Les parachutages d`armes

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Les parachutages d`armes
Les parachutages d’armes
l e s
Les parachutages d’armes. Juin 1944
Les livraisons d’armes et de matériel constituent un enjeu majeur pour la Résistance : elles conditionnent
sa capacité à se battre et à exécuter les missions qu’on lui confie tout en agissant comme un puissant stimulant sur le moral des troupes et sur leur capacité à recruter de nouveaux volontaires. Si d’importantes
variations apparaissent dans les données chiffrées issues des archives, un constat s’impose toutefois :
Ch7
­l’essentiel des armes et du matériel a été livré pendant les mois qui ont suivi le Débarquement.
BELGIQUE T
G R A N D E - B R E TA G N E
174
Les livraisons d’armes à la Résistance
relèvent du SOE (Special Operations
Executive), le service britannique
chargé de l’action subversive. Depuis
le Royaume-Uni, une section de ce
service (RF) travaille avec le Bureau
central de renseignements et d’action
(BCRA), les services secrets gaullistes, une autre de manière indépendante (F). À partir de 1943, certains
parachutages dans le sud de la France
sont organisés depuis les ­bases installées en Afrique du Nord. Au total,
groupes gaullistes et non gaullistes
seront servis à peu près à égalité en
armes, au grand dam des gaullistes,
qui doivent équiper des troupes beaucoup plus nombreuses.
Les demandes de livraisons massives d’armes commencent à affluer à
­Londres au cours de l’été 1942, notamment de la part de Jean Moulin, délégué du général de Gaulle en Zone non
occupée. En octobre, les chefs de la Résistance réclament au SOE au moins
500 tonnes de matériel. Au début de
1943, ils envisagent de créer des réduits dans les régions montagneuses
et demandent au SOE l’assurance qu’il
les ravitaillera. En février-mars, à Londres, Jean Moulin et le général Delestraint, chef de l’Armée secrète, plaident
pour une fourniture échelonnée et répartie sur tout le territoire du matériel
nécessaire à la Résistance, ce qui supposerait 1 383 sorties aériennes, dont
702 en première urgence. Au même
moment, le développement des maquis
accroît les besoins en armes sur le terrain. De Gaulle écrit à Churchill à ce
sujet le 10 mars 1943.
Si ces demandes ne paraissent jamais
extravagantes au SOE, les livraisons
restent pourtant faibles jusqu’en 1944,
pour trois raisons. Tout d’abord, le
fonctionnement erratique des transmissions complique l’organisation des
opérations aériennes jusqu’à la fin de
1942. Le SOE ne dispose ensuite que
d’un nombre réduit d’avions, la RAF
privilégiant l’emploi de ses appareils
dans des missions de bombardement.
Enfin et surtout, l’armement de la Ré-
sistance ne fait pas partie des priorités alliées : le but étant de disposer
d’un concours actif lors du débarquement, les états-majors ne veulent rien
faire qui favoriserait un soulèvement
prématuré conduisant à l’annihilation
des groupes armés avant le jour J.
Pas-de-Calais
Les négociations
de l’hiver 1943-1944
Somme
Manche
Grenades
Armes à feu
Explosifs
600 000
500 000
400 000
Les livraisons de 1944
Le bilan des opérations tentées pendant la période de pleine lune de
février est mauvais, notamment en raison d’un temps exécrable, du manque
d’expérience de certains équipages et
de la précipitation qui n’a pas permis
200 000
100 000
0
1941
1942
1943
1944
NB : 5 containers en 1941 et 51 containers en 1942 ont été
parachutés dont le contenu est inconnu.
Source : AN, 3AG2-206 dossier 3, pièces 30, 60 et 61 (Fonds BCRA).
Groupes contrôlés par
RF l’état-major des forces
spéciales (SOE) et le BCRA
BCRA (Londres)
BCRA (Alger)
8 000
Gironde
F3
F4
6 000
français à Alger
T Groupes de résistants belges
4 000
2 000
Corrèze
Dordogne
Lot-et-
F 2 Garonne
Landes
Lot
HautesPyrénées
Avril
Mai
Juin
Juil.
Août
Sept.
1944
Source : AN, 3 AG2, liasse 204, dossier 6, pièce 2 (fonds BCRA).
l’Afrique du Nord
de se coordonner avec les comités de
réception. Churchill reporte alors ses
espoirs sur la lune de mars et alloue
au SOE des moyens aériens exceptionnels. Le bilan de la lune est effectivement meilleur, sans toutefois atteindre
les objectifs fixés.
Fin mars 1944, le BCRA estime que
35 à 40 000 hommes ont été armés
en France. Mais Churchill perd alors
confiance dans les maquis et décide de
s’en remettre au général Eisenhower,
qui vient d’être nommé à la tête du
Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force (SHAEF), pour l’orien-
Aveyron
Aude
ITALIE
Ardèche
Gard
Hérault
F6
RF 4
F6
Drôme
M8
RF 4
M2
Lozère
Tarn
HautesAlpes
F 6½
Vaucluse Basses-Alpes AlpesMaritimes
RF 27
Bouchesdu-Rhône
Var
Ariège
ANDORRE
le Royaume-Uni
RF 41½
Tarn-etGaronne
HauteGaronne
BassesPyrénées
F 17
PyrénéesOrientales
Corse
E S PA G N E
tation à donner aux parachutages
d’armes. Or, ce dernier attend avant
tout de la Résistance des coupures ferroviaires, une action retardatrice sur
le déplacement des troupes allemandes et une guérilla généralisée. Aussi
décide-t-il de rééquilibrer les livraisons en procédant dès avril à des parachutages sur toute la France, tout
en privilégiant les régions situées au
nord d’une ligne Nantes-Orléans-Dijon-Strasbourg.
Au final, on observe une augmentation
considérable des livraisons ­d’armes en
175
Isère
Haute-Loire
Cantal
RF 18½
Tonnage parachuté depuis :
Mars
METZ
Marne
F2
F 10½
Gers
Groupes indépendants
M organisés par les pouvoirs
Fév.
RF 4
Seine2
Meuse
et- Seine
STRASBOURG
MeurtheF4
Oise
et-Moselle
F2
RF 3
EureCôtes-duIlleF 4 HauteRF 2
RF 6 et- F 26 Seine-et
Nord
Mayenne
et-Marne
Marne
Vosges
Vilaine
Aube
Finistère
F3
F6
Loir
RF 2
COLMAR
F
8
F1
Sarthe
RF 2
Loiret
Yonne
HauteLoirMorbihan
Saône
F 9 et- F 8
F2
F2
Cher
F 15
Maine-etBelfort
RF
8
Indre-etLoire
Côte-d'Or
Doubs
RF 4
LoireLoire
Cher
F8
Inférieure
Nièvre RF 5
F 60
SUISSE
DeuxRF 8
Vendée Sèvres Vienne
Jura
F
24
Indre
SaôneetAllier
Loire RF 5
RF
9
VICHY
F2
Creuse
HauteAin
HauteSavoie
CharenteF
2
Vienne
Maritime
Rhône
F 17
Loire
Charente
Savoie
Graph2
Puy-de-Dôme
Groupes sous contrôle
F britannique et américain
dirigés depuis Londres
Réseaux alliés
Janv.
1944
LUXEMBOURG
Ardennes
Aisne
PARIS RF
F9
12 000
0
REICH
RF
4
RF 7
Containers parachutés sur la France
Janvier - septembre 1944
10 000
Eure
F4
T 7¼
RF 5
F 1½
RF 2
Malmédy
Orne
300 000
Parmi les opérations tentées, beaucoup
échouent du fait de l’absence de comité
de réception pour assurer le balisage
du terrain et récupérer les armes, d’erreurs de navigation des équipages et
de problèmes techniques sur les appareils. S’y ajoute la combinaison étroite
indispensable à la réussite du parachutage : de bonnes conditionsCh7
météorologiques et une pleine lune assurant la
visibilité de l’opération.
Après une amélioration au cours de
l’été, les derniers mois de 1943 sont
particulièrement décevants, principalement à cause d’une météo très mauvaise. Le manque d’armes prend donc
une dimension dramatique en France
au cours de l’hiver 1943-1944. Les critiques à l’égard des services londoniens se font de plus en plus acerbes.
Emmanuel d’Astier, nommé commissaire à l’Intérieur du Comité français
de la Libération nationale (CFLN) en
novembre 1943, joue alors un rôle capital dans la relance des négociations
pour la fourniture d’armes à la Résistance. Entre le 14 janvier et le 2 février,
il a à ce sujet quatre entretiens décisifs avec Churchill, dont l’imagination
s’enflamme à l’idée de développer la
guérilla dans le sud-est de la France
(régions R1, R2 et R6,] p. 166) grâce à
un effort d’armement des maquis.
Calvados
Oise
T 2½
T 10
RF 3
Seine- RF
Inférieure 2
700 000
Eupen
T7
Graph1
Livraisons d’armements
1941-1944
3
BRUXELLES
Nord
De faibles livraisons avant 1944
r é s i s t a n c e s
0
50
100
150
France en 1944 par rapport à 1943 (livraisons d’explosifs multipliées par
sept, de 74 à 518 tonnes ; livraisons
de mitraillettes multipliées par six, de
28 000 à 169 000, etc.). Toutefois, l’écrasante majorité du matériel est expédiée
après le débarquement en Normandie,
une fois que la Résistance a réussi à
gagner la confiance des responsables
militaires alliés en faisant la preuve de
sa capacité à jouer un rôle militaire
(23 % seulement des containers expédiés en France en 1944 le sont avant
juin).
200 km
Source : AN, 171 Mi 72, dossier 3,
« Arms Deliveries. June Moon ».
Une fois ce constat posé, évaluer l’impact militaire de cette résistance armée, équipée depuis Londres et Alger,
reste encore un vaste champ d’exploration pour l’historien.
Sébastien Albertelli
Bibliographie
ALBERTELLI S., Les services secrets du général de Gaulle.
Le BCRA, 1940-1944, Paris, Perrin, 2009.
FOOT M. R. D., Des Anglais dans la Résistance, Paris, Tallandier, 2008.