CULTURE - Consistoire de Paris
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CULTURE - Consistoire de Paris
La littérature israélienne : reflet d'une société par Ariane Bendavid Stéphane Mosès : Un retour au judaïsme CULTURE : Quand les femmes lisent la Bible Bernard-Henri Lévy : La leçon d'Edmond Fleg © C. Hélie Gallimard Dossier : Où en est l'Ecole rabbinique ? N°277 - MARS 2008 - 3€ M 01907 - 277 - F: 3,00 E 3:HIKLTA=\UXUUU:?k@c@h@r@a; N°277 - MARS 2008 AU SOMMAIRE DE L’ÉDITO 4- Entre Pourim et Alzheimer par Josy Eisenberg ISRAËL 7- Réflexions sur le sionisme par Régis Debray 11- Les soixante ans d'Israël par Ami Bouganim 15- La littérature israélienne par Ariane Bendavid CULTURE 7 4 17- Quand les femmes lisent la Bible par Janine Elkouby LA VIE DE L’ACIP 19- L'inauguration du Centre Fleg 21- La leçon d'Edmond Fleg par Bernard-Henri Lévy DOSSIER 25- Où en est l'Ecole rabbinique ? par Hélène Hadas-Lebel 17 11 MÉMOIRE 30- Ni pardon ni oubli par Raphaël Konopnicki LA CHRONIQUE DEGUY KONOPNICKI 31- Faites donc lire Brasillach aux petits HISTOIRE 32- L'Hérault sous Vichy par Michaël Iancu BONNES FEUILLES 19 34- Un retour au judaïsme par Stéphane Mosès POURIM 36- Le paradoxe triomphant par Jacques Asseraf HUMOUR 25 37- Le séder de Nicolas par Kevin Ray LETTRES 38- Golda la Méir de toutes par Albert Bensoussan 36 LES LIVRES 39- par Odette Lang CINÉMA 40 - Le pari délicat d’un kaléidoscope sentimental par Elie Korchia VERBATIM p.41 COURRIER p.42 15 40 INFORMATION JUIVE 17, rue Saint-Georges 75009 Paris Rédaction : 01 48 74 34 17 Administration : 01 48 74 29 87 Fax : 01 48 74 41 97 [email protected] Fondateur : Jacques Lazarus Gérant de la SARL, directeur de la publication : Philippe Meyer Directeur : Victor Malka [email protected] Editorialiste : Josy Eisenberg Chroniqueur : Guy Konopnicki Comité de rédaction : Josy Eisenberg, Michel Gurfinkiel, Victor Malka, Joël Mergui, Philippe Meyer Collaborateurs : Armand Abécassis, Anne-Julie Bémont, Albert Bensoussan, Paul Giniewski, Hélène Hadas-Lebel, Carol Iancu, Gérard Israël, André Kaspi, Naïm Kattan, Elie Korchia, Odette Lang, Annie Lelièvre, Daniel Sibony. 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Historiquement, c'était la seconde fois ; la première fois c'était en Egypte, et, déjà, une fête, - Pessah enjoignait solennellement aux Hébreux de commémorer l'événement de génération en génération, comme le fit, non moins solennellement, la reine Esther. L'une et l'autre de ces commémorations donnent lieu à des festivités empreintes d'une très grande allégresse. Visiblement, dans les deux cas, le happy end occulte fortement la persécution qui, si l'on peut dire, n'est évoquée que pour mémoire. Au plan théologique - l'autre face - il existe cependant une différence de taille entre Pessah et Pourim. La sortie d'Egypte est perçue et commentée comme le signe indélébile de la Providence divine : la révélation, par une série de prodigieux miracles, de la toute-puissance divine et de l'amour pour son peuple du Dieu d'Israël. C'est le sens, mille fois répété, de Pessah. A l'opposé, à Pourim, Dieu semble étrangement absent. Ce sont les hommes - et surtout une femme - qui prennent leur destin en main. Face visible à Pessah, face cachée à Pourim. Pour la pensée juive, la fête d'Esther consacre l'avènement du statut particulier de la Diaspora : survivre comme si Dieu s'était retiré de l'histoire. On est passé des preuves aux épreuves. Dorénavant, la foi devra l'emporter sur les certitudes. Cependant, Pourim présente aussi une autre face, que PAR JOSY EISENBERG l'euphorie du salut tend à oblitérer : c'est la naissance de l'antijudaïsme, avec le retour, dans l'histoire juive, d'Amalek, dont Haman est le descendant. Le chabbat qui précède Pourim, on lit dans la Torah une solennelle injonction : Israël est chargé Tout se passe, somme toute, comme si pour de nombreux croyants, le passé, avec son patrimoine spirituel, pesait plus lourd que toutes les vicissitudes. A l'inverse, pour de nombreux juifs incroyants, athées, agnostiques, ou simplement laïques, c'est le poids de la Shoah et de l'actualité qui semble l'emporter. d'effacer le souvenir d'Amalek. Ainsi, le Séder et la Meguillah ont un point commun : la naissance du devoir de mémoire. Des siècles durant, cette mémoire fut davantage occupée à célébrer le salut qu'à mettre l'accent sur ses périlleux prodromes. Surtout, le devoir de mémoire ne se limitait pas à l'évocation des persécuteurs. Le même terme qui désignait le devoir de mémoire relatif à Amalek - Zakhor, souviens-toi - connotait tout d'abord la vocation fondamentale du peuple juif : souviens-toi d'observer la Torah. Dans les Dix Commandements, figurent au premier plan les deux termes qui définissent la mémoire : zakhor vechamor , souviens-toi et observe. Ils s'appliquent en tout premier lieu au chabbat, pierre angulaire du judaïsme. Le Séder et la Meguillah ont un point commun : la naissance du devoir de mémoire 4 INFORMATION JUIVE Mars 2008 A cet égard, on se doit d'observer - terme pour le moins ambivalent - que notre génération, légitimement habitée par la Shoah, a manifestement privilégié le devoir d'évoquer et de combattre Amalek au détriment de l'ancestral devoir de mémoire. Pour une grande partie de nos frères, l'observation de l'antisémitisme semble bien avoir pris le pas sur l'observance des mitzvoth. C'est cette déplorable sélectivité de la mémoire juive qui m'a conduit à utiliser le terme d'Alzheimer. Un des effets de cette terrible maladie consiste en effet à conserver le souvenir de certains événements, en général anciens - et à oublier le reste. Ici, il s'agit évidemment d'un Alzheimer inversé. L’ÉDITO Pour être équitables, reconnaissons que le même diagnostic pourrait aisément être retourné aux Juifs pratiquants. Ne passent-ils pas le plus clair de leur temps à cultiver le souvenir d'événements passés - l'Exode, le don de la Torah, la dialectique talmudique - sans paraître obsédés par l'actualité récente ou proche ? Et il est vrai que l'on continue à jeûner chaque année pour la mort de Guedalia - la mort d'un Juste, dit le Talmud, est aussi terrible que la destruction du Temple - alors que l'on n'a pas institué un semblable rite pour le massacre de six millions Je sais particulièrement gré à la Fondation pour la mémoire de la Shoah d'avoir très rapidement compris que cette mémoire exigeait de prendre en compte non seulement la mort des martyrs, mais aussi leur vie : leurs valeurs et leur culture. d'innocents ! Tout se passe, somme toute, comme si pour de nombreux croyants, le passé, avec son patrimoine spirituel, pesait plus lourd que toutes les vicissitudes : voilà qui ressemble bien à de l'Alzheimer. A l'inverse, pour de nombreux juifs incroyants, athées, agnostiques, ou simplement laïques, c'est le poids de la Shoah et de l'actualité qui semble l'emporter. Il est vrai - thème récurrent dans la pensée juive - que croire après Auschwitz est tout sauf évident. A propos de ce terme - laïque - une observation s'impose. Le noyau dur du judaïsme - l'élection - repose sur la définition d'Israël inscrite dans la Torah : " Vous serez pour moi un royaume de prêtres et un peuple saint (Exode 19, 6). Le Robert donne du vocable laïque - ou laïc - une très éclairante définition : " qui ne fait pas partie du clergé ". Le " clergé " juif a construit un Temple dans l'espace diasporique. Se proclamer laïque - c'est le droit de tout un chacun - signifie tout simplement que l'on sort du Temple. C'est d'ailleurs le sens étymologique du mot profane. Toujours avec le Robert : " de pro " devant " et fanun " temple ", proprement " hors du Temple ". " D'ailleurs, en hébreu, où le terme laïque n'existe pas, l'on parle de hiloni, terme au demeurant nouveau et qui provient de la racine khallel : profaner. Etymologiquement, ce verbe signifie le vide : un monde vidé de Dieu. Dans un tel monde, pour bien des Juifs, les concepts de prêtre et de peuple saint semblent bien n'avoir plus aucun sens. C es précisions n'enlèvent évidemment rien aux vertus morales, voire spirituelles, de l'humanisme juif, qui est une réalité incontournable. Puisque je suis en veine de sémantique, je m'autorise cependant un petit bémol. J'ai toujours été gêné par ce terme d'humaniste, souvent brandi par diverses mouvances "laïques" : je ne me sens pas, étant juif à part entière, moins "humaniste " que d'autres. Force est de constater que les communautés juives, notamment diverses associations censées les représenter, se sont souvent transformées en associations de défense. Attitudes L’ÉDITO et combats nécessaires, mais pas suffisants, et qui ne peuvent tenir lieu de vocation : se défendre n'a rien de spécifiquement juif. Tout groupe agressé combat naturellement pour sa survie. Il existe d'ailleurs bien d'autres moyens - projection de films, témoignages d'anciens déportés pour l'indispensable enseignement de la Shoah à l'école. Sans doute plutôt dans le secondaire. D'autre part, la place souvent prépondérante de la victimisation, passée et présente, a manifestement des effets pervers au sein d'autres minorités qui nous refusent le monopole de la souffrance. Répéter sans cesse que la Shoah est incommensurable à tous les génocides - ce qui est historiquement et moralement exact - ne sert à rien : ce n'est pas, pour les autres, le fond du problème, et cela ne fait que susciter d'inutiles rancœurs. Les réactions à la dernière initiative Comme disait Elie Wiesel, même les paranoïaques ont des ennemis de Nicolas Sarkozy - introduire le souvenir de la Shoah dès le primaire - partent certes d'un bon sentiment. Mais on voit bien les réticences de l'opinion publique : elle n'accepte pas aisément de nous percevoir comme la statue du commandeur. Et il existe d'ailleurs bien d'autres moyens - projection de films, témoignages d'anciens déportés - pour l'indispensable enseignement de la Shoah à l'école. Sans doute plutôt dans le secondaire. La Shoah n'a pas fait qu'exterminer six millions de nos frères. Soixante ans après, elle dure encore et vicie quelquefois l'air que nous respirons. Elle a, hélas, également des effets pervers, et risque de donner de nous l'image d'un peuple ombrageux, revendicatif et suspicieux, voire paranoïaque. Bien entendu, comme disait Elie Wiesel, même les paranoïaques ont des ennemis. Il nous faut donc rester vigilants. Le dur combat de diverses associations est évidemment plus que légitime. Mais la communauté juive ne saurait se réduire à une association d'anciens combattants, ou plutôt d'anciens, voire de nouveaux, combattus. 6 INFORMATION JUIVE Mars 2008 A cet égard, je sais particulièrement gré à la Fondation pour la mémoire de la Shoah d'avoir très rapidement compris que cette mémoire exigeait de prendre en compte non seulement la mort des martyrs, mais aussi leur vie : leurs valeurs et leur culture. La Fondation veille à en préserver la pérennité, notamment à travers sa commission culturelle. C'est un bel exemple de lucidité, de fidélité et surtout du bon usage du concept de devoir de mémoire. Puisque nous parlons de devoir, celui d'un rabbin, ce n'est pas seulement de déplorer, avec une infinie tristesse, la lente évaporation de la transcendance ; la césure entre judaïsme et judéité ; la tension, notamment en Israël, entre celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croit plus. Les autorités religieuses et l'attitude de certaines mouvances religieuses y ont leur part de responsabilité. Aujourd'hui, tout se passe, hélas ! comme s'il existait pratiquement deux peuples : les Juifs de la Torah et ceux de la judéité, même si ces derniers conservent généralement un certain nombre de prescriptions éthiques de la Torah et ne l'ont donc pas formellement rejetée. Dans le hassidisme, on disait plaisamment " jamais les Juifs ne font une bénédiction au moment de transgresser un commandement... ". Aujourd'hui le devoir des rabbins, devant le spectre de la profonde division du peuple juif, c'est d'appeler à un sursaut des uns et des autres, afin qu'ensemble nous puissions perpétuer ce patrimoine qui jadis nous était commun : " un trésor est caché dedans ". A cet effet, de demander à ceux qui sont dans le Temple d'ouvrir un peu sa fenêtre et à ceux qui se veulent en dehors de frapper quelquefois à sa porte. En formulant un souhait : que ce qui nous relie, en dehors d'une incontournable communauté de destin, soit davantage puisé dans les lumières de notre civilisation que dans le souvenir des années obscures. Ne rien donner de plus à Amalek que la part qui lui revient. Et guérir de nos Alzheimer. Or, précisément à propos d'Amalek, on constate que la Torah s'exprime de manière très paradoxale : "Lorsque tu n'auras plus d'ennemis, tu effaceras le souvenir d'Amalek : n'oublie pas. " (Deutéronome 25, 19). Comment pourrait-on à la fois effacer un souvenir et ne pas oublier ? Les commentateurs expliquent qu'il faut comprendre : n'oublie pas qu'un jour le souvenir d'Amalek sera effacé. Quand viendra la paix. Amen. Et la paix du cœur également. Amen, amen. Le Talmud rapporte que les fils d'Haman furent certes pendus, mais que ses petits-fils étudient La vraie victoire ce n'est donc pas que les fils d'Haman soient pendus, mais qu'un jour - suprême et vivifiante utopie - les petits-fils de Le Pen - ils sont un peu plus nombreux que les fils d'Haman - étudient la Torah. Et pourquoi pas les Juifs ? la Torah en Israël. La vraie victoire, ce n'est donc pas que les fils d'Haman soient pendus, mais qu'un jour - suprême et vivifiante utopie - les petits-fils de Le Pen - ils sont un peuplus nombreux que les fils d'Haman - étudient la Torah. Et urquoi pas les Juifs ? ISRAËL UN ENTRETIEN AVEC REGIS DEBRAY “Réflexions sur la question sioniste” " Le seul plan sur la comète du XIX ème siècle qui ait fait son trou sur la nôtre, c'est celui de Herzl et des siens ". C'est ce qu'écrit entre autres Régis Debray dans le chapitre intitulé " Sionismes " de son livre " Un candide en Terre sainte " ( Editions Gallimard 22 E 50). Dans cet ouvrage, Debray dit avoir voulu " regarder et écouter comment les hommes vivent ce qu'ils croient ". Dans l'entretien qui suit, l'écrivain s'explique sur ses rapports avec les sionismes et les questions du Proche Orient. OOO IJ : Qu'est-ce qui vous appelait à ce voyage ? Régis Debray : Une immense curiosité moins pour l'histoire des religions que pour leur métamorphose. J'ai voulu savoir comment le berceau de la foi en un Dieu Un a pu produire quelque chose qui ne ressemble pas exactement au message du mono-théisme et qui est partition, méfiance et hostilité entre les trois monothéismes. C'était donc une curiosité que j'appelle médiologique. Autrement dit, quelles sont les médiations à travers lesquelles une parole s'incarne et un message révélé touche terre et anime les hommes. IJ : Vous écrivez : " Si tu ne vas pas à elle, la Terre sainte viendra à toi ". R.D. : C'est que la Terre sainte nous pose à nous tous des questions : comment peut-on vivre le religieux dans le quotidien ? Comment une minorité peut-elle affronter une majorité ? Qu'est-ce qui se passe quand une minorité - et je pense évidemment à la minorité juive devient majorité quelque part ? Toutes ces questions posent la loupe sur les différentes interrogations qui seront bientôt les nôtres. Régis Debray IJ : Votre livre n'est pas une excursion dans le passé. Vous dites avoir voulu regarder et écouter ce que les hommes vivent et ce qu'ils croient… R.D. : D'abord est-ce qu'ils croient ? Le religieux n'est pas toujours synonyme de spiritualité. Il est synonyme d'une lignée de croyances, d'une appartenance existentielle, d'observance, de rituel, d'habitudes, de façons de parler et de s'habiller, de mémoire Ce qui me semble essentiel c'est l'importance de ce qu'on fait, des lieux et des chemins qu'on suit chaque jour…Quand on aborde la situation des chrétiens d'Orient (ce qui IJ : Vous dites quelque part dans votre livre qu'il s'agit d'un " pèlerinage au cœur de l'homme ". R .D. : Oui parce que je crois que la Terre sainte est une métaphore de la terre entière. Etudiant la Terre sainte, on peut étudier la terre des hommes tout simplement : par la densité de souvenirs, par la symbolique de ses lieux mais aussi par le vif, le cru voire le sanglant des sentiments et des affrontements. IJ : Est-ce qu'il s'agit de l'itinéraire de Jérusalem à Paris de Régis Debray ? R.D. : Ce serait de ma part beaucoup trop prétentieux. Je ne suis pas Chateaubriand. J'ai fait un travail bien plus modeste d'exploration, d'écoute, d'observation, avec en plus la modestie qui convient à qui ne parle ni l'hébreu, ni l'arabe et qui n'est guère un spécialiste de la question. Mais cela a au moins un mérite : on y arrive sans préjugés et avec une certaine attention aux autres. Il y a eu de nombreux Chateaubriand qui se sont rendus en Terre sainte mais c'était souvent pour parler d'eux-mêmes. INFORMATION JUIVE Mars 2008 7 ISRAËL était le fil directeur de mon enquête) c'est la question de l'appartenance qui importe bien plus que celle de la croyance. IJ : Tel Aviv vous apparaît comme " une villa dans la jungle, une devanture Hermès à l'entrée d'un bidonville ". d'un côté et une forte religiosité de l'autre. Peut-être - mais je veux être prudent à ce propos n'étant au fond qu'un observateur - que l'Israël d'aujourd'hui est-il un peu trop religieux aux yeux des laïcs des kibboutzim et peut-être ne l'est-il pas assez pour les autres ? Il y a dans ce pays une tension Il y a dans ce pays une tension interne entre une vocation séculière d'avant-garde qui est celle du sionisme et l'orthodoxie religieuse. R .D. : La formule est peut-être quelque peu exagérée. J'ai en effet été frappé par l'occidentalité de Tel Aviv . On arrive avec Chateaubriand en tête et on découvre un peu New York, peutêtre Odessa dans certains quartiers à cause de l'émigration russe, un petit côté niçois aussi…Bref, on se découvre un peu chez soi quasiment. Ce Tel-Aviv-là est déconcertant de banalité. Et le contraste est tellement fort avec ce qu'il y a autour. IJ : A Jérusalem vous notez que " le judaïsme s'ajuste et l'islam flotte ". Qu'est-ce que cela signifie ? R.D. : Cela veut dire que l'islam est beaucoup plus grand que la Palestine ou que le monde arabe politique puisqu'au fond il y a dans l'islam plus d'Asiatiques, de Turcs ou de Pakistanais que d'Arabes . Le monde arabe flotte dans un costume beaucoup trop large pour lui alors qu'il y a une coïncidence parfaite, disons plutôt une correspondance serrée, entre le judaïsme comme religion et la judéité comme fait politique. Il y a une cohérence originelle entre la croyance et l'appartenance, entre le système biblique et le système politique territorial qui est né de cela. Israël est un pays qui a une cohésion et une solidité fortes pour des raisons à la fois symboliques et pratiques. IJ : Qu'appelez-vous " la crise de l'israélité " ? R .D. : C'est une formule que j'ai trouvée un peu partout. Cette crise, je l'ai un peu ressentie. Cette israélité peut être partagée géographiquement entre un trop d'occident à Tel Aviv et un trop d'orient à Jérusalem, une sécularité forte 8 INFORMATION JUIVE Mars 2008 interne entre une vocation séculière d'avant-garde qui est celle du sionisme et l'orthodoxie religieuse. IJ : Vous écrivez à ce propos qu'à la question de savoir s'il existe une identité juive hors de la religion - " qui fut le bel espoir en tant que religion. En ce sens, l'affleurement du socle me semble quelque chose d'inéluctable. Mais cela doit être maîtrisé parce que nous savons que le religieux c'est le meilleur et le pire. C'est l'élection mais aussi l'exclusion. IJ : Au Proche Orient, pour vous, la question chrétienne constitue un baromètre. D'ordinaire c'est aux juifs qu'est dévolu ce rôle de baromètre d'une société… R.D. : Les chrétiens sont les juifs du monde arabe. La question chrétienne dans le monde arabo- musulman aujourd'hui c'est la question juive dans l'Europe catholique du XIX et du XX ème siècle. De même qu'on pouvait juger un pays européen en 1850 ou en 1930 d'après la place qui était faite à la minorité juive, on peut juger aujourd'hui le degré de civilisation d'un pays arabo- A Tel Aviv, on arrive avec Chateaubriand en tête et on découvre un peu New York sioniste " - les faits semblent répondre non. Mais quelle est l'opinion du " candide Régis Debray " ? R .D. : Mon sentiment est que le religieux est le socle des cultures, même quand celles-ci se veulent sécularisées. Le fait israélien est un fait de mémoire. Il s'agit de la mémoire collective du peuple juif. Cette mémoire est ancrée dans la Bible, qu'il s'agisse des patriarches ou des prophètes. Il y a donc, au départ, une révélation religieuse et une saga patriotique et mystique. Et sous la culture laïque héritée des Lumières, il y a le judaïsme musulman selon la place qui est faite à la minorité chrétienne. Je constate par ailleurs que l'antichristianisme dans le monde arabomusulman d'aujourd'hui est une copie conforme de l'antisémitisme dans le monde européo- chrétien d'hier. Cela m'a beaucoup troublé. IJ : Ce livre est pour vous l'occasion d'une profonde réflexion sur le sionisme. Première observation : vous dites en avoir assez d'entendre parler du sionisme " comme d'une injure ". ISRAËL R .D. : Il est vrai que dans certains milieux auxquels j'appartiens par quelque côté, le mot sioniste est devenu l'expression injurieuse d'un racisme longuement mûri, d'un complot délibéré. Ce n'est pas sérieux. Tout le monde est à la recherche d'un diable mais le sionisme, pour le coup, constitue un mauvais diable. D'un point de vue non religieux et non juif, personnellement je vois le sionisme comme le prolongement du mouvement des nationalités, l'expression d'un beau romantisme national qui part de l'idée juste que les juifs constituent un peuple et qu'à un peuple doit correspondre un Etat et donc un territoire. Je dis que ce national juif est vécu par les Arabes comme un prolongement du mouvement de colonisation britannique, français et européen en général. Il y a donc une sorte de décalage des chronologies. IJ : Vous avez une curieuse définition du sionisme. La voici : " Si le communisme c'est les Soviets plus l'électricité, comme disait Lénine, le sionisme c'est Moïse plus le Caterpillar " Que voulez-vous dire ? R .D. : Moïse à cause de la marche vers la Terre promise et le Caterpillar parce qu'il permet de franchir le fleuve. Il y a l'action sur le terrain, la maîtrise et la prise de possession de l'espace avec tout cela comporte de prométhéen. Le Un oecuménisme de façade sert souvent à masquer les vrais conflits. même raisonnement s'applique aujourd'hui aux Palestiniens qui n'ont certes pas l'ancienneté nationale du monde juif mais sont devenus par la force des choses une nation depuis quelques décennies. Il faudra pour les Palestiniens un Etat pour les mêmes raisons. IJ : Que voulez-vous dire en écrivant qu'il n'est pas impossible que le sionisme soit né trop tard dans un monde trop vieux ? R .D. : Le sionisme prolonge le mouvement des nationalités européen. Les allusions galibardiennes sont fréquentes chez les théoriciens sionistes. Mais le sionisme opère ce prolongement en un lieu qui est en plein soulèvement anti-colonial. Je veux dire que le fait Caterpillar est à la fois l'émancipation et l'occupation. Il est ambigu. Il représente l'alliance de la technologie moderne et de la mémoire archaïque. IJ : Vous considérez qu'à la base de la création d'Israël, il y a " un sentiment révolutionnaire entre tous : la mélancolie agissante " R .D. : J'ai noté que tous les révolutionnaires étaient des passéistes. Quand je dis cela, les gens sont déconcertés. C'est au nom d'un passé, de la nostalgie d'un âge d'or perdu qu'on fait une révolution. Cela vaut pour la Réforme protestante ; 89 en France s'est faite par la nostalgie de Rome et de Sparte et les bolcheviks avaient la nostalgie de la Commune de Paris. Bref, Je vois le sionisme comme le prolongement du mouvement des nationalités 10 INFORMATION JUIVE Mars 2008 la mélancolie n'est pas un sentiment inhibant. Elle peut être, au contraire, un sentiment dynamique. IJ : Pourquoi dites-vous que Voltaire serait bien étonné s'il venait voir le peuple hébreu chez lui… ? On s'attendrait plutôt à ce que vous évoquiez Rousseau. R.D. : Les choses sont simples : je suis un jour tombé sur une phrase de Voltaire qui disait : " Je souhaite bien du plaisir à ceux qui iront en Terre sainte. C'est un capharnaüm épouvantable ". IJ : Au fond dans ce conflit vous avez une posture belle âme : les deux camps opposés ont tous deux raison. R.D. : En effet, je suis partagé par une empathie avec les deux camps. Je m'empresse de dire qu'aujourd'hui la cause palestinienne est une cause de minorité et de vaincus. Elle a donc ma sympathie. Les Israéliens ont réparé une injustice historique considérable en se donnant cette terre et en créant cette nation. J'aurais tendance à dire que ça va bien de ce côté-là : économie florissante, appui international, modernité étonnante…Du côté palestinien, en revanche, il y a la misère et un peu plus que de la peur : de la détresse. Cela étant, je reviens de ce voyage avec le sentiment qu'il faut rendre justice aux deux parties. Ce sera difficile et cela exigera de chacun qu'il renonce à quelque chose. Un fait est certain : les deux peuples sont condamnés à coexister. Quiconque oublie cela tourne le dos à l'avenir. IJ : Pourquoi considérez-vous le dialogue inter- religieux comme " une invention hypocrite et lénifiante de la fatigue d'être soi " ? R.D. : Peut-être ce jugement est-il, à la réflexion, un peu sévère ? Pour qu'il y ait un vrai dialogue, il faut, selon moi, qu'on commence par reconnaître les différences. Je trouve que trop de dialogues font bon marché des différences réelles de conception théologiques entre les juifs et les chrétiens ou entre le monde judéochrétien et le monde musulman. Il y a, me semble-t-il, trop de bonnes paroles qui sont prononcées et au fond assez peu de compréhension. Un oecuménisme de façade sert souvent à masquer les vrais conflits. Car il y a une dimension de conflit dans toute différence : on se pose en s'opposant. Pourquoi nier que nous n'avons pas la même histoire et pourquoi ne pas mettre les choses sur la table ? Et ne posons pas là-dessus le mouchoir hypocrite de formules toutes faites ! ISRAËL A SOIXANTE ANS Le laboratoire du judaïsme… S oixante ans, dit le Traité des Pères, c'est l'âge de la vieillesse dans une vie d'homme. Les pères, ceuxci ou d'autres, assimilent volontiers la vieillesse à la sagesse. Ils ont encore dix ans pour connaître la sérénité. Puis dix ans pour connaître la gloire. Soixante ans, c'est l'âge où les enfants prennent les rennes et celui où les petits-enfants s'interrogent s'ils veulent encore s'inscrire dans la lignée, rester sur les lieux et poursuivre l'œuvre ancestrale ou emménager leurs pénates ailleurs. En revanche, les maîtres du Talmud ne se sont pas prononcés sur les périodes historiques. Peut-être parce qu'ils n'avaient pas le recul nécessaire ; peut-être parce qu'ils étaient décidés à en découdre avec l'histoire et à s'installer dans le retour permanent d'un rite qui, de nouvel an en nouvel an et de chabbat en chabbat, célèbre une Présence éternelle. On a beau me répéter que l'histoire s'est coulée dans l'attente messianique, qu'elle s'est constituée comme parenthèse entre les "jours d'alors" et "les jours à venir", je n'en persiste pas moins à croire que le judaïsme pharisien s'est retiré dans l'éternité pour mieux la connaître et qu'il a du mal à s'insérer dans une vision, essentiellement hégélienne, de l'histoire. Je n'ai aucune idée sur la meilleure PAR AMI BOUGANIM* manière de marquer un anniversaire historique . Cela dit, je ne suis pas du genre à me contenter des articles laudateurs et des discours solennels qui ne vont pas manquer à l'occasion du soixantième anniversaire de la création d'Israël. J'aime trop ce pays pour lui réserver une vulgaire langue de bois. La troisième génération des Israéliens n'a pas connu l'exil et si elle se pose la question de l'existence d'Israël, ce n'est pas tant parce qu'on lui conteste le droit d'exister que parce que l'exil est de nouveau dans l'air du temps, qu'on se sent à l'étroit dans les limites d'un Etat, trop bourdonnant, dangereux ou provincial, qu'on veut conquérir Hollywood, Londres ou Shanghai. Il s'est même trouvé des jeunes, particulièrement talentueux et sensibles, pour réclamer "le droit du retour à l'exil". Aujourd'hui, je suis ici ; demain, je serai là-bas. Je rentrerai un jour. Peut-être ; sûrement. Entre-temps, j'accumule les titres, les millions, les expériences et… les passeports. Cette revendication, autant le préciser, émeut davantage la diaspora qu'Israël. On s'inquiète de voir des Israéliens réclamer les passeports de leurs parents, s'installer en marge des communautés et créer comme une diaspora nouvelle dans ou hors de l'ancienne, d'autant plus ISRAËL A SOIXANTE ANS séduisante qu'elle répond à l'appel de l'ailleurs retentissant dans la mondialisation transnationale. Soixante ans plus tard, la mondialisation est en train de brouiller les cartes politiques internationales. En Occident, les nationalités se mêlent davantage qu'elles ne se démarquent les L'exil colle tant aux midrashim et aux catégories du judaïsme unes des autres. La science, ses robots, ses communications, pharisien qu'on ne peut l'assumer sans ressentir un attrait pour ses combi-naisons génétiques et ses combines médiatiques lui. La Présence divine - la Shékhina -, partie en exil avec Israël, gagnent la planète. Les marchés ne cessent de s'étendre, pour le meilleur et pour le pire, ne serait pas rentrée. Peut-être autorisant le commerce illicite d'organes humains, de relations veille-t-elle les cendres d'Auschwitz, peut-être s'attache-t-elle sexuelles et de toute la pacotille de consommation, achevant à l'exil ? Peut-être attend-elle, elle aussi, le maître qui la de faire de l'humain un client. Israël est au cœur de la mondiadépoussiérerait, la sortirait de son deuil ? Quand il lui arrive lisation. Il se veut à la fois national et cosmopolite, juif et néanmoins de résider en Israël, elle se blottit à Méa Shéarim démocratique, oriental et occidental. Terre d'asile et terre plus volontiers qu'à la rue Shenkin à Tel-Aviv, dans les colonies d'expulsion, d'entente et de litige, de paix et de guerre, de de Samarie en rupture partielle avec l'Etat d'Israël plus volontiers révélation et d'hallucination. On ne comprend pas comment il que dans les kibboutzim. Elle devra finir par rentrer un jour. ne succombe pas à ses contradictions, à ses prétentions et à ses Dans les villes et les villages, les places publiques et les combats. On est excédé par son irréductibilité autant que par boulevards, les universités et les académies rabbiniques, les sa vigilance. Il vit à part, normal et anormal, moins ou plus que tribunaux et les marchés. A Tel-Aviv autant qu'à Jérusalem. Elle les autres Etats. Il dérange, il perturbe, il fascine, il séduit. Dans devra s'insinuer dans les esprits, s'introduire dans l'étude, peser le concert des nations, il mettrait une si mauvaise note qu'on sur les choix et les décisions. Autrement, l'israélisme risque de serait tenté de l'incriminer dans les désarrois de l'humanité et dégénérer, par amnésie, en philistinisme de mauvais augure. de penser que sans lui la paix régnerait à nouveau dans le monde, l'entente neutraliserait les passions religieuses, Surmonter la Shoa l'harmonie serait universelle. Or malgré sa précarité Le diagnostic de ce maître démographique, sa vulnéqu'était Leibowitz était juste ; rabilité politique, son vertige son remède aléatoire. Il avait théologique, Israël est un raison de dénoncer les des rares pays à trouver ses accommodations de paille entre aises dans la mondialisation. la religion civile israélienne et Peut-être des réminiscences le judaïsme rabbinique ; il avait dias-poriques, peut-être des tort de réduire le judaïsme, ne velléités diasporiques. Il serait-ce que par égard pour la l'interprète dans tous les cause sioniste, à la pratique de sens, il ne cède à aucun la halakha. Leibowitz était trop dogmatisme, il la pratique engoncé dans sa propre sans retenue. Dans cette pratique du judaïsme pour liberté déliée, il risque de se réaliser que sa principale perdre. Ce n'en est pas contribution résidait dans son moins un défi à relever. appel, malheureusement ocIsraël est tout désigné pour culté, d'une constitutionnaliservir de station d'aiguillage sation israélienne de la halakha. des religions, des sciences, Ben Gourion proclame l'indépendance de l'Etat d'Israël Celle-ci réclamait une révision des philosophies, des arts, des schèmes herméneutiques et des procédures halakhiques. des cerveaux. C'est d'ores et déjà un pays pluri-national - malgré Les rabbins étaient trop attachés à la trame exilique du judaïsme les protestations de cercles juifs et arabes. L'hébreu est langue pour montrer l'ingéniosité requise ; la Haute Cour de justice ne officielle, l'arabe aussi. Les juifs ont leurs synagogues, les se sentait pas liée par les deux millénaires de jurisprudence chrétiens leurs églises et les musulmans leurs mosquées. L'avenir juive ; la Knesset n'a pas su, voulu ou pu se poser en Sanhédrin. juif d'Israël est dans la convergence entre Jérusalem et Tel-Aviv, On a à peine entamé, dans certains cercles rabbiniques et entre l'engourdissement de l'une et la pétulance de l'autre, entre certains instituts de recherche, ce travail… Or faute de le mener les lanières de cuir qui sanglent l'une et le châle bleu qui borde à son terme, l'exil continuera de guetter Israël. l'autre. La troisième génération ne connaît la Shoa que par transmission. Si elle porte un numéro tatoué sur le bras, c'est au revers de la peau, comme une écharde intérieure, l'âme circoncise par les Allemands. Soixante ans plus tard, le peuple juif n'a pas fini de traiter la plaie de la Shoa. On a obtenu réparation. On a érigé des mémoriaux et construit des musées. On a institué des rites de souvenir. On a mené des recherches. Pourtant, on a l'impression que les questions les plus lancinantes n'ont pas été posées et si elles l'ont été, ce fut pour les éluder. On n'a pas encore instruit le procès de l'Allemagne et de la civilisation qui a permis un tel crime. On n'a pas tiré toutes les conclusions de l'acharnement des nations contre les Juifs qui a culminé dans un massacre aussi barbare. Surtout, on attend toujours l'auteur qui écrirait l'histoire du Job d'Auschwitz, avec l'audace que montra celui du livre biblique. 12 INFORMATION JUIVE Mars 2008 Soixante ans plus tard, le pays n'en a pas moins pris un coup de vieux. La deuxième génération - les figures de proue littéraires autant que les généraux et les amiraux - ne se décident pas à céder la place… Partout, on trouve des hommes et des femmes qui bouchent l'horizon et qui, un rien flagorneurs, se vantent d'avoir commencé leur carrière à vingt-cinq ans, d'avoir fondé l'institution qu'ils dirigent à trente, d'avoir créé et démantelé un kibboutz à quarante. Les sexagénaires, pour ne point parler des octogénaires, n'ont pas su montrer la délicatesse et la noblesse de s'effacer pour laisser monter un nouveau leadership. Ils se revendiquent - toujours - de leurs droits de pionniers et de fondateurs pour dissuader une troisième génération passablement démobilisée. En Israël, on n'a pas le sens de la retraite, on s'active jusqu'à l'attaque cérébrale, on ne se retire que dans les sables. ISRAËL A SOIXANTE ANS Or la survie, de même que l'intense résistance qu'elle requiert, ne peut tenir lieu à elle seule de politique sur plus de deux ou trois générations, en diaspora comme en Israël. Il est nécessaire d'articuler un projet théologique et politique et de créer les conditions de le réaliser. Sans quoi, chacun se donnera sa vigne et son cocotier en des lieux plus exotiques et plus sûrs. Peut-être ne produiront-ils pas de fruits, mais ils feront miroiter ce troublant mirage qui plane sur le désert de l'assimilation. La relève de la garde Déjà soixante ans. Seulement soixante ans. A peine soixante ans. Chez l'homme, à soixante ans, on se range. C'est l'âge où la colère se dilue dans la sérénité ou bien tourne à l'amertume. On se retourne en arrière pour mesurer le chemin parcouru et pointer pour les jeunes générations le chemin à prendre. On se reporte sur les enfants pour perpétuer sa lignée et son œuvre et sur les petits-enfants pour réaliser de nouveaux rêves, nouer de nouvelles romances, poursuivre le désir de vivre. On déclare : "Je te lègue un Etat qui s'est bâti, sans s'en douter et sans se l'avouer, en monument de la Shoa. Soixante ans plus tard, c'est un laboratoire du judaïsme qui doit se mesurer aux questions les plus cruciales qui se posent à l'humanité, de l'entente entre les religions à la bio-éthique et de l'existence sous le signe des nano-technologies à la protection sécuritaire contre les terrorismes de tous poils. Il n'a pas liquidé l'exil, ni dans les esprits ni dans les textes, et celui-ci nous guette toujours. A toi de voir… " définitive, il est rentré à Tel-Aviv. Quand je me suis intéressé à ses moti-vations, il m'a répondu : "Rien de glorieux ni de solennel. J'avais besoin de respirer l'air sacré et délétère de TelAviv, de retrouver des lieux de souvenirs, de saisir les correspondances entre mes sens. Je souhaitais m'inscrire en hébreu". On n'a d'autre choix que de miser sur la créativité hébraïque, excitée par nos sacrées contradictions, pour revisiter les textes et créer une nouvelle condition juive légitimant la souveraineté israélienne. A.B *Philosophe et écrivain Ma principale inquiétude, on le voit, ne réside ni dans la menace terroriste ni dans la menace iranienne. J'ai été tant de fois abusé sur les menaces extérieures qui pesaient sur Israël que je n'ai guère prêté attention à la menace qui couvait sous les acquis et les échecs de la société israélienne. J'ai peur, à mon tour, que toute cette aventure ne se révèle une parenthèse dans une histoire trimillénaire marquée davantage par les périodes d'exil que par celles de souveraineté dite nationale. Je suis de cette génération charnière qui est passée de la bougie au néon, du timbre postal au mail électronique, de la naïveté religieuse à la complexité théologique. Mais je ne sais pas si Israël se reconnaît en ses petits-enfants et surtout si nos petitsenfants se reconnaissent en Israël. Je sais seulement que ce sera à la troisième génération de décider du sort d'Israël. Dory Manor est le traducteur de Baudelaire en hébreu. Sa traduction, véritable création poétique en soi, n'est pas moins brillante que l'original. Il a connu le succès très tôt. Il a choisi de s'installer à Paris. Il a étudié, il a composé des poèmes, il a enseigné. Dix ans plus tard, il n'en pouvait plus de l'ambiance muséologique de Paris. Il a hésité entre Berlin et New York. En INFORMATION JUIVE Mars 2008 13 ISRAËL La littérature israélienne : reflet d'une société PAR ARIANE BENDAVID Ariane Bendavid est agrégée d'hébreu, maître de conférences en études hébraïques à l'université de Paris IV-Sorbonne où elle enseigne la philosophie juive et la littérature modernes. Elle a publié la traduction de l'œuvre poétique de Bialik, sous le titre " Un voyage lointain ", éditions Stavit, 2004 ; " Haïm Nahman Bialik, La prière égarée, biographie ", éditions Aden, 2008, et " Bialik, Le livre du feu, suivi de trois nouvelles " traduction et présentation, éditions Caractères, 2008. I sraël qui fête cette année son soixantième anniversaire, est l'invité d'honneur du Salon du livre. C'est l'occasion de revenir sur l'un des aspects les plus fondamentaux et fondateurs de sa jeune existence : sa littérature. Depuis quelques décennies, on ne compte plus les romans israéliens traduits en français, et nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais on doit rappeler qu'il y a encore tout un pan de la littérature hébraïque qui demeure méconnu du lectorat francophone. Et il se trouve, c'est un paradoxe, qu'il s'agit pourtant des auteurs qui ont posé les premiers jalons de cette littérature moderne, et ont dessiné, dans les dernières décennies du XIXe et les premières du XXe siècle, le paysage culturel du " foyer national ", embryon du futur Etat. Ces pères fondateurs qui ont marqué de leur empreinte leur temps et les générations suivantes, sont encore aujourd'hui des références incontournables. Après quelques tentatives sans lendemain en Europe occidentale, où la langue vernaculaire prend très vite le dessus, c'est essentiellement en Europe de l'Est, dans la seconde moitié du XIXe siècle, que se développe la littérature hébraïque moderne. Dès les années 1860-1870, l'ouverture d'Alexandre II favorise l'apparition d'une élite intellectuelle juive pour laquelle l'émancipation apparaît comme la condition sine qua non du progrès, et, pense-t-elle, de la disparition de la haine viscérale dont les juifs sont victimes. Le monde du shtetl entame alors son lent mais irréversible déclin. Parallèlement, l'hébreu entreprend aussi sa mutation décisive : d'une langue réservée à la liturgie et à l'écrit, il devient peu à peu une langue parlée, et donc nécessairement désacralisée. Dans les écrits de la première génération, avec des auteurs tels que Joseph Perl, Y.L. Gordon, Lilienblum ou Mendele mokher sefarim (auteur bilingue yiddish-hébreu), ce désir d'émanci-pation est tel, qu'il s'accom-pagne d'un rejet global et souvent implacable du mode de vie traditionnel. Dans cette littérature polémique, satirique, voire subversive, le monde de la tradition est tourné en dérision et le shtetl devient le symbole d'une vie sclérosée et anachronique. Yehuda Leib Gordon est l'un des chefs de file de cette génération. Impitoyable envers les instances religieuses de son temps, il appelle ses contemporains à un sursaut libérateur et écrit en 1873 : " Eveille-toi, mon peuple, pourquoi dormir encore / Reconnais le temps et le lieu où tu vis ". Etre " homme au dehors et juif sous son toit ", telle est alors la difficile devise des juifs émancipés. Car il ne s'agit pas, pour les écrivains de l'Est, de prendre modèle sur ces " israélites " français qui n'ont plus aucun lien avec leur culture, mais de trouver un équilibre entre deux identités. Dans la même génération, plus connu est évidemment Mendele mokher sefarim, que Bialik appellera l' " aïeul " de la littérature moderne, qui rejette tout autant les velléités d'assimilation que l'obscurantisme des plus orthodoxes restés au shtetl. Mais une date va brouiller les cartes : le 1er mars 1881, l'assassinat d'Alexandre II est le prélude à une terrible vague de pogroms qui détermine le volte-face des intellectuels qui avaient jusqu'alors prôné l'intégration. Gordon lui-même reconnaît s'être trompé. Pinsker rédige à l'âge de 60 ans son Autoémancipation, définissant la " judéophobie " comme une " psychose héréditaire et incurable ", dont le seul remède consiste dans le " rétablissement d'un lien national commun ". Force est de constater que l'intégration n'est pas une solution à l'antisémitisme. Ce revirement va se traduire dans la littérature par une volonté nostalgique de retour aux valeurs spirituelles du judaïsme. Les meilleurs représentants de cette tendance néo-romantique sont à mon sens Bialik pour l'hébreu, et Shalom Aleikhem pour le yiddish. Mais on trouve aussi dans cette génération des hommes tels qu'Ahad Ha-Am, le père du sionisme spirituel, Tchernikhovsky, le plus " païen", ou le plus européen, des poètes juifs, Berdichevsky et Brenner qui, eux, flirtent avec le nihilisme. Les premiers tournent le dos à l'attitude méprisante des Agnon et Bialik INFORMATION JUIVE Mars 2008 15 ISRAËL maskilim , et mettent en scène des anti-héros à la croisée des chemins, qui cherchent leur place dans une société qui les rejette, et cherchent tant bien que mal à trouver un équilibre précaire entre tradition et modernité. C'est l'univers de " Tevieh le laitier " (" Un violon sur le toit "), qui témoigne d'une profonde tendresse pour le juif du shtetl, ou encore de " Menahem Mendel le rêveur ", récit tragi-comique de l'échec d'un homme qui abandonne femme et enfants au shtetl pour tenter sa chance à Odessa. C'est aussi celui des poèmes et des nouvelles de Bialik, le " poète national ", qui, bien qu'il se soit affranchi du joug de la Torah, a vécu sa vie entière à la charnière entre deux mondes, affectivement attaché à ses racines, et intellectuellement attiré par le monde occidental. Son célèbre poème " Au seuil de la maison d'étude " est resté le symbole de cette ambivalence. A la suite de ces pères fondateurs, c'est en Palestine que va s'épanouir la toute jeune littérature hébraïque. La langue évolue rapidement, et devient, dès la seconde alyah, une langue parlée par des dizaines de milliers de locuteurs. Agnon, dont l'œuvre magistrale sera couronnée en 1966 par le prix Nobel, est sans doute l'un des écrivains les plus charismatiques de cette Tchernikovsky et Amos Oz génération. Dans un style unique, souvent proche de la Aggada, il peint la vie juive en exil, la difficile installation des immigrants, et simplement, les tensions inhérentes à la condition de l'homme moderne. Ses œuvres pleines d'humour et de sagesse populaire s'inspirent des légendes juives, mais aussi de sources mythiques ou de légendes grecques. Dans cette génération commencent aussi à apparaître quelques poétesses, dont Rahel et Léa Goldberg sont sans doute les plus représentatives. Les poèmes de Rahel, simples et lyriques, expriment son amour pour la terre d'Israël, mais aussi sa souffrance et sa solitude. L'installation en Palestine modifie considérablement l'esprit et la langue de cette littérature. La génération née en Israël ou immigrée très jeune doit faire face à l'avenir. Refusant de se lamenter sur un passé révolu, elle tourne le dos à la mentalité exilique ; elle " tue le père ", et en premier lieu Bialik, comme en témoigne le conflit entre le " poète national " et son cadet Abraham Shlonsky. S. Yizhar, Moshe Shamir et Aharon Megged, font partie des chefs de file de la génération de la guerre d'indépendance, ou génération du Palmah, attachée aux valeurs collectives, qui 16 INFORMATION JUIVE Mars 2008 place au centre de ses préoccupations la problématique liée à la création de l'Etat. Dans une prose inégalée, Yizhar évoque dans " Prémices " l'épopée des premiers pionniers, un parcours plein d'espoir mais jonché d'obstacles. Son regard est pourtant lucide et sans complaisance : dès le lendemain de la guerre d'indépendance, il dévoile la part d'ombre que recèle l'idéal sioniste. Ses nouvelles rassemblées sous le titre " Convoi de minuit " témoignent du questionnement qui fut celui de jeunes soldats, déchirés entre le sens du devoir, l'intérêt collectif, et la mauvaise conscience inévitable face à l'expulsion des arabes de leurs villages. La génération de l'Etat C'est en réalité la création de cet Etat qui va, paradoxalement, éroder l'idéal. Une fois le rêve réalisé, que restait-il à espérer ? Peu à peu, l'idéal collectif s'effrite et les héros du Palmah deviennent des anti-héros désabusés et amers, en quête de sens, qui voient les valeurs et les idéaux du passé battus en brèche, et cherchent leur place dans une société en pleine mutation. Cette génération, celle d'Amos Oz, A.B. Yehoshua, Yoram Kaniuk et Yakov Shabtaï, se démarque de celle des aînés : ces auteurs restent, certes, préoccupés par l'identité israélienne et les relations entre Juifs et Arabes ; mais ils entendent aussi donner naissance à une littérature universelle, dans laquelle les personnages ne sont pas seulement des Israéliens enfermés dans leurs problèmes identitaires ou nationaux, mais aussi, et peut-être surtout, des hommes et des femmes qui tournent le dos à l'idéal collectiviste et veulent exister pour euxmêmes. Le roman culte des années 1970, " Pour inventaire ", de Yakov Shabtaï, avec des personnages tragiquement seuls, est resté le symbole de la " décadence " de la société israélienne et de la fin d'un mythe. Leur cadet David Grossman, quant à lui, tout en restant très engagé et en dénonçant les failles de la politique et de la société israélienne, explore aussi, simplement, les tréfonds de l'âme humaine. La Shoah est aussi, il ne faut pas l'oublier, l'un des thèmes majeurs de cette littérature : d'Aharon Appelfeld à Savyon Liebrecht, d'Aharon Megged à Haïm Gouri, de Nathan Alterman à David Grossman ou, plus jeune encore, Amir Gutfreund, la prose et la poésie ont redonné une voix aux disparus. Après le refoulement, et le long et pesant silence qui a entouré le retour des rescapés, les langues se délient, et on ne compte plus les textes qui, même s'ils ne traitent pas de ce thème de façon directe, tournent autour, laissant apparaître la blessure des deuxième et troisième générations. On ne peut conclure ce bref panorama sans évoquer Yoël Hoffman, qui décompose le monde en phénomènes sans cohérence, et Etgar Keret, qui nous plonge dans un univers surréaliste à la limite de l'absurde, peuplé de personnages à la dérive. Ni sans évoquer aussi la percée effectuée depuis quelques décennies par les femmes, Orly Castel-Blum, Yehoudit Katsir, ou Zerouya Shalev, pour ne citer qu'elles. Leur mérite est d'autant plus grand qu'il n'a pas été facile de s'imposer dans une société sur laquelle les hommes ont longtemps exercé leur emprise. Il était temps que la place de la femme dans la littérature - tant comme auteur que comme personnage - reflète le rôle qu'elle joue aujourd'hui dans le paysage israélien. CULTURE Quand les femmes lisent la Bible PAR JANINE ELKOUBY Janine Elkouby a dirigé avec Sonia Sarah Lipsyc un ouvrage qui réunit pour la première fois en France des contributions de femmes juives, intellectuelles d'horizons divers, sur le thème " Quand les femmes lisent la Bible ". Notre amie Janine Elkouby présente ci-dessous ce livre à nos lecteurs et explique pourquoi il faut écouter aussi la voix des femmes qui ont entrepris de lire et de commenter la Bible T ous les matins, l'homme juif récite, parmi d'autres, la bénédiction suivante : "Béni sois-tu qui ne m'as pas fait femme".Cette bénédiction quotidienne cristallise et symbolise le malaise de nombreuses femmes juives : elle révèle et illustre le statut inférieur des femmes, à travers le soulagement que les hommes semblent y exprimer d'avoir échappé à une condition dévalorisée. Et, en effet, au sein de ce judaïsme qu'elles aiment pourtant et auquel elles adhèrent, elles sont confrontées à des problèmes parfois douloureux , qui les mettent en porte à faux avec le monde dans lequel elles évoluent : leur situation de femme dans la société juive accuse un indubitable retard sur celle qui leur est faite dans la société globale, en particulier dans les domaines de l'accès à l'étude et du droit familial. L'accès à l'étude demeure limité, en France tout au moins : dans la quasitotalité des écoles juives, la Loi orale (Michna et Guemara), reste exclusivement réservée aux garçons. Or, rappelons-le clairement et sans ambiguïté, nulle part l'étude féminine n'est interdite : les femmes en ont été dispensées, il est vrai. Mais cette dispense, au fil du temps, a été vécue et présentée comme une interdiction de facto, si bien que l'étude des femmes est restée un phénomène exceptionnel et marginal, sur lequel plane le soupçon, comme le montre bien Yentl, la célèbre nouvelle de I. Bashevis Singer. Quant aux décisionnaires contemporains, nombre d'entre eux insistent sur la nécessité pour les femmes de s'impliquer dans l'étude, conscients que celle-ci constitue un facteur incontournable d'identité dans le monde juif d'aujourd'hui, grignoté par l'assimilation et l'ignorance dans laquelle la première s'enracine. Mais la France a, dans ce domaine comme dans d'autres, un retard considérable : il n'existe pratiquement aucun lieu qui dispense un enseignement de Talmud aux femmes, si l'on excepte quelques le Guet, il fait de sa femme une Agouna dans le premier cas, une Mesorevet Guet dans le second, c'est-à-dire, dans l'un et l'autre cas, une femme " ancrée " dans un mariage fictif, qui ne peut refaire sa vie et qui donnera naissance, si elle passe outre, à des " Mamzerim ", des enfants qui ne pourront pas se marier. Il faut souligner avec force que Tout texte, sacré ou non, n'a pas de sens en luimême, il n'en prend que lu, écouté, dit, dédit et redit par des êtres humains qui en écoutent en eux l'écho, le relient à leur histoire, à leur sensibilité, aux connotations des termes qu'ils emploient. rares initiatives privées, alors qu'en Israël et aux USA, nombreux sont les instituts qui, comme Matan à Jérusalem, offrent un enseignement de très haut niveau aux femmes. Le droit familial est le domaine où les problèmes qui se posent aux femmes sont les plus graves et les plus douloureux : le divorce religieux ou Guet est, à l'origine, un acte de répudiation unilatéral. Cette caractéristique entraîne des conséquences qui peuvent être dramatiques pour l'épouse : lorsque le mari disparaît sans laisser de traces ou, cas le plus fréquent aujourd'hui, refuse d'accorder l'ampleur du phénomène des Messoravot Guet est un problème propre à notre époque : elle est liée au comportement scandaleux d'hommes qui exploitent cyniquement l'avantage que leur donne, croient-ils, la Halakhah, pour briser la vie de femmes avec lesquelles ils ne vivent plus ou pour leur extorquer d'énormes sommes d'argent en échange du Guet, parfois confortés INFORMATION JUIVE Mars 2008 17 CULTURE dans leur attitude par la passivité de certains tribunaux rabbiniques. C'est à partir du constat de ce décalage entre la condition des femmes juives au sein de leur communauté et celle dont elles bénéficient dans la société civile, que je me suis mise à interroger les textes juifs, à aller voir sur place et sur pièces si le judaïsme est vraiment, comme le prétendent certains, un système de pensée misogyne, désuet, clos sur des vérités d'un autre âge ou si, au contraire, il recèle, pour qui sait s'y rendre attentif, des nourritures susceptibles d'assouvir des faims d'aujourd'hui. Je ne surprendrai personne, pas même moi-même, en reconnaissant que je n'ai pas trouvé de réponse figée ni définitive à cette interrogation. Oui, il y a des textes négatifs sur les femmes, qui traduisent d'abord les préjugés mêlés de crainte que peuvent éprouver des hommes devant cette terra incognita que sont pour eux les femmes ; mais il y a aussi des textes extrêmement positifs, respectueux et attentifs à préserver la dimension de personne des femmes. J'ai compris d'abord que tout est question de lecture et d'interprétation. Tout texte, sacré ou non, n'a pas de sens en luimême, il n'en prend que lu, écouté, dit, dédit et redit par des êtres humains qui 18 INFORMATION JUIVE Mars 2008 en écoutent en eux l'écho, le relient à leur histoire, à leur sensibilité, aux connotations des termes qu'ils emploient. Aucun lecteur n'épuise le sens d'aucun texte. Aucun texte n'est définitivement clos. J'ai compris ensuite que la Tora, qui a été donnée dans un temps précis, prend comme point de départ la société telle qu'elle est, avec ses esclaves, sa polygamie, son état patriarcal ; elle parle le langage des hommes ; mais elle sème des graines de libération que l'être humain devra faire fructifier, afin de parfaire la création juive d'aujourd'hui, des orthodoxes aux libérales, et dont le dénominateur commun est l'amour de l'étude et l'engagement dans le judaïsme. Les articles se répartissent selon deux axes : un axe exégétique d'une part, un axe halakhique et sociologique d'autre part. On y trouve ainsi des études sur des personnages comme Dina ou les filles de Tselophrad, sur le masculin et le féminin chez Rachi, sur la Chekhina figure du féminin, mais aussi sur des problématiques contemporaines comme l'étude des femmes, le divorce, la dans laquelle Dieu a placé l'homme comme partenaire à part entière et d'y rendre possible une égalité qui ne soit pas, surtout pas, une identité…Est né en moi, alors, le projet d'écrire, de partager ma réflexion, mes doutes et mes interrogations avec d'autres. représentativité dans la sphère publique. Le résultat est, les lecteurs s'en rendront compte, d'une extrême diversité et d'une extrême richesse. UneTamar Ross, par exemple, professeur de pensée juive à l'Université de Bar Ilan, écrivant sur " les incidences du féminisme sur la réalité de la loi juive", une Béatrice de Gasquet dressant un "panorama des féminismes juifs américains", abordent des problé-matiques complètement inédites en France et ouvrent la réflexion sur des champs parfaitement inexplorés, particulièrement dans la société orthodoxe. Je forme le vœu que ce livre ouvre la voie à d'autres livres et que d'autres femmes, nombreuses, ajoutent leur parole à celle des hommes afin que le monde de la Tora soit plus riche et plus vivant. J.E Projet que j'ai pu réaliser lorsque Schmuel Trigano nous a demandé, à Sonia Sarah Lipsyc et à moi-même, de concevoir un numéro de Pardès sur l'exégèse juive au féminin et de mener à bien sa publication. Nous nous sommes mises au travail avec enthousiasme. Quand les femmes lisent la Bible, paru en novembre 2007, réunit une vingtaine de contributions de femmes francophones, qui appartiennent à tous les courants de la société © Alain Azria LA VIE DE L’ACIP Cérémonie d'inauguration du centre Fleg dans le grand Amphithéatre de la Sorbonne Centre Fleg : une inauguration en grande pompe L a cérémonie d'inauguration du nouveau centre des étudiants Edmond Fleg organisée par le Consistoire de Paris Ile de France, et placée sous le haut patronage du président de la République Nicolas Sarkozy, s'est déroulée dimanche 17 février au Grand amphithéâtre de la Sorbonne. © Alain Azria La cérémonie officielle de réouverture du Centre Fleg s'est tenue le 17 février à la Sorbonne en présence d'intervenants prestigieux et devant un Grand Amphithéatre comble. Retour sur un évenement exceptionnel en l'honneur des étudiants juifs de Paris. Devant une assistance de près de mille invités, et en présence notamment du Recteur de l'Académie de Paris et du prix Nobel de Physique Claude Cohen-Tanudji, de nombreuses personnalités se sont succédées à la tribune pour célébrer la réouverture du centre des étudiants juifs de Paris, une cérémonie animée par le journaliste Ariel Wizman. Après que le nouveau président du centre Fleg, Daniel Vaniche, ait rappelé les défis et les projets du centre, Francis Huster a procédé à une lecture très émouvante d'un long extrait d'un ouvrage d'Edmond Fleg sur le thème de " Qu'est ce qu'être juif ? ". Eric de Rothschild, vice-président de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, partenaire du Consistoire dans la réouverture du Centre, a rappelé le rôle majeur joué par son père, Alain de Rothschild, qui avait offert en 1966 l'hôtel particulier de la rue de l'Eperon au Consistoire de Paris pour en faire un centre d'étude, d'échanges et de rencontres pour les étudiants juifs de Paris. Francis Huster lit Edmond Fleg INFORMATION JUIVE Mars 2008 19 LA VIE DE L’ACIP Le président du Consistoire central, Jean Kahn, a insisté sur l'importance que revêt la réouverture du centre en cette année du bicentenaire du Consistoire et le président de l'Union des étudiants juifs de France, Raphaël Haddad, a souligné les attentes et les espoirs que suscite cette maison des étudiants auprès de la jeunesse de la communauté juive. Mme Sandrine Mazetier, première adjointe au Maire de Paris, qui le représentait pour l'occasion, a rappelé la participation au financement de la Mairie de Paris à la réhabilitation de ce lieu, par ces mots : " Le Centre Fleg manquait à Paris, Paris n'a pas voulu manquer au Centre Fleg ". Leçon inaugurale de Bernard-Henri Levy Après les interventions du grand rabbin Gilles Bernheim, du grand rabbin de Paris David Messas, qui a fait part avec émotion des souvenirs de son poste de premier directeur du centre Fleg du temps d'Alain de Rothschild, et du grand rabbin de France Joseph Sitruk, rappelant chacun la place centrale de la jeunesse dans la communauté juive et plus largement dans le judaïsme, un intermède musical a été interprété par un de ces talents de la communauté juive, le jeune pianiste David Greilsammer, récemment primé aux Victoires de la Musique. Ce fut alors au tour de Joël Mergui, président du Consistoire de Paris, organisateur de la cérémonie, de rappeler qu'il n'était pas possible " de commencer de plus belle façon cette année si particulière du bicentenaire du Consistoire qu'en célébrant avec autant de force la jeunesse et la transmission : de l'Histoire à ambitieux". Pour Joël Mergui, " le centre Fleg doit devenir ce lieu d'excellence d'où sortiront les talents de la communauté juive de demain ", avant de conclure que la présence de personnalités prestigieuses à la tribune comme dans l'assistance "symbolise cette excellence, cette soif de savoir et de l'étude, cette rigueur, cet universalisme, autant de valeurs que nous avons l'ambition d'insuffler à cette maison des étudiants juifs qui renaît aujourd'hui". Le président de l'ACIP a tenu à remercier la FMS, la Mairie de Paris et le Conseil Régional sans qui l'ouverture du Centre n'aurait pas été possible. Bernard-Henri Levy, invité de marque de la cérémonie, a proposé une leçon inaugurale portant sur la vie et l'œuvre du poète et essayiste d'Edmond Fleg (1874-1963), rappelant l'engagement de l'intellectuel en faveur d'une vision moderne en son temps du judaïsme français et d'Israël, et rendant hommage à ses écrits qui en ont fait l'une des grandes figures de la pensée juive en France (Cf. l'intégralité de la leçon reprise ci-après). Enfin, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche Valérie Pécresse a déclaré que le centre Fleg est un exemple pour le gouvernement qui lance actuellement son plan Campus des Universités françaises. Souhaitant une longue vie au centre Fleg, la ministre a conclu cette cérémonie de haut niveau à l'honneur des étudiants juifs de Paris, marquée par la présence de nombreuses personnalités reflétant chacune d'elles des facettes différentes et complémentaires de l'excellence qui devra désormais caractériser le nouveau centre Fleg. Bernard-Henri Levy, Valérie Pécresse, Joël Mergui et Daniel Vaniche à la tribune l'avenir ". " En 1808, Napoléon créait le Consistoire et s'adressait alors aux juifs pour s'organiser dans la société ; en 2008, le Consistoire rouvre Fleg et s'adresse à la jeunesse juive pour construire son futur dans la cité ". Et d'ajouter qu'après des années de travail et d'effort, qui avaient fait de cette " réouverture une priorité du Consistoire ", cet " événement majeur de la communauté juive s'adresse à l'ensemble des étudiants juifs dans toute leur diversité ". Un vibrant hommage leur a été rendu pour la dignité qu'ils ont su conserver au cours des dernières années malgré un contexte souvent difficile, marqué par le retour des actes antisémites et les frustrations subies, notamment lors de l'ignoble assassinat d'Ilan Halimi intervenu exactement deux ans auparavant. "Malgré les difficultés, les doutes, les souffrances, jamais vous n'avez remis en question votre fidélité aux valeurs du judaïsme, aux valeurs de la République, vous avez su nous écouter et résister à la tentation de la provocation". Et de préciser avec force que le centre sera à l'image des étudiants juifs de Paris, "ouvert et tolérant, mais aussi exigeant et 20 INFORMATION JUIVE Mars 2008 La cérémonie s'est achevée par le dévoilement de la plaque d'inauguration officielle au centre Fleg lui-même en présence des principaux acteurs de cette réouverture qui aura constitué un des événements majeurs de la communauté juive de France en ce début d'année 2008. Vous pouvez écouter l'ensemble des discours prononcés lors de la cérémonie d'inauguration sur le site www.consistoire.org Dévoilement de la plaque du Centre Fleg par le grand rabbin de Paris David Messas et Joël Mergui LA VIE DE L’ACIP Document : La leçon d'Edmond Fleg PAR BERNARD-HENRI LÉVY Nous publions ci-dessous le texte de l'intervention de notre ami Bernard-Henri Lévy lors de l'inauguration à la Sorbonne du Centre Edmond Fleg le 17 février. Sur ce dernier point, et par parenthèse, j'ai une position plus nuancée que ce qui s'est énoncé ici ou là. Je trouve que l'idée, en son principe, n'était pas forcément une mauvaise idée. Je pense qu'il est toujours bon de faire en sorte que la mémoire morte devienne une mémoire vive, prenne vie dans la conscience des vivants. Je pense que va dans le bon sens, que représente toujours une conquête philosophique et morale, ce qui permet aux morts d'être nommés ; ce qui permet d'en faire le deuil singulier et non en bloc ; ce qui leur permet d'échapper à l'anonymat de l'agrégat, du grand nombre, du chiffre collectif fonctionnant comme talisman et comme formule fétiche. que l'opinion répond à l'initiative sarkozyenne et, rien que pour cela, on n'a pas envie de la condamner tout à fait. Mais en même temps… Pour que l'idée soit vraiment belle, il eût fallu plusieurs choses… Il eût fallu consulter, d'abord, les représentants de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, à commencer par Simone Veil. Il eût fallu associer les parents, les maîtres Nicolas Sarkozy, s'il l'avait fait, aurait appris, par exemple, qu'il y a des tas de classes de CM2 où l'on parraine déjà un arbre, un animal, une espèce menacée et que la solution de l'adoption n'était peut-être pas, du coup, la bonne idée. © .Duclos2007 J e suis heureux que les hasards du calendrier nous fassent honorer la haute figure d'Edmond Fleg en ce moment très particulier où les juifs de France en général, et les jeunes juifs en particulier, s'apprêtent à célébrer le soixantième anniversaire d'Israël ; où ils se sentent requis, comme tous leurs concitoyens, par le regain du débat autour de l'idée de laïcité ; et où ils ont à se déterminer enfin face à la déclaration du président de la République annonçant que, à dater de la prochaine rentrée, "chaque enfant de CM2 devra connaître le nom et l'existence d'un enfant mort dans la Shoah ". Il aurait fallu s'aviser, au passage, du fait qu'il y a 11000 petits morts et beaucoup plus d'élèves entrant chaque année en CM2 - autrement dit que l'idée même de parrainage un pour un, d'association d'un enfant mort et d'un enfant vivant, était une idée hâtive, qui ne tenait de toutes façons pas. Il aurait fallu réfléchir au fait qu'un nom ne veut rien dire, qu'il est juste un flatus vocis, un son, un gadget, s'il n'est pas inséré dans un contexte, inscrit dans une histoire, accompagné, en la Bref, je fais à ceux qui ont conçu Bernard-Henri Lévy circonstance, d'un vrai discours cette idée le crédit de croire qu'il y exposant ce qu'était le nazisme, en quoi il fut singulier, en quoi avait en eux un reste du fameux mot d'ordre " nous sommes tous le massacre qu'il perpétra était et reste irréductible à tout autre des juifs allemands " - transformé, là, en un louable " nous - l'initiative était impensable, en d'autres termes, avant l'année sommes et devons tous être (un peu) des petits juifs français où l'histoire du nazisme est au programme des enseignements. livrés par la police française et exterminés par la machine de mort nazie ". Il aurait fallu prendre conscience, en un mot, que la mémoire sans ses outils, les noms sans leur contexte, c'est l'entrée dans Et puis je pense, enfin, qu'il y a dans la levée de boucliers à un univers étrange, spectral, un peu spirite, morbide, laquelle on a assisté ces derniers jours, dans cette prolifération thanatophilique, sourdement religieux, mais au pire sens du de bonnes âmes se souciant de la santé psychique des enfants mot religieux, au sens dont tout le judaïsme nous a appris à d'aujourd'hui en se foutant éperdument du martyre psychique nous défier, car c'est un univers où le mort se saisit du vif et non et physique des petits enfants d'hier, je pense qu'il y a dans cette l'inverse. façon de crier au retour de l'antisémitisme et de se résigner par avance à ce que n'importe quelle communauté d'" Indigènes de Bref, il aurait fallu ne pas bâcler ; ne pas improviser ; ne pas la République " puisse arguer de cette mesure pour réclamer donner le sentiment de faire un coup ; ne pas mêler la chose, sa part du gâteau mémoriel, quelque chose de franchement par parenthèse, à d'autres recommandations, techniques cellesnauséabond : au revoir les enfants, bye bye, on vous a assez là, visant, comme dans le discours de Périgueux, le lendemain, vus, on a assez entendu parler de vous, cassez vous - voilà ce INFORMATION JUIVE Mars 2008 21 LA VIE DE L’ACIP à simplifier les programmes des écoles primaires, à conforter l'autorité des maîtres, à réintroduire la Marseillaise et le drapeau dans les classes - ne pas donner le sentiment, comme dans l'affaire Guy Mocquet, que la mémoire est un self service où l'on viendrait faire provision de symboles et d'emblèmes. Qu'il faille trouver les moyens de transmettre la mémoire de la Shoah, bien sûr. Qu'il appartienne à la génération du président de trouver les voies, et les voix, du devoir de Mémoire prôné par Primo Lévi, évidemment. Loin d'être ces grands bourgeois trop sages, un peu solennels, ennuyeux, que l'on caricature parfois, ce furent, pour certains d'entre eux, des vrais intellectuels, animés par une sorte de ferveur, parfois une mystique - je pense à James Darmesteter par exemple ; ou à Joseph Salvador brossant un tableau de l'histoire universelle dont le sens ultime devait être la défaite du Vatican et la victoire d'une France quasiment parée des grâces du messianisme. Mais, du point de vue juif, c'est un judaïsme vide. Mais pas comme ça. Pas cette légèreté. Pas cette frivolité. Pas cette façon de nous dire qu'il y a des solutions simples aux questions les plus complexes. Pas ce gâchis. C'est un judaïsme qui est forcément vide puisqu'il s'est systématiquement vidé de tout ce qui n'était pas compatible avec l'identité républicaine. Mais j'en viens à notre sujet d'aujourd'hui. J'en viens à ce nom que nous sommes rassemblés pour célébrer et qui est le nom d'Edmond Fleg, ce juif français, né en 1874 à Genève, mort en 1963 à Paris, Quai aux Fleurs, dans un immeuble que je connais bien car c'est celui où vécut et mourut aussi cet autre grand nom de la pensée juive qu'est Vladimir Jankélévitch. Edmond Fleg était un poète, un dramaturge, un philosophe, un grand lecteur de la Bible, qui eut le temps, dans sa longue vie, d'être le contemporain de Péguy et de Bernard Lazare ; puis d'Albert Cohen et Léon Blum ; puis de Manitou et de Levinas - et s'il me plaît de l'évoquer aujourd'hui c'est que, même s'il ne s'est évidemment pas posé les mêmes questions que celles que nous nous posons aujourd'hui, il nous donne des instruments, à coup sûr, pour y répondre. C'était un judaïsme aseptisé, neutralisé, qui ressemble à ce visage dont Proust dit, dans La Recherche, comment, à la façon d'" une bossue bien arrangée ", Bloch a réussi à y " raboter " tout ce qui pouvait rappeler, trahir, le judaïsme en lui. C'est un judaïsme peureux, obsédé par la peur de créer ou faire renaître l'antisémitisme, presque honteux. C'est un judaïsme qui ne veut pas entendre parler de Dreyfus, ni des juifs étrangers déportés, car tout ça va leur porter malheur et attirer la foudre sur leur tête. C'est un judaïsme conventionnel, affamé de respectabilité, obsédé par l'idée qu'il faut montrer patte blanche, être plus français que les Français, plus patriote que les patriotes. Et c'est un judaïsme qui, lorsque vinrent les périls extrêmes, lorsqu'il fallut reconnaître la réalité du fascisme français, lorsqu'il aurait fallu se Je veux, sur Edmond Fleg, vous dire Edmond Fleg résoudre à l'idée que l'Idée française deux choses. Je veux vous proposer avait divorcé de l'idée juive, fut incapable de le voir - et c'est le deux brèves séries de remarques. bouleversant destin de quelqu'un comme Marc Bloch qui, jusqu'au bout, jusque dans sa polémique avec l'UGIF, jusque Et la première chose que je veux vous dire c'est qu'Edmond dans L'Etrange Défaite, jusqu'à dans sa résistance héroïque et Fleg est un intellectuel qui naît, qui grandit, qui s'inscrit, dans son supplice, maintient, dur comme fer, son allégeance un monde très spécial qui s'appelle le franco judaïsme. C'est inconditionnelle à cette France qui l'a trahi. quoi le franco- judaïsme ? C'est un rapport à l'être juif qui a été la règle, en France, de la naissance du Consistoire aux lendemains, en gros, de la Shoah et dont le grand postulat était que le judaïsme et la République c'est la même chose ; que la Torah et les droits de l'homme ont, au fond, le même contenu ; et que s'il est possible d'être Français et Juif, s'il est finalement si facile d'être les deux, c'est qu'il y a identité substantielle entre le message prophétique et la révolution de 1789. Ces grands Juifs francojudaïques, ces " Israélites français " comme ils se définissaient eux-mêmes, ne furent pas des personnages négligeables. Ils ont joué un vrai rôle dans la construction de l'Etat républicain. Ils ont noué une alliance avec la minorité protestante pour arracher la machine d'Etat aux mains du parti catholique. 22 INFORMATION JUIVE Mars 2008 Peut-être m'objectera-t-on que ce dispositif n'est pas particulier à la France. Peut-être m'opposera-t-on le cas, en Allemagne, d'un Ernst Kantorowicz, cet autre grand juif, auteur de la théorie des deux corps du roi et qui était si attaché, lui, à l'idée allemande qu'il continua d'y adhérer jusque dans sa forme nazie et attendit que les nazis eux-mêmes le chassent pour se décider à prendre acte du fait qu'entre son nom, son nom juif, et l'idée " volkisch ", il y avait incompatibilité métaphysique et physique. Les deux dispositifs, en fait, ne sont pas exactement comparables. Mais je tiens que ce qui, entre eux, peut se comparer - en gros, l'aveuglement - a tout de même atteint, en France, un degré inégalé ailleurs. LA VIE DE L’ACIP Le fait, en tout cas, est là. C'est dans ce franco judaïsme qu'Edmond Fleg apparaît. C'est là sa scène primitive. Son berceau biographique et théorique. Ces grands Juifs francojudaïques, ces “Israélites français” comme ils se définissaient eux-mêmes, ne furent pas des personnages négligeables. Ils ont joué un vrai rôle dans la construction de l'Etat républicain. Dans un de ses textes tardifs, la leçon d'ouverture du premier Colloque des intellectuels juifs de langue française de 1957, il soutient que " tout homme dont le cœur est plein de miséricorde est l'incarnation de l'espoir juif " ou que le judaïsme n'est rien d'autre que " le rêve de Paix entre les hommes " - ce qui est l'énoncé francojudaïque type. Sauf qu'il y opère un certain nombre de déplacements, de percées, de réévaluations et révolutions idéologiques dont nous lui sommes, aujourd'hui encore, redevables - et ce sera ma seconde série de remarques. Quels sont ces retournements ? Je dirai, pour résumer, que j'en vois trois. D'abord une pensée du retour. Un retour bizarre, certes. Un retour qui ne ressemble pas aux grands retours mystiques dont l'Allemagne, par exemple, est le théâtre au même moment ou dont quelqu'un comme Benjamin Fondane, donne aussi l'exemple en France. Mais un retour quand même. Un retour assez spectaculaire, et assez intense, pour pouvoir se dire dans le très beau texte dont on vous a donné lecture et qui s'intitule " Pourquoi je suis juif ". Et un retour qui, par delà l'ignorance de départ, par-delà l'incroyable épaisseur de malentendus, clichés, idées trop simples, diffusés par le francojudaïsme, passe par une vraie lecture des textes. Edmond Fleg fut l'un des cofondateurs, avec Jean Halpérin, Emmanuel Levinas, d'autres, de ce Colloque des Intellectuels juifs de langue française qui joua - Ady Steg, ici présent, s'en souvient mieux que personne - un rôle si décisif dans la renaissance des études juives en France. Mais il fut surtout un grand, très grand, traducteur de la Bible : il traduisit les deux premiers volumes du Pentateuque ; et, autant que j'en puisse juger, il le fit en transportant dans le français la rugosité, les sonorités, le souffle,des mots et, plus encore, des noms de l'hébreu - je crois que sa traduction fut la première à refuser cette façon que l'on avait, avant lui, jusque dans le geste de traduire, de christianiser, déjudaïser le texte juif en faisant que les prophètes comme des personnages de Racine…. Ensuite, la production, après la guerre, d'une nouvelle relation avec les catholiques. Le rapport au Christianisme, jusque là, était marqué par une logique de profonde soumission. Le judaïsme était chose passée. Il était voué, dans l'esprit d'à peu près tout le monde, à une inévitable extinction. Et, s'il survivait, s'il y avait encore un peu de monde dans nos temples, c'était comme un vestige, une séquelle inexpliquée, le fruit d'un entêtement, un reste. Songez que les meilleurs des catholiques, les plus bienveillants à notre endroit, ne nous reconnaissaient que le droit de prendre le chemin de la rédemption et, saisissant la main qu'ils nous tendaient, de devenir des Max Jacob. Songez à l'aventure de Rosenzweig qui, avant de devenir le philosophe juif que vous savez, avant de réinventer les études juives pour son siècle et pour le notre, commença par estimer que le temps du judaïsme était fini et que, s'il passait par la case synagogue, c'était, cette fameuse nuit de kippour 1913, pour mieux sauter dans le Christianisme. Songez que même Herzl, avant d'en venir au sionisme et de réinventer, après d'autres, l'idée, assez géniale, de rédemption par la libération nationale, écrit sa fameuse lettre à l'archevêque de Vienne où il lui propose le deal du siècle : persécution contre conversion - vous renoncez à nous tuer et je vous amène, moi, tel un nouveau Sabbataï Zvi, tous les juifs d'Europe et du monde pour conversion en masse. Eh bien Edmond Fleg crée, avec Jules Isaac, Les Amitiés Judéo chrétiennes. Et il les crée à partir de l'idée, complètement neuve, que Juifs et Chrétiens sont des égaux, qu'ils peuvent et doivent parler d'égal à égal, qu'il y a là deux expériences représentant deux voies d'accès, deux vraiment, aussi légitimes l'une et l'autre, à la vérité et à l'être - c'est ainsi par exemple que, en réponse à Jean Wahl, dans la discussion qui suivit sa " Grande Leçon " au Colloque déjà cité, il peut affirmer que "christianisme et judaïsme impliquent simplement une double phase pour arriver à la même chose ". Il y a une formule, chers amis, qu'Edmond Fleg avait en horreur. C'est une formule que nous employons encore et dont il a montré pourtant que c'est la matrice même de l'erreur, le principe absolu de la soumission, l'instrument du suicide. Cette formule qu'il a proscrite, ces mots qu'il faudrait, après Edmond Fleg, ne plus jamais prononcer c'est les mots d'" l'Ancien Testament ". Car " Ancien Testament ", dit-il, c'est deux mots pour trois erreurs. Oui, vous dîtes " Ancien Testament" et, ce faisant, vous dîtes trois bêtises à la fois. Primo, vous êtes en train de parler d'un texte qui n'est pas ancien du tout, mais Edmond Fleg fait partie de cette minorité de juifs qui, là encore, cassent tout. Il fait partie de ces visionnaires qui, dès les lendemains de l'affaire Dreyfus, à travers une série de petites institutions où il retrouve Bernard Lazare, Victor Basch, puis Albert Cohen et d'autres, envisagent l'hypothèse d'un retour en Israël jeune, très jeune, plein de vie et de santé, nouveau, riche de leçons dont vous ne soupçonnez pas la fécondité. Deuxio, qui dit testament dit mort annoncée ; c'est quand la mort est là qu'on rédige son testament ; or nous n'avons, nous, juifs, porteurs du nom et du texte juif, aucune intention de mourir, ni aujourd'hui ni demain, puisque l'idée est, par hypothèse, que le judaïsme est ce message jeune, cette autre voie d'accès à l'Être ! Et puis, INFORMATION JUIVE Mars 2008 23 LA VIE DE L’ACIP tertio, " Ancien Testament " suppose que le judaïsme est une religion souche, la mère du Christianisme, sa matrice : " voyez comme nous sommes bons, disent les néo chrétiens ! voyez comme nous avons changé ! nous avons compris que Jésus était des vôtres ! nous ne discutons plus l'origine juive du Christianisme ! nous vous respectons ! nous vous aimons ! comment ne vous aimerions-nous pas ? quels monstres serionsnous, quels méchants nommes vraiment, si nous n'aimions pas nos pères ? " - sauf qu'Edmond Fleg n'est pas d'accord… car qui dit père dit, à nouveau, mort annoncée… qui dit fils dit, à nouveau, transmission par effacement… or nous n'avons aucune intention de nous effacer, répète-il… aucune intention de mourir... votre père ? merci du cadeau ! bravo le piège ! nous préférons être vos frères… vos frères aînés, mais vos frères… vous nous aimerez peut-être moins…. vous ne nous respecterez pas autant … mais tant pis… mieux comme ça… C'est, dans les relations judéo-chrétiennes, une vraie révolution - celle dont va s'inspirer Levinas et qui va produire quelques uns de ses plus beaux textes. Vladimir Jankélévitch Et puis, troisièmement, le sionisme. Il était impensable, le sionisme, dans le cadre du francojudaïsme. Il était effrayant d'abord. Véritablement effrayant. On disait " sioniste ", on prononçait juste le mot - et surgissait le spectre de tous ces juifs pouilleux, scrofuleux, crapuleux, infréquentables, impossibles, dont les franco- juifs avaient si peur qu'ils compromettent leur belle et bonne assimilation. Mais il est, surtout, impensable. A proprement parler impensable. Car Paris c'est Jérusalem. Car c'est Paris, pas Jérusalem, qui est supposé, par hypothèse, dans le paradigme franco judaïque, être la capitale promise aux temps messianiques. Or Edmond Fleg fait partie de cette minorité de juifs qui, là encore, cassent tout. Il fait partie de ces visionnaires qui, dès les lendemains de l'affaire Dreyfus, à travers une série de petites institutions où il retrouve Bernard Lazare, Victor Basch, puis Albert Cohen et d'autres, envisagent l'hypothèse d'un retour en Israël - il disait, on disait, encore Palestine… Il est l'un des tout premiers juifs français à prendre l'idée sioniste au sérieux et à y voir un chemin, un destin, possibles pour les Juifs de France. Alors il s'agit d'un sionisme exsangue, bien sûr. Il s'agit d'un sionisme humanitaire et, comme on dit alors, " philanthropique ". Mais d'abord c'est un sionisme sincère, et même fervent (lisez, une fois de plus, son intervention au Colloque déjà évoqué). Ensuite, c'est un sionisme 24 INFORMATION JUIVE Mars 2008 interconfessionnel qui ratisse très au delà de la sociologie purement juive (des chrétiens, des libres penseurs, des politiques de toutes obédiences - le rêve !). Troisièmement, c'est un sionisme qui ne crache pas sur la diaspora mais insiste sans cesse, au contraire, sur la dialectique entre les deux, leur double vertu, leur apport réciproque - " si, actuellement, un grand souffle vient d'Israël vers la Diaspora, il se peut que quelque inspiration encore puisse venir de la diaspora vers Israël ", dit-il, à la fin des années cinquante, dans une discussion avec Eliane Amado Lévy-Valensi et Emmanuel Levinas. Et puis c'est un sionisme " progressiste ", enfin - c'est un sionisme qui, plus exactement, voit l'Etat juif comme un Etat exemplaire, nécessairement exemplaire, rompant avec la logique des nationalismes et préfigurant, comme la SDN, la société wilsonienne, cosmopolite, de demain. Tout cela est beau. Il y a là toute une veine humaniste, universaliste - dont il est permis de souhaiter que le sionisme d'aujourd'hui, ce sionisme français d'aujourd'hui dont il est l'un des inventeurs et maîtres à penser, conserve le souvenir. C'est ce que nous faisons, aujourd'hui, en célébrant le nom d'Edmond Fleg. La première personne à m'avoir jamais parlé d'Edmond Fleg fut mon ami, le baron Guy de Rothschild. Il m'a raconté, un jour, les débats qui animèrent, au lendemain de la Libération, en décembre 1945, les premières élections au Consistoire Central. Il y avait, d'un côté, une liste rassemblant tout ce que le judaïsme français comptait de notables francojudaïques - grandes têtes molles qui n'avaient rien appris ni compris ! grands Sadducéens tout disposés à répéter les erreurs d'avant guerre et, tels les dirigeants de la Judée s'arrangeant du maître romain et de ses exigences, étaient prêts à persévérer dans une ignorance qui leur avait pourtant coûté déjà si cher. Et puis il y avait, en face, une liste " moderniste " où figurait donc le tout jeune Guy de Rothschild et qui était menée, imaginez-vous, par Edmond Fleg… Elle plaidait, cette deuxième liste, pour la fin du clivage entre juifs français et étrangers ; pour l'intégration du travail social dans les missions des institutions juives ; pour la réconciliation des " orthodoxes " et des " libéraux " type Copernic ; et elle plaidait enfin pour la lutte, intraitable, contre l'antisémitisme et pour la transmission aux jeunes enfants de la mémoire de la Shoah. Alors j'essaie d'imaginer ces débats. J'essaie de me figurer ce personnage étrange, paradoxal, gardant du monde ancien une fidélité intraitable à la République mais, par ailleurs, pleinement juif, fermement juif, nouvellement et positivement juif. Et je me dis qu'il y a là un exemple pour tous ceux d'entre nous qui entendent vivre leur judaïsme dans le cadre républicain. Et je me dis qu'il y a là un modèle pour ceux qui veulent ne céder sur aucune de leurs deux identités. Vous voulez, étudiants juifs, être en première ligne de la bataille contre le communautarisme ? Vous ne voulez, en aucune façon, mêler votre voix à celle des apprentis sorciers qui entendent remettre en cause le modèle laïque ? Et vous avez l'intention de le faire en ne renonçant pour autant, en aucun cas, à la gloire, l'honneur, la fierté d'être juif ? Eh bien la leçon d'Edmond Fleg. Je vous recommande, plus que jamais, la haute leçon d'Edmond Fleg. DOSSIER Ou en est l'école rabbinique de France ? UNE ENQUÊTE D'HÉLÈNE HADAS-LEBEL Située depuis 1880 au numéro 9 de la rue Vauquelin, au cœur du quartier latin, découverte de la première et plus ancienne institution du genre qui, 180 ans après sa création, continue de former les rabbins des synagogues consistoriales de France. Et de chercher un délicat équilibre entre tradition et modernité. 1829, voilà plus de vingt ans que les Juifs de France sont représentés par le Consistoire central Israélite de France, créé sous Napoléon. Les Juifs, citoyens à part entière depuis 1791, ont désormais des relations officielles avec l'Etat. A cette époque, la majorité d'entre eux sont originaires d'Alsace et de Lorraine. Le Consistoire réfléchit alors à un moyen de former des rabbins adaptés aux besoins spirituels et religieux des fidèles, tout en en faisant des intermédiaires intégrés et "présentables" vis à vis des autorités publiques. Il est ainsi décidé de transformer la Yeshiva de Metz en Séminaire israélite de France, qui sera transféré à Paris, sur décret impérial, en 1859. Cette création est une grande première dans l'histoire du judaïsme mondial, et le concept totalement moderne pour l'époque, dans un temps où l'enseignement religieux ne se fait que par la fréquentation de la Yeshiva traditionnelle. En 1881, après avoir connu plusieurs adresses, le séminaire s'installe définitivement -grâce à un riche donateur- dans un immeuble flambant neuf du 5ème arrondissement, comprenant, classes de cours, oratoire/synagogue, internat, salle à manger, bibliothèque... En 1905, la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat met fin à la participation financière de l'Etat qui avait cours depuis Louis-Philippe (1831). Le problème financier incombera désormais au seul Consistoire. Pendant la seconde guerre mondiale, l'école se déplace en province (à Vichy d'abord, puis à Chamalières près de Clermont-Ferrand, enfin à Lyon) où elle poursuit son activité dans une quasi clandestinité. Dès 1945, la vie de l'école reprend son cours parisien et forme les rabbins qui ont marqué la vie juive française de ces cinquante dernières années, comme le grand rabbin Jacob Kaplan, grand rabbin de France de 1955 à 1980. Membre de la prestigieuse Académie des sciences morales et politiques, il incarnait l'image même du rabbin français, alliant savoir juif rigoureux et culture générale universelle. Avant lui, d'autres grands rabbins exceptionnels avaient marqué durablement la communauté juive française : Zadoc Kahn (1889-1905), grand traducteur de la Bible en français, ou encore, Israël Lévy (19201939), immense érudit qui abandonna son poste de professeur à l'école pratique des hautes études pour se consacrer à la vie de la communauté. Depuis 1992, l'école rabbinique est dirigée par le grand rabbin Michel Guggenheim, ainsi que le fit son père Ernest Gugenheim, quinze ans plus tôt. Y a-t-il une limite d'âge pour postuler à l'école rabbinique ? " En théorie - nous dit le grand rabbin Michel Gugenheim - c'est 27 ans. Très exceptionnellement, nous autorisons un candidat ayant dépassé la limite d'âge -et dont la valeur et l'excellence ont été reconnues- à passer nos examens sans avoir suivi nos cours, à condition qu'il soit parrainé par les trois grands rabbins du Séminaire, de Paris et de France. Il pourra ainsi obtenir le diplôme de notre école, qui lui donnera le droit de diriger une communauté consistoriale. Il n'est cependant pas nécessaire d'être formaté pour être un bon rabbin. " Ce " moule " est plus un état d'esprit, une vision de la communauté juive française de l'intérieur, un respect de ses autorités rabbiniques, qui n'empêche personne de s'épanouir en accord avec sa personnalité ". Selon le directeur du Séminaire, les candidats sont triés sur le volet, et doivent au minimum avoir un baccalauréat. " A tout acte de candidature, nous répondons par l'envoi d'un règlement, présentant le profil requis, avec cinq caractéristiques essentielles : la piété et une pratique rigoureuse, une santé psychologique parfaite, des qualités de cœur et d'esprit, un bon sens de la communication. Permettez-moi de développer ces cinq points : pour la piété et la pratique rigoureuse des commandements, c'est une évidence ; nous évitons les néophytes dont la tradition religieuse, toute récente peut être instable et Dès 1945, la vie de l'école reprend son cours parisien et forme les rabbins qui ont marqué la vie juive française de ces cinquante dernières années . risque de ne pas être installée de manière définitive. Pour la santé psychologique, c'est également fondamental : le rabbinat est une occupation exaltante mais également constamment " agressée " par les fidèles. Il faut être équilibré pour répondre aux nombreuses sollicitations, à tout moment de la journée. Il m'est arrivé de me tromper, d'avoir quelques surprises : les matériel humain est une chose délicate, fragile… Autre point : les qualités de coeur et d'esprit. Il importe que le candidat ait l'amour de l'autre chevillé au coeur. Au début, j'avais tendance à favoriser les compétences intellectuelles, mais l'expérience m'a montré qu'un homme dévoué d'une intelligence moyenne faisait un meilleur rabbin qu'un brillant esprit INFORMATION JUIVE Mars 2008 25 DOSSIER intellectuel, passionné d'études mais peu intéressé par la gestion d'une communauté ou par la rencontre avec l'autre. L'idéal c'est évidemment, d'avoir les deux ! Autre point, la motivation : je demande une longue lettre manuscrite, où le candidat se présente professionnellement et humainement. A cette lettre doivent s'ajouter des avis favorables Le grand rabbin Michel Gugenheim : Je pense qu'un bon rabbin ne peut l'être que par vocation. de la part de parrains rabbiniques ou communautaires (directeur d'école juive), des personnes de confiance qui m'assurent de la stabilité et de l'assiduité du candidat. Etant donné l'immense charge que nous portons en l'occurrence, je pense qu'un bon rabbin ne peut l'être que par vocation, et non parce qu'il a raté son concours d'entrée en médecine et qu'il a étudié dans une école juive ". d'une année sur l'autre, entre cinq et vingt. " Le séminaire compte quinze élèves en tout, sur cinq ans. Idéalement, chaque année, trois élèves doivent entrer et trois en sortir diplômés. Mais l'an dernier, j'ai recruté huit candidats, dont six sont finalement restés : une année faste ! ". Cela suffit-il cependant à combler les besoins des synagogues consistoriales ? " On a toujours besoin de plus, précise le grand rabbin. Mais nous devons tenir compte d'un paramètre objectif qui est la rémunération en fonction des postes disponibles. En cela, nous répondons à la demande. C'est parfois un jeu de chaises musicales un peu complexe, mais globalement, on est toujours parvenu à trouver un rabbin pour une communauté ou une communauté pour un rabbin " Comment les répartissez-vous sur le territoire français ? "En fonction des places vacantes, de leur âge (une communauté importante ne se satisfera pas d'un jeune débutant), de leur situation maritale (un rabbin marié avec des enfants sera envoyé dans une ville disposant d'une école juive et d'un mikvé), mais aussi de leurs rites. Tradition-nellement, dans les communautés séfarades, le rabbin cumulait souvent les rôles de hazan (chantre), chokhet (abatteur rituel), mohel (circonciseur)... Aujourd'hui aussi, pour des raisons culturelles et financières, dans les communautés séfarades de province -souvent très attachées à leurs traditions d'origine- le rabbin cumule une partie de ces rôles. Je n'enverrais par exemple, jamais un jeune rabbin dans une communauté marocaine s'il n'en maîtrise pas la liturgie. Ce serait un échec assuré". Ne pensez-vous pas qu'au XXIème siècle, le baccalauréat, c'est un peu mince comme niveau d'étude requis ? " C'est une question qui se pose en effet. A l'époque où cette règle a été édictée, les détenteurs d'un baccalauréat étaient bien moins nombreux qu'aujourd'hui. D'un autre côté, je trouverais dommage de se passer de certaines forces vives de la jeunesse juive, sous prétexte qu'elles ne sont pas allées à l'université. Ce qui ne nous empêche pas d'encourager nos étudiants à obtenir des licences en études hébraïques, compatibles Quant à la formation avec notre cursus, que que reçoivent les ce soit à l'institut des étudiants au cours de Langues orientales, à St L'école rabbinique de France - rue Vauquelin à Paris ces cinq années, il s'agit Denis ou en province. de cours qui sont répartis en plusieurs modules de matières : De facto, certains de nos élèves arrivent chez nous avec des Talmud, Bible, droit rabbinique et pensée juive, pour les matières diplômes universitaires intéressants (droit, ingénieur, " saintes ". Histoire juive et hébreu moderne. Enfin, Français, informatique) ". philosophie, expression écrite et orale, sociologie, pour parfaire la culture globale et s'assurer d'une bonne maîtrise de la langue Et pour le niveau d'études juives, avez-vous une limite ? française. Tous les professeurs du Séminaire ont un niveau de " Je fais passer des tests de niveau sur la base de l'étude d'un doctorat ou presque. texte de Rachi, car ses commentaires comprennent différentes strates de niveau de compréhension. Si le candidat en a une Vous, vous êtes en charge, en plus des cours de Talmud que vous lecture et une compréhension aisée, j'estime alors qu'il est déjà dispensez, du cours de pastorat. En quoi consiste-il ? relativement autonome et pourra aller beaucoup plus loin dans " Ce cours me tient particulièrement à cœur. Il existe depuis l'étude. Quand le candidat a répondu à tous ces critères, j'accepte toujours et s'étale sur les cinq années d'études, bien que je l'aie son entrée au Séminaire ". fait un peu évoluer. Il s'agit d'expliquer à nos élèves comment gérer les différentes situations communautaires auxquelles est Le grand rabbin nous précise que le nombre de candidatures peut être confronté un rabbin français : Qu'est-ce qu'une A.C.I. sérieuses reçues par le Séminaire chaque année est très variable 26 INFORMATION JUIVE Mars 2008 DOSSIER (Association communautaire israélite), comment est-elle structurée, comment fonctionne, en son sein, l'équilibre délicat entre rabbin et président laïc? Comment gère-t-on les problèmes liés à la conversion, à la bar-mitsva, au mariage ? A cela, j'ai ajouté une série de conférences sur des sujets très variés qui font débat dans nos sociétés contemporaines et auxquels chaque rabbin a toutes les chances d'être confronté à un moment ou à un autre, à travers les consultations de ses fidèles. Cela va de la bioéthique (avortement, procréation médicalement assistée, acharnement thérapeutique, transplantation d'organe...) à l'astrologie, en passant par l'homosexualité, le suicide, la Nous travaillons en symbiose avec les pouvoirs publics et avons toujours eu de bons rapports avec eux. toxicomanie, la peine de mort, le statut de la femme, mais aussi les relations avec le judaïsme libéral et conservative... Ponctuellement, il y a également des cours sur Israël, la vision que nous en avons ; nous avons également un accord d'association avec la Fondation pour la mémoire de la Shoah qui dispense des cours à nos étudiants sur ce sujet. J'ajoute que j'apporte une attention particulière aux cours de dracha (discours religieux hebdomadaire). Chaque élève doit ainsi, et à tour de rôle, présenter la sienne, dans le cadre d'un cahier des charges très précis, ( 8 minutes maximum ), très construit, avec des connaissances et des messages forts ". Quant au rapport que le grand rabbin de France établit avec les futurs rabbins, le directeur du Séminaire nous précise que Joseph Sitruk dispense tous les quinze jours un cours de pensée et éthique, sur la base de textes de pensée juive et de commentaires talmudiques, dans lesquels il introduit sa propre expérience et des conseils pratiques. " Ce cours - ajoute le grand rabbin Gugenheim - est très profitable aux élèves et leur donne en outre l'occasion d'avoir un rapport direct avec le plus haut niveau de la hiérarchie rabbinique française, et leur donne une un bel exemple de ce à quoi ils peuvent aspirer en sortant du Séminaire. Cela étant dit, l'idéal serait de pouvoir répondre de manière personnalisée à chaque élève. Tous les élèves n'ont pas, en effet, le même niveau. Mais c'est impossible ! Nous avons toutefois créé différentes classes pour les cours de Talmud et de Dinim, où il est impossible qu'un débutant suive le même cours qu'un élève confirmé. Pour le reste, cela fonctionne un peu comme les séances d'un cinéma : le cycle des cours s'étale sur cinq ans ; tant que l'élève a assisté à tous les cours à la fin de ses études, peu importe quand il a pris le train en marche. Etant donné le relatif petit nombre d'étudiants, c'est tout à fait gérable ainsi ". Vos étudiants viennent-ils d'un même creuset sociologique ? " Non, pas vraiment. Il fut un temps où les candidats étaient souvent passés par une école juive (Maïmonide, Yavné à Paris ; Akiba à Strasbourg). Aujourd'hui ce n'est presque plus le cas. Certains viennent d'un métier civil (ingénieur, juriste), et se sont rendu compte qu'ils avaient en vérité une vocation rabbinique, après avoir pris conscience que leur métier ne parvenait pas à donner un sens à leur vie ou qu'ils souhaitaient vivre au quotidien dans un environnement juif. D'autres viennent de yeshivot de renommée mondiale où ils s'inscrivent par idéalisme. Au bout de quelque temps, ils se posent des questions sur ce qu'ils vont faire dans la vie et trouvent dans la rabbinat un moyen de continuer à étudier tout en se rendant utiles et en ayant un métier. Certains ont des parents professeurs dans les grandes écoles, cadres ou patrons d'entreprises, artisans, comptables ou médecins... " Les Juifs séfarades sont-ils majoritaires par rapport aux ashkénazes ? Oui, c'est un fait qui reflète la réalité du judaïsme français aujourd'hui. Mais parmi les séfarades, il y en a autant originaires d'Algérie, du Maroc que de Tunisie. Les programmes ont-ils évolué pour s'adapter aux changements de la communauté et de la société en général ? " L'école a connu plusieurs réformes, au cours de son histoire, dont celles, de mon vivant, entreprises par le grand rabbin Henri Schilli puis, plus récemment, par le Rav Emmanuel Chouchena. Etrangement, elles allaient à chaque fois dans le même sens : augmenter le temps consacré à l'étude du Talmud. Car on ne se rend pas compte qu'avec l'augmentation du niveau général d'éducation des gens, le niveau de connaissance religieuse de certains fidèles a, lui aussi, progressé ". Aucune réforme dans l'enseignement profane ? " Plus que des réformes, des ajouts. Des organismes sociaux juifs viennent faire des conférences sur la pauvreté, la violence, la toxicomanie, la solitude des personnes dans la communauté. Au prochain trimestre, un directeur de ressources humaines donnera un cours sur le thème " comment gérer une carrière, une feuille de paie, une retraite ? " Au moment de la polémique sur la formation du Conseil représentatif ODASEJ L’ Œ U V R E D ’A S S I S TA N C E S O C I A L E A L’ E N FA N C E J U I V E est une association reconnue d’utilité publique par décret du 28 mai 1919 Pa r c e q u ’ u n e n f a n t h e u r e u x devient un adulte qui a de meilleures chances de construire son avenir et celui de la communauté L’ODASEJ a pour mission d’aider les enfants et les adolescents défavorisés ou en difficulté sur le territoire national Leur avenir est entre vos Transmettez mains votre nom à un programme de solidarité… Perpétuez la mémoire de vos parents … … Faites un legs ou une donation à l’ODASEJ Que vous ayez des héritiers ou non, vous pouvez faire un legs ou une donation en faveur de l’ODASEJ en exonération des droits de succession ou de mutation Pour un rendez-vous confidentiel Appelez Tony SULTAN Tél. : 01 42 17 07 57 • Fax : 01 42 17 07 67 ODASEJ ESPACE RACHI, 39, RUE BROCA, 75005 PARIS INFORMATION JUIVE Mars 2008 27 DOSSIER du Culte musulman, est apparue la question sur la formation des imams français et leur compatibilité avec les valeurs républicaines. Le consistoire et son école rabbinique, créés au XIXème siècle gardent-ils aujourd'hui cet esprit républicain en mémoire, et de quelle manière cela se traduitil dans les cours ? " Nous travaillons en symbiose avec les pouvoirs publics et avons toujours eu de bons rapports avec eux, sauf évidemment pendant la deuxième guerre mondiale. Les discours des rabbins au début du XXème siècle sont d'un lyrisme patriotique qui ferait sourire aujourd'hui, tant tout cela a évolué depuis. Pourtant, nous respectons bien évidemment le principe d'Etat de droit: " Dina malkhouta dina " (" La loi de l'Etat est la loi "). Plus qu'un cours spécifique, c'est un état d'esprit général de notre école. D'ailleurs, prochainement, un membre de notre communauté qui se trouve être un membre éminent de la hiérarchie administrative viendra faire un cours sur le fonctionnement des pouvoirs publics en France. Et puis, la citoyenneté, nos élèves l'apprennent sur le terrain. N'oubliez pas qu'un rabbin à un rôle représentatif à l'intérieur mais aussi à l'extérieur de la communauté. Ainsi quand il arrive dans la ville pour prendre ses fonctions, le rabbin doit prendre contact avec les autorités officielles locales pour se présenter. Il se rend à la mairie pour aller chercher la liste du protocole. Et je ne connais pas de rabbin en France qui ait fait des déclarations insultantes ou en contradiction profonde avec l'Etat français ". maximum. La première année est de toutes façons à caractère probatoire, pour l'élève comme pour nous. Il nous arrive de prendre un risque sur une candidature, en nous disant que l'appétit peut venir en mangeant !". Si vous deviez définir ce qui fait un bon rabbin, en une seule phrase, que diriez-vous ? " C'est celui qui parvient à faire aimer le judaïsme davantage. Je tiens à préciser que notre mission de formation ne consiste pas à rechercher l'intérêt de l'élève, mais d'abord et avant tout le bien de la communauté. En d'autres termes, ma satisfaction ne réside pas dans le fait que j'ai accordé un moyen de subsistance à un étudiant, mais bien que j'ai trouvé un guide spirituel pour la communauté ". Vos élèves ont-ils des appréhensions face à leur futur métier ? " Certains craignent de ne pas trouver de poste à la sortie. D'autres ont peur de l'échec, ou se demandent s'ils ont fait le bon choix, s'ils seront à la hauteur. Des scrupules qui sont tout à leur honneur ". Joël Mergui : l'avenir de nos communautés passe par la qualité de l'Ecole rabbinique L' intérêt que je porte à l'Ecole rabbinique et à son avenir - nous dit M. Joël Mergui, président du Consistoire de Paris - ne date évidemment pas d'aujourd'hui. “J'ai toujours eu le sentiment que l'avenir du judaïsme français dépendait, peu ou prou, de la qualité des rabbins et des chefs spirituels qui sortiront du Séminaire de la rue Vauquelin. Après tout, le judaïsme français a souvent eu parmi ses dirigeants des rabbins qui étaient des hommes d'une immense culture humaniste mais également des hommes de science. Je pense en particulier, entre autres, à des hommes comme Jacob Kaplan, Henri Schilli ou Emmanuel Chouchena. Une grande partie des rabbins de nos communanutés d'Ile de France est issue de l'école rabbinique”. “Depuis quelques années, le Séminaire rabbinique de France se trouve confronté à deux problématiques majeures. La première est de caractère formel : il s'agit d'entreprendre des aménagements et des transformations des locaux, rendus les uns et les autres nécessaires si l'on veut que nos étudiants puissent travailler dans de bonnes conditions. Le Consistoire de Paris a entrepris ces travaux, avec la communanuté de la rue Vauquelin et le Consistoire Central, et s'est engagé à poursuivre dans les mois qui viennent ces différentes améliorations”. Rabbin n'est pas un métier facile. Quelles sont les motivations les plus fréquentes parmi ceux qui aspirent à le devenir ? " J'entends souvent : " La Tora c'est merveilleux " ; " je veux étudier tout en servant mes frères " ; " j'ai plaisir à parler, à échanger, à servir, à enseigner, à aider"... Certains ont des motivations plus intellectuelles, d'autres plus humaines, cela dépend des personnalités ". Certains abandonnent-ils leurs études en cours de route ? " Rarement ; nous avons un à deux abandons par an 28 INFORMATION JUIVE Mars 2008 “La seconde prolématique concerne la formation ellemême des rabbins qui doit être pour nous un sujet de réflexion permanente et d'action prioritaire. Parce que l'avenir de nos enfants dépend aussi de la qualité des rabbins qui sortiront du Séminaire, chacun peut comprendre que l'Ecole rabbinique est une des institutions les plus centrales du judaïsme français. A cet égard, nous travaillons étroitement avec le grand rabbin de France pour parfaire l'enseignement qui est dispensé, proposer des cours du soir, des conférences, et des rencontres entre DOSSIER nos élèves-rabbins et leurs ainés. J'ajoute que le Beth Hamidrach du grand rabbin de Paris organise d'importantes séances d'études au sein du Séminaire. Jacques Hubert Ghanassia : notre engagement pour le Séminaire Me Jacques-Hubert Ghanassia est président de la communauté juive de la rue Vauquelin. Comme tel, il est préoccupé au premier chef par les conditions - matérielles entre autres - du Séminaire rabbinique. Le bâtiment étant très ancien, il a fallu dans un premier temps faire face aux différents travaux rendus nécessaires pour que son aspect extérieur ne soit pas rebutant : " Tous a été fait - nous dit Me Ghanassia - pour que ces travaux soient menés dans les meilleures conditions. Il nous a également fallu, il y a quelques mois, procéder à d'importants travaux afin de rendre la synagogue plus claire et plus accueillante ". Mendel BENAROCH 26 ans, vocation : rabbin Jeune homme parisien élevé dans une famille traditionaliste d'origine algérienne, il suit sa scolarité dans les écoles juives Lucien de Hirsch, puis Yavné où il rencontre un excellent professeur d'études juives qui l'amène, progressivement, à devenir plus pratiquant. Après le baccalauréat, il fait une année de " maths sup ", avant de poursuivre ses études à Jussieu et de passer les concours d'école d'ingénieur en candidat libre, pour cause d'observance du shabbat. Reçu à l'ENSA, une école de radioélectricité à Grenoble, il fréquente parallèlement le centre d'études juives de la ville où il contracte le virus de l'étude juive. En cours de deuxième année, il abandonne son école d'ingénieurs qui l'ennuie désormais et décide d'entrer à l'école rabbinique. Rencontre avec un futur rabbin très motivé. Pourquoi avoir abandonné vos études d'ingénieur si près du but ? C'est vrai que cela peut paraître un pari un peu fou, mais à quoi bon continuer des études qui ne vous intéressent pas quand vous avez enfin trouvé le métier qui vous plaît ? J'avais un chemin tout tracé, je travaillais déjà en alternance, mais je ne me voyais pas resté planté devant un ordinateur toute ma vie. Cela n'avait pas de sens pour moi. Je me sens progresser chaque jour. Je ne sais pas s'il existe un métier plus complet que celui de rabbin, où l'on est amené à développer l'ensemble de nos capacités : intellectuelles, relationnelles, oratoires, psychologiques, organisa-tionnelles. "Par ailleurs - ajoute Me Ghanassia - nous nous sommes trouvés dans l'obligation de refaire pratiquement la bibliothèque du Séminaire. Elle ne répondait plus aux besoins de l'heure et à la vocation qui devait être la sienne à l'origine. Nous voulions donner aux étudiants de l'Ecole rabbinique une bibliothèque moderne et opérationnelle. Or, il ne s'agissait pas là d'une mince affaire : nous avons fort heureusement pour mener à bien cette opération a bénéficié de l'aide de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, de la Mairie de Paris. Nous nous sommes enfin attelés à refaire de manière progressive les parties communes ainsi que les chambres des étudiants. Je tiens à ajouter que notre communauté est, avec le Consistoire de Paris et son président M. Joël Mergui qui s'est totalement investi dans toutes ces opérations, particulièrement sensibilisée à contribuer au bon fonctionnement du Séminaire rabbinique et au bien être des élèves-rabbin". Il faut être assidu dans l'étude, sérieux, faire preuve d'une lucidité d'esprit pour être capable de répondre aux besoins des gens de la communauté. Quels sont vos meilleurs souvenirs de l'école rabbinique ? Les cours de Talmud et de Halakha du rabbin Gugenheim. A chaque fois, c'est lumineux, j'en ressors heureux ! Dire que, quand je suis rentrée à l'école, je ne savais pas lire une page de Guemara. En France, en 2007, craignez-vous d'être la cible d'actes antisémites ? Non. Je n'y pense pas pour moi-même et n'ai jamais eu aucun problème. Ce qui m'affecte en revanche, c'est d'entendre qu'un rabbin à Lille est agressé, insulté et que personne n'a bougé. Idéalement, où aimeriez-vous exercer ? Je n'ai pas d'endroit rêvé a priori, tant qu'il y a un minimum de structures juives me permettant de pratiquer correctement (talmud torah, école juive, mikvé…). Ce moisci dans le cadre du stage pratique de 4ème année, je commence une série de remplacements les week-ends à Bordeaux, après avoir été à Angers, Belfort, Nancy, Pau, Versailles. Qu'allez-vous y faire ? J'aurai pour mission des tâches très diverses : remplacement lors du chabbat, avec direction d'offices, cours de talmud torah, activités pour les jeunes. Avez-vous des appréhensions liées à votre profession ? J'ai peur de mal aiguiller ou de donner des conseils qui n'aboutissent pas aux gens qui viendront se confier à moi. Quel est le principal défi d'un jeune rabbin en ce début de XXIème siècle ? M'occuper des jeunes pour limiter l'ampleur des mariages mixtes. Trouver des nouvelles méthodes pédagogiques pour les éduquer, les passionner, à l'heure où il est de plus en plus difficile de demander à un ado de se concentrer sur un livre… Apprendre aussi aux gens à se respecter mutuellement, à se remettre en cause, à reconnaître leurs fautes. Plutôt que de se réfugier dans le divorce à la moindre difficulté. Apprendre à être moins égoïste, à aimer ". Quels sont, selon vous, les qualités nécessaires pour être un bon rabbin ? Propos recueillis par Hélène HADAS-LEBEL Pensez-vous que ce soit un métier facile ? Non, c'est un travail de titan, bien plus exigeant que celui que j'effectuais en entreprise. Il faut s'occuper des gens tout en continuant de s'instruire. En choisissant ce métier, j'ai choisi l'intensité de vie qui va avec. INFORMATION JUIVE Mars 2008 29 MÉMOIRE Les souvenirs d'un résistant juif : " Ni oubli, ni pardon " UN ENTRETIEN AVEC RAPHAËL KONOPNICKI A 92 ans, Raphaël Konopnicki qui a joué, avec son épouse, un grand rôle dans la Résistance s'est décidé à publier ses souvenirs dans un livre qui paraît aux éditions Jean-Claude Clausewitch sous le titre " Camarade Voisin ". Jusqu'en 2001 Raphaël Konopnicki ( qui est le père de notre collaborateur Guy Konopnicki ) a été le président de l'Amicale de liaison des résistants juifs. Dans l'entretien qu'on lira cidessous, il s'explique sur ses choix et ses combats. OOO IJ : On a l'impression à vous lire que vous avez troqué le messianisme juif contre celui des communistes. Raphaël Konopnicki : Je n'ai pas abandonné le messianisme juif pour celui des communistes. Mes parents étaient de fervents sionistes et ils m'ont élevé dans cet idéal. Leur engagement juif avait une dimension politique. IJ : Sur ce plan, on peut dire que vous représentez toute une génération de juifs venus d'Europe de l'Est et singulièrement de Pologne. Comment expliquez-vous ce phénomène ? R .K. : Non, je ne suis pas représentatif de toute une génération de juifs venus d'Europe de l'Est. Je n'avais que trois ans lorsque, avec mes parents, j'ai quitté la Pologne pour la France où, tout naturellement, j'ai été intégré dès mon enfance. IJ : Un des grands intérêts de votre livre est que vous y racontez ce que fut la communauté juive à Metz notamment avant la guerre. Qu'est-ce qui vous y frappait alors ? R.K. : À Metz, vieille ville juive, vivaient deux communautés. Celles des autochtones dont les croyants étaient regroupés dans le Consistoire israélite, avec la grande synagogue, avec des œuvres sociales comme la maison de retraite et l'école israélite. Ils étaient 30 INFORMATION JUIVE Mars 2008 majoritairement aisés- professions libérales- et vivaient pour la plupart dans les beaux quartiers. L'autre communauté était composée majoritairement de juifs qui avaient quitté la Pologne et les autres pays de l'Est pour fuir l'antisémitisme. Les croyants avaient leur propre synagogue qui jouxtait la grande. Seul le vieux cimetière juif était commun, encore que la partie réservée aux juifs allemands fût longtemps séparée de la française. En vertu du Concordat, hérité de l'occupation allemande de 1870-1918, les cultes religieux étaient financés par l'État, pour l'entretien des synagogues qui rétribuaient les rabbins et les ministres officiants. Parmi les juifs immigrés, beaucoup étaient très pauvres et vivaient dans les bas quartiers, dans des maisons très délabrées, sans confort. C'étaient essentiellement des tailleurs façonniers attachés à leurs machines à coudre 15 à 18 heures par jour, aidés par leurs femmes qui faisaient le finissage, le tout pour des salaires de misère. Certains travaillaient aussi dans les mines. Les immigrés avaient une vie associative professionnelle très développée. L'Union des Artisans où tous les métiers étaient représentés- très pluraliste- dans son propre local organisait chaque semaine des débats très suivis par un auditoire nombreux ; c'était très convivial. Toutes les tendances sionistes étaient représentées : le Poalé Sion et le Dror, le Comité pour la Palestine ouvrière et socialiste, les Sionistes généraux, et même les partisans de Vladimir Jabotinsky qu'on appelait les révisionnistes. Toutes donnaient souvent des conférences avec leurs leaders parisiens. Raphaël Konopnicki Les communistes juifs avaient aussi leur propre organisation, " la Kluturliga ", Ligue culturelle, parce qu'ils MÉMOIRE étaient interdits en tant qu'organisation politique, comme étrangers. Ils étaient relativement nombreux et se voulaient pluralistes, en élisant un bundiste à la présidence de leur ligue. La vie juive de Metz était très animée, avec ses restaurants et ses commerces casher. Les soirées théâtrales yiddish avaient leur public nombreux, de même les soirées de variété où l'humour juif faisait oublier leurs soucis aux spectateurs. Hélas, les menaces nazies étaient dans tous les esprits, les ligues fascistes manifestaient aux cris de " mort aux juifs". J'ai participé à la fondation d'une section de LICA (future LICRA), nous organisions des réunions publiques qui attiraient des foules nombreuses contre l'antisémitisme. Mais les jeux étaient faits, l'offensive allemande du 10 mai 1940 a provoqué l'exode des juifs. Et Metz n'a jamais retrouvé cette vie culturelle et politique si intense, si riche. IJ : Parce qu'un rabbin vous dit une sottise vous décidez de tout abandonner. Les rabbins seraient-ils les seuls à n'avoir pas le droit de dire une sottise ? R.K. : Ce n'est pas le seul rabbin à dire des sottises. Il y a quelques années un des deux grands rabbins d'Israël a fait scandale en déclarant que " Dieu avait puni le peuple juif pour ses péchés ". Déjà en 1945, rencontrant à Nice un ami de mes parents, connu avant-guerre à Metz, il me demande des nouvelles de ma famille. Je lui ai dit qu'elles étaient dramatiques, nous venions d'avoir la confirmation que plusieurs de nos proches avaient été gazés à Auschwitz. Après un silence, il me répond : " Que voulez-vous, Dieu nous a punis pour nos péchés. " Je le regarde sidéré et je lui dis : " Ainsi mon neveu, David, 5 ans et Solange, ma nièce, 3 ans ont péché ? Savez-vous ce que vous dites ? " IJ : Dans la Résistance à laquelle vous appartenez en même temps que votre épouse, vous dites avoir apprécié le courage des juifs et leur esprit de sacrifice. R .K. : Le hasard des activités multiples dans la Résistance m'a amené à diriger à Nice une imprimerie clandestine qui dépendait de la section juive de la MOI. J'étais au cœur des actes de courage des résistants juifs et de leur esprit de sacrifice. Arrêtés, torturés, mes amis n'ont pas parlé. Ma femme, agent de liaison, et moi-même nous leur devons la vie. Mon livre " Camarade Voisin " est dédié à leur mémoire ". IJ : Pourquoi écrivez-vous que la part prise par les juifs dans le combat pour la libération de la France a été trop souvent occultée et passée sous silence ? R.K. : On évoque la part prise par les immigrés dans les combats pour la libération de la France. On les cite par nationalités, mais on oublie souvent de mentionner qu'ils étaient juifs. Mon ami Joseph Rosenbaum, dit " l'avocat ", juif de Dantzig, torturé par la Gestapo de Nice, n'a pas la plus petite plaque sur le lieu de son supplice. C'était un des premiers organisateurs de la Résistance. Mais à Nice son nom n'est jamais mentionné dans les cérémonies officielles. IJ : Dans quel sens dites-vous que vous êtes aujourd'hui un militant pour la mémoire et contre l'oubli ? R.K. : C'est contre les négationnistes et les nostalgiques de l'hitlérisme et du pétainisme, et pour rappeler les luttes sans concession pour la liberté et la dignité de l'homme qu'il faut préserver la mémoire. Ni oubli, ni pardon ! La chronique de Guy Konopnicki Faites donc lire Brasillach aux petits P ar le seul fait de placer au centre d'une polémique les enfants juifs déportés de France, la proposition du président de la République s'avère, pour le moins, déplacée. Si le but était d'intégrer le martyr juif dans la mémoire de la France, nous n'avions nul besoin d'une formule choc, comme le parrainage des enfants assassinés. Tout se passe comme si chaque nouveau gouvernement voulait marquer de son empreinte le souvenir de la Shoah. On ne saurait reprocher à Nicolas Sarkozy d'exprimer l'émotion, la compassion, qu'il éprouve à l'évocation de la souffrance des enfants juifs. Mais on n'enseigne pas l'histoire en recherchant le choc émotionnel. La déportation et l'assassinat des enfants juifs de France résultent d'une décision politique, d'un objectif annoncé par Adolf Hitler dès le début de la guerre, méthodiquement organisé par les SS. Les photos d'enfants ne suffisent pas à comprendre ce processus. Ce n'est pas l'image de la mort qui permet de réfléchir, c'est la connaissance des conditions morales et politiques qui ont conduit aux massacres. Comment, par exemple, un écrivain français, un poète, Robert Brasillach, a-t-il pu écrire, dans Je suis partout, le fameux " n'oubliez pas les petits ". Un article monstrueux de haine, remerciant l'occupant nazi qui débarrassait la France des juifs, en lui demandant de ne pas s'arrêter en chemin et d'emmener, aussi, les enfants. L'histoire de la Shoah en France ne peut se dissocier de celle de l'antisémitisme violent qui s'y exprime, à l'époque de l'Affaire Dreyfus puis entre les deux guerres. L'histoire de ce pays coupé en deux, où les juifs trouvèrent des défenseurs, comme nulle part ailleurs, mais où leurs adversaires se sont radicalisés, jusqu'à exiger leur extermination. Pour comprendre la participation de l'État français, le soutien des élites intellectuelles, il faut enseigner cet itinéraire monstrueux, celui de Drumont, de Maurras et de tant d'autres. On ne fait pas de la pédagogie avec des larmes. Il importe de montrer comment l'enracinement de l'antisémitisme en Europe et en France a conduit au crime contre l'humanité. C'est plus difficile que d'agiter des fantômes ! Mais la pédagogie n'est pas de la communication, c'est un travail lent, patient, qui se prépare, s'organise et ne se décrète pas d'en haut. GK INFORMATION JUIVE Mars 2008 31 HISTOIRE Juifs et chrétiens dans l'Hérault sous Vichy PAR MICHAËL IANCU L'histoire de la Seconde Guerre mondiale montpelliéraine et héraultaise pour tragique qu'elle fût, n'en demeure pas moins marquée par des actes de bravoure, de résistance et de noblesse. Rappel historique et enquête avec les acteurs de la vie montpelliéraine de l'époque : Juifs, Catholiques, Protestants, Justes des Nations, préfet de l'Hérault, gendarmes et policiers qui refusèrent quand ils le purent, l'adversité. D ans le cadre de l'application de la solution finale en France, de la livraison des Juifs français par le régime de Vichy aux nazis, et donc de l'organisation des grandes rafles de l'été 1942, celle des Juifs de l'Hérault se différencie des autres. La rafle des Juifs de l'Hérault eut lieu le 26 août 1942, à 5 heures du matin, avec la participation de la police, de la gendarmerie, des gardes mobiles et des pompiers. Le recensement, opéré par Vichy le 2 janvier 1942, des Juifs entrés en France après le 1er janvier 1936 servit de base pour la constitution de la liste de ceux que l'on devait arrêter. La rafle prévoyait l'arrestation d'un millier d'hommes, femmes et enfants (1010 d'après une information transmise par le gouvernement de Vichy à la police et la gendarmerie du département de l'Hérault), établis dans soixante-deux localités dont 140 à Montpellier. Il importe de souligner le rôle des organisations juives, une action au quotidien, souvent déterminante, en dépit de faibles moyens. En fin de journée, 419 personnes seulement furent conduites au camp d'Agde (camp de transit) . L'échec partiel de la rafle s'expliquait par une vigilance accrue après les rafles de la région parisienne et par l'humanité de certains gendarmes et policiers qui ont alerté les personnes en danger. Dans le camp de transit agathois, après tri, trois- cent- soixante-dix Juifs raflés dans l'Hérault furent envoyés à Rivesaltes et une partie de ces derniers déportés quelques jours plus tard vers la zone nord et ensuite vers les camps d'extermination de Pologne. Lorsque l'on parle de la Résistance (active ou passive) développée à Montpellier et dans l'Hérault, il importe de souligner le rôle des organisations juives, une action au quotidien, souvent déterminante, en dépit de faibles moyens. Il s'agit du Comité d'Assistance aux Réfugiés, de l'Oeuvre de Secours aux Enfants , de l'Organisation, Reconstruction, Travail, des Eclaireurs Israélites de France et du Mouvement de la jeunesse sioniste . Il convient ici de rappeler que Montpellier a toujours joué un rôle dans le mouvement sioniste politique contemporain. Le meilleur exemple est la présence en 1897 au 1er Congrès sioniste à Bâle de quatre délégués montpelliérains sur douze délégués français. 32 INFORMATION JUIVE Mars 2008 Dans le combat pour la survie, les Juifs ont bénéficié de l'aide active d'une partie de la population de l'Hérault. Quelques noms doivent être rappelés pour la ville de Montpellier : le professeur Antonin Balmès qui, outre la protection qu'il accorda aux étudiants juifs à la faculté de médecine, a caché et sauvé de nombreuses familles juives. Même attitude courageuse de la part de deux sœurs protestantes, Marie et Jeanne Atger qui cachèrent plusieurs Juifs étrangers, tandis que le père Paul Parguel, de la paroisse Sainte-Bernadette, délivra de nombreux certificats de baptême. Il fut arrêté le 8 mars 1944, torturé à la villa Saint-Antonin, avant d'être déporté. Un autre homme d'église, l'abbé Prévost, aida Sabina Zlatin en recueillant les enfants juifs qu'elle faisait sortir des camps d'Agde et de Rivesaltes, en coordination avec l'Oeuvre de secours aux enfants à l'enclos Saint-François de Montpellier. De même, il est à souligner l'exemple d'Arthur Meynadier, ancien professeur d'allemand au lycée de Montpellier, qui a recueilli dans sa maison familiale des Cévennes, au hameau de Bougès dans la commune de Saint-Julien d'Arpajon, un dentiste juif. Raymonde Demangel, la " châtelaine d'Assas ", qui, en 1939, habitait un hôtel particulier, boulevard Henri IV (demeure réquisitionnée plus tard par les Allemands pour en faire l'annexe HISTOIRE de leur quartier général), et qui s'engagea très tôt dans la Résistance. Elle eut l'occasion d'aider plusieurs Juifs réfugiés à partir en Espagne, grâce à un réseau d'amis (passage des Pyrénées par le monastère de Saint-Andras). Il est impossible de clore cette brève énumération sans rappeler le nom de Camille Ernst, secrétaire-général de la préfecture de l'Hérault pour son engagement en faveur des réfugiés juifs étrangers. Parmi ses nombreuses interventions, il prévint de nombreux responsables juifs lorsque des arrestations et des rafles étaient décidées, sauvant ainsi de nombreuses vies. En novembre 1942, il chargea Georges Ehrlich d'ouvrir un foyer d'accueil à Millau, dans l'Aveyron, pour les Juifs étrangers qui devaient quitter le département côtier de l'Hérault. Ce fonctionnaire courageux, qui facilita aussi la mise en liberté des enfants juifs emprisonnés dans les camps du Midi, fut remis par le gouvernement de Vichy aux autorités allemandes qui l'envoyèrent à Dachau. Il eut la chance de revenir, et pour son comportement et ses actes de bravoure, a été nommé par l'institut Yad Vashem de Jérusalem, le 30 novembre 1971, " Juste parmi les Nations ". Parmi les nombreux Juifs d'origine étrangère qui ont trouvé refuge dans l'Hérault et qui ont eu une activité résistante soutenue, il convient de citer le nom de Georges Charpak, qui sous le nom d'emprunt - Georges Charpentier - fut élève au lycée de Montpellier avant d'être déporté à Dachau. C'est dans la capitale de l'Hérault que ce futur prix Nobel de physique (1992) devait poursuivre ses études après son retour de déportation, en 1945. Signalons aussi l'action d'Albert Uziel, surnommé Vivi, fils du président de la communauté juive de Montpellier, César Uziel, qui fut l'un des membres éminents du maquis Bir Hakeïm. Plus haut dans le département, à Ganges, ce furent Georges et Lucie Pascal qui se mobilisèrent, étonnant couple de résistants à l'attitude exemplaire : ils offrirent refuge à une dizaine de familles juives originaires de Belgique et du Luxembourg. Ce couple a reçu, post-mortem, de l'Institut Yad Vashem de Jérusalem, le titre de " Juste parmi les Nations ". Grâce au professeur Aimée Berthéas, nous avons appris une autre action méritante, celle de mademoiselle Fabre qui, dans sa maison de Bédarieux, a caché un couple de médecins, les Weiler, réfugiés de Dijon mais originaires de Saarbrücken. A Montagnac, ce furent quelques dizaines de Juifs étrangers qui, accueillis en 1940 et 1941, purent échapper aux rafles de l'été 1942, grâce à la vigilance de plusieurs familles. Enfin, le cas désormais le plus célèbre de solidarité agissante est celui de Marie-Antoinelle Pallarès et de ses deux filles Paulette et Renée. La mère accueillit chez elle, en 1942, Diane Popowski, une petite fille de deux ans sortie du camp d'Agde par Sabina Zlatin. Diane resta dans sa famille d'adoption jusqu'en 1949, lorsque son père, survivant des camps, apprit son sauvetage et vint la reprendre. Paulette fut, pendant l'été 1943, monitrice des enfants à Izieu, dans la Colonie des enfants réfugiés de l'Hérault où elle prit de nombreuses photos qui ont permis à Serge Klarsfeld d'identifier un grand nombre des quarante-quatre enfants martyrs d'Izieu. Elle devait même témoigner au procès Barbie à Lyon. Sa sœur, Renée, participa aussi aux actions de sauvetage en convoyant des enfants juifs étrangers vers de nouveaux lieux de refuge : ce fut notamment le cas en été 1942 pour un groupe d'une quarantaine de filles de quatorze-quinze ans, partie de Montpellier à Annecy. Des personnalités qui par leur action d'entraide et de sauvetage des populations pourchassées, ont accédé au rang des figures de la résistance à Montpellier et dans l'Hérault. Entre ostracisme et humanisme, la mémoire et l'histoire d'une communauté et d'un département, de rencontres judéochrétiennes souvent réussies, l'histoire d'hommes et de femmes qui ont apporté leur pierre à l'édifice de la tradition de tolérance, (héritée de la période médiévale), de la cité universitaire. Des gens qui ont refusé l'adversité, et ont redonné espoir en l'homme. *Michaël IANCU est maître de conférences à l'Université Babes Bolyai de Cluj (Roumanie) ; directeur de l'Institut Universitaire EuroMéditerranéen Maïmonide de Montpellier ; auteur de "Spoliations, Déportations, Résistance des Juifs à Montpellier et dans l'Hérault (1940-1944)", (éd. Barthélémy, 2000). Il vient de publier, par ailleurs, “Vichy et les juifs. L’exemple de l’Hérault” (Presses universitaires de la méditerranée) INFORMATION JUIVE Mars 2008 33 BONNES FEUILLES Un retour au judaïsme PAR STÉPHANE MOSÈS Le philosophe et germaniste Stéphane Mosès nous a quittés le 1er décembre dernier, à la veille de la publication d'un livre d'entretiens aux éditions du Seuil sous le titre " Un retour au judaïsme ". Dans ce livre, Mosès , né en 1931 à Berlin, raconte comment étudiant à Paris, élève à l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm, il découvre l'Ecole d'Orsay dont il deviendra d'abord l'élève de Manitou avant d'être nommé directeur. Sur l'instigation de celui qui deviendra son ami Gershom Scholem, Mosès s'installera avec sa femme Liliane en Israël. Il enseignera à l'Université hébraïque de Jérusalem où il fonde un centre Franz Rosenzweig consacré aux recherches judéo-allemandes. Dans ce livre c'est le penseur juif confronté aux grande penseurs passés de son peuple qui s'exprime. Le lecteur est invité à rencontrer dans ces pages un penseur lucide dont l'humanisme est une leçon de fermeté et de vérité. Avec l'autorisation des Editions du Seuil que nous remercions, nous publions ci-dessous un extrait du dernier chapitre de ce livre, celui qui est consacré à la crise du judaïsme. V ous savez à quel point je suis frappé par la ressemblance que je constate entre le judaïsme américain actuel (qui est peut-être avec le judaïsme d'Israël le plus conséquent) et le judaïsme de Weimar de l'Allemagne des années vingt. Du point de vue social, c'est, dans les deux cas, un judaïsme profondément embourgeoisé, et qui a pour seule ambition de se fondre dans le milieu ambiant. Il y a certes des différences. Le judaïsme weimarien était notamment beaucoup plus riche de grands intellectuels et de grands philosophes. En revanche, aux États-Unis, la coloration religieuse est plus affirmée. De fait, la religion constitue une partie de l'assimilation ; là-bas, il faut faire partie d'une communauté. Mais pour vous répondre à un niveau plus général, oui, je suis convaincu de ce que la problématique de l'émancipation est restée la même et de ce que la crise est toujours celle qui s'est fait jour au moment des Lumières. À cela près qu'elle s'est accélérée. La Shoah n'a donc rien changé à ce processus ? Tout à fait, du point de vue de la crise du judaïsme, c'est comme si la Shoah n'avait pas existé. On retrouve le même 34 INFORMATION JUIVE Mars 2008 judaïsme. La Shoah a beau avoir été la plus grande catastrophe que le peuple juif ait jamais vécue, du point de vue spirituel, elle n'a pas changé grand-chose. Sauf la création de l'État d'Israël ; certes, ce n'est pas rien, mais il ne faut pas oublier que le sionisme était né bien avant le nazisme. De nombreux détracteurs de l'État d'Israël ignorent - ou font semblant d'ignorer - que le sionisme est né à la fin du XIXe siècle en réaction contre l'antisémitisme tsariste et russe. Et d'un point de vue intellectuel, n'y a-t-il pas eu de renouvellement ? Intellectuellement, il y a eu des tentatives, notamment en France, autour des trois écoles dont j'ai déjà parlé : les Éclaireurs israélites, l'École d'Orsay, celle de Paris, Neher à Strasbourg et Levinas. Mais finalement, cela n'a pas du tout changé le judaïsme français. Non seulement les tendances lourdes sont restées les mêmes, mais de plus le déplacement conceptuel n'a pas été assez loin pour que l'on sorte de la problématique. Aux États-Unis, il y a eu la néo-orthodoxie bostonienne du rabbin Soloveitchik : elle a évidemment promu un retour aux textes, qui se conjugue avec une ouverture sur le monde moderne. Mais cela n'a pas changé grand-chose. Tout commence donc avec l'émancipation, il y a deux cents ans. Quels sont cependant les traits les plus actuels de cette crise ? Son approfondissement, tout d'abord. Car cette crise s'est nourrie de bien d'autres motifs qui se sont ajoutés avec le temps, à commencer par le facteur temps. Les deux cents ans qui se sont écoulés sans que l'on trouve de solutions ne pouvaient avoir d'autre effet, et ce processus évolue sans cesse… Mais fondamentalement, c'est une crise spirituelle. Le catholicisme a connu une crise comparable au début du XXe siècle. Les catholiques ont appelé cela la BONNES FEUILLES crise du modernisme, et ce fut la confrontation entre l'enseignement traditionnel de l'Église et le monde moderne. Le catholicisme a réussi, plus ou moins, à faire face à la crise du modernisme, et il a relativement réussi son aggiornamento, c'est-à-dire qu'il a su repenser la tradition chrétienne à la lumière de la philosophie, de la science et de la modernité. Mais cela n'a pas été fait dans le judaïsme. Si bien qu'aujourd'hui, à côté du judaïsme séculier qui est véritablement d'une pauvreté spirituelle affligeante, l'orthodoxie représente une stagnation totale. Essayons de voir plus en détail les différents aspects de cette crise. Elle semble être à la fois politique et culturelle, mais elle a aussi des dimensions théologiques. Il y a de moins en moins de juifs qui acceptent la vision orthodoxe des choses et le poids des commandements. Quand on parle de la tradition juive, il faut distinguer de nombreux éléments différents. À côté du rite, qui peut paraître lourd et pesant dans les circonstances modernes, il y a aussi la vision du monde, la métaphysique propre au judaïsme, et c'est une philosophie, une métaphysique, une vision du monde qui vaut bien celles des Grecs de la même époque. C'est vertigineux ! Or la plupart des juifs n'ont pas accès à cela. Imaginez que vous veuillez parler de la culture occidentale sans connaître Platon, sans connaître Aristote, Pascal, Proust… Ce serait absurde ! La philosophie des Lumières a eu bien des travers, mais elle a eu l'intuition extrêmement profonde et juste que la connaissance est le fondement même de la raison, et que, à l'inverse, l'ignorance est le fondement même de la déraison. J'ai envie de dire aux juifs : ces choses existent, il faut faire un effort, en commençant d'abord et avant tout par apprendre l'hébreu et lire les textes. Vous voulez dire que le judaïsme comporte une vision du monde qui n'est accessible qu'à travers l'hébreu ? Oui, à travers les textes qui sont écrits en hébreu. Quelques-uns ont été traduits, mais toute traduction est caricaturale. Vous connaissez la formule de Bialik qui disait : " Lorsqu'on lit la Bible dans une langue autre que l'hébreu, c'est comme si on embrassait sa mère à travers un mouchoir." C'est une très belle formule. Du reste en Israël, malgré l'inculture plus ou moins généralisée, on peut dire que la majorité des gens sont capables de lire la Bible en hébreu. Différentes raisons, culturelles ou autres, expliquent qu'ils ne s'intéressent pas aux textes, mais ils sont capables de Prières au Kotel le faire. La renaissance de l'hébreu comme langue nationale, c'est quand même quelque chose d'extraordinaire ! Quel est votre niveau de maîtrise de la tradition ? Je le juge insuffisant. Je ne suis pas capable, par moi-même et sans un maître, d'étudier une page du Talmud. Il faut quelqu'un avec qui je puisse le faire. En fait, c'est un univers. Il y a le contenu, mais il y a aussi les formes et les catégories de la pensée qui sont tellement originales que l'on est complètement dérouté lorsqu'on y entre pour la première fois. C'est une logique merveilleuse et une façon très singulière, unique, d'aborder les plus grandes questions de l'humanité : le destin de l'homme, sa place dans la nature, son rôle dans le cosmos, dans la société… Et c'est une rigueur intellectuelle presque indépassable qui règne jusque dans la profusion des images, des motifs et des paraboles, jusque dans la distance de l'humour. La secte du Phénix, mais c'est un peu autre chose, une secte qui n'a qu'un seul but, celui de transmettre quelque chose. Vous appréciez, mais vous parlez de secte… J'utilise le mot secte dans son acception positive. Rappelez-vous les monastères, au Moyen Âge : ce sont eux et eux seuls qui ont assuré la transmission de la philosophie grecque. Iriez-vous jusqu'à dire que sans ces orthodoxes il n'y, aurait plus de judaïsme ? Oui, aussi scandaleux que cela puisse paraître. Sans eux, le judaïsme serait privé de son noyau spirituel. Car je puis ici parler de la spiritualité des milieux orthodoxes : leurs façons de prier, leurs façons de vivre… c'est comme un ordre monastique. J'ai pour eux une grande admiration. Le genre de vie d'une famille orthodoxe qui croit à ce qu'elle fait a quelque chose d'admirable. Vous voyez des hommes qui passent leur temps à un travail intellectuel difficile, des femmes qui sont souvent restées très belles et qui élèvent huit, neuf enfants et qui, à quarante ans, ont quinze petits-enfants. Après la Shoah, les rabbins orthodoxes ont donné l'ordre de repeupler le peuple juif. (Copyright Editions du Seuil) Et pourtant il me semblait que vous appréciiez le travail fait par l'orthodoxie. Oui, car elle a l'immense mérite de transmettre l'étude et la connaissance des textes. Elle me fait penser à une secte secrète, dans un certain sens, comme dans le récit de Borges : INFORMATION JUIVE Mars 2008 35 POURIM Le paradoxe triomphant S ingulier Pourim qui occupe une place atypique dans le répertoire rituel de la tradition juive. Jeûne et prière d'un jour, ripailles et liesse du lendemain ; pieuse lecture d'un texte imposé par nos Sages, récit d'une histoire dramatique avec ses passions et ses intrigues éminemment humaines. Insomnie d'un roi, Assuérus, se souvenant avec reconnaissance de Mordékhaï qui l'informe d'un complot le visant ; dilemme d'une reine juive- Esther- risquant sa vie pour la sauvegarde de son peuple menacé; cynisme criminel d'un vizir- Aman - au service d'une ambition dévorante; tels sont les personnages d'une tragédie haute en couleur dont, bien plus tard, des auteurs dramatiques se sont emparés pour y puiser la trame d'une œuvre. PAR JACQUES ASSERAF le roi par sa garde rapprochée, les exégètes décèleront dans cette capacité de comprendre et d'informer la préface d'un monde à venir, espace de communication et d'échanges dans un universalisme pacifié. Et, dès lors qu'Aman lui-même incarnation du Mal - dans un élan inhabituel d'introspection " s'adresse à son cœur ", certains y perçoivent une faille d'humanité, une brèche dans l'intimité d'une conscience aveuglée, prémisse d'une rédemption éventuelle qui habitera, un jour, même les moins disposés, parfois à leur corps défendant. Mais ce sera la conclusion, dans son heureux dénouement, qui emportera la décision définitive de nos Sages. Ils liront dans la phrase du texte "Les juifs reconnurent et acceptèrent" Historicité mal établie d'une intrigue de cour qui met en jeu l'existence d'un peuple exilé en Perse, confusion troublante entre les noms d'Esther et Mordékhaï avec d'Istar et Marduch, divinités babyloniennes en vogue, cette tragédie recevra, quand même, l'onction de nos maîtres pour être canonisée. Nous les suivons, malgré tout, quand ils revisiteront cette histoire à l'aune de leur foi inégalée et nous restons confiants dans leur sagesse éprouvée quand, malgré les paradoxes, ils frapperont ce récit du sceau de la sainteté Hormis la présence en filigrane du Dieu d'Israël qui, en écho aux prières et aux supplications de son peuple en détresse, intervient pour le soustraire à un génocide programmé, la Méguila recèle d'authentiques accents messianiques. Scruté avec attention, ce récit nous invite à y découvrir les signes avant-coureurs d'une ère messianique. Perspective d'un monde meilleur à venir régi par la paix et la fraternité des peuples qui constitue la pierre angulaire et l'horizon de la pensée juive. Quand Esther, l'intruse, l'étrangère intronisée " trouve grâce aux yeux de tous ceux qui la voient", le commentaire évoque le prélude à des temps nouveaux dans l'histoire de l'humanité. Celui où l'autre, le différent, le venu d'ailleurs ne sera plus discriminé et sera désormais regardé avec des yeux tolérants et bienveillants. Lorsque Mordékhaï, son oncle, vigile polyglotte de l'existence juive, déjoue un complot ourdi contre 36 INFORMATION JUIVE Mars 2008 Pourim à Tel Aviv une adhésion renouvelée à leur alliance avec le Ciel. En écho à celle du Sinaï, quelque peu contrainte ; une démarche libre et volontaire, souveraine et responsable vis-à-vis de la Loi. Modernité d'une histoire qui nous invite, à notre tour, à reconnaître, par-delà l'écume des jours, l'essence d'une existence, le sens d'une vie. Malgré le paradoxe, ici mis en exergue et , somme toute, familier à la pensée juive qui déambule déjà entre Ciel et Terre, Transcendance et Immanence, Révélation et Raison, Individu et collectivité. Elle nous incite, lors des interrogations existentielles, à une insurrection contre l'hégémonie sans partage du tout-rationnel qui, tout de même, montre ses limites dans la quête du sens. HUMOUR Le séder de Nicolas E stelle Coplowitz reçut un appel téléphonique à 23H30 ce dimanche soir passé. Si le téléphone était encore resté muet pendant les trente minutes suivantes qui amenaient au lundi, le repas de shabbat de la famille Coplowitz n'aurait jamais été le même. Mme Coplowitz est une résidente de 86 ans de la maison de retraite Moïse Maïmonide pour personnes âgées. Sa famille était en vacances dans le Sud de la France pour deux semaines d'où, sonnait pas au quatorzième jour de vacances de sa famille, alors elle arrêterait de s'alimenter totalement. Elle s'est toutefois confiée à moi 'admit Ames' qu'elle continuerait à manger du 'Cokosh' et son pudding de pâtes aux oeufs car cela lui rappelle sa tante Flossy. " Pour leur part, la famille Coplowitz regretta que leur mère et grand-mère dût avoir recours à de tells procédés pour attirer leur attention. " La vérité " indiqua son petit-fils exaspéré Jeremy PAR KEVIN RAY voyage autour du monde. Mes enfants seraient-ils plus occupés que Nicolas Sarkozy ? Seraient-ils en train de se lutter contre le chômage élevé, la délinquance des jeunes et les aléas de la politique étrangère ? Considérant combien Nicolas est gentil avec sa mère, peut-être voudrait-il me connaître aussi ! Il serait peut-être intéressé de savoir de combien mon portefeuille d'actions a augmenté, et quel héritage je laisserai derrière moi un jour." "En fait, peut-être cette année, je ne passerai pas du tout Pessah dans le New Jersey avec ma famille, mais plutôt à Paris avec Mr. Sarkozy. Je suis sûre qu'il pourrait diriger un bon Seder. Et je sais qu'il ne pourra pas résister à mes macarons faits maison et ma matzah recouverte de chocolat. " Article de Kevin Ray "86-year-old Estelle Coplowitz threatens hunger strike if her family doesn't call", traduit par Alain Barthes PETITES ANNONCES selon eux, il leur était impossible de contacter la matriarche de la famille. De ce fait, elle menaça l'administration de la résidence de commencer une grève de la faim si sa famille ne l'appelait pas avant lundi. Selon Mme Coplowitz, " Cette grève de la faim n'est pas mon choix. Je demande simplement l'amour de mes chers petits enfants. Pourquoi n'aiment-ils donc pas leur pauvre vieille Bubbie ? " "Mme Coplowitz devient très irritée si sa famille ne l'appelle pas" dit le responsable de la résidence Dianne Ames. " Après n'avoir reçu aucun appel téléphonique pendant environ dix jours consécutifs, elle était livide. Elle m'indiqua que si son téléphone ne Coplowitz, " c'est que nous avons appelé et laissé plusieurs messages mais elle ne sait pas bien utiliser la messagerie. Et avec le décalage horaire, il est difficile de la joindre dans sa chambre, car elle se trouve habituellement à ses activités d'aérobique aquatique ou de préparation de la challah. " Estelle Coplowitz maintient que ces actions étaient justifiées. " Quel genre de famille quitte le pays sans appeler leur mère et grand-mère pendant deux semaines ? Je sais qu'ils séjournent en France, mais seraient-ils trop pris pour penser à moi ? Rencontrent-ils le président français Nicolas Sarkozy ou quoi ? Vous savez, je suis sûre que Mr. Sarkozy appelle sa mère quand il La Communauté OHR HAIM VERCINGETORIX organise un oulpan tous les lundi soir à 20h30 à la synagogue : 223/227 rue Vercingétorix 75014 Paris Renseignements - Inscriptions : Mme Shoula KRIEF Tél. : 01.45.42.06.04 Mobile : 06.27.45.77.29 La Communauté de Vitry inaugurera son mikve le 30 mars 2008 à 10h30, en présence des autorités religieuses et civiles. Pour tout renseignement contacter : M. Le Rabbin ELFASSI : 06.19.50.09.98. ou le Président, Dr David Rouah : 01.46.81.92.11 Après la cérémonie, un cocktail clôturera la l'inauguration. INFORMATION JUIVE Mars 2008 37 LETTRES Golda, la Méïr de toutes C omme je viens de lire dans un récent article de ce Blog de terre d’israël quelques extraits de la sagesse juive rassemblée par l'écrivain et journaliste Victor Malka, j'ai plaisir à revenir au petit livre que ce dernier a récemment consacré à l'humour juif : Mots d'esprit de l'humour juif (Éditions du Seuil, 2006, 186 p., 6€), ouvrage éminemment savoureux qui me pousse à griffonner quelques lignes sur le gène typiquement juif de l'humour, en ajoutant in petto que là où il y a du gène il y a du plaisir. Quand je regarde la tête des hommes et des femmes politiques, toujours en campagne, et même en rase campagne, raseurs et arpenteurs de l'ennui, je lis le vide dans des yeux qui ne sourient pas, et une absence douloureuse de lèvres pour le rire ; quand je vois tel nouveau président du nouveau continent prêter serment en fermant le poing, les lèvres et les yeux, ou quand je me souviens de cet ancien étudiant qui, alors que nous examinions un drôle de texte où la mort arrangeait tout le monde, s'écria en tordant la bouche : " Monsieur, on ne rit pas de choses tragiques " ; quand je me rappelle ce vieux leader de parti (en fait le PC de chez nous) déclarant, très fier de lui, qu'il ne rêvait et ne riait jamais, comme si rire et rêver étaient le comble de l'indécence ; quand je revois les faces de carême de mes collègues d'université si pénétrés d'idéologie qu'il n'y avait jamais place, dans nos réunions, pour un sourire ou un clin d'œil ; quand je vois cette France frileuse qui confond l'humour et la grasse gouaille de ses amuseurs ? à l'exception de quelques métèques de véritable esprit et juifs de préférence ? ; quand je lis, vois et entends, enfin, toutes ces langues de bois et ces regards d'étain, ces lèvres torves et ces cœurs murés, alors je me dis qu'assurément l'humour a quelque chose de génétique. 38 INFORMATION JUIVE Mars 2008 Et qu'il faut renverser le dicton qui unit gêne et déplaisir. Et se souvenir que le monde juif, par ses écrits, même sacrés, nous a fait faire, en tout temps, une sacrée bosse de rigolade. Victor Malka nous le prouve dans son florilège rassemblant toutes les humeurs ? et d'abord les bonnes ? de nos communautés dispersées, de Lodz à Marrakech et de Paris à Tel Aviv, en passant par New York, patrie de Woody Golda Méïr Allen et du marxisme tendance Groucho. Alors oui, il y a bien une internationale juive de l'humour, un complot juif du rire, de Shmouël Agnon à Albert Cohen, de Rab Zelig à Claude Vigée, de Cholem Aleikhem à Shimon Pérès, et de nos cabalistes se tenant les côtes en déroulant le livre de la vie à nos âmes de ghetto agitées de soubresauts hilares ? savez-vous, tiens, que tous les PAR ALBERT BENSOUSSAN fantômes parlent yiddish ? Qui peut ignorer que l'histoire de nos Patriarches se fonde sur l'éclat de rire d'Abraham ? il a ri de se voir si vieux et père, et Isaac est né : " il rira ", dit et le nomma son géniteur, et ce rire n'a jamais cessé. Que serait la psychanalyse sans l'humour ? le Witz ? de Freud ? Que serait le marxisme sans Groucho ? Et la physique nucléaire sans l'inénarrable Einstein nous tirant la langue pour l'éternité ? Certes, a-t-il dit, le monde est tragique, mais il faut relativiser, la terre n'est qu'une patate et l'infini se gondole… Au point qu'il m'arrive parfois, à la faveur d'un bon mot que je lis ici, d'une blague que je grappille là, d'un sourire ou d'un œil malicieux pêchés entre deux propos gravitationnels, de chercher s'il n'y aurait pas, des fois, une patte juive pour faire lever la pâte. Eh bien ! Victor Malka nous le prouve, lui qui met son petit grain de sel dans ce levain : il y a bien de l'humour à être juif, ou pour mieux dire il y a bien du juif à faire rire. Faut-il nous souvenir de Sara, enfantant " un fils pour ses vieillissements " (comme traduit joliment André Chouraqui) et s'écriant entre deux tétées : " Elohim m'a fait rire " ? Et d'ailleurs, que reste-t-il du philosophe Bergson sinon Le Rire ? C'est simple, entre le juif et la vie, c'est toujours le grand humour. Aussi, sans oublier que Dieu nous a créés parce qu'il s'ennuyait un peu en son éternité et qu'il avait besoin de rire de notre agitation et de nos contorsions, laissons conclure Mendele Mokher Sforim : " L'idée de son éternité est enfouie au fin fond du cœur du juif ? c'est pourquoi là où les autres pleurent, lui il rit ! " Oui, rire toujours et en toute occasion, comme le voulait le grand humoriste israélien Ephraïm Kishon, car enfin, comme dit notre grande Golda, la Méir de tous : " Le pessimisme, c'est un luxe que les juifs ne peuvent pas se payer ! " LIVRES Israël et l'Occident Projections privées OBSCURITÉS ET CLARTÉS GILLES ROZIER PAUL GINIEWSKI OOO Expliquer le passé pour répondre aux interrogations du présent et espérer en l'avenir, l'auteur, en véritable " historien du passé " prend appui sur ces piliers dans les essais qui composent son dernier livre. On y trouve un vaste panorama de l'histoire du peuple juif, d'Adam et d'Eve jusqu'à nos jours avec la montée de l'islamisme en passant par les ghettos et la Shoah. L'ouvrage s'ouvre sur les " grandes dames de la Bible " et leur rôle dans la Bible. Eve, Deborah, Esther, et leurs sœurs, ont nourri les rêves des hommes et inspiré, comme le signale Paul Giniewski, poètes, peintres, musiciens. Les textes concernant la vie et la mort de Jésus sont particulièrement denses. Qui était Yeshua, ce rabbi galiléen ? Un pharisien ? Un Essénien ? En ces temps troubles de la dure domination romaine, les juifs espèrent la venue imminente du Messie. Mais " Jésus n'était pas le seul prétendant messianique que l'on rencontre à cette époque ". Prophètes, guérisseurs, ils sèment l'espérance auprès du peuple assoiffé. Alors, en quoi Jésus se démarque-t-il de ces autres annonciateurs ? Car " Jésus était bien un homme de son temps, produit de la fermentation spirituelle qui agitait alors son peuple, contestataire comme l'étaient les pharisiens, traversé par diverses tendances, dont l'essénisme ". Chapitres passionnants où seront recensés déviances et convergences du message de Jésus face aux maîtres de la Loi de l'époque. La tragédie absolue fut l'intégrale imputation de sa condamnation à mort à ses coreligionnaires. Qui cherchait-on à soutenir ou à protéger aux temps des Evangiles, ces textes rédigés des décennies après sa mort ? s'interroge l'auteur. Giniewski va remonter, références à l'appui, aux sources de cette affirmation qui transforma le peuple juif en martyr des nations. Mais aujourd'hui, écrit-il, il faut passer du " temps du mépris " à celui de " l'estime ". Juifs et chrétiens doivent apprendre à se pardonner les ghettos et la Shoah et à faire front devant le péril islamique, devant Téhéran et " son monde sans sionistes ". (Editions Cheminements - 20€) Poussée par Philippe son mari, Bernadette quitte la région parisienne pour s'installer avec lui et Victor son fils dans une ville de province non loin de Beaune-laRolande et y acquérir la grande Pharmacie de la Place. Poussée par son mari, malgré ses propres réticences, car sans lui la vie lui est d'une monotonie insupportable. Veuve, issue d'une famille bourgeoise catholique, elle a été irrésistiblement attirée par ce Philippe Lévy-Saltiel, ce juif méditerranéen imprévisible et attachant au langage brutal, à la susceptibilité à fleur de peau. Buveur d'alcool, il n'a jamais rien réussit professionnellement, un " raté charismatique " mais fils d'un grand et célèbre professeur en cancérologie, donc obnubilé par la personnalité de ce père qui hélas ne s'est jamais préoccupé de l'éducation de son fils lequel espère enfin trouver un rôle à sa mesure avec l'achat de la pharmacie de son épouse. Et pour montrer qui est le maître, il commence par licencier l'ancien personnel et rebaptise l'officine " Pharmacie Lévy-Saltiel ". Son souffre-douleur de prédilection est Victor, le fils du premier mariage de Bernadette. L'adolescent va être pris en amitié par Martin, son professeur de latingrec. Martin le solitaire, le buveur de thé, le fils du docteur Michel Delannoy et de Renée-Rébecca Wajsbrot est attiré par la branche juive de sa famille, par ce grandpère Szmulek Wajsbrot disparu dans les camps de la mort, par la sœur de sa mère, cette tante Madeleine rescapée d'Auschwitz. Mais pour Philippe, le jour où la OOO Pharmacie Lévy-Saltiel est incendiée, le drame s'installe et tout son univers bascule. Ce roman à tiroirs avec son fil conducteur les reliant subrepticement les uns aux autres, sautant du présent au passé, interpelle par la force des sentiments dégagée de ses personnages et par le brio de l'écriture de son auteur. (Editions Denoël - 20€) Les Lions de la place d'Armes PAUL-LÉON TEBOUL OOO Benjamin d'une fratrie de 13 frères et sœurs, Emile Benattar, né à Oran en 1904, mène une enfance sereine. Pour soulager le Loup, son vieux père qui est maquignon, il arrête volontairement ses études pour le seconder. Mais tout s'effondre à la mort subite de ses parents. Pour subsister, Emile se livre à des jeux de cartes et autres petits jobs. En 1925 la mairie d'Oran passant aux mains d'un maire antisémite, il décide de quitter son pays pour la France. Débute alors une trajectoire mouvementée de Paris au Maroc, retour à Paris dans l'atelier de couture de M. Schwartz, mariage à Oran, le tout dans un univers où couve l'antisémitisme, où grondent la haine et l'insécurité. Avec tendresse et simplicité, Paul-Léon Teboul raconte ce parcours semé d'embûches d'un jeune juif à la recherche d'une terre d'accueil. (Publibook - 18€) Odette Lang INFORMATION JUIVE Mars 2008 39 CINEMA PARIS de Cédric Klapisch Le pari délicat d'un kaléidoscope sentimental A vec ce film choral, au récit subtilement éclaté, dédié tout entier à la capitale et dans lequel les destins d'une dizaine de personnages s'entrecroisent, Cédric Klapisch nous livre l'un des longs métrages les plus attendus de ce début d'année 2008, et ce à plus d'un titre. PAR ELIE KORCHIA d'une grave affection cardiaque et dont la profonde solitude dans l'attente d'une éventuelle transplantation est heureusement compensée par l'attention et le dévouement que lui porte sa sœur aînée, Elise, une mère célibataire et esseulée magnifiquement incarnée par Juliette Binoche. En effet, force est de constater qu'en une petite dizaine d'années, l'auteur de L'auberge espagnole a incontestablement réussi à devenir l'une des valeurs sûres du cinéma français et s'est progressivement affirmé comme l'un des directeurs d'acteurs les plus doués de l'Hexagone. Ensuite, l'idée du réalisateur de revenir aux sources de son cinéma et de magnifier ici, avec une confondante sincérité et un amour communicatif, un Paname tout à la fois folklorique et "monumental" ne saurait nous laisser indifférent. Enfin, et surtout, parce que si le talent d'un homme en général et d'un cinéaste en particulier consiste à bien savoir s'entourer, Klapisch fait incontestablement partie de nos meilleurs metteurs en scène, bénéficiant pour ce neuvième opus d'une éblouissante distribution, dont son nouveau producteur attitré, Bruno Lévy, lui-même ancien directeur de casting, peut assurément s'enorgueillir.Des compositions d'acteurs qui parviennent à l'évidence à porter un film plaisant et ambitieux même s'il pêche à certains endroits par un souci excessif de bien-faire ainsi que par certaines séquences inutiles ou simplificatrices. Mais revenons à cette fameuse brochette d'acteurs qui ne peut que légitimement mettre l'eau à la bouche aux spectateurs, et qui compose ici les multiples facettes d'un kaléidoscope sentimental, tour à tour sombre ou lumineux. A commencer par Pierre (interprété avec justesse par Romain Duris), ancien danseur de cabaret qui souffre depuis peu 40 INFORMATION JUIVE Mars 2008 professeur d'histoire émérite, fort bien interprété (comme toujours) par Fabrice Luchini, qui tente de se guérir d'une sournoise dépression en tombant éperdument amoureux de l'une de ses étudiantes, (délicieuse Mélanie Laurent), tout en essayant de culpabiliser son propre frère, architecte accompli, heureux en couple et bientôt papa, campé par un François Cluzet convaincant mais manifestement sous-exploité. En réalité, le problème de fond inhérent à ce type de cinéma consiste à privilégier la multiplicité des personnages au risque d'affaiblir l'intensité du scénario par une juxtaposition superficielle et inaboutie de certains rôles, comme c'est le cas avec la boulangère raciste qu'interprète Karin Viard (comme d'habitude parfaite au demeurant) ou encore avec la rencontre amoureuse improbable et incongrue entre des mannequins et une bande de maraîchers (Dupontel, Soualem, Lellouche) sous les lumières nocturnes des pavillons de Rungis. Une sœur qui va peu à peu se remettre en question et laisser tomber son masque d'assistante sociale débordée et désabusée, grâce au contact quotidien de ce frère aimé et courageux, qui souhaite ardemment lui faire reprendre confiance en son potentiel de séduction et en sa capacité à s'épanouir de nouveau sentimentalement. C'est autour de ce duo, qui touche véritablement au cœur et à l'esprit, que repose le scénario de ce film tentaculaire, qui va faire se rencontrer en plein Paris des gens très différents -forcément opposés les uns aux autres- qui y travaillent, s'y croisent, se détestent ou se mettent à s'aimer. Tel est le cas de ce Toutefois, en dépit de clichés et d'excès auxquels il n'a pu résister, l'auteur d'Un air de famille signe ici une oeuvre agréable et sans doute plus complexe qu'il n'y paraît, sorte de trait d'union entre certains de ses premiers films à tendance existentialiste ( Riens du tout, Chacun cherche son chat ou encore Le péril jeune) et la période plus récente symbolisée par l'entrain enthousiaste et chaleureux de L'auberge espagnole et Les poupées russes. Encore à la recherche de son filmréférence, revendiquant par ailleurs souvent l'influence de Short cuts de Robert Altman, il est à parier que Cédric Klapisch finira bien par nous concocter un jour prochain son propre chef d'œuvre, dès lors qu'il saura se délester définitivement de certaines facilités afin de se concentrer uniquement sur ce qui fait toute la force d'un cinéma qui se voudrait aussi divertissant que profond. VERBATIM DENIS MACSHANE. CARL BERNSTEIN JEAN-FRANÇOIS DEREC. Député travailliste britannique : Célèbre journaliste du Watergate : Comédien : " Il y a des choses acceptées partout en Europe qui sont impensables en France par peur de la rue " " Le fil conducteur de la vie de Hillary Clinton est la peur de la honte et de l'humiliation " JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD. Chroniqueur : " Une étrange indulgence pour la bêtise suinte du tout-venant radiophonique et télévisuel " JEANNE MOREAU. Comédienne : NAEMA TAHIR. Ecrivain d'origine pakistanaise : " Le monde musulman a besoin d'un Woody Allen " " Le problème de la pyramide des âges, c'est que les jeunes sont vieux beaucoup plus tard et les vieux sont jeunes beaucoup plus longtemps " AHMED ABOUL GHEIT. Ministre égyptien des Affaires étrangères : " Quiconque franchira la frontière égyptienne sans y avoir été autorisé aura les jambes brisées " GEORGE STEINER. " Dire que les politiciens font du cinéma c'est dire du mal du cinéma " CLAUDE IMBERT. Ecrivain : Editorialiste au Point : GEORGE PRÊTRE. " A Paris, l'élite ne paie jamais ses erreurs pourvu qu'elles soient magistrales “ " Peut-être pour la première fois de son histoire, l'Europe tente-t-elle de vivre honnêtement avec ses fantômes " CHRISTOPHE BARBIER. DENIS TILLINAC. Directeur de la rédaction de L'Express : Ecrivain : " Le problème avec le virtuel c'est que le retour au réel fait toujours aussi mal " " Un Français est toujours d'ailleurs et on ne sait plus trop à quel ancêtre il doit d'être clair ou foncé " Chef d'orchestre : " Je regrette le manque de conscience de nos dirigeants du rôle social et éducatif de la musique. Dans les banlieues, on fait croire aux enfants que l'espoir est dans le football " NOS PETITES ANNONCES Vos annonces reçues avant le 31/03/08 paraîtrons dans le numéro de Avril 2008 6 LIGNES = 40 SIGNES (espaces compris) 1 PARUTION 45 € Rencontres 3 PARUTIONS 90 € Offres d’emplois Cours Carnet LIGNE SUPPLÉMENTAIRE 8 € Divers Annonces Communautaires FOND COULEUR - 8 € Immobiliers Vacances Règlement par chèque à : Information Juive - 17, rue Saint-Georges - 75009 Paris Tél: 01 48 74 29 87 - Fax: 01 48 74 41 97 - Mail: [email protected] NOS BONNES ADRESSES COMMERCIALES Vos annonces reçues avant le 31/10/07 paraîtrons dans le numéro de novembre 2007 LE MODULE 136 € LE DOUBLE MODULE 246 € Règlement par chèque à : Information Juive - 17, rue Saint-Georges - 75009 Paris Tél: 01 48 74 29 87 - Fax: 01 48 74 41 97 - Mail: [email protected] LE CARNET Naissances Nous avons appris avec plaisir la naissance d'un garçon au foyer de Mme et M.Mickaël Benchimoun de la communauté de Levallois. Nous présentons un sincère mazal tov aux heureux parents. OOO Une petite fille est née au foyer de Mme et M.Bellaïche. Nous présentons nos félicitations aux familles Bellaïche et Guedj OOO Légion d'honneur OOO Nous avons relevé sur la liste des nominations et promotions dans l'ordre de la Légion d'honneur les noms du Grand rabbin René Gutman, grand rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin, promu officier ; d'Ariel Goldmann, avocat au barreau de Paris et Bernard Lobel, président de l'association culturelle israélite de Rennes (Ile et Vilaine) nommés chevaliers. Nous leur présentons nos sincères félicitations. Nécrologie OOO Alain Ayache Nous voulons saluer la mémoire de notre confrère et ami Alain Ayache, journaliste et patron de presse, décédé le 17 février dernier d'une crise cardiaque, à l'âge de 71 ans. Alain Ayache a été enterré en Israël. 42 INFORMATION JUIVE Mars 2008 COURRIER Réponse à Alexandre Adler Suite à l'entretien d'Alexandre Adler que vous avez publié dans votre dernier numéro, pourriez-vous lui faire part de la réaction d'un citoyen israélien ( chrétien) habitant Israël depuis 15 ans ? Monsieur Adler, je crois que vous n'êtes jamais venu visiter Sdérot pour parler " d'incidents " au lieu " d'actes de guerre " à propos des milliers de roquettes Kassam qui pleuvent sur le sud du pays depuis plusieurs années. Vous évoquez par ailleurs un retournement de l'opinion palestinienne à Gaza. Vous écrivez : " Plus des fusées tombent sur Sdérot et moins les Palestiniens appuient une telle politique. Et c'est peut-être cela qui est le plus important ". Et tant pis pour les pauvres habitants de Sdérot et des alentours ! Pourtant, je lis dans un article de La Croix du 24 janvier que " les sondages montrent que le poids du mouvement islamique dans l'opinion palestinienne ne cesse de se renforcer ". J'ai bien peur, Monsieur Adler, que votre " paix amère " ne soit pas pour demain. Pas facile de faire des analyses sur l'évolution de la situation au Proche Orient ! André Moisan Tel Aviv - Courriel Confiance nouvelle Nouvelle présentation Je suis heureux de renouveler mon abonnement à votre magazine qui contient de nombreuses informations que l'on ne rencontre nulle part ailleurs. Bravo pour votre nouvelle présentation. Elle rend plus lisibles et plus attractifs les différents articles proposés. Un regret cependant : l'absence des éditoriaux du rabbin Josy Eisenberg… M.Rakhal 77210 Avon (Notre correspondant sera sans doute heureux de retrouver dans ce numéro l'édito de notre ami Josy Eisenberg) Les juifs au Sahara Je suis depuis de très nombreuses années une fidèle abonnée de votre revue. J'ai beaucoup de plaisir à la lire de A à Z. Elle est intéressante et instructive. Dans le numéro de janvier , j'ai été heureuse de lire votre entretien avec M. Jacob Oliel sur les Juifs au Sahara. Je descends des rabbins Bensemana, cités dans votre article qui ont vécu et exercé dans le sud marocain, au Draa, d'après ce que mon père m'en disait. J'aimerais en savoir davantage sur mes origines et je pense que ce livre m'apportera de précieux renseignements. Or, je n'ai pas réussi à trouver ce livre dans toutes les grandes librairies de Montpellier. Yvonne Bensadoun 34070 Montpellier ( Vous pouvez vous adresser directement à l'auteur dont voici l'adresse : 52 Quai St Laurent. Bat B1, 45000 Orléans ; tél :02 38 80 15 59 ) Votre revue m'exaspérait. Son mélange de victimisme, d'objectivité variable sur Israël et un oecuménisme de façade vis-à-vis de l'islam et de la chrétienté(…) m'étaient devenus franchement insupportables. Or, vos trois derniers numéros ont complètement changé de ton. Certains articles apportent de l'air frais. Alors je vous envoie un abonnement de soutien sachant que si vous revenez au ton des précédents numéros, vous perdrez le lecteur bienveillant que je suis. Cette bourse est destinée à venir en aide à des étudiants préparant une thèse dans le domaine des sciences et techniques, ou éventuellement l'histoire juive, en particulier l'enseignement du philosophe Jacob Gordin. S'adresser à : Alliance israélite universelle, Service des bourses ([email protected]) pour retirer un dossier. A.Moustacchi 75014 Paris Date limite de retour des dossiers : 30 avril 2008. COMMUNIQUÉ Bourse Aviva et Hervé KREISBERGER