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Le baryton barbu
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MUSIQUE, MAESTRO !
N° 426 Semaine du 18 juin 2005 au 24 juin 2005
Auteur : Duteurtre Benoit
Mon petit neveu qui commence à étudier la musique m'a demandé, l'autre jour, si tous les barytons portaient des
bérets basques... J'avoue être resté perplexe devant cette étrange question, avant de tomber sur l'affiche de Florent
Pagny, affublé d'un costume qui tient à la fois du
chanteur napolitain et du berger des Landes (celui qui
fabrique des fromages, dans une publicité). Son nouveau
spectacle s'intitule effectivement « Baryton » - mot qui
semble également désigner ce personnage kitsch coiffé
d'un béret Quelques rides sur le front et une barbiche de
mousquetaire ajoutent la touche d'authenticité nécessaire
pour composer cette gueule d'artiste, choisie par Florent
Pagny au moment d'aborder le répertoire classique.
Courageux Florent. Quand j'avais 20 ans, je le croisais
dans un bar des Halles où il s'agitait énormément d'une
table à l'autre pour nouer des contacts. Il faut de
l'ambition pour devenir star ; il n'existait pas encore
d'académie pour cela, mais Florent déployait une
infatigable énergie. Attiré par le cinéma, il est passé à la
variété avec la même force de persuasion, enregistrant
au passage quelques bonnes chansons. Un jour, il a
voulu se retirer du monde et devenir cow-boy des
steppes sans renier sa farouche détermination : je me
rappelle ses photos sur un cheval, vêtu d'un poncho.
Aujourd'hui, Florent en a marre de l'Argentine, Florent paie trop d'impôts, Florent veut toujours plus et c'est ce qui
fait sa force.
Il a donc décidé de devenir chanteur d'opéra- sans forcément s'astreindre au lent apprentissage de la voix qui exige
patience, travail, étude musicale -, mais en créant avec son équipe un seyant costume de baryton. Le plus étrange
est que, dans son disque de « baryton » , il ne chante en fait... que des airs de ténor ! Pour s'en apercevoir, il aurait
fallu prendre le temps d'écouter, le soir dans la pampa, les maîtres de son nouveau métier qui s'appellent Dietrich
Fischer-Dieskau, Charles Panzéra, Thomas Hampson, Michel Dens... Florent aurait découvert ce chant subtil et
discret, cet art de « dire » en musique qui rapprochait autrefois chanteurs lyriques et chanteurs de rue. Tel est
d'ailleurs le meilleur côté du disque de Florent Pagny : on peut apprécier ce timbre cassé de type qui a vécu ; on
comprend les paroles, ce qui est rare à l'opéra. A part cela, il manque tout ce qui fait la beauté des voix lyriques.
Malgré la présence d'un orchestre symphonique, on dirait plutôt un pastiche de chant classique pour soirée karaoké.
Volontaire comme il est, Florent Pagny va concurrencer André Rieux sur le marché des ménagères. Il vient de créer
l'image du baryton qui entonne des airs de ténor, comme le balladin néerlandais a fixé celle du romantique glamour
qui joue Chostakovitch avec les cheveux longs.
Personnellement, je préfère le disque de Didier Super, un néopunk mal fagoté qui n'a rien de frelaté. J'ignore si
Didier possède la volonté de Florent; mais il domine pleinement le style pour lequel il a opté : musique vraiment
nulle, paroles nulles poussées jusqu'à l'excès. Vaut mieux en rire que s'en foutre est un disque au ton destroy teinté
d'humour, dans la tradition des Ludwig van 88. Avec Didier Super, la chanson, le rap et la pop ne cherchent plus à
investir l'opéra ; ils nous font basculer dans l'art brut, sur fond de RMI. L'ignorance de toute exigence artistique,
l'affirmation candide d'une voix fausse décidée à gueuler plus fort que les autres.. .Tout cela m'a paru frais et
réjouissant. Les titres sont aussi mauvais que le reste : On va tous crever, Arrête de te la péter. Pourtant, je vous
assure, voilà quelqu'un qui joue avec les mots et les obsessions de son époque.
J'ignore s'il s'en rend compte, mais son disque nul est irrésistible.
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