Paul McCarthy - PETER PAUL CHOCOLATES

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Paul McCarthy - PETER PAUL CHOCOLATES
Paul McCarthy - PETER PAUL CHOCOLATES
Extrait du Art & Flux
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Paul McCarthy - PETER PAUL
CHOCOLATES
- RESEARCH - Art & economy -
Date de mise en ligne : jeudi 6 mars 2008
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Paul McCarthy - PETER PAUL CHOCOLATES
La relation entre artistes et économie est au beau fixe. Lartiste californien Paul McCarthy a
choisi la galerie Maccarone, à New York, pour nous présenter son nouveau projet diabolique,
Peter Paul Chocolates. Un projet qui sent bon, mais qui laisse un arrière goût de critique
acerbe.
A New York, durant les fêtes de fin dannée, la superstar de lart contemporain, Paul McCarthy, a créé lévénement à
la galerie Maccarone.
En partenariat avec sa galerie londonienne Hauser & Wirth, Paul McCarthy a transformé la galerie de Greenwich
Street en une véritable chocolaterie. Lartiste a fait appel au maître chocolatier Peter P. Greweling pour veiller au bon
déroulement de la production. Lentreprise créée par la rencontre de ces deux hommes, et vouée à perdurer,
sappelle Peter Paul Chocolates.
La galerie Maccarone, investie de telle sorte quelle napparaisse plus comme une galerie mais bel et bien comme
une chocolaterie, a été divisée en quatre sections dévouées à la production, lemballage, le stockage et la vente.
Dans un souci de créer une véritable usine fonctionnelle, à même de produire et vendre en accord avec les normes
industrielles en vigueur, la galerie a du subir des modifications considérables (plomberie, électricité, système de
ventilation&) En outre, il a fallu concevoir le lieu en tenant compte du fait que les visiteurs ne pouvaient pas, pour des
raisons dhygiène, pénétrer dans lespace de production (fonte, moulage&) Un habile jeu de cloisons, miroirs, vitres
dobservation et tapis roulants a donc été mis en place.
Peter Paul Chocolates sétait fixé comme objectif de produire 1000 figurines en chocolat par jour, entre la
mi-novembre et noël. Celles-ci étaient vendues dans la boutique et sur leur site internet, 100$ pièce. Certains
penseront que cest un peu cher pour un père noël en chocolat. Dautres, que cest vraiment donné pour une Suvre
de Paul McCarthy.
Les figurines en chocolat
Elles ne sont pas de simples pères noël comme on peut en trouver dans toutes les boutiques de chocolat, en période
de fêtes. Elles sont la réitération comestible et périssable, en nombre considérable, dune sculpture de Paul
McCarthy dont il existe déjà plusieurs versions. Lune delles a été exposé en juin 2007 lors dArt Basel : en bronze,
elle mesurait 6 mètres de haut pour 9 tonnes.
A première vue, il semble que cette pièce représente un père noël, tenant de la main gauche, une cloche, et de
lautre, un sapin. A bien y regarder, le père noël a plutôt des allures de nain de jardin. Quant au sapin, ce nest en fait
pas un sapin stylisé [1] mais un butt plug. Afin que la subtilité de la chose soit comprise par tous, précisons ce quest
un butt plug : il sagit dun objet destiné à être introduit dans le rectum, par lanus. Il peut être porté durant plusieurs
heures et a pour but de provoquer une stimulation et une excitation sexuelle. Notons que le plug sert en outre à
dilater lanus et quil rend plus aisé la sodomie ou le fist-fucking anal. Au regard de lSuvre antérieur de Paul
McCarthy on saisi donc limportance métaphorique du plug. Un godemiché naurait pas été aussi pertinent et porteur
de sens critique envers la société de consommation.
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On comprend ainsi pourquoi les bloggeurs New-yorkais insistent sur le fait que Paul McCarthy avait un petit sourire
en coin durant le vernissage mondain et pourquoi ils aiment à utiliser lexpression « in-your-face » pour ce type dart.
Certains se demandent encore pourquoi cette figurine en chocolat est vendue au prix exorbitant de 100$. Dautres
se renforcent dans lidée que 100$ est un prix vraiment bas pour une Suvre de Paul McCarthy, et cherchent où est le
hic.
Il convient en fait de prendre un peu recul, et de ne pas considérer uniquement le père noël en chocolat, mais la
totalité du projet. Paul McCarthy ne fait pas vendre par sa galerie des sculptures en chocolat. Il crée une entreprise,
Peter Paul Chocolates, qui produit des figurines en chocolat et qui les vend. Lors de « lexposition », la galerie nétait
plus une galerie mais le siège, lusine, lentrepôt et la boutique Peter Paul Chocolates. Cest lactivité de la
chocolaterie, et la qualité dentrepreneur de lartiste Paul McCarthy qui doivent être considérés. Les figurines en
chocolat ne sont pas à proprement parler des Suvres dart, mais la production de lentreprise de Paul McCarthy,
processus plus vaste dans lequel lart se déploie. En cela, elles sont des produits dérivés artistiques.
La création de lartiste
Peter Paul Chocolates, une entreprise, nest pas à vendre, mais si tel devait être le cas, Paul McCarthy prévient que
la personne qui lachèterait devrait la faire marcher . Le projet de Paul McCarthy nest pas réellement original dans le
sens où lintérêt des artistes pour la sphère commerciale nest pas récent. Le rapport à la marque ou à lentreprise
nous renvoie indéniablement à lIKB dYves Klein, à la Société Anonyme de Marcel Duchamp ou à la Factory dAndy
Warhol. Dautres artistes ont aussi déjà maquillé des galeries pour quelles ressemblent à des boutiques. A Paris,
citons par exemple Kader Attia, qui a simulé une activité commerciale avec louverture dune (fausse) boutique en
2004, à Saint-Germain des Près, censée vendre les articles de la marque Hallal. Dans la galerie Kamel Mennour
transformée en boutique étaient ainsi proposés des joggings, vêtements de sport et voiles pour les jeunes filles
musulmanes. Ces créations nétaient pas à vendre, il ne sagissait en aucun cas de lancer cette nouvelle marque sur
le marché, mais de proposer une réflexion mêlant les banlieues, le marketing, et les problèmes entre différentes
couches sociales.
Le projet de Paul McCarthy
Il nest pas non plus innovant dans le sens où tous les artistes relevant de lesthétique processuelle, comme Dana
Wyse ou Wim Delvoye, exercent eux aussi une activité non spécifiquement artistique, en dehors du champ de lart,
de laquelle émanent des produits dérivés artistiques. Un art qui se situe dans un processus dynamique, mais dont le
point de contact avec le public se fait par les produits dérivés, et des artistes très souvent critiques envers la société,
et qui interrogent sans cesse le statut de lartiste, de lSuvre, du spectateur et du collectionneur. Toutefois, Paul
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McCarthy enfonce encore un peu plus profondément le clou des produits dérivés et de leur statut : les pères noël
sont en chocolat, matériau comestible et périssable. Ils ne sont donc pas voués à perdurer. Sachant cela, que va
faire le collectionneur ? Michele Maccarone qui ne perd pas de vue quun galeriste [ 2] doit faire du profit, et donc
vendre, annonce aux collectionneurs que sils font attention à leur père noël, et quils le gardent dans un endroit frais
et sec, ils pourront le garder toute leur vie. Certes. Mais si Paul McCarthy a fait le choix demployer une matière
comestible et périssable, cela nest pas innocent, et ne se justifie pas uniquement par le fait quil en a déjà utilisé
dans le passé.
Dautres artistes inscrivent leur art dans un processus amenant la création de produits destinés à être considérés
pour ce quils sont, des produits dérivés artistiques, plutôt que comme des Suvres, accomplissement, point final
dune démarche. Mais ceux-ci peuvent être considérés comme des Suvres dart par certains. En les rendant
consommables, et périssables, Paul McCarthy semble vouloir définitivement tirer un trait sur lobjet dart, en en
rendant difficile sa conservation, et recentrer lart sur le processus, ici, sur lactivité et la structure Peter Paul
Chocolates.
Que ce désir émane dun artiste tel que Paul McCarthy, figure incontournable de lart contemporain, est inespéré
pour dautres plus jeunes artistes qui sinscrivent dans une même tendance, que jappelle esthétique processuelle,
mais aussi, plus généralement, pour tous les artistes tissant des liens sans cesse plus étroits et plus critiques avec
léconomie, et la société occidentale actuelle. Cet événement, à la galerie Maccarone, à New York, sera peut-être le
point de départ dun intérêt plus vif de la part du public pour ce type dart. Je me réjouis de constater que Beaux Arts
Magazine en ait fait écho en France.
Par Aurélie Bousquet
[1] Isabelle de Wavrin, « McCarthy et la chocolaterie », Beaux Arts Magazine n283, Janvier 2008, p. 113.
[2] "the piece is not something that ends. Its meant to be an operating factory, so somebody who buys it would have to operate it." in Calvin
Tomkins, « Naughty or nice » in The New Yorker, 26 novembre 2007, http://www.newyorker.com/talk/2007/11/26/071126ta_talk_tomkins.
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