même temps, cette concurrence a introduit des relations conflictuelles entre les
entraîneurs et les dirigeants de ces clubs dont les résultats ont légitimé les actions
des cadres techniques auprès de la Fédération. Sans leader incontesté, leurs
stratégies concurrentielles ont engendré la construction de trois zones d’intervention
privilégiées correspondant aux vallées de l’agglomération. Ce découpage du
territoire pongiste local permet à chaque club de se reproduire par les actions
d’encadrement de leurs cadres et par un recrutement sauvage des meilleurs joueurs
des clubs de divisions inférieures. Le rapport à la “technicité rétribuée” (Dumas,
1987) dans les structures d’encadrement, qui déprécie le pouvoir des dirigeants au
profit des entraîneurs, représente le deuxième élément caractéristique de l’ordre
local du tennis de table. En effet, le nombre et les qualifications des cadres
techniques décroissent parallèlement au niveau d’évolution des clubs : de plusieurs
brevetés d’Etat rémunérés au bénévolat de Présidents-entraîneurs. Cette tendance
est renforcée par la proximité de la Ligue et du CTR qui stimulent cette “course” à
l’encadrement technique et à la formation. Les clubs régionaux et départementaux
s’engagent également dans la voie de la formation par le biais de la technicité
rétribuée. Ils ne parviennent pas forcément à financer leur structure d’encadrement,
d’autant que les clubs nationaux empêchent ou freinent leur accession à l’élite par
une concurrence indirecte jugée injuste (comme toute compétition !). Par voie de
conséquence, cette évolution a condamné les clubs corporatifs qui s’adonnent à une
pratique de sport-loisir sans entraînement et déconnectée des attentes de
l’environnement fédéral et politique local.
L’étude comparative des deux ordres sportifs locaux a permis de dégager des modes
d’organisation différents des clubs. Le modèle hégémonique du rugby pourrait être
transposé à d’autres disciplines socialement implantées comme le football ou le
basket-ball avec la présence d’un club professionnel au centre d’une unité urbaine
ou d’un département. Le modèle concurrentiel du tennis de table s’apparente plus au
fonctionnement de sports pourvoyeurs de médaille olympique (judo, escrime, tir à
l’arc ou au fusil…), dont la réussite associative locale est très variable dans le temps,
car peu soutenus politiquement et économiquement.
L’analyse des ordres locaux constitue un axe de recherche innovant dans le domaine
de la sociologie du sport. En effet, ce concept permet de dépasser certains
cloisonnements théoriques et méthodologiques en proposant une sociologie
dynamique centrée sur les causes évolutives de l’auto-régulation du sport local.
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Annexe 1 - Les clubs de rugby et du tennis de table de l’agglomération grenobloise.
Cette annexe présente les clubs de rugby et de tennis de table en fonction de :
- leur commune d’implantation :
+ tranches de population : supérieur à 80 000, entre 30 000 et 80 000, entre 10 000
et 30 000, entre 5 000 et 10 000, moins de 5 000,
+ localisation géographique : ville-centre (Grenoble), 1re couronne (villes limitrophes
à Grenoble) et 2e couronne (villes autour de la 1re couronne), hors agglomération
(en dehors de la 2e couronne),
- leur niveau d’évolution :
+ tennis de table : national (Nat.), régional (Reg.), départemental (Dep.) et corporatif
(Corpo.),
+ rugby : 1re nivision (1re D.), 2e Division (2e D.), 3e division (3e D.), Honneur (H.),
Promotion d’Honneur (P.O.), 2e Série (2e S.) et 3e Série (3e S.),
Tranches de
Population
COMMUNES
(localisation)
Supérieur à
80 000
Grenoble
(ville centrale)
Entre
30 000 et
80 000
Echirolles
(1ère couronne)
St-Martin d'Hères
(1ère couronne)
Entre
10.000 et
30.000
Entre
10.000 et
5.000
Fontaine
(1ère couronne)
St-Egrève
(1ère couronne)
Pont de Claix
(2e couronne)
Sassenage
(1ère couronne)
Eybens
(1ère couronne)
Seyssins
(1ère couronne)
La Tronche
(1ère couronne)
Domène
(2e couronne)
St-Martin le
Vinoux
(1ère couronne)
Moins de
5.000 (2e
LES 12 CLUBS
Niveau
DE RUGBY
d'évolution
Gro up e 1 (en g ras )
Groupe 2 (souligné)
Groupe 3 (italique)
Groupe 4 (normal)
F C G ren o b l e (FCG)
1ère D.
AS Grenoble Catalan (ASG)
(P.O.)
Grenoble UC (GUC)
2e S.
AL Echirolles (ALER)
(P.O.)
ES St-Martin d'Hères
(ESSM)
ASPTT (ESSM ASPTT)
(H.)
AS Fontaine R (ASFR)
(P.O.)
US St-Egrève (USSER)
(H.)
US2 Ponts (US2P)
US Sassenage (USS)
R C S ey s s i n s (RCS)
US Domène (USD)
3e D.
(H.)
2e D.
Niveau
d'évolution
Club Pongiste de
Grenoble (CPG)
Energie Grenoble (EGTT)
ASPTTGrenoble (ASPTT)
CE Grenoble (CEG)
A L E ch i ro l l es T T
(A L E T T )
Corpo.
Corpo.
Corpo.
ELF France TT (ELFTT)
Corpo.
AS Fontaine (ASFTT)
Alpes Drac
ASCA Dragon
U S S t E g rèv e T T
(USSE TT)
Dep.
Corpo.
Corpo.
AS Rhône Poulenc TT
(ASRP)
Sassenage TT (STT)
AL Sassenage (ALS)
AS CENG
Club Pongiste d'Eybens
(CPE)
Reg.
Nat.
Nat.
Dep.
Reg.
Corpo.
Corpo.
Dep.
TT Seyssins (TTS)
Reg.
T T l a T ro n ch e (TTT)
Nat.
ALSMLV TT (ALSMLV)
Reg.
AL Gières TT (ALG)
Dep.
3e S.
Gières
couronne)
Fontanil-Cornillon Fontanil OC (FOC)
LES 19 CLUBS
DE TENNIS DE TABLE
Gro up e 1 (en g ras )
Groupe 2 (souligné)
Groupe 3 (normal)
2e S.
Annexe 2 - Graphique des quatre variables discriminantes corrélées (niveau
d’évolution, licenciés, pourcentage de jeunes, personnels d’encadrement) des clubs
de rugby et de tennis de table en fonction de deux premiers axes expliquant 30,3%
de l’inertie totale
1- Type d’installation utilisée (spécifique ou non) et volume horaire d’occupation.
2- Niveau d’évolution : national, régional, départemental, corporatif.
3- Nombre de licenciés : 0-50, 51-100, 101-150, 151-200, 201-300, 301-400, plus de
400.
4- Pourcentage de jeunes de moins de 18 ans par rapport au nombre total de
licenciés : moins de 5%, de 5 à 14%, de 15 à 29%, de 30 à 49%, 50% et plus.
5- Circulation (mobilité) des licenciés : nombre et type (adulte-jeune) de mutations en
pourcentage du nombre total de licenciés.
6- Aire de recrutement des licenciés (en %) : commune, agglomération ou hors
agglomération.
7- Nombre de personnels d’encadrement (professionnel, indemnisé, bénévole) : pas
d’entraîneurs, de 1 à 3, de 4 à 10, plus de 10.
8- Nombre d’équipes engagées en championnat (adulte et jeune) : 1, de 2 à 4, de 5
à 10.
Axe 2 (13.7%)
de 51 à 100
licenciés
Départemental
de 1 à 3 entraîneurs
de 5 à 14 %
de jeunes Régional
de101 à 150 licenciés
moins de 5 %
de jeunes
Corporatif
pas d'entraîneurs
Axe 1 (16.6 %)
moins de 50
licenciés
de 15 à 29 %
de jeunes
de 4 à 10 entraîneurs
de 30 à 49 %
de jeunes
de 151 à 200
licenciés
50 % de jeunes
et plus
de 201 à 250
licenciés
National
plus de 250
licenciés
supérieur à 10
entraîneurs

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