UN BLOG 4 TEMOIGNAGES DE MILITANTS DE GAUCHE

Transcription

UN BLOG 4 TEMOIGNAGES DE MILITANTS DE GAUCHE
TEMOIGNAGES DE MILITANTS
DE GAUCHE VITROLLAIS
(1983-2002)
J’ai rassemblé de nombreux témoignages de militants vitrollais de l’arc en
ciel des gauches. C’est un récit à plusieurs voix, parfois dissonantes : la vie
démocratique est pluraliste, contradictoire, conflictuelle et parfois vive. Ses
contempteurs nationalistes à la mairie, ont essayé de l’étouffer de cent
manières. Ils n’y ont pas réussi.
Puissent les gauches garder comme une prunelle des yeux les braises de ces
débats et divergences. Les dogmes obscurcissent, les chapelles neutralisent
la pensée, les rivalités de boutiques sont incompréhensibles au plus grand
nombre. Quoiqu’on en ait dit ou qu’elle ait fait lors du gouvernement
JOSPIN ,je trouve belle l’expression « LA GAUCHE PLURIELLE ».Ou le
rassemblement des gauches et des écologistes. Forcément diversifié .
Vitrolles n’a pas été bâtie que par des décideurs lointains appuyés sur des
logiques techniciennes , financières, médiatiques. Mais aussi par une
mobilisation d’hommes et de femmes de bonne volonté .On va la « toucher
du doigt » avec ces paroles transcrites telles qu’elles, sans censure ni réécriture .
« Mais pourquoi je vous parlais de quartier au début ?
Non ! On ne peut tout de même pas penser qu’en
s'approchant on puisse le comprendre, le connaître,
respecter (...) Qui pourrait croire qu'il renferme tant de
richesses humaines ? »Elise Henrot –Régie de Quartier Les
Pins .(2)
-L a gauche militante du quartier des Pins
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Les communistes vitrollais vus par le correspondant bénévole du quotidien
La Marseillaise ,Robert Finidori .
- Les recherches à gauche de René Agarrat
-Un « traumatisme au PCF » , conversation avec Roger Ruzé
-Alain Castan ,élu de quartier ,
-La tristesse de Serge Fabre,
-« Je ne dis plus bonjour à JJ Anglade »
JL Archeveque,instituteur,adjoint PS aux finances (1983-1997)
Marc Grand, syndicaliste CGT ,Premier Adjoint PS (1983-1995) : « 25 ans de
ma vie »
-Les militants de la culture pour tous: Henri Naïditch,Dominique Yousef
-Une aventure artistique alternative :le café –musiques,Loic Taniou « Le
SOUS MARIN »
Régine Juin l’âme du cinéma à Vitrolles
- les Maisons de quartier ou comment créer des liens sociaux Jin
Nersessian,Pâquerette Villien
Les instits des Pinchinades : « On recevait beaucoup, mais on donnait
beaucoup...on voulait changer la société ... »
Un désir de culture : l’aventure de Fontblanche avec Maud Zawadzki,
Muriel Modr,
La gestion du service public de la propreté urbaine : « construire des ponts
et non des murs » Pierre Greff
-
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La gauche militante du quartier des Pins
Témoignages, réflexions, paroles, récits, portraits ... ce qui suit n’a pas
d’autre prétention que de « raconter » la ville par ceux qui l’ont faite .Ils
sont loin d’être les seuls.
Les Pins, ce quartier populaire, proche du centre- ville, lieu de travail social
et politique peu commun.
Marie d’Hombres, dans un beau livre Une ville, cent histoires Vitrolles
quartier des Pins 1971-2008- REF 2C éditions, 2011 ,le décrit :
La génération des années 70
« Les premiers habitants de la cité des Pins arrivent en 1971 venus de Lorraine avec la Solmer qui
installe sa production d'acier à Fos- sur- mer pour échapper à la crise du charbon. Les marseillais
arrivent eux avec la création de la zone industrielle des Estroublans, des habitants de Berre qui
perdent leur logement au moment de la destruction de la vieille ville également, d'anciens
mineurs des Cévennes et de Provence, des pieds- noirs qui ne se sont pas encore fixés depuis
leur rapatriement, des travailleurs algériens employés dans le bâtiment, à la raffinerie Shell de
Berre et dans la zone industrielle toute nouvelle de Vitrolles...
Celle des années 80... Les premières arrivées
importantes ont eu lieu avec l'ascension
sociale et l'accès à la propriété des « pionniers » : une villa avec jardin sur l'avenue de Marseille,
les Pinchinades, les copropriétés des Plantiers...C’est le départ de militants de gauche venus
s’installer dans ce quartier populaire pour y militer. Mais c’est aussi la venue des salariés de
l’autre côté de la Méditerranée par les procédures de regroupement familial de 1976, et les
familles des travailleurs immigrés logés jusqu'à présent en foyers ou dans des Algéco auprès des
chantiers… À la fin des années 80, avec la crise économique et le développement du chômage,
s'installent des familles monoparentales, des travailleurs licenciés de leur entreprise. Peu à peu le
quartier se paupérise (...) Il y a les longues barres de quatre étages accolées les unes aux autres…
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Le Thym, la Sarriette, le Romarin, le Basilic… 875 logements au total (OPAC)… Trois tours
fuschia et crème abritent 124 appartements : Gagarine, Armstrong, Clisson (famille et Provence)
et enfin les seize immeubles blancs de la Logirem (206 logements) (...) Marie D’Hombres
(op.cit.)
Je relate ce qui s'y est passé. Ce quartier est contemporain de l'extension
de Vitrolles comme ville nouvelle. Avec la « cité rose » où sont logés les
travailleurs de l'aéronautique des années 50, la cité des Pins fut le berceau
de l'implantation politique de la gauche et de l'extrême gauche de l'après
68. Avec les usines qui ferment, les tensions entre générations, entre eux
vieux arrivants et nouveaux habitants, français et immigrés, s’exacerbent
vite, des rumeurs circulent colportées par le Front National qui va faire
passer ce quartier pour « une enclave étrangère »…
Pourtant au milieu des années 80, c’est dans ce vaste quartier sans grâce,
que la gauche militante, va réaliser pendant plusieurs années une
expérience originale : celle d'un conseil de quartier et une régie de quartier,
dont plus de vingt ans après les habitants se souviennent encore avec
nostalgie. Durant la même période il y a eu d'autres réalisations semblables
dans des grandes villes en France. Ni la gauche au pouvoir municipal à
Vitrolles ni celle au pouvoir d'État en France n'ont su s'en servir comme un
tremplin pour un nouveau départ politique. Au mieux, à Vitrolles comme
ailleurs, ces expériences ont- elles été soutenues, assez timidement faut-il le
souligner ? Hégémonie de la gauche jacobine, celle de la transformation
sociale par « en haut » qui ignore la gauche « autogestionnaire » ? Alors
méfiance à l’égard du peuple supposé incapable de s’intéresser à la chose
publique? Quant à ceux, qui comme la municipalité socialiste de Lille, dès
1978 avec Pierre Mauroy se lancent, à leur manière, très « encadrée dans
l’aventure des conseils de quartiers, seraient-ils des utopistes ? En tous cas
à Vitrolles, le fondateur politique de cette expérience, Alain Castan,
conseiller municipal, élu de « Carrefour 13 » raconte, dans mon livre, ses
difficultés et ses espoirs d’alors ( ici p.36-38).
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-
Les communistes vitrollais,
vus par Robert Finidori, correspondant bénévole du
quotidien « La Marseillaise »
Les communistes ne sont pas qu’un parti et des élus .C’est une collectivité humaine ,
indissolublement liée à la gauche. Ceux là ont connu les grandes mutations du PCF .Ce sont
aussi des histoires personnelles ,des vies , des luttes pour un idéal .J’ai demandé à Robert
Finidori, corse d’origine, natif de Marseille, vitrollais depuis 1971,journaliste militant de bien
vouloir décrire ceux qu’il côtoie depuis quarante ans .
« Dés mon arrivée, j’ai participé à la vie vitrollaise : militant à la FCPE, au syndicat UGICT-CGT,
communiste de cœur depuis toujours et officiellement depuis 1977.
Présent sur la liste du parti communiste en 1977, j’ai apporté mes modestes moyens à la victoire
de la gauche à l’élection municipale.
Elu en 1989, adjoint spécial délégué à Vitrolles Etang, puis réélu en 1995 adjoint délégué à la
sécurité civile. La suite est moins brillante avec nôtre invalidation en 1997 et les 4 ans pénibles
passés au conseil municipal, avec mon camarade Henri Agarrat, face aux Mégret, et à leurs
ouailles. Je passe sur les attaques, les quolibets, les coupures de micros pour nous interdire la
parole…etc….
Si l’on ajoute, actuellement, mon engagement dans le monde sportif, dirigeant et modeste joueur
au club de rugby depuis 1975, secrétaire de l’association vitrollaise des amis de l’Humanité, au
comité directeur de la FNACA, membre de l’ARAC, militant et membre du bureau des retraités
CGT, ma retraite est bien remplie.
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Toutes ces activités m’ont permis de connaitre et de militer avec des camarades qui sont restés
présents dans ma mémoire et dans mon cœur.
Pierre SCELLES : un homme d’exception, défenseur de la démocratie, de la justice, des droits de
l’homme, respectueux et attentif au besoin de la population.
Elu maire en 1977 , il a eu la lourde charge de faire oublier la droite, et de mettre en marche, avec
son adjoint Paul Dumoulin, la limitation de l’extension de la ville, qui dans le cadre des villes
nouvelles était prévu pour accueillir 80 à 100000 habitants.
Un homme droit qui transpirait l’honnêteté, et la droiture. Décédé il y a 2 ans j’espère que
bientôt une avenue portera son nom .
Francine CLARET-MATEOS : une femme formidable, alliant intelligence, intégrité, droiture, et
combattante, disparue trop tôt suite à un accident de voiture.
Elue depuis 1977 elle avait exercé comme adjointe au maire plusieurs délégations, service
scolaire, et ensuite responsable du service important des vacances.
Ces mandats ne l’empêchant pas de militer à la FCPE et au Parti Communiste, et de défendre les
droits des femmes.
Estimée et regrettée par tous, l’école du quartier Ferme de Croze porte son nom.
Maurice MAUREL : ouvrier de Sud Aviation, actuellement Eurocopter, ses deux passions :la lutte
syndicale et politique, mais aussi champion aux boules.Il disait : << le seul concours du
« Provençal « que j’ai manqué, c’était le jour de mon mariage>>.
Elu depuis 1977 il a mis en place le CCAS (comité communal d’action sociale), c’était vraiment
son bébé, qu’il a fait grandir jusqu'à son décès, fin 1996.
Ses deux qualités principales : honnêteté et impartialité .
Il fut à l’initiative des appartements pour personnes âgées, la nouvelle réalisation porte son nom :
« L’Oustaou Maurice Maurel »
Jean DUPAS : fut délégué à la sécurité civile, tâche qu’il a accomplie avec fierté et compétence, il
a surtout était l’artisan de la création du SITEEB ((syndicat intercommunal des transports de
l’est de l’Etang de Berre), un petit service au début, qui, au fil des ans a pris l’importance que l’on
connait de nos jours.
La ville l’a remercié pour son action et son dévouement en donnant son nom à la gare routière.
Les temps ont changé, notre parti aussi, mais sur Vitrolles il est toujours présent avec des
militants, je ne peux pas tous les citer, je m’arrêterai sur quelques noms .
Malik MERSALI : le prof d’économie, qui comme adjoint au maire, délégué aux finances, se
débat actuellement avec les « sous » de la ville avec courage, compétence et honnêteté.
Catherine TRAN PHUNG CAU : adjointe déléguée à la petite enfance, présidente du groupe
communiste, secrétaire départementale des retraités CGT.
Travailleuse infatigable pour la démocratie, la justice, un seul chemin : la ligne droite.
Marie-Dominique YOUSEF : conseillère municipale déléguée à la lecture publique et à la
médiathèque.
Bibliothécaire de profession elle défend avec passion, la lecture et le droit à l’instruction et aux
connaissances, privilégiant les plus démunis.
Pierre PRADEL : élu en 1989 et 1995. Militant syndicaliste CGT à France Télécom. Responsable
politique à la section de Vitrolles.
Né en Algérie, il est engagé au prés des Pieds Noirs Progressistes , un vrai historien de la guerre
d’Algérie.
Ses connaissances artistiques et littéraires sont très utiles pour l’organisation des soirées
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culturelles des amis de l’ Humanité.
De nombreux camarades, ont participé à la vie du parti à Vitrolles, sans jamais baisser les bras ,
même pendant les heures sombres de la présence en mairie des élus FN. Il n’était pas simple à
cette période d’être sur les marchés pour les distributions de tracts, ou pour le collage de nos
affiches sous la présence constante des gardes du corps et des cow-boys de la bande à Mégret.
Je citerai au hasard :
•
Antoine HERNANDEZ ,d’Oran, employé d’EDF, « Pieds Noirs Progressistes », militant
sans faille au PCF et à la CGT. Sa devise << je suis né avec le parti>>
Benoit IRIDE, Sauveur RIBAUDO, Robert BANOS, des militants présents, infatigables.
Les frères BIANCO, Jérôme étant élu en mairie, ont suivi le même chemin que leur père Michel.
Ils apportent, grâce à leur jeunesse, des idées nouvelles.
Joseph MARCO : président de l’ARAC (Association républicaine des anciens combattants),
militant politique et syndical, un combattant droit et inflexible.
Annie BERTHOLLAZ : figure emblématique de la Poste de Vitrolles, militante CGT, lutte avec
conviction et acharnement pour la défense du service public
Nadine CUILLIERE : enseignante, militante syndicale et politique pour la défense de
l’éducation nationale et le droit à la culture pour tous.
Renée ALARCON : secrétaire au Conseil Régional, se dévoue depuis des années dans son
quartier, au sein du Comité National du Logement, pour le droit au logement et le mieux vivre
dans les quartiers.
Je pourrai continuer encore longtemps cette énumération, de nombreux camarades, souvent
anonymement, ont lutté pour la justice, la défense du monde du travail, la laïcité et la
démocratie. » (lettre à l’auteur, mars 2012)
Les militants dévoués à la cause de la gauche... Robert Finidori les a tous connus. Il en a parlé
avec son cœur.
L’homme qui s’exprime ensuite est un ex du PCF, secrétaire de la section de Vitrolles en 1981 :il
ne figure pas dans les portraits de Robert Finidori. Il a quitté le PCF en 1986 ou 1987, il a disparu
de la « famille »,c’est René Agarrat .Comme Richard Dubrey , le secrétaire de la section du PCF
de Vitrolles de 1997 à 2001. Un physique de rugbyman, qui a fait face avec courage dans ces
temps difficiles quand les Mégret sont à la mairie. Il s’est retiré de la vie politique et je n’ai pu le
rencontrer. Personne ne m’a dit pourquoi il ne milite plus à Vitrolles ou Marignane, ville voisine,
où il réside .J’ai fini par le savoir mais en parler n’a pas d’intérêt politique.
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Les recherches à gauche ..... de René Agarrat.
« Lorsqu'avec le PC nous montons une liste à Vitrolles en 1977, il ne nous vient même pas à
l'esprit qu'on pourrait gagner la mairie. En effet, le maire de l'époque, Brémont, a de nombreux
atouts : il a construit beaucoup d'équipements dans la ville, la zone industrielle des
Estroublans...Notre section est liée à l'Aérospatiale, elle est très forte.
Notre objectif, c'est de devancer le PS. On n'est pas préparés à gérer une ville. Brémont est un
homme de culture de droite, mais il n'est affilié à aucun parti politique et, dans sa liste de
l'époque, il y a des ouvriers, des paysans qui appartiennent à tous les bords politiques. Il gère la
mairie comme une commune rurale mais c'est un aménageur, il dirige la commune comme un
chef d'entreprise. Il ne fait pas de campagne, il pense que le développement de la ville qu'il a
conduit suffira à ce qu'il soit réélu. Il n'organise aucune réunion, ne distribue aucun tract. Il n'a
pas compris qu'en développant la ville, il amenait une population nouvelle qui arrivait avec ses
propres affiliations politiques. Le responsable de la section PS de l'époque à Vitrolles, c'est
Michel Pezet,avocat marseillais, qui deviendra un temps député et secrétaire de la fédération du
PS. On devance donc en 1977 le PS d'1%, l'alliance au 2ème tour est compliquée mais enfin on est
élus. Le maire, Pierre Scelles, est un sympathisant PC non encarté, entouré de jeunes autour de la
trentaine. On n'avait rien préparé pour gérer la ville, on ne savait même pas comment ça
fonctionnait. On est restés 2 mois enfermés dans le bureau du maire pour savoir comment on
allait prendre les choses. On mettra 2 ans pour maîtriser l'appareil municipal, en conflit
permanent avec le PS. Il y a Patrick Mennucci, un socialiste marseillais, qui passe son temps à
nous mettre des bombes sous les pieds : il veut déglinguer le PC pour prendre la majorité à
l'élection suivante. Anglade jeune avocat conseiller municipal PS prend les chose en main : 6 ans
plus tard en 1983,le PS devance le PC d'1%.
Mon parcours personnel : au moment des élections législatives de 1978, le PC comprend
que l'union de la gauche se fait à son détriment, le PS progresse dans l'opinion et le PC recule. Il
devient hystérique, sectaire.
Le climat local est épouvantable. Pour moi qui ai commencé à travailler à 15 ans et n'ai jamais
connu qu'un gouvernement de droite, en 1981, on est quelques uns à penser qu'il va enfin y avoir
un gouvernement de gauche. O surprise ! Les manoeuvres du PC pour « le vote révolutionnaire »
: faire perdre Mitterrand parce que le PS va nous manger ,échouent. En effet, le PC n'a pas de
tradition de gestion de l'état mais une culture d'opposition. Une réunion du PC se tient à
Vitrolles en présence d'un envoyé de la fédération :
Tamburino, qui ne sait pas trop comment le dire mais qui avoue que Mitterrand ne doit pas
gagner (voir, juste après celui-ci, le témoignage de Roger Ruzé responsable du PCF à
Marseille,NDR ). Le soir de la victoire de Mitterrand, je suis dans le hall de la mairie et les
militants du PC font la gueule. Moi, je me félicite de cette victoire avec Maurice Maurel, qui
prendra ses distances un peu plus tard avec le PC. Le PC va de plus en plus se refermer sur luimême.
Par la suite, la sortie des ministres communistes du gouvernement le 19 juillet 1984 marque
un nouveau repli du PC. Il y a donc des affrontements, ici, à l'intérieur du PC et dans la majorité
municipale. Dans la foulée de la campagne de Pierre Juquin se crée dans le département, des
comités juquin puis « Carrefour 13 » (ces circonstances sont relatées plus loin par Alain Castan ,
NDR ). En 1988 suite aux comités Juquin, se constitue un espace(un carrefour)de rencontres ,
d'échanges et de lutte pour une gauche alternative. Celui-ci disparaît peu à peu dans le
département mais se maintient à Vitrolles. En 1986 ou 87, je ne reprends pas ma carte au PC ou
plutôt il ne me la propose pas. Je deviens un traître, un hérétique, on m'accuse d'être un sousmarin du PS. Je pense que le PC a perdu les pédales avec la réalité : au lieu de se refermer sur luimême, il aurait dû s'ouvrir, ne pas quitter le gouvernement de Mitterrand. J'ai fait venir Charles
Fiterman à Vitrolles pour « Carrefour13 », ce qui a attisé encore plus la haine du PC à mon égard.
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La démarche d'ouverture par Robert Hue est venue trop tard, comme Gorbatchev en URSS. Si sa
lucidité avait été présente en 1981, les choses se seraient peut être passées différemment.
Sur le plan local, avec « Carrefour 13 », on a essayé de fédérer les oppositions internes (au
niveau national de nombreuses tentatives de fédération de groupes de la gauche alternative ont
été tentées sans succès, car les nombreux élus qui composent ce kaléidoscope ont des intérêts
différents entre eux, les réalités locales ne sont pas les mêmes. Le responsable des rénovateurs
communistes à l'époque, Claude Llabrès, les quitte en disant que le PC ne peut pas être rénové et
qu'il faut construire autre chose. Il se fait pourrir car il met fin à un vieux rêve . Les rénovateurs
continuent et s'étioleront peu à peu, les élus communistes qui en sont membres ne seront pas
réinvestis par l'appareil, il y aura de moins en moins de moyens. Guy Hermier hésite, il continue,
sans vraiment y croire, à dire qu'on peut rénover le PC de l'intérieur. Il a tenu son rôle jusqu'à sa
mort, parce que personne ne lui arrivait à la cheville. Il ne s'est pas « lâché ».
Il fallait supporter en plus des calomnies quotidiennes et beaucoup ont craqué et ont déserté le
militantisme. Ca a été un traumatisme. »
Pour comprendre ce que René Agarrat appelle « un traumatisme », l’un de ceux qui ont
accompagné la vie du PCF ces 30 dernières années (1970-2000), de nombreux ouvrages ont déjà
été publiés .Je me limiterai ici à un détour par Marseille, par le quartier populaire du port de
l’Estaque, au nord de la ville ,rendu célèbre par le film de Robert Guédiguian en 1997 « Marius et
Jeannette ».
Un traumatisme au PCF ...une conversation avec
Roger Ruzé.
Sur ces années 70-80, j’ai questionné un ancien responsable communiste de la section du PCF à
Marseille. La plus nombreuse, à cette période, dans les quartiers populaires du Nord de la ville
,Roger Ruzé, dont il faut savoir ce qu’ il est avant de lire son témoignage sur ce « traumatisme »
au PCF.
Il est né le 16 mai 1939 à Saint Henri, à Marseille, ouvrier des raffineries de sucre St Louis, il a
participé en Algérie, militaire du contingent, avec la 665ème compagnie de gestion des parcs de
Rouiba ,au sud d’Alger, en avril 1961,à l’organisation d’une grève des moyens de transports
militaires. Elle a contribué à faire échec au putsch des « généraux d’Alger » (Salan, Jouhaux,
Challe, Zeller).Il a été secrétaire de la section du PCF de l’Estaque de 1971 à 1985 ,année de sa
démission du PCF. Ce détour marseillais permet de comprendre ce qui se joue dans le parti ces
années 70-80, partout. Et singulièrement dans la région marseillaise, qui n’est pas marginale pour
la vie politique en France.
La furieuse campagne de division de l’union de la gauche pour les législatives de 1978 initiée par
Georges Marchais, secrétaire général du PCF est une tentative de « contre-feu » pour réagir à ce
qui se passe sur le plan électoral : l’union de la gauche profite essentiellement au PS. Cela va
laisser des traces durables dans le parti .D’autant plus que cette division se renouvelle avec le
départ des ministres communistes du gouvernement Mauroy en juillet 1984 : le parti reste dans
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« la majorité présidentielle » jusqu’à l’automne où il passe dans l’opposition avec comme objectif
« un nouveau rassemblement populaire majoritaire »..Le parti se « raidit » sur son identité une
seconde fois en quelques années...juste avant « la pérestroïka », la libéralisation politique
engagée par Gorbatchev en URSS...Ces périodes de turbulences internes , Roger Ruzé les
raconte lors d’un entretien recueilli par l’auteur en juillet 2008 ,dans la mairie des quartiers Nord
de la ville, celle des XVème et XVIème arrondissements de la ville, à côté du parc François
Billoux (député PCF au moment du Front Populaire, plusieurs fois ministre de 1944 à 1947 et
député PCF des Bouches du Rhône jusqu à sa mort en 1978 .C’est Guy Hermier qui lui succède
jusqu’à son décès en 2001) .Cette mairie est à quelques pas du siège de la fédération du PCF des
Bouches du Rhône. Un lieu de la mémoire ouvrière marseillaise aurait dit Pierre Nora.
Roger Ruzé.(RR ) « (...) En 1974, nouveau grand débat pour la candidature à la présidentielle.
Mitterrand doit être le candidat unique, ou commun (le terme avait fait débat) de la gauche. Pour
ou contre ? C’est une des forces et, en même temps, un des défauts du PC : une fois la ligne
tracée, tout le monde y va. En 1974, il y a un espoir que la gauche revienne au pouvoir, alors que
la droite gouvernait la France sans partage depuis 1958.
Si ma mémoire est bonne, à ce moment, nous étions galvanisés par le résultat de Duclos aux
présidentielles de 1969, où Defferre, allié à Mendès-France, s’en était tiré avec 5,2% des voix, alors
que Duclos avait frôlé les 23% et la présence au deuxième tour.
Mais ce dont nous ne nous méfiions pas tenait en deux éléments :
-
le parti socialiste venait de se reprendre, en élisant Mitterrand à sa tête au congrès
d’Épinay (le hold-up du siècle) - alors que, trois jours avant, il n’était même pas
membre du PS. D’entrée, je n’aimais pas Mitterrand… son parcours me laissait
quelques amertumes. C’était Chevènement, avec la gauche du PS, qui avait permis à
Mitterrand de battre Savary (que j’aimais bien). Le PS étant très affaibli, nous
pensions que nous n’allions pas faire la quatrième roue. Cependant, il avait des
capacités fantastiques de rebondir, ce à quoi nous ne nous attendions pas .
le parti communiste était déjà dans une situation de déclin, ce dont nous ne nous
rendions pas compte. Nous ne l’avons compris que quelques années plus tard. Ce
déclin n’était pas lié, comme l’ont dit certains, à l’union de la gauche et à Mitterrand.
En fait, c’était un problème intrinsèque : il aurait fallu que le parti, dès ce moment,
aille plus vite dans sa propre refondation (il avait fait le premier pas en condamnant
l’Union soviétique).
Gérard Perrier (GP) : Et il ne le fait pas.
-
Et il ne le fait pas. Mais c’est vu de la base (je ne suis pas au Comité central ni au Bureau
politique), en fonction des discussions que nous avions et de notre propre réflexion. Nous ne
pensions pas à cela, à ce moment.
Et, en 1974, une nouvelle mainmise : Mitterrand, qui avait dit qu’il y aurait des ministres
communistes. Dans la bataille des présidentielles, nous n’avons vraiment pas lésiné sur
l’engagement (c’était vrai au plan national). Mitterrand frôle la victoire, à 200 000 voix près, et
c’est l’ère Giscard qui s’ouvre. En même temps, nous voyons bien que le PS est en train de
devenir LA force, à gauche. Au vu du résultat de Mitterrand, la présidentielle le fait sortir avec
une aura ; il a créé des espoirs. Ça, nous le sentons très vite.
La bataille continue. Nous arrivons en 1977, et à ce moment, Guy Hermier arrive de Paris. A
partir de ces années, commence l’effondrement économique des quartiers liés à la fin de la
réparation et de la construction navales, celle des huileries ; il n’y a presque plus de tuileries, etc.
Ça devient le désert économique, en lien avec les premières réformes européennes. La société des
ateliers Terrin ferme (réparation navale), il y a des bagarres et des batailles, mais nous sentons
que nous sommes le dos au mur.
Voilà pour l’aspect social et économique des choses : ces quartiers sont en plein bouleversement.
Nous le voyons, nous le palpons, sans en saisir toute la dimension, à notre niveau. Cependant,
nous nous battons car c’est dans la nature même du parti communiste et de ses militants. Et
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puis, nous sommes tellement sûrs que, dans ces quartiers, le parti communiste est présent pour
l’éternité.
En 1977, le parti décide de renouveler ses cadres, notamment à la Chambre des députés. Un
certain nombre de figures historiques du parti (Billoux, ici ; à Paris, etc.) sont remplacés par des
jeunes. Ici, c’est Hermier qui arrive, au moment de la campagne des municipales.
Le problème, c’est qu’en 1981, Mitterrand est candidat ; Marchais est candidat, sans programme
commun. A Marseille, à la section, avec Hermier, nous menons une campagne démentielle, la
plus belle que nous avons menée de toute ma carrière politique. Au Stade Vélodrome, quand
Marchais est venu, il y avait 60 000 personnes. De l’Estaque, nous avions amené dix cars bondés ;
nous étions 500.
Et, le soir de l’élection, coup de massue. Le ciel nous tombe sur la tronche. Premières
estimations : Marchais 15%, alors que nous attendions 22%. Mitterrand est candidat au deuxième
tour ; sans programme commun, sans accord, il faut voter pour lui. Ça a été la grande farce. Les
consignes venues d’en haut disaient qu’il fallait tout faire pour faire élire Mitterrand ; cependant,
s’il perdait, ce n’était pas une catastrophe.
GP : Ça se dit ?
RR Ah oui ! En présence d’Hermier, qui était désormais responsable national auprès de la
fédération, nous organisons une assemblée de militants et de sympathisants, entre les deux tours,
dans la salle de l’Harmonie à l’Estaque. Nous devions être cent cinquante personnes. J’étais
Secrétaire de la section. Il s’agissait de prendre une décision pour le deuxième tour et nous avions
le communiqué du Bureau politique.
Hermier disait que plus le parti mènerait campagne pour Mitterrand, plus il perdrait de voix.
GP : Hermier dit ça ?
RR. Oui, il dit ça. « Nous appelons à voter Mitterrand, mais plus nous allons exiger de
nationalisations, etc., plus nous allons mobiliser la droite. » Il passe un soir à l’émission de
Cavada et compagnie, et c’est ça qu’il défend : « Ne croyez pas que nous allons laisser Mitterrand
tout seul. Nous allons être présents et bien présents. Et nous allons exiger que… »
Mais il nous dit que si nous faisons cela, la droite va se mobiliser.
Oui, il nous le dit à nous.
GP : Mais pas en public.
RR. Non. Il dit aux proches : « Si vous voulez faire perdre Mitterrand, la meilleure façon, c’est de
vous battre et de montrer que les communistes vont faire prisonnier Mitterrand. »
Donc, ce soir-là, tout le monde demande ce que nous faisons au second tour : y allons-nous ou
pas ? (rire). Certains voulaient tout de même que la gauche l’emporte ; ils préféraient Mitterrand
à Giscard (« Il y en a marre de la droite. »). De 1958 à 1981, ça faisait presque 25 ans que nous
nous tapions la droite ; ras le bol ! « Oui, mais Mitterrand a intérêt à bouger ! » Le débat était très
partagé…
Et les gars de me demander : « Oh, Roger, dis-nous ce que tu vas faire ? » (rire). Et moi :
« Qu’est-ce que vous me racontez ? Pour ceux qui m’ont vu ce matin, j’affichais : votez
Mitterrand. » « Oui, mais ça ne nous dit pas ce que tu vas faire ! » J’étais complètement coincé et
je ne voulais pas leur dire… alors qu’ils voulaient que je dise si j’allais voter Mitterrand.
Hermier a volé à mon secours et il a dit de façon claire, comme toujours, qu’il fallait voter et faire
voter Mitterrand : plus Mitterrand serait élu avec les voix communistes, plus il serait tenu de
respecter ses engagement. Il explique cela de façon magistrale, ce qui a emporté la décision,
même si son idée était inverse.
Il m’a dit : « De toute façon, nous n’avons pas choisi. Ou nous nous cassons encore plus la
gueule, ou nous y allons, dans les plus mauvaises conditions. Mais, si la droite repasse, ce n’est
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pas à Mitterrand qu’on va le reprocher, c’est à toi qu’on va le reprocher, et tu ne peux pas te le
permettre, tu es mort. »
Donc, Mitterrand est élu ; quatre ministres communistes, etc. Et Marchais est arrivé premier sur
Marseille, en tête de tous les candidats à la présidentielle. De la folie ! La présence du parti
communiste sur ces quartiers était toujours forte, déterminante.
GP Elle ne s’était pas amoindrie ?
Non. Mitterrand fait 77% au second tour à l’Estaque. Au premier tour, Marchais en fait 64% !
Parfois, je me dis que c’était un regain de vie avant de mourir. En effet, à partir de là, c’était
terminé. Nous savons maintenant ce qui s’est produit au niveau national avec le PC. Marchais
était encore soumis à l’Union soviétique.
Ensuite, c’est la préparation du XXVe congrès. Nous étions alors très en bagarre contre la
fédération. Nous étions la première section à ne pas voter le rapport. A la Commission fédérale,
nous nous étions fait mettre complètement à l’écart parce que nous n’avions pas voté le rapport.
Simone Hermier s’en prend à Gino, l’ange gardien du parti, à l’époque, en l’accusant d’avoir
triché dans la commission des candidatures, en pleine conférence. Nous étions déchaînés contre
la fédération.
GP :C’était la plus forte section ?
Effectivement : 700 adhérents en 1981. Une section extraordinaire.
Mais là, nous sommes entrés en guerre contre la fédération. Après, c’était intenable, car ils nous
envoyaient sans cesse des permanents pour nous ramener dans le droit chemin.
GP Tu subis tout ça, mais tu es en acier !
Obligé. C’est moi qui descends au XXVe congrès, en 1984 et nous décidons de ne pas voter le
rapport. Nous savons que ça bouge dans le parti. Le Bureau politique dissout la fédération de
Meurthe et Moselle parce qu’elle est rentrée en rébellion. Hermier est de notre côté, mais, en
même temps, il nous prévient : « Faites attention. Si vous vous mettez en dehors, vous êtes
morts. »
A ce moment là, Marchais commence à parler de complot. Il convoque tous les secrétaires de
fédérations pour les avertir qu’un complot se prépare, mené par Fiterman, par Untel… En bas,
nous le ressentons. En effet, les purs et durs, que nous avions (maladroitement) écartés,
reviennent en nous accusant d’être des liquidateurs.
GP C’est tendu.
Très tendu, extrêmement tendu, dans la section où je suis. Si bien que, lors de la conférence de
section qui précède le XXVe congrès, en 1984, nous étions majoritaires dans la section pour ne
pas voter le rapport. »
Le lecteur attentif l’aura compris : ce que rapporte Roger Ruzé, va laisser des traces durables à
Vitrolles, à 20 kilomètres de Marseille, entre le PCF et le PS, depuis 1977, jusqu’aux années
Mégret vingt ans plus tard.
En écoutant Alain Castan on pourrait se demander pourquoi à Vitrolles les élus municipaux ne
furent pas très nombreux à se coltiner comme lui au « terrain » comme on dit .Ecouter presque
tous les jours les doléances mais aussi les suggestions ,les colères et les rages, les incohérences et
surtout les souffrances du monde du travail est quasi un sacerdoce laïque.Cette écoute s’est
prolongée par des réalisations : la Régie de quartier, un Conseil de quartier..les seuls dans la
ville.. Comme il le dit lui-même, il est un « militant de terrain». Ce qui signifie pas que les autres
élus ne soient pas les actifs promoteurs des idées de gauche...Peut-être ceux-là sont-ils les
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héritiers, conscients ou non , de ce produit de l’histoire républicaine :les changements majeurs
s’opèrent par les lois de la démocratie représentative. Tandis que Castan est animé par le
marxisme, celui de « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes »,et
il ne cherche pas de position élective. Encore moins à faire de la politique un métier. Il a été
membre jusqu’en 1985 du PCMLF (parti communiste marxiste –léniniste de France ), avec la
vague du « marxisme léninisme » à Marseille, celle d’un Jacques Jurquet , dirigeant marseillais
national de ce parti, celui de la scission « maoïste » ou « pro- chinoise » du PCF en 1967.Comme
de nombreux étudiants marseillais d’alors.
Alain Castan, élu de quartier...
« Les élus de quartier étaient les délégués de maire dans le quartier. Mais certains ne
connaissaient pas obligatoirement le quartier ,n'y habitaient pas n'y étaient pas militants. Moi,
j’étais un militant de terrain, pour qui la politique ne pouvait être l’apanage de professionnels,
afin de tendre à ce que tout le monde s’intéresse à la vie politique. C’est ce qui m’anime encore.
Les élus de quartier n’avaient ni savoir faire ni réflexion avec le groupe majoritaire sur la
question. Par contre, dès 1983, avec la liste « Vitrolles Unité populaire de Jean-Marie Poncet (le
PCMLF, le PSU, les autogestionnaires et des militants associatifs), nous avions le projet des
CDQ et je connaissais beaucoup le monde dans le quartier (où j’habitais). Certains élus de
quartier se considéraient comme de petits notables qui tenaient parfois des permanences et
réunissaient les gens du quartier avec le maire et l’adjoint aux finances une fois par an, au
moment du vote du budget de la ville.
La divergence que j’avais avec eux et Anglade, concerne la place des habitants dans la gestion
de la ville : moi, j’étais favorable à ce qu’ils fassent de la politique au sens noble du terme. Le
maire, rocardien, a eu connaissance des idées autogestionnaires, mais s’il me concède le CDQ
puis la RDQ aux Pins, ce n’est pas pour ces idées-là mais pour emmerder le PC ! Et, de plus, il
pensait que cette expérience ne marcherait pas. Lorsque l’OPAC a été hostile à ce que le CA de la
RDQ soit composé d'une majorité d'habitants du quartier et qu'elle soit présidée par l'un d'entre
eux, le maire a composé avec l’OPAC. Les habitants ont été majoritaires et j'en suis devenu le
Président, en tant qu'élu entre 1986 et 1993, puis après 1995 en tant que citoyen .Anglade pensait,
de toute façon, qu’avec les habitants ça ne marcherait pas.
Nous nous sommes appuyés sur les associations : au début de la RDQ il y a avait une
amicale des locataires assez forte, dirigée par un prêtre catholique, Maxime Chaigne, proche du
PC, et influent sur le quartier comme prêtre et président de l’amicale. Durant 6 mois, avant le
démarrage de la RDQ, il y a eu réunion sur réunion, notamment avec Maxime Chaigne, afin de
convaincre l’amicale d’accepter le projet de RDQ. Le débat avec lui a été fructueux puisqu’il nous
obligeait à trouver des réponses aux objections que le PC faisait par son intermédiaire. Le grand
argument du PC était que nous allions prendre du travail qu’auraient effectué les employés
municipaux. Or, il n’en était rien : tous les travaux de la RDQ n’étaient pas accomplis auparavant
par la mairie. Autre argument d’opposition : nous allions créer des emplois précaires quand nous
n’avons créé que des CDI ! Pour le recrutement des employés de la RDQ on a fait des réunions
par groupes d’immeubles. Pour tout ce travail, j’étais avec Elisabeth Panayotis, la secrétaire de
notre groupe d'élus, qui avait créé une association de jeunes :« Cocktail » : ils organisaient
chaque mois un repas dit « bol de riz ». Le dimanche matin ils livraient des croissants et le petitdéjeuner pour faire marcher leur association.
J’arrive au quartier des Pins en 1973, le mouvement associatif est en plein essor à Vitrolles et dans
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toute la France. Ceux qui s’installent aux Pins (la ville a alors 9 000 habitants) sont tous des
trentenaires avec des enfants, il y avait des fêtes !.. C’était l’époque de la Ville nouvelle et on
construisait une nouvelle vie avec le mouvement associatif. Au début des années 1980, de
nouveaux quartiers apparaissent et de nombreux militants quittent les Pins pour aller habiter des
lotissements. Cela se passe ainsi dans toute la France pour les couches moyennes. Restent aux
Pins, essentiellement, quelques militants d'extrême gauche. A partir de 1983, il y a une
satellisation de toutes les forces vives associatives par la mairie, par le biais du système
clientéliste. Au début des années 1990, le mouvement associatif aux Pins est mal en point, déjà.
La RDQ et le CDQ vont redonner un petit souffle. C’est très difficile : la RDQ va régler des
problèmes qui ne sont pas de son domaine. Par exemple des problèmes familiaux : Francine
Muraille va jouer un rôle de médiation sociale au-delà de son rôle de directrice de la Régie.
Patrice Tassel , un religieux, trésorier de la Régie, des religieuses qui font de l’aide aux devoirs,
vont être une composante active de la RDQ. Nous avons le soutien de la famille Hannachi, qui
joue un rôle important dans la communauté maghrébine avec l’AMI (association maghrébine
inter culturelle ) de Mme Marques pour l’amicale des portugais...la RDQ va fédérer tout cela.
Tous ces gens aiment leur quartier, ont le sens du collectif, et ont un peu la nostalgie de la
période où le mouvement associatif est très actif.
Peu à peu, comme dans toutes les villes de France, les cités populaires vont être montrées
du doigt : lieu de délinquance et de drogue. Evidemment, le FN va s’en servir (Christian Barbié,
éducateur de rue de 1983 à 1993 en a témoigné : aux Pins il n’y avait que 4 ou 5 vrais délinquants...
sur une population de 5000 habitants , NDR). Je suis parti en 2001 de Vitrolles, c’était toujours un
quartier calme.
Quelques précisions : dans le Conseil de 1989 tous les élus du groupe majoritaire, et pas
seulement les adjoints ( au début PS, Radicaux, Verts PC, Carrefour 13) avaient une délégation
soit thématique, soit de quartier. Je crois qu'aucun ne cumulait.
Avec le temps, Anglade a commencé à enlever des délégations d'abord aux élus PC, ensuite à
nous. Il y a donc eu, par la force des choses, des cumuls.
C'est ainsi que pendant un an (1992-93) j'hérite en plus de la délégation à l'éducation.... »
Une conclusion amère : « Aucun profit politique... »
« Mon expérience politique vitrollaise est, en partie, un échec puisque nous n'avons pu
empêcher le FN de prendre la mairie. D’autant plus que j’ai le sentiment aujourd’hui que toutes
les leçons de ce moment-là n’ont pas été tirées. Ce sont les mêmes, sauf JJ Anglade et quelques
uns, qui sont revenus au pouvoir municipal, et on me dit qu’ils n’ont pas une pratique différente
de ce qui a été fait par leurs prédécesseurs. Concernant l’association de la population à la gestion
de la ville, que j’avais tentée aux Pins, je n’ai pas l’impression qu’on ait fait des progrès. Si j’ai
critiqué énormément JJAnglade, je me suis toujours senti responsable du fait que le FN ait pris la
mairie et que je n’ai pas réussi à ce que nos idées modifient le comportement de la gauche.
Mais, en tant que militant, je n’ai pas tiré que du négatif : j’ai mis en pratique ce que j’avais
commencé de faire en plus petit au parc Kallisté à Marseille, à la fin des années 60, avec plusieurs
militants de divers courants d’extrême gauche, des prêtres autour de la paroisse de Notre Dame
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Limite, avec le curé de la paroisse, Maurice Cassan, on a créé le "comité d’action et de défense
des habitants du parc Kallisté". Maurice Cassan en était le président. On a mené alors des
actions telles qu’elles étaient un peu partout dans ces années 70 : là où les gens prennent leurs
affaires en mains. Dans la foulée, nommé au collège Henri Fabre, en 1973, avec des classes de
transition, nous choisissons, mon épouse et moi d’habiter au quartier des Pins, par militantisme.
A ce moment-là, le mouvement associatif est très fort aux Pins . L’idée nouvelle des conseils de
quartiers se concrétisera avec le CDQ des Pins qui ne vivra réellement que 3 ans (1990/1993) et
aussi avec la RDQ qui durera 8 ans.
Cela m’a convaincu que la politique n’était pas l’affaire des seuls professionnels spécialistes, mais
l’affaire de tout le monde, et je pense encore cela aujourd’hui.
Nous nous concentrons sur Vitrolles. En 1989, aux municipales, les « refondateurs
communistes », à Marseille avec Lucien Vassal, essaient de nous embarquer sur la liste conduite
par Robert Paul Vigouroux (quelques années après la mort de G. Defferre) nous refusons.
Quelques marseillais qui nous suivent ne feront rien. On continue seuls notre groupe local.
L’essentiel, pour moi, c’est cette expérience de démocratie locale qui a montré que c’était
possible. Le point-clé des CDQ ,ce sont des dossiers traités en amont et non pas à titre
d’information simplement par la mairie. D’autre part, que ces CDQ soient dotés d’un pouvoir
décisionnel et d’un budget pour leur quartier. Je me suis battu pour qu’il y ait une enveloppe pour
les petits travaux de quartier, sous la gestion municipale. Si on ne veut pas changer de société,
autant conserver les procédures actuelles, mais si on veut la transformer, il faut permettre aux
habitants de disposer de pouvoirs réels.
Les militants de Vitrolles, ceux qui le sont restés encore aujourd’hui, n’ont pas digéré tout
ça. L’arrivée du FN nous a rendus tous malades : ceux qui, comme nous, avaient averti la
gauche, ont été accusés par la suite d’avoir crié au loup. Aucun profit politique n’en a été retiré. »
La tristesse de Serge Fabre
Serge Fabre, technicien de laboratoire de chimie, appartient à la génération venue à la vie
politique dans la foulée de Mai 68, du syndicalisme autogestionnaire de la CFDT durant cette
période, et il est adhérent du PSU de 1982 à 1986, dans la même optique.
A ce moment- là, il est enthousiaste :
« Le 1er mai 1986, on fait un 1er mai d’enfer avec Léo Ferré, préparé pendant six mois par les
sections CFDT des communaux, celle d’Eurocopter. Toutes les associations de Vitrolles sont là
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(1 100 spectateurs). » Serge adhère au PS deux ans plus tard à Vitrolles .Son éducation politique
ne le prédispose pas à l’idée d’être élu, aussi vit-il difficilement ce passage d’une culture de
contestation à celle de la gestion d’une ville :« Pour intégrer la liste de JJ Anglade il a fallu que
des camarades de la CFDT passent une nuit, en 1989, pour me convaincre. Je suis élevé dans une
famille de syndicalistes où on pense que le pouvoir corrompt. » Tout est dit. D’autant que la suite
de ses expériences va lui donner raison : conseiller municipal PS jusqu’en 2002, il constate pour
1993 :
« En 1993, la situation a bien changé : il y a eu l’affaire du Stadium, celle de Tapie, la mise en
examen de JJ Anglade pour la location de panneaux publicitaires surfacturés, l’argent allant à une
association de promotion nommée : « Adéquation » dont le siège était au bâtiment « Le
Canovre ». C’est une pompe à fric pour les rocardiens et les joueurs de hand-ball de l’équipe de
Tapie dont un joueur réputé :Richardson payé 80 000 francs par mois.(...) En 1993, lors des
élections cantonales le FN présente Alain Césari et il y a une triangulaire au 2ème tour. Pour la
droite, le docteur Escande se maintient au 2ème tour et Anglade est élu de justesse ( avec environ
180 voix d’écart).Il y a une réunion à Châteauneuf- les-Martigues. Je dis à Anglade qu’il faut faire
quelque chose parce qu’il y a un problème. Il me répond : « tout va bien, tu t’affoles toujours ».
Serge Fabre se rend compte, avec cette anecdote rapportée dix huit années plus tard, qu’il n’est
guère écouté. Il vit cette position avec peine : « Le dilemme pour moi était soit je rue dans les
brancards et je suis inutile à l’extérieur de la majorité, soit je reste et je me tais. (...)Il n’y a pas de
discussion politique à la majorité municipale, ni à la section du PS car Anglade ne le souhaite
pas.. » Il est de ceux qui ont voulu transformer le monde et le voici dans une situation où il n’y a
même pas de débat politique pour savoir quelle attitude il convient de décider dans le collectif
qu’est un parti politique ...La suite est encore plus douloureuse :le voilà l’objet d’une manœuvre
entreprise par le Maire pour éliminer un opposant interne à la majorité municipale :Alain Castan .
Il raconte : « Depuis 1990 je suis élu de quartier du Liourat. Castan ne vote pas le budget et
Anglade lui retire sa délégation des Pins en 1993. Trois quart d’heure avant le conseil Anglade me
l’annonce et me donne ces trois quarts d’heure pour réfléchir. J’aime ce quartier qui fut celui de
mon arrivée à Vitrolles. Je donne mon accord à Anglade qui me répond : « mais il faut que tu
vires Castan puisque la délégation comprend la régie de quartier des Pins qui était gérée par
Castan ». De plus, la directrice de la régie, c’est Francine Muraille qui m’a connu enfant à
Marseille, une amie syndicaliste de mon père, à la CFDT. Je me dis que je vais être contre tous
ces gens-là ? J’étais mal… »Comprendre ces moments auxquels le romantisme révolutionnaire de
mai 1968 n’a guère préparé ceux qui ont cru à des formes d’organisation collectives
émancipatrices, comme l’autogestion. Paradoxalement et de façon pathétique, la Régie de
quartier des Pins conçue dans cet état d’esprit est devenue à ce moment là, un enjeu de pouvoir...
Les gestionnaires de pouvoirs politiques, sont en effet dans cette disposition analysée par
Machiavel dans « Le Prince » (1513) : la politique est une guerre dont le but est d’obtenir et
conserver le pouvoir, lequel ne provient ni de Dieu , ni d’un contrat social mais de la force ou de
la ruse selon les circonstances... Le Maire endosse ce rôle et Serge Fabre en souffre car il n’est
pas dans le registre du pouvoir mais dans celui de l’éthique de conviction...
Sa tristesse se devine encore à travers ce qu’il constate comme élu de quartier du Liourat :
« Dans les quartiers les gens sont satisfaits de la montée du FN, surtout dans les villas, au motif
qu’il y a trop d’arabes. Ils disent par exemple que la Maison de Quartier du Liourat, c’est la
maison des arabes. Je leur réponds « vous pouvez y aller, c’est la maison de tout le monde ».
Réponse :« mais il n’y a que des arabes ».Par la suite ses impressions pessimistes seront
confirmées lorsqu’il raconte ce qui se passe avec la mairie FN lorsque celle-ci décide en juin
1997, d’en finir avec le « Sous Marin » : « Les employés municipaux qui ont muré le café musique
le Sous Marin étaient volontaires : ils avaient été embauchés par Anglade bien qu’il soient
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notoirement d’extrême droite ! Dans cette famille il y avait la secrétaire de la maison de quartier
de la ferme Croze. »
Serge Fabre gèrera avec talent durant bien des années un équipement social d’éducation
populaire : la « Maison pour l’Egalité » que nous créons ensemble en 1999 au quartier des
Pommiers avec l’appui financier du Conseil Général des Bouches du Rhône et de la Région
PACA ,toutes deux gérées par la gauche, quand la mairie FN coupe les subventions à toutes les
associations vitrollaises qui ne font pas allégeance .
Serge Fabre et moi avons un fond commun : l’utopie pour un monde solidaire, chevillée au
corps.
Il en va autrement pour Hélène Barthélémy : combative depuis le début, elle est persuadée que la
gauche n’aurait pas dû perdre la mairie ... Au fond, elle en veut au maire ,qui averti, n’a pas tenu
compte de ce que lui disaient certains élus .Dont elle-même.
« Je ne dis plus bonjour à Jean-Jacques Anglade »
(Hélène Barthélémy élue PS, puis « Carrefour 13 » de 1977 à 1997-
(
« J’ai donné 20 ans de ma vie à la société en étant élue dans cette ville, j’ai touché 4 500
francs par mois pendant 12 ans, ce n’est donc pas l’argent qui m’a guidé, mais le fait d’être utile.
J’ai adhéré au PS à cause des idées de solidarité et de désintérêt qui correspondaient à ma façon
d’être, de concevoir la vie. J’aimais écouter les autres et si possible, apporter du mieux sur le plan
matériel comme spirituel.
Quand on a perdu la mairie en 1997, ça a été pour moi un déchirement, j’ai été
physiquement malade pendant 8 mois. Le médecin m’a dit que « quelque chose ne passait pas ».
J’ai mis donc de la distance et je suis partie de Vitrolles pour habiter à Marseille. C’est
inconcevable pour moi : on n’aurait jamais dû perdre cette mairie. On a été élus au 1er tour en
1989, il y avait 5 listes en présence. Pour les cantonales de 1992, au 1er tour, Anglade est derrière le
candidat du FN, Alain Césari, il est élu au 2ème tour avec 178 voix d’avance sur le FN, la droite
recueillant, avec Robert Escande, 2 294 voix : Anglade est élu dans le cadre d’une triangulaire. Si
en 1989 on a été élusau premier tour , c’est que notre action offensive pour la ville était bien
perçue. En 3 ans, on a abandonné des politiques de fond pour une politique de frime, et les gens
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ont été déçus. Je suis alors entrée, moi-même, en opposition à l’intérieur de la majorité parce que
les élus ont donné des bâtons pour se faire battre.
Le PS avait la majorité absolue au Conseil et ne tenait plus compte des avis des autres,
parfois différents. La majorité des élus de gauche se rangeaient derrière le chef. Quand on est de
gauche, on ne devrait pas avoir ce comportement de petits soldats. Ce phénomène a commencé
dès la fin de l’année 1989.
Stéphane Fouks donnait beaucoup de conseils. Je me souviens entre autres, qu’il nous avait
recommandé en 1991/1992, de ne plus afficher car c’était dangereux à cause du FN et de prendre
des « afficheurs professionnels » ce qui a cassé l’ambiance dans la section du PS. Quand on
affiche, on se retrouve tous à la section, on se partage les quartiers, on se gèle l’hiver, mais quelle
ambiance, quelle convivialité, on finissait toujours avec une « saucissonade » sympathique ! Le
même Stéphane Fouks conseillait au maire de dire « je » : c’est la façon de parler d’un chef
d’entreprise et pas d’un représentant de collectif : les électeurs élisent une liste. Je tenais tête à
Anglade et tous les béni-oui-oui me critiquaient. J’ai quitté le PS après le congrès de Nantes en
1992. Il y a eu en 1991 la guerre du golfe, et aussi à ce moment-là j’ai vu se profiler le social
libéralisme. Le maire m’a retiré mes délégations, mon indemnité d’adjoint et ma voiture de
fonction à ce moment-là. Tous ne m’ont pas tourné le dos, certains étaient mal à l’aise, Anglade
espérait me mettre KO mais je me suis battue. Les épreuves de santé que j’ai connues m’ont
aguerrie.
Aujourd’hui, quand je rencontre à Vitrolles des enseignants et des parents d’élèves qui se
souviennent de mon action en faveur de l’école (les crédits BCD pour les Bibliothèques et les
Centres de Documentation des écoles primaires) ils me parlent encore de cette époque ! Une fois,
je croise un employé municipal qui me dit : « quand vous étiez élue vous avez été la meilleure
qu’on ait jamais eu ! » Pourquoi ? Je pense que nous étions sur le terrain, disponibles, joignables
facilement, on essayait de résoudre les problèmes, et je n’ai jamais promis à quiconque quelque
chose que je ne pourrais pas tenir et je savais dire non. Aujourd’hui encore, des enseignants me
disent « avec vous, on savait où on allait ». Le plus pénible, pour moi élue, c’est de décevoir les
gens, j’ai horreur de les « entortiller ». J’ai été adjointe à l’Education pendant 6 ans et, avec la
municipalité précédente, celle de Pierre Scelles, j’ai participé à la Commission Education et
beaucoup appris de Francine Claret (élue, je crois, apparentée PCF) qui était une femme
exceptionnelle, généreuse, réservée et très dévouée.
D’une façon plus générale, la conclusion que je tire de mes 20 années d’élue à Vitrolles : ne
rien attendre pour soi de la politique !...Essayer de parvenir à servir le plus grand nombre pour
améliorer ce qu’on peut. La gauche doit apprendre à se remettre en cause. On peut lui reprocher
beaucoup de choses, mais, malgré tout, ça n’a rien à voir avec ce qu’est la droite ! »
Chacun à gauche a un point de vue sur ce qui s’est passé, on peut le concevoir aisément.
Aucun n’est négligeable et j’ai bien pris soin de ne pas introduire une « hiérarchie » entre les
témoignages .Je livre ensuite la version détaillée d’un homme qui a eu pratiquement de bout en
bout la charge des finances de la ville. Il fut instituteur, directeur d’écoles, comme de très
nombreux cadres politiques du PS, élus à diverses fonctions pour cette génération politique. Et
pour les précédentes générations également : les enseignants, depuis la IIIème République ont
tenu ce rôle . Issus du peuple pour la grande majorité d’entre- eux, anciens bons élèves euxmêmes, ils ont largement contribué depuis les lois scolaires de Jules Ferry en 1881 ( gratuité ,
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obligation ) à la construction de la République et, parallèlement à leur métier, créèrent et
s’engagèrent très nombreux dans les mouvements coopératifs ,mutualistes, syndicaux,
d’éducation populaire, de sports et de culture pour tous .Jean-Louis Archevêque, né à Marseille
en 1942, est de ceux-là.
Jean-Louis Archevêque, Instituteur et adjoint PS
aux finances.
« Faire une analyse des mandats que j’ai vécus auprès de JJ Anglade, relève de la
quadrature du cercle. En effet, elle ne peut être que très différente suivant les critères qui entrent
en jeu de mon point de vue et qui ne peuvent être que relativisés du fait du prisme déformant au
fil des années. Ce qui peut être une « évidence » au départ par conviction, l’expérience ne peut
en induire que le « doute » au fil des années.
Mais essayons de rester objectifs, autant que faire se peut. En gros au cours des 20 années
que j’ai passées dans les microcosmes municipaux, je n’ai pu que constater sans pouvoir la
maîtriser, l’évolution qui me paraît irréversible, des « savoir-faire » au dépend du « savoir être ».
Dans les années 70, un élu qui avait des convictions pouvait les imposer à une
administration, somme toute assez docile, même si on voyait déjà poindre l’argument choc
du : « les élus passent, l’administration reste… »
Du fait de la Décentralisation, les données sont devenues de plus en plus complexes et
l’administration a su s’adapter rapidement aux nouvelles conditions. Les élus n’ont pas suivi
….faute de temps, de moyens et peut être parfois de compétence.
J’ai été frappé, dans un premier mandat, par la cohérence politique du Maire et de ses
adjoints. Mais, il a fallu que la gestion de la ville qui était « familiale » au début, devienne une
véritable affaire de « spécialistes ». On a multiplié les chefs de service, étoffé la « haute
administration », fait du Secrétaire Général un Directeur Général des Services, l’interlocuteur
privilégié du Maire .
De fait, peu à peu, l’influence des Adjoints, techniquement moins armés, moins formés
ou formatés, a été érodée. L’exemple frappant a été lorsqu’en 1993, le retrait de délégations
majeures et la mise sur la touche, de délégations techniques (personnel et finances) dans
lesquelles par formation syndicale ou technique, les adjoints étaient impliqués et intervenaient
directement auprès des services, sans se soucier le moins du monde de la sacro-sainte hiérarchie
administrative….
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Monsieur « le directeur général des services » ne pouvait admettre cette ingérence…Que
devenait son autorité et par la même celle du Maire, si la hiérarchie n’était plus respectée ?…
La situation est devenue ubuesque lorsque le Cabinet du Maire a explosé en 96, certains
membres étant « liquidés », d’autres vaguement chargés de mission étaient devenus « missi
dominici » et le chef de cabinet ne provenait que d’une transmutation d’un membre du service de
la culture au grand dam de Guy Obino qui était alors délégué de ce secteur…
Mais que devenait donc le groupe majoritaire et qu’allait- il faire dans cette galère ?….Ils
ont joué plus ou moins les moutons de Panurge et ce qui devait arriver, arriva…Le gouffre du
Front National les attendait, il les a englouti…
Ce réflexe grégaire, on pourrait penser qu’il n’a joué que dans ce cas précis, mais nous avons eu
un exemple encore plus frappant ces dernières années alors que Guy Obino est devenu Premier
Magistrat en 2002. Réélu en 2008 et ayant pris conscience de l’influence qu’avait prise un groupe
de son cabinet sous le contrôle direct de celui de Jean Noël Guérini (président socialiste du
Conseil Général des Bouches du Rhône depuis 1998 puis sénateur-JNG en abrégé) , avec la
complicité du Premier Adjoint, il avait tout bonnement destitué celui ci, licencié la Directrice de
cabinet et pris ses distances avec le Président du Conseil Général et ses proches. Selon ses
propres termes, il n’entretenait plus que des rapports « d’insularité » avec Guérini (tous les deux
sont corses )….et n’avait plus aucun contact avec l’administration et les élus sauf par le biais du
DGS devenu n°2 après le Maire qu’il représentait très souvent officiellement en lieu et place des
adjoints.
,
A décès de Guy Obino, c’est pourtant Jean-Noël Guérini qui a pris les choses en mains et
a désigné « manu militari » le nouveau Maire de Vitrolles…Et que pensez-vous que fit la majorité
du Conseil Municipal : comme un seul homme elle a obéi aux injonctions...Un seul a essayé de
protester …il a depuis été obligé de démissionner ! C’est Philippe Gardiol. (on lira plus loin son
témoignage, NDR).
Ce n’est pas pour prendre parti dans cette affaire, mais elle démontre comment des élus
peuvent se trouver devant le fait accompli sans pouvoir, et pour tout dire sans vouloir affirmer
une volonté politique…
Autre exemple : l’intercommunalité : le Conseil Municipal élit un certain nombre de
membres qui le représentent à la Communauté du Pays d’Aix. Mais, d’une part, faute de moyens,
ils ne peuvent pas analyser les dossiers…L’Administration le fait pour eux, communique au
Maire ses choix, lequel Maire indique aux délégués communautaires de quelle manière, ils
doivent voter…Aucun retour n’est fait au Conseil Municipal qui de ce fait, devient une chambre
d’enregistrement….Ubu règne en maître lorsque des élus communistes vitrollais attaquent au
tribunal administratif, une délibération de la Communauté du Pays d’Aix , votée par l’ensemble
des élus vitrollais et qu’ils obtiennent gain de cause….
20
Mon but n’est pas d’attaquer la municipalité actuelle, mais de démontrer que ce qui arriva
en 1997, peut très bien se reproduire dans les années à venir. Le Maire de l’époque JJ Anglade, a
eu sa part de responsabilité, j’ai eu la mienne puisque je n’ai pas su le convaincre qu’il existait
d’autres solutions .Mais il faut bien reconnaître que mes collègues du Groupe Majoritaire au
Conseil ont fait preuve à mes yeux d’une inertie tout à fait regrettable…..pour ne pas dire
coupable..
Ce n’est pas le Front National qui a conquis la mairie de Vitrolles en 1997, c’est nous élus,
de tous bords, qui l’avons perdue.
Il n’en reste pas moins, qu’avec tous ses défauts, ses erreurs parfois, JJ Anglade et sa
municipalité ont construit une ville et lorsqu’on en fait le tour, les plaques qui commémorent
l’ouverture des équipements, font systématiquement référence à cette période. Les écoles, et
c’était un vrai choix, ont fait l’objet, avec l’éducation en général, d’un soin particulier. Des
innovations pédagogiques ont été soutenues et souvent impulsées par des efforts budgétaires
incontestables. Le sport a régné sur Vitrolles jusqu’à devenir la ville la plus sportive de France, la
vie sociale et associative a fleuri comme jamais par le biais des équipements et des subventions .
Même le principe « ville nouvelle » si contesté aujourd’hui, a tout de même permis à beaucoup de
Vitrollais de devenir propriétaires à des coûts et conditions très abordables et pourquoi le taire, à
faire ensuite , parfois, des plus- values impressionnantes, même si tel n’était pas l’objectif. Il faut
bien reconnaître que depuis 1997, plus aucune réalisation d’envergure n’a été réalisée à tel point
qu’une conseillère municipale déclarait, il y a quelques jours, en parlant de la modeste Maison de
Quartier des Vignettes : « Enfin du concret » et cette élue appartient à cette municipalité depuis
2002 !
Quoiqu’on en dise et quoi qu’on en pense, la Municipalité de JJ Anglade a laissé aux
Vitrollais une ville imparfaite mais qui a le mérite d’exister et elle leur appartient : aux jeunes de
prendre la relève et de la remettre à leur image.
Ils ont « le pain et le couteau » et l’Avenir leur appartient. » ( lettre à l’auteur, avril 2012).
21
« 25 ans de ma vie ... »
Marc Grand, syndicaliste CGT et premier Adjoint
PS (1983-1995)
« Qu’elles sont les motivations qui vont me conduire à consacrer 25 ans de ma vie à l’action
syndicale puis politique au détriment d’un confort familial et professionnel ?
Tout d’abord, transmise par mon père, une certaine idée de la République, émancipatrice et
protectrice doublée d’un vif intérêt pour ce qu’on appelle communément « la politique »
Je le revois, l’oreille tendue vers le poste de TSF qui grésillait, écoutant aux informations la chute
éminente de Dien Bien Phu ou l’élection à la présidence de la République de René Coty après de
multiples tours de scrutins. Bref, par je ne sais quel mécanisme sélectif de la mémoire j’ai retenu
le début de la fin de la IV° et celle de la période coloniale.
Adolescent, un antifascisme viscéral m’animait. Par respect pour la mémoire d’un grand oncle
fusillé et d’un second qui fit 10 ans dans les geôles franquistes, j’ai toujours refusé d’aller en
Espagne avant le retour de la démocratie. Bien entendu avec l’aplomb de mes 16 ans j’ai pris fait
et cause pour l’indépendance de l’Algérie non sans avoir été quelque peu secoué pendant l’été 62
à l’arrivée des rapatriés. Episode vécu pendant mes vacances à Port la Nouvelle (Hérault).
Après un compagnonnage avec le PSU, en octobre 1974 au cours des « assises du socialisme »,
j’adhérais au PS.
Dans les années 70, militer à la CGT dans les quartiers Nord tout en étant membre du PS n’allait
pas de soi. Pour l’anecdote je me souviens d’un copain vivement admonesté dans les locaux de
l’UL-CGT des Crottes au motif qu’il avait le quotidien « le Monde » dans la poche. Et pour
aggraver paradoxalement mon cas j’étais un tenant de « l’union de la gauche » dans une
approche dialectique pour reprendre la terminologie de l’époque. Pour faire court, je rêvais d’un
« congrès de Tours » à rebours. Mais qui sait !
A vrai dire l’action syndicale m’ennuyait. Je faisais le job comme on dit aujourd’hui, j’avais la
confiance des travailleurs mais j’aspirais à d’autres horizons. C’est ainsi qu’en janvier 1976 nous
sommes arrivés en famille à Vitrolles avec pour ce qui me concerne une idée en tête. Participer à
la vie de la cité.
Aux municipales de 1977 je suis déjà candidat mais « débarqué » au second tour de la liste
d’union de la gauche. Qu’à cela ne tienne, la prochaine sera la bonne. Et effectivement en 1983 je
suis élu au poste de 1° adjoint.
Et là je découvre un territoire, celui de la commune, aux multiples champs et surtout une
population en l’occurrence de condition modeste pour l’essentiel venant par vagues successives
habiter une agglomération en pleine expansion. Mais « les trente glorieuses » sont déjà derrière
22
nous. L’histoire est connue ! Certes il y a « les pionniers » qui accèdent à la propriété dans une
ville aux équipements multiples et qui participent à une vie associative et culturelle dense.
Mais arrivent également les futurs « assiégés ». Malgré un nombre d’emplois conséquent dans le
bassin, le chômage restera toujours élevé. « L’écume des jours » faisant le reste, si je puis me
permettre cette référence littéraire, lors des élections européennes de 1984 le score du FN à notre
grande stupéfaction et incompréhension est élevé. Bien au-delà de la moyenne nationale réalisée
par ce parti. De part sa spécificité la ville de Vitrolles a été confrontée par anticipation à un
problème qui va au fil des décennies empoisonner la vie politique et depuis les récentes
Présidentielles (2012) concerner l’ensemble du territoire.
Pendant douze ans je vais me consacrer pleinement à mon mandat. La tache est immense,
dévoreuse de temps et d’énergie, mais passionnante. Oui, c’est cela je vais vivre une véritable
passion avec la commune au grand dam parfois de mon épouse! Certes il y a des moments de
découragement, de solitude et d’interrogation comme par exemple :« mais que veulent –ils ? »
d’autant que le verdict des urnes n’est pas toujours d’une grande lisibilité. Mais c’est la loi de la
démocratie. Il faut savoir être pragmatique sans perdre de vue le but à atteindre et tout en
conservant profondément ancré en soi, ses convictions.
La quadrature du cercle ? Pas sûr! Une dernière chose. J’ai été élu deux fois mais jamais sur mon
propre nom. Certes je pense avoir fait mon travail mais cette aventure, car s’en est une, je la dois
a celui qui portait la responsabilité de la liste, à savoir :JJ Anglade. » (lettre à l’auteur ,mai 2012).
Les combats de la gauche se confondent avec ceux de l’ humanisme .Issu de la Renaissance , du
siècle des Lumières, de 1789, 1830, 1848, La Commune de Paris ,l’école publique ,Picasso ,René
Char, Aragon ...le Conseil National de la Résistance ,Jean Vilar ,le théâtre populaire et la création
du Festival d’Avignon en 1947...
Le livre, le spectacle vivant, la culture... sont consubstantiels de l’existence même de la gauche
depuis deux siècles. Pas étonnant qu’on trouve à Vitrolles gérée par la gauche une vraie aventure
culturelle dont je ne donne que quelques éclats de vie ...Avec ce qu’ils en disent eux-mêmes.
23
Dominique Yousef
Une militante de la culture pour tous…
« Mon travail, les premières années, a consisté à monter tous les fonds jeunesse dans les
deux bibliothèques de la ville et le bibliobus qui faisait la tournée des quartiers excentrés. On
travaillait avec les établissements scolaires notamment avec ceux des quartiers défavorisés.
Responsable des animations, j’ai fait venir des écrivains, des illustrateurs de BD et de livres, des
conteurs aussi et les ai introduit dans toutes les écoles. Il y avait aussi des soirées avec des
conteurs rassemblant les parents et les enfants dans des ambiances chaleureuses. Ils allaient dans
les centres aérés, les bibliothèques, les MDQ. On a fait venir Rolande Causse qui a écrit sur la
déportation, Thierry Lenain qui a créé la revue « Citrouille », revue critique de livres pour enfants,
Pierre Gamarra, écrivain engagé pour adolescents, Luis Sepulveda, le grand écrivain chilien,
Marie Rouannet, Nicole Ciravegna, Pierre Magnan au club de lecture, Jean-Claude Izzo, Henri
Gougaud, conteur connu qui avait fait salle comble à Fontblanche. On avait un public fidèle.
J’avais fait venir un conteur vendéen qui raconte des histoires d’aujourd’hui, mais très
universelles. A la fin de la soirée, une petite fille maghrébine vient me voir avec son père,
probablement analphabète :il avait cependant tout compris des histoires d’une région qu’il ne
connaissait pas. Une soirée me reste en mémoire, organisée au quartier des Pins, avec une
conteuse libanaise Praline Guepara, a été particulièrement réussie : à la fin, une association du
quartier avait préparé un couscous pour tout le monde et c’était au moment où le FN est en
pleine ascension, en 1995. A la fin, cette conteuse qui se produit partout m’a dit « c’est la plus
belle soirée que j’aie connue ». En effet, cette manifestation littéraire était vécue comme une
mobilisation contre le FN, Alain Castan et Abdou Hamri, le directeur de la MDQ des Pins
avaient conclu par des discours faisant l’éloge de l’amitié entre gens différents, les services
municipaux, les associations. Pour l’inauguration de la bibliothèque de la Frescoule, on avait fait
venir le bassiste de Georges Brassens, Pierre Nicolas. On a eu aussi, à la fin des années 1980, des
programmes de lutte contre l’illettrisme. On a voulu monter dans cette optique un projet « ville
lecture », mais qui n’a pas été soutenu par la majorité municipale car JJ Anglade n’a pas voulu
reconnaître la réalité de la ville, où les jeunes des quartiers populaires ne s’intéressaient guère à la
culture et avaient des problèmes scolaires. Il voulait que tout le monde soit beau et sportif,
comme il était lui-même. Ainsi, il n’aimait pas qu’on emploie dans les documents écrits le mot
illettré, il lui préférait un terme barbare : mal lettré. D’autre part, il ne voulait pas que les
bibliothèques participent à l’aide aux devoirs, quand les enfants venaient dans celles-ci
rechercher des documents, à une époque où Internet n’existe pas. Il voulait que cette aide ait lieu
uniquement dans les MDQ. Par contre, la DRH de l’époque, Mme Massu –Dugard , avait
constaté que, parmi le personnel municipal, il y avait des demandes de formation à l’écriture et
elle avait aiguillé ces personnels vers des centres de formation spécialisée dans la re-médiation
cognitive, durant 3 ans. Nous étions très impliqués dans la ville car nous y construisions notre
vie, nous, les cadres municipaux, avions tous moins de 30 ans et y élevions nos enfants donc nous
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y étions très engagés humainement. Aujourd’hui, la grande majorité des cadres de la ville n’y
résident pas. A la MDQ des Pins, j’avais organisé un atelier d’écriture pour les femmes, pas du
tout soutenu par la mairie. La bibliothèque était aussi un lieu de réconfort personnel pour des
enfants qui étaient mis à la rue par leurs parents, d’autres venaient y trouver un appui culturel car
chez eux, ils faisaient le ménage et la garde des bébés.
Les adolescents venaient en petits groupes pour préparer des exposés pour la classe, parfois
cela dégénérait en chahut et on intervenait, cependant nous étions dans la compréhension.
D’autres venaient par désoeuvrement et ça tournait mal et ce n’était pas facile à gérer. Par ailleurs
on avait des lecteurs qui étaient perturbés, c’était au moment où l’intolérance montait : ils
trouvaient que ces jeunes basanés les dérangeaient et nous devions aussi gérer ces situations.
Nous avions un cahier de suggestions dans la bibliothèque pour les acquisitions et on trouvait
des commentaires sur les jeunes « mal élevés et perturbants ».
Je suis devenue bibliothécaire parce que j’aimais les livres et la lecture, et aussi, m’occuper
des plus petits, j’étais l’aînée dans ma famille. Je me suis donc intéressée à la lecture pour
enfants. Puis, je me suis occupée d’animations autour du livre, j’ai reçu des écrivains et c’était
gratifiant pour moi car ils transmettaient quelque chose. La lecture c’est comme une petite graine
et peut-être qu’une lecture, une rencontre, va orienter la vie. Aujourd’hui je crois encore à cela.
J’ai connu mai 68, avec mon frère, et dans les 3 mois qui ont suivi ce bouleversement j’ai
rompu avec mon éducation catholique. A l’automne 68, j’ai connu Jean-Claude Izzo et des
marxistes, dont des pères dominicains très à gauche, on avait des week-end d’étude, j’étais
attirée par le trotskisme, mais je n’étais pas adhérente d’un parti. Je lisais « Politique Hebdo ». A
Vitrolles, j’adhère à la CGT de base et pas à celle des cadres. J’ai fréquenté Alain Castan et
« Carrefour 13 » et j’ai fait des campagnes politiques avec ceux-là. Au moment où le FN prend la
mairie, je suis au Mouvement DémocratiqueVitrollais avec Simone Bessade. On était tous en
ébullition et on allait à toutes les réunions pour essayer de savoir ce qu’on pouvait faire contre le
FN. J’ai fait partie de la liste conduite par Alain Hayot, et nous avons, longtemps à l’avance,
préparé cette campagne de 2001 avec, notamment, des espaces-citoyens. Après l’annulation des
élections de 2001, l’été 2002 j’ai fait partie de la liste unique de la gauche dirigée par Guy Obino,
j’avais demandé à être « un peu bas » sur la liste mais j’ai été élue. J’étais toujours « société
civile » et proche des communistes. Le lendemain de mon élection, j’ai appelé Cathy Cau pour lui
dire que je voulais être apparentée au groupe communiste. Pour le mandat suivant, 2007, je
franchis le pas et j’adhère au PC, je suis plus haut dans la liste car Obino me parle d’un projet de
médiathèque auquel il voudrait que je sois associée. J’admire le dévouement des militants
communistes qui ne sont pas opportunistes. » (lettre à l’auteur , mars 2012).
Vitrolles, ville nouvelle avec une population à majorité jeune ces années –là (44%de la
population a moins 25 ans en 1990) a suscité des vocations de créateurs. On verra comment la
rencontre d’un lieu en sous-sol , parfois envahi par l’eau ,la compréhension d’un élu attentif aux
jeunes ,Marc Grand , l’envie des jeunes de se prendre en mains, aboutit à la création d’un lieu
symbolique : le café- musiques « le SOUS MARIN » .
Le FN parvenu au pouvoir municipal va s’acharner à le détruire ...il deviendra l’un des
symboles nationaux de la résistance culturelle aux Mégret comme on le verra dans la troisième
partie. Quand on écoute Loic Taniou , cheville ouvrière, on comprend que l’aventure du Sous
Marin est une recherche de musiques qui plaisent aux jeunes mais aussi une intuition :se
retrouver dans ce lieu, n’est pas se retrouver « en boîte », mais rechercher des issues esthétiques
25
alternatives .Comme le furent d’une autre façon les « Hot Club » à Marseille pour la diffusion du
jazz des années 40 aux années 70 .(4)
Loic Taniou , le « Sous Marin »
Une aventure artistique alternative par des jeunes
Deux copains de lycée, Thierry Curbelié et Loic Taniou aiment le rock alternatif. Ils se lancent
dans une aventure de diffusion artistique, durant les années 80... jusqu’à ce que leurs audaces
créatrices soient cassées un samedi matin de juin 1997 par la mairie FN...Leur local a donné son
nom à l’association .Il était en face du lycée Pierre Mendes France. A 100 mètres.
« J’ai commencé avec une bande de copains à Vitrolles au lycée Mendès France, en 1986/1987,
on a fait une émission à Radio-Galère à Marseille, après un concert que j’ai organisé pour un
départ à l’armée d’un ami à Vitrolles. Je participais à des émissions radio pour le rock alternatif
inspiré du mouvement punk. En 1987, on organise un concert avec Radio-Galère, contre le
racisme et pour le droit à la libre expression de la jeunesse à
Vitrolles, à la salle des fêtes. Un groupe prévu n’ayant pas pu venir, on l’a remplacé par 4 autres :
Parabellum, B.Vice… On s’est montés ensuite en association et on organisait des concerts dans
la salle Gilles Camus, près de la mairie, toute tagguée et on a eu envie de la repeindre. On était
aidés financièrement par la ville, on avait de bonnes relations avec Anglade, on aidait les groupes
de rock vitrollais à répéter (entre 7 et 10 groupes). Il y avait un artiste intervenant qui les aidait
aussi. Ensemble, on organisait des soirées à thèmes. On voulait ouvrir un lieu autogéré, c’était lié
au mouvement « punk » de 1977 et dont la devise était : « fais-le toi-même ». Cette salle était un
peu abandonnée, pas très jolie, utilisée pour des « boum » de temps en temps. Un jour, on croise
Marc Grand, le 1er adjoint sur la place Nelson Mandela, on l’interpelle et on obtient de la peinture
du centre technique municipal. A l’époque, il avait la délégation de la jeunesse et il nous a
toujours aidés. A partir de là, on a été soutenus. Lorsque Jack Lang, ministre de la culture, lance
l’opération nationale de construction de 100 cafés-musique, dans les années 90. On était tous
bénévoles, on bâtit un projet dans le cadre du cahier des charges de cette opération et on est
soutenus par la Direction régionale des affaires culturelles (Drac), dont les directeurs successifs
nous ont vraiment aidé, écouté et soutenu. On a été moins d’une dizaine à monter le cafémusique « Le Sous-marin » avec sons et lumières. Notre association qui s’appelait « Destination
demain » se transforme en « Les productions du Sous-Marin ». En 1994, on inaugure le SousMarin (SM) qui a 350 places. On était 3 salariés, au départ en contrats aidés. On l’appelle ainsi
car c’était une salle souterraine, et à cause d’une nappe phréatique, elle était souvent inondée ! Le
service technique de la mairie l’appelait comme cela et on a continué car c’était la culture
« underground », la chanson des Beatles… Le maire nous a fait observer que le nom de la salle
(Gilles Camus) était celui d’un jeune, mort en cyclomoteur. On l’a convaincu de changer ce nom
car il était difficile de le conserver pour un lieu festif. On organise donc des soirées avec des
groupes américains, espagnols, allemands, français et des têtes d’affiche. Ca permettait aux
jeunes vitrollais d’avoir un lieu de sortie et de rencontres qui manquait. Il y a même eu des
mariages grâce au SM ! (...)
26
Dans la foulée de cette entreprise Loic devient conseiller municipal dans la majorité de gauche en
1995, élu à la jeunesse.
« Je trouve Anglade intelligent et fin, peut-être trop sportif et pas assez cultivé. Il y avait des
choses intéressantes : le dessinateur de BD, Beaudoin, en résidence à Vitrolles, avait réalisé avec
le soutien de la DRAC une BD sur Vitrolles. C’était assez noir et Anglade n’avait pas aimé. Moi,
je votais en mon âme et conscience, sans calcul politique, et j’ai voté contre une subvention à
l’équipe de hand-ball de Jean-Claude Tapie. Il y a eu d’autres débats intéressants comme celui de
la construction d’une mosquée à Vitrolles, qu’Anglade avait défendu malgré la pression du FN. Il
y avait aussi beaucoup de divisions internes au PS. Cependant, je ne pensais pas à ce moment-là
que les vitrollais voteraient autant pour le FN ! La crise sociale se conjuguait avec des difficultés
à payer l’accession à la propriété de nombreux vitrollais. Et aussi, un urbanisme loupé qui a
engendré un mal-être. A la fin il y a eu un projet de ville discuté dans les quartiers, mais il venait
bien tard et les espaces verts qui restaient ont été mangés par les constructions et les parkings. »
Pas loin du café –musiques, il y a le cinéma « Les Lumières » .Régine Juin, sa directrice va faire
aimer le cinéma d’auteurs aux Vitrollais...
Régine Juin ,
l’âme du cinéma à Vitrolles.
C’est elle qui ouvre une nouvelle salle, gérée par une société d’économie mixte où la mairie est
majoritaire. Nouvelle salle et nouveaux publics avec des actions qui se succèdent au fil des ans
pour faire venir le public jeune les mercredi après midi, et, par eux, les familles ensuite... Car déjà
les salles de cinéma connaissent les concurrences de la télé, des magnétoscopes et des vidéo
chez soi...L’image a déjà trouvé alors, depuis plus de 10 ans, d’autres canaux que ceux des salles
publiques...Les « ciné-club » de ma jeunesse où l’on peut rencontrer les réalisateurs, participer à
des festivals thématiques...Régine y croit toujours .Comme aux films d’auteur. Au bout de ses
inventions, de ses efforts pour inciter à venir voir des films , Régine réussit. Le FN mettra fin à
son expérience, comme à bien d’autres aventures et espoirs vitrollais en 1997.On verra plus loin
comment.
Elle parle avec modestie de son amour du cinéma : un plaisir qu’elle sait faire partager...
« Les joyaux que sont certains films, il me paraît important qu’ils soient vus dans les petites villes
et pas seulement dans les grandes villes universitaires. C’est cela que j’ai travaillé au corps.
Vitrolles est située dans une zone de forte concurrence, entre deux grandes villes. Quand je suis
arrivée à Vitrolles en 1986, venant d’Aix, j’ai trouvé un public moins cinéphile, pas étudiant. Il y
avait un noyau de fidèles qui appréciaient les soirées avec des réalisateurs et par ailleurs, il n’y
avait pas grand monde, comme dans toutes les petites villes. Il faut travailler chaque film, chaque
horaire, avoir des idées en permanence. J’ai été soutenue par deux élues : Christiane Souchon et
Hélène Barthélémy. Les enseignants, comme la plupart des cadres, n’habitent pas la ville et, en
dehors des séances scolaires où je les rencontre régulièrement, je ne les voyais pas beaucoup. Par
contre, il y a énormément de jeunes les mercredis après-midis aux « après-midis jeune public »,
car, durant ces années-là, il n’y a pas la concurrence du complexe « Pathé » de Plan de
Campagne. Les jeunes sont venus jusqu’en 1997.
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J’ai mis plusieurs années à faire connaître ce que je faisais : les habitudes étaient d’aller au
cinéma à Aix. Quand les gens se sont aperçus qu’ils pouvaient voir les mêmes films que les salles
d’art et d’essais d’Aix, ils sont venus aux « Lumières ». Au départ, quand je passais des films en
même temps que leur sortie nationale, on me demandait si c’étaient les mêmes ! Néanmoins, le
public populaire, familial était présent : au début, on emmène les enfants, et après on va voir un
autre film pendant que les enfants voient un film pour eux.
Ce qui me soutient d’abord c’est mon amour pour le cinéma, qui est un art populaire,
pluriel et ça me plaît encore d’aller au cinéma. Je suis ma propre spectatrice. Je ne pourrais pas
faire autrement que partager mon goût pour le cinéma qui est aussi une politique culturelle dans
une petite ville. J’ai l’impression d’avoir une petite influence sur les choses, donner du bonheur,
faire du plaisir partagé. Le vendredi après-midi avant la séance quand j’achète des gâteaux au
chocolat, j’ai des angoisses, en pensant qu’il va y avoir 30 personnes, et après la séance je ressors
regonflée pour 15 jours. J’ai un public qui me renvoie une image de moi très positive, narcissique.
Ce que je donne, on me le rend. Sur le cinéma, le public « Art et Essais » a vieilli, les statistiques
nationales le disent : plus de 50 ans, une majorité de femmes, majorité de public universitaire,
lecteurs de Télérama.
Quand je suis partie de Vitrolles, en 1997, le cinéma « Les Lumières » est fermé jusqu’en
2004, puis vandalisé. Il faudra 500 000 euros du Conseil Général pour le remettre en état. Je
regrette que la municipalité Obino (PS), en 2002, quand le FN est battu , ne prenne pas de
position publique pour faire constater ces dégâts du FN à la population. » (entretien avec
l’auteur, avril 2012)
Note : Régine Juin sera licenciée par la mairie FN en juin 1997 pour « refus d’obtempérer » : elle a
refusé de déprogrammer un festival de courts métrages sur le SIDA (déjà passés sur « Arte »),
comme le lui demandait l’élue FN à la culture, Mme Brigitte Marandat. Le 3 décembre 1999,
après deux ans et demi de procédure, le conseil des Prud'hommes de Martigues s’est prononcé.
.Il a décidé que le licenciement de Régine Juin était dépourvu de « cause réelle et sérieuse ».Il a
accordé à la plaignante 120 000 F de dommages et intérêts et 10 000 F pour les frais de procédure.
Les Maisons de quartier ,ou comment créer des liens
sociaux...
Jïn Nersessian, Pâquerette Villien
Dans une ville les liens sociaux ne vont pas de soi. Surtout dans une ville nouvelle où sont
arrivées récemment des populations qui n’ont aucune histoire commune, dont une proportion
importante travaille hors de la ville. Les écoles primaires sont des points de rencontre de
quartiers pour les parents d’élèves , des histoires se nouent autour des enfants. Et pour les très
nombreux adolescents, les personnes sans enfants scolarisés ,les retraités ?..On trouve les
Maisons de Quartier.
On imagine mal ce qu’est une ville nouvelle « polycentrée »... des quartiers sans liens les uns aux
autres, une organisation socio-spatiale qui ne favorise pas les contacts entre les habitants.
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Pour tenter de résoudre cette difficulté, la municipalité va utiliser un modèle éprouvé depuis le
Front populaire en 1936 : par les mouvements associatifs et d’éducation populaire (les Auberges
de la Jeunesse , les Centres d’entrainement aux méthodes d’éducation active –CEMEA- Léo
Lagrange ,premier sous- secrétaire d’état aux sports et aux loisirs du gouvernement Blum ... ) en
créant des lieux de rencontres et d’activités diverses pour tous : la création de Maisons de quartier
répond à ce souci bien compréhensible quant on ne se résigne pas à une « ville-dortoir «
En 1986 la Mairie crée ainsi les maisons de quartier de ferme de Croze et des Pins... Il s'agit
d'animer la vie des quartiers avec les habitants. : Fêtes de quartier, foyer socio-éducatif pour les
jeunes. En 1989 est créé la maison de quartier du Liourat. Et en 1990 sont ouvertes les maisons de
quartier de la Frescoule, des bords de l'étang, des Pinchinades et du Roucas et enfin celle des
Hermes en 1991.. Dans chaque maison de quartier on trouve un accueil administratif, un accueil
éducatif pour les enfants de six à 12 ans, des ateliers d'expression sportive culturelle et
scientifique, les actions de Graph en partenariat avec le SITEEB-la société des bus de l’Est de
l’Etang de Berre- (les bus Grafés et des expositions), des actions de prévention de la santé et de
la toxicomanie, des actions de sortie pour le week-end et les petites vacances des jeunes et enfin
des opérations pour la réhabilitation du patrimoine naturel.
Selon l'adjoint au maire délégué au quartier de ferme de Crozes, Jïn Nersessian :
« Avant 1986, un grand nombre de jeunes couples avec des enfants en bas âge se sont retrouvés
sur les rives de la Cadière , avec la ferme intention de faire vivre notre quartier. C'est grâce à la
ténacité sans faille de ces nouveaux arrivants vitrollais, véritables pionniers de la ville nouvelle et
à la volonté municipale, que la ferme de Croze a été restaurée, pour devenir la maison de quartier.
À la faveur de cette effervescence humaine, des associations se sont constituées autour de ce qui
était à l'époque un projet commun de convivialité.
Aujourd'hui, ces mêmes bénévoles et d'autres qui s'y sont joints continuent à faire vivre la
maison de quartier en concertation avec son personnel permanent.
Ce sont ces mêmes bénévoles qui m'ont encouragée à les représenter au sein du conseil
municipal depuis 1989. Après avoir fait un bout de chemin en tant que bénévole associatif, je suis
depuis cette époque leur interlocutrice privilégiée dans leur dialogue avec la municipalité.
Militant associative ou élue municipale, je reste convaincue que c'est parce que les bénévoles
continuent à s'investir, que nos maisons de quartier nous font aimer Vitrolles. », écrit Jïn
Nersessian, le 11 décembre 1996 dans une publication municipale pour les 10 ans des maisons de
quartier.
Dans un entretien avec l’auteur, 15 ans plus tard , elle ajoute qu’elle a rencontré beaucoup de
difficultés mais qu’elle est parvenue à persuader ,notamment, le directeur de l'école de musique,
un vieux monsieur à l’époque, de mettre en place une école de rap qui a pris une ampleur
extraordinaire : « JJ Anglade m'a soutenue à fond . J’ai été la marraine du café –musiques le
« Sous-Marin » que j’ai ouvert avec Jack Lang et organisé en 1995 une « Fiesta des sud » à
Fontblanche qui a connu grand succès. »
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A peine plus d’un an avant la date fatidique des élections de février 1997,des élus de la majorité
de gauche perçoivent des difficultés dans les Maisons de quartier . René Agarrat et la direction
du service prennent contact avec l’Agence de développement et études –urbain et social
(ADEUS) dirigée par un universitaire, sociologue à Aix en Provence , Salva Condro.
Mylene Frappas en a fait partie, ses observations nuancent les remarques de Jïn Nersessian.
Elle est éducatrice puis cadre à Marseille au sein d’une association spécialisée dans la prévention
et la lutte contre la toxicomanie. En septembre 1996, elle fait partie d’une mission d’étude des
maisons de quartier, pour cette agence .Seize ans plus tard , voici ses conclusions .
« Au cours d’une mission de chargée d’étude à l’ADEUS (Agence Développement Etudes-
Urbain,Social) j’ai contribué à une étude commanditée par la Ville de Vitrolles.
La demande émanait d’un adjoint au Maire (René Agarrat) et de la direction des Maisons de
Quartiers de Vitrolles dont une grande part du personnel a fait partie de la charrette de licenciés
lorsque le FN a pris la mairie.
Pour cet élu, dans une période pré- électorale, il s’agit de réfléchir et mettre en perspective le
lien de l’équipe municipale en place avec les populations des différents quartiers populaires de
la Ville. Cette étude devait notamment permettre d’apprécier la satisfaction de la population par
rapport à l’offre de service municipale dispensée par les établissements sociaux et culturels
municipaux présents sur chacun des quartiers et envisager comment ceux-ci peuvent être
optimisés. Les maisons de quartier ont été implantées par la mairie communiste à partir de 1977,
elles avaient à l’origine une vraie fonction de lien entre la collectivité et la population. Au
moment de l’étude, le constat est fait qu’elles sont soit délaissées par la population, soit
stigmatisées comme « lieu réservé aux jeunes », avec tout ce que sous-entend cette désignation.
Nous identifions rapidement que la commande qui nous est passée est double .En effet, certains
élus de la municipalité sentent bien qu’il y a une perte de vitesse dans leur contact avec la
population. Nous repérons qu’il y a bien sûr des désaccords au sein de l’équipe municipale et
pour certains un enjeu politique de renforcer les liens de proximité avec la population. Au cours
de l’étude, nous sommes confrontés aux préoccupations techniques du Directeur du service
animation et aux attendus politiques de l’élu.
L’élu en charge de cette délégation mesure bien que ces équipements de proximité pourraient
avoir une autre fonction. On nous demande de faire un état des lieux qui prenne non seulement
en compte le point de vue des professionnels mais aussi la représentation que la population a de
ces lieux, l’usage qu’elle en fait, les besoins qu’elle exprime.
D’un point de vue méthodologique, nous nous appuyons sur des visites sur sites , des rencontres
avec des élus , des techniciens ( directeurs des maisons de quartiers, animateurs mais aussi
autres techniciens des secteurs culturels, sociaux …) , des responsables administratifs de la
municipalité,
des associations locales, des partenaires. Nous organisons un focus groupe avec les personnels
des maisons de quartiers, ceux-ci sont très désireux d’une démarche qui les aide à re- définir leur
projet. Au-delà de leur propre discours, nous effectuons des chroniques quotidiennes de leur
activité afin de mieux cerner ce qu’ils font et comment ils sont sollicités par les habitants des
quartiers. Enfin, nous allons à la rencontre des jeunes avec des questionnaires auprès des jeunes
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(310 en avril 1996 avec 3 enquêteurs chargés de ce travail. Les jeunes sont rencontrés dans
différents lieux de la Ville ).
L’analyse des données recueillies permet de mettre en avant un décalage entre la fonction
assignée à ces structures et leur activité réelle. Le questionnaire montre que les jeunes rencontrés
ne connaissent pas les maisons de quartiers et encore moins les activités qu’elles proposent, ils
n’ont pas recours à ces lieux. Pour les jeunes vitrollais, le lieu de socialisation principal est la
galerie marchande de Carrefour ! Les maisons de quartiers sont assimilées aux jeunes les plus en
difficultés. Il apparaît aussi que les activités proposées ne sont pas fréquentées par la population.
Par contre, celle-ci s’adresse majoritairement aux maisons de quartier sur des demandes liées à
la précarité croissante (aides sociales, informations, droits…) ou sur des demandes de prêts de
salles (associations ou usage familial). Les personnels sont aussi interpellés sur des plaintes
concernant la vie quotidienne dans la cité. Il paraît évident que les plaintes récurrentes de la
population ne trouvent pas de répondant ou d’interlocuteurs qualifiés, que les maisons de
quartiers ne sont en fait que des chambres d’échos. Par ailleurs les locaux comme leur
environnement sont souvent dégradés. Au travers de nos multiples rencontres, nous assistons
enfin à la construction des jeunes issus de l’immigration vivant dans ces quartiers comme figures
de boucs émissaires.
Outre des propositions de redéfinition de ces espaces comme pilotes d’une animation globale
concertée avec plusieurs partenaires (professionnels et associatifs), nous avons aussi préconisé
que ces lieux soient réinvestis par le politique c'est-à-dire que les élus viennent rencontrer la
population sur le modèle des Conseils de quartiers. Dans ce même souci de rapprochement de la
municipalité avec la population, nous suggérons que les services techniques municipaux puissent
assurer des temps de permanence dans les structures en nommant des référents de territoire.
Au terme de l’étude, il nous parait essentiel que la Ville doit avoir un projet politique en direction
des quartiers populaires. Ceux-ci sont dispersés géographiquement et pas homogènes.
L’implantation des maisons de quartiers peut servir ce projet. Nos propositions ouvrent un débat
intéressant mais nous ressentons rapidement combien les élus concernés ont peu de latitude pour
agir, ils reconnaissent ce fait. Le pouvoir est concentré dans les mains du Maire. » (entretien avec
l’auteur, octobre 2011)
Là encore on perçoit un problème récurrent pour les élus de gauche qui ne savent pas trouver
leur place et leur rôle dans ce dispositif puisque Mylène Frappas parle à propos des maisons de
quartier : »...ces lieux soient réinvestis par le politique... » et elle évoque la régie de quartier...On
peut se demander pourquoi. Ma réponse tient à ce que sont devenus les partis de gauche à ce
moment à Vitrolles. Pour le PS, la gestion des pouvoirs dans la ville (ailleurs les conseils généraux
,les régions ,l’état et tous les organismes associés) a absorbé l’essentiel des forces de la section
locale et comme au niveau national ,hors congrès et organismes dirigeants, on ne voit pas
nettement d’échanges qui soient autres que rapports de forces internes entre courants...J’ai
consulté les archives des débats nationaux internes du PS (congrès,réunions des Conseils
Nationaux...),accessibles par Internet :curieusement pour toute la période concernée par mon
étude ,le développement puis l’installation du FN dans le paysage politique est abordé, comme
question spécifique, quasi exclusivement lors des préparation des élections ou de leurs résultats
.Phénomène stérilisant encore amplifié par la Constitution de la Vème République : les partis y
ont un rôle réduit , on l’a vu précédemment, à l’existence maigrichonne de machines électorales.
Quelle place l’attention aux mouvements profonds de la société peut-elle avoir dans un pareil
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contexte ? A tel point que la montée régulière du FN à Vitrolles, le premier adjoint ,Marc Grand
,à qui j’ai posé la question directement m’a répondu que celle-ci n’était ,là encore débattue ,qu’à
l’occasion des élections. De sorte que les recherches en sciences sociales par exemple sont à peu
près ignorées des débats du parti quand elles pourraient constituer un apport de connaissances
sur l’état de la société. A Vitrolles il y a bien eu, on l’a vu précédemment, des enquêtes et études
d’opinion mais ..en majorité à courte vue : des sondages surtout , dont on suppose qu’ils sont là
pour donner des informations afin d’ éclairer sur la nature des attentes électorales. Droite et
gauche naviguent ainsi , sur un modèle consumériste, à l’instar des produits du commerce :sur
le marketing politique. A Vitrolles il y a eu quelques exceptions, dont cette étude de l’ADEUS
mentionnée précédemment et quelques autres sur les jeunes... dont on peut se demander à quoi
elles ont servi.
Pâquerette Villien,
directrice de la Maison de quartier des Pinchinades,
puis directrice adjointe du service pour la ville...
Les parcours personnel et professionnel de Pâquerette se rejoignent .Son action aux Pinchinades
comme à la direction du service peut sembler modeste. C’est sa réserve qui frappe .L’écoute des
problèmes des autres afin de trouver des solutions adéquates ou tout simplement un lieu de
parole, est une manière d’être. Où l’on voit que la collectivité a su pallier de cruelles carences
psycho-sociales : la solitude des adolescents ,la détresse des parents ,l’isolement de certains
anciens, le manque d’argent du plus grand nombre pour accéder aux loisirs ,à la vie culturelle...
« Cela n’a pas permis d’endiguer le phénomène FN … » reconnaît avec modestie Pâquerette ,
mais a laissé des traces durables dans la vie de ceux qui ont fréquenté les maisons de quartier où
ils ont trouvé un accueil ,un soutien pour des activités associatives...Sans ces liens- là ,voulus
,construits avec patience et intelligence, que serait une ville ?
« Je suis née d’une famille ouvrière. Mon père avait été un tout jeune résistant (il était né en 1926).
Mes parents n’étaient ni militants politiques ni militants syndicaux, mais ils avaient une forte
conscience de leur appartenance de classe. Cela se traduisait entre autre par un vrai sens des
valeurs et du devoir qu’ils ont eu à cœur de transmettre à leurs enfants.
Mes engagements professionnel et personnel sont ancrés dans cette histoire familiale.
Professionnellement, mon orientation dans l’animation socioculturelle n’est en effet pas un
hasard : l’animation est ancrée dans l’Education Populaire, elle-même marquée par l’histoire du
Vercors.
Et personnellement, mon engagement à Vitrolles contre Mégret et ses acolytes se situe dans la
même logique, toutes proportions gardées, de la Résistance.
Vitrolles représente pour moi une bonne dizaine d’années, une tranche de vie marquante mais
déjà éloignée. J’essaie de me rappeler ce qui me guidait alors, en sachant que la mémoire a ça de
bon qu’elle trie, sélectionne, choisit…
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En 1986, je suis venue à Vitrolles pour chercher du boulot: il était connu que c’était une ville en
pleine expansion, et menant une forte politique d’animation socio- culturelle. J’y ai commencé
par la direction d’un camp d’adolescents l’été en Corse, puis par la direction du premier centre
aéré municipal. A l’époque, il n’existait qu’un centre aéré associatif aux Pins, et la municipalité
souhaitait étendre ce service à l’ensemble des enfants de la ville. Pour cela, tous les moyens
étaient mis en œuvre : locaux agréables avec vastes espaces extérieurs, animateurs assez
nombreux et formés, budgets suffisants pour pouvoir mettre en oeuvre des projets éducatifs
intéressants, et travail possible avec les autres services de la ville, notamment culturels ainsi
qu’avec des associations. A l’époque, nous proposions des ateliers informatique, vidéo, échecs,
jardin musical… Les enfants bénéficiaient même d’une ludothèque. Tout ça était très innovant
pour l’époque, les enfants ne s’y trompaient pas et demandaient à revenir. Les familles ont
plébiscité ce mode d’accueil que la municipalité a donc beaucoup développé, jusqu’à créer au
bout de 3 ou 4 ans seulement un centre spécialement adapté à Walbacol, dans la campagne
vitrollaise.
L’office municipal des vacances (OMV) qui organisait ces centres gérait aussi les centres de
vacances de Névache (près de Briançon) et de Lacaune dans le Tarn. Ces centres accueillaient
les enfants en vacances et en classes transplantées : classes de neige, verte,… La plupart des
jeunes vitrollais sont partis un jour ou l’autre en classe transplantée.
L’OMV avait besoin pour encadrer tous ces groupes de nombreux animateurs. Une politique
active de formation des animateurs a été menée. Il aurait fallu
évaluer le quota
d’animateurs dans cette petite ville... Outre un petit revenu financier, bon nombre de jeunes
trouvaient là l’occasion de s’impliquer dans leur ville… l’actuel maire, Loïc Gachon, est d’ailleurs
passé par là.
Parallèlement à mon activité professionnelle, j’ai fait le choix de venir m’installer à Vitrolles à titre
personnel. La ville était dynamique, jeune. Et de plus, beaucoup d’habitants étaient coupés de
leur famille et donc nouer des relations amicales y était facile.
Il m’a ensuite été proposé de prendre la direction de la maison de quartier des Pinchinades. Il y
avait 8 maisons de quartier sur la ville. Ceci correspondait à une volonté municipale de présence
et d’animation sur l’ensemble des quartiers de la ville.
Notre action était guidée par les grandes valeurs de l’Education Populaire. Pour résumer, il
s’agissait d’offrir aux habitants un lieu collectif dans lequel ils pouvaient développer des activités
associatives, pratiquer des activités culturelles, éducatives, sportives, trouver des informations de
proximité, exercer toute forme de citoyenneté.
S’agissant d’une ville nouvelle accueillant de nombreux nouveaux habitants, un des maîtres mots
était de développer le lien social.
Pour les enfants, nous organisions un accueil éducatif tous les soirs après l’école : soutien
scolaire, activités culturelles et éducatives, tels le théâtre, les arts plastiques, etc…
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Nous poussions les adultes à s’organiser en associations. Aux Pinchinades, une association de
femmes était très active et organisait notamment des activités hebdomadaires pour elles
(gymnastique, couture,…) et pour les enfants (karaté). Elles participaient aussi à la vie de la
maison de quartier, et à l’animation de la fête annuelle.
Un « club des Aînés » a aussi vu le jour : il s’agissait surtout de personnes retraitées désirant
rompre leur solitude en jouant à des jeux de société… Lien social là aussi… ils se retrouvaient à
côtoyer des enfants, des jeunes. Bien sûr, il y avait parfois des heurts, nous étions là pour les
amortir.
Les jeunes étaient accueillis aussi tous les soirs et les samedis : l’idée était de leur proposer un
lieu à partir duquel ils pouvaient se retrouver, pratiquer des activités de loisir. Des groupes de hip
hop, plus ou moins éphémères ont ainsi pu se créer. Un gros travail a été mené avec notamment
les Massilia Sound System. Toko Blaze en a bénéficié et est devenu depuis un artiste
professionnel qu’on peut encore voir sur scène. Les maisons de quartier ont aussi organisé des
ateliers de « graph » : des talents cachés ont ainsi émergé, valorisant des jeunes qui trouvaient là
un regard positif sur eux, ce qui est toujours précieux à l’adolescence.
Les animateurs avaient aussi comme mission de responsabiliser les jeunes notamment par une
participation active à la vie de leur quartier : plusieurs associations de jeunes ont ainsi vu le jour.
Celle des Pinchinades s’impliquait dans l’accueil des jeunes dans la maison de quartier, ainsi que
dans l’organisation de la fête de quartier. Le travail bénévole qu’ils effectuaient à l’association
leur permettait d’une part de développer des compétences, et d’autre part d’être regardés
autrement par les adultes.
Au Roucas, une association de jeunes s’est beaucoup investie autour de l’organisation de soirées
en direction d’autres jeunes. Je les ai sollicités pour organiser une « boum » au collège Simone de
Beauvoir afin de collecter des fonds suite à une inondation subie par le collège. Un beau succès
qui a permis de racheter du matériel… et de voir des jeunes n’ayant pas forcément un passé de
« premiers de la classe » d’être félicités par des enseignants et des parents d’élèves !
Il existait aussi un travail avec les éducateurs de prévention autour des opérations de vacances
autonomes : nous aidions des petits groupes de jeunes ne pouvant pas partir en vacances à
travailler sur un projet, à le formaliser en écrivant où ils voulaient partir, pour y faire quoi, avec
quels modes de transports, quel budget… Tout un travail éducatif qui aboutissait sur quelques
jours de vacances financées en grande partie par le dispositif.
Les liens de confiance qui se tissaient ainsi pouvaient permettre des accompagnements plus
individualisés pour certains jeunes en difficulté : problèmes d’orientation, de santé, de
logement… Ces accompagnements étaient particulièrement importants pour des jeunes
rencontrant des ruptures familiales, même temporaires.
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Un vrai regret cependant : les filles étaient très peu présentes dans les maisons de quartier qui
étaient donc plus un « repère » masculin.
Cependant, la présence de professionnels sur l’ensemble de la ville permettait d’avoir une vision
assez précise de ce qui se passait sur la ville. Ainsi, je me souviens avoir signalé à une éducatrice
de prévention deux petites filles qui faisaient l’école buissonnière. Le travail de l’éducatrice a
permis de détecter qu’une d’entre elle était victime de gestes incestueux, et donc d’intervenir.
La maison de quartier était un peu un résumé du quartier, où différentes composantes se
rencontraient, se côtoyaient, s’opposaient, discutaient... Nous étions aussi un relais des services
de la ville, où les informations descendantes et ascendantes entre les services municipaux et le
quartier se croisaient.
Bien entendu, malgré cette dynamique générale positive, tout n’était pas toujours rose : tensions
avec des bénévoles associatifs, ou avec des jeunes, ou avec des élus. La période qui a directement
précédé l’arrivée du FN-MNR a été tendue aux Pinchinades, où l’arrivée d’un jeune, « leader
négatif », a provoqué une agressivité inattendue de la part des jeunes. Encore maintenant, je me
demande jusqu’où cette situation soudaine n’avait pas été créée de toutes pièces…
Quel bilan tirer de ce travail d’animation? Il paraît impossible de mesurer son impact global,
mais il y a des indices. Ce que je sais, c’est que plusieurs années après, il m’arrive encore de
rencontrer des personnes croisées alors. Beaucoup me narrent une anecdote ou une autre qui les
a marquées de cette tranche de vie partagée. Des (ex-)jeunes aussi me racontent combien notre
existence était importante pour eux à ce moment clé de leur vie, l’adolescence. Alors que je ne
l’avais plus vu depuis plusieurs années, l’un m’a rencontrée pour me remercier : à l’époque où il
était sur une mauvaise pente, je l’avais su et j’étais intervenue auprès de sa famille, laquelle avait
immédiatement réagi. Il pense avoir évité la prison grâce à cela.
Un autre jeune devenu père de famille m’a témoigné une reconnaissance énorme car :« quand on
était jeune, vous étiez toujours là si on avait besoin de vous, on pouvait toujours parler à
quelqu’un »… Or ce jeune, très timide à l’époque, ne m’avait quasiment jamais adressé la parole.
Mais il savait qu’il y avait des adultes disponibles autour de lui.
Même les jeunes avec lesquels il y a eu de grosses tensions manifestent du plaisir lors de
rencontres fortuites : leur crise d’adolescence est passée depuis longtemps !
Je veux croire que notre action a certainement eu plus d’impact positif qu’on ne le croit en
général, même si l’arrivée du FN-MNR semble me contredire… Mais qu’en aurait-il été sans
l’existence de toutes ces actions municipales et associatives, toutes imparfaites qu’elles aient été ?
peut-être la comparaison avec la situation marignanaise pourrait être un premier élément de
réponse : à Marignane où n’existait pas ce type de travail, l’arrivée de Simonpierri comme maire
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en 1995 a rencontré peu d’opposition, contrairement à Vitrolles où Mégret a dû faire face à une
présence de militants déterminés à lui résister.
Mon histoire personnelle avec Vitrolles s’est terminée en deux temps : le premier professionnel
puisque j’ai été licenciée par la municipalité Mégret dès son arrivée. Il faut dire que j’avais milité
contre eux avant leur élection, et que j’ai continué après !
Et ensuite, il y a eu l’épisode où mon compagnon s’est fait casser la figure par des voisins qui ne
supportaient plus de le savoir militant de Ras l’front. Alors qu’il était emmené par la police
nationale à la clinique, une trentaine de personnes, dont au moins un élu, se sont rassemblés sous
mes fenêtres. J’étais seule avec mon fils. C’est ce soir -là que j’ai décidé de quitter la ville. »
.
Les instits des Pinchinades...
« On recevait beaucoup, mais on donnait
beaucoup... On voulait changer la société... »
On ne peut parler d’une ville ,encore moins tenter de la comprendre sans interroger des
enseignants des écoles primaires .La grande majorité des instituteurs ou professeurs des écoles
réside sur place ,à la différence inverse, en proportion des enseignants du secondaire .C’est
pourquoi j’ai pris contact avec des enseignants-militants, résidant à Vitrolles qui ont passé
presque toute leur vie professionnelle dans cette ville. Ils se connaissent de longue date, ont
partagé engagements pédagogiques et expériences militantes. Ils croient aux vertus de
l’enseignement public, au syndicalisme, à la gauche...Claude Lamy et Patrick Lépidi les ont
réunis un soir chez eux pour parler de leur vécu, à ma demande. J’ai enregistré leurs propos à
bâtons rompus .Ils disent leur histoire commune.
Que nous apprend-elle ? Au fond que le climat général de la ville a évolué avec le dévelopement
de la crise sociale :au « luxe » des moyens municipaux , à l’enchantement des utopies
pédagogiques et politiques des années de l’après-68 ,les années 80,est venu le temps « des
quartiers prêts à exploser » ,des enfants de plus en plus agressifs à l’école, de la solitude... Le FN
à la mairie a vu se lever les enseignants. Un sursaut .On le notera comme une anecdote
significative :la directrice d’une école ,un coussin à la main ,empêchera le premier adjoint FN
,Fayard , d’entrer dans « son » école. Il y a eu une vraie mobilisation étalée sur plusieurs années.
Depuis le départ des Mégret en 2002, un reflux. Ceux qui s’expriment ici n’ont pas retrouvé la
légèreté inventive « d’avant » les Mégret. Le carnaval annuel de la ville, auquel les enfants des
écoles participent, n’a donné lieu à aucune préparation cette année. Il n’y a même pas eu
d’affiche note l’un d’eux ! Enfin sur le plan politique, après la période anti- FN, une grande
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distance avec les partis de gauche pour lesquels ils votent tous. L’un deux dira : « ...On a mis un
bulletin « par défaut » en 2002. Et depuis c’est ce qu’on fait. C’est le problème plus général de ce
qu’est devenue la gauche. »
CLAUDE LAMY, institutrice aux Pinchinades de 1986 à 2002. Syndiquée au SGEN/CFDT (CL)
-FABIENNE SOULIER, directrice de l’école des Pinchinades depuis 1979.SGEN/CFDT puis
SNUIPP(FSU)-(FS)
-YOLANDE SPIES, institutrice dans la même école, à la même période. SGEN/CFDT puis
CGT. (YS)
-PATRICK LEPIDI, instituteur en maternelle à Plan de la Tour, puis à l’école primaire Raimu,
enfin animateur informatique des écoles de Vitrolles. SGEN/CFDT. (PL)
Les initiales entre parenthèses désignent leur prénom et nom.
« (FS) et (PL) ont été candidats aux municipales pour la liste dite « d’extrême gauche »,
« Vitrolles unité populaire » en 1983 .
Ils ont tous milité dans le mouvement associatif et le syndicalisme.
- (YS) : Pour la période des mandats de JJ Anglade, c’était le luxe. On avait à l’école des
animateurs d’éveil. Je venais d’Aix où il y en avait peu dans les écoles. Il y avait une forte
participation des enseignants.
-(FS) : J’arrivais de Marseille et je me suis trouvée avec un matériel extraordinaire, un budget
énorme, on accédait à tous les moyens culturels dans la ville, gratuitement : expos, ciné, théâtre
avec les enfants. Le personnel municipal des écoles maternelles était formé par les CEMEA
(techniques des Centres de Vacances), ce qui n’était pas le cas à Marseille. Le même personnel,
avant cette formation ne faisait que le ménage et l’encadrement des enfants. Le statut
d’Assistante Maternelle a été un progrès social.
- (YS) : Ce fut aussi une période de projets en collaboration avec la mairie. L’architecture des
écoles était différente des écoles traditionnelles, dans les années 1980.Par exemple, les écoles
n’avaient pas de clôture, on avait des interventions ponctuelles d’animateurs municipaux, par
exemple au moment du carnaval, afin de réaliser une grande fête dans toute la ville avec toutes
les écoles. Les enfants allaient voir des expo et des pièces de théâtre à Fontblanche.
-(PL): Je suis venu à Vitrolles parce que c’était une ville nouvelle et je vous ai connues au
CEMEA. Pour les écoles comme pour les classes transplantées ou les colonies de vacances on
avait une mairie à l’écoute. Par exemple, le personnel des colo était recruté 6 mois à l’avance : la
colo était ficelée à Pâques. Maintenant on recrute les animateurs 3 jours avant : il n’y a plus de
projets. Pour les classes transplantées, on avait des réunions chaque semaine dans l’ancienne
mairie du vieux village afin d’élaborer un projet pour ces classes.
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-(FS) : La mairie nous aidait mais nous, en contrepartie nous ne comptions pas notre temps de
bénévolat. On recevait beaucoup mais on donnait beaucoup.
-(PL) : Il y avait un esprit militant, on voulait changer la société et pour cela faire évoluer les
enfants. Chez les jeunes collègues aujourd’hui, cela n’existe pas.
-(YS) : On était un peu des kamikazes.
- (FS) : C’était une période où on nous demandait de soutenir des projets, aujourd’hui on nous
demande d’enseigner.
-(PL ): Dans les salles des maîtres on parlait des enfants, des syndicats, de manif’, de
mairie…maintenant le climat a changé, on parle toujours des enfants mais aussi des séries télé…
-( FS) Hier, à une réunion syndicale, nous étions 5 ou 6 directeurs pour toute la ville ! 34 écoles
primaires et maternelles de 17 groupes scolaires. Il y a un plus grand individualisme, pas d’esprit
fédérateur. Les grèves ne sont pas très suivies par les jeunes et pour nous qui terminons, on se
dit qu’on fait grève pour « la cause ».
-(PL) : A la rentrée, on a chaque année notre grand’messe, tous les enseignants sont convoqués à
Rognac, dans une grande salle et l’inspecteur nous donne des chiffres, comme dans une
entreprise, les résultats d’évaluations…
- (FS ): On voyait très souvent les élus à l’époque de JJ Anglade et on travaillait ensemble.
C’étaient des rapports de travail, sans hiérarchie. On voyait le 1er adjoint dans les réunions de
budget de l’école. Au moment de la construction du Stadium, on a vu un décrochage entre la
population et les élus (OM/Vitrolles avec le frère de Tapie).
-(CL) : On sentait une évolution en faveur du FN mais on ne pensait pas qu’il gagnerait les
élections.
- (YS): Cela dépendait des quartiers. A la Frescoule, il y avait beaucoup de nouveaux arrivants, les
gens venaient d’acheter une maison « à la campagne », venant des quartiers nord de Marseille.
J’étais pendant 2 ans dans ce quartier à l’école Pablo Picasso, il y avait beaucoup de violence. On
sentait les gens inquiets pour l’avenir, la maison à payer, le chômage possible…
-(CL ) On sentait des quartiers prêts à exploser...
-(PL ) En 1990, je suis rentré à l’école Raimu, à la Frescoule, j’en suis parti en 1995. J’ai constaté
dans les récréations et les classes des enfants de plus en plus difficiles, agressifs. Nous étions tout
le temps sur la brèche. On se disait que les enfants importaient à l’école ce qui se passait chez
eux. Le fait, pour les parents, d’accéder à la propriété créait en quelque sorte l’exigence d’un dû.
-(YS ) Une association avait pris en charge les classes transplantées (école Francine Claret). Elle
n’a plus existé ensuite et ça a été pris en charge par la mairie et là, ça a commencé à décliner.
- (FS ) Les équipes de Mégret étaient présentes dans les réunions d’appartements des quartiers
défavorisés. On a su après coup qu’elles faisaient un travail de terrain depuis de longues années
avec une politique intelligente de communication (cassettes dans les boîtes aux lettres et
savonnettes en 1997). Ils faisaient du porte à porte, régulièrement...
-(PL ) Dans les quartiers défavorisés(les Pins) il y avait des associations alors que dans les
quartiers sud (la Frescoule) les gens étaient seuls, on le sentait dans les écoles.
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- (CL) : Aux « Pins » il y avait la présence d’une MDQ, des aides et des interventions dans les
écoles. Toutes ces associations ont été asphyxiées lorsque Mégret a supprimé les subventions.
-(PL ) J’ai le souvenir qu’on a critiqué l’investissement financier énorme du Stadium et nous
avions boycotté cet équipement qui avait coûté très cher aux vitrollais. On a eu le sentiment à ce
moment-là que la mairie ne faisait plus ce qu’elle faisait auparavant. Les financements « ville
nouvelle » se sont aussi arrêtés. Il y a eu un amalgame utilisé par le FN : il n’y a plus d’argent car
le Stadium a tout pompé. Or, la fin des financements Epareb a joué son rôle aussi.
- (FS ).. Mais il n’y a pas eu de prévisions liées à cette fin des financements « ville nouvelle »...
- (FS )... Lorsque Mégret prend la mairie il y a un climat de suspicion dans la ville, il y a eu des
moments difficiles dans les conseils des maîtres et dans les conseils d’école, avec les parents dont
un sur deux avait voté FN ! Je me souviens avoir participé à des manif’ où on a complètement
dépassé le devoir de réserve. Par exemple on arborait dans l’école un badge contre le racisme...
-(CL )... On a distribué aux parents des tracts et des motions élaborées à l’école.
-(PL ) En conseil d’école, devant Césari (élu FN), on a lu une motion dénonçant le FN. Il devait
en avoir l’habitude car cela se produisait de la même façon dans toutes les écoles.
- (YS) : Il y a eu la création du REV (rassemblement des enseignants vitrollais, composé
d’instituteurs). On se connaissait tous et on était considérés comme des illuminés gauchistes et
nous étions assez nombreux. Le but était de réagir en nombre face à la mairie.
Notre Inspecteur de l’époque M. Evrard, nous a soutenus, il venait aux réunions du REV. Nous
avions peur du FN et le REV était un lieu de paroles et d’information afin que chacun ne reste
pas seul dans son école. A ce moment-là, il n’y avait pas internet et nous pouvions aussi
coordonner nos actions pour réagir.
-
-
(FS) : En réunion syndicale hier nous avons parlé d’internet qui facilite la circulation des
informations mais peut aussi réduire le contact humain qui existe dans une réunion. On a
fonctionné ainsi 2 ou 3 ans. Parfois on se réunissait chez les uns, chez les autres, parfois
dans des salles.
(CL) : Il nous est arrivé d’envoyer une délégation du REV à la mairie.
-(YS) : Quand on a rencontré Nouar (adjoint de Mme Mégret ) il ne nous regardait même
pas en face, mais par la fenêtre. On s’est dit alors qu’il valait mieux informer les parents,
la population qu’aller rencontrer ces gens-là.
(FS ) :Hier on s’est souvenu du gel des crédits scolaires de fonctionnement courant dits
BCD. La mairie FN les avait réduits. Il y a eu une manif devant la mairie, les crédits
avaient été rétablis au niveau normal. Mais les crédits pour les bibliothèques des écoles
ont été entièrement gelés.
Le centre de Fontblanche avec Maud Zawadski et Martine Petit n’avait plus de budget
pour les spectacles destinés aux écoles et il n’y avait plus d’ouverture culturelle pour les
écoles, ni interventions culturelles dans les écoles. Statu quo budgétaire pour les travaux.
-(PL ) Césari (adjoint de Mme Mégret) aux conseils d’école n’avait jamais rien à dire
d’autre que « je note ».Rien ne se faisait dans les écoles du temps de Mégret et il y a eu
une dégradation progressive des bâtiments scolaires faute d’entretien.
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-(FS) Lors de la surveillance de cantine, un instituteur, directeur de l’école, Alain Darmuzey,
(dans cette fonction on devient employé municipal ) refuse de serrer la main de Mme Mégret. Il
y a eu une plainte de la mairie contre cet enseignant. A partir de là les enseignants n’ont plus
assuré la surveillance des cantines. Il y a eu à Vitrolles une forte résistance au FN.
-(FS ) Fayard, 1er adjoint de Mme Mégret, vient dans mon école , j’avais à ce moment là un
coussin à la main. Je lui ai dit : « Vous ne rentrerez pas dans mon école », il est reparti sans rien
dire.
-(CL) On n’a pas cessé de se réunir le soir durant deux à 3 ans. On était épuisés. Il y avait aussi
« les haies du déshonneur » (on verra plus loin de quoi il s’agit,NDR )devant les deux lycées de la
ville, on y allait.
(PL) On n’osait pas dire ailleurs qu’on habitait Vitrolles.
-(YS) Si Mme Mégret a été élue en 1997 c’est qu’il y avait le désamour avec JJ Anglade, ça n’allait
plus du tout et il y a eu une forte abstention à gauche. Les 5 ans de mairie ont joué : ceux qui
n’avaient pas voté en 1997 ont mis un bulletin « par défaut » en 2002. Et depuis c’est ce qu’on
fait. C’est le problème plus général de ce qu’est devenue la gauche.
- (PL) On marche sur la tête …On a vécu à Vitrolles un effritement aussi à gauche.
- (FS ) : Il y a eu aussi « La Charrette ».,les licenciements ,les mises au placard.
(PL) : – Avant Mégret il y avait une vie à Vitrolles. Ensuite il n’y a plus eu d’écoute, des cadres
municipaux, des enseignants sont partis et avec Obino maire PS.. « ça ne se passe pas »…Il n’y
a plus ce qu’il y avait ..
(FS) : –Quand on regarde le catalogue des activités municipales aujourd’hui, il y de nombreuse
activités, mais nous nous sommes « désengagés ». Question d’âge certes mais les jeunes
collègues ne prennent pas le relai. Il ya moins d’engouement de leur part, ce que nous avions il y
a 20 ou 30 ans.
(PL) :-Le carnaval cette année n’a pas eu de répercussions, ni de préparation, ni même d’affiche
dans les écoles !
(FS ) :Or nous allions le soir re-défiler avec les parents après 18h…sur notre temps libre !
(PL) : Pour le recrutement des moniteurs de colo municipale (Loic Gachon, le maire actuel (PS)
est alors conseiller délégué aux vacances) et même pour certains directeurs de colo, on les
recrute 2 ou 3 jours avant, sans participation ni élaboration d’un projet, ce qui se faisait
auparavant…On s’est dit au début en 2002,après le départ de Mégret : ils ont d’autres priorités à
la mairie...9 ans après ça persiste !…Idem pour les classes transplantées.
(YS) : Avant la mairie FN il y avait déjà un déclin du travail préalable aux classes transplantées,
une certaine démobilisation des enseignants. On nous demande du rendement !
(PL) Conclusion : ce fut un énorme gâchis. On va vers « un moins » aujourd’hui dans la société
en général mais aussi à Vitrolles : tout ce qu’on avait mis en place a été brutalement arrêté et n’a
plus repris depuis lors.
(CL) …et que le pire est possible. Même si on croit que ça n’arrivera pas !
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(FS) …ça nous a abîmé. On a perdu notre béatitude idéologique : celle de l’époque des
combats pour un monde nouveau. Un coup de massue !
(YS) La démobilisation existe partout, pas seulement à Vitrolles.
(FS )Le vote FN c’est aujourd’hui banalisé. »
(Conversation enregistrée en septembre 2011 au domicile de Claude Lamy et Patrick Lépidi , aux
Pinchinades , quartier résidentiel des couches moyennes ,dit aussi quartier des « pionniers ».)
L’amertume après « le coup de massue »..Et pourtant, comme bien d’autres ceux-là se sont
battus, aussi, presque chaque jour ,pour tout... Jusqu’au papier hygiénique des toilettes des
enfants que la mairie des années noires...avait réduit pour faire des économies ...Des
symboliques humiliantes d’une rhétorique de droite :le gaspillage , les fonctionnaires qui ne
fichent rien , « les enfants mal éduqués »,ceux de la « décadence de la civilisation »...
« Plus rien n’a repris depuis lors » conclut Patrick Lépidi. Ce n’est pas la première fois que je
note la désillusion qui suit la défaite de Mme Mégret en 2002..
L’aventure de Fontblanche
Maud Zawadzki et Muriel Modr...
Un désir de culture
« Situé en bordure du ruisseau de la Cadière, au sud de la commune, le domaine de Fontblanche
fut un grand domaine agricole dans les années 1830. Il comprenait une bergerie, un moulin à
vent, un moulin à eau. L'activité meunière cessa en 1960. La bastide servit d'école durant la
Première Guerre Mondiale, avant d'être racheté par l'Etat, en 1971, puis par la ville dès 1989. Sa
vocation culturelle et artistique démarra par l'installation d'ateliers pluridisciplinaires et perdure
aujourd'hui. La Maison de maître a été rénovée et inaugurée le 2 février 2008. »
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Telle est la présentation municipale des lieux.
Ce qu’on va lire ce sont encore des histoires de création. Ici elles sont artistiques. Les liens avec
les écoles, les comédiens de théâtre, les expositions et visites... témoignent d’une grande vitalité ,
d’une inventivité que va casser le FN, on le verra dans la seconde partie du livre. Ce qui est
manifeste ici c’est que le social et le culturel ne sont pas des champs séparés. A l’inverse de ce qui
se produit au Stadium ,il ne s’agit pas à Fontblanche ,de pur divertissement, de jeu sans enjeux
.Mais bien du choix de l’égalité contre celui de la culture élitiste. Appendre aux enfants à
observer, peindre, raconter une exposition ou écouter une pièce de théâtre, c’est apprendre à
devenir artiste soi-même. Comme on l’avait connu au lendemain de 1944 avec la culture
populaire .Celle qui porta un Jean Vilar, directeur du Théâtre national populaire, à inventer le
festival d’Avignon en 1947.A Fontblanche avec Maud ,Muriel , on trouve cette même
effervescence.
Maud Zawadzki
en a dirigé les activités théâtrales...
. « En 1986, l’office municipal de la culture (OMC) avec René Lévy est créé, et j’en fais partie.
J’étais responsable du secteur arts plastiques. J’ai organisé de nombreuses expositions que je
faisais venir de l'atelier des enfants de Beaubourg pour les scolaires et du Musée en herbe à Paris.
On a travaillé aussi avec le Centre Culturel des Pins en organisant des ateliers liés à ces
expositions. A partir des années 1990, le budget de la culture a diminué et il y a eu des coupes au
niveau des arts plastiques au profit du spectacle vivant, et particulièrement le jeune public. J’étais
le passeur entre le jeune public et les artistes. Lorsque Pierre Jacques est directeur des affaires
culturelles, je prends la responsabilité du théâtre de Fontblanche, en 1991. On accueillait des
compagnies en résidence de création, avec des répétitions publiques. Je me souviens notamment
du théâtre du Kronope qui travaillait autour du masque et de la Comedia del Arte. Je voyais les
artistes vivre sur place et j’avais une relation directe avec eux,des moments fabuleux à vivre. Je
préparais les spectacles avec les classes des collèges et lycées par des rencontres avec les
comédiens. Le rapport avec le spectacle change alors complètement. Les spectacles non préparés
à l’inverse pouvaient être chahutés et donner lieu à une annulation. On accueillait
systématiquement les groupes avant le spectacle, pour leur expliquer ce qu’est le théâtre, et
notamment que les comédiens entendent tout ce qui se passe dans la salle.(...) J’avais une très
grande liberté, il n’y avait pas de censure culturelle comme le font souvent les élus. C’était assez
rare. On était en même temps dans la période Jack Lang(1981-1993). On travaillait en direction
des couches populaires avec des relais : les centres sociaux, les MDQ. Par exemple on a organisé
dans différents quartiers de la ville et notamment au quartier des Pins, lors du 1er mandat
d’Anglade, des spectacles de théâtre en appartements (d’un ou deux comédiens) où ceux qui
recevaient invitaient des voisins. On a aussi travaillé avec les enfants et les adolescents dans les
centres aérés, avec le milieu enseignant par le biais de programmations « Jeune public » pendant
le temps scolaire, des ateliers d’art plastiques, des expos avec des animateurs professionnels…
Quand j’ai quitté Vitrolles, à l’arrivée du FN, j’ai reçu des courriers de parents et d’élèves qui se
souvenaient des spectacles vus à Fontblanche. Il y avait des ateliers théâtre avec des ados et des
enfants qui marchaient très bien, avec des représentations en fin de saison. » ( entretien avec
l’auteur, mars 2011).
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.
Muriel Modr, artiste plasticienne, photographe
a d’abord commencé au Centre Culturel du quartier des Pins en travaillant avec des enfants dans
des ateliers de peinture...
« En 1982, j’ai rejoint l’équipe il y avait du théatre, de la musique contemporaine et des arts
plastiques et j’ai travaillé au Centre culturel des Pins dont la directrice était Micheline Phau.
J’étais artiste plasticienne et j’avais le projet de travailler avec les enfants des cités, de 6 à 12 ans,
sur le déroulement du temps et la vie quotidienne. Au centre culturel comme dans les écoles
primaires, on travaillait dans des ateliers, de 5 enfants, qui duraient une heure et demie où ils
devaient s’inscrire au préalable, ateliers étalés sur toute une journée. Je travaillais en extérieur sur
les lieux d’habitation, pour les redécouvrir. On avait réalisé, à l’intérieur d’un théâtre circulaire
qui existait dans la cité des Pins, une fresque de mosaïque à partir de vaisselles cassées et pâtes
de verre de Biot. C’était une lutte à partir de 1983 pour conserver des Ateliers par séquences de 5 à
8 enfants. A partir de la municipalité Anglade, on nous pousse au rendement. En 1984, on s’en va
tous, congédiés l’un après l’autre car le centre culturel va se transformer en MDQ qui n’a pas du
tout la même fonction.
Quelques années après , en 1986, j’ai travaillé à Fontblanche, à la demande de Maud Zawadski,
dans le cadre d’une opération nationale, « Musée en herbe », pour les enfants. Je travaillais, entre
1988 et 1990, dans des ateliers qui comprenaient des classes avec leur enseignant, à une relecture
de ce qu’ils avaient vu dans l’exposition. Par exemple, une expo sur l’architecture fantastique.
Ce que je garde comme souvenir c’est à la fois une très grande liberté de propositions et
d’échanges, des moyens comme un mini bus mis à notre disposition pour aller ,toujours avec un
petit groupe d’enfants, découvrir des expositions à Marseille, visites que nous préparions en
amont .
C’est lorsque l’aventure s’est terminée que j’ai réalisé la richesse de ces deux années passées et
j’ai retrouvé des familles avec plaisir et familiarité lorsque je suis retournée dans le quartier des
Pins, l’accueil était intact. A nouveau pour d’autres raisons ,à l’opposé, avec la pression du Front
national cela a été naturel de revenir soutenir les résistances et participer à faire connaitre ce
Vitrolles que j’ai connu si loin des retours médiatiques que je pouvais lire ou entendre.
Ces deux premières années d’atelier à Vitrolles ont nourri les années qui ont suivi en participant à
ma réflexion et référence sur les créations collectives à venir. C’est en grande partie l’équilibre
entre l’équipe, les habitants, la responsabilité donnée aux enfants, provoqué par Micheline Phau,
par son expérience et son respect pour la création, les artistes et les enfants . Et le fait non
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négligeable que nous étions correctement rémunérés : ce qui n’était pas un gros mot ! » (entretien
avec l’auteur, mars 2011)
Tous ceux qui ont construit la ville ne sont pas cités dans ce livre... Mes connaissances
personnelles, les invitations à me mettre en rapport avec tel ou telle , suggérés par ceux que
j’interviewais ,et aussi ,pourquoi le taire, par ma vision de l’histoire de cette ville, ont présidé à
mes choix de témoignages et de portraits. On aurait pu en faire d’autres. J’ai bien conscience
qu’il y a là une part d’arbitraire : celui des choix d’un auteur. Qui peut –être « contredit » ou
nuancé par cet arc en ciel de témoignages.
Je termine ces récits de vie par une fonction non négligeable dans une ville : la collecte des
déchets ménagers et la propreté urbaine. Mais qu’on évoque rarement parce qu’il s’agit de ce
qu’on jette, qu’on ne veut plus voir ni sentir...
Nous sommes dans les années 80-90, le tri sélectif est expérimenté dans quelques villes, pas
encore à Vitrolles .La parole ici est celle du directeur du Centre technique municipal (CTM) ,
l’organisateur de ce service. Il va être , avec la mairie FN-MNR ,l’enjeu d’un conflit social et
politique d’ampleur quand Mme Mégret décide de le privatiser. On le verra plus loin.
A travers les paroles de Pierre Greff, du temps de la gauche à la mairie, on devine des enjeux :
ceux de la gestion d’un service public. Comment on motive les hommes, comment on peut
améliorer des conditions de travail... Comment la technique est aussi une question politique clef
pour le monde du travail : celle de donner un sens aux heures passées à gagner sa vie.
Evidemment Pierre Greff , comme les témoins qui précèdent , donne son point de vue sur « ce
qui est arrivé »...
Un service public original
géré par Pierre Greff
« construire des ponts, non des murs »...
Etrange entrée en matière .Voilà que cet homme parle de sensibilisation aux déchets mené par le
service de la culture, d’ expositions, de dialogue avec la population ...Et de valorisation d’un
travail dont en général on parle peu .Sauf en cas de grève quand s’amoncellent les sacs –
poubelles aux coins des rues ...
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« L’expérience la plus intéressante fut celle de la régie de quartier des Pins et les nombreuses
rencontres que j’ai eues et organisées avec la population. »
Ici Pierre Greff fait allusion à son expérience avec la Régie de Quartier aux Pins, le seul quartier
qui ait participé à l’opération nationale de récupération des bouteilles en plastique,
probablement en 1992,une partie du projet d’écologie urbaine en discussion au Conseil de
quartier ...là où on se pose des questions, où l’on en pose aux services techniques. Là où de ces
échanges naissent les collaborations et les modes d’emploi, l’intérêt pour son quartier, dont les
habitants se savent écoutés ,leurs besoins reconnus ...Encore un partisan de l’émancipation
collective ! Encore un qu’on n’a pas entendu quand il en était encore temps !
« En collaboration avec le service de la culture, sur une durée d’un mois, nous avons mené une
action de sensibilisation sur la production des déchets avec diverses expositions, notamment à la
galerie marchande de Carrefour, au centre urbain (SICA), dans le bâtiment de la mairie, ainsi que
divers colloques avec des radios locales nouvellement installées.
Souhaité par JJ Anglade, j’ai mis en place une communication au porte à porte, des réunions avec
les comités de quartier, les gestionnaires et associations de l’habitat collectif dans le but de
moderniser la collecte des ordures ménagères.
Cependant, pour moi, le domaine le plus valorisant, fut celui d’aller à la rencontre des agents
d’exécution. Car, par la mise en place de groupes de projets, nous avons travaillé :
-
Sur la reconnaissance et la valorisation de l’action des agents
La professionnalisation des agents d’exécution et de la maîtrise
Elaborer et adopter par tous les plannings de nettoiement
Absorber, en réduisant les moyens de collecte de 5 à 4 secteurs, le doublement de la
population sur 12 ans
Réduire de façon significative les absences dues à la maladie et aux accidents de travail.
Cependant, tout a été loin d’être parfait. Pendant la rédaction, par un groupe de projet, d’un
cahier de sécurité pour les agents de collecte, un jeune éboueur de 22 ans s’est fait écraser par
une benne ordures ménagères lors d’une marche arrière (cause principale de décès par accident
de travail chez les éboueurs). J’y pense encore …
La structure communale en place comportait de graves lacunes. Elle ne permettait pas à
l’information de circuler facilement. Elle était dans une situation de blocage total. A mon avis,
cette situation a amené la municipalité à lancer ce type d’audit (il s’agit de l’audit sur le
fonctionnement des services par le cabinet Vecteur qu’on évoquera plus loin, NDR).
J’ai pu me procurer le cahier des charges définissant son périmètre d’action. Son contenu m’a
amené à sérieusement préparer mon audition en collaboration avec ma maîtrise.
Les résultats de cet audit ont sonné le glas d’une organisation administrative désuète qui ne
jouait plus le rôle d’aide à la décision pour une municipalité volontaire du développement de
Vitrolles.
Une nouvelle direction sous la houlette du maire et de Vecteur a été mise en place.
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C’est cette nouvelle direction, avec l’accord de la municipalité, qui m’a proposé d’assurer la
direction du Centre Technique Municipal.
Le CTM regroupait dix régies (mécanique, métiers du bâtiment, de voirie, d’espaces verts,
nettoiement), soit près de 220 agents.
La mise en place d’un nouvel organigramme structurel, le mode de management par objectifs a
complètement bouleversé les habitudes d’une fonction communale chloroformée par un
paternalisme poussé.
J’ai pu constater que, si une majeure partie des agents communaux adhérait au projet de
transformation de la structure, un nombre non négligeable s’en tenait à l’écart, refusant même le
projet. Plus on descendait dans la hiérarchie, notamment vers les agents non qualifiés, plus le
nombre des opposants était grand.
C’est une frange du personnel que je n’ai pas pu faire adhérer au projet et trouver les arguments
pour la rendre imperméable au discours populiste.
Je me suis souvenu alors de la fameuse maxime de Lénine qui disait qu’il « fallait se méfier des
balayeurs illettrés ».
Déjà en 1989, lors des élections municipales que l’équipe de JJ Anglade avait remportées dès le
premier tour, en suivant une équipe du nettoiement qui oeuvrait sur l’affichage sauvage, j’ai eu
l’occasion de rencontrer M. Stirbois. Je lui ai rappelé les règles de l’affichage d’opinion. Très
courtoisement, il m’a confirmé que nos équipes du nettoiement avait gagné la bataille du papier,
que son stock d’affiches 2m par 2 m était épuisé (plus de 3 000 m2 d’affiches frontistes ont été
décollées pendant un mois de campagne) mais que de toute façon cela n’était pas important.
Qu’il avait mesuré au cours de la campagne qu’un écho de plus en plus favorable pour les idées
qu’il défendait, s’exprimait. Il m’a même demandé de venir le rejoindre !
Dès le début du 2ème mandat de l’équipe de JJ Anglade, au cours des années 90, la municipalité
avait mis l’accent sur le développement d’une politique de quartier, animé par un élu. J’ai eu
l’occasion d’assister plusieurs élus dans leur démarche, notamment :
-
Au quartier des Pins, où M. Castan avait mis en place un comité de quartier et une régie
de quartier
- Aux Vignettes, aux Hermès où des problèmes de drogue causaient une gêne importante
pour la population
- A la Frescoule où de nombreux tapages nocturnes empêchaient les gens de dormir
J’’ai eu le sentiment que tout ce mal-vécu qui s’exprimait est resté lettre morte, que la
municipalité s’est sentie impuissante à répondre aux problèmes et que cette dernière s’est
réfugiée dans une fuite en avant où a régné la mégalomanie excitée par certains dirigeants
sportifs. Cette situation a créé une division au sein de l’équipe municipale sur la politique à
mener. Cet état de fait a largement nourri le Front National.
C’est en 1995, qu’avec les éboueurs, il a été créé une amicale pour leur permettre, comme cela se
faisait partout ailleurs, de récupérer quelques étrennes pour financer l’action de leur amicale.
Lors de leur porte à porte, les éboueurs devaient laisser une lettre du maire valorisant l’action de
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la commune sur la propreté de la ville. Pratiquement sur tout le territoire communal, là où les
éboueurs remettaient cette lettre, ils ont subi de nombreux rejets. Sans la présentation de ce
document, les agents étaient bien accueillis. J’ai informé le directeur de cabinet de l’époque de ce
constat ainsi que certains élus du cercle du maire. Leur autisme m’a laissé sans voix.
J’ai compris, à partir de ce moment, que si je ne voulais pas travailler avec le FN, il me fallait
quitter Vitrolles pour d’autres cieux. Je suis parti avec mes acquis ; mais surtout avec le
sentiment d’avoir assisté pour Vitrolles à un énorme gâchis. »
Encore ces mêmes mots « autisme » et « gâchis ».
On l’a vu il y a eu tellement de belles énergies pour construire la ville .Et aussi une forme de
méfiance vis-à-vis du peuple de la part de trop d’élus de gauche : un refus de partage des
pouvoirs.
Le contraire de l’idéal de Pierre Greff : des murs et non des ponts.
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