Le Lion et Le Rat Jean de la FONTAINE. La Cigale et La Fourmi

Transcription

Le Lion et Le Rat Jean de la FONTAINE. La Cigale et La Fourmi
Le Lion et Le Rat
La Cigale et La Fourmi
Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde,
On a souvent besoin d’un plus petit que soi.
Entre les pattes d’un lion
Un rat sortit de terre assez à étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu’il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu’un lion d’un rat eût affaire?
Cependant il advint qu’au sortir des forêts
Ce lion fut pris dans les rets,
Dont les rugissements ne le purent défaire.
Sire rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage
La Cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Ce trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la fourmi sa voisine,
Lui priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’oût, foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La fourmi n’est pas prêteuse :
C’est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez ? J’en suis fort aise :
Eh bien ! dansez maintenant. »
Jean de la FONTAINE.
Jean de la FONTAINE.
Le Corbeau et Le Renard
Maître Corbeau, sur un arbre perché
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
« Hé ! Bonjour , Monsieur du Corbeau,
Que vous êtes joli ! Que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. »
A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
Le Cavalier
Sur un cheval tout noir à la crinière rousse
Il galope sur la mousse.
En toque de velours avec des plumes blanches
Il passe sous les branches.
Au galop ! Au galop ! Il passe sous les branches
Avec ses plumes blanches.
Au trot ! Au trot ! Et son grand lévrier
Saute près de l’étrier.
Il va pour épouser la fille de la reine,
La reine sa marraine.
Sur un cheval tout noir à la crinière rousse
Il galope sur la mousse.
Jean MOREAS.
Jean de la FONTAINE.
Chanson pour les enfants l’hiver
Dans la nuit de l’hiver
Galope un grand homme blanc.
C’est un bonhomme de neige
Avec une pipe en bois,
Un grand bonhomme de neige
Poursuivi par le froid.
Il arrive au village.
Voyant de la lumière
Le voilà rassuré.
Dans une petite maison
Il entre sans frapper,
Et pour se réchauffer,
S’assoit sur le poêle rouge,
Et d’un coup disparaît
Ne laissant que sa pipe
Au milieu d’une flaque d’eau,
Ne laissant que sa pipe,
Et puis son vieux chapeau.
Jacques PREVERT.
Le Tamanoir
- Avez– vous vu le tamanoir ?
Ciel bleu, ciel gris, ciel blanc, ciel noir.
- Avez-vous vu le tamanoir ?
Œil bleu, œil gris, œil blanc, œil noir.
- Avez-vous vu le tamanoir ?
Vin bleu, vin gris, vin blanc, vin noir.
Je n’ai pas vu le tamanoir !
Il est rentré dans son manoir
Et puis avec son éteignoir
Il a coiffé tous les bougeoirs
Il fait tout noir.
Robert DESNOS.
Petites souris
C’est la petite souris grise,
Dans sa cachette elle est assise.
Quand elle n’est pas dans son trou,
C’est qu’elle galope partout.
C’est la petite souris blanche
Qui ronge le pain sur la planche.
Aussitôt qu’elle entend du bruit,
Dans sa maison elle s’enfuit.
C’est la petite souris brune
Qui se promène au clair de lune,
Si le chat miaule en dormant,
Elle se sauve prestement.
C’est la petite souris rouge.
Elle a peur aussitôt qu’on bouge !
Mais, lorsque personne n’est là,
Elle mange tout ce qu’on a.
Lucie DELARUE-MARDRUS.
Conversation
Comment ça va sur la Terre ?
- Ça va ça va, ça va bien.
Les petits chiens sont-ils prospères ?
-Mon Dieu oui merci bien.
Et les nuages ?
- Ça flotte.
Et les volcans ?
- Ça mijote.
Et les fleuves ?
- Ça s’écoule.
Et le temps ?
- Ça se déroule.
Et votre âme?
-Elle est malade
Le printemps était trop vert
Elle a mangé trop de salade.
Jean TARDIEU.
Parmi les bambous
La marmite qui chante
Parmi les bambous qui bougent
Une branche de pêcher rouge.
S’il faut en croire les canards
L’été n’est pas venu trop tard.
Dans mon jardin ont réussi
La salade et le céleri
La salade et les radis
Rien de meilleur que le poisson
Pêché dans la neige qui fond.
Sur le feu jaune et bleu
Chante la grosse marmite,
La marmite au pot-au –feu.
La marmite au pot-au-feu
De temps en temps souffle un peu
De sa vapeur : « Teuf, teuf, teu »,
Comme une locomotive.
Le feu lèche la marmite
Sans bruit et la soupe cuit.
Et l’horloge va moins vite :
Elle écoute la marmite,
La marmite au pot-au-feu.
Paul CLAUDEL.
Maurice FOMBEURE.
Ronde enfantine
Journée d’hiver
Dansez, les petites filles,
Toutes en rond;
En vous voyant si gentilles,
Les bois riront.
Quel temps de chien ! Il pleut, il neige;
Les clochers, transis sur leur siège,
Ont le nez bleu.
Par ce vilain soir de décembre
Qu’il ferait bon garder la chambre
Devant son feu !
Dansez, les petites belles,
Toutes en rond;
Les oiseaux avec leurs ailes,
Applaudiront.
On n’entend rien dans le silence
Que la pendule qui balance
Son disque d’or,
Et que le vent qui pleure et rôde,
Parcourant, pour entrer en fraude,
Le corridor.
Dansez, les petites fées,
Toutes en rond;
Dansez, de bleuets coiffées,
L’aurore au front.
Théophile GAUTIER
Victor HUGO.
Au clair de lune
Voici la nouvelle année
La lune blanche
Luit dans les bois;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée …
Les ans naissent à minuit :
L’un arrive, l’autre fuit …
Je veux dire à tout le monde,
A ceux qui voguent sur l’onde,
A ceux qui rient dans leurs maisons,
Tous les vœux que nous faisons
Pur eux, pour toutes la terre,
Pour mes amis les enfants,
Pour les chasseurs de panthère
Et les dompteurs d‘éléphants.
L’étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure …
Paul VERLAINE
Que cet an nouveau sourie
Même au petit ramoneur !
Que la maison soit fleurie
Des lumières du bonheur !
Tristan DEREME
Frisson
On torture la nature
Un brouillard épais noie
L’horizon où tournoie
Un nuage blafard,
Et le soleil s’efface,
Pâle comme la face
D’une vieille sans fard.
On torture
La nature :
Forêts déracinées,
Fleuves assassinés.
La haute cheminée,
Sombre et chaperonnée
D’un tourbillon fumeux,
Comme un mât de navire,
De sa pointe déchire
Le bord du ciel brumeux
Sur le ton monotone
La bise hurle et tonne
Dans le corridor noir :
C’est l’hiver, c’est décembre,
Il faut garder la chambre
Du matin jusqu’au soir.
Les fleurs de la gelée
Sur la vitre étoilée
Courent en rameaux blancs,
Et mon chat qui grelotte
Se ramasse en pelote
Près des tisons croulants.
Théophile GAUTHIER
Des nuages de poison
Montent à l’horizon.
Plus de chants de sirènes :
L’océan à la gangrène.
On torture la nature,
Et ses cris de douleur
Me déchirent le cœur.
Recette
Pleine lune
Prenez un toit de vieilles tuiles
Un peu avant midi.
J’ai ouvert ma fenêtre
Et la lune m’a souri
Placez tout à côté
Un tilleul déjà grand
Remué par le vent.
J’ai fermé la fenêtre
J’ai entendu un cri
Mettez au-dessus d’eux
Un ciel bleu, lavé
Par des nuages blancs.
J’ai ouvert ma fenêtre
Pour voir tomber la pluie
Et comme c’était dimanche
Je me suis rendormi
Laissez-les faire.
Regardez-les.
Philippe SOUPAULT
Eugène GUILLELIC
J’ai trempé mon doigt dans la confiture
J’ai trempé mon doigt dans la confiture
Turelure.
Ça sentait les abeilles
Ça sentait les groseilles
Ça sentait le soleil.
J’ai trempé mon doigt dans la confiture
Puis je l’ai sucé.
Comme on suce les joues de bonne grand-maman
Qui n’a plus mal aux dents
Et qui parle de fées …
Puis je l’ai sucé
Sucé
Mais tellement sucé
Que je l’ai avalé !
Quartier libre
J’ai mis mon képi dans la cage
et je suis sorti avec l’oiseau sur la tête
Alors
on ne salue plus
a demandé le commandant
Non
on ne salue plus
a répondu l’oiseau
Ah bon
excusez-moi je croyais qu’on saluait
a dit le commandant
Vous êtes tout excusé tout le monde peut se tromper
a dit l’oiseau.
Jacques PREVERT
René de OBALDIA
Le cinquième jour
Aspiration
Du haut d’un nuage
les mains rouges d’argile
Dieu contemplait les animaux :
- je suis mécontent du zèbre
dit-il à Saint Rémi
qui tenait la liste
il ressemble trop au cheval
Rayez-le !
Pierre FERRAN
En tirant sur sa cigarette
Il aspire bien des choses
Des arbres un phono
Un rasoir des bretelles
Un soir qu’il avait du vague à l’âme
Il a aspiré une cathédrale
C’est ainsi qu’il devint bedeau
Paul VINCENSINI
La langue
Comptine
La langue ne vaut rien pour parler
pour parler servez-vous plutôt des pieds
que de votre langue chauve
pour parler servez-vous de votre nombril
la langue est bonne
à tricoter des monuments
à jouer du violon d’encre
à nettoyer des baleines galonnées
à pêcher des racines polaires
mais surtout la langue est bonne
À laisser pendre hors de la bouche
et flotter dans le vent
J’avais une vache
elle est au salon
j’avais une rose
elle est en chemise
et en pantalon
j’avais un cheval
il cuit dans la soupe
dans le court-bouillon
j’avais une lampe
le ciel me l’a prise
pour les nuits sans lune
Jean ARP
j’avais un soleil
il n’a plus de feu
je n’y vois plus goutte
je cherche ma route
comme un malheureux
Jean TARDIEU
Du jour au lendemain
lundi est plein de grâce
et mardi fait des grimaces.
mercredi a un long nez
et jeudi de très grands pieds.
vendredi fait la cuisine
et samedi se dandine.
voilà dimanche : attention
ça ne sent pas bon
c'est le ballet des sorcières
qui font le tour de la terre.
Un coq m’a dit
c’est l’aurore
Un mouton m’a dit
c’est enfin le matin
Un éléphant m’a dit
il est bientôt midi
Les pintades m’ont dit
il faut travailler travailler
Les hirondelles m’ont annoncé
c’est le soir puis la nuit
Et mon enfant m’a dit
Bonsoir et bonne nuit
Il est temps de dormir
Philippe SOUPAULT
Pour dessiner un bonhomme
Deux ronds dans un grand rond.
Pour le nez, un trait droit et long.
Une courbe dessous : la bouche.
Et pour chaque oreille, une boucle.
Les hiboux
Ce sont les mères des hiboux
Qui désiraient chercher les poux
De leurs enfants, leurs petits choux,
En les tenant sur les genoux.
Sous le rond, un autre rond
Plus grand encore et plus oblong.
On peut y mettre des boutons :
Quelques gros points y suffiront.
Leurs yeux d’or valent des bijoux
Leur bec est dur comme cailloux
Ils sont doux comme des joujoux,
Mais aux hiboux point de genoux.
Deux traits vers le haut pour les bras
Grands ouverts en signe de joie
Et puis deux jambes dans le bas
Qu’il puisse aller où il voudra.
Votre histoire ce passait où ?
Chez les Zoulous ? Les Andalous ?
A Moscou ? Ou à Tombouctou ?
En Anjou ou dans le Poitou ?
Au Pérou ou chez les Manchous ?
Et voici un joli bonhomme
Rond et dodu comme une pomme
Qui rit d’être si vite né
Et de danser sur du papier.
Hou ! Hou !
Pas du tout, c’était chez les fous.
Robert DESNOS
Maurice CAREME
Chanson du chat qui dort
Le secret
Chat, chat, chat,
Chat noir, chat blanc, chat gris,
Charmant chat couché,
Chat, chat, chat,
N’entends-tu pas les souris
Danser à trois des entrechats
Sur le plancher ?
Sur le chemin près du bois
J’ai trouvé tout un trésor :
Une coquille de noix
Une sauterelle en or
Un arc-en-ciel qui était mort.
Le bourgeois ronfle dans son lit,
De son bonnet de coton coiffé,
Et la lune regarde à la vitre.
Dansez souris, dansez jolies,
Dansez vite,
En remuant vos fines queues de fées.
Dansez, les souris, à votre aise,
A pas menus et drus;
Au clair de lune qui vient de se lever,
Courez !… les sergents de ville dans les rues
Font les cent pas sur le pavé,
Et tous les chats du Vieux-Paris
Dorment, dorment, sur leur chaise,
Chats blancs, chats noirs, chats gris.
Tristan KLINGSOR
A personne je n’ai rien dit
Dans ma main je les ai pris
Et je l’ai tenue fermée
Fermée jusqu’à l’étrangler
Du lundi au samedi.
Le dimanche je l’ai rouverte
Mais il n’y avait plus rien !
Et j’ai raconté au chien
Couché dans sa niche verte
Comme j’avais du chagrin.
Il m’a dit sans aboyer :
« Cette nuit, tu vas rêver. »
La nuit, il faisait si noir
Que j’ai cru à une histoire
Et que tout était perdu.
Mais d’un seul coup j’ai bien vu
Un navire dans le ciel
Traîné par une sauterelle
Sur des vagues d’arc-en-ciel.
René de OBALDIA
Le pélican
Le sombrero de Pedro
Le capitaine Jonathan,
Étant âgé de dix-huit ans,
Capture un jour un pélican
Dans une île d’Extrême-Orient.
Il fait chaud,
le soleil est haut.
Au coin de la rue,
on ne voit plus
qu’un grand chapeau
sur un poncho.
C’est Pedro de Mexico.
Il dort sous un sombrero.
Le pélican de Jonathan,
Au matin, pond un œuf tout blanc
Et il sort un pélican
Lui ressemblant étonnamment.
Et le deuxième pélican
Pond, à son tour, un œuf tout blanc
D’où sort inévitablement,
Un autre qui en fait autant.
Cela peut durer pendant très longtemps
Si l’on ne fait pas une omelette avant.
Robert DESNOS
Chut ! Ne pas déranger !
Ici, la sieste, c’est sacré.
Corinne ALBAUT
La blanche école
La blanche école où je vivrai
N’aura pas de roses rouges,
Mais seulement devant le seuil
Un bouquet d’enfants qui bougent.
On entendra sous les fenêtres
Le chant du coq et du roulier.
Un oiseau naîtra de la plume
Tremblante au bord de l’encrier .
Tout sera joie ! Les têtes blondes
S’allumeront dans le soleil,
Et les enfants feront des rondes
Pour tenter les gamins du ciel
Trois microbes
Trois microbes, sur mon lit,
se consultent, bien assis.
L’un s’appelle Scarlatine
il parle d’une voix fine.
L’autre s’appelle Rougeole
et prend souvent la parole.
Et le troisième, Oreillons,
ressemble à un champignon.
Ils discutent pour savoir
lequel dormira ce soir
dans mon beau petit lit blanc.
Mais fuyons tant qu’il est temps !
Ces trois microbes ma foi,
dormiront très bien sans moi.
Jean-Louis VANHAM
René Guy Carou
Bienvenue
Soyez les bienvenus
j’ai tout prévu
Poisson
Les poisons, les nageurs, les bateaux,
Transforment l’eau.
L’eau est douce et ne bouge
Que pour ce qui la touche.
Voici pour les gros chiens
du thé chilien
Le poisson avance
Comme un doigt dans un gant,
Le nageur danse lentement
Et la voile respire.
Pour les souris qui trottent
une carotte
Voilà pour les bons chats
un bon d’achat
Pour les oiseaux moqueurs
un mot du cœur
Pour les vieux crocodiles
un vrai fossile
Mais l’eau douce bouge,
Pour ce qui la touche,
Pour le poisson, pour le nageur, pour le bateau
Qu’elle porte
Et qu’elle emporte.
Pour les orangs-outangs
un air du temps
Pour les cacatoès
mais qu’est-ce mais qu’est-ce
Paul Eluard
Pour les éléphants sages
un bon potage
Pour les chevaux malades
de la salade
Et pour les petits ânes
de la tisane
Pour les petites filles
une jonquille
Pour les petits garçons
une chanson
Et pour tous les amis
la poésie
Jacques Charpentreau
La puce
La fourmi
une puce prit le chien
pour aller de la ville
au hameau voisin
à la station du marronnier
elle descendit
vos papiers dit l’âne
coiffé d’un képi
je n’en ai pas
alors que faites-vous ici
je suis infirmière
et fais des piqûres à domicile
une fourmi de dix-huit mètres
avec un chapeau sur la tête,
ça n’existe pas, ça n’existe pas.
une fourmi traînant un char
plein de pingouins et de canards,
ça n’existe pas, ça n’existe pas.
une fourmi parlant français
parlant latin et javanais,
ça n’existe pas, ça n’existe pas :
eh ! pourquoi pas ?
Robert Clausard
Sous la pluie
Le chasseur
Quand il fut dans le bois,
Le loup n’y était pas.
Il tombe de l’eau, plic ! ploc ! plac !
Il tombe de l’eau plein mon sac.
Quand il fut près du puits,
Le renard avait fui.
Il pleut, ça mouille,
Et pas du vin !
Quel temps divin
Pour la grenouille !
Quand il fut près du pré
La pie l’avait quitté.
Il tombe de l’eau, plic ! ploc ! plac !
Il tombe de l’eau plein mon sac.
Quand il fut dans le champ,
Plus le moindre faisan.
Après la pluie
Viendra le vent.
En arrivant
Il vous essuie.
Il jeta son fusil
Et vit, tout ébahi,
Le faisan dans le champ,
La pie au cœur du pré,
Le renard près du puits,
Le loup dans le taillis.
Il tombe de l’eau, plic ! ploc ! plac !
Il tombe de l’eau plein mon sac.
Jean Richepin
Il en fut si marri
Qu’il reprit son fusil.
Et soudain plus de loup,
Plus de renard surtout ,
Plus de pie, de faisan,
Lui tout seul, comme avant.
Maurice Carême
Sieste
La tempête en mer
Des cerises rouges,
un rideau tremblant,
des feuilles qui bougent,
un chat beige et blanc…
Comme il pleut ce soir,
N’est-ce pas mon hôte ?
Là-bas à la côte,
Le ciel est bien noir,
La mer est bien haute !
On dirait l’hiver;
Parfois on s’y trompe…
Le vent de la mer
Souffle dans sa trompe.
Une poule rôde,
un lézard s’endort
sur la pierre chaude.
Quelqu’un entre et sort.
Un pigeon roucoule.
Tout est calme ici.
Un robinet coule
et le temps aussi.
Oh ! marins perdus
Au loin dans cette ombre !
Sur la nef qui sombre
Que de bras tendus
Vers la terre sombre !
Pas d’ancre de fer
Que le flot ne rompe.
Le vent de la mer
Souffle dans sa trompe
Un violon d’abeille
chante dans les lis.
Le lézard s’éveille
sur la pierre lisse…
Une rose blanche
balance son cœur.
Dans une vapeur,
s’agitent les branches.
Victor Hugo
A pas de voleurs,
le sommeil s’approche,
Les mains dans les poches…
Velours sur mon cœur…
La voix de ma mère
dit les oiseaux clairs,
les feuilles du lierre
sont des bijoux verts.
Pierre Gamarra
L’enfant qui a la tête en l’air
Pour faire le portrait d’un oiseau
L’enfant qui a la tête en l’air,
si on se détourne, il ‘envole.
Il faudrait un main de fer
pour le retenir à l’école.
Peindre d’abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d’utile…
pour l’oiseau
Placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l’arbre
sans rien dire
sans bouger
L’enfant qui a la tête en l’air
ne le quittez jamais des yeux :
Car dès qu’il n’a plus rien à faire,
il caracole dans les cieux.
Il donne beaucoup de soucis
à ses parents et à ses maîtres :
on le croit là, il est ici,
n’apparaît que pour disparaître.
Comme on a des presse-papiers,
il nous faudrait un presse-enfants
pour retenir par les deux pieds
l’enfant si léger que volant.
Claude Roy
Quand l’oiseau arrive
s’il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l’oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l’oiseau.
Jacques Prévert
Sacrée Demoiselle
A B C D,
Je ne veux pas céder !
E F G H,
Il faut donc que je me fâche !
I J K L,
Cette sacrée demoiselle,
M N O P,
Ne manque pas de toupet !
Q R S T,
Elle me fait pester !
U V W X,
Elle en vaut bien six !
Y Z,
Encore une fois… je cède !
Le rhinocéros
le rhinocéros est morne
et il louche sur sa corne.
que veut le rhinocéros ?
il veut une boule d’os.
ce n’est pas qu’il soit coquet :
c’est pour jouer au bilboquet.
car l’ennui le rend féroce,
le pauvre rhinocéros.
Claude Roy
Les jambes de bois
Carabosse
Quand on perd une jambe à la guerre
On en met une autre en bois
Car il paraît qu’on a beau faire
Les jambes ne repoussent pas.
Mais peut-on me dire pourquoi
Il ne pousse pas de feuilles sur les jambes de bois ?
Des feuilles toutes vertes
Avec des tas d’insectes,
Des feuilles toutes belles
Où les papillons viendraient réparer leurs ailes…
Le soleil voudrait se mettre de la partie
Il pourrait y grimper des fruits,
Et ça serait tout de même chic
D’avoir sur soi des poires
Qu’on prendrait sans faire d’histoires
Des pommes et des prunes et des petits pois chiches !
Si tous les hommes avaient une jambe de bois
Qu’on arroserait bien les jours qu’il ne pleut pas
Ça ferait une forêt qui n’en finirait pas.
René de Obaldia
Moi, j’aime Carabosse,
Avec sa bosse,
Sa peau fripée,
Son œil mauvais,
Ses dents pointues,
Ses doigts crochus…
Elle fait du mal,
Mais c’est normal ;
Elle est méchante :
Cela m’enchante ;
Elle est vilaine,
Pourtant je l’aime…
Car sans elle,
En effet,
Les autres fées
seraient moins belles.
La soirée du pianiste
L’artiste est à son piano,
Sa main droite joue en solo,
Ses cinq doigts sont longs et fins !
cinq fois un, cinq
Puis des deux mains il s’enhardit
cinq fois deux, dix.
Le piano tonne, hurle, grince
cinq fois trois, quinze !
Un dernier accord, c’est la fin!…
cinq fois quatre, vingt .
Après le concert, le pianiste trinque,
cinq fois cinq, vingt-cinq .
Puis, il rentre dans sa soupente,
cinq fois six, trente,
Passe sa chemise en lin,
cinq fois sept, trente-cinq
Puis sa tête devient dolente
cinq fois huit, quarante…
Il dort déjà .Tout est éteint,
cinq fois neuf, quarante-cinq
Sauf la lune, qui se lamente,
cinq fois dix, cinquante…
Jean Tardieu.
Le déjeuner du matin
Il a mis le café
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse à café
Il a mis le sucre
Dans le café au lait
Avec la petite cuiller
Il a tourné
Il a bu le café au lait
Et il a reposé la tasse
Sans me parler
Il s’est levé
Il a mis
Son chapeau sur sa tête
Il a mis
Son manteau de pluie
Parce qu’il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j’ai pris
Ma tête dans mes mains
Et j’ai pleuré
Jacques Prévert.
L’écolière
Bon dieu ! Que de chose à faire !
Enlève tes souliers crottés,
Pends donc ton écharpe au vestiaire !
Lave tes mains pour le goûter !
Revois tes règles de grammaire,
Ton problème est- il résolu ?
Et la carte d’Angleterre,
Dis, quand la dessineras-tu ?
Aurai-je le temps de bercer
Un tout petit peu ma poupée,
De rêver assise par terre,
Devant des châteaux de nuées ?
Bon dieu ! Que de chose à faire !
Pour un art poétique
Prenez un mot prenez en deux
Faites-les cuir’ comme des œufs
Prenez un petit bout de sens
Puis un grand morceau d’innocence
Faites chauffer à petit feu
Au petit feu de la technique
Versez la sauce énigmatique
Saupoudrez de quelque étoiles
Poivrez et puis mettez les voiles
Où voulez-vous donc en venir ?
À écrire
vraiment ? À écrire ??
Raymond Queneau
Maurice Carême