Le Lion et Le Rat Jean de la FONTAINE. La Cigale et La Fourmi
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Le Lion et Le Rat Jean de la FONTAINE. La Cigale et La Fourmi
Le Lion et Le Rat La Cigale et La Fourmi Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde, On a souvent besoin d’un plus petit que soi. Entre les pattes d’un lion Un rat sortit de terre assez à étourdie. Le roi des animaux, en cette occasion, Montra ce qu’il était, et lui donna la vie. Ce bienfait ne fut pas perdu. Quelqu'un aurait-il jamais cru Qu’un lion d’un rat eût affaire? Cependant il advint qu’au sortir des forêts Ce lion fut pris dans les rets, Dont les rugissements ne le purent défaire. Sire rat accourut, et fit tant par ses dents Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage. Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage La Cigale, ayant chanté Tout l’été, Ce trouva fort dépourvue Quand la bise fut venue : Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine Chez la fourmi sa voisine, Lui priant de lui prêter Quelque grain pour subsister Jusqu’à la saison nouvelle. « Je vous paierai, lui dit-elle, Avant l’oût, foi d’animal, Intérêt et principal. » La fourmi n’est pas prêteuse : C’est là son moindre défaut. « Que faisiez-vous au temps chaud ? Dit-elle à cette emprunteuse. - Nuit et jour à tout venant Je chantais, ne vous déplaise. - Vous chantiez ? J’en suis fort aise : Eh bien ! dansez maintenant. » Jean de la FONTAINE. Jean de la FONTAINE. Le Corbeau et Le Renard Maître Corbeau, sur un arbre perché Tenait en son bec un fromage. Maître Renard par l’odeur alléché, Lui tint à peu près ce langage : « Hé ! Bonjour , Monsieur du Corbeau, Que vous êtes joli ! Que vous me semblez beau ! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. » A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie; Et pour montrer sa belle voix, Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie. Le Renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur, Apprenez que tout flatteur Vit aux dépens de celui qui l’écoute : Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. » Le Corbeau, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus. Le Cavalier Sur un cheval tout noir à la crinière rousse Il galope sur la mousse. En toque de velours avec des plumes blanches Il passe sous les branches. Au galop ! Au galop ! Il passe sous les branches Avec ses plumes blanches. Au trot ! Au trot ! Et son grand lévrier Saute près de l’étrier. Il va pour épouser la fille de la reine, La reine sa marraine. Sur un cheval tout noir à la crinière rousse Il galope sur la mousse. Jean MOREAS. Jean de la FONTAINE. Chanson pour les enfants l’hiver Dans la nuit de l’hiver Galope un grand homme blanc. C’est un bonhomme de neige Avec une pipe en bois, Un grand bonhomme de neige Poursuivi par le froid. Il arrive au village. Voyant de la lumière Le voilà rassuré. Dans une petite maison Il entre sans frapper, Et pour se réchauffer, S’assoit sur le poêle rouge, Et d’un coup disparaît Ne laissant que sa pipe Au milieu d’une flaque d’eau, Ne laissant que sa pipe, Et puis son vieux chapeau. Jacques PREVERT. Le Tamanoir - Avez– vous vu le tamanoir ? Ciel bleu, ciel gris, ciel blanc, ciel noir. - Avez-vous vu le tamanoir ? Œil bleu, œil gris, œil blanc, œil noir. - Avez-vous vu le tamanoir ? Vin bleu, vin gris, vin blanc, vin noir. Je n’ai pas vu le tamanoir ! Il est rentré dans son manoir Et puis avec son éteignoir Il a coiffé tous les bougeoirs Il fait tout noir. Robert DESNOS. Petites souris C’est la petite souris grise, Dans sa cachette elle est assise. Quand elle n’est pas dans son trou, C’est qu’elle galope partout. C’est la petite souris blanche Qui ronge le pain sur la planche. Aussitôt qu’elle entend du bruit, Dans sa maison elle s’enfuit. C’est la petite souris brune Qui se promène au clair de lune, Si le chat miaule en dormant, Elle se sauve prestement. C’est la petite souris rouge. Elle a peur aussitôt qu’on bouge ! Mais, lorsque personne n’est là, Elle mange tout ce qu’on a. Lucie DELARUE-MARDRUS. Conversation Comment ça va sur la Terre ? - Ça va ça va, ça va bien. Les petits chiens sont-ils prospères ? -Mon Dieu oui merci bien. Et les nuages ? - Ça flotte. Et les volcans ? - Ça mijote. Et les fleuves ? - Ça s’écoule. Et le temps ? - Ça se déroule. Et votre âme? -Elle est malade Le printemps était trop vert Elle a mangé trop de salade. Jean TARDIEU. Parmi les bambous La marmite qui chante Parmi les bambous qui bougent Une branche de pêcher rouge. S’il faut en croire les canards L’été n’est pas venu trop tard. Dans mon jardin ont réussi La salade et le céleri La salade et les radis Rien de meilleur que le poisson Pêché dans la neige qui fond. Sur le feu jaune et bleu Chante la grosse marmite, La marmite au pot-au –feu. La marmite au pot-au-feu De temps en temps souffle un peu De sa vapeur : « Teuf, teuf, teu », Comme une locomotive. Le feu lèche la marmite Sans bruit et la soupe cuit. Et l’horloge va moins vite : Elle écoute la marmite, La marmite au pot-au-feu. Paul CLAUDEL. Maurice FOMBEURE. Ronde enfantine Journée d’hiver Dansez, les petites filles, Toutes en rond; En vous voyant si gentilles, Les bois riront. Quel temps de chien ! Il pleut, il neige; Les clochers, transis sur leur siège, Ont le nez bleu. Par ce vilain soir de décembre Qu’il ferait bon garder la chambre Devant son feu ! Dansez, les petites belles, Toutes en rond; Les oiseaux avec leurs ailes, Applaudiront. On n’entend rien dans le silence Que la pendule qui balance Son disque d’or, Et que le vent qui pleure et rôde, Parcourant, pour entrer en fraude, Le corridor. Dansez, les petites fées, Toutes en rond; Dansez, de bleuets coiffées, L’aurore au front. Théophile GAUTIER Victor HUGO. Au clair de lune Voici la nouvelle année La lune blanche Luit dans les bois; De chaque branche Part une voix Sous la ramée … Les ans naissent à minuit : L’un arrive, l’autre fuit … Je veux dire à tout le monde, A ceux qui voguent sur l’onde, A ceux qui rient dans leurs maisons, Tous les vœux que nous faisons Pur eux, pour toutes la terre, Pour mes amis les enfants, Pour les chasseurs de panthère Et les dompteurs d‘éléphants. L’étang reflète, Profond miroir, La silhouette Du saule noir Où le vent pleure … Paul VERLAINE Que cet an nouveau sourie Même au petit ramoneur ! Que la maison soit fleurie Des lumières du bonheur ! Tristan DEREME Frisson On torture la nature Un brouillard épais noie L’horizon où tournoie Un nuage blafard, Et le soleil s’efface, Pâle comme la face D’une vieille sans fard. On torture La nature : Forêts déracinées, Fleuves assassinés. La haute cheminée, Sombre et chaperonnée D’un tourbillon fumeux, Comme un mât de navire, De sa pointe déchire Le bord du ciel brumeux Sur le ton monotone La bise hurle et tonne Dans le corridor noir : C’est l’hiver, c’est décembre, Il faut garder la chambre Du matin jusqu’au soir. Les fleurs de la gelée Sur la vitre étoilée Courent en rameaux blancs, Et mon chat qui grelotte Se ramasse en pelote Près des tisons croulants. Théophile GAUTHIER Des nuages de poison Montent à l’horizon. Plus de chants de sirènes : L’océan à la gangrène. On torture la nature, Et ses cris de douleur Me déchirent le cœur. Recette Pleine lune Prenez un toit de vieilles tuiles Un peu avant midi. J’ai ouvert ma fenêtre Et la lune m’a souri Placez tout à côté Un tilleul déjà grand Remué par le vent. J’ai fermé la fenêtre J’ai entendu un cri Mettez au-dessus d’eux Un ciel bleu, lavé Par des nuages blancs. J’ai ouvert ma fenêtre Pour voir tomber la pluie Et comme c’était dimanche Je me suis rendormi Laissez-les faire. Regardez-les. Philippe SOUPAULT Eugène GUILLELIC J’ai trempé mon doigt dans la confiture J’ai trempé mon doigt dans la confiture Turelure. Ça sentait les abeilles Ça sentait les groseilles Ça sentait le soleil. J’ai trempé mon doigt dans la confiture Puis je l’ai sucé. Comme on suce les joues de bonne grand-maman Qui n’a plus mal aux dents Et qui parle de fées … Puis je l’ai sucé Sucé Mais tellement sucé Que je l’ai avalé ! Quartier libre J’ai mis mon képi dans la cage et je suis sorti avec l’oiseau sur la tête Alors on ne salue plus a demandé le commandant Non on ne salue plus a répondu l’oiseau Ah bon excusez-moi je croyais qu’on saluait a dit le commandant Vous êtes tout excusé tout le monde peut se tromper a dit l’oiseau. Jacques PREVERT René de OBALDIA Le cinquième jour Aspiration Du haut d’un nuage les mains rouges d’argile Dieu contemplait les animaux : - je suis mécontent du zèbre dit-il à Saint Rémi qui tenait la liste il ressemble trop au cheval Rayez-le ! Pierre FERRAN En tirant sur sa cigarette Il aspire bien des choses Des arbres un phono Un rasoir des bretelles Un soir qu’il avait du vague à l’âme Il a aspiré une cathédrale C’est ainsi qu’il devint bedeau Paul VINCENSINI La langue Comptine La langue ne vaut rien pour parler pour parler servez-vous plutôt des pieds que de votre langue chauve pour parler servez-vous de votre nombril la langue est bonne à tricoter des monuments à jouer du violon d’encre à nettoyer des baleines galonnées à pêcher des racines polaires mais surtout la langue est bonne À laisser pendre hors de la bouche et flotter dans le vent J’avais une vache elle est au salon j’avais une rose elle est en chemise et en pantalon j’avais un cheval il cuit dans la soupe dans le court-bouillon j’avais une lampe le ciel me l’a prise pour les nuits sans lune Jean ARP j’avais un soleil il n’a plus de feu je n’y vois plus goutte je cherche ma route comme un malheureux Jean TARDIEU Du jour au lendemain lundi est plein de grâce et mardi fait des grimaces. mercredi a un long nez et jeudi de très grands pieds. vendredi fait la cuisine et samedi se dandine. voilà dimanche : attention ça ne sent pas bon c'est le ballet des sorcières qui font le tour de la terre. Un coq m’a dit c’est l’aurore Un mouton m’a dit c’est enfin le matin Un éléphant m’a dit il est bientôt midi Les pintades m’ont dit il faut travailler travailler Les hirondelles m’ont annoncé c’est le soir puis la nuit Et mon enfant m’a dit Bonsoir et bonne nuit Il est temps de dormir Philippe SOUPAULT Pour dessiner un bonhomme Deux ronds dans un grand rond. Pour le nez, un trait droit et long. Une courbe dessous : la bouche. Et pour chaque oreille, une boucle. Les hiboux Ce sont les mères des hiboux Qui désiraient chercher les poux De leurs enfants, leurs petits choux, En les tenant sur les genoux. Sous le rond, un autre rond Plus grand encore et plus oblong. On peut y mettre des boutons : Quelques gros points y suffiront. Leurs yeux d’or valent des bijoux Leur bec est dur comme cailloux Ils sont doux comme des joujoux, Mais aux hiboux point de genoux. Deux traits vers le haut pour les bras Grands ouverts en signe de joie Et puis deux jambes dans le bas Qu’il puisse aller où il voudra. Votre histoire ce passait où ? Chez les Zoulous ? Les Andalous ? A Moscou ? Ou à Tombouctou ? En Anjou ou dans le Poitou ? Au Pérou ou chez les Manchous ? Et voici un joli bonhomme Rond et dodu comme une pomme Qui rit d’être si vite né Et de danser sur du papier. Hou ! Hou ! Pas du tout, c’était chez les fous. Robert DESNOS Maurice CAREME Chanson du chat qui dort Le secret Chat, chat, chat, Chat noir, chat blanc, chat gris, Charmant chat couché, Chat, chat, chat, N’entends-tu pas les souris Danser à trois des entrechats Sur le plancher ? Sur le chemin près du bois J’ai trouvé tout un trésor : Une coquille de noix Une sauterelle en or Un arc-en-ciel qui était mort. Le bourgeois ronfle dans son lit, De son bonnet de coton coiffé, Et la lune regarde à la vitre. Dansez souris, dansez jolies, Dansez vite, En remuant vos fines queues de fées. Dansez, les souris, à votre aise, A pas menus et drus; Au clair de lune qui vient de se lever, Courez !… les sergents de ville dans les rues Font les cent pas sur le pavé, Et tous les chats du Vieux-Paris Dorment, dorment, sur leur chaise, Chats blancs, chats noirs, chats gris. Tristan KLINGSOR A personne je n’ai rien dit Dans ma main je les ai pris Et je l’ai tenue fermée Fermée jusqu’à l’étrangler Du lundi au samedi. Le dimanche je l’ai rouverte Mais il n’y avait plus rien ! Et j’ai raconté au chien Couché dans sa niche verte Comme j’avais du chagrin. Il m’a dit sans aboyer : « Cette nuit, tu vas rêver. » La nuit, il faisait si noir Que j’ai cru à une histoire Et que tout était perdu. Mais d’un seul coup j’ai bien vu Un navire dans le ciel Traîné par une sauterelle Sur des vagues d’arc-en-ciel. René de OBALDIA Le pélican Le sombrero de Pedro Le capitaine Jonathan, Étant âgé de dix-huit ans, Capture un jour un pélican Dans une île d’Extrême-Orient. Il fait chaud, le soleil est haut. Au coin de la rue, on ne voit plus qu’un grand chapeau sur un poncho. C’est Pedro de Mexico. Il dort sous un sombrero. Le pélican de Jonathan, Au matin, pond un œuf tout blanc Et il sort un pélican Lui ressemblant étonnamment. Et le deuxième pélican Pond, à son tour, un œuf tout blanc D’où sort inévitablement, Un autre qui en fait autant. Cela peut durer pendant très longtemps Si l’on ne fait pas une omelette avant. Robert DESNOS Chut ! Ne pas déranger ! Ici, la sieste, c’est sacré. Corinne ALBAUT La blanche école La blanche école où je vivrai N’aura pas de roses rouges, Mais seulement devant le seuil Un bouquet d’enfants qui bougent. On entendra sous les fenêtres Le chant du coq et du roulier. Un oiseau naîtra de la plume Tremblante au bord de l’encrier . Tout sera joie ! Les têtes blondes S’allumeront dans le soleil, Et les enfants feront des rondes Pour tenter les gamins du ciel Trois microbes Trois microbes, sur mon lit, se consultent, bien assis. L’un s’appelle Scarlatine il parle d’une voix fine. L’autre s’appelle Rougeole et prend souvent la parole. Et le troisième, Oreillons, ressemble à un champignon. Ils discutent pour savoir lequel dormira ce soir dans mon beau petit lit blanc. Mais fuyons tant qu’il est temps ! Ces trois microbes ma foi, dormiront très bien sans moi. Jean-Louis VANHAM René Guy Carou Bienvenue Soyez les bienvenus j’ai tout prévu Poisson Les poisons, les nageurs, les bateaux, Transforment l’eau. L’eau est douce et ne bouge Que pour ce qui la touche. Voici pour les gros chiens du thé chilien Le poisson avance Comme un doigt dans un gant, Le nageur danse lentement Et la voile respire. Pour les souris qui trottent une carotte Voilà pour les bons chats un bon d’achat Pour les oiseaux moqueurs un mot du cœur Pour les vieux crocodiles un vrai fossile Mais l’eau douce bouge, Pour ce qui la touche, Pour le poisson, pour le nageur, pour le bateau Qu’elle porte Et qu’elle emporte. Pour les orangs-outangs un air du temps Pour les cacatoès mais qu’est-ce mais qu’est-ce Paul Eluard Pour les éléphants sages un bon potage Pour les chevaux malades de la salade Et pour les petits ânes de la tisane Pour les petites filles une jonquille Pour les petits garçons une chanson Et pour tous les amis la poésie Jacques Charpentreau La puce La fourmi une puce prit le chien pour aller de la ville au hameau voisin à la station du marronnier elle descendit vos papiers dit l’âne coiffé d’un képi je n’en ai pas alors que faites-vous ici je suis infirmière et fais des piqûres à domicile une fourmi de dix-huit mètres avec un chapeau sur la tête, ça n’existe pas, ça n’existe pas. une fourmi traînant un char plein de pingouins et de canards, ça n’existe pas, ça n’existe pas. une fourmi parlant français parlant latin et javanais, ça n’existe pas, ça n’existe pas : eh ! pourquoi pas ? Robert Clausard Sous la pluie Le chasseur Quand il fut dans le bois, Le loup n’y était pas. Il tombe de l’eau, plic ! ploc ! plac ! Il tombe de l’eau plein mon sac. Quand il fut près du puits, Le renard avait fui. Il pleut, ça mouille, Et pas du vin ! Quel temps divin Pour la grenouille ! Quand il fut près du pré La pie l’avait quitté. Il tombe de l’eau, plic ! ploc ! plac ! Il tombe de l’eau plein mon sac. Quand il fut dans le champ, Plus le moindre faisan. Après la pluie Viendra le vent. En arrivant Il vous essuie. Il jeta son fusil Et vit, tout ébahi, Le faisan dans le champ, La pie au cœur du pré, Le renard près du puits, Le loup dans le taillis. Il tombe de l’eau, plic ! ploc ! plac ! Il tombe de l’eau plein mon sac. Jean Richepin Il en fut si marri Qu’il reprit son fusil. Et soudain plus de loup, Plus de renard surtout , Plus de pie, de faisan, Lui tout seul, comme avant. Maurice Carême Sieste La tempête en mer Des cerises rouges, un rideau tremblant, des feuilles qui bougent, un chat beige et blanc… Comme il pleut ce soir, N’est-ce pas mon hôte ? Là-bas à la côte, Le ciel est bien noir, La mer est bien haute ! On dirait l’hiver; Parfois on s’y trompe… Le vent de la mer Souffle dans sa trompe. Une poule rôde, un lézard s’endort sur la pierre chaude. Quelqu’un entre et sort. Un pigeon roucoule. Tout est calme ici. Un robinet coule et le temps aussi. Oh ! marins perdus Au loin dans cette ombre ! Sur la nef qui sombre Que de bras tendus Vers la terre sombre ! Pas d’ancre de fer Que le flot ne rompe. Le vent de la mer Souffle dans sa trompe Un violon d’abeille chante dans les lis. Le lézard s’éveille sur la pierre lisse… Une rose blanche balance son cœur. Dans une vapeur, s’agitent les branches. Victor Hugo A pas de voleurs, le sommeil s’approche, Les mains dans les poches… Velours sur mon cœur… La voix de ma mère dit les oiseaux clairs, les feuilles du lierre sont des bijoux verts. Pierre Gamarra L’enfant qui a la tête en l’air Pour faire le portrait d’un oiseau L’enfant qui a la tête en l’air, si on se détourne, il ‘envole. Il faudrait un main de fer pour le retenir à l’école. Peindre d’abord une cage avec une porte ouverte peindre ensuite quelque chose de joli quelque chose de simple quelque chose de beau quelque chose d’utile… pour l’oiseau Placer ensuite la toile contre un arbre dans un jardin dans un bois ou dans une forêt se cacher derrière l’arbre sans rien dire sans bouger L’enfant qui a la tête en l’air ne le quittez jamais des yeux : Car dès qu’il n’a plus rien à faire, il caracole dans les cieux. Il donne beaucoup de soucis à ses parents et à ses maîtres : on le croit là, il est ici, n’apparaît que pour disparaître. Comme on a des presse-papiers, il nous faudrait un presse-enfants pour retenir par les deux pieds l’enfant si léger que volant. Claude Roy Quand l’oiseau arrive s’il arrive observer le plus profond silence attendre que l’oiseau entre dans la cage et quand il est entré fermer doucement la porte avec le pinceau puis effacer un à un tous les barreaux en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l’oiseau. Jacques Prévert Sacrée Demoiselle A B C D, Je ne veux pas céder ! E F G H, Il faut donc que je me fâche ! I J K L, Cette sacrée demoiselle, M N O P, Ne manque pas de toupet ! Q R S T, Elle me fait pester ! U V W X, Elle en vaut bien six ! Y Z, Encore une fois… je cède ! Le rhinocéros le rhinocéros est morne et il louche sur sa corne. que veut le rhinocéros ? il veut une boule d’os. ce n’est pas qu’il soit coquet : c’est pour jouer au bilboquet. car l’ennui le rend féroce, le pauvre rhinocéros. Claude Roy Les jambes de bois Carabosse Quand on perd une jambe à la guerre On en met une autre en bois Car il paraît qu’on a beau faire Les jambes ne repoussent pas. Mais peut-on me dire pourquoi Il ne pousse pas de feuilles sur les jambes de bois ? Des feuilles toutes vertes Avec des tas d’insectes, Des feuilles toutes belles Où les papillons viendraient réparer leurs ailes… Le soleil voudrait se mettre de la partie Il pourrait y grimper des fruits, Et ça serait tout de même chic D’avoir sur soi des poires Qu’on prendrait sans faire d’histoires Des pommes et des prunes et des petits pois chiches ! Si tous les hommes avaient une jambe de bois Qu’on arroserait bien les jours qu’il ne pleut pas Ça ferait une forêt qui n’en finirait pas. René de Obaldia Moi, j’aime Carabosse, Avec sa bosse, Sa peau fripée, Son œil mauvais, Ses dents pointues, Ses doigts crochus… Elle fait du mal, Mais c’est normal ; Elle est méchante : Cela m’enchante ; Elle est vilaine, Pourtant je l’aime… Car sans elle, En effet, Les autres fées seraient moins belles. La soirée du pianiste L’artiste est à son piano, Sa main droite joue en solo, Ses cinq doigts sont longs et fins ! cinq fois un, cinq Puis des deux mains il s’enhardit cinq fois deux, dix. Le piano tonne, hurle, grince cinq fois trois, quinze ! Un dernier accord, c’est la fin!… cinq fois quatre, vingt . Après le concert, le pianiste trinque, cinq fois cinq, vingt-cinq . Puis, il rentre dans sa soupente, cinq fois six, trente, Passe sa chemise en lin, cinq fois sept, trente-cinq Puis sa tête devient dolente cinq fois huit, quarante… Il dort déjà .Tout est éteint, cinq fois neuf, quarante-cinq Sauf la lune, qui se lamente, cinq fois dix, cinquante… Jean Tardieu. Le déjeuner du matin Il a mis le café Dans la tasse Il a mis le lait Dans la tasse à café Il a mis le sucre Dans le café au lait Avec la petite cuiller Il a tourné Il a bu le café au lait Et il a reposé la tasse Sans me parler Il s’est levé Il a mis Son chapeau sur sa tête Il a mis Son manteau de pluie Parce qu’il pleuvait Et il est parti Sous la pluie Sans une parole Sans me regarder Et moi j’ai pris Ma tête dans mes mains Et j’ai pleuré Jacques Prévert. L’écolière Bon dieu ! Que de chose à faire ! Enlève tes souliers crottés, Pends donc ton écharpe au vestiaire ! Lave tes mains pour le goûter ! Revois tes règles de grammaire, Ton problème est- il résolu ? Et la carte d’Angleterre, Dis, quand la dessineras-tu ? Aurai-je le temps de bercer Un tout petit peu ma poupée, De rêver assise par terre, Devant des châteaux de nuées ? Bon dieu ! Que de chose à faire ! Pour un art poétique Prenez un mot prenez en deux Faites-les cuir’ comme des œufs Prenez un petit bout de sens Puis un grand morceau d’innocence Faites chauffer à petit feu Au petit feu de la technique Versez la sauce énigmatique Saupoudrez de quelque étoiles Poivrez et puis mettez les voiles Où voulez-vous donc en venir ? À écrire vraiment ? À écrire ?? Raymond Queneau Maurice Carême