Les ports algériens à l`heure du désengagement de l`État
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Les ports algériens à l`heure du désengagement de l`État
Politique maritime Les ports algériens à l’heure du désengagement de l’État Fatima Zohra Mohamed-Chérif Docteur en géographie de l’Université de Nantes Maître de conférence au département de géographie, Université de Sénia Oran Avec une gestion étatiste qui a duré depuis l’indépendance du pays les ports algériens ont souffert du manque d’investissement et de l’abus de la part des sociétés nationales qui sont les principaux chargeurs. Face à cette situation, les pouvoirs publics réagissent en décrétant une réforme de la législation portuaire, ils espèrent attirer les investisseurs privés nationaux et étrangers. Que représente actuellement l’activité portuaire en Algérie ? L’Algérie possède 10 ports de commerce de petite et moyenne taille. Avec un trafic total de 80 millions de tonnes, ils traitent 95 % du commerce extérieur, ce qui dénote l’importance des ports en tant que facteur dynamique de l’économie algérienne. Les ports créent des emplois. Ils génèrent 14 000 emplois directs sur l’ensemble des ports algériens. Le port d’Alger, le principal port algérien, regroupe à lui seul une population de 12 000 employés. L’Algérie ne possède pas de chantiers navals donc il n’y a pas d’emplois induits dans le secteur. Le port regroupe aussi une population diversifiée vivant des transports maritimes telle que : les armateurs, consignataires, transitaires, dockers et le personnel de l’administration portuaire, ce sont des emplois induits. Les emplois générés par ces pôles sont étroitement liés au volume et à la valeur du trafic. Les ports pétroliers (Arzew, Skikda, et Béjaia) génèrent peu d’emplois. La littoralisation de l’industrie algérienne a fait des villes portuaires comme Annaba, Arzew et Skikda de véritables pôles de développement et n’a fait que renforcer la polarisation côtière héritée de la colonisation. Décembre 2007 1 La Revue Maritime N° 480 Institut Français de la Mer - 47, rue de Monceau - 75008 Paris - Tél : 0l 53 89 52 08 http://institutdelamer.org ou http://ifmer.org ou http://ifm.free.fr - e-mail : [email protected] L’Algérie n’a pas développé le tourisme balnéaire. Les villes portuaires algériennes ne bénéficient pas de ce potentiel et l’échec en la matière est patent. L’Algérie n’a jamais accordé d’importance à ce secteur qui pourtant est générateur d’emplois et source de richesse pour l’économie. Pour ces villes, c’est uniquement la fonction portuaire qui les anime. Le transport des passagers a connu une forte baisse due à la limitation de délivrances de visas (400 000 passagers par an) et par le fait, que la licence d’importation des voitures de moins de 3 ans a été supprimée. Un nombre important de passagers voyagent par avion pour l’aller et empruntent la voie maritime au retour, puisque le plus souvent ils achètent des voitures en Europe. C’est un facteur favorable pour la voie maritime. Ce trafic demeure concentré sur le port d’Alger (70 %). Ceci tient à la fréquence des rotations (2 départs/jour). Le trafic maritime algérien se caractérise par un déséquilibre entre les importations (20 millions de tonnes) et les exportations (60 millions de tonnes). L’Algérie est un pays mono-exportateur avec toutes les conséquences que cela peut engendrer sur les coûts du transport maritime sur les lignes à destination de ce pays. Et par un avant-pays essentiellement européen. Cette dissymétrie, caractéristique des échanges nord-sud, pose un problème pour la rentabilisation d’une flotte. Les problèmes des ports algériens L’Algérie a investi uniquement dans les ports pétroliers. Ces ports sont adaptés au trafic. En revanche, les ports polyfonctionnels accusent un retard important. Ils sont confrontés à différents problèmes notamment celui de l’état des infrastructures. Ce sont des ports de la première génération. Ils sont simplement des points de ruptures de charge et non pas des places logistiques. Ils ont été construits au début de la colonisation française et ils ont gardé le même aspect. Les pouvoirs publics se sont contentés de gérer le legs. Leur configuration se résume en une série de bassins courts et étroits avec des hangars rapprochés des quais, séparés entre eux par des môles étroits. Ce type de configuration s’était développé lorsque les navires étaient plus petits et lorsque les marchandises étaient arrimées sous forme d’articles distincts 1. Cette configuration est incompatible avec l’évolution actuelle : grands navires et intermodalisme. Cette donnée oblige les armateurs qui desservent les ports algériens à recourir aux cargos de petites tailles. 60 % se situent dans la gamme de 2 000 à 10 000 tpl (tonnes de port en lourd). Ce sont des navires de petites tailles non économiques et qui empêchent les chargeurs algériens de tirer profit des opportunités offertes par les ports d’embarquement en les obligeant à payer des taux de frets plus élevés. La profondeur théorique des ports est de surcroît réduite par le phénomène d’envasement et par le dragage qui n’a pas été assuré depuis vingt ans, ce qui influe négativement sur l’activité d’accostage. Dans certains cas, les navires qui ne trouvent pas le tirant d’eau nécessaire se dirigent vers d’autres ports pour être allégés et reviennent ensuite au port initial avec toutes les conséquences (temps, frais, manutention supplémentaires). Concernant les superstructures, les défaillances sont flagrantes. Le port d’Alger est le seul à posséder une grue automotrice de 300 tonnes. Par ailleurs, l’Algérie est une grande importatrice de céréales. Le port d’Alger est le seul à posséder le poste céréalier le plus important 30 000 tonnes. Cette contrainte continue d’imposer aux navires céréaliers des temps d’attente au-delà des normes requises (la durée de séjour à quai des navires céréaliers est de 16 jours) et oblige les armements à recourir au conditionnement en sacs, au détriment du plus économique, le vrac. Pour soulager le port du transit des conteneurs, la compagnie maritime française CMA CGM a créé en 2005, un port sec à Rouïba dans la banlieue d’Alger. 1 Marchandises générales ou general cargo (NDR). Décembre 2007 2 La Revue Maritime N° 480 Institut Français de la Mer - 47, rue de Monceau - 75008 Paris - Tél : 0l 53 89 52 08 http://institutdelamer.org ou http://ifmer.org ou http://ifm.free.fr - e-mail : [email protected] Par ailleurs, il y a une mauvaise répartition des rôles dévolus à chaque port. Le port d’Alger, le plus important port du pays, monopolise le trafic au détriment des autres ports. Les ports secondaires jouent un rôle mineur à l’échelle régionale. Le poids écrasant du port d’Alger n’est que l’expression de la centralité de l’État ; il bloque l’émergence de la région et des ports secondaires. La notion d’aménagement du territoire n’est donc pas prise en compte. En plus, le port national est choisi alors que certaines régions pourraient être desservies de façon plus rentable par les ports des pays voisins (Tunis ou Casablanca). Le cabotage national n’est pas développé alors qu’il pourrait alléger les insuffisances des réseaux de transport terrestre en incluant le cabotage dans la chaîne logistique de transport. À l’échelle des régions, il n’existe pas de structures locales pour informer les chargeurs sur les avantages qu’offre cette possibilité et qui est un moyen aussi de dynamiser l’activité des petits ports. Les ports sont imbriqués dans les trames urbaines, c’est le cas notamment du port d’Alger. Les trois voies de sortie du port débouchent sur la principale artère du centre urbain. Cet étouffement urbain des ports se répercute directement sur la fluidité du transit de la marchandise. Une des solutions est de redonner aux ports secondaires (Ténès et Mostaganem) leur rôle : la desserte de leur arrière-pays fondamental. Il existe une autre solution mais trop coûteuse : la construction d’une rocade routière autour de la ville pour éviter la circulation urbaine du centre ville. L’échec du modèle de gestion étatiste Dès l’indépendance du pays, la physionomie de l’Algérie caractérisée par une forte étatisation de l’appareil économique n’a pas permis la survie du décret de 1962, adoptant le régime d’autonomie à certains ports algériens. Par définition, les ports autonomes doivent être concurrentiels entre eux, ce qui n’est pas conforme à la démarche socialiste : l’organisme portuaire doit être l’instrument de l’État. Cette politique a été pratiquée par le biais de deux organismes étatiques : l’office national des ports qui gérait l’ensemble des ports et la CNAN, la Compagnie nationale algérienne de navigation pour le transport maritime. À partir de cette période, l’État a étalé son incompétence dans la gestion des ports. Cela apparaît à plusieurs niveaux. Il y a plusieurs opérateurs exerçant des activités portuaires et qui appartiennent à différents ministères, ce qui a entraîné d’énormes problèmes de coordination. Une organisation portuaire unifiée à l’ensemble des ports ne tient pas compte des particularités de chaque port. Les tarifs sont unifiés à l’ensemble des ports. Cette situation joue en défaveur des petits ports qui ne peuvent pas adopter une politique commerciale compétitive. À titre d’exemple, l’activité de pilotage est une activité obligatoire dans tous les ports algériens, mais il n’y a aucune flexibilité. Les tarifs de pilotage devraient être fixés par l’entreprise portuaire suivant le niveau du trafic atteint par l’activité du port. À l’heure actuelle, les tarifs sont fixés par l’État. Dans le cadre d’une économie socialiste, les principaux chargeurs, sociétés nationales, sont devenus par leur gigantisme de véritables États dans l’État et cette situation perdure actuellement malgré l’ouverture de l’économie algérienne vers une économie libérale. Ils considèrent la surface des ports comme de véritables entrepôts à moindres frais : leurs marchandises séjournent au port au-delà des normes requises. Actuellement, plus de 100 conteneurs sont bloqués depuis plus d’un mois au terminal à conteneurs au port d’Oran, en raison d’un conflit entre les propriétaires de la marchandise et les services de la douane. Le directeur du port n’a aucun pouvoir pour les évacuer. Dans leur relation avec les partenaires étrangers, les acteurs maritimes algériens affichent leurs insuffisances. Les exemples foisonnent : déclaration de la perte de plusieurs conteneurs ; délais de payement très lents ; pratique discriminatoire accordant la préférence d’amarrage aux navires de pavillon algérien. Quant aux armateurs de lignes régulières, ils ne Décembre 2007 3 La Revue Maritime N° 480 Institut Français de la Mer - 47, rue de Monceau - 75008 Paris - Tél : 0l 53 89 52 08 http://institutdelamer.org ou http://ifmer.org ou http://ifm.free.fr - e-mail : [email protected] peuvent garantir la date d’arrivée aux ports européens parce que la durée de séjour dans les ports algériens est imprévisible. Les investissements portuaires par les coûts élevés qu’ils suscitent, supposent qu’ils interviennent dans le cadre d’une planification portuaire. Il est affligeant de constater que les pouvoirs publics n’ont pas réussi à instaurer une institution stable et ce n’est pas là la moindre des carences. En effet, la planification portuaire est du ressort de différentes tutelles : les ministères des travaux publics, des transports et de l’équipement, mais la principale concernée, l’autorité portuaire, est absente. Cette situation a entraîné, une politique de planification excessivement centralisée, dans laquelle les investissements portuaires ont souffert de la lourdeur des procédures administratives qui parfois nécessitent plusieurs années pour aboutir enfin à l’autorisation des réalisations et également de l’absence de coordination entre les différents acteurs intervenant dans le secteur portuaire. Ces contraintes se traduisent sur le terrain par des incohérences, c’est le cas du port de Djen Djen. Au lieu de réhabiliter et moderniser les installations portuaires existantes, les pouvoirs publics ont décidé de construire un nouveau port Djen Djen, situé à proximité des ports de Béjaia et de Jijel. Ce port devait desservir une hypothétique aciérie à El Mila. Et les dettes pour sa construction n’ont pas été remboursées : elles s’élèvent en 2006 à 400 milliard de dinars. Le vent du libéralisme souffle sur l’Algérie et le secteur portuaire est touché. C’est un secteur stratégique, 95 % du commerce extérieur de l’Algérie emprunte la voie maritime. Ce qui dénote toute l’importance des ports en tant que facteur dynamique de l’économie algérienne et la nécessaire adaptation de leur organisation et de leur gestion. Les ports algériens ont constitué traditionnellement de véritables goulots d’étranglement à cause du mauvais état des infrastructures et de l’insuffisance des investissements publics. Les pouvoirs publics ont pris conscience qu’il faut mettre de l’ordre dans un secteur vital pour le pays. Ils optent pour une privatisation des activités portuaires commerciales. C’est donc une gestion étatiste de 45 ans qui trouve son épilogue. Ainsi ce modèle dans lequel le monopole des activités portuaires est de droit et de fait, a montré ses limites par le sous-investissement qui sévit dans le secteur et par l’anarchie latente qui le caractérise. Face à cette situation, la réorganisation de la gestion portuaire est devenue une nécessité. La mue portuaire Les pouvoirs publics ont pris conscience qu’il fallait mettre de l’ordre dans un secteur vital pour le pays, à savoir celui des ports de commerce. Ils optent pour une privatisation des activités portuaires commerciales : décret des 16 et 17 avril 2006. Ce décret précise que la privatisation touche l’ensemble des ports algériens et que les ports pétroliers Arzew, Skikda et Béjaia seront concédés à la société nationale pétrolière Sonatrach. À travers cette privatisation partielle des ports, l’État algérien espère obtenir l’efficacité des ports et augmenter ses capacités en infrastructures. Mais cette réforme doit être complétée par une réforme domaniale. L’investisseur doit pouvoir jouir de tous les droits d’un propriétaire. C’est une politique portuaire adaptée aux mutations en cours dans l’économie mondiale, mais l’Algérie semble marquer un retard dans ce grand mouvement, la privatisation, qui a touché plusieurs ports des pays en développement. C’est le cas d’un pays voisin, le Maroc. Dès les années 1990, ce pays a privatisé la manutention dans ces ports et les résultats sont là : la productivité de la manutention a doublé. Ce changement important dans la législation portuaire ouvrira le champ aux entreprises publiques et privées qui voudront intervenir dans le secteur portuaire. Cette œuvre de réhabilitation doit s’appuyer sur une communauté portuaire soudée, mais ce n’est pas le cas : le syndicat demande l’abrogation pure et simple du décret de privatisation des ports et les grèves persistent au port d’Oran. Le 22 mai 2006 aucun navire n’a pu décharger sa Décembre 2007 4 La Revue Maritime N° 480 Institut Français de la Mer - 47, rue de Monceau - 75008 Paris - Tél : 0l 53 89 52 08 http://institutdelamer.org ou http://ifmer.org ou http://ifm.free.fr - e-mail : [email protected] marchandise. À cause de la grève, 15 navires à quai n’ont pas pu décharger leur fret, ce qui a occasionné une perte financière de dix millions de dinars. Les ports algériens connaissent un problème de sureffectif. Les pouvoirs publics doivent mettre en place des moyens de redéploiement du personnel (mutation vers d’autres horizons, retraite anticipée). C’est un problème épineux pour les pays en développement où le chômage est endémique. Le secteur des transports fait partie des secteurs proposés au partenariat et la coopération algéro-française est bien engagée : la réalisation du métro d’Alger a été confiée a des entreprises françaises ainsi que l’électrification du réseau ferré et la gestion du nouvel aéroport d’Alger. Sur l’enveloppe financière de 55 milliards de dinars réservée au plan quinquennal 2005 -2009, 10 milliards de dinars reviennent au secteur des transports. C’est à ce prix que les ports algériens pourront rattraper le retard cumulé depuis l’indépendance du pays. Bibliographie Côte M. (1996), « L’Algérie », ed. Masson Paris. Haddoum K. (1997), « L’espace portuaire algérien » thèse droit Nantes. Mohamed-Chérif F.-Z. (2002), « Transport maritime algérien : bilan et perspectives » Revue Transports n° 416 Paris. Mohamed-Chérif F.-Z. (1999), « L’activité portuaire et maritime de l’Algérie : problèmes et perspectives » thèse de doctorat, Nantes. Touret P. (2005) « Les ports et les armements du Maghreb », note de synthèse numéro 80, ISEMAR, Paris. « Entre le financement public et privé des ports, modèle de financement des ports » (2006), Journal international des transports, numéro 17, Paris. « Ports du Maghreb : rouliers contre conteneurs », (2006), Journal de la marine marchande, numéro 4501, Paris. « CMA CGM au Maghreb », (2006), Journal de la marine marchande, numéro 4501, Paris. « Transports » (2006), revue Le Phare, Ministère des Transports, Alger. Décembre 2007 5 La Revue Maritime N° 480 Institut Français de la Mer - 47, rue de Monceau - 75008 Paris - Tél : 0l 53 89 52 08 http://institutdelamer.org ou http://ifmer.org ou http://ifm.free.fr - e-mail : [email protected]