Les tablettes de défixion ou defixio dans l`Antiquité
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Les tablettes de défixion ou defixio dans l`Antiquité
LES TABLETTES D’EXECRATION OU DE DEFIXION DANS L’ANTIQUITE Origine et diffusion des tablettes de défixion Les pratiques magiques et la divination faisaient partie du quotidien des Grecs et des Romains, de nombreux documents l’attestent. Parmi elles celle du defixio, c’est-à-dire de l’envoûtement, pouvait être pratiquée par tous. Importées par les colons grecs, ces pratiques par defixio se sont ensuite diffusées avec l’expansion de l’Empire romain. Les régions méditerranéennes et de manière générale la Gaule méridionale présentent un grand nombre de ces tablettes magiques. Elles se sont prolongées sur une large période, du VIe siècle avant jusqu’au VIe siècle après J.-C., mais la majorité sont datées des alentours de la fin du Ier siècle après J.-C. ; cette pratique était donc largement diffusée au début de l’Empire. Qu’est-ce qu’une défixion ? Supports privilégiés de la malédiction, les tablettes dites « de défixion » (du verbe defigere, « fixer en bas »,« transpercer ») étaient le plus souvent destinées à immobiliser un adversaire pour le punir et entraver ses actions. En usant d’un tel procédé, le jeteur de sort espérait soumettre la personne visée toute entière à sa propre volonté et en faire ainsi le jouet de sa malveillance. Ces intentions criminelles s’exprimaient symboliquement au moyen d’un clou enfoncé dans la tablette pour mieux transpercer l’âme de la victime désignée. Le defixio est donc avant tout un rite d’envoûtement. Le particulier qui veut agir contre un adversaire conclut avec les divinités souterraines une sorte de pacte : il leur « donne » son adversaire et prie alors ces divinités d’accomplir ce qu’il ne peut faire lui-même. Le plomb, infernal et malléable L’utilisation du plomb sans être exclusive (des exemplaires de défixions en bronze, étain, pierre, argile ou même papyrus en Egypte sont également connus) était préférée à tout autre matériau pour la confection de ces objets magiques et cela dans une double logique : pratique et symbolique. Métal sombre et froid passant pour être en rapport avec le monde chtonien*, le plomb est aussi malléable, facile à graver et permet au texte qu’il porte de se conserver dans le temps. Tout ceci en faisait donc le support idéal d’imprécations vouées à l’éternité ! A Rom (Deux-Sèvres) près de Poitiers, une tablette datant de la fin du IIIème-début du IVème s. ap. J.C. et trouvée au fond d’un puits antique portait une malédiction lancée par un mime de théâtre qui invoque les démons Apecius, Aquannos et Divona, en leur demandant de faire délirer douze de ses collègues en citant leurs noms. *chtonien : lié aux divinités infernales Une pratique interdite et nocturne : le cheminement rituel A l’Hospitalet-du-Larzac (Aveyron), les « Plombs du Larzac » datant du Ier siècle ap. J.-C. ont été retrouvés dans une sépulture de la nécropole gallo-romaine. Ce sont des missives adressées à une divinité infernale afin de renvoyer à des sorcières le mauvais sort qu’elles ont jeté. Cette tablette interviendrait donc dans un conflit opposant peut-être deux corporations de magiciens. Contrairement à la magie officielle, placée sous l’égide des dieux d’en haut, la magie par defixio se pratiquait à l’abri des regards, souvent de nuit, dans les forêts, à la croisée des chemins ou dans les espaces funéraires, comme en témoignent les auteurs antiques. Par le caractère nocturne, secret et silencieux de ces pratiques, ce type d’envoûtement maléfique inquiétait beaucoup les Romains et a été interdit et condamné du Vème s. av. J.-C. jusqu’au Bas-Empire ce qui n’a pourtant pas empêché la magie individuelle de se pratiquer dans tout l’Empire durant toute l’Antiquité. A l’image du clou que l’on fige dans une effigie, le stylet grave la plaque de plomb lors du rituel d’envoûtement. Cette magie est liée à l’importance donnée au Verbe et au Nom, les Romains liaient en effet le nomen (« nom ») au numen (« puissance magique »), il était donc important de nommer la victime pour pouvoir l’atteindre. La confection des tablettes proprement dite procédait de rituels de « contrainte », la malédiction antique reposant sur deux notions : la ligature et la dévotion. On entrave celui à qui l’on veut nuire puis on le livre aux puissances infernales. L’incantation gravée sur la tablette décrit donc dans le détail cette opération. Généralement écrit à la première personne, le texte comporte le nom de la victime, suivi parfois de sa filiation par la mère, la seule fiable dans l’Antiquité. Elle porte les noms des divinités invoquées et la liste des malédictions et des maux à infliger. Il arrive parfois que le rituel d’envoûtement ne nécessite pas la gravure d’une lamelle de plomb. L’efficacité de la contrainte repose alors entièrement sur la puissance accordée à la parole, considérée comme agissante, et résulte de la simple prononciation de l’incantation. C’est là une illustration supplémentaire de la magie du verbe si souvent rencontrée chez les sorciers gréco-romains. Lieu de dépôt des tablettes et divinités invoquées Une fois le rituel accompli, les defixiones, sorte de contrats passés avec les puissances infernales étaient ensuite déposées dans des puits, des tombes ou de simples fosses, dans un sanctuaire ou encore confiées à une rivière. Les divinités invoquées provenant tout aussi bien des panthéons grecs, romains, celtes ou même orientaux, étaient généralement des puissances chtoniennes assimilées aux enfers ; le lieu d’enfouissement n’était donc pas choisi au hasard. La requête pouvait être confiée à un mort, intercesseur privilégié pour toucher ces divinités. De même on ne trouve pas des tablettes dans tous les sanctuaires. Ceux des divinités souterraines étaient de loin les préférés. La rivière, voire la source, devait emporter le mal au loin (désenvoûtement), alors que le puits présentait la caractéristique d’ouvrir sur le domaine chtonien et de comporter de l’eau. En résumé, les tabellae sont déposées dans des puits, dans des sépultures, des sources ou encore des fosses qui sont des voies d’accès traditionnelles à l’Autre Monde, par lesquelles on peut communiquer avec les divinités du monde souterrain. Les différents types de malédiction Les envoûtements en Gaule romaine sont sensiblement les mêmes que dans le reste du monde gréco-romain. Suivant le contexte dans lequel elles sont usitées, plusieurs catégories de tablettes de défixion peuvent être distinguées, une typologie des buts pratiques a donc pu être établie suivant 5 grandes catégories de texte se rapportant à des antagonistes différents : La partie adverse d’un procès (defixiones judicariae) Un rival en amour ou une personne désirée (defixiones amatoriae) Le domaine du spectacle, du cirque (defixiones agonisticae ) Un concurrent « sportif » ou économique Un voleur ou un calomniateur La pratique de l’envoûtement par defixio répond à un état de crise ; l’utilisation de ce type de magie s’effectue toujours dans une situation d’affrontement qui n’a pas encore trouvé sa résolution. Ces tablettes nous offrent donc le reflet d’une société qui avait fait de l’envoûtement le moyen le plus sûr de neutraliser de potentiels adversaires dans tous les domaines de la vie quotidienne. A Chamalières (Puy-de-Dôme), une tablette de défixion datée du Ier s. ap. J.-C. a été retrouvée dans une source au sanctuaire thermal gallo-romain. Le texte en langue gauloise pourrait faire allusion au dieu celtique Maponos, dieu de la jeunesse et du temps bien attesté en Bretagne insulaire mais peu présent en Gaule. Il pourrait s’agir d’une défixion juridique. BIBLIOGRAPHIE AUGEL C., « Rapport d’interventions, Conservation-restauration d’un defixio en alliage base plomb », Recherches sur l’urbanisme antique du site de Barzan, un aperçu d’une rue et de ses abords au lieu-dit « le Trésor », Document Final de Synthèse de fouilles programmées 2001-2002 sous la responsabilité de Laurence Tranoy. 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