“Les superhéros représentent les peurs de leur temps”, Ollivier
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“Les superhéros représentent les peurs de leur temps”, Ollivier
“Les superhéros représentent les peurs de leur temps”, Ollivier Pourriol SUPER ENTRETIEN | Captain America, Spider-Man, les X-Men… les superhéros nous parlent de nous. Des affects à l'imaginaire, Ollivier Pourriol, écrivain philosophe, nous livre son analyse. Le 26/03/2014 à 10h00 Propos recueillis par Frédéric Strauss http://www.telerama.fr/cinema/les-superheros-representent-les-peurs-de-leur-temps-ollivier-pourriol,110336.php#xtor=EPR126-newsletter_tra-20140326 © DR Ils sont partout, super présents, les superhéros. Au cinéma, Captain America se retrouve pour la seconde fois en haut de l'affiche dans Le Soldat de l'hiver, aux côtés de la « Veuve noire », elle aussi membre des Avengers. En DVD, c'est Thor 2 qui fait son retour cette semaine, après un gros carton en salles. Ce labourage de printemps prépare le terrain pour Spider-Man (qui rebondit le 30 avril dans Le Destin d'un héros) et surtout pour les X-Men, qui débarqueront en plein Festival de Cannes, le 21 mai, dans Days of future past, signé Bryan Singer. Jusqu'à la fin août, on peut aussi découvrir, à Paris, au Musée de l'art ludique, « L'Art des superhéros », une exposition qui fait intervenir, dans cet univers fun, quelques spécialistes sérieux. Parmi eux, l'écrivain Ollivier Pourriol, qui s'est penché, avec son regard de philosophe, sur ces êtres à la fois sympathiques et écrasants, proches et lointains : les superhéros. Qu’est-ce qui vous a amené à développer un intérêt pour l’univers des superhéros ? Pour moi comme pour beaucoup de gens, ça plonge dans l’enfance. Et, au départ, dans la bande dessinée. Mais l’univers des superhéros ne cultive pas la nostalgie : on voit au cinéma qu’il montre, depuis plusieurs années, une nouvelle vitalité. Pourquoi les superhéros reviennent-ils en force ? On peut voir là une stratégie industrielle des studios américains, qui dépendent ainsi moins des stars, car les superhéros sont d’abord des figures emblématiques, quels que soient les acteurs choisis pour porter leur costume. Le cinéma est une industrie et les films sont des produits de consommation de masse, mais pour que ce produit de consommation fonctionne, il faut qu’il rende un service spirituel. C’est avec cette hypothèse que j’ai approché cet univers. “On pourrait faire un tableau psychologique des différents superhéros et regarder quels affects ils mobilisent” Quel est ce service que peuvent nous rendre les superhéros : nous servir de modèles ou nous faire, tout simplement, rêver ? Ils sont là pour structurer l’imaginaire. Ils répondent à ce que Bachelard appelle la rêverie élémentaire. Il s’agit pour lui d’images poétiques, littéraires dans ce cas, qui ont une capacité à dynamiser l’imaginaire. Les images de cinéma ont aussi ce pouvoir. Particulièrement dans l’univers des superhéros, qui sont moins des personnages au sens traditionnel qu’un ensemble d’affects destinés, comme les images poétiques, à enflammer notre imaginaire. Il y a ceux qui fracassent, comme Hulk et Thor, et ceux qui glissent, comme Spiderman ou le Surfeur d’argent. Le dieu Thor ne nous parle pas des légendes nordiques : il est d’abord un affect, son marteau. De la même façon, Wolverine est un affect : ses griffes. Ça n’est pas, en soi, un superpouvoir, mais ça parle à l’imaginaire. Avoir une arme blanche et en faire quelque chose de puissant, c’est une affirmation de soi. Wolverine, c’est l’affirmation de l’individu. La Femme tornade des X-Men est un autre exemple fabuleux : son humeur transforme la météo. C’est une belle image, poétique, qui nous parle de quelque chose que nous connaissons. Yves Saint Laurent, tel qu’on le voit dans le film de Jalil Lespert, c’est un homme tornade. Ses humeurs changent le monde autour de lui, et peuvent tout détruire. Son problème, c’est de maîtriser cette tornade en lui. On pourrait faire un tableau psychologique des différents superhéros et regarder quel service psychique ils rendent, quels affects ils mobilisent. Le superhéros n’est-il pas là aussi pour satisfaire une envie de dominer, ou en tout cas pour nous permettre de surmonter nos limites, de corriger le sentiment d’impuissance que nous pouvons avoir ? Cet univers peut parler à un individu frustré qui aimerait avoir plus de pouvoir. Mais il agit aussi positivement sur le plan de la rêverie élémentaire dont parle Bachelard, en parlant à notre imaginaire, et non pas à nos frustrations. On peut penser ici à Bergson, qui a écrit sur ce qu’il nomme le supplément d’âme. La technologie a démesurément ouvert les possibles, mais l’âme, qui est restée à la taille de l’individu, est perdue, ne sachant que faire de toutes ces possibilités. Les superhéros ont tous une origine technologique, ils sont par exemple le résultat d’un accident industriel. Ils étaient semblables à nous et se retrouvent avec un corps démesurément agrandi : ils sont donc à la mesure des problèmes de l’humanité, et non pas démunis comme nous pouvons l’être. Les films de superhéros nous remettent en position d’aborder des problèmes à l’échelle du monde. Ils sont, en cela, constructifs : ils peuvent faire éclater de la violence, mais on en sort toujours plus socialisé. Car les questions éthiques sont toujours présentes : que faire de son pouvoir, que faire pour les autres ? Ce sont toujours des fables morales. “Le superpouvoir, c’est le rêve qui cherche à l’emporter sur la réalité.” Que dire des peurs qui animent les scénarios des films de superhéros ? Elles semblent parfois impossibles à prendre au sérieux, quand il s’agit d’une fin du monde fantaisiste, et parfois plus troublantes. Les superhéros représentent les peurs de leur temps. La menace atomique est un peu passée, on va aujourd’hui vers des peurs plus individuelles que collectives. Plus cachées aussi. Par exemple, la peur de la transformation. Les superhéros, qui sont souvent jeunes, comme Spiderman et comme beaucoup des X-Men, nous parlent du développement d’une puissance qui les transforme en quelque chose d’autre. C’est une manière métaphorique de décrire l’adolescence, le passage vers l’adulte. Qui effraie. Il y a aussi une peur de dissolution du lien social, à travers la mise en danger de la cité, à travers la menace du crime. Spiderman revient tisser du lien, au sens propre et au sens figuré. Ça inscrit le superpouvoir dans une logique de réparation. Ce qui place les superhéros dans une position tragique puisqu’on sait qu’ils viennent réparer ce qui, dans la réalité, ne peut l’être. Et si Spiderman pouvait venir remettre tout en ordre ? On est dans la logique de l’enfance, tout pourrait arriver. En même temps, il y a ce frisson adulte : on sait que tout n’est pas possible. Mais la vision enfantine a sa beauté. Le superpouvoir, c’est le rêve qui cherche à l’emporter sur la réalité. « (…) Le Surfeur d’argent : un être condamné à détruire et en même temps doué d’une grande élégance. » © DR Quel superhéros vous inspire particulièrement ? J’aime bien les X-Men, je trouve intéressantes les questions qu’ils apportent. Le lien entre le Professeur Xavier et Magneto est passionnant : ils sont amis mais ils abordent de façon radicalement différente la question des relations entre les mutants et les humains. Le Professeur Xavier veut inventer un contrat social entre les hommes et les X-Men. Magneto, lui, a un point de vue pessimiste, mais fondé sur l’analyse de l’Histoire : il pense que l’Autre est toujours ostracisé et que les X-Men, qui représentent l’Autre, l’être différent, doivent donc prendre le pouvoir pour exister. Mais d’une manière particulière : en faisant muter les hommes, en faisant d’eux des X-Men. C’est un débat assez riche. Il y a un autre superhéros qui m’intéresse spécialement, et que j’ai découvert assez tard, c’est le Surfeur d’argent. Un être condamné à détruire et en même temps doué d’une grande élégance. Un éclaireur de l’ombre qui repère des mondes qui vont être détruits. Ce personnage sombre, qui porte un passé tragique, est un des superhéros les plus intrigants. Un surfeur métallisé digne d’une tragédie grecque. Captain America et son bouclier plat En s'inspirant du regard que porte Ollivier Pourriol sur les superhéros, on notera que l'attribut de Captain America, c'est le bouclier. Une idée de la défense armée qui renvoie le personnage au passé, d'où il vient : dans une des bonnes scènes de Captain America 2, on le voit qui entre incognito dans un musée de la Seconde Guerre mondiale pour y récupérer sa tenue de combat, exposée comme une relique. Même le fait d'avoir voyagé dans le temps pour défendre l'Amérique d'aujourd'hui ne parvient pas à rendre futuriste ce super soldat, opposant une résistance éternelle aux envahisseurs de toute espèce. Son patriotisme le rattache heureusement moins aux nouveaux nationalismes qu'à l'honneur des anciens combattants, dont il est la mémoire (sur)vivante. En somme, un capitaine au garde-à-vous, valeureux, consciencieux, respectueux… Ennuyeux ? C'est le plus grand risque qu'il court : nous lasser avec son tempérament de boy-scout bien élevé. Une forme de naïveté contre laquelle les deux réalisateurs de Captain America, le soldat de l'hiver, n'ont pas su combattre, livrant un film bien trop simple dans sa forme, avec des scènes d'action vieillottes. Comme quoi un bouclier, même invincible, ça reste toujours un peu plat.