2 L`invitation au voyage travail lettres

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2 L`invitation au voyage travail lettres
Documents : Marie-Christine OLIVIER Collège A. Calmette Wasquehal
HDA Niveau 4ème
Matière : Français : support : L'Invitation au voyage de Charles Baudelaire
Ce travail s'inscrit dans une problèmatique commune : Voyager est-ce partir ?
Le thème du voyage est abordé dans une séquence sur la poésie lyrique
Cette séquence comportera des poèmes d'époques variées permettant d'explorer la notion de voyage :
A titre d'exemple :
Voyage initiatique (référence à la mythologie : œuvre étudiée en 6ème:L'Odyssée)
-Heureux qui comme Ulysse de J Du Bellay 16ème siècle
Voyage imaginaire, idéalisé, esthétique
-L'Invitation au voyage de Baudelaire 19ème siècle
Voyage itinérant et poétique
-Ma Bohême d'A Rimbaud 19ème siècle
Le voyage vers l'enfant disparue :
-Demain dès l'aube de Victor Hugo 19ème siècle
Voyage et liberté
- Les îles de Cendrars 20ème siècle
L'Invitation au voyage
Un lien pourra aussi être créé avec le travail fait précedemment en cours de musique : L'Orient étant très présent dans le poème de Baudelaire
Notions à revoir ou à aborder
Figures de style : anaphore , oxymore, personnification
Versification : disposition du poème , vers impairs, rythme binaire et ternaire
Allitérations, assonances, rimes internes , rythme.
Grammaire :Valeur des temps et modes : infinitif : conditionnel et indicatif présent
Ces modes se retrouvent séparément dans chaque strophe du poème et contribuent à donner un sens particulier au voyage :
Le mode infinitif pour souligner le désir intemporel (1ère strophe)
Le mode impératif qui justifie le terme « invitation » du titre (1ère strophe)
Le mode conditionnel pour exprimer l'imaginaire, le rêve (2ème strophe)
Le mode indicatif pour inscrire le voyage dans un lieu réel et donner l'impression d'éternité(3ème strophe)
Vocabulaire spécifique:
Les ciels terme spécifique utilisé en peinture
Le mot charmes et son sens ancien d'envoûtement
Documents annexes
Tableau de Ruysdaël pour les ciels
Tableau de Vermeer : vue de Delft
Tableau de De Witte pour les intérieurs hollandais
Extrait de l'Invitation au Voyage dans Les Petits Poèmes en prose où l'on trouve des explications sur le sens du poème
Image de Marie Daubrun à qui est dédié ce poème
Ces références pourront se trouver sous la forme d'un texte appareillé
…..............................................................
L'étude proprement dite du thème du voyage pourra commencer par une recherche collective sur le mot voyage afin de faire émerger les notions
d'espace (voyage horizontal) de temps (voyage vertical, dans la mémoire) d'intériorité :voyage imaginaire, rêvé.......
Après avoir lu et observé le poème on remarquera sa forme particulière (trois strophes de 12 vers et trois distyques)
On pourra alors demander aux élèves d'associer ensuite à chacune des strophes du poème l'une de ces définitions du voyage et d'en trouver d'autres si
elles ont insuffisantes
Etude de la 1ère strophe : Un voyage imaginaire
On discutera de la définition du voyage choisie par les élèves en s'appuyant sur le vocabulaire du poème : « songe »qui permet de justifier le titre et
amène l'idée de rêverie
« là bas »désir d'un ailleurs
La première strophe fera apparaître la notion de voyage imaginaire où le paysage et la femme aimée se confondent (métaphore et oxymore ; soleils
mouillés et ciels brouillés) faisant apparaître un ciel brumeux, mystérieux
On pourra faire remarquer que le mot ciels est un terme de peinture et s'interroger sur le choix de ce mot
Le travail portera aussi sur le sens du mot « charmes »
On remarquera l'imprécision de la « destination » et son envoûtement « charmes » mystérieux , traîtres
On pourra rechercher à qui s'adresse ce poème « Mon enfant, ma soeur »
Le refrain pourra faire l'objet d'un travail sur le rythme et le choix des mots qui lient le raffinement à la sensualité et à l'harmonie
2ème strophe : un voyage esthétique
Les élèves seront amenés à repérer qu'il s'agir de la description d'un lieu concret, qui révèle un art de vie raffiné
les sens entrent en correspondance : odorat, vue, toucher . Le voyage s'il semble au départ confiné dans un lieu s'ouvre à un espace plus grand par la
décoration des plafonds et surtout par le reflet des miroirs
On pourra alors aborder la notion de correspondances baudelairiennes.
Le voyage se poursuit avec l'apparition du mot « orientale »
Un lien pourra être fait avec la magie de l'Orient déjà rencontrée à travers l'étude de l'oeuvre : Shéhérazade en cours de musique et ce sera l'occasion
de se remémorer les textes étudiés en 5ème , le commerce avec les Indes et l'attrait de l'exotisme à cette époque
« langue natale » création d'un monde nouveau, voyage du poète à travers le langage
Le mode conditionnel est le mode de l'imaginaire comme la chambre est le lieu des rêves
3ème strophe : Un voyage contemplatif dans un pays idéalisé
L'étude du vocabulaire et du mode indicatif feront apparaître contrairement à la 2ème strophe , un espace extérieur réel (canaux, vaisseaux, bout du
monde, ville)
Les élèves reconnaîtront le lieu : le port qui est un point de départ et de retour : On est dans le voyage géographique .
Cependant certains verbent indiquent l' inaction (les vaisseaux dorment, le monde s'endort)
et les vaisseaux sont personnifiés
Cette strophe est inscrite dans un lieu précis à un moment précis : la tombée du jour, qui annonce la nuit et le sommeil
Ce voyage n'est pas un départ.La femme aimée est invitée à regarder : « vois »
On pourra essayer de faire deviner aux élèves qu'il s'agit des Pays bas à l'époque du siècle d'or (canaux, or) en rappelant les informations précédentes ;
ciels mouillés, riches décorations , splendeur orientale
(ce sera l'occasion de faire un lien avec l'Invitation au voyage dans Les Petits Poèmes en Prose : pays de Cocagne,Orient de l'Occident)
Les vaisseaux sont personnifiés, le rythme est lent et apaisant,
Le temps : le présent de l'indicatif donne une impression d'éternité. On peut relier la cadence des flots au rythme du poème bercé par un refrain
On présentera ensuite aux élèves les peintres dont s'est inspiré Baudelaire (texte appareillé)
ou on leur fera choisir des tableaux pour illustrer cette strophe
On pourra alors imaginer le poème entier sous la forme d'un tryptique , comme trois visions et versions différentes du voyage amoureux
Synthèse : Voyager est-ce partir ?
Les élèves essaieront de répondre à cette question en récapitulant les différents sens de ce mot déclinés à travers l'étude de ce poème et pourront
apporter leur vision personnelle du voyage
Prolongements :
Les élèves pourront choisir une carte postale ou un tableau représentant un paysage qu'ils apprécient et rédiger une strophe « à la manière » de
Baudelaire en cherchant à y associer un sentiment (amour, désir, mélancolie....)
Les élèves pourront appareiller leur poème en y associant des tableaux
Pour concrétiser la référence à la peinture hollandaise présente chez Baudelaire (critique d'art), on pourra étudier plus précisément le tableau Vue de
Delft de Vermeer et s'ouvrir à d'autres tableaux reliés au thème du voyage.
L'Invitation au Voyage
Charles Baudelaire Les Fleurs du mal 1857
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
L'Invitation au Voyage
"L'invitation au voyage" est le dix-huitième texte du recueil Petits Poèmes en Prose connu sous le nom de "Spleen de
Paris".
VIII. L'Invitation au voyage
Il est un pays superbe, un pays de Cocagne, dit-on, que je rêve de visiter avec une vieille
amie. Pays singulier, noyé dans les brumes de notre Nord, et qu'on pourrait appeler l'Orient
de l'Occident, la Chine de l'Europe, tant la chaude et capricieuse fantaisie s'y est donné
carrière, tant elle l'a patiemment et opiniâtrement illustré de ses savantes et délicates
végétations.
Un vrai pays de Cocagne, où tout est beau, riche, tranquille, honnête; où le luxe a plaisir à
se mirer dans l'ordre; où la vie est grasse et douce à respirer; d'où le désordre, la turbulence
et l'imprévu sont exclus; où le bonheur est marié au silence; où la cuisine elle-même est
poétique, grasse et excitante à la fois; où tout vous ressemble, mon cher ange.
Tu connais cette maladie fiévreuse qui s'empare de nous dans les froides misères, cette
nostalgie du pays qu'on ignore, cette angoisse de la curiosité ? Il est une contrée qui te
ressemble, où tout est beau, riche, tranquille et honnête, où la fantaisie a bâti et décoré une
Chine occidentale, où la vie est douce à respirer, où le bonheur est marié au silence. C'est là
qu'il faut aller vivre, c'est là qu'il faut aller mourir !
Oui, c'est là qu'il faut aller respirer, rêver et allonger les heures par l'infini des sensations.
Un musicien a écrit l'Invitation à la valse; quel est celui qui composera l'Invitation au
voyage, qu'on puisse offrir à la femme aimée, à la soeur d'élection ?
Oui, c'est dans cette atmosphère qu'il ferait bon vivre, - là-bas, où les heures plus lentes
contiennent plus de pensées, où les horloges sonnent le bonheur avec une plus profonde et
plus significative solennité.
Sur des panneaux luisants, ou sur des cuirs dorés et d'une richesse sombre, vivent
discrètement des peintures béates, calmes et profondes, comme les âmes des artistes qui les
créèrent. Les soleils couchants, qui colorent si richement la salle à manger ou le salon, sont
tamisés par de belles étoffes ou par ces hautes fenêtres ouvragées que le plomb divise en
nombreux compartiments. Les meubles sont vastes, curieux, bizarres, armés de serrures et
de secrets comme des âmes raffinées. Les miroirs, les métaux, les étoffes, l'orfèvrerie et la
faïence y jouent pour les yeux une symphonie muette et mystérieuse; et de toutes choses,
de tous les coins, des fissures des tiroirs et des plis des étoffes s'échappe un parfum
singulier, un revenez-y de Sumatra, qui est comme l'âme de l'appartement.
Un vrai pays de Cocagne, te dis-je, où tout est riche, propre et luisant, comme une belle
conscience, comme une magnifique batterie de cuisine, comme une splendide orfèvrerie,
comme une bijouterie bariolée! Les trésors du monde y affluent, comme dans la maison
d'un homme laborieux et qui a bien mérité du monde entier. Pays singulier, supérieur aux
autres, comme l'Art l'est à la Nature, où celle-ci est réformée par le rêve, où elle est
corrigée, embellie, refondue.
Qu'ils cherchent, qu'ils cherchent encore, qu'ils reculent sans cesse les limites de leur
bonheur, ces alchimistes de l'horticulture ! Qu'ils proposent des prix de soixante et de cent
mille florins pour qui résoudra leurs ambitieux problèmes ! Moi, j'ai trouvé ma tulipe noire
et mon dahlia bleu !
Fleur incomparable, tulipe retrouvée, allégorique dahlia, c'est là, n'est-ce pas, dans ce beau
pays si calme et si rêveur, qu'il faudrait aller vivre et fleurir ? Ne serais-tu pas encadrée
dans ton analogie, et ne pourrais-tu pas te mirer, pour parier comme les mystiques, dans ta
propre correspondance ?
Des rêves ! toujours des rêves ! et plus l'âme est ambitieuse et délicate, plus les rêves
l'éloignent du possible. Chaque homme porte en lui sa dose d'opium naturel, incessamment
sécrétée et renouvelée, et, de la naissance à la mort, combien comptons-nous d'heures
remplies par la jouissance positive, par l'action réussie et décidée ? Vivrons-nous jamais,
passerons-nous jamais dans ce tableau qu'a peint mon esprit, ce tableau qui te ressemble ?
Ces trésors, ces meubles, ce luxe, cet ordre, ces parfums, ces fleurs miraculeuses, c'est toi.
C'est encore toi, ces grands fleuves et ces canaux tranquilles. Ces énormes navires qu'ils
charrient, tout chargés de richesses, et d'où montent les chants monotones de la manoeuvre,
ce sont mes pensées qui dorment ou qui roulent sur ton sein. Tu les conduis doucement vers
la mer qui est l'infini, tout en réfléchissant les profondeurs du ciel dans la limpidité de ta
belle âme; - et quand, fatigués par la houle et gorgés des produits de l'Orient, ils rentrent au
port natal, ce sont encore mes pensées enrichies qui reviennent de l'Infini vers toi.
Marie Daubrun
Intérieur avec femme au clavecin de De Witte
Vue de Delft de Vermeer
Paysage de Ruysdaël