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Introduction par Stanislav J. KIRSCHBAUM Depuis la fin de la Guerre froide, des changements fondamentaux ne cessent de marquer la politique des États et de l’ordre international plus généralement, entrainant avec eux une double dynamique de l’intégration et de la fragmentation. Les expériences opérationnelles des États occidentaux ont montré que les seuls moyens militaires, même s’ils sont essentiels, ne suffisent plus à relever les nombreux défis complexes pour la sécurité nationale et internationale. Pour chaque nation, ces défis sont immenses et leur nature est par définition fluctuante : entre autres, il y a la prolifération des armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive, ainsi que leurs vecteurs ; la prolifération des missiles balistiques ; la cybercriminalité de plus en plus complexe et sophistiquée ; la stabilité et la fiabilité des approvisionnements énergétiques, la diversification des itinéraires d’acheminement, des fournisseurs et des ressources énergétiques et l’interconnexion des réseaux énergétiques ; l’incertitude de l’environnement sécuritaire futur consécutive aux changements climatiques, la raréfaction de l’eau et l’augmentation des besoins énergétiques ; la criminalité transnationale ; les pandémies ; le terrorisme endogène lié à une crise identitaire, sociale ou économique ; et les différences de valeurs qui n’accommodent, a priori, aucun compromis. Le système coopératif de sécurité occidentale qui a fonctionné plus ou moins efficacement jusque-là, est, de nos jours, à la croisée des chemins dans un monde contemporain en pleine effervescence caractérisé par ces enjeux stratégiques multiples. Dans un univers de mondialisation et d’interdépendance, de crises, de conflits et de déliquescence d’États dans certaines parties du monde, la double dimension interne et externe de la sécurité devient plus que jamais indissociablement liée. Il est donc crucial, aujourd’hui, de réfléchir, dans une perspective diachronique et intégrée, (1) sur la réactivité et l’efficacité de notre système de sécurité et (2) sur la nécessité d’adaptation des appareils de défense occidentaux à la nouvelle bruylant XVI stanislav j . kirschbaum configuration d’un monde où la polarisation tant verticale qu’horizontale est devenue dominante, où la violence et les menaces sont désormais plus globalisées, mais aussi plus fragmentées. Le 24 septembre 2014, le président américain Barack Obama faisait un discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies pour appeler le monde à se joindre à la lutte contre les djihadistes du groupe Daech ou État islamique en Irak et en Syrie, affirmant sa détermination à ne pas céder face aux « menaces ». Il plaidait aussi pour un « effort plus important » au niveau international pour éradiquer la plus grave épidémie du virus Ebola depuis son identification en 1976, qui sévit en Afrique de l’Ouest. Quelle est la signification de cet appel à un renforcement de la coopération internationale par le président de la plus grande puissance ? Estce un retour pour les États-Unis au rôle de « gendarme », comme le suggère le journal britannique The Guardian, (1) ou est-ce le début d’une nouvelle ère de coopération internationale issue de deux menaces parmi tant d’autres qui, si elles sont localisées, ont une véritable portée internationale et exigent des solutions à portée internationale ? Qu’est-ce que cela signifie alors pour les États appelés à participer à la coalition, surtout lorsque le danger semble être lointain et cet engagement divise l’opinion publique ? Est-il possible de faire une analyse qui va au-delà des intérêts nationaux impliqués et qui donne à cet effort de coopération internationale un fondement juridique et historique ? Quel est le rôle du droit international, quels sont les défis, comment les définir, et à quel niveau trouver des solutions qui s’imposent ? Autant de questions qui signalent jusqu’à quel point la problématique est vaste. La première partie de cet ouvrage tente d’apporter quelques éléments de réponse qui touchent la scène internationale. Dans un premier chapitre, Stanislav J. Kirschbaum examine le bienfondé du cadre conceptuel de Philip Bobbitt, cadre qui utilise le droit, la stratégie et l’histoire comment éléments matriciels dans la définition de notre monde actuel. Le but de Bobbitt est de voir si les grandes mutations et tendances historiques qui ont créé la situation internationale actuelle nous permettent de discerner l’ampleur, la direction et le mode de changement que connait la société internationale à la suite des développements qualitatifs et quantitatifs dans l’armement et des moyens de communication et (1) M. Cohen, « The Global policeman returns », The Guardian Weekly, 19-25 September 2014. bruylant introduction XVII de transport depuis la Deuxième Guerre mondiale. Au-delà d’une telle analyse, il importe, entre autres, aussi de définir les acteurs qui, dans le but de perturber l’ordre international, utilisent des stratégies non conventionnelles qui rendent la recherche de solutions ponctuelles ainsi que celles à long-terme difficile. C’est l’effort que font Éric Ouellet et Pierre Pahlavi dans le deuxième chapitre où ils examinent un nouveau type de défi irrégulier qui n’implique pas toujours l’utilisation de la force armée, mais qui perturbe pour autant l’ordre international actuel, les systèmes de sécurité qui le définissent, ainsi que la sécurité interne des États. Ce chapitre propose non seulement une taxonomie de ces défis irréguliers, mais considère aussi les actions qui s’imposent. Sont impliqués ainsi dans la réflexion sur l’ordre international non seulement tous les États, mais surtout les organisations internationales qui définissent la société internationale dont l’existence juridique est assurée par le droit international public. Historiquement, les États ont eu recours à la force pour régler les conflits dans lesquels ils étaient impliqués. Au fil des siècles, s’est développé le jus ad bellum puis le jus in bello, – deux corpus normatifs visant à régler et limiter l’utilisation de la force, surtout son recours unilatéral –, et ont aussi vu la création d’institutions qui assurent leur interprétation et mise en œuvre. Compte-tenu de la capacité de violence qu’ont aujourd’hui non seulement les États, mais aussi des groupes transnationaux, voire des particuliers, le principe de l’interdiction du recours à la force unilatéral est-il dorénavant dépassé ? C’est à cette question qu’Awalou Ouedraogo, dans le troisième chapitre, tente de répondre, signalant que l’interdiction du recours à la force demeure toujours « un des principes fondamentaux relevant du jus cogens ». Dans quelle direction le droit international public doit-il alors évoluer ? Au-delà des questions normatives, peut-on définir une réalité contemporaine qui, de par sa propre dynamique, impose des limites, voire de nouveaux comportements dans le recours à la force ? Dans le quatrième chapitre, Albane Geslin montre comment la problématique environnementale a intégré l’agenda des organisations internationales de sécurité et de défense, qu’elles soient universelles ou régionales. Ce chapitre tire une conclusion optimiste et intéressante sur le comportement de ces organisations : « il existe une véritable préoccupation de promotion d’un développement local soutenable, à des fins tout à la fois stabilisatrices, restauratrices et préventives ». bruylant XVIII stanislav j . kirschbaum Cette première partie de l’ouvrage a un but modeste, celui de lancer le débat sur les contours de la sécurité internationale et des défis qui la menacent. Les États qui définissent la société internationale font, toutefois, souvent face à des situations particulières qui touchent d’abord et avant tout leur intérêt national, même dans leur effort de contribuer au maintien de l’ordre international. La deuxième partie de l’ouvrage examine quelques cas spécifiques, certains défis et des solutions. Il y a d’abord les organisations de sécurité régionale. Jean-François Guilhaudis considère dans le cinquième chapitre la question de savoir si « l’Europe de la défense » ou plus exactement l’Identité européenne de sécurité et de défense (IESD) parviendra à s’affirmer réellement ; c’est l’un des grands défis actuels et futurs, nous dit-il, qu’affronte le système de sécurité occidental. Son regard est jeté sur la France et le Royaume-Uni qui signaient en novembre 2010 les Traités de Lancaster House qui, selon d’aucuns, auraient été faits « sur le dos » de « l’Europe de la défense » et marqueraient son « enterrement ». Il montre, en fait, qu’il s’agit d’une réponse bilatérale à un problème propre à Londres et à Paris, mais aussi que ces traités inaugurent un rapprochement « sans précédent » entre les deux pays. En conséquence, l’IESD ne se résume plus à l’Union européenne (UE) ; plutôt elle a deux composantes, le couple franco-britannique et l’UE. Quant à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), sujet du sixième chapitre, Pierre Jolicoeur et Frédéric Labarre signalent que le grand défi auquel l’organisation fait face est celui de l’austérité. Les deux auteurs posent la question suivante : est-ce que l’Alliance est en déclin stratégique, ou est-ce que ses membres ont choisi de réduire le niveau d’ambition de l’OTAN ? On y trouve une analyse intéressante qui signale la possibilité d’une redéfinition de l’Alliance. Au-delà des préoccupations bien définies des organisations régionales de sécurité, on peut se demander ce que font ces organisations ainsi que leurs États-membres qui ont des intérêts particuliers lorsqu’ils sont confrontés à des situations débouchant sur des crises, voire des conflits asymétriques, d’origine à la fois interne et externe dans des États au minimum fragiles comme le Mali ou la République centrafricaine ? C’est le sujet du septième chapitre, signé de Josiane Tercinet. La question qu’elle pose est la suivante : est-ce que les Occidentaux sont dépourvus de stratégie, de visibilité et de prévisibilité ? Elle tire quelques conclusions sur les aspects militaires et les aspects politiques de son étude de cas. bruylant introduction XIX Dans la même ligne de pensée, le huitième chapitre examine les possibilités de paix et de stabilité dans des foyers de conflit où les grandes puissances ainsi que les organisations internationales ont été longuement impliquées mais ont récemment décidé de se retirer. Houchang Hassan-Yari examine les relations triangulaires entre l’Afghanistan, l’Iran et le Pakistan pour voir s’il existe des éléments communs qui leur permettraient de réfléchir en termes d’un système de sécurité régionale assuré principalement par eux mais aussi les éléments qui les séparent. Les deux derniers chapitres de l’ouvrage sont consacrés à deux problématiques qui touchent particulièrement l’inévitable besoin de tout gouvernement de conformer sa politique, mais aussi son modus operandi, aux exigences des mutations causées par les défis à la sécurité et les changements qui s’imposent en conséquence dans tout système de sécurité. Les deux auteurs privilégient le Canada, Ali Dizboni avec une analyse d’une une nouvelle approche intitulée « Whole-of-Government » que le gouvernement du Canada a introduit pour maximiser la présence et les efforts canadiens en Afghanistan et Abdelkerim Ousman avec un examen des difficultés dans le processus de prise de décision et du respect des obligations que pose le prix de l’armement moderne, notamment l’achat d’un nouveau modèle de chasseur-bombardier, le F-35. Si ces deux chapitres sont des « micro-analyses » dans l’ensemble des discussions sur le thème de cet ouvrage, force est de reconnaitre que la capacité de tout gouvernement de réagir aux défis mondiaux et d’assurer la sécurité de ses citoyens dépend souvent des décisions prises à ce niveau. Les participants au colloque de l’Association-France Canada d’études stratégiques qui est à l’origine de cet ouvrage étaient fort conscients du fait que le thème était très vaste et que même un rencontre de plus grande envergure n’aurait pu appréhender tous ses aspects. Depuis des années, cette association d’universitaires et chercheurs canadiens et français, qui fêtera en 2015 son vingtième anniversaire, se réunit régulièrement dans le but de réfléchir sur des questions de sécurité internationale dans un cadre intellectuellement et culturellement comparatif afin d’ajouter sa voix, par ses publications, aux débats ponctuels, avec l’espoir qu’étudiants, analystes, ou conseillers y trouveront un ou plusieurs éléments de réflexion qui serviront à la recherche de la paix que tous les peuples de ce monde souhaitent. C’est dans cet esprit que nous espérons que cet ouvrage sera reçu et lu. bruylant