sortie au cinéma le 9 octobre 2013 dcp numérique
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CARLOTTA FILMS PRÉSENTE SORTIE AU CINÉMA LE 9 OCTOBRE 2013 DCP NUMÉRIQUE www.carlottavod.com « Je souhaite que lorsque le public verra mon film, il commence par rire mais qu’il finisse par assimiler l’envie de regarder différemment les sans-abri. Tout homme est le gardien de son frère. » Charles LANE En marge du quartier des affaires et des foules pressées, vit à New York un jeune artiste, qui tente de gagner sa vie en croquant sur le trottoir des passants. Vivant de peu, même au cœur de l’hiver, il a élu domicile dans un immeuble abandonné. Un soir, au détour d’une ruelle, il recueille une fillette dont le père vient d’être assassiné. Il l’adopte et se débrouille tant bien que mal pour la nourrir, la vêtir et la loger. C’est alors qu’il fait la connaissance d’une riche jeune femme qui, prise d’affection pour ce couple cocasse, va les inviter dans son luxueux appartement new-yorkais... Plus de vingt ans avant The Artist, Sidewalk Stories est un hommage incontesté au film mythique de l’homme à la canne, le Kid de Chaplin. Tourné dans un somptueux noir et blanc, et dans l’esprit des films muets des années 1920, Sidewalk Stories relate avec malice et tendresse l’histoire d’amitié entre un vagabond et une fillette. Charles Lane saisit au plus près le quotidien des sans-abri, avec un réalisme faisant inévitablement penser à On the Bowery de Lionel Rogosin, pour délivrer un message intemporel de générosité, de chaleur et d’amour, le tout accompagné par une partition musicale signée du compositeur Marc Marder. Sidewalk Stories fait aussi partie de ces films du Nouveau Cinéma afro-américain des années 1980 qui abordent des sujets polémiques tels que les sans-abri, le quotidien du ghetto, les revendications politiques de la communauté, à l’instar de ses contemporains Do the Right Thing de Spike Lee et Boyz n the Hood de John Singleton. QUI EST CHARLES LANE ? Charles Lane (né le 26 décembre 1953) est un acteur et réalisateur afro-américain, originaire de New York. Élevé entre un père commis au courrier et une mère femme de ménage, Charles Lane grandit dans le quartier du Bronx. Il sait dès son plus jeune âge qu’il veut faire du cinéma, lorsqu’il « commence à regarder des films, surtout à la télévision » déclare-t-il dans Première. Il se met à écrire des scénarii dès le collège, et réalise son premier film au lycée – une parodie de film d’espionnage – à l’aide une caméra Super-8 que son père lui offre à Noël. Il entre à l’Université de Purchase, près de New York, où il entreprend des études de cinéma. Il réalise alors un court-métrage intitulé A place in Time qui remporte l’Oscar du film étudiant. En 1989, il tourne en 15 jours seulement le long-métrage Sidewalk Stories : celui-ci remporte le Prix du Public à la Quinzaine des réalisateurs durant le festival de Cannes 1989. S’ensuit alors toute une série de récompenses : le Grand Prix et le Prix de la Mise en scène au festival de l’Humour de Chamrousse, le Prix Spécial Guggenheim (couronnant le film comme « meilleure source d’inspiration pour les enfants »). Celui-ci bénéficiera d’un beau succès critique et commercial, aussi bien en France qu’aux États-Unis. La réussite de Sidewalk Stories lui permet de réaliser deux ans plus tard True Identity, une comédie autour d’un afro-américain qui se déguise en homme blanc pour échapper à la mafia. En 1993, il réalise Halleluja pour la télévision et joue dans Posse, un film de Mario Van Peebles. Charles Lane vit toujours à New York et travaille actuellement sur de nouveaux projets de longs-métrages. L’ORIGINE DE SIDEWALK STORIES PAR CHARLES LANE « C’est en sortant d’un championnat de boxe, que m’est venue l’idée du film. Je me hâtais de rentrer chez moi, c’était l’hiver, lorsqu’un clochard m’a abordé. J’ai d’abord eu un mouvement de recul, croyant qu’il voulait me taper de quelques cents. Mais j’ai été estomaqué quand il m’a demandé qui de Ray Sugar Leonard ou de Don Lalonde avait gagné le match. Alors j’ai reconnu en lui mon semblable, quelqu’un qui avait une vie, des passions. Tous mes films sont des comédies, seulement ils ont toujours plusieurs niveaux. C’est-à-dire que je ne travaille pas uniquement pour le niveau superficiel. Tous mes films sont politiques en un sens – je n’aime pas l’admettre, mais c’est vrai : ce sont avant tout des satires sociales. Avec le personnage de la fillette dans Sidewalk Stories, je voulais introduire la possibilité que mon personnage, l’Artiste, soit amené à s’occuper de quelqu’un d’autre. "Sois le gardien de ton frère" : c’était là le moteur de l’histoire. Mais cette histoire, universelle, je n’ai entrepris de la raconter qu’à seule fin de donner un visage et une voix à ceux qui traversent notre société comme des hommes invisibles : tous les sans-abri. » NEW YORK HORS DES CLICHÉS New York est certainement l’une des villes les plus filmées au cinéma. Tant d’œuvres y ont été tournées que, partout dans le monde, cette ville nous semble familière. Si elle a servi de cadre à autant de films, c’est sans doute grâce à la multiplicité de ses aspects qui peuvent engendrer une multitude d’histoires : New York est une ville-monde qui a assimilé toutes les entités ethniques, culturelles, économiques et sociales qui s’y sont installées et s’y sont développées en un grand « melting-pot ». Néanmoins, si New York est le symbole de la puissance économique des États-Unis à l’échelle mondiale, elle est aussi l’exemple même d’un espace morcelé par de profondes inégalités au sein de sa population. Sidewalk Stories est tourné en 1989, au moment où se sont accentuées les inégalités sociales et économiques entre les différentes couches de la population américaine. On observe durant ces années-là certaines catégories socioprofessionnelles devenir de plus en plus riches, comme les « yuppies » ou « golden boys » de la haute finance exerçant à Wall Street. A contrario, les populations les plus pauvres le sont encore davantage. L’immobilier est de plus en plus cher et de nombreuses familles peinent à conserver leur confort de vie, voire leur domicile. La ségrégation raciale a beau avoir été abrogée en 1964, les quartiers de New York sont toujours cloisonnés par les différences de niveaux économiques qui entrent en adéquation avec les appartenances ethniques de leurs habitants. New York est ainsi fractionnée entre les espaces d’habitation des milieux privilégiés – une grande partie de Manhattan et des quartiers résidentiels appelés « suburbs » où habitent majoritairement la population WASP (blanche, d’origine anglo-saxonne et protestante) – et les quartiers défavorisés, à grande majorité noire et hispanique, comme Harlem ou le Bronx. Au cours de l’histoire du cinéma, de nombreux films ont pris pour décors les quartiers défavorisés de New York. Certaines œuvres ont abordé le thème de la mafia new-yorkaise (Le Parrain de Francis Ford Coppola, Il était une fois en Amérique de Sergio Leone) ou celui des tensions entre communautés ethniques (West Side Story de Robert Wise et Jerome Robbins ou encore L’Année du dragon de Michael Cimino). Sidewalk Stories s’inscrit lui dans la vague du cinéma indépendant afro-américain : il montre au spectateur le quotidien dans les ghettos noirs – souvent enclins à la pauvreté, au racisme, à la prostitution, aux trafics de drogues et à la violence des gangs – et traite du thème des sans-abri à travers le personnage d’un portraitiste de rue afro-américain. Sidewalk Stories débute sur l’image canonique que le monde a de New York : la fourmilière de Wall Street, symbole de la santé économique du pays, à laquelle est associée une musique empressée exprimant l’activité débordante et le faste de la ville. Le spectateur passe ensuite sans transition de l’effervescence de Wall Street à un plan sur un sans-abri de Greenwich Village sur une mélodie traînante et sourde évoquant par endroits la musique hurlante des ghetto-blasters des années 1980. Puis on avance au gré d’un long travelling sur un trottoir où se produisent plusieurs artistes de rue au son de diverses musiques, avant de s’arrêter sur le personnage de l’Artiste sur un air de ragtime évoquant le cinéma muet, désignant parmi tous ces personnages celui qui sera le porteur de l’histoire. Sidewalk Stories – que l’on pourrait traduire par « Histoires de trottoir » – se déroule le long des rues de New York en hiver – notamment dans le quartier pauvre du East Village au sud de Manhattan –, le personnage principal n’ayant pas de domicile fixe. Le film a été tourné dans plus de cent lieux différents de New York. On découvre à travers les déambulations de l’Artiste des endroits qu’on ne retrouve pas ordinairement dans l’image de la ville attribuée au cinéma. Ainsi, au début du film, le héros habite dans un bâtiment désaffecté, au sein de ces zones paupérisées de New York vouées à la démolition. De fait, son « domicile » sera ainsi détruit et ses affaires ensevelies sous une masse de gravats. On découvre également des foyers d’accueil pour SDF, où l’Artiste dort avec la Petite Fille pour se protéger du froid, ainsi que des squares où sont massés les sans-abri et les mendiants livrés à eux-mêmes. Parfois, le héros et la fillette se réfugient dans des espaces plus favorisés, mais desquels ils sont toujours rejetés. C’est le cas de la bibliothèque où ils sont chassés par une bibliothécaire acariâtre, et du parc pour enfants où l’Artiste est attaqué par des bourgeoises en manteau de fourrure après que la fillette a frappé une petite brute qui l’embêtait. Sidewalk Stories présente également des histoires d’amour transgressant les inégalités sociales et traversant les cloisonnements entre les quartiers new-yorkais. Il s’agit tout d’abord d’une histoire d’amour filial entre l’Artiste et la Petite Fille dont les parents semblent issus d’une couche de la population afro-américaine moins défavorisée. Le hasard, l’innocence de la fillette et la générosité du héros vont ainsi lier deux êtres qui ne se seraient jamais rencontrés et aimés sans cela. C’est aussi une histoire d’amour entre un homme et une femme que leur appartenance sociale sépare. Au cinéma, dans les quartiers défavorisés new-yorkais, les histoires d’amours interdites se vivent généralement entre deux jeunes gens appartenant à des communautés ethniques qui s’opposent, rejouant de façon moderne le drame de Roméo et Juliette. C’est le cas par exemple de West Side Story, entre une jeune Portoricaine et un Italo-américain, ou du film China Girl d’Abel Ferrara, entre un garçon issu de l’immigration italienne et une jeune chinoise, deux histoires qui s’achèveront tragiquement. Ici, l’amour se noue entre une jeune femme de couleur aisée, propriétaire d’un magasin, qui semble vivre dans le quartier plutôt favorisé du nord de Manhattan, et un artiste de rue sans-abri. La Jeune Femme tombe sous le charme de cet homme, bien qu’il soit exclu de la société, et se comporte avec lui d’égal à égal. Elle invite l’Artiste à venir dîner dans son bel appartement, ce qui ne sera pas au goût de tout le monde car celui-ci est perçu dans cet univers comme un corps étranger et il se fera rejeter par le portier de l’immeuble cossu où vit la Jeune Femme. Sidewalk Stories présente ainsi un New York loin des clichés cinématographiques. Le film a beau dénoncer la ségrégation géographique qui existe à New York, il expose également à travers ses histoires d’amour des beaux exemples d’humanité qui parviennent à sortir les personnages de leurs carcans sociaux, de se rencontrer et d’investir des espaces qui leurs sont interdits. Pistes de lecture • Citez au moins deux films que vous avez vus dont l’histoire se déroule à New York. • Décrivez en quelques lignes la ville de New York telle que vous l’imaginez. • Dans quels autres films avez-vous déjà vu des couples atypiques tel que celui formé par l’Artiste et la Jeune Femme dans Sidewalk Stories ? • Pensez-vous que l’histoire de Sidewalk Stories pourrait se dérouler en France ? SIDEWALK STORIES OU L’INFLUENCE DU CINÉMA AFRO-AMÉRICAIN Sidewalk Stories sort en 1989, année au cours de laquelle s’opère un tournant décisif dans l’évolution du cinéma afro-américain. En effet, cette même année paraissent avec Sidewalk Stories deux autres films fondamentaux pour la reconnaissance du cinéma de couleur contemporain : Une saison blanche et sèche de la cinéaste martiniquaise Euzhan Palcy et Do the Right Thing du réalisateur afro-américain Spike Lee. Pour comprendre l’importance de ces films, il faut revenir sur l’évolution du cinéma noir américain. Depuis ses origines, l’industrie cinématographique hollywoodienne a toujours été dominée par une oligarchie blanche, à l’image du pouvoir politique du pays. De la même manière que les populations noires étaient quotidiennement ségréguées et exclues du rêve américain, le cinéma hollywoodien a longtemps cantonné la représentation des noirs à l’écran à des rôles de stéréotypes, plus ou moins ouvertement racistes. Désireux de reprendre en main leur propre image au cinéma, les réalisateurs de couleur ont évolué dans les franges indépendantes de la production cinématographique et ont souvent présenté un cinéma militant s’opposant au racisme profondément incrusté dans la réalité des États-Unis. Ce sera le cas dès les prémisses du cinéma afro-américain, avec le réalisateur Oscar Micheaux à qui l’on doit le premier film muet et le premier film parlant de l’histoire du cinéma de couleur. Le premier grand tournant du cinéma afro-américain a néanmoins eu lieu assez tardivement, au début des années 1970 avec le phénomène de la blaxploitation. Ce courant cinématographique va de pair avec la fin de la ségrégation aux États-Unis – déclarée illégale en 1964 – et la revendication de l’identité culturelle et des racines africaines des populations afro-américaines : ce sont les grandes années du « Black Power » et du « Black is beautiful ». Pour la première fois, une production massive de films va revaloriser l’image des noirs américains avec des histoires ayant pour héros des hommes et des femmes de couleur. Dans ces films – souvent des thrillers assez musclés – sont présentés le quotidien des quartiers noirs et les problèmes dus à la forte présence des trafics de drogues, des réseaux de prostitution et de la violence policière. Néanmoins, le courant de la blaxploitation aura un impact relativement limité sur la représentation des noirs américains à l’échelle du pays car ce genre sera quasiment exclusivement destiné à un public de couleur et la production de ces films diminuera assez rapidement dès le milieu des années 1970. C’est conjointement au déclin de la blaxploitation qu’émergera le cinéma indépendant afroaméricain. Ces films, portés à la fois par une recherche artistique et une volonté d’aborder des messages politiques et sociaux par ce biais, consacreront la visibilité du cinéma de couleur à un plus large public. Moins circonscrites en termes de genre et de destinataires, ces œuvres présentent des histoires davantage universelles arrivant à des personnages afro-américains, tout en permettant d’exposer les spécificités de leur quotidien. Sidewalk Stories appartient en partie à cette mouvance du cinéma indépendant afro-américain. On y retrouve également le film d’Euzhan Palcy, Une saison blanche et sèche, traitant de l’apartheid en Afrique du Sud qui sera le premier film réalisé par une personne de couleur – et en l’occurrence une femme de couleur – à être produit par un studio hollywoodien, la Metro Goldwyn Mayer, avec des acteurs de grande renommée comme Marlon Brando, Donald Sutherland ou encore Susan Sarandon. La sortie et l’énorme succès de Do the Right Thing de Spike Lee vont impulser une nouvelle vague dominante du cinéma afro-américain dans les années 1990 : le « New Jack Cinema ». Ces films, qui présentent le quotidien du ghetto et ses problèmes sociaux et communautaires (notamment New Jack City de Mario Van Peebles, Boyz n the Hood de John Singleton), seront à la fois caractérisés par un militantisme plus appuyé – surtout dans les films de Spike Lee – et par l’esprit de la jeunesse de l’époque mise en scène : la musique et l’attitude issues du rap « New Jack » qui donne son nom à cette mouvance cinématographique. Sidewalk Stories se trouve à la croisée de l’ouverture du cinéma hollywoodien aux réalisateurs de couleur, qui permet de tourner des films sur des grands thèmes historiques comme l’apartheid, et l’apparition d’un cinéma très ancré dans la réalité et l’esprit de l’époque, souvent dur, verbeux et violent, pour retranscrire à l’écran – parfois avec militantisme – la violence réelle des quartiers noirs américains. Sidewalk Stories présente ainsi le ghetto et les difficultés de vie des afro-américains à travers une histoire universelle et intemporelle, servie par son esthétique de film muet en noir et blanc. Pistes de lecture • Citez plusieurs films que vous connaissez dans lesquels jouent des acteurs de couleur. Quels rôles ont-ils dans ces différents films ? • Pensez-vous qu’à l’heure actuelle les Afro-américains sont autant présents dans le cinéma hollywoodien que les Caucasiens ? Pourquoi ? UN PARTI PRIS ESTHÉTIQUE Si l’action de Sidewalk Stories se déroule dans le New York des années 1980, le film se place clairement dans la tradition du cinéma d’avant l’arrivée du parlant : Charles Lane choisit de tourner une œuvre muette en noir et blanc. Les expressions des visages et la gestuelle des personnages sont plus appuyées que dans la réalité et permettent de faire ressentir aux spectateurs les sentiments et les pensées des personnages sans passer par le biais des mots. La musique prend alors une place essentielle car elle accompagne l’action, appuie le ton de la scène et donne accès à l’intériorité des personnages en retranscrivant une ambiance en harmonie avec leurs sentiments. Cette œuvre est explicitement inspirée de The Kid de Charlie Chaplin (1921) et en constitue un bel hommage. Le scénario de Sidewalk Stories est en effet très proche de son modèle : un sans-abri recueille un enfant et s’en occupe avec le peu de moyens qu’il a mais avec une ténacité, une générosité et un amour à toute épreuve. Bien que les deux films présentent de nombreux gags, tous deux ne sont pas à proprement parler des films « burlesques ». En effet, dans le burlesque, le comique de situation prime sur l’intrigue qui, en général, ne sert qu’à faire se succéder les gags. Charles Lane utilise le burlesque à des mêmes fins que Chaplin : présenter un drame sur fond de critique sociale. Cela lui permet ainsi d’éviter toute forme de pathos et toute violence ainsi que de préserver la pureté de l’émotion des personnages. Lane rend ainsi accessible la représentation de situations humainement difficiles sans heurter le spectateur, ce qui lui permet de mettre l’accent sur le beau personnage de l’Artiste qui est présenté avec dignité en dépit de sa condition sociale, modèle de générosité et de courage qui se relève de toutes les situations. Ce film est ainsi conçu comme un muet moderne détournant le genre du burlesque à des fins critiques afin d’exposer la situation sociale difficile du personnage principal, sans pour autant passer par une dénonciation appuyée et militante du système. Le recours au muet permet donc de mieux laisser transparaître l’humanité de ceux qui n’ont socialement pas de voix à travers l’expression exacerbée de leurs émotions par leur visage et leur corps. Un autre film plus ancien s’est également inspiré de The Kid pour présenter un personnage marginalisé : Gigot, le clochard de Belleville de Gene Kelly, sorti en 1962. Dans ce film, qui raconte l’histoire d’un clochard parisien méprisé par les riverains qui recueille une prostituée et sa petite fille, ce n’est pas la bande sonore qui est muette mais son héros, Gigot. Gene Kelly avait lui aussi compris que la meilleure façon de rendre leur humanité à ceux qui ne peuvent la communiquer par des mots est de laisser parler leurs actes et leur sensibilité. Il ne faut toutefois pas oublier l’arrivée du son à la fin du film. De la même manière que La Dernière Folie de Mel Brooks (1976) de Mel Brooks et The Artist (2011) de Michel Hazanavicius – deux autres films ayant réactivé le muet depuis l’arrivée du parlant –, Sidewalk Stories se clôt par l’arrivée de la parole. Mais alors que ces deux films se placent dans un rapport ludique vis-à-vis du muet – La Dernière Folie de Mel Brooks retrace l’histoire d’un réalisateur voulant tourner un film muet dont la seule parole sera paradoxalement prononcée par le mime Marceau à la fin du film et The Artist racontant de manière tragicomique la grandeur et la décadence d’un comédien du temps du muet dont les paroles finales signent sa renaissance par le passage au parlant –, l’émergence des voix des SDF new-yorkais à la fin de Sidewalk Stories permet de rendre audible la communauté des délaissés. Le brouhaha des voix est ainsi le témoignage de toutes ces vies qui demanderaient à ce que l’on les regarde d’un peu plus près pour éviter de les stigmatiser. Pistes de lecture • Pensez-vous que le muet donne plus facilement accès aux émotions des personnages ? • Avez-vous déjà vu d’autres films en noir et blanc ? • Décrivez en quelques lignes ce que vous avez ressenti lors de la dernière scène du film. L’IMPORTANCE DE LA MUSIQUE DANS SIDEWALK STORIES Charles Lane et Marc Marder se sont rencontrés à l’Université de Purchase, près de New York, où le premier étudiait le cinéma et le second la contrebasse. Ils travaillent ensemble sur un projet de film muet au cours duquel Charles Lane sensibilise Marc Marder à la musique de film. Celui-ci, A Place in Time, remporte l’Oscar du film étudiant en 1977. Entre A Place in Time et les retrouvailles de Charles Lane et Marc Marder sur Sidewalk Stories s’écoulent treize années au cours desquelles Marder travaille en Europe, notamment comme compositeur pour la musique des films du réalisateur cambodgien Rithy Panh. Sidewalk Stories, que Charles Lane a conçu avant tout comme un ballet et un film profondément musical, est présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 1989 où il remporte le Prix du Jury, mais avec une musique faite au synthétiseur. Insatisfait de cette musique, Lane fait promettre à son producteur de la changer s’ils trouvent un acheteur pour Sidewalk Stories. Celui-ci étant finalement acheté par le label Island, son patron Chris Blackwell prend le parti de Lane et décide de faire changer la bande son. Charles Lane contacte alors son ancien camarade en qui il a une confiance totale pour s’occuper de la musique de son film. LE TRAVAIL D’ÉCRITURE « L’idée était d’être quelqu’un dans la rue à New York, qui passe devant des magasins, des appartements, et qui capte tout ce que l’on peut entendre, les radios chez les gens, dans la rue : un mélange sonore, des quatuors, du tango, du jazz. Avec ce mélange, on entre dans des mondes à chaque fois différents. (…) J’ai composé entre 72 et 80 séquences de musique, c’était un travail énorme. Sur la scène du kidnapping, il y a un seul morceau de musique, qui change de style à l’intérieur même du morceau. Cette musique de poursuite nécessitait l’orchestre au grand complet, la plus grande formation, quelque chose comme 22 musiciens. Si j’ai insisté pour qu’on entende sur le générique du début l’orchestre qui s’accorde, c’était à cause de la version précédente au synthétiseur : je voulais qu’on sache que, dans ce film-là, il n’y aurait pas un seul synthétiseur. Sur le générique de fin, on a enregistré les pas de l’accordéoniste qui, le morceau fini, s’éloigne du studio. » LA MUSIQUE EN SOUTIEN DE L’IMAGE « Avec le clavecin et le violoncelle sur la première apparition des Kidnappeurs, j’ai voulu imiter les récitatifs des opéras baroques. L’idée était que le spectateur s’interroge : qu’estce qui se passe maintenant ? Un peu à la manière d’un coup de théâtre – plutôt d’un « coup d’opéra ». Sinon, les autres instruments épousent les sentiments ou les caractéristiques des personnages. Pour l’Artiste, c’est plutôt le piano. Comme Charles joue à peu près le même personnage du portraitiste dans A Place in Time, j’ai gardé le ragtime déjà présent dans ce premier film : treize ans plus tard, je ne pouvais pas trouver mieux. Le tango, qui intervient quand l’Artiste se fait refouler par le Portier, est très systématique : quand Charles Lane apparaît c’est la clarinette, le Portier, c’est le basson et, quand la Jeune Femme est au téléphone ou qu’elle descend, c’est le violon. Dans cette scène, ce sont les instruments qui jouent le rôle des personnages, mais je n’ai pas fait cela partout dans le film. Disons que dans Sidewalk Stories, la musique est écrite à l’image près, seulement pour 60 ou 70%. Quand Charles mime son adoption de la fillette pour son copain, là où il y a une basse électrique et des guitares, je crois que ça tombe vraiment bien. J’étais fier de cette scène-là parce que la musique fait voir des choses absentes. » LA MUSIQUE COMME RÉVÉLATEUR « Pour composer la musique, j’ai peut-être regardé cent fois le film de Charles, dans ses moindres détails, parce qu’avec la musique on peut tout chambouler : c’est aussi une interprétation du film. Il y a une scène dans l’appartement de la Jeune Femme, où, après avoir pris un bain, l’Artiste se voit brusquement dans un miroir. Là j’ai mis un morceau assez triste, nostalgique. Et Charles a dit : « Ah, c’est intéressant ça ! » parce que ça change complètement le sens de la scène, qui n’est plus comique. Cette distance subite par rapport aux objets, à cet appartement, cette brusque prise de conscience – et cela explique aussi qu’il ait pris les chandeliers. Inversement, composer pour le cinéma, sur une suite d’images, est très motivant, parce que cette suite d’images te donne un support – elle te donne quelque chose qui n’existe plus fin XXe, début XXIe siècle : la forme musicale. Bien sûr, il y a d’anciennes formes, mais pour chaque morceau de musique contemporaine, le compositeur aujourd’hui doit inventer sa propre forme. Tout est éclaté. Alors avec la musique de cinéma, tu choisis un endroit dans le film, de deux ou quatre minutes, et tu dis : "C’est ça ma forme !". L’image te donne une contrainte, mais à l’intérieur de cette contrainte, tu es libre d’écrire dans n’importe quel style. » DONNER UNE VOIX AUX SANS-ABRI « Un ami violoncelliste m’a dit un jour : "Au cinéma, les spectateurs veulent pouvoir se souvenir de la musique, parce que c’est la musique qui va leur rappeler telle scène du film". » Alors, le rêve d’un compositeur, c’est d’écrire des mélodies, de trouver des couleurs – Nino Rota, Chaplin, ce sont des petites mélodies – qui vont rappeler tout de suite les images. C’est ce que j’ai essayé de faire dans Sidewalk Stories, et aussi par contraste avec la dernière séquence, où il n’y a plus aucune mélodie : sur cette séquence, j’ai mis des contrebasses, des sons très étranges, comme un disque qui tourne au ralenti, une atmosphère de terrain vague, quelque chose qui se dissout – il n’y a plus de mélodie et les paroles des sans-abri deviennent des mélodies à la fin. L’idée de Charles était de faire un film muet sur les sans-abri, parce que ce sont des gens sans voix. C’est la musique dans ce film qui est leur voix. Les quinze premières minutes, on a du mal à entrer dans le film, parce qu’il est muet, puis on s’attache aux personnages et on est vraiment dans le film, et à la fin on se dit : « Ah ! Le sol est tombé ! Où est-ce qu’on est ?... On est dans la rue. » FICHE ARTISTIQUE Charles LANE Nicole ALYSIA Sandye WILSON Darnell WILLIAMS Trula HOOSIER Michael BASKIN George RIDDICK L’Artiste La Petite Fille La Jeune Femme Le Père La Mère Le Portier Le Danseur FICHE TECHNIQUE Pistes de lecture • À votre avis, quelle est la fonction de la musique dans Sidewalk Stories ? • Quel morceau musical du film avez-vous préféré ? Pourquoi ? • Pouvez-vous citer trois genres musicaux que l’on entend dans le film ? Réalisateur et scénariste Directeur de la photographie Montage Musique Producteurs délégués Producteur Charles LANE Bill DILL Anne STEIN et Charles LANE Marc MARDER Howard M. BRICKNER et Vicki LEBENBAUM Charles LANE Une production RHINOCEROS INC. en association avec Howard M. BRICKNER 1989 – USA – 98 mn – N&B – 1.85:1 – Muet Visa : 73 537 Sidewalk Stories a été restauré par Carlotta Films avec la participation du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) à partir du négatif original. Cette restauration a été réalisée par l’Immagine Ritrovata de Bologne. Distributeur CARLOTTA FILMS 9 passage de la Boule Blanche – 75012 PARIS Tél : 01 42 24 10 86 Fax : 01 42 24 16 78 Textes de Guillaume Pauthier et de Muriel Cousin. Relations presse Mathilde GIBAULT [email protected] Tél : 01 42 24 87 89 Programmation Ines DELVAUX [email protected] Tél : 01 42 24 11 77 © 1989 PALM PICTURES Inc. Tous droits réservés. Photo Do the Right Thing © 1989 UNIVERSAL STUDIOS Inc. Photo Une saison blanche et sèche © 1989 Metro Goldwyn Mayer Pictures. Inc