REGENERATION EN ENDODONTIE
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REGENERATION EN ENDODONTIE
Formation l Endodontie Régénération en endodontie régénération ou réparation ? CPEA Rubrique dirigée par Pierre Machtou et Dominique Martin Stéphane Simon Alors que le coiffage pulpaire est considéré comme une approche régénérative du complexe « odontoblasto-dentinaire », et donc très limité, le principe de régénération intra-canalaire engage un processus de régénération plus large et finalement plus complexe. 16 B ien que le traitement endodontique convent ion nel soit considéré comme une technique validée et au pronostic acceptable, il apparaît que la régénération de novo d’un tissu pulpaire ou d’un tissu conjonctif à l’intérieur du canal présente un certain nombre d’avantages en comparaison avec l’obturation à la gutta percha scellée qui, bien que correctement effectuée, reste instable et susceptible à la réinfection dans le temps. La régénération tissulaire intra-canalaire est un véritable challenge, car elle fait appel à de nombreux domaines de compétence, tels que, entre autres, la biologie pour définir le choix et le mode de recrutement des cellules progénitrices et des molécules de signalisation à utiliser, la biochimie, la science des biomatériaux pour développer le scaffold idéal. L’INFORMATION DENTAIRE n° 43 - 11 décembre 2013 régénération ou réparation ? Premières tentatives Les premières tentatives de régénération ont eu lieu dans les années 1960 [1]. L’objectif était alors de remplir le canal concerné avec un caillot sanguin issu d’un saignement péri-apical. Les résultats obtenus étaient encourageants, mais le fait que le tissu régénéré à l’intérieur du canal était plus proche d’un tissu parodontal que pulpaire a fait avorter les investigations sur le sujet, laissant place au développement des techniques instrumentales et oubliant la biologie comme moyen thérapeutique. Depuis 2001, date de la publication du premier cas clinique de « régénération » [2] l’idée de régénérer un tissu au sein d’un canal infecté a suscité de nouveau l’intérêt des scientifiques et des cliniciens et le concept a donné naissance à un domaine de recherche spécifique et particulièrement actif en endodontie. La multiplication des rapports de cas publiés dans la littérature tend à démontrer l’intérêt clinique de ces thérapeutiques, mais la variabilité des résultats obtenus nous incite dorénavant à nous intéresser à la nature du tissu biologique formé dans le canal et à nous poser la question de savoir s’il s’agit d’une technique de régénération ou plutôt de réparation [3]. La colo- nisation du canal par des cellules souches de la papille apicale est l’hypothèse thérapeutique la plus avancée, mais reste finalement à démontrer. Analyse de la littérature Une lecture attentive de la littérature à ce sujet nous démontre clairement que peu de choses sont connues quant au processus de cicatrisation mis en jeu, mais que les résultats cliniques sont finalement relativement constants. Si l’objectif avancé est d’obtenir une régénération de novo d’un tissu pulpaire avec une reprise de l’activité dentinogénétique afin de terminer l’apexogenèse arrêtée prématurément et d’obtenir un épaississement des parois radiculaires, la réalité est finalement différente ; et c’est ce que nous proposons de discuter ici. La plupart des cas cliniques publiés démontrent une cicatrisation systématique des lésions osseuses apicales. D’un point de vue clinique, ce critère est suffisant pour considérer le traitement comme un succès (fig. 1). Certains cas publiés tendent à démontrer une reprise de l’apexogenèse et une augmentation de l’épaisseur des parois radiculaires, et tendraient donc à confirmer le principe de régénéL’INFORMATION DENTAIRE n° 43 - 11 décembre 2013 1. Traitement endodontique d’une incisive centrale maxillaire droite (11) chez un patient âgé de 11 ans, par revascularisation canalaire. Les contrôles radiographiques à 18 et 27 mois confirment la guérison de la lésion osseuse inflammatoire. ration de novo avec une reprise de l’activité dentinogénétique des cellules périphériques. Néanmoins, à la lecture des clichés radiographiques et à l’observation des coupes histologiques des tissus formés à l’intérieur du canal, la réalité est différente. Les premières observations histologiques du tissu néoformé ont été faites par une expérimentation sur le chien [4]. Les auteurs démontrent que le tissu présent à l’intérieur du canal après une procédure de revascularisation est formé d’un tissu cémentoïde au contact des murs dentinaires et d’un tissu ostéoïde au sein de la lumière du canal. On note même la présence d’un ligament entre les deux structures. L’apposition progressive de ces tissus minéralisés donne ainsi l’impression de l’épaississement des parois radiculaires visibles sur les radiographies de contrôle ; la différenciation histologique de ces structures reste impossible avec les seuls examens cliniques. Plus récemment, des observations histologiques faites sur des dents humaines traitées soit par une technique de revascularisation conventionnelle [5], 17 Formation l Endodontie 2. Traitement endodontique d’une incisive latérale maxillaire droite (12) présentant une lésion osseuse inflammatoire de grande taille et d’origine endodontique (radiographie pré et postopératoire). 2 4 soit après utilisation de PRP en guise de scaffold [6], puis extraites pour des raisons essentiellement traumatiques, montrent également la mise en place d’un tissu minéralisé au contact des parois radiculaires, réduisant significativement la taille de la lumière canalaire. L’ensemble de ces observations tend à faire penser que le tissu régénéré au sein du canal est donc plus proche d’une structure parodontale que celle d’une pulpe. Dans ce cas, les cellules progénitrices recrutées se différencieraient en cellules parodontales et non pulpaires. De plus, certains cas cliniques rapportent la formation d’une fermeture apicale qui est souvent considérée comme la conséquence de la reprise de l’apexogenèse. Néanmoins, une fermeture apicale avec un tissu desmodontal est tout à fait possible et a déjà été décrite et observée de nombreuses fois dans les procédures d’apexification [7, 8]. Étude prospective Dans le cadre du Diplôme Universitaire Européen d’Endodontologie, nous menons une étude prospective de série de cas depuis cinq ans. Actuellement, nous répertorions 22 cas de traite18 3 3. Contrôle radiographique à 24 mois objectivant la guérison de la lésion et montrant la présence d’un tissu trabéculé probablement minéralisé au sein du canal traité. On ne note cependant aucun signe d’allongement ni d’épaississement radiculaire. 4. Examen CBCT du cas décrit en figure 3 qui confirme la guérison osseuse et la présence du tissu minéralisé au sein du canal. ment dit de « revascualrisation » tous réalisés avec la procédure décrite par l’Association Américaine d’Endodontie et dont la description est disponible par téléchargement sur le site www.aae.org [9]. Des contrôles radiographiques à 3, 6, 12 et 24 mois complétés pour 12 des cas avec des CBCT à 1 ou 2 ans postopératoires permettent de tirer quelques conclusions préliminaires, notamment à partir des cas les plus anciens pour lesquels un contrôle à 32 mois est disponible (données non publiées, étude encore en cours). Nos observations préliminaires confirment une guérison systématique des lésions osseuses d’origine endodontique. Cette cicatrisation a été confirmée par un examen en Cone Beam-CT sur certains cas. On note également la présence fréquente d’une barrière minéralisée au sein du canal à courte distance (mais pas en contact direct) du matériau d’obturation coronaire. Cette barrière est visible à court terme après le traitement (environ 3 mois). Sur aucun de ces 22 cas nous n’avons été en mesure de constater un véritable épaississement des parois radiculaires, ni un allongement de la racine qui pourrait nous laisser penser qu’une reprise de la dentinogenèse s’est effectuée. Une oblitération L’INFORMATION DENTAIRE n° 43 - 11 décembre 2013 régénération ou réparation ? partielle de la lumière avec une minéralisation diffuse est néanmoins notable sur de nombreux cas laissant pense à une invasion de ce canal large par un tissu osseux ou parodontal. Ce remplissage est confirmé sur certains examens tridimensionnels réalisés par CB-CT (fig. 2, 3 et 4). Cette étude est toujours en cours, et se poursuivra sur plusieurs années encore dans le but de clarifier les hypothèses et participer à l’établissement précis des objectifs qui peuvent être attendus avec de telles thérapeutiques. La guérison des lésions osseuses inflammatoires et l’absence systématique de symptomatologie sur les cas concernés confirment la notion de succès clinique du traitement. D’un point de vue biologique, si l’objectif est de régénérer un tissu pulpaire de novo au sein du canal vidé de son contenu, tout laisse à penser que ces thérapeutiques sont sanctionnées par un échec. Par contre, il apparaît de façon évidente qu’un tissu biologique a été régénéré au sein du canal, ce qui finalement peut constituer, en soi, une régénération. On s’aperçoit alors qu’il s’agit essentiellement d’un problème de sémantique ; si le terme de régénération fait appel à un concept de retour à la situation initiale, aucune donnée scientifique ni clinique ne nous permet de conclure à la validation de ces thérapeutiques. Elles doivent donc être considérées comme des techniques réparatrices et non régénératives, ce qui, sur le plan clinique ne pose finalement aucun problème. Auteur Stéphane Simon Maitre de Conférence en Sciences Biologiques et Endodontie (Université paris Diderot-Paris7) Praticien Hospitalier Groupe Hospitalier Pitié Salpétrière-Charles Foix Directeur du Diplôme Universitaire Européen d’Endodontologie Clinique Correspondance [email protected] www.due-garanciere.fr Conclusion Au-delà du problème de sémantique, ces observations sont intéressantes puisqu’elles semblent confirmer que les SCAPs pourraient ne pas constituer la seule source de progéniteurs. Ainsi, si d’autres cellules souches (notamment ligamentaires ou osseuses) peuvent être impliquées dans le processus d’invasion canalaire lors de la création du saignement, les limites imposées aux dents immatures ne semblent plus justifiées. Une extension aux dents matures pourrait alors devenir envisageable comme cela a été proposé récemment dans un rapport de cas. Les études scientifiques et investigations cliniques à valider restent nombreuses et promettent d’alimenter les publications et les congrès pendant de nombreuses années encore. bibliographie 1. Ostby BN. The role of the blood clot in endodontic therapy. An experimental histologic study. Acta Odontol Scand 1961 ; 19 : 324-353. 2. Iwaya SI, Ikawa M, Kubota M. Revascularization of an immature permanent tooth with apical periodontitis and sinus tract. Dent Traumatol 2001 ; 17 (4) : 185-187. 3. Trope M. Letters to Editor : Reply. J Endod 2008 ; 34 (5) : 511. 4. Thibodeau B, Teixeira F, Yamauchi M, Caplan DJ, Trope M. Pulp revascularization of immature dog teeth with apical periodontitis. J Endod 2007 ; 33 (6) : 680-689. 5.Shimizu E, Ricucci D, Albert J, Alobaid AS, Gibbs JL, Huang GT-J et al. Clinical, radiographic and histological observation of a human immature permanent tooth with chronic apical abscess after revitalization treatment. Journal of Endodontics 2013 May ; 1-6. 6. Martin G, Ricucci D, Gibbs JL, Lin LM. Histological Findings of Revascularized/Revitalized Immature Permanent Molar with Apical Periodontitis Using Platelet-rich Plasma. Journal of Endodontics. 2012 Oct ; 1-7. 7. Simon S, Rilliard F, Berdal A, Machtou P. The use of mineral trioxide aggregate in one-visit apexification treatment : a prospective study. Int Endod J 2007 ; 40 (3) : 186-197. 8. Nosrat A, Li KL, Vir K, Hicks ML, Fouad AF. Is pulp regeneration necessary for root maturation ? Journal of endodontics 2013 Oct ; 39 (10) : 1291-1295. 9. Regenerative endndotics - AAE [Internet]. [cited 2011 Nov 14]. Available from : http://www.aae.org/publicationsand-research/research/regenerative-database.aspx L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt. L’INFORMATION DENTAIRE n° 43 - 11 décembre 2013 19