Hôtels, restaurants, logements : le haut de gamme s`installe Hôtels

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Hôtels, restaurants, logements : le haut de gamme s`installe Hôtels
Politiques
Mimir, du squat à la légalité p. 9
Viva cité­­­
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LE Journal des Quartiers de strasbourg
numéro
u 21
numéro 112255 -- d
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21 jju
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2012 -- 1,50
1,50 EEuro
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Tapis rouge
pour le luxe
Hôtels, restaurants, logements :
logements :
le haut de gamme s’installe
viva cité - n°125 - du 21 juin au 15 juillet 2012 - 1
Aménagement
PLU dense la ville
La communauté urbaine se dote d’un nouvel outil d’aménagement
afin de réduire l’étalement urbain.
I
Thibaut Cordenier/CUEJ
MAGINER ce que sera
l’agglomération strasbourgeoise à l’horizon
2030. Dans tous ses aspects : habitat, transports,
environnement, économie.
Pour les 28 communes
et 474 000 habitants de
la Communauté urbaine
de Strasbourg (CUS), c’est
l’enjeu du premier Plan
local d’urbanisme (PLU).
Se substituant aux plans
d’occupation des sols ou aux
PLU établis auparavant dans
chaque commune, ces outils
intercommunaux ont été
rendus obligatoires par la loi
Grenelle II de 2010.
Ne pas tomber
dans l’inhumain
Souffelweyersheim
1
Hoenheim
Bischheim
2
Schiltigheim
Thibaut Cordenier/CUEJ
3
1
Secteur agricole de la Fontaine entre
Hoenheim et Souffelweyersheim
2
Friches Istra, Deetjen et Wehr
3
Brasserie Schutzenberger
Futur tram Vendenheim - Eckbolsheim
Souffelweyersheim devrait accueillir le tram à proximité de ses terres agricoles. Les travaux sont prévus en 2013.
en France. D’après l’Agence
de développement et d’urbanisme de l’agglomération
strasbourgeoise
(Adeus),
entre 1976 et 2002, plus de
13 000 hectares de terres
ont été consommés dans le
Bas-Rhin soit 530 hectares
par an, l’équivalent du ban
communal d’Eckbolsheim.
Les habitants éloignés de la
ville-centre sont aussi plus
dépendants de l’automobile : leurs déplacements
quotidiens entraînent pollution et embouteillages sur
les réseaux routiers.
L’étalement urbain, qui
« produit de la fragmentation sociale et spatiale », est
aussi un problème, explique
Patricia Zander, maître de
conférences de géographie
à l’Université de Strasbourg.
« Freiner cet étalement, poursuit-elle, c’est aussi repenser
un projet collectif. » Une densification harmonieuse est
le défi prioritaire de ce PLU.
Mais le problème de la CUS,
c’est qu’il n’y a plus beaucoup de réserves foncières.
« Arrivera-t-on à bien utiliser les
derniers secteurs ? », interroge
Patricia Zander.
Quels espaces vont être
investis ? Comment atteindre l’objectif affiché par le
président de la CUS, Jacques
Bigot (PS), de 3000 nouveaux
logements par an dans les 15
années à venir ? A la CUS, à
l’Adeus ou à Alsace nature,
on veut urbaniser dans les
zones creuses situées en
première couronne de l’agglomération et desservies
par les transports en commun. Les mêmes pistes sont
évoquées pour l’urbanisation
future : l’axe Heyritz-Kehl, le
port du Rhin et le Wacken,
où les travaux sont déjà
lancés ou programmés. On
évoque aussi les fronts d’Illkirch-Graffenstaden
(110
2 - du 21 JUIN au 15 juillet 2012 - n°125 - viva Cité
hectares) délimité par l’étang
du Baggersee, le centre commercial et le parking-relais.
On parle encore des friches
industrielles de l’entrée sud
de Schiltigheim (12 hectares)
et de l’aire agricole située à
cheval sur les communes
de Bischheim, Hoenheim,
et Souffelweyersheim (140
hectares).
Préserver
les espaces agricoles
Mais déjà, des réserves se
font entendre. « La municipalité craint que le PLU communautaire veuille trop densifier à Schiltigheim », annonce
l’adjointe écologiste de la
commune en charge de l’urbanisme. Si elle se dit en
accord avec les axes de
travail du PLU, l’adjointe
entend préserver l’identité
schilikoise. Elle redoute que
la CUS veuille imposer trop
de logements dans cette
zone : « Nous voulons utiliser
cet espace pour d’autres activités comme la culture ou le
tourisme. On est prêt à se battre s’il le faut. »
Plus au nord, 140 hectares de terres se trouvent sur
les bans communaux de
Bischheim, Hoenheim et surtout de Souffelweyersheim.
Le tram qui devrait bientôt relier Eckbolsheim à
Vendenheim via la Place des
Halles desservira ce secteur.
Il ne comprend aujourd’hui
qu’une rangée de maisons
à son extrême ouest. À
Bischheim et à Hoenheim,
les municipalités veulent
préserver les espaces agricoles, tout en construisant à
proximité du tram, dont les
travaux devraient commencer en 2013.
A Souffelweyersheim, où
est située plus de la moitié
de ces 140 hectares, en grande majorité classée en zone
naturelle ou agricole par le
PLU communal, l’adjoint à
l’urbanisme Paul Tedeschi
(majorité municipale UMP)
se montre d’abord catégorique : « Pour nous, l’urbanisation c’est terminé de ce
côté. » Il critique ensuite le
PLU communautaire, « ficelé par la CUS et l’Adeus,
qui conduit une ville comme
Souffelweyersheim à devenir
une mairie de quartier ».
Mais l’élu laisse des portes ouvertes et affirme pouvoir envisager une légère
extension d’ouest en est
de la zone « si le tram passe
là. Je suis réaliste », poursuitil, concédant que le bâti le
long de la route de Brumath
(celle où doit passer le tram,
ndlr) devra s’étoffer : « Disons
que nous sommes prêts à urbaniser une dizaine d’hectares
à l’horizon 2050. Mais si la CUS
veut urbaniser une partie trop
importante, on dit non ! »
Deux réunions se sont
tenues ces derniers mois à
propos de ces 140 hectares
entre les trois mairies concernées et l‘administration communautaire. La première fut
très tendue, la deuxième
plus sereine, raconte Paul
Tedeschi, qui pense « qu’on
trouvera toujours des compromis ». La plupart des bons
connaisseurs des problématiques d’intercommunalité
et de PLU pensent la même
chose : tout va se négocier.
Emmanuel Daeschler
Nathan Kretz
Thibaut Cordenier/CUEJ
A Strasbourg, le processus
d’élaboration est en cours.
Le PLU doit être présenté en
octobre 2013. Le maire de
Strasbourg Roland Ries (PS)
considérait en novembre
dernier que « recentrer l’agglomération sur elle-même,
et donc utiliser le foncier là où
il est disponible » devait être
« le principe prioritaire » du
document. Stéphane Giraud,
directeur de l’association de
protection de l’environnement Alsace nature, va dans
le même sens : « Le terme de
densification fait peur. Mais
densifier est une priorité et on
peut y souscrire sans tomber
dans l’inhumain. Il faut faire
régresser l’étalement urbain et
le PLU communautaire est un
outil magnifique qui peut permettre d’avancer sur ce sujet. »
Dans la CUS comme
ailleurs, les raisons de lutter
contre « la prolifération urbaine » ne manquent pas.
Des motifs écologiques,
d’abord : il s’agit de freiner
l’« artificialisation » (la transformation d’espaces agricoles ou forestiers en bâtiments, routes, parkings...)
de 60 000 hectares par an
L’entreprise Istra (3 hectares) à Schiltigheim a fermé ses portes en 2010. La friche industrielle est
considérée comme une zone de densification potentielle.
Politiques
La relève entre en scène
Adriane Carroger / CUEJ
Ils sont jeunes et seront demain les têtes d’affiches locales de l’UMP, du PS,
du MoDem ou du Front de gauche. Instants d’ambitions.
Jeunesse militante strasbourgeoise. De gauche à droite, Elsa Schalck, 25 ans (UMP), Mathilde Karceles, 19 ans (MoDem), Khaled Farah, 20 ans (PS) et Antoine Splet, 24 ans (Front de gauche). Hormis Elsa Schalck qui a mis ses études entre parenthèses et travaille au Conseil régional, tous concilient études supérieures et engagement dans leur parti.
E
LLE s’appelle Mathilde
Karceles, elle a 19 ans
et se présente aux élections législatives dans la
3e circonscription du Bas-Rhin
(quartiers nord de Strasbourg,
Schiltigheim, Bischheim). C’est
la benjamine centriste des cinq
circonscriptions où le parti de
François Bayrou aligne un candidat. Un an après avoir obtenu
le droit de vote et pris sa carte
au MoDem, elle se lance dans
sa première bataille électorale
sous la bannière du Centre
pour la France, un rassemblement créé par François Bayrou
à l’occasion des élections
législatives.
En 2007, elle regardait
déjà les débats « avec intérêt »,
même si elle avoue qu’à cet
âge, elle s’intéressait davantage à la personnalité des candidats qu’à leurs discours qu’elle
avait du mal à comprendre.
Qu’importe, son choix d’alors
s’est porté sur François
Bayrou, « le plus observateur, le
plus sincère », selon elle.
Le parti
a foi en elle
Etudiante en langues,
médias et politique à l’université de Metz, elle vit à
Barr et vient régulièrement à
Strasbourg. Son ancien lycée,
les Pontonniers, se trouve
dans la 3e circonscription,
une aubaine pour les responsables nationaux du MoDem.
Quand ils l’ont appelée
pour lui proposer une investiture, Mathilde Karceles
n’y a d’abord pas cru. Elle a
d’ailleurs décliné l’offre « plusieurs fois », se sentant trop
jeune et inexpérimentée.
Finalement, elle a cédé de-
vant leur insistance et a compris que le parti avait foi en
elle. Ce qu’elle espère le 10
juin ? « Etre au second tour ! »
Et sinon ? « On fera la fête
quand même ! »
Plus tard, elle se verrait
bien travailler au sein des
institutions européennes.
« Je parle français, allemand,
anglais et chinois ». De bonnes armes pour briguer un
mandat européen. Elle assure, avec un regard malicieux,
que cette première candidature « ne sera pas la dernière ».
Au Front de gauche,
Antoine Splet se prépare aussi à se soumettre aux suffrages des électeurs. Il est candidat dans la 2e circonscription
(quartiers sud Illkirch). Cet
étudiant en deuxième année
de master d’histoire à l’université de Strasbourg n’est
pas un bleu en politique.
Depuis 2009, il est secrétaire
général des Jeunes communistes du Bas-Rhin. Malgré
ses 24 ans, il a déjà été candidat aux élections cantonales
en mars 2011 dans le canton
Strasbourg 7. Un canton qui
couvre la Meinau et une partie du quartier de Neudorf,
qu’il connaît bien pour y vivre depuis qu’il est enfant.
Il n’est pas peu fier de son
score (5,3%). Les cantonales,
« c’était l’entraînement » ; avec
les législatives, « c’est le vrai
match qui se joue », expliquet-il, l’air conquérant.
Sa conscience politique
s’est forgée à partir de 2003. Il
se souvient avoir été contre la
guerre en Irak et « la tentation
impérialiste américaine. » Puis,
comme beaucoup de jeunes
de sa génération, les manifestations de 2006 contre le
Contrat de première embauche (CPE) ont marqué son véritable engagement. Il prend
sa carte au Parti communiste
français dans la foulée.
Objectif :
5% des voix
Pourquoi le PCF ? Au nom
« des valeurs de justice, de liberté ». Et d’un point de vue
économique, il n’est « pas
favorable à ce que les moyens
de production n’appartiennent qu’à quelques uns. Les
patrons oublient que sans les
salariés pour faire fonctionner
les machines, ils ne sont rien ».
Comme un air de Marx.
Antoine Splet ne sait pas encore ce qu’il fera en septembre comme études car son
« échéance à court terme, ce
sont les 10 et 17 juin. » Objectif
pour cette élection ? Obtenir
5%, pour le remboursement
des frais de campagne. Mais
il se prend à rêver de réaliser
le même score que Jean-Luc
Mélenchon à l’élection présidentielle dans la circonscription, soit 10,8%.
Elsa Schalck est la présidente des Jeunes populaires du Bas-Rhin. Pour cette
jeune femme de 25 ans, « la
politique c’est une affaire de
contact. J’adore bavarder,
alors je ne pouvais faire que de
la politique ! » Elle tempère en
disant que, « si la forme compte, les convictions l’emportent
sur tout le reste ».
Élue au conseil municipal
des jeunes à l’âge de 16 ans,
elle était en position éligible
sur la liste des municipales
Keller-Grossmann en cas
de victoire aux élections de
2008. Après la défaite de la
droite, elle ne s’est pas découragée et s’est présentée sur la
liste de Philippe Richert aux
élections régionales de 2010.
L’étudiante en droit était trop
loin sur la liste pour être élue.
Mais aujourd’hui, elle est
membre du cabinet du président de la Région, chargée
du suivi de la jeunesse.
29 ans,
vieux de la vieille
Elsa Schalck a grandi et
fait sa scolarité dans la capitale alsacienne et se dit
« pronfondément attachée à
sa ville ». Côté caritatif, elle a
travaillé pendant un an pour
une association, Viaduq 67,
qui « aide les victimes à accéder à leurs droits ».
Elsa Schalck, qui a réussi le
concours de l’Ecole d’avocats
de Strasbourg en 2010, mais
a reporté son entrée dans
l’établissement en 2014, se
verrait bien, la même année,
être à nouveau présente sur
la liste UMP aux municipales. Briguera-t-elle, d’ici là, un
deuxième mandat à la tête
des « Jeunes pops » ? Sur le
ton des discours de vieux
briscard de la politique, elle
déclare : « Seulement si les
conditions de la relève ne sont
pas assurées. »
Du côté des socialistes,
Paul Meyer est une figure
bien connue du parti mais
également de la ville. Cet
enfant de la MontagneVerte est adjoint au maire
à la vie étudiante et au développement numérique
depuis 2008. L’ex-numéro 2
national du Mouvement des
jeunes socialistes de 2003 à
2005, est désormais un vieux
de la vieille. Il a 29 ans et l’année prochaine, son adhésion
au mouvement cessera de
facto. Il aura atteint la limite
d’âge.
Savoir dire non
pour mieux revenir
La relève est assurée avec
des militants comme Khaled
Farah, 20 ans, chef de file du
MJS du Bas-Rhin. Son engagement politique est marqué
par son attachement à la ville.
Il vit à Hautepierre, un des
quartiers les plus sensibles
de Strasbourg. « La crise des
banlieues en 2005, je ne l’ai pas
vécue à la télévision. Je n’avais
qu’à ouvrir ma porte pour voir
des voitures calcinées », raconte Khaled Farah qui, après
une année de médecine,
se tournera vers le droit en
septembre. Il a d’abord pris
sa carte au PS, puis au MJS,
« plus à gauche », se justifie-il.
En juin 2011, il est propulsé à
la tête des Jeunes socialistes.
Ses valeurs ? « La tolérance, la solidarité, l’égalité. » Il est
pour une VIe République, le
non cumul des mandats et
insiste sur le renouvellement
des générations. Il affirme
vouloir céder son mandat au
MJS en 2013. A demi-mot,
il espère une place éligible
sur la liste du Parti socialiste
aux élections municipales en
2014. Il a d’ailleurs toutes ses
chances. Il y a quelques mois,
raconte-t-il, il a été approché
par l’équipe du maire qui
aurait souhaité le voir intégrer le cabinet. Il a alors décliné l’invitation. Mais, dit-il,
en laissant une porte ouverte
pour les années futures...
Adriane Carroger
viva cité - n°125 - du 21 juin au 15 juillet 2012 - 3
Société
« Vous ÊTES tous
des rats »
La jeune fille, âgée de 21 ans, s’approche de la barre du tribunal correctionnel. Charlotte M., cheveux blonds et
tailleur gris ne semble pas intimidée. Le
soir du 29 octobre 2011, elle sort d’un
bar du centre-ville accompagnée d’un
jeune qui propose de la reconduire chez
elle. Elle profite de son état d’ébriété pour
lui voler sa voiture. Pas de chance, elle
est contrôlée par une patrouille quelques
minutes plus tard alors qu’elle a 0,80
gramme d’alcool. La jeune fille s’énerve
et insulte les policiers. « Vous êtes tous
des rats ! Vos enfants font le tapin, allez
plutôt les surveiller! », lance-t-elle avant
de cracher sur un agent.
« Ça vous fait rire, mademoiselle ?
Apparemment vous ne regrettez pas du
tout ce que vous avez fait ! » s’irrite le
président. « Non, monsieur, pas du tout ,
dit-elle. J’étais stressée; c’est vrai, je
n’aurais pas dû les insulter mais je
regrette vraiment et j’ai déjà commencé
à reprendre ma vie en mains. Je passe
l’équivalent du bac à la fac. » Le délibéré
sera rendu le 14 juin.
Pour Béatrice B., 52 ans, sans emploi, le
jugement ne s’est pas fait attendre : elle
remet son permis de conduire, annulé
pour avoir pris le volant en état d’ivresse.
Six mois de prison avec sursis. La nuit
du 30 au 31 janvier 2012, elle fonce
dans un arbre dans la rue de la Plaine,
à Illkirch. « Je faisais tout simplement la
fête ! Vous savez, je suis au chômage, j’ai
perdu mon frère, ma mère...c’est dur »,
tente de justifier cette récidiviste. « Et à
chaque fois que vous perdrez un membre
de votre famille, vous allez mettre votre
vie en danger et celle des autres ? Il faut
arrêter de boire ! » rétorque le procureur.
« J’ai pris rendez-vous avec un médecin
pour régler le problème, regardez, j’ai la
feuille. » Le président lit l’imprimé. Il
relève la tête, l’air dépité. « C’est juste la
prise de rendez-vous que vous avez faite
il y a une semaine ? On vous avait déjà
prévenue la dernière fois. Plus de cadeau
pour les récidivistes. La prochaine fois,
c’est la prison ! »
Pourtant le tribunal sait aussi être
sensible aux arguments. Frédérique
S., 35 ans se dirige timidement vers
la barre. « 0,80 gramme d’alcool dans
le sang ! Vous vous rendez compte ? ,»
gronde le procureur qui demande la suspension du permis et de la prison avec
sursis. Frédérique tente de se défendre
devant le président :« Mais je cherche
du travail, comment je vais faire sans
mon permis ? » « Mademoiselle vous êtes
reconnue coupable des faits qui vous sont
reprochés. Le tribunal vous condamne à 3
mois de prison avec sursis et une suspension de permis de six mois. » Frédérique
se retourne vers sa mère. « S’il vous plaît !
Elle a changé, elle sort d’une cure de trois
semaines... Six mois c’est trop », supplie la
mère. La greffière lui fait signe de se taire.
La jeune fille tend son permis de conduire au juge. « Vous avez fait une cure... Le
tribunal vous reconnait coupable des faits
et vous condamne à trois mois de prison
avec sursis et à quatre mois de suspension
de permis », corrige le président.
Adama Sissoko
Les terrasses dans les clous
D
Dans le centre historique, la Ville tente de faire respecter
l’espace alloué aux restaurateurs. Sans grand succès.
ANS une ville touristique comme
Strasbourg, les terrasses prolifèrent et ne demandent qu’à se déployer
au moindre rayon de soleil.
Mais à la Ville, on ne l’entend
pas de cette oreille. Il a donc
été décidé de délimiter,
à l’aide de clous argentés
visibles à l’ œil nu, plantés
dans le sol, les surfaces des
534 terrasses que compte la
cité afin d’y voir plus clair. Le
travail a commencé au centre-ville, et elles devraient
être toutes cloutées d’ici fin
juillet.
Règles précises
de cloutage
Les terrasses des restaurants sont délimitées
selon la règle suivante, qui
reste la même qu’avant le
cloutage : 3,50 mètres de
profondeur tout le long de
la façade de l’établissement
lorsque la rue est suffisamment large ou 2,50 mètres
lorsqu’elle est étroite. Mais
comme toutes les règles,
celle-ci souffre d’exceptions. Ainsi les terrasses de
la Grand’rue ont été limitées à 2,50 mètres en raison
de la circulation piétonne
et cycliste importante.
Depuis quelques années,
certains
établissements
avaient pris leurs aises avec
la réglementation, n’hésitant pas à agrandir leur
terrasse au-delà de la limite
permise. Rue Mercière, par
exemple, entre les terrasses,
les étalages des magasins
de souvenirs, le passage du
train touristique et le flot
des piétons, la circulation
était devenue anarchique.
En cas de non respect de
la délimitation, le restaurateur recevra désormais un
premier avertissement, puis
en cas de récidive, il s’exposera à une amende et à une
interdiction temporaire ou
définitive d’installer une
terrasse.
Partage équitable
de la rue
Le syndicat des hôteliersrestaurateurs salue la mesure qui devrait mettre fin aux
conflits de voisinage sur la
délimitation des terrasses.
« On n’est pas propriétaires
de la voie publique, donc
c’est normal que cet espace
soit délimité et partagé équitablement avec les autres utilisateurs. Ce qu’on explique
à nos adhérents, c’est que la
rue n’est pas privative », commente Bernard Rotman,
représentant des cafetiers
strasbourgeois et patron du
café les Douze Apôtres, rue
4 - du 21 juin au 15 juillet 2012 - n°125 - viva cité
Geoffrey Livolsi/CUEJ
Plusieurs femmes ont
comparu devant le tribunal
correctionnel le 31 mai pour
conduite en état d’ivresse.
La délimitation des terrasses ne fait pas l’unanimité du côté des restaurateurs.
Mercière.
Rue des Tonneliers, ce
sont 18 restaurants et bars
qui se partagent l’artère piétonne. Ici, la plupart des établissements ont perdu entre
quatre et six tables sur leurs
terrasses. Si la majorité des
restaurateurs comprennent
la décision de la mairie, certains regrettent le manque
de concertation, comme
Jeannine Langs, propriétaire de La Crêpe gourmande : « Nous avons appris
la nouvelle dans le journal.
Quelques jours plus tard, les
services de la mairie sont venus, ont pris des mesures et
posé les clous. Nous n’avions
pas notre mot à dire. » Le
propriétaire du restaurant
Le Penjab déplore que la
rue ne soit pas totalement
piétonne : « Le problème,
c’est que dans cette rue, il y
a toujours de la circulation,
notamment des taxis. La cohabitation est donc parfois
difficile. »
Avec la saison estivale
qui approche, la tentation
d’agrandir les terrasses
risque d’être irrésistible.
Plusieurs restaurateurs, sous
couvert d’anonymat, reconnaissent ne pas respecter
la réglementation, notamment le week-end. Certains
établissements vont même
jusqu’à doubler la surface de
leur terrasse dans plusieurs
rues du centre historique.
La responsabilité
de chacun
Eric Kuhn, patron du restaurant Le Kobus, situé rue
des Tonneliers, explique très
sereinement que s’il faut
agrandir la terrasse en pleine saison, il le fera, quitte à
être hors des clous : « On le
faisait avant, on continuera à
le faire. Si un véhicule de secours à besoin de passer, les
gens de la terrasse se lèveront
de leur table et puis voilà. »
La
question
est
aujourd’hui de savoir si la
mairie aura la volonté de
faire respecter cette réglementation, alors que certains restaurateurs prévoient
déjà de ne pas s’y plier. Pour
l’instant, aucun établissement n’a encore été verbalisé, selon la Fédération
des cafetiers strasbourgeois
(nous n’avons pas pu nous
entretenir avec les services
municipaux sur ce sujet
-ndlr).
Pour Bernard Rotman,
les restaurateurs qui feront
le choix de ne pas respecter la réglementation prendront leurs responsabilités
et ne pourront pas compter
sur le soutien de la fédération des cafetiers. « Si un
scooter ou un cycliste vient
à rentrer dans une table qui
n’était pas dans la zone prévue, il y aura un problème de
responsabilité au niveau des
assurances. Elle incombera
au restaurant. »
Après le cloutage des
terrasses, la Ville a en ligne
de mire les magasins de
souvenirs et les supérettes.
Ceux-ci devraient voir à leur
tour leurs étals délimités dès
l’automne afin de maintenir
une égalité de traitement
sur le domaine public.
Geoffrey Livolsi
Société
La revanche de la carafe
Enjeux écologique
et économique
Plusieurs raisons ont
motivé cette campagne.
En premier lieu, l’enjeu
écologique et la volonté
de soigner l’image de
« ville propre » accolée à
Strasbourg. Selon les chiffres de l’Insee, un ménage
de quatre personnes boit
près de 1500 bouteilles
d’un litre et demi par an.
« On a voulu réduire l’impact
environnemental des eaux
en bouteilles, affirme Henri
Bronner,
vice-président
de la CUS (sans étiquette),
chargé de l’eau. On peut, de
cette manière, réduire le volume des déchets ainsi que
les émissions de CO2. C’est
une démarche qui s’inscrit
dans notre plan climat, qui
vise à diminuer les émissions
de gaz à effet de serre. »
Les petits strasbourgeois goûtent l’eau du robinet lors d’une journée de sensibilisation.
La CUS a aussi voulu optimiser les 45 millions d’euros
alloués au service de l’eau et
de l’assainissement chaque
année. « L’eau de boisson ne
représente que 2 à 3% de la
consommation totale d’eau,
souligne Christophe Wittner,
ingénieur au laboratoire de
gestion territoriale de l’eau et
l’environnement à l’Engees
(Ecole nationale du génie de
l’eau et de l’environnement
de Strasbourg). On peut y
ajouter 3 à 4% d’eau utilisée
pour la cuisine. Et c’est uniquement pour ce faible usage que
toutes les normes sanitaires
existent », ajoute t-il. Pour la
collectivité, les dépenses
liées à l’eau se divisent en
trois parties : la mobilisation
de la ressource (eau de surface, forage), le stockage et
la distribution via le réseau.
La totalité de l’eau distribuée
par la CUS vient de la nappe
alluviale du Rhin. La proximité de l’eau avec la surface
permet un traitement plus
simple. Et moins onéreux.
« Les eaux souterraines de
surface sont souvent moins
chères car le traitement ne
nécessite en général qu’une
désinfection », précise l’ingénieur de l’Engees.
Entretien onéreux
du réseau
Malgré cette particularité
strasbourgeoise, les dépenses restent importantes pour
s’assurer du bon état du réseau qui date des années
1970. « Le renouvellement du
réseau coûte cher », rappelle
Henri Bronner. Pour lutter
contre les fuites dues au sel,
aux mouvements de terrain
et à l’âge du réseau, la CUS a
lancé un projet de nouveau
captage à Plobsheim à l’horizon 2014. Le montant de
cette opération devrait avoisiner les 80 millions d’euros.
Le robinet moins cher
que la bouteille
L’eau du robinet a aussi
l’avantage d’être peu chère.
A Strasbourg, elle coûte
3,15 euros le mètre cube
(frais d’assainissement des
eaux usées inclus). Boire en
moyenne 1 m3 d’eau du robinet reviendrait donc seulement à 3,15 euros par an.
A l’inverse, la facture peut
atteindre à 800 euros par
an pour l’eau en bouteille.
« Boire l’eau du robinet peut
contribuer à maintenir le pouvoir d’achat des ménages »,
indique Henri Bronner.
Si l’écart est tellement
énorme, comment expliquer que l’eau du robinet
ne soit pas plus populaire ? « Il y a un fort lobby
des eaux en bouteilles, avec
des campagnes de publicité
énormes. Et puis, en facturant l’eau seulement deux
fois par an, les ménages reçoivent des factures lourdes.
Mais si on regarde le prix par
jour, il est minime »., détaille
Christophe Wittner.
Ces
éléments
sont
connus des municipalités,
et même si plusieurs villes
se sont lancées dans des
démarches similaires à celles
de la CUS, le principe n’est
pas généralisé. Un problème
structurel pour Christophe
Wittner : « Dans ce domaine,
les collectivités n’ont aucune
part de marché à gagner. Les
coûts en communication ne
sont pas amortis par une nouvelle clientèle. »
Pourtant, la tendance
s’inverse. Avec la crise économique, la consommation
d’eau en bouteille a sensiblement chuté. D’autre
part, la réputation des
eaux change, comme l’explique le docteur Laurent
Tschanz, nutritionniste à
Strasbourg : « La confiance
grandit envers l’eau du robinet. En terme de dureté de
l’eau (sa teneur en calcaire, ndlr), il y a de moins en
moins de différences. »
Thibaud Métais
Marques
Prix au litre en euros*
0,003
Eau du robinet
Cristaline
0,11
Carola Bleue
0,26
Wattwiller
Evian
0,35
0,37
Prix relevés au Leclerc de Rivetoile, le 5 juin 2012.
Thibaut Cordennier/CUEJ
N 2000, l’eau
du robinet de
Strasbourg était
contaminée dans
les quartiers de la
Krutenau et de l’Esplanade.
Alerte rouge. Impossible de
la boire. L’événement est resté dans les mémoires. Douze
ans plus tard, la Communauté
urbaine
de
Strasbourg
(CUS) incite ses habitants à
consommer l’eau qu’elle distribue. Car contrairement aux
idées reçues, elle est bonne.
En mars dernier, la CUS a décidé de lancer une grande
campagne promotionnelle
en faveur de l’eau du robinet.
15 000 carafes estampillées
« Eau de Strasbourg » ont été
distribuées gratuitement, aux
habitants et à quelque 200
restaurateurs. Pour la CUS, la
facture atteint 75 000 euros.
Paluine Hoffmann/CUEJ
E
Contaminée en 2000, l’eau du robinet fait l’objet d’une intense campagne
de promotion qui vante sa qualité et son prix peu élevé.
Héritier de l’entreprise familiale, Jean-Marc Dossmann attire de nouveaux clients grâce à internet.
cordonnier et connecté
Jean-Marc Dossmann est le cordonnier de la rue du Chevreuil, près
de la rue du Faubourg-de-Pierre.
Devant son établi, il semble dominé
par deux sentiments contradictoires : il martèle sans cesse sa passion
pour son métier, tout en regrettant
souvent d’être submergé par la tâche.
Il décompte « au moins 90 heures de
travail par semaine pour faire tourner
l’atelier ».
Seuls deux collaborateurs qui
l’épaulent pendant 8 heures par
semaine chacun. « L’un est spécialisé dans les talons, l’autre dans les
coutures. »
Malgré cette charge de travail
parfois harassante, Jean-Marc
Dossmann ne rate aucune occasion
d’attirer de nouveaux clients. Il
dispose de deux sites internet « souvent référencés en premier choix sur
les moteurs de recherche » et va participer à la prochaine Foire européenne.
L’artisan respire l’odeur du cuir depuis son enfance. Son père était cordonnier à Neudorf depuis 1950, avant
de déménager rue du Chevreuil. C’est
presque naturellement qu’il le rejoint
en 1980, « après avoir été intéressé
par les métiers du bois et l’imprimerie », une filière choisie par son frère.
L’artisan ne souhaite pas que ses trois
jeunes enfants suivent un jour sa voie.
Il espère que son fils « apprendra un
métier plus polyvalent qui lui permettra de voyager ».
Jean-Marc Dossmann a pourtant des
compétences à transmettre. S’il fait
beaucoup de travaux de semelage, il
répare aussi les chaussons d’escalade et
les bottes des motards.
Ces spécialités lui valent des commandes des quatre coins de France
et même de l’étranger. Récemment,
des clients de la communauté juive de
Strasbourg ont vanté son travail à des
connaissances en Israël. Des chaussures
à réparer lui sont rapidement arrivées
depuis l’autre côté de la Méditerranée.
Dans la même journée, le
cordonnier peut tout aussi
bien « changer l’enveloppe d’une
paire d’Yves Saint-Laurent » que
rafistoler des chaussures à bas
coût. « Peu importe la durée de
mon travail, je ne demande que
quelques euros à mes clients. »
Mais il reconnaît que la baisse
de la qualité des chaussures est le
« mauvais côté du métier ».
Sa femme Katia tient un atelier de
repassage dans le local attenant à la
cordonnerie et s’occupe de l’accueil
des clients. Ces derniers déposent parfois en même temps leurs chaussures
à réparer et leurs chemises à repasser.
Katia lui transmet les remarques des
plus satisfaits pour lui donner du
cœur à l’ouvrage. « Mes chaussures
étaient complètement défoncées, mais
elles sont comme neuves », s’est dernièrement exclamé un client. L’artisan
renchérit, rassuré de la qualité de son
travail : « Les clients savent qu’on se
décarcasse pour eux. Des entreprises
comme ça, il n’y en a pas des masses »,
assure-t-il fièrement.
Emmanuel Daeschler
viva cité - n°125 - du 21 juin au 15 juillet 2012 - 5
DOSSIER
A la conquête des ét
La capitale alsacienne cible
les touristes fortunés, mais
de nombreux équipements
manquent pour qu’elle soit
vraiment concurrentielle.
S
TRASBOURG devrait disposer d’ici
deux ans de son
premier hôtel cinq
étoiles, avec l’installation du
Marriott dans les locaux de
l’ancien commissariat de la
rue de la Nuée Bleue. La société américaine d’hôtellerie s’est associée au groupe
français de BTP Vinci pour
rénover entièrement ce bâtiment du XVII e siècle, que
la police avait dû quitter en
2009 en raison de sa vétusté.
Pour un budget estimé à 34
millions d’euros, les 7000 m²
accueilleront une centaine
de chambres ainsi qu’un
restaurant gastronomique.
Le tout à deux pas de l’hôtel Mercure et du Sofitel, qui
vient lui-même de demander l’obtention d’une cinquième étoile, profitant de
la reclassification nationale
en cours.
Grâce à la présence historique du Parlement européen et du Conseil de l’Europe, la deuxième capitale
diplomatique française s’est
constituée un parc hôtelier solide avec neuf hôtels
quatre étoiles (douze, selon
la nouvelle classification)
et une capacité d’hébergement globale de près de
10 000 lits. Une offre large,
mais qui ne proposait pas
encore de palace susceptible d’attirer une clientèle
très haut de gamme. C’est
pour cette raison que la
mairie a pris l’initiative de
reconvertir l’ancien commissariat en un complexe
hôtelier.
En plus du Marriott, deux
nouveaux hôtels quatre
étoiles ouvriront leurs portes : le Bouclier d’or, un hôtel de petite capacité offrant
un service de spa, ouvrira
ce mois-ci dans la PetiteFrance, tandis qu'un second,
qui sera construit dans le
cadre de l’ambitieux plan
de rénovation des anciens
haras nationaux, accueillera
le touriste en septembre
2013. La mairie socialiste a,
là aussi, appuyé le projet de
l’Ircad (Institut de recherche
contre les cancers de l’appareil digestif) et a signé un
bail de 52 ans avec l’institut
pour reconvertir les haras
en un pôle d’excellence en
recherche médicale, destiné à être fréquenté par
le gratin des chirurgiens
mondiaux. Un hôtel sera
construit pour les accueillir
ainsi qu’un restaurant, dont
le chef triple étoilé Marc
Haeberlin (Auberge de l’Ill)
prendra la direction.
« ll manque du haut
de gamme »
Restaurateurs gastronomiques et commerçants
accueillent plutôt favorablement l’arrivée de ces
nouveaux acteurs. « Il manque du haut de gamme à
Thibaut Cordenier/ Cuej
Evolution du taux d'occupation dans l'hôtellerie
à Strasbourg entre 2007 et 2011
6
5
4
3
2
1
0
-1
-2
-3
-4
-5
+ 5,6%
+ 2,9%
- 2,5%
Super économique
Economique
- 4,8%
Sources : Inextenso
Milieu de gamme
Haut de gamme
6 - du 21 juin au 15 juillet 2012 - n°125 - viva cité
Au Crocodile, l'accueil des clients se fait avec la manière : serveurs en costume et décoration soignés jusqu'au m
Strasbourg, l’hôtellerie 4 étoiles ne suffit pas, il était temps
qu’un hôtel 5 étoiles s’installe,
constate Cédric Kuster, directeur de restaurant Au
Crocodile (une étoile au
guide Michelin), mais il faudrait faire plus, comme redynamiser l’aéroport. Il faut des
moyens de connexion plus
performants... » Pour Marylin
Girardin, du restaurant La
Casserole (une étoile), le
développement du luxe
doit être davantage encouragé par la municipalité : « A
Strasbourg, il y a un embryon
de quelque chose en terme
de luxe, mais il faut créer une
spécificité... Nous n’avons
jamais été consultés par les
élus. »
Pour porter haut cette
ambition du luxe, la municipalité travaille aussi à
la promotion de la ville à
l’étranger. Outre les classiques brochures destinées
aux marchés lointains, la
Ville de Strasbourg entreprend des opérations marketing telles que l’exportation de son marché de
Noël à Tokyo et bientôt à
Moscou. Mais la promotion
d’une ville ou d’une région
dans le tourisme comporte
sa part de hasard. A plus
forte raison dans le tourisme haut de gamme, où
tout se joue au relationnel.
Jean-Christophe Harrang
prospecte depuis quelques
années en Chine : « On a
pu inviter un petit groupe de
patrons de tours opérateurs
et d’agence de voyages en
janvier à venir visiter l’Alsace :
le golf, le Regent, le Sofitel, le
spa du Casino Barrière... Ces
gens-là font partie de clubs,
on compte sur le fait qu’ils
discutent de leur voyage et
recommandent la région. »
Redynamiser le
tourisme d'affaires
Autre cible : le tourisme
d’affaires. Avec le coûteux
plan de rénovation du Palais
des congrès et la transformation du Wacken en quartier d’affaires (250 millions
d’euros), la ville cherche
à se repositionner sur ce
marché apparenté au tourisme haut de gamme et qui
participe au rayonnement
de Strasbourg à l’étranger.
L’avantage offert par sa
situation frontalière et la
proximité des institutions
européennes n’est pas suffisant alors que le secteur est
très concurrentiel. Le nombre de journées effectuées
dans le cadre du tourisme
d’affaires enregistrées en
2011 à Strasbourg a ainsi
chuté de 11% par rapport à
2010.
La présence de marques estampillées « luxe »
classiques telles que Louis
Vuitton, Gucci ou Hermès,
mais aussi des grands magasins comme Printemps et
les Galeries Lafayette constitue un atout pour la ville. Les
deux établissements ont saisi l’opportunité de tabler sur
ce public et sont en grand
chambardement de part et
d’autre de la place Kléber
pour leur rénovation simultanée. L’objectif : donner un
coup de chic aux magasins,
avec employés polyglottes
tirés à quatre épingles et
marques luxueuses mises
en avant. « Les Galeries et
le Printemps du boulevard
Haussmann à Paris réalisent
60% de leur chiffre d’affaires
P
Le
OUR vivre riches, vivons cachés
Qu’il s’agisse de la restauration
de l’hôtellerie, des grands magasins ou des services, mener une enquête sur le luxe, c’est se confronter à
beaucoup de silences...
Rue de la Mésange, au cœur de la
ville, les enseignes de luxe ne manquent pas, mais leurs représentants
refusent de répondre aux questions
sur leur clientèle. Les directions de
Gucci, Hermès ou Vuitton n’ont pas
souhaité nous recevoir et les clients
n’ont généralement pas le temps de
parler : « Je suis pressée », s’excuse une
Le luxe prend
ses quartiers
L’offre de logements haut de gamme s’étoffe
désormais aussi en plein cœur de la ville.
Etienne Grelet/ CUEJ
D
moindre détail font partie du menu.
a
s
s
e
s
s
e
e
grâce aux touristes internationaux aisés. A Strasbourg,
il ne représente que 5 à 10%.
On n’atteindra probablement
pas ce chiffre mais l’ambition
est là », confie l’adjoint au
maire en charge du tourisme et du commerce, JeanJacques Gsell (PS).
Concurrence
allemande
Mais la concurrence locale est rude en matière de tourisme international de luxe.
« Strasbourg dispose de toute
la gamme de magasins de luxe
existante, mais le marché est
très concurrentiel, notamment
avec Baden-Baden », explique
l’adjoint au maire. Située à
une distance de 50 km, la
ville thermale allemande
dispose des mêmes magasins, de nombreux palaces et
d’une clientèle russe fidèle…
que Strasbourg cherche à
récupérer. La rivalité n’empêche pas un travail commun
entre les deux villes. L’Alsace
travaille ainsi, dans le cadre
de la coopération de la vallée
du Rhin supérieur, avec ses
voisins allemands et suisses,
à la promotion commune
de la région, sur le marché
indien notamment.
ÉBUT 2011, place
Saint-Thomas, l’immeuble de style
néo-Renaissance allemande construit en 1903 et qui a
abrité jusqu’en 2005 la Caisse
d’épargne, a laissé place à
dix-huit logements de grand
standing. Plusieurs autres
projets immobiliers sont sur
le point d’aboutir. L’îlot du
Printemps, rue du Noyer,
accueillera en juin 2013 Le
Plaza et ses 48 appartements
de luxe. Des discussions sont
par ailleurs en cours du côté
de l’ex-Manufacture des tabacs, à la Krutenau. Le groupe Scharf immobilier espère
y construire des logements
d’exception. Il attend cependant l’arbitrage de la mairie,
qui doit composer avec les
souhaits des associations de
quartier.
Faute de place, les promoteurs rénovent aussi
des bâtiments industriels et
commerciaux. C’est le cas
de l’ex garage Kroely, rue du
Fossé des Treize, où 120 appartements et 9 penthouses
haut de gamme sont prévus.
Rebaptisé Le Premium, il
s’étendra sur 35 000 m². Sa
livraison est prévue pour
décembre 2013. Son promoteur, Patrick Singer, cible
une population aisée, en
préretraite ou en retraite,
attirée par le centre-ville
et ses commodités. Sa volonté est de rapprocher ses
futurs clients du cœur de
Strasbourg en leur proposant des services inédits :
commerces de proximité,
pôle médical, bureaux,
conciergerie et domestiques privés. « Un lieu comme
ça n’existe pas encore en
France, il s’agit d’un produit
d’exception », insiste le pro-
moteur. « On propose des
logements atypiques avec
des séjours de 40 à 50 m², des
chambres de 25 m² et au minimum des terrasses de 12 m². »
Les tarifs varient entre 3900 et 4600 euros le
mètre carré. Des prix bien
supérieurs à ceux du marché strasbourgeois, 2400
euros en moyenne. Pour
autant, cela ne freine pas
les acheteurs puisque seuls
quatre penthouses et deux
appartements sont encore disponibles à la vente.
Un projet en accord
avec la ville
Selon Patrick Singer, « la
ville a vu d’un bon œil l’arrivée de ce projet innovant qui
évitait de laisser une friche à
l’abandon ». « On a une politique de l’habitat qui vise à
construire 3000 logements
par an sur la CUS. Parmi eux,
1500 sont des logements
d’ordre privés », confirme
Philippe Bies (PS), adjoint au
maire chargé du logement.
Une autre résidence haut
de gamme est actuellement
en cours de réalisation au milieu de la presqu’île Malraux,
sur le site de l’ancien entre-
pôt Seegmuller. Baptisé Les
Docks, elle sera livrée en
2014 et proposera 57 logements allant du studio de 30
m² aux cinq pièces de 150
m² pour un prix moyen de
4600 euros le mètre carré.
Directeur du développement du promoteur Icade,
Philippe Scaltriti, note que
« si le marché classique semble atone cette année avec la
crise, celui du haut de gamme
se porte bien. Trois à quatre logements sont vendus
par mois dans Les Docks ».
Malgré
cette
réussite, Philippe Scaltriti reste
conscient que le grand
standing
ne
constitue
qu’une « petite part de
marché pour les promoteurs. Strasbourg est touché
par un problème de foncier.
Or l’emplacement est primordial pour le haut de gamme ».
« De plus, Strasbourg n’est
pas Paris, tempère Patrick
Singer. On attire majoritairement la population locale. »
Une population toutefois
disposée à se faire plaisir
puisque la villa perchée sur le
toit de l’immeuble Premium,
avec piscine et jardin, a été
très rapidement acquise par
un couple de Strasbourgeois.
D.R
s.
,
à
DOSSIER
toiles
Le projet Premium, 35 000 m2 de luxueux penthouses
Le silence est d'or
dénominateur commun à toutes les activités qui touchent au luxe, c’est la discrétion.
femme, sac Gucci à la main. Au Snack
Michel, le samedi à l’heure du brunch,
il n’est pas aisé d’aborder la question
du luxe avec les clients.
Les fortunés aiment se retrouver
entre eux, sans que cela se sache. Une
volonté que respectent les établissements tournés vers cette population
aisée, comme les banques privées de
la ville.
L’une d’elles est spécialisée dans la
gestion de patrimoine et de grandes
fortunes. Un de ses employés révèle
que sa banque gère plus de 100 millions d’euros répartis sur les comptes
d’une centaine de riches clients, mais
n’en dira pas plus. On sait néanmoins
que plusieurs banques privées de
Strasbourg se portent plutôt bien.
Benoît Teutsch, directeur de la Société
Générale Private Banking, installée
depuis deux ans boulevard Tauler,
confiait en décembre dernier aux DNA
que son établissement avait « dépassé
ses objectifs en 2011 ».
Comme le secteur bancaire, celui des services aux VIP fait preuve
de discrétion. Spécialisée dans l’accompagnement des personnalités
à Strasbourg, la société Biribin of-
fre a ses clients un transport avec
chauffeur dans des berlines haut
de gamme, mais ses responsables
restent évasifs face aux questions.
« Les clients veulent rester discrets,
donc il faut respecter leur volonté », insiste Ouafa Walter. Cette société implantée à Souffelweyersheim jusqu’à
l’année dernière a déménagé cette
année à Luxembourg, mais elle a gardé une quinzaine de clients strasbourgeois. Sa mission est de transporter
des voitures de luxe d’une concession
automobile au domicile d’un client,
ou d’une résidence particulière à une
autre. Impossible d’en savoir plus sur
le public de LS Cars. Mais Ouafa Walter
a tout de même consenti à raconter le
dernier transport de la société : « Un
habitué de nos services nous a appelé
pour transporter la Bugatti Veyron qu’il
venait d’acquérir, auprès de l’usine de
Molsheim, vers sa résidence secondaire
de Monaco. Il voulait en profiter pour
l’été. Pendant que nous avons assuré le
convoyage, lui est descendu en avion et
a retrouvé sa voiture à l’arrivée. » Parfois,
une voiture se rapproche plus du bijou
que du moyen de transport... Surtout
lorsqu’elle vaut un million d’euros.
viva cité - n°125 - du 21 juin au 15 juillet 2012 - 7
DOSSIER
Cartographie de l’entre-soi
deux pas de la
place Kléber, Au
Crocodile, le directeur de restaurant,
Cédric Kuster, place les habitués. De l’amuse bouche au
dessert, tout doit être parfait.
Hélène et Martin, deux chercheurs en linguistique à
Zurich, ont leurs habitudes
Au Crocodile. Ils n’y étaient
pourtant jamais venus avant
le changement de propriétaire en 2009 : « C’était trop snob,
trop guindé. Avec un digicode et
une entrée opaque… L’entre-soi
nous décourageait », raconte
le couple, qui, depuis, a testé
les autres restaurants étoilés.
M ais selon eux, ils ne
peuvent rivaliser avec la
qualité de la cuisine, du
service et de l’accueil « fantastique » du Crocodile.
Quinze employés veillent au
bon déroulement du service,
et ce midi, la salle du rez-dechaussée est presque pleine.
A l’étage, Cédric Kuster a
même servi une table de quarante clients japonais en visite
touristique. « La semaine, nous
avons une quarantaine de couverts et, le week-end, nous sommes complets à 60 couverts .»
Avec une étoile au Michelin
acquise en février 2010, le
restaurant Au Crocodile ne
compte pas s’arrêter en si
bon chemin. « Nous voulons
la deuxième étoile, ce serait la
consécration de notre régularité. » La direction a l’intention
de remplacer les lampes sur
les tables par des modèles
signés « Baccarat », de changer l’argenterie. « Nos clients
dépensent leur argent dans
des endroits de rêve. Si nous
voulons monter en gamme, il
faut leur apporter ce quelque
chose en plus. »
« L’étoile, c’est la
cerise sur le gâteau »
Dossier
:
réalisé par
Mathilde Dondeyne
Etienne Grelet
Lorraine Kihl
Quentin Thomas
Rue des Juifs, à la
Casserole, chez Marylin et
Eric Girardin, l’atmosphère
cosy du lieu attire : une vingtaine de couverts chaque
jour, pour huit tables. Ici, la
clientèle comprend touristes
haut de gamme et habitués
strasbourgeois. « Il y a des
Australiens, des Japonais, des
Coréens, des Américains…,
confie Eric Girardin. Mais sans
la clientèle locale, nous n’en serions pas là aujourd’hui. C’est
elle qui nous a permis d’avoir
l’étoile du Michelin en 2008. »
Depuis, la clientèle s’est élargie : « Des Strasbourgeois qui
ne nous connaissaient pas
sont venus avec l’étoile. »
Le restaurant s’est repositionné. Il a augmenté ses tarifs : le menu du midi est passé de 23 à 39 euros. Le chef
a mis des produits « de luxe »
comme le turbot sur la carte.
Mathilde Dondeyne/CUEJ
A
Restaurants étoilés, cercles d’initiés, loisirs : la capitale européenne offre
de nombreux havres où les plus fortunés aiment se retrouver.
Au Snack Michel, avenue de la Marseillaise, les contrats se signeraient parfois sur un coin de table.
Mais il garde la tête sur les
épaules. Il ne court pas après
les honneurs. « Je ne pense
pas qu’à la deuxième étoile, sinon on risque de se perdre, tant
dans son travail que dans son
identité. » « L’étoile, c’est la cerise sur le gâteau, mais ce n’est
pas ce qui sauve une entreprise », renchérit son épouse.
Le samedi se prête parfaitement au brunch. Au Snack
Michel, une brasserie située
avenue de la Marseillaise, les
habitués se retrouvent entre
11 et 13h. Avocats, médecins,
grandes familles strasbourgeoises très connues... « Nous
sommes la cantine bourgeoise
de Strasbourg », prétend
Sébastien Vonesch, gérant
de la brasserie. Ici, on se regarde, on s’épie. On discute
affaires, aussi. « Des contrats se
signent souvent sur les tables »,
renchérit le gérant. Les clients
restent évasifs sur leurs habitudes : à la question de savoir
s’ils viennent régulièrement,
ils se contentent d’un « oui »
agacé et restent hermétiques
aux questions suivantes.
A 15h, quand les touristes
affluent pour commander
frites ou coupes glacées, les
habitués quittent leur table.
L’un d’eux repart au volant
de sa Porsche, dans un doux
vrombissement.
Un club à
3500 euros l’entrée
Ils partent alors peutêtre à Illkirch, au Golf club
de Strasbourg, taper la
balle ou retrouver des amis.
A 3500 euros le droit d’entrée, et 1700 euros la cotisation annuelle, l’établissement
réserve à ses membres un
accueil haut de gamme. « Il
8 - du 21 juin au 15 juillet 2012 - n°125 - viva cité
s’agit d’un club fermé et compte tenu des tarifs, l’endroit reste
sélectif », explique Michel
Salomon, secrétaire général
bénévole du golf. Des Audi,
des BMW, des Mini, et même
des Porsche se côtoient sur le
parking. « Pas besoin d’aller au
Salon de l’auto ! », s’exclame le
secrétaire général.
Un mardi de juin, à 18h,
des éclats de rires se font
entendre. Attablées à la terrasse, les dames ont quitté
leurs vêtements de golf : pantalon Burberry et chemisier
blanc pour une, sac Vuitton à
l’épaule pour une autre. Elles
se rafraîchissent d’un jus de
pamplemousse mélangé à
du Schweppes. Aujourd’hui,
elles ont joué en compétition
avec des golfeuses étrangères, à l’occasion de la rencontre annuelle avec des clubs
du Luxembourg. Pour ces
mères de famille, veuves, ou
retraitées, c’est la convivialité
qui importe : « Il y a vraiment
un esprit de club qu’on ne retrouve pas ailleurs », explique
Isabelle, en se servant au
buffet.
Shopping
réservé pour VIP
Marie-France, elle, joue
« une à deux fois par semaine »,
tandis que son amie Monique
partage son temps entre golf
et club de bridge. « On se téléphone pour jouer au bridge,
l’après-midi ou même le soir »,
confie la golfeuse. Le Cercle
de l’Ill, club trinational, permet
aussi de se retrouver « entresoi ». L’association réunit ses
membres le deuxième jeudi
de chaque mois. L’occasion
pour ses derniers d’échanger,
et de mieux se connaître.
Quand ils ne se retrouvent
pas pour discuter, les riches
achètent dans les boutiques
de luxe de la ville. Un « shopping » haut de gamme réalisé
en dehors des sentiers battus.
Le magasin Printemps leur
offre le privilège de posséder
la carte « suprême ». Sur invitation, ces clients bénéficient
de 20% sur les produits du
Printemps lors de soirées qui
leur sont réservées. « Il y a des
animateurs de soirées, ils peuvent boire un verre au restaurant, goûter du vin », indique
une syndicaliste qui souhaite
garder l’anonymat. Le magasin invite également ses riches clients à des concerts de
musique classique, ou à des
soirées « VIP » qui se déroulent désormais, en raison des
travaux de l’établissement, à
la salle Mozart de la Chambre
de commerce et d’industrie.
Antoine Latham, Président du Cercle de l’Ill
Un cercle pour « s’enrichir »
Le Cercle de l’Ill, c’est un club de grandes fortunes ?
Ce sont des avocats, des consultants, des syndicalistes, des représentants de différentes
religions, des journalistes... des hommes et
des femmes, des personnalités qui apportent
une contribution à la vie de la région du Rhin
supérieur. Il y a aussi des élus et des anciens
ministres, comme Catherine Trautmann,
François Loos, ou Daniel Hoeffel... Mais ce ne
sont pas forcément les numéros 1 du « business ». Nous essayons d’agréger des profils
différents. L’association choisit elle-même
ses membres : le candidat est présenté par
un membre au conseil d’administration, qui
décide par un vote de l’accepter, ou non.
Quel est l’objectif de ce cercle ?
C’est vraiment de faire se rencontrer physiquement des personnes qui ne se connaissaient pas auparavant. Nous produisons de
la confiance entre les membres. Ils ne parlent
ni de politique ni d’affaires dans nos dîners.
Nous devons faire en sorte que ces personnes repartent plus riches humainement.
Grâce à ces liens tissés au sein du cercle, leur
travail en sera plus productif.
Ce club a la réputation d’être un cercle
fermé et élitiste...
Le Cercle de l’Ill est une association de prestige, sélective, à ambition élevée. Mais ce n’est
pas le bottin mondain. Bien sûr, nous dînons
parfois dans des endroits prestigieux (Au
Crocodile, à la Maison Kammerzell, ndlr) mais
c’est avant tout pour rendre la soirée agréable. Lorsque les membres prennent du plaisir, ils se tournent davantage vers les autres.
Il y a plus de simplicité qu’on ne pense au
Cercle de l’Ill. C’est de l’entre-soi, oui, mais je
dirais plutôt une sorte de « chez soi » à une
échelle supérieure.
Quartiers
Good bail, Mimir !
Thibault Prevost/CUEJ
Menacés un temps d’expulsion, les sept ex-squatteurs d’une maison de la Krutenau
passeront à l’automne au statut d’occupants légitimes.
Au 18 rue Prechter, l’association Mimir fait souffler un vent alternatif sur le quartier.
I
l s’agit d’une expulsion » :
7 avril 2011, 11h, les sept
squatteurs – « occupants
sans droit ni titre », en
jargon procédural– sont très
officiellement mis à la porte
du 18, rue Prechter par la
Ville de Strasbourg. Il leur est
reproché d’avoir rénové une
poutre branlante et organisé
un concert dans la maison,
entre décembre 2010 et février 2011. Renaud Tschudy,
co-fondateur de l’association
Mimir, se souvient : « Il y avait
des travaux à faire, on les a
faits, c’est tout. On ignorait qu’il
fallait demander des autorisations pour renforcer une poutre. Les experts d’Habitation
moderne (le bailleur engagé
par la Ville pour gérer le bâtiment, ndlr) sont passés le
23 mars 2011. Ils ont constaté
la qualité du travail et ils sont
repartis. Deux semaines plus
tard, un huissier nous invitait
à quitter les lieux. »
Retournement
de situation
Aujourd’hui, un an après
avoir failli se retrouver à
la rue, l’association Mimir
s’apprête à conclure avec
la mairie un bail emphytéotique d’une durée de
20 ans. Passer du squat à la
propriété : une première en
France, et la dernière étape
d’un combat de plus de
deux ans.
L’aventure commence le
31 janvier 2010, lorsque la
grande maison à colombages de la rue Prechter –200
m2 inhabités depuis 1999,
estimée à 422 000 euros,
au cœur des ruelles de la
Krutenau– accueille sept
occupants illégaux entre ses
murs. Quinze jours après son
installation, le groupe en informe la mairie, via un « avis
d’occupation » envoyé à
Roland Ries, le maire (PS) de
Strasbourg. Sans complexe,
il y détaille son projet de
création d’une « structure sociale alternative ». Son idée :
mélanger les activités « sociales » (une bagagerie pour
SDF, unique à Strasbourg,
l’accueil ponctuel de personnes « en galère ») et
« culturelles » (expositions,
ateliers de création, studio
d’enregistrement). Son souhait : devenir occupant légal
des lieux.
En avril 2010, une première expertise, corroborée
par Habitation moderne, est
menée pour le compte de
l’association : le bâtiment
est viable. Un dialogue avec
la mairie s’engage, par l’intermédiaire de Philippe Bies,
adjoint (PS) au logement,
tandis que Mimir est poursuivie en justice pour occupation illégale. Le verdict est
rendu deux mois plus tard :
les sept squatteurs sont
déclarés expulsables. Mais
Philippe Bies se veut rassurant : « Décision d’expulsion
ne signifie pas expulsion »,
déclare-t-il à l’issue du procès. Car le projet intéresse la
municipalité.
Huissier, politique
et manifs
La maison ouvre ses portes au public en octobre
2010. Les activités démarrent, diverses et variées : de
l’atelier couture aux soirées
« bœuf musical », tout le
monde s’y retrouve. Et ça
marche, un peu trop même.
Expos et happenings se
multiplient, le public afflue,
jusqu’au 23 décembre 2010,
lors d’un concert de hip-hop
organisé par l’association
Pelpass. Le concert dure, trop
longtemps, trop fort pour
les tympans du voisinage.
S’ensuit l’épisode de l’huissier. « Pour nous, c’est fini, on
ne continuera pas l’aventure
ensemble », déclare Philippe
Bies dans les colonnes des
DNA (9 avril 2011). L’histoire
aurait pu s’arrêter là, mais
c’était sous-estimer l’importance de Mimir.
Un bail
emphytéotique
Trois jours de mobilisation,
un défilé d’élus politiques venus voir autant que se faire
voir, un rendez-vous à la CUS
et, à l’arrivée, un revirement
spectaculaire de la Ville : les
poursuites sont abandonnées, une Convention d’occupation précaire (COP) est
signée en juin 2011 entre
Habitation moderne et les
désormais
ex-squatteurs.
La maison bouillonne à
nouveau.
Dernier rebondissement,
enfin, le 20 février dernier :
le conseil municipal vote la
signature du bail emphytéotique, qui garantit à Mimir la
jouissance absolue de la maison. A cela vient s’ajouter une
enveloppe de 15 000 euros,
qui financera la mise aux
normes ERP (Etablissement
recevant du public) de la
partie publique du bâtiment.
Unique contrepartie : effectuer les travaux nécessaires
dans la partie habitable, qui
coûteront également 15 000
euros.
Comment une structure
autogérée, au fonctionnement autarcique, a-t-elle
pu séduire les responsables
de la Ville au point d’obtenir presque tout ce qu’elle
demandait ? « Pour M. Bies,
on doit faire office de soupape par rapport aux manques qui existent vis-à-vis de
la jeunesse strasbourgeoise »,
avance Renaud Tschudy.
Formé pour devenir éducateur spécialisé, il se consacre
aujourd’hui uniquement à
Mimir. Il a dû apprendre sur
le tas à gérer la politique
et l’exposition médiatique
qu’elle engendre.
20 ans
de travaux Aujourd’hui, le discours
est rodé, tout comme le
fonctionnement de l’association : « Les projets sont
votés par consensus, en assemblée générale. Il n’y a pas
de hiérarchie, mais un collège
de quinze membres : les sept
habitants permanents et huit
membres extérieurs. » Dans le
dossier de 30 pages remis à
la Ville le 31 octobre 2011,
rien n’a été laissé au hasard :
la planification des travaux
est prévue année après
année sur les vingt ans du
bail emphytéotique, devis
à l’appui, pour un coût total de 96 000 euros. Renaud
Tschudy en rigole : « Avec le
temps, c’est vrai qu’on est devenus assez calés au niveau
de la gestion de projet. On a
appris à jongler avec les nor-
mes, à parler le langage de
l’administration. » Une rhétorique à mille lieues des clichés que véhicule la culture
alternative, entre dreads
crasseuses et vapeurs cannabiques. « Nous, on ne se revendique pas du squat, précise le porte-parole, on voulait
monter une maison de vie. »
Pas de demande
de subvention
Selon Paul Meyer, adjoint
(PS) à la vie étudiante, qui a
joué un rôle de médiateur
entre la Ville et les occupants,
« l’avis d’expulsion n’était pas
suivi de moyens. Tout ça a été
un peu dramatisé. Il faut arrêter de jouer les uns, rebelles,
contre les autres, gestionnaires. Il y a eu une issue heureuse
à ce conflit, donc les voies utilisées n’ont pas forcément été les
mauvaises ». Et maintenant ?
L’élu est catégorique : « On
ne va pas mettre le logo de la
Ville partout, il faut leur laisser
du champ. » Du côté de chez
Mimir, aucune demande de
subvention n’a été déposée.
Comme prévu. « On va tout
faire par nous-mêmes. La différence, maintenant, c’est qu’on
se projette sur des travaux, et
plus sur des expertises. On en a
fini avec la partie technique »,
sourit Renaud Tschudy.
Après s’être imposée dans
le milieu culturel strasbourgeois et avoir convaincu les
pouvoirs publics, l’association Mimir avance désormais
en roue libre.
Thibault Prevost
viva cité - n°125 - du 21 juin au 15 juillet 2012 - 9
Quartiers
Sous les pavés, le jardin
A la demande des habitants, un plan de renaturation est à l’œuvre à la Krutenau
depuis 2009. Un nouveau jardin partagé a été inauguré début mai.
Le programme
de renaturation
de la Krutenau
concerne cinq
sites représentés
ici en noir.
Cathédrale
l
L’Il
L
Clémence Mermillod/CUEJ
Jardin Sainte
Madeleine
Place de
Zurich
Terre-plein
rue de Zurich
Jardin du
Jeu de Paume
Place
d’Austerlitz
Îlots de nature
rue des Zouaves
Rue du Jura
Hélène Natt, responsable du
jardin. Les habitants viennent librement semer, arroser les plantes ou cueillir des
herbes aromatiques. « Le jardin vit en dehors de nous. En
plus de l’apport de nature, il
participe à la réappropriation
de l’espace public », souligne
Hélène Natt.
Une demande
des habitants
C’est le deuxième jardin
partagé de la Krutenau. À
quelques mètres de là, le
jardin Sainte-Madeleine a
été inauguré en 2009. Les
deux terrains sont gérés sur
la base d’une convention
conclue entre l’Association
des habitants du quartier
Bourse-Austerlitz-Krutenau
et la municipalité. En échange d’un espace où jardiner,
cédé par la Ville, l’association
s’engage à veiller au respect
de règles de jardinage vert,
dont l’interdiction des produits phytosanitaires. La
réussite du jardin SainteMadeleine a décidé la CUS
à initier le projet du jardin
du Jeu-de-Paume. Il entre
dans un programme plus
large de renaturation de la
Krutenau, lancé en 2009. Ce
projet répond à la demande
des habitants, qui avaient
inscrit la construction de
nouveaux espaces verts
comme une priorité, lors de
Clémence Mermillod/CUEJ
A
l’angle de la rue
du Jeu-de-Paume
et de la place de
Zurich, une table
a été posée à proximité du
nouveau jardin partagé.
Depuis son inauguration, le
9 mai dernier, des voisins y
viennent tous les dimanches,
discuter autour d’un apéritif,
mais aussi jardiner. C’est en
effet aux habitants que revient la charge d’entretenir
ces 8 m2 de verdure, grâce à
une convention avec la Ville.
Un petit chemin de pierres
serpente au milieu de la végétation naissante, ceinturée
de cordages, au milieu des
pavés de la Krutenau.
Trois jeunes femmes
portent de lourds arrosoirs.
« Ici, pour le jardinage, c’est le
“Girl Power” Ce sont des femmes, pour les trois quarts, qui
viennent jardiner », constate
Une quinzaine de personnes se retrouvent tous les dimanches pour jardiner, rue du Jeu-de-Paume.
la consultation préalable à
l’élaboration du Plan local
d’urbanisme. D’un coût total de 70 000 euros répartis
sur trois ans, il inclut aussi les
plantations sur le terre-plein
central de la rue de Zurich et
les îlots de verdure rue des
Zouaves.
D’autres initiatives
au programme
« La Krutenau est une
zone expérimentale pour la
nature en zone urbaine. On
essaie de créer une continuité verte en cœur de ville »,
indique Suzanne Brolly,
chargée de mission à la di-
rection environnementale
de la CUS.
La renaturation répond
à un double enjeu : favoriser l’aération lors de fortes
chaleurs et encourager la
biodiversité. Autre avantage, les services d’entretien
municipaux, déjà débordés, n’ont pas à gérer ces
nouveaux espaces verts.
La création de jardins en
cœur de ville est compliquée par de nombreuses
contraintes liées aux infrastructures urbaines. Il faut disposer d’une profondeur de
50 cm de terre, conserver les
systèmes d’écoulement des
eaux, préserver les racines
des arbres. Il faut également
veiller à l’approvisionnement
en eau de ces jardins.
D’autres projets similaires se sont développés à Strasbourg : rue du
Faubourg-de-Pierre,
les
habitants cultivent les
pourtours des arbres. A la
Petite-France, un jardin partagé devrait être inauguré
en septembre.
La Krutenau est un quartier dense. Mais selon le
service des espaces verts,
de nouvelles zones de végétation seraient encore
envisageables à la Krutenau,
notamment rue du Jura.
Clémence Mermillod
PLACE DU MAL
A Bischheim, un atelier de couture animé par deux stylistes rassemble des femmes du quartier des Ecrivains.
Leurs créations sont exposées à la Maison du conseil général.
tissus de rencontres
Claquement de ciseaux, rafale des
machines à coudre. Le jour tant
attendu approche à grands pas
pour les membres de l’association
Humeur aqueuse. Elles exposeront
des vêtements qu’elles ont confectionnés à la Maison du conseil
général de Bischheim du 20 juin
au 12 juillet 2012.
Depuis 2005, l’association
Humeur aqueuse développe des
ateliers de création autour du textile. Mais les participantes peuvent
aussi coudre et retoucher leurs
vêtements.
C’est au centre socioculturel,
en plein cœur du quartier des
Ecrivains, à Bischheim, que tous
les jeudis matins, une quinzaine
de femmes s’affairent, dessinent
des patrons, cousent robes, jupes
et vêtements. Pour elles, pour
leurs enfants, mais aussi pour leur
future collection. Quinze modèles
seront exposés et certains demandent une connaissance approfondie de la couture.
À la manœuvre pour superviser le
travail, Vinca Schiffmann, plas-
ticienne de formation, et Farid
Merah, styliste, tous deux animés
par le désir de faire découvrir leur
univers dans les quartiers populaires. Les mardis matins, ils interviennent aussi au Neuhof.
En tout, une trentaine de femmes
entre 24 et 60 ans, pour la plupart
mères au foyer, font partie de l’association Humeur aqueuse. Elles
habitent la cité et se croisent tous
les jours.
Beaucoup n’ont pas la nationalité française. Elles viennent de
Turquie, d’Algérie ou du Maroc.
Les discussions se font dans leur
langue maternelle, en français avec
Vinca Schiffmann, et parfois en
arabe avec Farid Merah.
En échange de 12 euros de cotisation annuelle, l’association met
à leur disposition le matériel et le
tissu dont elles ont besoin pour
confectionner leurs vêtements.
Cette année, les deux professionnels ont choisi le thème de l’Orient
et de l’Occident. Ensuite, c’est aux
femmes de choisir un modèle et
de travailler à sa réalisation. « Le
10 - du 21 juin au 15 juillet 2012 - n°125 - viva cité
but, c’est de leur faire découvrir un
univers », raconte Farid Merah.
Les couturières trouvent leur
inspiration dans des magazines de
mode que l’association met à leur
disposition.
Justement, Ilhame, 30 ans, a
dessiné pour l’exposition une
robe bleu nuit avec des petites
touches dorées pour l’exposition.
Ses premiers croquis ont pris
rapidement l’allure du modèle
définitif. Après avoir pris ses mesures, cette modéliste de formation a réalisé un patron de base à
sa taille, en toile.
« Cela demande de la précision
et des calculs. Il faut multiplier,
soustraire, diviser... Heureusement,
Farid m’aide quand j’en ai besoin », poursuit Ilhame. Elle ne
commencera le vrai modèle, avec
le tissu adéquat, que lorsqu’elle
sera « sûre que tout est parfait au
niveau des mesures ».
Dans cet atelier, on ne se contente
pas de coudre. Le travail autour du
textile et de la création contemporaine y est également envi-
sagé comme vecteur de lien social
dans un contexte multiculturel et
intergénérationnel. Les femmes au
foyer profitent de cette matinée
couture pour discuter, se donner
les dernières nouvelles du quartier
et pour parler de la famille. Les
participantes ne s’en cachent pas :
« L’association, c’est un peu comme
notre PMU à nous ! »
Pour Açeyla, qui tente de faire une
robe avec plis depuis des mois, cette
matinée couture est une véritable
bouffée d’oxygène. « Je n’ai pas fait
d’études, je me suis mariée très jeune
parce que dans ma famille, c’était
mal vu d’être avec un homme sans
être mariée. Puis j’ai eu des enfants.
Aujourd’hui, j’en ai par-dessus la
tête de ne m’occuper que de la lessive
et de faire des tartes aux pommes ! »
Alors le jeudi matin, depuis deux
ans, mari et enfants sont prévenus :
elle n’est disponible pour personne.
Pendant ses trois heures de couture, elle se change les idées et se
surprend parfois à rêver à une vie
différente.
Adriane Carroger
Quartiers
Insertion de pères en fils
Anna Cuxac/CUEJ
Meinau Services a fêté ses vingt ans le 24 mai dernier. Spécialisée dans l’entretien
des espaces verts et le nettoyage, l’association d’aide à l’emploi compte 137 salariés.
Désormais retraité, Mohammed (à gauche) a travaillé onze ans à Meinau Services. Aujourd’hui, son fils de 24 ans, Majid (à droite), est employé par la même structure.
P
as la peine de sortir
de Saint-Cyr pour
savoir tondre une
pelouse. » Benoît
et Julien, la trentaine, se
marrent. Cet après-midi du
24 mai, ils ont ramené leur
gouaille à l’assemblée générale de Meinau Services,
qui fête ses 20 ans cette
année. Devant l'entrée du
centre socioculturel, ils allument une cigarette sous
l’écrasante chaleur strasbourgeoise. Julien, né en
Île-de-France, certifie en
connaisseur : « La Meinau,
c’est plus Strasbourg. C’est
déjà la banlieue. »
C’est dans ce quartier
populaire ou dans la cité
Libermann d’Illkirch qu’ils
travaillent comme chefs
d’équipe aux espaces verts
de Meinau Services. Arrivés
il y a cinq ans, passés par
des contrats de formation
de deux ans et finalement
embauchés en CDI pour
encadrer les nouveaux salariés, ils se disent satisfaits
de leur emploi. Ils se plaindraient éventuellement de
la paye, « mais comme tout
le monde, non ? », ajoutentils. Le moins évident pour
eux c’est ce « personnel qui
tourne à donf, sans qu’il soit
possible de s’habituer aux
gens que l’on rencontre ».
Car excepté pour quelques
permanents, être là pour un
temps limité et partir ailleurs
est le concept même de
Meinau services.
« Vous ne faites qu’un
passage chez nous, ayez bien
ça en tête ! » A l’intérieur du
centre socioculturel, le directeur de la régie, Michel
Koch, alterne exposé des
chiffres de l’activité de 2011
et ritournelle pédagogique.
L’objectif est d’offrir un poste qualifiant dans l'un des
deux services (espaces verts
et nettoyage), une formation
au monde du travail ainsi
qu’un suivi vers la recherche
d’un nouvel emploi.
L’association est née en
1992 de la volonté des élus
municipaux et du milieu
associatif. Un milieu dense
dans ce quartier sinistré par
les fermetures d’usines qui
l’avaient fait vivre jusque
dans les années 1980.
Une entreprise
transparente
Il s'agit aujourd’hui de
la première structure salariale pour les personnes en
recherche d’emploi dans la
Meinau. L'an dernier, parmi
les 137 employés, 81 étaient
embauchés en insertion sur
des contrats allant jusqu’à
deux ans. 23 autres en « entreprise adaptée », c’està-dire des emplois pour
personnes
handicapées.
Les 33 restant sont des
permanents.
Dans la salle, une centaine de personnes assistent
à l’assemblée. Des salariés
et des membres de leur
famille qui écoutent avec
attention les explications
données par la direction sur
le chiffre d’affaires de l’année 2011 : 2 089 379 euros.
Il est un peu moins bon que
celui de l’année précédente
(de quelque 51 000 euros),
en raison de contrats perdus avec la mairie d’Illkirch.
Michel Koch se veut cependant positif : « Au vu de la
crise économique, cela aurait
pu être pire. »
« Vous avez de la chance
d’être dans une entreprise qui
vous donne autant de détails
sur son fonctionnement, ce
n’est pas le cas ailleurs », lance
le trésorier, Michel Flament,
en poste depuis 17 ans. Une
entreprise ? C’est bien ainsi
que les salariés perçoivent
Meinau services. Ils ont des
contrats à honorer, doivent
respecter le cahier des charges et les délais imposés par
les donneurs d’ordre. Ceuxci sont principalement le
bailleur public CUS Habitat,
le bailleur social Habitat de
l’Ill et les villes de Strasbourg
et d’Illkirch.
Les revenus de Meinau
services sont à 75% issus de
ces contrats et le reste provient de subventions des
collectivités
territoriales.
Selon le Comité national de
liaison des régies de quartier (CNLRQ), ce ratio est
un signe de bonne santé
économique.
« Peur de la magouille
et des drogues»
A la fois association et
entreprise, la structure a
tissé des liens avec de nombreuses familles du quartier.
Mohammed, 67 ans, a pris
sa retraite en 2009 après y
avoir travaillé onze années
comme balayeur-éboueur.
Il est venu à la fête anniversaire de Meinau services car
son fils de 24 ans, Majid, y
est employé aujourd'hui.
Mohammed a passé des
années à trier les déchets
des habitants de la Meinau
et à tenter d’éduquer les
gens qui se débarrassent
des ordures n’importe comment. Las : « Ça entre par
une oreille, ça sort par l’autre.
Quand je leur disais de faire
attention, ils me répondaient
que ce n’était pas eux. »
Il a déménagé en centre-ville en 2002. Il s’y sent
mieux. Avec un sourire désabusé, il explique : « Il y a
des gens qui zonent en bas
des blocs de la Meinau. Je ne
voulais pas que mes enfants
tombent dans la magouille et
la drogue. » Majid, embauché récemment, revient, lui,
avec plaisir dans le quartier
de son enfance.
A la sortie,
14% de CDD
Plusieurs familles intègrent ainsi de père en fils la
régie, comme si les galères
des parents se transmettaient à la génération suivante. Serait-ce là un signe
des limites de l’insertion
des salariés ? Pas forcément,
répond la direction. Michel
Koch est un adepte de la
culture du verre à moitié
plein, indispensable pour
garder l’envie d’œuvrer.
« Nous donnons sa chance à
chacun à partir du moment
où il a envie de s’en sortir. On
ne s’arrête pas aux échecs,
sinon on n’existerait plus »,
justifie-t-il.
En 2011, aucune des
personnes ayant terminé
son contrat à Meinau services n'a obtenu de CDI. Les
années où cela arrive sont
rares. En revance, 14% des
salariés ont obtenu un CDD
et 24% ont poursuivi dans
d’autres établissements des
formations que ne dispense
pas la régie.
Dans ce « public fragile »,
composé à 39% de bénéficiaires du RSA et autres
minima sociaux, seulement
14% des personnes ont
disparu de la circulation,
pour raisons personnelles
ou de santé. Les autres sont
retournées pointer au chômage (48%), avec souvent
une meilleure employabilité qu'à leur arrivée dans
l'association.
Ces vingt ans ont donné
lieu à un bilan du travail
effectué. Mais celui-ci ne
porte pas sur les taux d'insertion. Pour Michel Koch,
établir des comparaisons
avec les résultats des années précédentes ne serait pas pertinent. Il estime
que chacun de ses salariés
est si particulier que toute
généralisation ne rimerait
à rien : « Le taux d’insertion
varie chaque année, la crise
n’arrange rien. Mais on peut
toujours faire mieux. » La tâche est difficile mais la plus
grande fierté de la régie est
sans doute le « savoir-être à
l’emploi » acquis après un
passage par chez elle.
En ce moment, le directeur cherche à convaincre le
Medef d’Alsace de s’intéresser aux salariés qui sortent
formés de Meinau services.
Des rencontres avec les
représentants des patronssont prévues dans les mois
qui viennent.
Anna Cuxac
viva cité - n°125 - du 21 juin au 15 juillet 2012 - 11
Lieu
Foyer terre d’asile
Au Neuhof, l’immeuble de la résidence Adoma héberge
des jeunes travailleurs et demandeurs d’asile coupés du reste de la population.
H
ORMIS la couleur
bleue des murs
extérieurs, rien ne
différencie la résidence Adoma des immeubles d’habitation du quartier
du Neuhof. Ce bâtiment de
neuf étages, situé au 24 rue
de Mâcon, affiche le sigle
FJT (Foyer pour jeunes travailleurs). Or, des enfants
en sortent, jouent, font du
vélo sur le perron. Dans le
hall, coloré de jaune où une
vingtaine de poussettes sont
alignées, des familles se dirigent vers l’ascenseur
En fait, la résidence
Adoma du Neuhof accueille
aussi des demandeurs d’asile.
Généralement des familles.
Elles cohabitent avec les jeunes dans la même résidence,
partagent les mêmes étages.
Ces profils différents qui se
côtoient ont un point commun : le foyer Adoma est
avant tout une solution d’urgence. Difficile, donc de faire
participer les résidents à la
vie d’un quartier qu’ils rêvent
de quitter pour un lieu plus
confortable ou parce qu’ils
sont dans l’attente d’une réponse de l’Office français de
protection des réfugiés et
des apatrides (Ofpra).
« En venant ici, au mois
de novembre, j’imaginais que
nous ne serions que des jeunes, un peu comme l’auberge
de jeunesse. », raconte Aurore,
25 ans, staffeur (artisan d’art
du bâtiment) dans une entreprise située au Neuhof :
« Je suis venue, explique-t-elle, parce que je n’avais pas de
quoi payer une caution pour
un appartement dans le privé.
Je me suis rendu compte que
ce qu’on appelait foyer des
jeunes travailleurs est surtout
devenu un hébergement d’urgence. Nous ne sommes pas là
par choix, c’est temporaire. »
La résidence du Neuhof
compte parmi les onze structures d’Adoma implantées
dans la CUS. L’organisation
a été créée en 1956 sous le
nom de Sonacotra (Société
nationale de construction
pour les travailleurs algériens), afin d’accueillir les travailleurs migrants et résorber
les bidonvilles. L’organisme
est devenu Adoma en 2007
et s’est ouvert à d’autres
populations.
« Aujourd’hui, Adoma
accueille des jeunes actifs et
prend en charge les demandeurs d’asile le temps de l’instruction de leur dossier auprès
de l’Ofrap. S’agissant des jeunes, l’objectif est de les accompagner vers l’indépendance et
pour les demandeurs d’asile,
Thibaut Corennier/cuej
Viva Cité
CENTRE UNIVERSITAIRE
D’ENSEIGNEMENT DU
JOURNALISME UNIVERSITÉ DE
STRASBOURG
11, rue du Maréchal Juin
CS 10068 - 67046
Strasbourg Cedex
Tél. : 03 68 85 83 00
Fax. : 03 68 85 85 74
E-mail :
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Directrice de publication :
Nicole Gauthier.
Encadrement :
Thomas Calinon,
Catherine Daudenhan,
Alain Peter,
Fred Vairetty.
Rédacteur en chef :
Emmanuel Daeschler
Responsable photos :
Lorraine Kihl
Photo de une :
Lorraine Kihl
Réalisation :
Adriane Carroger,
Thiibaut Cordenier,
Anna Cuxac,
Emmanuel Daeschler,
Mathilde Dondeyne,
Etienne Grelet,
Lorraine Kiihl,
Nathan Kretz,
Geoffrey Livolsi,
Clémence Mermillod,
Thiibaud Métais, Thibault
Prévost,
Quentin Thomas,
Adama Sissoko
Supplément News d’Ill,
numéro ISSN
0996-9624
Impression :
Gyss, Obernai
« J’imaginais une
auberge de jeunesse »
Deux résidents devant l’immeuble du Foyer des jeunes travailleurs dans le quartier du Neuhof.
nous mettons en place des actions pour les accompagner
dans leurs démarches administratives et les faire participer
à la vie du quartier. » explique
M’barek Aouadi, directeur
d’Adoma Alsace.
Des habitants
précaires
Au Neuhof, Adoma n’est
pas une résidence classique.
Les jeunes travailleurs sont
majoritairement précaires.
En 2010, sur les 304 jeunes
qu’elle abritait, 55% percevaient moins de 305 euros
par mois. « Adoma joue bien
son rôle de logeur social en
recevant des jeunes très précaires. Beaucoup ont accès à
un logement pour la première
fois. C’est très dur pour eux ! »,
observe Patrice Contor, res-
12 - du 21 juin au 15 juillet 2012 - n°125 - viva cité
ponsable du FJT. Les équipements sont assez sommaires. Dans un couloir, la
table de ping-pong est dressée là, seule, à côté de deux
chaises. La salle télé est vide.
Faute d’espace de jeu dédié,
les enfants jouent près des
linges qui pendent, dans le
couloir du premier étage
Selon Patrice Contor,
même lorsque des événements sont organisés, il est
difficile de motiver les jeunes, déjà préoccupés par leur
situation financière. « Je dois
organiser la fête des voisins,
mais je ne me fais pas d’illusions. Je sais que leur premier
besoin n’est pas de se trouver
des amis ou de participer à des
activités dans le quartier. »
Les demandeurs d’asile
sont, eux aussi, touchés
par une forte précarité qui
les isole de la vie sociale
du quartier. Leur vie quotidienne est rythmée par
l’état d’avancement de leurs
dossiers auprès de l’Ofpra.
Ils perçoivent une allocation
temporaire d’attente de 310
euros par mois. Le docteur
Catherine Jung reçoit des
demandeurs d’asile à la maison de la santé du Neuhof.
Beaucoup de russophones y
viennent car il y a la possibilité de faire appel à des interprètes. Catherine Jung parle
aussi le russe. « Il est évident
qu’on ne peut pas demander
à des personnes préoccupées
par ce qu’elles vont manger
au quotidien de venir à nos
actions de sensibilisation sur
la nutrition par exemple. »
La crainte liée à la réputation du quartier explique
aussi le peu de lien entre
les habitants de la résidence
Adoma et ceux du Neuhof.
Hannah Oualid, 22 ans, est
arrivée dans le foyer au mois
de février. Elle est agent
de surface chez Emmaüs à
Mundolsheim. Elle se méfie.
« J’essaye de ne pas rentrer
ou sortir après 11h du soir. Je
n’ai pas de problèmes avec
les gens du quartier mais je
fais attention quand même. »
Pourtant, Hannah Oualid
s’est liée d’amitié avec Anika,
une jeune Tzigane. Elles
se croisaient souvent dans
le tram, descendaient à la
même station. Après quelques bonjours et sourires
timides échangés, elles ont
commencé à se fréquenter :
invitations réciproques, sorties en centre-ville, échange
de leurs différentes cultures.
Anika est la seule fille du
quartier avec qui Hannah
Oualid a tissé un lien.
Mamadou Barry, originaire de Guinée, est arrivé
au FJT, à la mi-mai. Il espère
un appartement plus grand,
maintenant qu’il travaille en
tant qu’agent de surface :
« Je ne cherche pas de contact
avec les autres. Je vais juste à
la mosquée du quartier pour
faire mes prières. Mais j’évite
d’y aller pour la première prière qui est à 4h30 du matin, je
crains le quartier. »
Amalia Bejanyan a 17 ans.
Elle est arménienne, née en
Russie. Venue en France avec
ses parents après avoir fui la
Russie, elle est aujourd’hui
scolarisée en classe de troisième. « J’ai une camarade
qui habite dans le quartier.
Ce sont nous, les enfants, qui
cherchons à faire des rencontres. Nos parents restent entre
eux. »
Des barrières
linguistiques
Au centre socioculturel
(CSC) du Neuhof, quelques
actions ont été entreprises auxquelles la résidence
Adoma a été associée. Pour
la journée de la femme, esthéticienne et coiffeuse ont
fait le déplacement au centre
socioculturel. Toutes les habitantes du quartier pouvaient
se faire chouchouter gratuitement. Une dizaine de femmes demandeurs d’asile sont
venues. « Elle étaient contentes ! Mais elles sont restées
entre elles. La non-maîtrise de
la langue est une grosse barrière constate Evelyne North,
animatrice du service action
collective familiale du CSC.
Nous réfléchissons encore à
des partenariats avec Adoma.
Ce sont des choses qui se mettent en place petit à petit. »
Nathan Kretz Adama Sissoko