Le site Ilford à Marly accueille le plus grand - Chrome

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Le site Ilford à Marly accueille le plus grand - Chrome
23 SEPTEMBRE 2012
MULTIMÉDIA 39
I LeMatinDimanche
Le site Ilford à Marly accueille le
plus grand appareil photo de Suisse
Le projet de Heino Heimann s’inscrit dans un courant plus large, que
l’on pourrait appeler le retour aux
sources de la photographie. L’accumulation d’images éphémères et banales par les appareils compacts et
autres téléphones mobiles a sécrété
par réaction l’envie de revenir aux
fondamentaux, de redécouvrir la magie particulière d’une image captée
non pas virtuellement, mais sur un
support physique – si possible de
grand format.
FRIBOURG Le photographe
allemand Heino Heimann a
construit, autour d’un objectif
rarissime, une chambre noire
où un homme tient aisément
debout, et dont les résultats
sont époustouflants.
Jean-Claude Péclet
[email protected]
Le baraquement en bois logeait dans
les années 1960 les ouvriers qui ont
construit le site Ilford à Marly (FR).
On y pénètre et… «attention la
tête!», prévient Heino Heimann. Le
visiteur doit en effet lever les pieds et
courber l’échine pour ne pas s’emmêler dans les câbles ou se cogner aux
projecteurs cernant une énorme
«boîte» recouverte de molleton noir.
C’est le plus grand appareil photo
de Suisse: six mètres de long, deux
mètres et demi de côté. Le photographe allemand Heino Heimann l’a
construit autour d’un objectif extraordinaire – près de dix kilos – déniché
en Italie dans un marché aux puces
spécialisé. Cet Apo-Nikkor affichant
une distance focale de 1780 mm pour
une ouverture maximale de f14 servait autrefois à reproduire des plans
d’avions. Le voici réutilisé dans un
projet artistique qui s’étalera sur plusieurs années.
«Camera obscura»
La photographe suisse Andrea Good
travaille depuis plus de dix ans selon
le principe de la «camera obscura»
dont la découverte est attribuée au
scientifique arabe Ibn al-Haytham
(XIe siècle). Les «appareils photo» de
l’artiste zurichoise sont des chambres
d’hôtels, des conteneurs à marchandises, une église.
Le magazine Wired présente dans
sa dernière édition le photographe
californien Ian Ruther, qui prépare
ses propres plaques au collodion et les
expose à la lumière dans un campingcar transformé en chambre noire
ainsi qu’en laboratoire ambulant.
Plus près d’ici, la nef de l’église
Sainte-Claire, à Vevey, a été provisoirement obscurcie par les photographes britanniques Ackroyd & Harvey dans le cadre du festival Images.
Ici, le papier photo est remplacé par
une surface ensemencée de… gazon,
la photosynthèse naturelle se substituant au procédé argentique. Un portrait d’homme a été projeté pendant
douze jours sur les jeunes pousses de
gazon couvrant une surface de huit
mètres sur cinq. Ses traits apparaissent en différentes tonalités de vert et
jaune, l’œuvre s’autodétruit au fur et
à mesure que pousse la végétation.
Le point commun de toutes ces démarches est qu’elles demandent à
leurs auteurs énormément de minutie
et de débrouillardise technique. Tout,
ou presque, est à réinventer, recalculer, tester. Pour alimenter ses flashes
cinquante fois plus puissants qu’une
installation de studio ordinaire, Heino
Heimann a racheté d’énormes accumulateurs dans un grand magasin de
meubles. Pour obturer son objectif, il
utilise un béret basque, comme certains photographes d’il y a un siècle.
Ses premiers tirages sont exposés à la
Photokina de Cologne, d’autres suivront dans la galerie Roucka à Munich.
Une netteté sans pareil
Pourquoi à Marly? Parce que c’est ici
qu’Ilford fabriquait – et développe
encore – un des papiers photographiques les plus célèbres d’après-guerre,
l’Ilfochrome (ex-Cibachrome). Ses
avantages sont multiples. D’abord il
permet de réaliser des épreuves positives directes, sans passer par un négatif. Ensuite, sa base de polyester
(PET) ne jaunit pas ni ne craquelle, ce
qui assure aux tirages une grande longévité. Enfin, ses trois couches de colorants intégrées au support sont
comprimées sur une épaisseur de
vingt millièmes de millimètres, donnant un rendu particulièrement net.
Les premiers tests de Heino Heimann sont exposés sur les portes de
l’ancien baraquement pour saisonniers. Alfred Rouiller et Walter Kamber, anciens responsables de production, ont posé avec les vélos que l’on
enfourchait pour se déplacer sur le
site, conçu pour accueillir deux mille
personnes. Deux choses frappent
dans ces portraits en pied plus grands
que nature. Premièrement, la profondeur de champ est minime à cause
de la très longue focale de l’objectif.
Deuxièmement, quand on approche
le regard, on voit chaque fil des blouses vertes que portent les modèles.
Rendez-vous dans 500 ans
Heino Heimann devant la partie frontale de la chambre photographique qu’il a construite autour d’un objectif Apo-Nikkor dont
la distance focale est de 1780 mm. On pénètre à l’intérieur par une porte métallique tournante étanche à la lumière.
Jean-Claude Péclet
DES DIMENSIONS IMPRESSIONNANTES
Signature lumineuse
Une troisième caractéristique fascine
le photographe allemand: «Les photons produits par les flashes sont réfléchis par les modèles et modifient la
couche sensible du papier tendu au
fond de la chambre noire. C’est une
sorte de signature lumineuse, chaque
image étant unique.»
«Si la photo argentique est une
capture du temps, la photo numérique est une capture de l’information,
dit Jean-Noël Gex, qui participe depuis un quart de siècle au développement technique sur le site de Marly.
Ilfochrome est devenu un produit de
niche, mais nous nous sentons responsables de soutenir un tel projet.»
Contrôle qualité
Paroi coulissante pour
régler la distance
2,30 m / 2,30 m
Objectif
Apo-Nikkor
1780 mm
Cercle de diffusion
de l’image
2,20 m
2m
1,80 m
2,50 m
4m
SOURCE: HEINO HEIMANN
Et le site Ilford de Marly, dans tout
cela? Il emploie aujourd’hui un effectif stabilisé autour de 230 personnes,
qui fabriquent du papier pour imprimantes à jet d’encre, des supports
positifs ou translucides à usage commercial (publicitaire, notamment). Il
conserve des activités de recherches
en partenariat avec des hautes écoles
et l’institut Merkle (nanotechnologies) qui occupe une partie du site.
Un des projets concerne des microfiches transparentes permettant de
stocker quatre gigabytes de données
visuelles, sonores ou informatiques.
«Nul ne sait ce que deviendront les
dispositifs de stockage électronique
dans quelques décennies, dit JeanNoël Gex. Tandis que ces microfiches, dont le vieillissement a été simulé en laboratoire, ont une durée de
vie de 500 ans et pourront être lues
avec un dispositif optique simple.»
Là aussi, retour aux sources. x